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Migrations et vulnérabilités. Éleveurs sahéliens confrontés aux sécheresses et populations des littoraux antillais face aux cyclones

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Academic year: 2021

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confrontés aux sécheresses et populations des littoraux

antillais face aux cyclones

Véronique Lassailly-Jacob, Michel Desse

To cite this version:

Véronique Lassailly-Jacob, Michel Desse. Migrations et vulnérabilités. Éleveurs sahéliens confrontés aux sécheresses et populations des littoraux antillais face aux cyclones. les migrations et les écosys-tèmes: les réfugiés de l’environnement, Université Mohammed V Rabat, May 2009, Rabat, Maroc. pp.79-101. �hal-01203768�

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LASSAILLY-JACOB V, DESSE M (2010). Migrations et vulnérabilités. Éleveurs

sahéliens confrontés aux sécheresses et populations des littoraux antillais face aux cyclones. Colloque international « Les migrations et les écosystèmes environnementaux : les réfugiés de l’environnement », Collection la recherche scientifique. Université Mohammed V Rabat, pp 79-101

Colloque international

« Les migrations et les écosystèmes environnementaux :

les réfugiés de l’environnement »

27-28 mai 2009

Institut universitaire de la recherche scientifique

Université Mohammed V

Rabat, Maroc

Migrations et vulnérabilités différenciées face aux

sécheresses (Sahel) et aux cyclones (littoraux antillais)

Véronique Lassailly-Jacob, professeur de géographie à

l’université de Poitiers, membre du laboratoire Migrinter,

vlassail@univ-poitiers.fr

Michel Desse, professeur de géographie à l’université de

Poitiers, membre du laboratoire Icotem,

michel.desse@mshs.univ-poitiers.fr

Résumé

Cette communication traite des migrations et vulnérabilités différenciées de populations confrontées à deux types d’aléas, des épisodes de sécheresse et des cyclones. Ces populations font aujourd’hui partie de la catégorie des réfugiés climatiques. Que signifie cette appellation et quelle a été son évolution ? Dans un premier temps, l’histoire institutionnelle de la catégorie des réfugiés environnementaux ou éco-réfugiés est retracée. Elle montre combien la définition très large qui lui était attribuée au début s’est considérablement réduite

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récemment pour ne prendre en compte que les effets humains du réchauffement climatique. Le réfugié environnemental est devenu aujourd’hui un réfugié climatique dont l’existence est considérée comme une menace pour la sécurité internationale en raison de son nombre croissant et de sa vulnérabilité en raison de son absence de protection juridique. Mais derrière cette catégorie, se cachent une diversité de pratiques et de profils socio-économiques qui seront illustrés par deux études de cas, l’une en milieu insulaire (populations riveraines des littoraux antillais face aux cyclones), l’autre en milieu sahélien (éleveurs nomades peul et touareg confrontés aux sécheresses). Nous montrerons d’une part, que face aux sécheresses, les pratiques migratoires initiées par les pasteurs nomades sahéliens sont diverses et d’autre part, que les aléas climatiques dans les petites îles de la Caraïbe ont des impacts différenciés selon qu’il s’agisse de dégradations lentes ou de cyclones, de populations nanties ou très pauvres, d’un pouvoir d’Etat présent ou absent. Si les répercussions de ces crises environnementales accentuent à l’échelle nationale l’évolution positive ou négative des économies et des sociétés, elles se traduisent aussi à l’échelle locale par des migrations-fuites vers les villes des groupes les plus vulnérables, sources d’une urbanisation de détresse.

Introduction

On parle de plus en plus des éco-réfugiés, réfugiés environnementaux, réfugiés climatiques et leur nombre s’accroît au fil du temps. Ces appellations et ces chiffres sont apparus récemment alors que les phénomènes migratoires pour causes de dégradations ou de destructions de l’environnement ou encore de rupture de l’équilibre entre les hommes et leurs ressources ont toujours existé. Depuis des temps immémoriaux, les hommes se sont déplacés à la recherche de nouveaux territoires lorsque leur environnement ne répondait plus à leurs besoins. Plus récemment, des grands exodes pour causes environnementales ont eu lieu. Aux Etats-Unis, par exemple, plus de 300 000 paysans n’ont-ils pas fui dans les années 1930 les grandes plaines du Middle West vers la Californie au moment de l’épisode de sécheresse dit du Dust Bowl ? En Afrique de l’Ouest, dans l’ex-Haute-Volta, les habitants des fertiles vallées des Volta n’ont-ils pas dû abandonner un environnement qui leur était devenu hostile en raison de la présence de l’onchocercose?

Cette communication propose tout d’abord d’analyser le contexte d’apparition et les évolutions de cette nouvelle catégorie de migrants appelée communément « réfugiés de l’environnement ». Elle tente ensuite de « déconstruire » cette catégorie en interrogeant d’une part, les pratiques spatio-temporelles de différentes communautés face à un même aléa et d’autre part, la vulnérabilité de populations en temps de crise écologique. Pour cela, elle s’appuiera sur deux études de cas de populations vivant des ressources d’écosystèmes fragiles et confrontées à des dégradations ou des destructions environnementales: des communautés de pasteurs nomades face aux sécheresses en milieu sahélien et des habitants des littoraux des petites îles de la Caraïbe face aux cyclones.

I. Une catégorie récente, fluctuante et dont les estimations s’accroissent.

Dans son ouvrage « La Planète des migrants », Jacques Barou (2007, p.135) évoque ce qu’il appelle les nouveaux exodes du XXIème siècle qu’il localise dans les pays du Sud :

« Tout d’abord la dégradation de l’environnement provoque l’apparition d’un phénomène nouveau, celui des « réfugiés climatiques ». Les sécheresses récurrentes ont provoqué de grands mouvements dans diverses zones d’Afrique sahélienne et orientale. La Somalie et le nord du Kenya connaissent depuis quelques années des vagues de départ dues à la réduction des ressources en eau. Le Niger a vu une partie de sa production agricole anéantie par les nuages de sauterelles, provoquant l’exode de nombreux ruraux vers les villes du pays et vers celles des pays voisins. Dans d’autres zones, comme les Caraïbes et l’Asie des moussons, ce sont les tornades et les cyclones qui provoquent les départs. Des phénomènes d’exode souvent temporaires lorsqu’il y a

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reconstruction des infrastructures détruites, remise en culture des sols dégradés, etc grâce à l’initiative des pouvoirs publics et à l’aide internationale ».

