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L'origine des actions intentionnelles : une lutte entre l'intention et la motivation

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Academic year: 2021

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MARIE-GEORGES BELANGER 62 ô ·

L’ORIGINE DES ACTIONS INTENTIONNELLES : UNE LUTTE ENTRE L’INTENTION ET LA MOTIVATION

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval

pour l’obtention

du grade de maître ès arts (M. A.)

FACULTÉ DE PHILOSOPHIE UNIVERSITÉ LAVAL

OCTOBRE 2000

I © Marie-Georges Bélanger, 2000

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RÉSUMÉ

Dans le cadre d’une théorie causale de l’action, il est possible d’opter pour deux positions quant à !’explication des actions intentionnelles : soit le motif prépondérant, c’est-à-dire celui qui est le plus fort, joue le rôle explicatif, soit les motifs et les intentions se partagent le rôle. Pour qui défend l’idée que les intentions ont une place, la difficulté est de montrer comment un agent peut former une intention qui aille à l’encontre de son motif le plus fort. Je soutiens dans cette recherche qu’il est possible de défendre l’existence d’un lien indispensable entre les intentions et les actions intentionnelles à l’intérieur du contexte d’une théorie où les motifs des agents expliquent l’agir intentionnel. Je mets de plus en évidence que les intentions pertinentes sont celles dont le contenu est identique à la description de l’action intentionnelle.

Directrice de recherche Étudiante

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Je suis reconnaissante à mes parents qui ont été une source de motivation et d'inspiration tout au long de mes études. C’est grâce à eux si j'ai pu accomplir tout ce travail.

Je tiens à remercier mon fiancé pour ses précieux conseils et son support quotidien tout au long de ma recherche.

Je remercie également les membres du groupe de recherche de philosophie analytique à l’Université Laval pour les discussions enrichissantes que nous avons entretenues pendant deux ans.

Je remercie enfin et surtout ma directrice de recherche, madame Renée Bilodeau, pour un soutien non seulement intellectuel, mais aussi moral qui a grandement facilité et allégé le dur labeur que constitue la rédaction d’un mémoire de maîtrise...

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TABLE DES MATIÈRES

II

1 RÉSUMÉ...

AVANT-PROPOS... TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION GÉNÉRALE

CHAPITRE UN : INTRODUCTION À LA THÉORIE DES ACTIONS

INTENTIONNELLES... 5

1. Introduction...5

1.1 De Aristote à Davidson... 6

1.1.1 L’origine de la philosophie de l’action : Aristote...6

1.1.2 Les débuts de la philosophie analytique de l’action : Anscombe... :... ... ... ;... 9

1.1.3 La théorie causale de l’action : Davidson ... i...12

1.2 La théorie des actions intentionnelles... 16

1.2.1 Qu'est-ce qu’une action intentionnelle ?...16

1.2.2 Qu'est-ce qu’une intention ?...17

1.2.3 Les contraintes de rationalité...21

1.3 Conclusion du premier chapitre...24

CHAPITRE DEUX : ANALYSE DE L’APPROCHE ÉLÉMENTAIRE DE LA RELATION ENTRE LES INTENTIONS ET LES ACTIONS INTENTIONNELLES... 25

2. Introduction... 25

2.1 L’approche élémentaire : McCann et Adams...27

2.2 Critiques de Mele et Bratman... 30

2.2.1 Toute intention de faire A ne conduit pas à une action intentionnelle A ...31

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2.2.3 La contrainte de croyance peut empêcher !’acquisition d’une intention de faire A dans le cas d’une action

intentionnelle A... 35

2.2.4 Propositions de Mele et Bratman... 38

2.3 Répliques de McCann et Adams...46

2.3.1 Le lien suffisant... 47

2.3.2 Le lien nécessaire... 47

2.3.3 La contrainte de croyance...50

2.3.4 Sur les propositions de Mele et Bratman...55

2.3.4.1 Mele : une intention subordonnée...55

2.3.4.2 Bratman : le potentiel motivationnel... 59

2.4 Conclusion du deuxième chapitre...65

CHAPITRE TROIS : ANALYSE DE LA THÈSE DE LA FORCE MOTIVATIONNELLE... 68

3. Introduction... ... 68

3.1 La thèse de la force motivationnelle : Davidson...69

3.2 La thèse de la force motivationnelle : Mele... 72

3.2.1 Quelle place reste-t-il pour l’intention ?...79

3.3 Critique de McCann...84

3.3.1 Échec de la conciliation de la thèse de la force motivationnelle avec la thèse de l’intention... 84

3.3.2 Entre la thèse de la force motivationnelle et la thèse de l’intention, choisir le moindre mal : l’intention... 90

3.4 Conclusion du troisième chapitre... 94

CONCLUSION GÉNÉRALE... 96

99 BIBLIOGRAPHIE

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Introduction générale

Depuis environ quarante ans, un nouveau champ de recherches s’est constitué en philosophie analytique : la théorie de l’action. Il émane du désir d’expliquer adéquatement l’action. Cette discipline peut être jumelée avec d’autres, philosophiques ou autres, pour expliquer divers phénomènes. Par exemple, on peut désirer expliquer l’action du point de vue de la finalité de l’agir humain. La philosophie de l’action partage ici les intérêts de la morale et de l’éthique. On peut désirer évaluer la part de responsabilité des agents face à leurs actions. On s'associe alors à la philosophie juridique et au droit. On peut également chercher à comprendre la disposition mentale de l'agent avant qu’il passe à l’action, du point de vue des échanges neuronaux dans son cerveau. La discipline connexe est la neuropsychologie. Il est donc possible d’élargir les discussions à propos de l’action à plusieurs champs de la philosophie et d’unir plusieurs disciplines dans la recherche autour de l’élaboration d’une théorie de l’action. Ces recherches sont importantes parce qu’elles permettent de faire progresser !’explication du comportement humain. En théorie de l’action, en comprenant mieux pourquoi on agit, on peut augmenter nos connaissances sur la structure de notre pensée, donc sur nous-mêmes dans une certaine mesure.

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Dans le champ de la philosophie qui nous intéressera ici, deux questions, qui donnent lieu à deux débats différents, préoccupent les philosophes de l’action : « Que sont les actions ? » et « Comment pouvons-nous expliquer les actions ? ». La première question débouche sur une théorie de la nature de l’action, tandis que la deuxième appelle une théorie de !’explication des actions. Il existe également plusieurs manières d’aborder chacune de ces théories. Le domaine d’investigation de la philosophie analytique de l’action étant très vaste, je me concentrerai principalement sur une partie de la deuxième question. Dans le cadre de la théorie de !’explication de l’action, je me limiterai à deux termes clés qui se disputent le rôle explicatif principal de l’origine des actions intentionnelles : l’intention et la motivation.

La compréhension que nous avons du comportement humain se manifeste par !’utilisation que nous faisons des concepts de la théorie de l’action dans le vocabulaire de tous les jours : croyances, désirs, raisons, intentions, motivation, décision et plan sont des exemples fréquents de l’usage que nous avons des mots-clés de !’explication de l’action. Lorsque nous cherchons à expliquer l'origine de l’action, de nombreuses questions surgissent : qu’est-ce qu’une action ? Que signifie agir intentionnellement ? Quelles sont les raisons pour lesquelles nous agissons ? Est-ce que !’explication de l’action est causale ? Comment définir les états mentaux à l’origine de l’action ? Les explications des actions intentionnelles trouvées par le sens commun ont un succès considérable ; lorsque nous communiquons entre nous, nous comprenons le comportement des autres, ainsi que le sens des mots « croyance », « désir », « plan », « décision », « intention », « motif » et « raison ». Ces mots font partie du vocabulaire commun de la psychologie populaire. Mais comment une raison, un état mental, une attitude ou une disposition résulte-t-elle en une action intentionnelle ? Les philosophes analytiques de l’action se sont penchés sur cette question dans un souci de clarification.