Si l’accent est mis sur les déplacements de population liés à des crises écologiques d’origine climatique et s’il est fait mention d’une prise en charge des dommages par les pouvoirs publics et l’aide internationale, c’est un phénomène nouveau. D’un côté, les violences, les persécutions, les violations des droits de l'homme ont toujours été les causes identifiées comme primordiales par la communauté internationale et ont donné lieu au statut de réfugié conventionnel; de l’autre, protection et assistance ne sont accordées qu’à ces réfugiés conventionnels. Pourtant, depuis près de 30 ans, l’appellation « réfugiés de l’environnement » fait référence à tous ceux qui fuient des dégradations, destructions ou confiscations de leur environnement biophysique. Ainsi, les calamités naturelles, les destructions intentionnelles ou accidentelles de l’environnement, les politiques environnementales ou les politiques d’aménagement du territoire sont reconnues depuis les années 1980 comme sources de déplacements plus ou moins contraints de populations.

1.1. D’une définition très large…

La catégorie des « réfugiés de l’environnement » a été médiatisée au moment d’une prise de conscience politique des menaces de dégradation de notre planète et de ses conséquences humaines. C’est à la suite de la première conférence des Nations unies sur l’environnement qui se tient à Stockholm en 1972 que le PNUE, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement est créé à Nairobi. Le PNUE ainsi que des ONG environnementalistes comme l’Institut Worldwatch se chargeront de mobiliser l’opinion internationale sur les menaces que l’homme fait peser sur l’environnement et d’identifier et de mettre en œuvre des mesures de préservation de la planète.

En effet, l’appellation « réfugié écologique » apparaît à la fin des années 1970 sous la plume de Lester Brown, fondateur de l’Institut Worldwatch1. Elle sera médiatisée par un rapport produit pour le PNUE en 1985 intitulé : « Environmental refugees » (El Hinnaoui, 1985). Ainsi, cette appellation est récente.

Ce rapport donne des réfugiés écologiques une large définition :

“ Ceux qui sont forcés de quitter leur lieu de vie temporairement ou de façon permanente à cause d'une

rupture environnementale (d‘origine naturelle ou humaine) qui a mis en péril leur existence ou sérieusement affecté leurs conditions de vie ” (El Hinnawi, 1985 :4)2.

Par rupture environnementale, l’auteur entend les effets des calamités naturelles (sécheresse, famine, inondations, cyclones, tremblements de terre), des dégradations des sols, des politiques d'aménagement du territoire, des accidents industriels ou des guerres. Rappelons que la grande sécheresse sahélienne de 1984-85 vient de se sévir. Il évoque les sécheresses au Sahel, les inondations liées à la mousson au Bangladesh, l’ensablement du delta du Nil, les cyclones qui ravagent les Caraïbes, les tremblements de terre, les effets environnementaux des grands barrages comme le barrage d’Akosombo, de Kariba, d’Assouan, les accidents industriels de Seveso, Three Mile Island, Bophal ainsi que les conséquences de l’après-guerre au sud Vietnam. Il évalue à plus de 10 millions ces fugitifs pour cause environnementale dont le déplacement est temporaire ou permanent, interne ou international.

1

L’institut Worldwatch, créé en 1974, est basé à Washington. Il mène des recherches pluri-disciplinaires sur les défis du changement climatique, de la dégradation des ressources et de la croissance de la population au 21ème siècle

2

"those people who have been forced to leave their traditional habitat, temporarily or permanently, because of a marked environmental disruption (natural and/or triggered by people) that jeopardised their existence and/or seriously affected the quality of their life" (El-Hinnawi, 1985 : 4).

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Trois types de réfugiés écologiques sont identifiés : Les personnes chassées temporairement par une calamité naturelle comme un tremblement de terre, un cyclone ou une inondation ou encore par un accident industriel ; celles qui sont expulsées de façon définitive en raison de projets d’infrastructure comme des barrages-réservoirs et sont obligées de se réinstaller ailleurs; et enfin, les individus obligés de migrer, de façon permanente ou temporaire parce que les ressources de leur environnement ne sont plus suffisantes pour assurer leurs besoins élémentaires.

Sa définition est extrêmement large puisqu’elle englobe déplacement temporaire ou permanent, interne ou international. Il écrit d’ailleurs que :

« toutes les personnes déplacées peuvent être décrites comme réfugiées environnementales ayant été forcées de quitter leur habitat originel (ou l’ayant quitté volontairement) pour se protéger d’un danger ou/et pour rechercher une meilleure qualité de vie » (El-Hinnawi, 1985 : 4)3

Par la suite, en 1988, Jodi L. Jacobson, membre de l’Institut Worldwatch publie à son tour un rapport largement diffusé « Environmental Refugees : a Yardstick of habitability »4. Deux ans viennent de s’écouler après la catastrophe de Tchernobyl qui donne lieu à cette réflexion sur la situation des gens vivant à proximité de la centrale:

« ces personnes sont des réfugiés même si elles ne répondent pas à la définition standardisée5 »(Jacobson, 1988 : 5). Les prémices du débat concernant la reconnaissance statutaire des réfugiés environnementaux sont là. Et la définition proposée englobe les victimes de multiples causes dont celle des pollutions toxiques comme à Love Canal. Est évoquée aussi la menace de l’élévation du niveau des eaux dans les deltas du Bengale et du Nil. Déjà, les réfugiés environnementaux sont devenus la plus large catégorie de personnes déplacées à travers le monde.