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On peut stipuler sans crainte que certaines actions sont motivées par les désirs de l'agent, d’autres par ses croyances, d’autres par ses intentions, mais ce que nous cherchons, c’est une explication de l’action intentionnelle qui soit applicable pour tous les cas possibles. Il faut donc trouver un modèle global d'explication ; les explications des situations particulières demeureront variables. Est-ce que toute action intentionnelle est précédée d’une intention ? Si oui, comment l’intention est-elle acquise ? Si non, quel autre état mental serait à l’origine des actions intentionnelles ? Est-ce une attitude englobante qui inclut toutes les autres, ou en est-ce une particulière qui exclut la possibilité que d’autres états aient un pouvoir explicatif ? Toutes ces questions sont inhérentes à une recherche étiologique telle que je l’envisagerai dans le présent travail. Ma problématique concerne !’explication des actions intentionnelles, et plus particulièrement deux positions qu’il est possible d’adopter quant au choix de l’élément qui explique l’action. On peut opter pour le motif de l’agent seul, ou pour le motif jumelé à l’intention de l’agent. Chacune de ces positions amène son lot de difficultés, comme nous le verrons dans l’analyse détaillée que je présenterai dans les deux derniers chapitres. Le leitmotiv de mon travail concerne le concept d’intention. Dans chacune des thèses discutées, je m’interroge sur la place des intentions dans la théorie choisie pour expliquer les actions intentionnelles, ainsi que sur leur nature et leur contenu. Le lecteur jugera après sa lecture si l’indispensabilité des intentions dans une théorie

explicative des actions intentionnelles est justifiée ou non.

Ma recherche se divise en trois chapitres. Le premier est une introduction à la philosophie de l’action. Je retracerai brièvement l’évolution de cette discipline, depuis Aristote jusqu’à nos jours. J’introduirai également le lecteur à la terminologie qu’il rencontrera tout au long de sa lecture. Dans les deux autres chapitres, j’aborde deux grandes questions : 1/ Est-ce que toute action

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intentionnelle est précédée d’une intention ? 21 Quels sont les motifs qui nous incitent à agir ?

Le deuxième chapitre est consacré à une thèse qui a fourni une réponse à la première question : l’approche élémentaire de la relation entre les intentions et les actions intentionnelles. D'après cette thèse, toute action intentionnelle est précédée d’une intention dont le contenu est identique à la description de l'action. Cette analyse pose beaucoup de problèmes, comme nous le verrons. Elle me permettra toutefois de défendre la nécessité d'intégrer les intentions dans une théorie explicative des actions intentionnelles.

Le troisième chapitre s’inscrit dans le cadre de l'analyse des motifs qui nous incitent à agir. Dans le but constant d’évaluer la place des intentions dans une théorie explicative, je confronterai deux thèses apparemment contradictoires. La première stipule que toute action intentionnelle est initiée par un motif prépondérant. La deuxième affirme plutôt que toute action intentionnelle est initiée par une intention appropriée. Je discuterai de la possibilité de concilier ces deux thèses, et du choix à faire entre les motifs et l’intention si la conciliation échoue. Après un tel parcours, le lecteur sera en mesure de se prononcer sur les questions qui nous préoccupent dans cette étude.

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Premier chapitre

Introduction à la théorie des actions intentionnelles

1. Introduction

La théorie des actions intentionnelles a été abordée dans l’histoire de la philosophie selon différentes perspectives et la terminologie employée pour l'élaborer s’est précisée et spécialisée au fil des années. Je souhaite débuter ce mémoire par un chapitre d’introduction qui nous permettra dans un premier temps d’entrevoir les fondements de cette question, et dans un deuxième temps de comprendre le vocabulaire utilisé par les philosophes.

Je retracerai très brièvement trois approches distinctes pour illustrer l’évolution du problème de l’étiologie des actions intentionnelles, en commençant par l’origine de la théorie de l’action avec Aristote. Ensuite, je passerai aux

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débuts de la philosophie analytique, avec la principale héritière de Ludwig Wittgenstein, Elizabeth Anscombe. Enfin, je présenterai un des piliers parmi les philosophes analytiques, Donald Davidson, qui a donné une nouvelle orientation au problème.

Après !'introduction de ces trois figures phares de l’histoire de la philosophie de l’action, j'aborderai !’explication des termes essentiels à la compréhension du débat, en commençant par une définition des actions intentionnelles. Je présenterai ensuite une définition du concept d'intention, ainsi que les différentes places que lui accordent quelques philosophes dans l’étiologie des actions intentionnelles. J’introduirai enfin les contraintes de rationalité qui se rattachent à l’intention, et qui auront un rôle important dans la suite de l’analyse.

1.1 De Aristote à Davidson.

1.1.1 L’origine de la philosophie de l’action : Aristote.

Dès !’Antiquité, des philosophes se sont penchés sur le problème de l’action, et ils ont abordé leur analyse sous l’angle de la morale. On se demandait par exemple qu’est-ce qu’une bonne action, et si le but de l’agir est de tendre vers quelque bien. On retrouve une telle analyse dans l’œuvre d’Aristote, dans son livre Éthique à Nicomaque. Je me concentrerai sur deux concepts auxquels il fait référence et qui peuvent nous aider à comparer les approches aristotélicienne et analytique de l’action. Le premier est la causalité, et j’étudierai particulièrement deux types de causes, la cause finale de l’action qui est le bien, et la cause efficiente de l’action qui est l’agent. Le deuxième concept que j’aborderai est la morale.

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Aristote entérine l’idée selon laquelle les désirs des agents causent leur agir. La question de la causalité est cependant très complexe chez Aristote. On sait qu’il y a quatre types de causes selon lui, matérielle, formelle, efficiente et finale, et que cette dernière, la cause suprême, est d’ordre téléologique. La différence entre une explication causale et une explication téléologique s’exprime ainsi : tandis que la cause est la source de l’action, la téléologie nous renseigne sur sa finalité.· La téléologie est la doctrine selon laquelle toute la nature est orientée vers un but ; elle pointe vers le futur. Ainsi, dans la philosophie d’Aristote, toute action est faite en vue d'une fin : « Tout art et toute investigation, et pareillement toute action et tout choix tendent vers quelque bien, à ce qu’il semble. »1 L’explication causale (formulée en terme de cause finale de l'action) qui répond à la question « en vue de quoi ou pourquoi est faite la chose ? » peut donc être interprétée dans sa dimension téléologique chez Aristote.

On ne retrouve plus cette dimension dans !’interprétation moderne de la causalité de l’action. Pour le cadre théorique dans lequel la philosophie analytique de l’action s’inscrit, une loi causale est une loi qui identifie explicitement certains événements comme étant les causes de certains autres événements ; en ce sens, !’explication causale est orientée vers le passé. Pour revenir à la théorie aristotélicienne, à laquelle des quatre causes pouvons-nous rattacher la cause de l'action ? Je dirais que c’est la cause efficiente : « c’est ce dont vient le premier commencement du changement et du repos ; par exemple, l’auteur d’une décision est cause, le père est cause de l’enfant, et, en général, l’agent est cause de ce qui est fait, ce qui produit le changement de ce qui est changé. »2 Ce type d’explication causale (formulée en terme de cause motrice de l’action) répond à la question « par qui ou par quoi est faite cette chose ? », et c’est justement ce type de cause dont il est question dans la littérature contemporaine.

Aristote, Ethique à Nicomaque, I, 1, 1094a.

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Une autre caractéristique essentielle de la philosophie de l'action chez Aristote est son caractère moral. Aristote analyse les notions de décision, de liberté, de choix et de désir sous l’angle de la morale. Ainsi, selon lui, la droite règle exige que l’agent observe le juste milieu, puisque in medio stat virtus : « [...] nous devons choisir le moyen terme, et non l’excès ou le défaut, et [...] le moyen terme est conforme à ce qu’énonce la droite règle[...] »2 3. Pour obéir à cette règle de conduite, le désir de l’agent doit maintenir une identité entre ce que la règle affirme et l’objet de poursuite du désir : « [...] dans l’action, ce qu’on fait <est une fin au sens absolu▻, car la vie vertueuse est une fin, et le désir a cette fin pour objet. »4 Le bien et le bonheur sont ce à quoi toutes choses tendent, et ils sont la fin de nos actions. Cette dimension morale, où on évalue la vertu de l’agent, occupe une place primordiale dans l’analyse aristotélicienne de l’action. C’était bien le motif des recherches d’Aristote : vers quoi tendons-nous à agir ? Ce doit être le bien, et parmi les biens, le Bien suprême, qu’on appelle le bonheur. On ne cherche donc pas ici quelle est la disposition mentale de l’agent parmi un choix d’états mentaux, comme on le fait en philosophie analytique.

Aristote a été repris dans une certaine mesure dans les recherches en philosophie analytique de l’action. Plusieurs philosophes contemporains optent pour une analyse causaliste de l’origine des actions, et on dit dans la littérature que c’est un retour à Aristote. Mais, comme nous venons de le constater, même si Aristote avait parlé de la plupart des concepts clés utilisés dans la philosophie analytique de l’action, c’était sous un angle différent. En effet, les premières analyses de l’action étaient sous l’empreinte de la morale de l’agir. Tandis que l’éthique s’interroge sur les choses qui peuvent pousser les personnes à agir, c’est-à-dire sur le principe moral qui guide leur action, la théorie de l’action s’interroge sur l’état mental qui cause l’action, abstraction faite de toute mise en

2 Aristote, Physique, 11, 3. 194b. 3 Aristote, ibid., VI, 1, 1138b, 19.

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contexte. Par exemple, l’éthique peut se demander si le désir du bien-être des autres est une cause finale de l’action, et la théorie de l’action se demande plutôt s’il suffit d’avoir un désir pour agir, et de quel type de désir on parle, ou s'il faut aussi avoir des croyances; Nous constaterons maintenant que la philosophie de l’action peut se délier de l’analyse morale pour se transformer en recherche analytique de l’agir indépendamment des concepts éthiques.

1.1.2 Les débuts de la philosophie analytique de l’action : Anscombe.

Faisons un saut historique de deux millénaires pour arriver aux origines de la philosophie analytique, avec Anscombe, la principale successeure du deuxième Wittgenstein. Cette philosophe aborde la question étiologique de l’action sous une nouvelle perspective, dans le sens où elle marque la scission entre la philosophie morale de l’action et la philosophie analytique de l’action. Traditionnellement, les concepts de la philosophie de l’action (décision, liberté, choix, désir) ont été abordés dans une optique éthique, en discutant par exemple de ce qu'est une bonne ou une mauvaise action (comme l’a fait Aristote). Avec la philosophie analytique, nous quittons l’approche morale de la théorie de l'action pour aborder une nouvelle théorie axée sur la structure intentionnelle de l’action. Anscombe a publié en 1957 le premier ouvrage concernant directement cette question nouvellement posée, intitulé Intention. Le problème de l’action intentionnelle est désormais formulé indépendamment de l’éthique de l’action.

Avant d’entreprendre de définir le concept d’intention, Anscombe remarque que cette notion est utilisée dans trois contextes différents, qu’elle a donc trois sens différents. Le premier est une expression de l’intention qui caractérise l'état psychologique de l’agent, comme dans la phrase « j’ai l’intention de faire de la bicyclette ». Dans ce cas, l’intention fait appel à une action future. Le deuxième contexte concerne l’expression « intentionnel », par exemple lorsque nous qualifions une action d’intentionnelle : « j’ai fait de la

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bicyclette intentionnellement ». Anscombe définit ainsi ce type d’actions : « Les actions intentionnelles sont les actions pour lesquelles un sens à la question "Pourquoi ?" trouve une application. » (1957, p. 9)5. Selon elle, la réponse à la question donne une raison pour agir. Dans mon exemple, je répondrais à la question « Pourquoi fais-tu de la bicyclette ? » par « parce que j’ai besoin de prendre l’air après avoir travaillé sur mon premier chapitre ». C’est la raison pour laquelle je fais de la bicyclette.

Le premier et le deuxième contexte d’utilisation du mot « intentionnel » ne sont toutefois pas liés. Anscombe remarque qu’une action peut être intentionnelle sans être précédée d’une intention. Par exemple, pendant que je fais de la bicyclette, je prends du retard dans mon mémoire. Cette conséquence fâcheuse est une action intentionnelle, mais elle n’est pas précédée d’une intention de prendre du retard ; quel étudiant pourrait avoir une telle intention ? Ainsi, bien que je n’aie pas Γintention de prendre du retard dans mon mémoire, mon action est intentionnelle. Ce deuxième usage du mot intention est propice aux malentendus ; ce caractère intentionnel de l’action préoccupe Anscombe parce que les situations comme cette dernière rendent difficile la possibilité de pouvoir en rendre compte d’une manière uniforme pour toutes les actions.

Enfin, le troisième contexte d’utilisation du mot « intention » souligne la relation moyen/fin, comme lorsque nous demandons avec quelle intention une action a été faite : « j’ai fait de la bicyclette avec l'intention de faire le tour de l’île d’Orléans ». Le deuxième et le troisième contexte ne sont pas liés de manière nécessaire non plus : les actions intentionnelles ne sont pas seulement celles qu’on choisit comme moyen en vue d’une fin. Ce troisième sens ne permet donc pas toujours de rendre compte de toutes les utilisations du mot « intention ». Pour ce qui est du lien entre le premier et le troisième contexte, il ne permet pas

5 They are the actions to which a certain sense of the question 'H'hy ? ' is given application. Les citations d’auteurs anglais seront toujours traduites par moi. et je fournirai l’extrait original en note de bas de page.

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d’expliquer non plus toutes les actions ; une action en vue d’une fin n’est pas une intention pure, c’est-à-dire une intention qui n’a d’autre fin qu'elle-même, ce qui est souvent le cas dans le premier type d’utilisation qu'on en fait.

Il apparaît donc difficile de donner une description de l’action intentionnelle qui soit commune à toutes les actions. Anscombe croit pourtant que la théorie de l’action doit formuler une analyse unifiée des trois sens du mot « intention » ; il y a bel et bien un lien étroit entre ces trois contextes d’utilisation. Elle parvient à tout le moins à une réponse à sa question initiale : qu'est-ce qu’une action intentionnelle ? Selon elle, une action est appelée intentionnelle si elle est intentionnelle sous au moins une des descriptions qu’on en donne. Elle caractérise le lien entre les intentions et les actions comme étant interprétatif, et non explicatif. Tandis qu’une explication rend intelligible des faits qu’on connaît déjà, en faisant émerger des lois qui relient les faits entre eux, une interprétation donne un sens aux faits. Les différents états mentaux, dont l’intention fait partie, sont la raison de l’action, non la cause. La raison dit ce qui a motivé l’action, tandis que la cause serait plutôt son origine et fournirait la loi qui donne lieu à l’action. Anscombe affirme également que !’interprétation ne spécifie pas le processus qui mène à l'action, mais spécifie plutôt la nature de l’action en amenant à la conscience les raisons que l’agent a pour passer à l’action.

Cette analyse descriptive conduit Anscombe à souligner le caractère ambigu de !’explication causale de l’action intentionnelle, sans être en mesure toutefois de repousser complètement la notion de cause de son analyse. Ses recherches ont tout de même servi de tremplin pour élaborer une approche anti- causaliste de !’explication des actions intentionnelles. Illustrons ce type d’approche par un exemple simple : je lève la main. On peut supposer que j’ai l’intention de saluer quelqu’un. On sait que ce geste signifie qu’on salue une personne, c'est le symbole utilisé dans la société. Le fait que ce mouvement corporel s’inscrive dans un contexte, avec des normes sociales, justifie que j'aie

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fait cette action. La justification du lever de mon bras à l’intérieur de ce contexte entraîne quelque chose de moral, ce que ne fait pas !’explication de l’action. De plus, le contenu de l’état mental est dans le contenu de l'action : mon intention est de « lever mon bras » et mon action est « je lève mon bras ». L'effet n’est pas différent de la cause, les deux étant descriptibles dans les mêmes termes. Une explication causale n’apporte alors rien de nouveau, et c’est pourquoi il est préférable de justifier l'action plutôt que d’en donner la cause. Parmi les principaux défenseurs d’une telle approche, mentionnons Abraham Irving Melden et Georg Henrik Von Wright, qui ont fait suite au texte de Anscombe, puis Frederick Stoutland et George M. Wilson qui ont poursuivi les recherches en ce sens. Globalement, l’apport de Anscombe dans la théorie de l’action fut de changer la conception de !’explication de l’action intentionnelle, peu importe la voie explicative que les philosophes ont choisie par la suite. Son livre Intention a donc servi de nouveau moteur au débat sur !’explication de l’action.