C’est en 1997 que le HCR, Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés mentionne pour la première fois cette catégorie de réfugiés. Il est question de la migration induite par les changements écologiques du type de celle qui se produit dans les anciens Etats de l’Union soviétique ainsi que des populations déplacées dans leur pays suite à des projets de développement.

Jusqu’à la fin du XXème siècle, les définitions du réfugié environnemental sont très larges, englobant toutes les personnes obligées de quitter leur espace de vie dont elles sont tributaires pour leur survie en raison d’une crise brutale (tremblement de terre, catastrophe industrielle, infrastructure) ou d’une lente dégradation qu’elle qu’en soit la cause.

1.2…A une définition de plus en plus restreinte

Aujourd’hui, la définition s’est restreinte. Elle ne concerne plus que les réfugiés écologiques pour cause de réchauffement climatique, ceux qui sont déjà ou seront concernés par la montée des océans, la fonte des glaciers, les sécheresses, les inondations ou les typhons. On se focalise sur les conséquences du réchauffement climatique illustrées par les récentes séries de cyclones sur la côte est des Etats-Unis et leurs milliers de sinistrés notamment à la Nouvelle-Orléans. L’accélération du réchauffement climatique due à l’effet de serre et donc aux émissions de CO2 est au cœur des polémiques.

Il faudra attendre 2009 pour que le HCR prenne position sur cette question et évoque la convention cadre des Nations unies (UNFCCC) qui définit le changement climatique comme « un changement du climat qui est attribué directement ou indirectement à l’activité humaine qui modifie la composition de l’atmosphère globale et qui se rajoute aux autres variabilités climatiques qui ont été

3

« all displaced people can be described as environmental refugees, having been forced to leave their original habitat (or having left voluntarily) to protect themselves from harm and/or to seek a better quality of life »

4

Jacobson Jodi L., 1988 :”Environmental Refugees : A Yardstick of Habitability” Worldwatch paper, n°86, Washington DC : Worldwatch Institute

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observées sur des périodes de temps comparables »6. Ce rapport du HCR observe que le changement climatique a fait l’objet de nombreuses études et d’intenses débats à l’intérieur de la communauté scientifique mais qu’une attention insuffisante a été apportée jusque-là aux conséquences humanitaires des déplacements.

Et lorsque paraît l’Atlas environnement de 2008 7, une page est consacrée au « siècle des réfugiés de l’environnement ». Ici, le réfugié de l’environnement est un être humain doublement exposé.

« D’une part, à la destruction progressive des écosystèmes et des ressources naturelles dont il dépend ; d’autre part à la disparition –induite par la désertification, l’élévation du niveau des océans, la fonte des glaces ou l’érosion –des territoires où il réside. » ( Atlas environnement, 2008 : 44).

S’il y a bien dégradation de l’environnement et de la biodiversité due au réchauffement climatique, il est dit aussi que celle-ci s’accompagnera d’une atteinte à l’ethnodiversité. Des peuples « autochtones détenteurs d’un savoir et d’une culture profondément ancrés dans leur environnement sont en passe de disparaître »(Atlas environnement, 2008 : 45).

Toutefois, on occulte les autres formes de déplacements forcés pour cause environnementale telles les destructions liées aux politiques d’aménagement du territoire ou de développement économique ou encore les conséquences environnementales des conflits.

Ainsi, le débat autour des réfugiés climatiques et leur médiatisation à outrance pourrait faire oublier l’existence d’autres réfugiés écologiques dont la situation est tout aussi préoccupante.

1.3. Pourtant des estimations de plus en plus élevées sont avancées…

En 1985, le PNUE évaluait à plus de 10 millions les fugitifs pour cause environnementale (El Hinnawi, 1985). Dix ans plus tard, Norman Myers, un climatologue, parlait de 25 millions de réfugiés écologiques (Myers, Kent, 1995). Aujourd’hui, les prévisions sont beaucoup plus alarmistes. Selon un rapport produit en 2005 par l’Institut pour l’Environnement et la sécurité humaine de l’ONU, désertification, élévation du niveau des océans, inondations, tempêtes et typhons créeront 50 millions de réfugiés climatiques d’ici 2010.

En 2006, le rapport Stern sur les conséquences économiques du changement climatique, estime que le nombre de personnes déplacées par le changement climatique pourrait s’élever à 200 millions en 2050, c’est-à-dire le nombre total de migrants actuels. En réalité, ce chiffre est basé sur le nombre de personnes qui vivent dans des régions à risque comme les grands deltas. Et selon l’IIED, l’Institut International pour l’environnement et le développement, 634 millions de personnes vivent dans des zones à risque c’est-à-dire à moins de 10 mètres au-dessus du niveau de la mer. Parmi eux, certains pourront certes profiter d’aménagements comme la construction de digues (les New yorkais, les Shangaiens, les Londoniens) mais que deviendront les habitants des deltas du Nil, du Gange et du Mekong !

Comment interpréter ces multiples estimations si peu concordantes et quelle crédibilité peut-on leur accorder ? Ces chiffres toujours réévalués à la hausse et jamais vérifiés n’ont-ils pas un objectif alarmiste ? Alarmiste car associé à pauvreté et à précarité. Ces flux migratoires massifs sont présentés comme une menace pour les régions qui devront les accueillir si aucune protection et assistance ne sont apportés aux sinistrés. Il y aurait actuellement davantage de réfugiés écologiques que de réfugiés statutaires reconnus par la Convention de Genève.

1.4. Aggravés par l’absence d’une protection juridique adéquate

A l’heure actuelle, aucun instrument juridique spécialisé n’existe pour garantir une assistance, un accueil ou des droits aux réfugiés écologiques. Ils ne peuvent être reconnus

6

UNHCR, 2009 : « Climate change, natural disasters and human displacement : a UNHCR perspective »

7

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comme réfugiés statutaires puisqu’ils ne répondent pas aux critères de la Convention de Genève et ne franchissent que rarement des frontières. Leur déplacement est souvent collectif et la seule protection qui pourrait leur être accordée serait la protection temporaire du statut dit prima facie. Mais le chemin est encore long pour définir juridiquement cette catégorie.

Comme le soulignent H. Domenach et M. Picouet (1995 : 117) :

« ce concept demeure fortement controversé en raison de ses implications politiques et idéologiques. L’absence d’un statut international légal laisse encore régner une grande confusion dans l’identification de cette catégorie »

Ce concept qui véhicule une image floue de victimes de leur environnement et du réchauffement climatique est ici questionné par deux études de cas, celui de pasteurs nomades sahéliens et d’habitants des littoraux antillais.

II. Au Sahel, les stratégies migratoires différenciées des éleveurs face

aux sécheresses

Dans un article intitulé « Les éleveurs, une catégorie oubliée de migrants forcés », Jean Boutrais, géographe à l’IRD se penche sur la diversité des migrations pastorales qui dit-il : « relèvent de déplacements involontaires, contraints, imposés et entrepris comme ultime issue de sauvegarde d’une activité et d’une identité » (Boutrais, 1999 : 161). Pour cela, il retrace les circonstances dans lesquelles sont utilisés des verbes en langue peule qui signifient courir, fuir, chasser, expulser, s’enfuir, se sauver. Qu’il s’agisse des migrations-fuites survenues pendant les grandes sécheresses sahéliennes des dernières décennies, des expulsions sans compensation, imposées par des décisions administratives comme la construction de grands barrages ou l’implantation de ranchs, des exodes liés à des pillages ou abattages en temps de guerre, ou encore des départs forcés imposés par des agressions de mouches tsé-tsé ou des dégradations de pâturage, toutes ces situations conduisent les éleveurs à devenir une catégorie « oubliée » de migrants forcés. Le terme « oublié » fait référence à l’absence d’intervention et de compensation de la part des pouvoirs publics face aux dommages subis. Et ces éleveurs connaissent une situation de réfugié lorsqu’ils perdent toute activité d’élevage.

Il s’agit ici d’analyser les migration-fuites des éleveurs sahéliens lors des épisodes de sécheresse qui se sont déroulés entre 1968 et 1973 et entre 1982 et 1984. Si les populations sahéliennes utilisent depuis longtemps la migration comme stratégie de gestion de l’insécurité alimentaire, ils sont contraints, face à une situation d’insécurité alimentaire critique, d’adopter une migration-fuite comme ultime stratégie de survie. Leurs habituelles stratégies anti-risques face à l’incertitude climatique deviennent inopérantes et le maintien du troupeau, objectif premier n’est plus assuré. Trois situations de stratégies migratoires sont analysées ici, celle des Touaregs Illabakan du Niger, des Peul Zarma du Burkina Faso et des Peul du Mali.

II.1. Les exodes de la sécheresse des Touaregs Illabakan (Niger)

Au Sahel, les pasteurs nomades ont été les populations les plus touchées par les sécheresses qui se sont succédé ces dernières années. Gerd Spittler (1993) a étudié l’impact des 3 grandes sécheresses de 1913, 1973 et 1984 sur la communauté touareg Kel Ewey de l’Aïr. Les migrations-fuites des Illabakan, Touaregs du Niger, lors de grande sécheresse de 1983-85 est relatée par Edmond Bernus (1999). En 1967, les Touaregs Illabakan forment une tribu d’environ 1200 personnes et vivent dans des campements situés à 90 Km au sud-ouest d’In Gall, à la limite des départements de Tahoua et d’Agadez. Ils effectuent un déplacement saisonnier, alternatif et régulier du troupeau avec une partie du groupe familial suivant un schéma classique de transhumance. Cela signifie que chaque été, à la saison des pluies, lorsque les mares sont en eau et que l’herbe a repoussé, une partie du groupe familial se déplace vers le nord, menant les troupeaux aux sources salées d’Azelik. C’est la « cure

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salée ». Puis, pendant les 9 mois de saison sèche, ils nomadisent vers le sud dans les vallées du plateau du Tegama. Les sécheresses successives vont changer la géographie pastorale de ce groupe d’éleveurs qui pourtant connaît déjà des migrations de travail. Quelle que soit leur origine (déficit pluviométrique, guerres, épidémies), ces migrations existent dans toute la zone sahélienne depuis une époque lointaine. Comme le souligne Edmond Bernus, ces migrations anciennes « ont tracé des routes, donné des habitudes migratoires, préparé des contacts et des zones d’accueil »(Bernus, 1999 : 196).

Si le groupe Illabakan réussit à subsister sur place pendant la sécheresse de 1968-1974 alors qu’il était invité par les autorités à partir vers les zones agricoles du sud du Niger, il fut contraint d’abandonner les parcours habituels pendant la sécheresse de 1983-85, faute de ressources fourragères suffisantes, pour rechercher des pâturages vers les savanes du Sud. Cette fois-là, leur migration s’est apparentée à une véritable fuite. Edmond Bernus (1999) relate ce qu’il appelle l’exode de la sécheresse des Touaregs Illabakan vers la région de Maradi au sud du Niger (cf. figure 1). Familles et troupeaux voyagèrent en 20 étapes, pendant deux mois et arrivèrent dans la région de Maradi peuplée d’agriculteurs haoussa avec lesquels ils entrèrent rapidement en conflit.

Figure 1. Exode des Touaregs Illabakan en vingt étapes vers la région méridionale de Mayahi (octobre 1984).

Source : Carte extraite de l’article d’Edmond Bernus : « Exodes tous azimuts en zone sahélo-saharienne », in V. Lassailly-Jacob, J-Y Marchal, A. Quesnel (eds) « Déplacés et réfugiés. La mobilité sous contrainte » éditions de l’IRD, 1999 : 199

Les tensions se multiplièrent liées, pour les uns, à des vols d’animaux, aux prix exorbitants du fourrage et pour les autres, à des destructions de cultures : “ ...vengeance de

nomades, loin de tout contrôle, sur les paysans qui les avaient mal reçus et qui avaient profité d’une situation qui leur était favorable ” (Bernus, 1999 : 200).