1.1.3 La théorie causale de l’action : Davidson.

Abordons maintenant un deuxième philosophe analytique, Donald Davidson, qui a lui aussi renouvelé l’analyse des actions intentionnelles notamment dans l’article « Actions, raisons et causes » (1963). La question qu’il y aborde est celle de la relation entre une action et la raison qui explique cette action. Pour lui, la rationalisation, !’explication de l’action par les raisons qui ont amené un agent à accomplir cette action, est une espèce d'explication causale : les raisons sont en fait les causes. Nous retrouvons donc avec Davidson une approche causaliste de la production et de !’explication de l'action. Selon les théories causales de l'action, ce qui fait qu’un événement est une action dépend de ce qui l’a causé. Les causes sont des états mentaux comme les croyances, les désirs et les intentions. Cette approche est aussi vieille que Platon, mais elle a été délaissée par les wittgensteiniens, puis reprise par Davidson. Selon lui, il y a une place pour une théorie causale de l’action puisque les actions

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intentionnelles sont faltes pour des raisons et qu'une action est faite pour une raison seulement si la raison est une cause de l'action.

Quelqu'un qui agit pour une raison a une pro-attitude qui le pousse à agir, ainsi qu'une croyance. Les pro-attitudes, attitudes conatives qui motivent !’action, sont principalement les désirs, les voeux, les incitations, les empressements, les devoirs et les jugements évaluatifs. L’agent doit aussi avoir la caractéristique de croire que l’action est de la sorte voulue. On remarque que pour Davidson, les intentions n’ont pas de rôle explicatif, ni causal (du moins pour l’instant). Davidson appelle ces deux éléments constitutifs d’une raison pour agir les raisons primaires. En fait, les raisons sont primaires lorsqu’on ramène !’explication de l’action à sa plus simple expression. Lorsqu’on énonce nos raisons pour des actions accomplies dans la vie de tous les jours, elles sont plutôt complexes. Par exemple, les raisons pour lesquelles je fais de la bicyclette sont « je veux prendre l’air pour faire changement de l’enfermement dû à la rédaction de mon premier chapitre », et « je crois que le fait de partir à bicyclette me permettra de prendre beaucoup d'air », et peut-être aussi « je sais, par expérience, que lorsque je fais de la bicyclette, le grand air me fait du bien ». La thèse de Davidson est que la raison primaire d’une action est sa cause. L’agent agit donc parce qu’W a une raison. Pour Davidson, seul le schème eau sa liste permet de rendre compte de la connexion mystérieuse entre les raisons et les actions. La causalité est une relation entre des événements, peu importe leur description. Certains diront, contre !’identification qu’opère Davidson entre les raisons et les causes, que les raisons n'étant pas des événements, mais plutôt des dispositions ou des états, elles ne peuvent pas être des causes. D’autres croient aussi que la raison ne peut être une cause parce que la raison d’une action n’est pas logiquement distincte de son action. Davidson répond à ces difficultés, en lançant entre autres un défi aux anti- causalistes : « Puisque, lorsque nous agissons intentionnellement, nous agissons pour des raisons, essayez de fournir une explication des raisons pour

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lesquelles nous agissons qui ne considère pas le fait d'avoir ces raisons comme

figurant dans la causalité du comportement approprié. » (Mele, 1995b, p. 389- 90)6. Je n’entre cependant pas davantage dans le débat parce que la toile de fond de mon analyse s’inscrit dans la tradition causaliste ; il ne sera donc nullement question du débat qui oppose les causalistes aux anti-causalistes.

Davidson présente également dans cet article des arguments qui permettent de défendre l’idée selon laquelle les actions intentionnelles, et ce sont elles qui nous intéressent ici, sont des actions faites pour des raisons ; « Connaître la raison primaire d’une action, c’est connaître l’intention avec laquelle l’action a été faite. » (Davidson, 1963, p. 7)7. Notons que la notion d’intention est utilisée ici comme une pro-attitude, et qu’on aurait pu employer le terme désir au lieu de celui d'intention. Bien que connaître la raison, c’est connaître l’intention de quelqu’un, le contraire n’est pas nécessairement vrai ; le fait de connaître l’intention de quelqu’un, par exemple, « j’ai l’intention de terminer ce travail de maîtrise bientôt », ne signifie pas qu’on connaisse la raison primaire de l’action en détail ; par exemple, on ne sait pas si la raison primaire est « j’ai hâte d’en avoir fini », ou « je sais que je suis déjà inscrite au doctorat », ou encore « je souhaite partir en voyage dès que j’aurai terminé ». Pour Davidson, une raison explique mieux une action que le simple fait de signifier que l’agent a une Intention, parce que les intentions ne sont que des syncatégorèmes pour lui ;■ il s’agit de termes pour lesquels on ne fournit pas de définition et qui ne peuvent être utilisés pour référer à une entité, un état, une disposition ou un événement. Ils peuvent être éliminés dans l’analyse logique. L’expression « avec l’intention de » est syncatégorématique parce qu’elle peut être remplacée par « désirer », « souhaiter », « vouloir », etc. Ainsi, alors que l’analyse anscombienne des actions intentionnelles s’articulait autour de la

6 Given that when we act intentionally ire act. for reasons, provide an account of the reasons for which we act that

does not treat (our having) those reasons as figuring in the causation of the relevant, behavior.

7 To know a primary reason why someone acted as he did is to know an intention with which the action was clone. Notons que Davidson utilise le 3e sens du mot « intention » d’Anscombe.

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notion d’intention, avec Davidson, cette notion est exclue de la théorie des actions intentionnelles. Notons toutefois que Davidson reviendra sur sa position quelques années plus tard, pour affirmer, en 1978, dans son article « Intending », que la notion d’intention est indispensable à la théorie de l’action intentionnelle. La notion d’intention acquiert alors une importance telle qu’elle sert à définir le concept d’action, ainsi que le rapporte un autre philosophe à ce propos : « Comme nous l’a enseigné Davidson, les mouvements corporels ne tombent même pas dans la catégorie des actions, à moins qu'une intention ne soit dans leur étiologie causale. » (Adams, 1986, p. 293)8. Les raisons d’un agent pour avoir l’intention de faire quelque chose sont de la même sorte que celles qu’il a pour agir intentionnellement : elles sont faites de désirs et de croyances. Il y a même un lien très serré entre l’intention et les croyances : un agent ne peut avoir l’intention de faire quelque chose à moins qu’il croie pouvoir le faire. Ce lien est une implication logique ; l’existence d’une intention implique l’existence d’un minimum de croyance de la part de l'agent.

Que s’est-il passé depuis Davidson ? Les questions concernant la notion d'intention et l’étiologie des actions intentionnelles ont commencé à occuper pratiquement toute la place dans le domaine de la philosophie de l’action, et avec !’implication de nombreux philosophes analytiques, elles ont pu se raffiner. Le philosophe sur lequel je me suis le plus penchée est Alfred Mele, qui a commencé à publier ses réflexions au début des années quatre-vingt et qui continue encore aujourd’hui. En fait, il est probablement le plus critiqué, pour la bonne raison qu'il a réagi à de nombreuses idées concernant les actions intentionnelles. Après que l’intention eut été ramenée au centre de !’explication de l’action intentionnelle, certains se sont interrogés sur la manière dont l’intention déterminait l’agir. Mele a fourni une analyse fonctionnelle des intentions, comme Michael Bratman, et il s’en sert pour démontrer que les

8 For, as Davidson has taught its, bodily movements are not even in the category of actions unless an intention is

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intentions ont toujours leur place dans une analyse motivationnelle des actions intentionnelles. Selon lui, le potentiel motivationnel est l’élément qui permet d’expliquer l’action intentionnelle, mais les intentions conservent tout de même une position phare dans l’étiologie des actions intentionnelles grâce à l’analyse motivationnelle qu’on peut en faire. Nous y reviendrons dans le troisième chapitre, mais avant d’aller plus loin dans le débat sur l’origine des actions intentionnelles, quelques clarifications conceptuelles s’imposent.

1,2 La théorie des actions intentionnelles.

1.2.1 Qu’est-ce qu'une action intentionnelle ?

Mele définit ainsi globalement les actions : « Selon l’opinion généralé, les actions sont des événements qui ont une histoire causale appropriée et cette histoire contient des événements ou des états mentaux pertinents. » (1997a, p. 135)9. Puisque nous adoptons dans ce travail une perspective causale, cette définition nous convient, globalement ; parmi les défenseurs de l’approche causaliste, il subsiste des désaccords sur l’identité de l’état mental qui cause l’action. Il peut s’agir d’un complexe de désirs et de croyances, ou encore d’un complexe de désirs, croyances et intentions.