Ainsi, la quasi-totalité du groupe pastoral se déplaça, abandonnant les territoires familiers et se dirigeant vers des lieux étrangers. D’autres membres s’exilèrent définitivement, après avoir perdu l’intégralité de leurs troupeaux, et s’installèrent aux abords des villes de Niamey, Maradi, Gao, Reggane et Tamnarasset, créant des quartiers de « réfugiés » touaregs.

Si la plupart des éleveurs touaregs sont ensuite retournés dans leurs campements, il n’en fut pas de même des Peuls du Djelgodji au Burkina Faso venus chercher refuge en

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Côte-d’Ivoire après avoir perdu leurs troupeaux. Employés comme bergers par des cultivateurs éleveurs, ils n’ont jamais réussi à reconstituer un troupeau (Boutrais, 1999).

II.2. Les migrations-fuites des populations zarma du Zarmaganda au Niger

Harouna Mounkaïla (2002) évoque, quant à lui, le départ précipité en 1984 des familles d’éleveurs-agriculteurs zarma du village de Mogonana qui, à l’exception de 4 d’entre elles, quittèrent le village pour s’installer à Niamey. Ici, le départ fut définitif. Et dans la région, face à l’insécurité alimentaire provoquée par les sécheresses successives, de nouveaux courants migratoires se développèrent et la circulation migratoire s’intensifia.

Tout d’abord, ces migrations ne sont plus une stratégie d’adaptation à une crise écologique. Elles ne sont plus un système de régulation organisé et géré par le groupe c’est-à-dire un moyen d’équilibre entre le nombre des hommes et les possibilités du milieu. Du fait d’un processus de rupture, elles sont le symptôme d’une crise profonde qui provoque le départ de fugitifs en tout point semblables à des réfugiés. Ici, la migration se traduit par une rupture, une cassure dans le fonctionnement du groupe, au lieu d'en assurer la continuité et la reproduction. L’ensemble du groupe abandonne le territoire local (Mounkaïla, 2002).

Ensuite, ces migrations sont de dernier recours « lorsque toutes les autres stratégies, quels que soient les espaces dans lesquels elles se déploient, ne permettent plus aux acteurs d’être en mesure d’assurer leur survie » (Mounkaïla, 2002 : 177). Elles touchent les populations les plus vulnérables, celles qui n’ont pas pu faire face. Les plus pauvres sont les derniers à partir. Ils partent lorsqu’ils sont acculés au départ et se dirigent souvent vers les villes. Enfin, c’est un déplacement définitif de tout le groupe pastoral, famille et bétail et donc un abandon du territoire local et une dispersion du groupe.

II.3. Peul et Touaregs en quête d’un refuge pastoral au Ghana

Des éleveurs nomades Peuls venus du Mali et du Burkina-Faso fuyant la sécheresse de 1983-84, ont cherché refuge au Ghana qui, à l'époque, accueillait également des Libériens ayant quitté leur pays en proie à la guerre civile. Environ 2000 sahéliens arrivent au Ghana avec leurs troupeaux. Si les deux groupes se trouvaient dans les mêmes conditions de dénuement, l'assistance et le statut dont ils bénéficièrent ne furent pas les mêmes. Les premiers, considérés comme des étrangers indigents, durent se tirer d'affaire seuls dans un contexte hostile alors que les seconds, reconnus comme réfugiés, furent pris en charge par la communauté internationale et hébergés dans des camps où ils reçurent des aides alimentaires (Essuman-Johnson, 1996). Les éleveurs sahéliens furent même accusés de dégâts agricoles par les cultivateurs et nombreux furent ceux chassés du Ghana par les autorités en avril 1988 après confiscation de leurs troupeaux.

Tout d’abord, une même communauté face à une succession d’épisodes de sécheresse déploie diverses stratégies. Si la communauté touareg a réussi à rester sur place lors de la sécheresse de 1973, elle dût se résigner à partir vers le sud en 1985 pour conserver les troupeaux et faire face à l’insécurité alimentaire. Ensuite, deux communautés de pasteurs nomades confrontées à un même épisode de sécheresse ne réagissent pas de la même façon : si, en 1986, la communauté touareg exilée en pays haoussa retourna dans les campements dès la fin de la sécheresse, une partie de la communauté zarma en revanche abandonna définitivement le territoire local. Quant aux autorités des pays d’accueil et la communauté internationale, elles ne considèrent jamais ces éleveurs étrangers comme des réfugiés.

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III. Dans la Caraïbe, une vulnérabilité différenciée face aux aléas

climatiques

Les îles de la Caraïbe sont soumises à de nombreux aléas climatiques renforcés par le réchauffement planétaire qui tend à accroître le nombre et la puissance des cyclones et des tempêtes tropicales, mais aussi l’occurrence des périodes déficitaires en précipitations. De plus, ces changements globaux induisent une remontée des eaux marines qui affectent directement les espaces insulaires. Les épisodes pluvieux génèrent des inondations et des glissements de terrain.

Figure 2. L'ouragan Dean, en approche de l'arc antillais, le 16 août 2007.

Source : NOAA/satellite and information service, Wikipedia

D’une île à l’autre, en fonction des effets de site, ces aléas entraînent des dégradations considérables, responsables du départ temporaire ou définitif d’« éco-réfugiés ». Toutefois, les dégradations environnementales mais aussi les niveaux de vie et la capacité d’action de la puissance publique amplifient ou au contraire limitent le nombre des éco-réfugiés climatiques. Le tableau présenté ci-dessous évoque les différences de développement entre certaines îles de la Caraïbe.

Tableau 1. La mosaïque des situations insulaires Territoire

insulaire

Superficie en km² Population en 2006 IDH

Cuba 11O 860 12 000 000 0,795 République Dominicaine 48 734 11 000 000 0,727 Haïti 27 750 11 000 000 0,471 Guadeloupe 1 703 450 622 0,858 Source : Ined

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III.1.Répercussions différenciées des cyclones Hugo et Dean

En 1989, le cyclone Hugo a ravagé la Guadeloupe et en particulier la Grande-Terre. Les dégâts furent énormes (s’élevant à 120 millions d’Euros), bananeraies et cannes à sucre couchées, maisons détruites, bourgs ravagés. Le cyclone a entraîné la mort d’une dizaine de personnes et créé 21 000 sans-abris qui ont pu grâce à l’aide d’urgence et aux solidarités locales, être rapidement hébergés. Quelques mois plus tard, les aides de l’Etat et les financements multiples profitent à de nombreux Guadeloupéens qui remplacent leurs cases sinistrées par des villas en brique. Les plantations reprennent avec parfois une mutation des productions vers des cultures plus rentables (melons, cultures maraîchères). Les pêcheurs profitent aussi de nouvelles installations et parfois de nouvelles embarcations plus grandes remplacent les vieux canots en bois. Le secteur du tourisme déjà dynamisé par les lois de défiscalisation de 1986, est aussi aidé, permettant la modernisation de certaines installations. Au-delà du traumatisme qui marque durablement les habitants, Hugo a donc eu des retombées bénéfiques grâce à l’importance de l’intervention de l’Etat dans un contexte économique mondial favorable.

Quand le cyclone Dean (vents à 180 km/h) (cf. figure 2) ravage la Martinique et la Guadeloupe le 17 août 2007, des cultures maraîchères et vivrières, des plantations de bananiers (50 000ha à la Martinique) sont totalement dévastées. En mer, les filets des DCP, dispositifs de concentration de poissons8 mouillés au large, sont perdus pour 471 pêcheurs de la Martinique et le cyclone réduit aussi de 10% la production du secteur secondaire et touche directement la petite hôtellerie qui ne peut faire face à la diminution de la clientèle durant plusieurs semaines.

Mais la situation mondiale et locale a changé. Les économies insulaires sont touchées par une série de crises dont celle du pétrole qui affecte les secteurs économiques et renforce le sentiment de fragilité. L’augmentation du coût des carburants se répercute aussi sur le transport aérien, la croisière et donc l’activité touristique. Une autre crise mine l’économie, il s’agit des secteurs de la canne à sucre et de la banane. Avec les réformes imposées par l’Organisation Mondiale du Commerce, les Antilles françaises qui bénéficiaient d’accords commerciaux préférentiels avec la France et l’Union Européenne, perdent cet avantage et n’arrivent plus à conserver leur place. La situation n’étant plus aux investissements, le cyclone a accéléré le déclin agricole. En Guadeloupe, le nombre de producteurs de bananes est ainsi passé de 3077 en 2000 à 218 à la suite du passage de Dean. De même, le secteur touristique est sinistré, avec 16 hôtels fermés en Guadeloupe.

A travers ces deux exemples, on peut remarquer une période de latence commune marquée par la reconstruction, l’attente des premières récoltes et la reprise de la saison touristique. Cependant, si en 1989, Hugo a contribué à accélérer la modernisation économique et sociale, en 2007, Dean a accéléré la déprise économique contribuant au malaise social et politique qui a marqué le début de l’année 2009.

III.2. Diversité des actions des pouvoirs publics envers les éco-réfugiés

III.2.1. En Guadeloupe et en Martinique, une politique de prévention des risques En Guadeloupe comme en Martinique, les éco-réfugiés sont peu nombreux, leur statut de sans-abri ne dure que quelques jours et les autorités interviennent pour éviter que cette situation ne se reproduise. Une politique de prévention est mise en place.

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Les DCP sont constitués d’un cordage de 3000 mètres, fixé à un corps-mort et à une bouée. Entre 50 mètres et la surface, une série de vieux filets, de bâches constituent autant de supports permettant la création de petits écosystèmes qui attirent à leur tour les gros pélagiques (marlins, thons, espadons). Les premiers DCP ont été exploités en Guadeloupe en 1980 pour se diffuser ensuite dans la Caraïbe.

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En Guadeloupe, depuis le cyclone Hugo en 1989, les municipalités prennent en compte le risque de houle cyclonique qui menace à chaque hivernage les habitants du littoral. En Côte-sous-le-Vent, les municipalités restructurent les fronts de mer et recasent les habitants dans des logements évolutifs sociaux (LES) en arrière du littoral. Le quartier de Pigeon à Bouillante (Guadeloupe) a ainsi bénéficié de cette procédure. Les résidents ont été relogés dans les logements évolutifs sociaux de Desmarais et des Galets. On retrouve les mêmes opérations à Ferry (commune de Deshaies) et à l’Anse- Guyonneau à Pointe-Noire.

A la Martinique, les municipalités du Prêcheur et de Belle-Fontaine entament des procédures de résorption de l’habitat insalubre (RHI) limitées à certains îlots. La houle cyclonique engendrée par le cyclone Lenny en novembre 1999 a accéléré le processus de recasement puisque 131 ménages ont subi des dommages. Quarante familles ont perdu leur maison construite en bord de mer et parfois sur la plage. Cette centaine de sinistrés a bénéficié d’un relogement au quartier Solidarité. Ce lotissement provisoire situé à une cinquantaine de mètres d’altitude a été inauguré en avril 2000, soit cinq mois après la catastrophe. Les maisons de style traditionnel entourées d’un petit jardin sont construites en bois et en tôle. Les résidents bénéficient des raccordements aux réseaux d’eau et d’électricité qu’ils ne possédaient pas toujours dans leur ancienne maison puisqu’ils occupaient souvent illégalement les parcelles appartenant à la zone des cinquante pas géométriques9. Ce quartier, en principe provisoire, devrait inciter une politique de reconstruction des habitations de bord de mer vers les hauteurs. En effet 70% des habitants du Prêcheur vivent dans la zone des cinquante pas géométriques, à la merci des houles cycloniques où l’érosion littorale est très vigoureuse.