Tous ces candidats potentiels pour expliquer l’action ne sortent pas des nues ; avant d’agir, nous réalisons effectivement plusieurs choses, comme former des intentions, prendre des décisions, faire des choix, évaluer nos croyances, etc. Certains vont considérer qu’une action n’est intentionnelle que si elle est causée de la bonne manière entre autres par l'intention dont le contenu est identique à la description de l’action ; d’autres vont plutôt opter pour une

9 According 10 a popular view, actions are, essentially, events with a suitable causal history, a causal history

featuring pertinent mental events or states. Mêle introduit la notion d’« histoire causale appropriée » en opposition

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définition qui semble plus englobante, où une action est intentionnelle si elle est causée de la bonne manière par une intention appropriée ; d’autres encore vont parler des motifs qui ont conduit l’agent à faire telle action en termes de désirs. Une seule chose semble certaine, c'est que l’agent a des états mentaux qui vont le conduire à une action intentionnelle. Voyons maintenant un de ces états mentaux.

12.2 Qu’est-ce qu’une intention ?

Lorsque nous agissons, deux types d’attitudes mentales sont la raison de notre action, les attitudes cognitives et les attitudes conatives. Les premières relèvent de ce que l’agent sait, et les secondes de ce que l’agent veut. Le cas type des attitudes cognitives est la croyance. On agit selon ce qu’on croit être en mesure de faire, et selon ce qu’on connaît de nos capacités et du monde dans lequel notre action se déroulera. Les attitudes conatives, appelées aussi pro-attitudes, sont les états mentaux qui motivent à agir, qui sont dirigés vers l’action, comme les désirs, les souhaits, les craintes, et les intentions. C’est à partir de ces différentes options que les positions divergent ; selon le modèle causal de l’action intentionnelle choisi par les philosophes, la pro-attitude qui sert de cause motrice varie. Certains considèrent que l'intention est la pro- attitude ou l’état mental par excellence qui cause l’action intentionnelle, mais pas tous, et dans chacun des modèles, plusieurs variantes viennent nuancer les positions des différents philosophes. Je m'attarde dans cette section sur l’intention, et présenterai ensuite les contraintes qui sont particulières à cette pro-attitude.

Pour plusieurs, l’intention est le dernier maillon de la chaîne causale qui précède l’action intentionnelle ; avoir une intention implique le fait d’être résolu à agir. Les intentions ont un contenu représentationnel de l’action à accomplir. En formant une intention, j’essaie de construire une représentation de comment le

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monde doit être comme résultat de mon intention, une représentation qui, si mon intervention réussit, sera vraie. Après avoir formé l’intention de faire A, l’agent fait vraisemblablement A intentionnellement, à moins qu’une contrainte ne vienne interférer avec les conclusions de son raisonnement pratique qui le pousse à changer d’idée, que ce soit un événement perturbateur extérieur à lui ou la faiblesse de sa volonté. Plusieurs considèrent que les intentions sont le résultat d’un raisonnement pratique ; on ne forme une intention qu’après avoir évalué tous les paramètres entourant une prise de décision éventuelle. Quelquefois cependant elles viennent spontanément, alors elles ne sont pas formées par l'agent.

Une analyse fonctionnelle détaillée des intentions permet de constater qu’elles remplissent plusieurs rôles importants dans !’accomplissement des actions intentionnelles, que l’on pense aux fonctions de guide, coordonateur et initiateur de l’action intentionnelle, et déclencheur du raisonnement pratique. Les intentions ne sont pas des actions, ce sont des attitudes mentales qui peuvent conduire l’agent à l'action intentionnelle, grâce à ces différentes fonctions. Nous rencontrerons au cours de notre lecture une autre expression pour expliquer l’action : les motifs. Ce sont les raisons pour lesquelles nous agissons. Contrairement aux intentions, les motifs ne rendent pas l’agent résolu à agir. Ainsi, on verra qu’un philosophe pourrait opter pour une explication de l’action intentionnelle en termes de motifs, sans avoir à rejeter la notion d’intention dans son modèle explicatif.

Les intentions sont étroitement liées à une autre notion centrale, celle de plan. C’est la notion sur laquelle Mele et Bratman s’appuient pour développer la théorie qu’ils opposent à l’approche élémentaire de la relation entre les intentions et les actions intentionnelles, thèse que nous aborderons au prochain chapitre. Puisque les agents sont en mesure d’exécuter plusieurs actions, et qu’ils doivent les coordonner toutes entre elles, c'est en faisant des plans

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d’action qu’ils parviennent à remplir cette fonction de coordination. Les intentions sont reliées aux plans, soit en y ajoutant un élément à coordonner, soit en s’y insérant elles-mêmes. Le plan n’est pas conçu pareillement chez B raiman et Mele, notamment parce qu’ils ne conçoivent pas le lien entre les intentions et les plans de la même manière. Pour Bratman (1981), former une intention, c’est insérer une description appropriée de l’action dans un plan. Un plan est un état mental qui constitue un engagement à l’action, qui rend l’agent résolu à agir, et qui coordonne les actions dans le temps et par rapport aux actions des autres. Pour Mele, « les Intentions sont des attitudes exécutives envers les plans, qui sont eux-mêmes le contenu représentationnel des intentions. » (1999, p. 564)10. Un plan est une représentation d’une action intentionnelle comme but : « Un agent S fait une action B dans le but de faire A si et seulement si S fait B et que l’action B est causée (de la bonne manière) par une intention dont la composante qui a trait au plan d’action représente l’action A comme un but relatif à l’action B. » (1989, p. 103)11. On remarque que pour Mele, l’intention inclut le plan (c’est ce qui est sous-entendu lorsqu’il parle de la composante de l’intention qui a trait au plan), tandis que pour Bratman, le plan inclut l’intention. Pour revenir à Mele, prenons un exemple : Marc travaille dans un bar (action B) dans le but de payer ses frais de scolarité à l'université (action A). L’action de travailler est causée de la bonne manière par une intention dont le contenu est constitué par l’ensemble du plan d’action de Marc, soit travailler dans un bar pour payer ses frais de scolarité à l’université. L’intention, chez Mele, doit contenir un plan d’action pour causer l’action de la bonne manière, même si le contenu de l’intention diffère de la description de l’action.

[...] intentions■ are executive altitudes toward plans, plans being the representational content of intentions.

11 SB-s for the purpose ofA-ing if and only i/'S B-s and her B-ing is caused (in the right wav) by an intention

whose plan-component represents her A-ing as a goal relative to her B-ing. (La variable « A » désigne Ies actions

sous une description A ou les actions elles-mêmes.) Notons que le plan, chez Mele, peut être quelque chose^Lausg¿. rudimentaire que « j’ai l’intention d’aller à■ bicyclette ».

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Tous ne sont pas d’accord avec l’idée que l’intention joue le rôle déterminant qu’on vient de lui attribuer, et certains réduisent les intentions à un complexe de désirs et de croyances. Robert Audi (1986) présente une telle analyse réductionniste des intentions. La réduction émerge lorsqu’on considère l’Intention comme étant en partie un état de croyance (et en partie un désir). En réduisant les intentions aux croyances de l’agent, on enlève le statut particulier aux intentions. Cette réduction des intentions aux croyances signifie en fait que quiconque a l’intention de faire A est dans un état mental qui comprend la croyance qu’il fera A. Or, il arrive qu’un agent accomplisse une action Intentionnelle à laquelle il ne croyait pas pouvoir arriver. Alors il faudrait conclure qu’il n’a pas eu d’intention d’agir. Audi affirme que ces agents n’ont effectivement pas l’Intention de faire A, ils n’ont que l’espoir d’arriver à l’action intentionnelle A.12 Pour les réductionnistes en général, on ne peut pas attribuer d’intention à l’agent lorsqu’il ne croit pas qu’il peut accomplir l’action. L’un vient avec l’autre, et ce pour respecter la rationalité de l’agent. Pour Audi (1986), les intentions n’ont pas un rôle explicatif puisqu’elles sont réductibles. L'attitude mentale motivationnelle centrale est le vouloir, qui est toujours accompagné d’une croyance. Mele, et avec lui Bratman, Frederick Adams et Hugh McCann rejettent toute réduction des intentions aux désirs ou aux croyances de l’agent : « L’intention n’est pas entièrement analysable en termes de désirs et de croyances - du moins à la manière de Audi. Avoir l’Intention de faire A entraîne la résolution soit de faire A, soit d'essayer de faire A, et ça entraîne le fait de vouloir faire A. » (Mele, 1988, p. 241 )13. Reste la question litigieuse de déterminer à quel degré les croyances des agents sont présentes lorsqu’ils forment des intentions. Abordons les différentes options qui s’offrent à nous pour insérer les croyances dans l’analyse.