P.Saffache (1999) a montré que le littoral a reculé de 75 mètres par endroits au cours de ces trente dernières années. De plus, ces zones d’habitat sont aussi situées sur les cônes de déjections et sont menacées par les inondations et les laves torrentielles. Cependant, la municipalité est pauvre et les habitants aussi. La commune ne dispose pas de réserve foncière. Tout recasement devra passer par l'achat de terrains aux propriétaires privés. En définitive, la capacité financière et foncière de la municipalité limite l’action de sa politique.

Ainsi, on met en place des opérations de prévention pour éviter de répondre chaque fois dans l’urgence. On déplace de façon réfléchie un quartier de front de mer qui souvent regroupe les familles de marins au sens large. Et pour garder la cohérence ancienne, on reconstruit un quartier permettant le relogement du groupe. De même, l’installation d’appentis pour stocker le matériel de pêche est un moyen d’atténuer l’impact psychologique du déplacement de résidence et l’éloignement de la plage et des canots.

Le Plan d’Occupation du Sol, le Plan Local d’Urbanisme, le Schéma d’Aménagement Régional et le Schéma de Mise en Valeur de la Mer, les Plans de Prévention des Risques développent la même idée de prévention des risques et de valorisation paysagère du littoral en reportant les habitations en arrière du front de mer et vers les hauteurs.

En revanche, c’est une tout autre situation que l’on observe en Haïti.

III.2.2. En Haïti, des interventions d’urgence de la communauté internationale En Haïti, en revanche, une grande partie de la population vit avec moins de 200$ US par an. Avec un IDH (indicateur de développement humain) de 0.47 (cf. tableau 1), c’est le pays le plus pauvre de la Caraïbe. Les taux d’accroissement démographique sont élevés et entraînent une rapide augmentation de la population (5,1 millions d’Haïtiens en 1981, et 8 millions estimés en 2002). On peut y distinguer deux formes d’éco-réfugiés : ceux qui s’inscrivent dans le temps long fuyant l’érosion des sols et ceux qui subissent durant quelques heures un cyclone ou une tempête tropicale.

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Les premiers résultent du mal développement. Depuis 250 ans, la mise en valeur d’Haïti a engendré une dégradation générale de l’environnement. En 1915, la couverture forestière recouvrait encore 60% du territoire contre 21% en 1945, 8% en 1954 et 2% actuellement. Aujourd’hui, il ne subsiste que quelques rares lambeaux de forêt. Cette dynamique régressive est renforcée par l’extrême pauvreté des habitants qui ne peuvent cultiver les plaines appartenant aux grandes propriétés. Dans ces campagnes où les densités dépassent souvent 200 habitants/km², la recherche de terres nouvelles est donc nécessaire et conduit à une forte déforestation qui engendre alors une forte érosion et la disparition de la terre arable. L’absence du couvert forestier renforce aussi les périodes de sécheresse. Ce cycle déforestation/érosion nécessite de chercher de nouvelles terres à exploiter et engendre des flux importants d’éco-réfugiés vers Port-au-Prince et les villes moyennes, mais aussi vers les espaces ruraux et littoraux ; d’autres, enfin, choisissent l’émigration vers les USA, le Canada ou les autres îles de la Caraïbe.

Ces réfugiés de l’environnement s’installent et surexploitent les nouveaux milieux au détriment des populations endogènes. Cette soudaine augmentation des pressions anthropiques, accentuée par le fort accroissement naturel, épuise vite les milieux et produit de nouveaux éco- réfugiés.

Dans ces conditions de pauvreté, la présence d’aléas de forte intensité entraîne des situations catastrophiques. Ils crèent la seconde forme d’éco-réfugiés. Au passage de la tempête tropicale Jeanne en septembre 2004, la ville des Gonaïves a été dévastée, sous trois mètres d’eau. Les torrents d’eau et de boue ont entraîné la mort de 3000 personnes. En septembre 2008, les cyclones Hanna et Ike ont à nouveau entraîné la mort de 600 personnes. Quatre cyclones ont affecté Haïti en 2008, affectant 9 provinces sur 10 et provoquant plus de 100 000 sans abris (cf. tableau 2). L’ONU estime alors que 800 000 personnes soit 10% de la population a un besoin urgent d’aide humanitaire.

Une aide d’urgence a été apportée par les ONG, la Croix Rouge, l’ONU, la Marine Nationale française… et les solidarités familiales ont fonctionné ; les populations réfugiées dans les villes ont été accueillies sous des tentes durant quelques semaines. Les aides demandées à l’ONU concernent la reconstruction des réseaux routiers et pas celle des quartiers. La reconstruction est donc individuelle et dépendante des niveaux de ressources de chacun. La situation d’éco-réfugié disparaît après quelques semaines10, au moment des premières récoltes, après le départ des personnes sinistrées vers les bidonvilles de Port-au-Prince ou vers les Etats-Unis sur des embarcations de fortune.

Dans le cas de la fuite de territoires épuisés, comme dans celui lié à une catastrophe soudaine, l’Etat est absent. Dans ces conditions, les populations pauvres continuent de descendre des montagnes pour s’entasser dans les bidonvilles à la merci des inondations et des glissements de boues.

Tableau 2. Les « écoréfugiés climatiques » en 2008 à Haïti Département Personnes hébergées Familles Artibonite 80000 16000 Centre 3266 653 Grand'Anse 532 107 10

Du 01 au 02 septembre 2008 la ville des Gonaïves a été victime du cyclone Hanna qui a ravagé tous les quartiers côtiers. La nuit du 06 au 07 septembre 2008, elle a encore subi un autre cyclone : IKE. L’équipe de médecins sans frontières arrive dans les jours suivants et quitte la région des Gonaïves le 31 décembre 2008. La période de l’urgence qui aura duré 3 mois et demi est alors terminée.

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Nippes 832 167 Nord 1043 209 Nord'Ouest 4093 819 Nord'Est 0 0 Ouest 7853 1571 Sud 11109 2222 Sud'Est 4000 800 Total 112 728 22548

Source : Secrétariat permanent de gestion des risques et des désastres.

Du fait de la fragilité des petites économies insulaires, les cyclones peuvent accélérer le déclin économique comme c’est le cas actuellement dans les Antilles françaises confrontées à une crise économique, sociale et politique. Le cyclone Dean a sans doute constitué un des éléments déclencheurs de cette crise, un an auparavant.

Les aléas climatiques, sismiques, volcaniques constituent des contraintes fortes qui sont à prendre en compte pour un développement durable. Traditionnellement, les Antilles ont déjà une grande habitude de vivre avec ces risques. Le regard des habitants porté sur le temps, la durée est davantage teinté de fatalisme. Pendant longtemps, la capitalisation s’est plutôt portée sur l’argent, les bijoux plutôt que sur les belles maisons et les meubles de style : des investissements qui peuvent être à tout moment détruits. Nombre d’Antillais des classes moyennes et supérieures préfèrent investir dans un bien immobilier à Londres, à Paris ou à New-York. La construction en bois constitue aussi une forme d’adaptation aux aléas, moins couteuse, capable d’accepter un certain seuil de déformation en cas de tremblement de terre. Dans la petite ville des Barradères au sud-est du golfe de la Gonave en Haïti, soumise à de fréquentes inondations durant l’hivernage, les maisons sont à étage, permettant de protéger les pièces à vivre.

Aujourd’hui les moyens de prévention se sont largement amplifiés. Les prévisions météorologiques s’établissent à la semaine et proviennent des services américains et français, relayés par les émissions de télévision et de radio permettant de mettre en place les différents niveaux d’alerte. L’information en temps réel permet aux populations de prévoir, de se mettre à l’abri et de gérer au mieux la situation au moment du passage du cyclone. La durée du confinement a ainsi été rallongée de deux heures lors du passage de Dean à la Martinique. Par contre certaines îles ou parties d’îles, pauvres et enclavées restent cependant à l’écart de ces informations et des consignes de sécurité prodiguées.

On a vu que dans certaines îles, les autorités ont élaboré des plans d’aménagement qui prennent en compte les différents aléas. Toutes les Antilles françaises, à l’instar des communes métropolitaines, sont dotées de tels Plans de Prévention des Risques Naturels consultables sur internet. Ces PPRN, élaborés par le BRGM prévoient les zones où les risques sont élevés et donc où la construction doit être limitée voir interdite : en bord de mer, en fond de vallée, dans les zones planes liquéfiables ou sur les pentes fortes.

Toutes ces préconisations sont connues des politiques, des aménageurs mais aussi des habitants cependant elles ne sont pas toujours prises en compte du fait de la pauvreté ou de la diminution du foncier constructible. A la Dominique, de nombreux habitants ont construit sur le haut des grèves à galet, soumises aux effets des houles cycloniques. Au Prêcheur, au nord-ouest de la Caraïbe, l’habitat construit « en dur » s’est installé le long des ravines dont le lit est parfois cimenté faisant office de rue. A Port-au-Prince, l’immense bidonville de la Cité

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l’Eternel et de la Cité Liberté regroupant plusieurs dizaines de milliers d’habitants, occupe l’embouchure de la rivière, dont le lit est obstrué de déchets.

La pauvreté, l’absence parfois d’un secteur du bâtiment, conduisent à une forte auto-construction. Sur les fortes pentes, des villas imposantes reposent sur des poutrelles en béton de faible diamètre. Ces méthodes pourraient se révéler désastreuses en cas de secousse sismique majeure.

Ces menaces n’épargnent pas les infrastructures économiques. F Pagney (1998) a montré les risques qui pèsent sur les zones industrielles et portuaires située à Jarry au fond du Petit Cul-de-sac Marin en cas de houle cyclonique.

Conclusion

Ces études de cas ont permis d’introduire d’autres éléments de compréhension de la catégorie des réfugiés climatiques. Si les organisations internationales véhiculent une image dramatique de millions de victimes de l’environnement et du réchauffement climatique, elles occultent le fait que ces populations sont aussi actrices de leur vie et développent des stratégies et des pratiques d’adaptation. Elles n’accordent pas d’importance non plus au rôle des encadrements qu’ils soient locaux (solidarité familiale), nationaux (politiques étatiques) ou internationaux (économie mondiale).

Selon le PNUE « la vulnérabilité résulte de l’exposition à des menaces physiques qui dépassent la capacité de résistance des hommes et des communautés ». Mais dans les petites îles de l’arc caribéen, cette vulnérabilité est différenciée en fonction des niveaux de vie des habitants et du niveau de développement des Etats. Si les habitants des Antilles françaises ne deviennent des éco-réfugiés que pendant quelques heures, voire quelques jours suite au passage d’un cyclone, il n’en est pas de même à Haïti où la présence d’aléas climatiques se traduit par de véritables catastrophes, créant des milliers d’éco-réfugiés venant chercher refuge en ville.

A l’instar de la guerre, les crises écologiques et économiques provoquent d’importantes redistributions de populations, notamment vers les villes. Par des exodes vers les capitales et vers les grandes villes, les éco-réfugiés participent à l’urbanisation des pays du Sud, une urbanisation de détresse dans le sens où elle se traduit par un étalement non maîtrisé des périphéries des villes et une situation de grande précarité. Aux abords d’Agadès, de Niamey et de Nouakchott, de Port au Prince, les éco-réfugiés survivent dans des habitats précaires par la pratique de petits métiers. Ces ruraux déracinés deviennent brutalement des citadins mais des citadins de seconde zone.

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Figure

Figure 1. Exode des Touaregs Illabakan en vingt étapes vers la région méridionale de  Mayahi (octobre 1984)
Figure 2. L'ouragan Dean, en approche de l'arc antillais, le 16 août 2007.
Tableau 2. Les « écoréfugiés climatiques » en 2008 à Haïti

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