12 Cf. Audi, 1973, p. 388.

13 [...] intending is not analysable wholly in terms of belief and desire - at least along the lines advanced by Audi.

Intending to A entails being settled upon A-irtg or upon trying to A, and it entails being willing to A. Voir aussi

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1.2.3 Les contraintes de rationalité.

La place des croyances dans l’agir est liée à la rationalité de l'agent. En philosophie, le concept de rationalité est très vaste. Dans le cadre de la théorie des actions intentionnelles, il y a place pour une interrogation sur la rationalité de l’agent : l’agent est-il rationnel de désirer accomplir cette action ? Est-il rationnel d’avoir ces deux intentions simultanément ? Est-il rationnel de vouloir faire ceci alors qu’il ne croit pas pouvoir y arriver ? Ce sont des questions qui concernent les contraintes qui peuvent s’appliquer sur la disposition mentale que l’agent acquiert face à l’agir. Le lecteur rencontrera différentes sortes de contraintes de rationalité sur les intentions dans le chapitre deux, et je les présente dès maintenant, selon six modes : contrainte de cohérence forte entre les intentions, contrainte de cohérence faible entre les intentions, contrainte forte sur les croyances, contrainte négative sur les croyances, contrainte faible sur les croyances, et contrainte éthique sur les croyances.14

Les deux premières contraintes sont dues à Bratmän. La première en est une de cohérence restreinte entre les intentions ; les intentions doivent être cohérentes entre elles, à l’intérieur du plan, compte tenu des croyances de l’agent. Par exemple, si je joue à deux jeux vidéos en même temps, je peux avoir l’intention de toucher la cible 1 et l’intention de toucher la cible 2, sur chacun des deux jeux. Mais si je sais par ailleurs que les deux jeux sont reliés de telle manière que si je touche les deux cibles en même temps, les jeux s’éteindront, il est alors irrationnel pour moi d’avoir ces deux intentions en même temps parce qu’elles ne sont pas cohérentes entre elles. Tout ce qui est requis de la part de l’agent est qu’il n'ait pas de croyances inconsistantes avec sa croyance qu'il fera l’action. Cette contrainte sur les intentions est ancrée dans une caractéristique fondamentale des intentions : leur capacité à participer à la coordination dans

14 Voici les réferences pour celle section : B raiman. 1984. pp. 383-385 : Mêle. 1992. pp. 130. 146-151 ; Adams, 1986, pp. 285-292 ; McCann. 1986, pp. 207-209.

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les plans. La deuxième contrainte de cohérente, dite forte, exige qu'on puisse ramener les intentions de l’agent à un plan général qui est cohérent avec les croyances de l’agent. Il ne suffit donc pas que les Intentions soient cohérentes à !’Intérieur d’un plan ; il faut que le plan général en entier soit cohérent avec les croyances. Ce plan plus général prend en compte les différents plans que l’agent s’apprête à réaliser au cours d'un certain laps de temps. C’est cette dernière contrainte que Bratman privilégie.

Les quatre prochaines contraintes concernent les différentes façons dont les croyances contraignent les intentions. Le rapport entre les intentions et les croyances s’exprime dans cette question : est-ce que l'intention d’agir implique la croyance de la part de l’agent qu’il fera l’action telle qu’il a l’intention de l’accomplir ? Il y a une entente générale sur le fait que les Intentions sont reliées aux croyances de l’agent ; tous les agents ont des croyances par rapport aux actions qu’il vont accomplir. Le problème est d’évaluer la force de ce lien. Il y a diverses manières d’exprimer la relation entre les intentions et les croyances. On peut appliquer une contrainte de croyance sur les intentions à des niveaux de force variable ; on parlera de contrainte forte, négative, ou faible.

La contrainte de croyance forte s'articule ainsi : S a l’intention de faire A seulement s’il croit qu’il fera (probablement) A. Cette contrainte est souvent jugée comme étant trop forte ; elle implique qu'on ne peut jamais avoir l’intention de faire quelque chose qu'on doute de réaliser. Par exemple, si je ne suis pas pour ainsi dire certaine que je terminerai mon mémoire avant la fin de la session, selon cette contrainte, je ne peux pas avoir l’intention de le terminer. Ça semble un peu trop contraignant. Il y a cependant une version affaiblie de cette contrainte.

La contrainte négative de croyance sur les intentions affirme que S a l’intention de faire A seulement si S ne croit pas (au moment approprié) qu’il ne

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fera (probablement) pas A. Il n'est donc plus nécessaire de croire qu’on peut faire A, il suffit de ne pas croire qu’on ne peut pas faire A. L’essentiel est d'éviter d’avoir une croyance négative sur l’action visée. Mele privilégie une telle analyse de la contrainte de croyance.

La contrainte de croyance faible s’articule ainsi : S a l’intention de faire A seulement si S croit qu’il est possible pour lui de faire A. Ceci revient à dire que S peut avoir l’intention de faire A, même si S croit que ses chances de faire A sont de moins de 50%. Cette contrainte pose problème : il est difficile de se prononcer sur le pourcentage minimal de croyance qu’on doit avoir pour pouvoir former l’intention de faire les actions concernées. On peut illustrer la contrainte de croyance faible avec le naufragé qui a l’intention de nager jusqu’à la rive la plus près, même s’il croit que ses chances de succès sont très minces. Il ne se laissera vraisemblablement pas mourir sans au moins former l’intention de nager pour essayer de s’en sortir. On retrouve cette analyse chez Davidson et Adams.

On retrouve enfin une sixième sorte de contrainte sur les intentions, celle de McCann, qui apporte une nuance à la contrainte de rationalité sur les intentions. D’après lui, il n’y a pas qu’une manière d’envisager les contraintes, mais bien deux : une contrainte épistémique et une contrainte éthique. La contrainte de croyance dont parlent Adams, Mele et Davidson est la contrainte épistémique ; qu’elle soit faible ou forte, elle stipule que l’intention est cohérente avec les croyances de l’agent, croyances qui régissent la formation des intentions. La contrainte éthique, introduite par McCann, stipule que les intentions doivent être formées en fonction de ce que l’agent juge être le meilleur pour lui. C’est ce qui permet à un agent d’être rationnel même s’il a l’intention d'accomplir une action qu’il ne croit pas être capable d’accomplir, parce qu’il juge que cette action apporte un plus grand bien dans le cours des événements. Par exemple, je peux avoir l’intention de terminer mon doctorat dans un délai de trois ans, même si je doute pouvoir réussir ; je considère que c’est mieux d’agir avec

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cette intention que de ne pas avoir l’intention de le terminer du tout. La rationalité de l’action est donc liée au fait de rendre le monde meilleur.

Il n’y a pas de consensus sur le type de contrainte qu’il est préférable d’adopter. En fait, on ne s’entend même pas sur la nécessité d’en imposer une sur les intentions. Nous serons confrontés à ces différentes positions dans le chapitre 2.

1.3 Conclusion du premier chapitre

Dans cette première partie, le but était d’élaborer un cadre de compréhension entourant le problème que je me propose d’analyser dans ce mémoire. Nous avons vu que le problème de l’origine de l'action est aussi vieux que la philosophie elle-même. On peut retenir deux transformations principales qu’il a connues : l’abandon de la perspective éthique, et la spécialisation dans le vocabulaire. Depuis Davidson, la définition des concepts est de plus en plus pointue, assurant une plus grande cohérence entre les différentes théories qui se sont développées.

J’ai présenté les principales définitions entourant les concepts clés de la philosophie de l’action. Nous savons maintenant que plusieurs types d’états mentaux peuvent servir à expliquer les actions intentionnelles, comme les attitudes conatives et les ·attitudes cognitives. Nous avons également constaté que le choix d'une attitude mentale pour expliquer l’action est difficile à faire. Il y a un état mental qui attire cependant plus !’attention que les autres : les intentions. Nous verrons les différentes places qu’il peut occuper à l’intérieur des différentes théories. C’est vers une analyse de telles divergences d'opinions que je me tourne maintenant.

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Deuxième chapitre

Analyse de ¡’approche élémentaire de la relation entre les intentions et les actions intentionnelles.

2. Introduction

La première des deux théories que nous allons aborder sur la relation entre les intentions et les actions intentionnelles établit un lien très étroit entre ces deux éléments. Issue de la psychologie du sens commun, elle est apparemment très élémentaire, et c’est cette simplicité même qui lui a donné son nom. Il s’agit de !‘approche élémentaire (Simple View)\ Pour bien saisir la

' Cette thèse a reçu son nom de Michael B rat man (1984), peut-être pour faire ressortir le caractère simpliste de cette idée que lui-même rejette. Gilbert Barman (1986) parle aussi de cette thèse, sans la nommer, mais en la qualifiant « d’approche trop simple » (over-simple view). Ceci peut nous rappeler une autre théorie dont le nom a été attribué par ceux qui la trouvaient ridicule : la théorie du Big Bang.

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nature du lien étroit, considérons un exemple. Si je vous demandais s’il est possible qu’une personne compte les étoiles filantes intentionnellement sans avoir l’intention de compter les étoiles filantes, vous répondriez la même chose que moi, sans réfléchir : non. C’est l'opinion que nous avons tous spontanément par rapport au lien conceptuel entre les intentions et les actions intentionnelles. L'approche élémentaire articule ainsi la relation nécessaire entre les intentions et les actions intentionnelles : un agent S fait une action intentionnelle A seulement s'il a eu l’intention de faire A. Malheureusement, cette simplicité ne satisfait pas tous les philosophes. En fait, les défenseurs de l’approche élémentaire se font même plutôt rares. Plusieurs obstacles se sont dressés sur son chemin, rendant de plus en plus difficile la possibilité de l’utiliser comme théorie explicative de l’ensemble des actions intentionnelles. J’aborderai en premier lieu dans ce chapitre l’étude des philosophes qui défendent2 cette thèse, McCann et Adams, suivie des positions de Mele et Bratman qui la rejettent3. Je terminerai par la réplique des partisans de l’approche élémentaire. Ceux-ci doivent répondre à plusieurs problèmes soulevés par les opposants qui les obligent à tenir compte de quelques contraintes sur les intentions. Je déciderai enfin si on doit garder ou rejeter l'approche élémentaire comme explication de l’origine des actions intentionnelles à la lumière de !’argumentation que j’aurai présentée. Nous pourrons du même souffle évaluer si les intentions peuvent conserver un rôle de première classe dans l’étiologie des actions intentionnelles, ou si elles ne sont pas si indispensables que l’approche élémentaire le laisse présager.

־ Principalement McCann :1991b, 1989. 1986b ; Adams : 1986.

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2.1 L’approche élémentaire

La majorité des théoriciens de l’action soutiennent l’idée que nos intentions initient causalement nos actions en vertu de leur contenu. Les intentions sont des états mentaux qui motivent à agir. On les classe parmi les attitudes conatives, comme les désirs, les souhaits et les craintes, mais on les distingue des autres attitudes par leurs rôles particuliers dans la production et l’explication causale de l'action. Par exemple, on s’entend pour dire des intentions qu’elles sont soumises à une contrainte de rationalité, définie (la plupart du temps, mais pas toujours, comme nous l’avons aperçu au chapitre 1) en fonction des croyances de l’agent. Dans ce cadre causal de l’analyse des actions intentionnelles, la particularité de l’approche élémentaire, c’est la restriction qu’elle impose au contenu des intentions.

Adams présente, dans un article intitulé « Intention and Intentional Action : The Simple View » (1986), l’approche élémentaire de la relation entre les intentions et les actions intentionnelles. Ce modèle soutient l’idée que nos intentions initient causalement nos actions en vertu de leur contenu. Les Intentions sont en fait si étroitement liées aux actions intentionnelles, que le contenu des intentions doit être identique à la description de l’action intentionnelle qui s’ensuit. Ainsi, toute action intentionnelle A est précédée d’une intention de faire A. Il est nécessaire qu’une action intentionnelle soit précédée d’une intention de même contenu que la description de l’action, mais il ne suffit pas qu’une intention de faire A soit formée pour que l’action intentionnelle A en découle. Par exemple, pour que j'épouse intentionnellement mon fiancé, il est nécessaire que j’aie l’intention d’épouser mon fiancé, mais il ne suffit pas que j’aie l’intention de l’épouser pour que le mariage ait lieu. L’approche élémentaire ne se prononce donc pas sur la condition suffisante, mais seulement sur une condition nécessaire à !’accomplissement d’une action.

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Un des avantages de cette approche, selon Adams et McCann, est qu’elle permet de différencier les actions intentionnelles de celles qui ne le sont pas. Dans cette perspective, une action intentionnelle est une action pour laquelle un agent forme une intention dont le contenu est identique à la description de l’action réalisée. Il ne suffit donc pas à l’agent d’être conscient ou responsable de l’action accomplie pour qu’elle soit qualifiée d’intentionnelle ; il faut une caractérisation supplémentaire. Par exemple, l’action d’atteindre son partenaire de golf lorsqu’on vise en fait le drapeau n’est pas intentionnelle, et ce même si le joueur est conscient du risque qu’il court à frapper alors que son partenaire est dans le bois en train de chercher sa balle. Le golfeur pourra par ailleurs être tenu responsable d’avoir frappé son partenaire, même si ce n’était pas un acte prémédité. Mais pour que cette action soit intentionnelle, il aurait fallu que le golfeur forme l’intention d’atteindre son partenaire, ce qui n’est vraisemblablement pas le cas.

Cette théorie semble simple, et par le fait même, intéressante. Voyons maintenant si elle est valide. Adams a élaboré un test qui permet d’évaluer si une théorie explicative des actions intentionnelles est valide. Il s’agit de deux questions auxquelles toute théorie qui prétend pouvoir expliquer l’ensemble des actions intentionnelles doit être en mesure de répondre. La première demande en vertu de quoi l’action est intentionnelle. Et la seconde : pourquoi l’action n’est-elle plus intentionnelle sous une autre description ?4 L’approche élémentaire répond ainsi à ces deux questions. Premièrement, l’action est intentionnelle sous une description en vertu du fait que le contenu de l’intention est le même que la description sous laquelle l’action est intentionnelle. Par exemple, la description de mon action intentionnelle présente est « la rédaction du deuxième chapitre de mon mémoire », et le contenu de mon intention est « rédiger le deuxième chapitre de mon mémoire ». Deuxièmement, l’action intentionnelle n'est plus intentionnelle sous une autre description C parce que le

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contenu de l’intention de l'agent n'est pas de faire C, mais bien de faire A, alors l’action intentionnelle ne peut pas être de faire C, mais seulement A. Par exemple, considérons la même action décrite cette fois ainsi : « l'action de remplir l’écran de mon ordinateur de lettres ». Je n’ai pas formulé l’intention de remplir mon écran de lettres, mais plutôt de rédiger le deuxième chapitre de mon mémoire. Alors l’action de remplir l’écran de lettres n’est pas intentionnelle sous cette description, mais seulement sous la description « la rédaction du deuxième chapitre de mon mémoire ».

McCann soutient lui aussi l’existence d’un lien très serré entre les intentions et les actions intentionnelles. Il accorde ainsi un statut particulier aux intentions par rapport aux autres pro-attitudes qui sont traditionnellement interpelées dans la production et !’explication causale des actions intentionnelles en attribuant un rôle fonctionnel aux intentions, le point central de son argumentation. Il croit que le fait que les intentions aient leur rôle fonctionnel propre dans l’étiologie des actions intentionnelles permet de les démarquer des autres états mentaux qui peuvent être impliqués dans le processus de l’action. McCann explique ainsi l’importance d’un tel statut particulier : le rôle primordial des intentions, qui dépasse même celui de coordination qui leur est habituellement attribué, est de modifier le monde pour le rendre meilleur. Sans cet effet sur le monde, il n’y aurait pas de raison de nous préoccuper de coordonner nos plans. Sans cette visée, l’action intentionnelle n’est pas rationnelle. Il suffit qu’un agent croit qu’il a une chance d'atteindre son but pour désirer essayer, pour avoir l’intention d’agir, même s’il doute fortement qu’il pourra l’atteindre ; il sait tout de même quels effets son action aura sur le monde. Ainsi, l'action est rationnelle dans la mesure où l’agent considère qu’un monde dans lequel un but est poursuivi, même s’il n’est pas atteint, vaut mieux qu'un monde dans lequel il n’agit que s’il a la certitude que l’action sera parfaitement

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accomplie. L'action intentionnelle est rationnelle si l'agent considère que le monde dans lequel il a agi est devenu meilleur grâce à son action.5

2.2 Critiques de Mele et Bratman.

Comme je l'ai mentionné, la manière dont l’approche élémentaire explique les actions intentionnelles est en fait très simple ; lorsqu’il y a une action sous une certaine description, l’agent a nécessairement eu l’intention de faire cette action telle que décrite. Sa qualité est cependant aussi son défaut. Est-ce que toutes les actions intentionnelles accomplies par tous les agents peuvent vraiment être expliquées par un schéma aussi simple ? Plusieurs philosophes ont cherché des exemples d’actions qui n'entrent pas dans cette explication, et qui par le fait même infirment la validité de l'approche élémentaire. Ce sont ces contre-exemples que je vais discuter maintenant.

J’ai regroupé sous trois tactiques les attaques qui ont été lancées contre l’approche élémentaire. La première concerne la lecture que certains font de l’approche élémentaire : ils l’interprètent comme énonçant un lien suffisant entre les intentions et les actions intentionnelles. La seconde s’en prend à la condition nécessaire, jugée comme un lien trop étroit entre les actions et les intentions. La dernière soulève le problème des contraintes de croyance sur les intentions qui semblent ignorées par l'approche élémentaire. Ces trois arguments ont pour tâche de prouver que l’approche élémentaire n’est pas en mesure de rendre compte de toutes les actions intentionnelles. Je présenterai en dernier lieu les solutions proposées par les deux principaux attaquants, Mele et Bratman, qui croient pouvoir expliquer les actions intentionnelles sans faire appel à l’approche élémentaire.

5 Je reviendrai sur une explication plus détaillée de la contrainte éthique sur les intentions de McCann à la section 2.3.3.

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2.2.1 Toute intention de faire A ne conduit pas à une action intentionnelle A.

L'approche élémentaire établit un lien très serré entre les Intentions et les actions intentionnelles. Certains considèrent que ce lien est trop contraignant. Ils interprètent le lien ainsi : toute intention de faire A conduit à l’action intentionnelle A, établissant un lien suffisant entre les intentions et les actions intentionnelles. Mele et Bratman croient que ce lien trop étroit n’est pas en mesure de rendre compte de cas où les agents acquièrent et forment des intentions d’agir sans passer à l’acte par la suite. Bratman illustre ainsi la difficulté : un agent démarre intentionnellement son véhicule.6 Il s’ensuit, selon l’approche élémentaire, qu’il a eu l’intention de démarrer son véhicule. Cependant, l’agent peut avoir cette intention et être libre après de démarrer son véhicule ou de ne pas le faire. Il ne suffit donc pas d’avoir une intention pour que l’action ait lieu. Considérons un deuxième exemple. Je peux avoir l’intention d’épouser mon fiancé cet été. Malheureusement, il a pris ses jambes à son cou et s’est enfui. Je ne l’épouserai donc pas, intentionnellement ou de force ! Dans ce cas-ci, !'intention n’a pas conduit à l’action intentionnelle sous la même description. Dans un autre exemple, on peut considérer un agent qui a l’intention d’aller au théâtre ce soir. Or, une cause externe à son intention l'empêche d’y aller (¡I y a une tempête de neige, la pièce est annulée, etc.), alors il n’ira pas intentionnellement au théâtre ce soir. L’approche élémentaire obligerait l’agent à accomplir l’action pour laquelle il a une intention, alors que dans tous ces exemples de situations bien simples, on constate que les agents n’exécutent pas toujours leurs intentions.

Bratman. 1984. p. 381.

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2.2.2 Toute action intentionnelle A n’est pas précédée d’une intention de faire A.

La prétention selon laquelle le lien nécessaire entre les intentions et les actions intentionnelles défendu par l’approche élémentaire est trop fort constitue un obstacle majeur à cette théorie. C’est un problème auquel les défenseurs de l’approche élémentaire doivent absolument répondre pour qu’elle acquière à nouveau une valeur explicative justifiable. Mele et Bratman prétendent qu'il existe des actions intentionnelles A qui ne sont pas précédées d’intentions de faire A. Ces actions pourraient être précédées plutôt d’intentions de faire S, ou de n’importe quelle intention appropriée. Mele discute ce cas en le divisant en trois types d’actions. Les actions peuvent se présenter sous forme d’effets secondaires concomitants indésirables, elles peuvent être soudaines, et elles peuvent se manifester comme des actions auxiliaires. Selon lui, l’approche élémentaire est incapable de rendre compte de ces trois types d’actions qui ne sont pas précédées d’une intention dont le contenu correspond à la description de l’action. Voyons ces trois contre-exemples tour à tour.

Effets secondaires concomitants indésirables

Le premier concerne les effets secondaires concomitants indésirables d’une action. Lorsqu’un agent accomplit une action, il arrive quelquefois qu'une autre action accompagne la première sans que l’agent l’ait voulu. Considérons un exemple7 : soit un tireur embusqué qui s’installe pour abattre un soldat. Lorsque son fusil se déclenchera, le bruit sera tel que le tireur alertera l’ennemi de sa présence, effet secondaire qu’il n'a pas l'intention d'obtenir ; il tient plutôt à garder sa présence secrète afin de mieux faire son travail. Mais le soldat doit être abattu, alors l’effet secondaire doit venir avec l’action. Ainsi, le tireur embusqué a l’intention de tuer le soldat, mais il n’a pas l’intention d’alerter

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l’ennemi. L’action intentionnelle qui consiste à alerter l’ennemi n’est pas précédée de l’intention d’alerter l’ennemi, ce qu’exige l’approche élémentaire. Cette action est quand même intentionnelle selon Mele pour deux raisons : parce que l’agent a l’intention d’accomplir une action, tuer le soldat, et qu’il croit qu’il ne peut tuer le soldat sans faire feu sur lui, c'est-à-dire sans faire du bruit et, de ce fait, sans alerter l’ennemi. Toutes ces actions font partie du même plan d’action et l’agent ne peut satisfaire le contenu de son intention de tuer l’ennemi sans accomplir les autres actions qui sont liées à celle-ci d’une façon ou d’une autre. Contrairement à ce que suppose l’approche élémentaire, l’action d’alerter l’ennemi est bel et bien issue d’une intention, mais pas d’une intention dont le contenu est le même que la description l'action ; il s’agit plutôt de l’intention de tuer l’ennemi. Schématiquement, l’action intentionnelle A découle de l’intention

B qui comportait parmi ses effets secondaires l’action A. L’approche élémentaire

ne peut rendre compte de cette action intentionnelle qui n’est manifestement pas précédée de l’intention d’alerter l’ennemi.

Actions impulsives et soudaines

Le deuxième problème concerne les actions impulsives et soudaines. Celles-ci surviennent lorsque l'agent n’a pas eu le temps de réfléchir à son action. Considérons un automobiliste qui doit réagir rapidement. Il n’a pas le temps de former d’intention avant de passer à l’action, bien que cette action soit intentionnelle. Par exemple, un enfant apparaît dans la rue poursuivant son ballon. L’automobiliste qui s’approche au même instant doit appliquer les freins si brusquement qu’il n’a pas le temps de former auparavant l’intention de freiner, ou de ralentir son véhicule, ou d'éviter l’enfant. L’action est tout de même intentionnelle parce qu’elle fait partie d’un plan d’action plus large qui consiste à respecter la vie des piétons. L’approche élémentaire ne peut pas rendre compte de ce type d’actions parce qu'elle exigerait que les agents acquièrent des intentions pour toutes les actions intentionnelles qui surviennent rapidement et

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