• Aucun résultat trouvé

Topographie du nationalisme banal en territoire multinational : le cas du Canada

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Topographie du nationalisme banal en territoire multinational : le cas du Canada"

Copied!
137
0
0

Texte intégral

(1)

Topographie du nationalisme banal en territoire

multinational :

Le cas du Canada

Mémoire

Camille Brunelle-Hamann

Maîtrise en science politique

Maître ès arts (M.A.)

(2)
(3)

RÉSUMÉ

Ce mémoire observe comment s’articule le nationalisme banal dans le contexte d’un État multinational, le Canada, et en explore les aspects problématiques. Développé par Michael Billig dans Banal Nationalism (1995), le concept de nationalisme banal fait la lumière sur une forme de nationalisme majoritaire des États occidentaux qui, par une construction discursive, projette le nationalisme sur les « autres » (non occidentaux, groupes minoritaires ou marginaux) et, ce faisant, naturalise les nations constituées en occultant leur propre nationalisme. Dans le contexte d’un État multinational, la présence de nationalisme banal dans le discours majoritaire peut s’avérer problématique alors que le maintien de l’équilibre entre unité nationale et diversité multinationale représente un défi constant. Adoptant un regard exploratoire, ce mémoire cherche à voir si le nationalisme banal est présent dans le discours majoritaire tiré d’un corpus d’articles de deux journaux pan-nationaux canadiens, le Globe and Mail et le National Post. Il contraste ce discours majoritaire avec celui de la nation minoritaire québécoise, tiré des journaux La Presse et Le Devoir. L’analyse permet de constater la présence de nationalisme banal dans le discours majoritaire canadien, mais aussi, dans une moindre mesure, au sein du discours médiatique québécois.

(4)
(5)

TABLE DES MATIÈRES

RESUMÉ ... III TABLE DES MATIÈRES ... V LISTE DES TABLEAUX ... VII REMERCIEMENTS ... IX

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE I : GEOLOCALISATION THEORIQUE DU NATIONALISME BANAL ... 7

UN DEBAT « CLASSIQUE » SUR LE NATIONALISME ... 7

UN DEBAT « POSTCLASSIQUE » ... 12

LA NATION ET LE DISCOURS ... 16

LE NATIONALISME, UNE AFFAIRE D'ÉTAT ... 17

DEFINITIONS ... 22

CHAPITRE II : ANATOMIE DU NATIONALISME BANAL ... 25

UNE DEFINITION PROBLEMATIQUE ... 26

LA NATURALISATION DE LA NATION ... 26

LA PROJECTION DU NATIONALISME ... 28

LES SYMBOLES NATIONAUX ... 31

LA CONSTRUCTION DISCURSIVE DE LA NATION ... 33

LA DEIXIS DE LA NATION ... 34

LE NATIONALISME BANAL DANS LES MEDIAS ... 36

CRITIQUES ET COMMENTAIRES SUR BANAL NATIONALISM... 37

Une analyse ethnocentriste ... 38

Une approche stato-centrée ... 38

La température du nationalisme ... 41

LE NATIONALISME BANAL : PROTEIFORME ET DYNAMIQUE ... 42

NATIONALISME BANAL ET ÉTAT MULTINATIONAL ... 46

CHAPITRE III : LE CANADA ET LE MULTINATIONALISME ... 49

DIVERSITE NATIONALE ET IDENTITE CANADIENNE ... 50

La nation québécoise ... 50

La construction d'une identité canadienne ... 54

UN MODELE CANADIEN EXEMPLAIRE ... 56

UNE INCLUSION DE FAÇADE ?... 60

LES MEDIAS CANADIENS ET LE QUEBEC ... 65

LES ELITES POLITIQUES CANADIENNES ET LE MULTINATIONALISME ... 69

Le gouvernement Harper... 69

Les publications gouvernementales ... 72

Les partis canadiens d’opposition ... 72

AMBIGUÏTE MULTINATIONALE ET NATIONALISME BANAL ... 74

CHAPITRE IV : METHODOLOGIE, PRESENTATION ET ANALYSE DES RESULTATS ... 77

METHODOLOGIE ... 77

Questions de recherche ... 77

Le discours médiatique ... 79

Construction du corpus ... 80

Rechercher le nationalisme banal dans le discours médiatique ... 82

PRESENTATION DES RESULTATS ... 85

(6)

vi

Comment les nationalistes sont-ils dépeints ? ... 88

Qui sont les nationalistes ? ... 91

Les stratégies de dissociation ... 97

Le nationalisme canadien dans les journaux canadiens ... 98

Le nationalisme hors Canada dans le corpus canadien ... 99

Le Québec dans les journaux québécois ... 101

Les stratégies hors Québec dans le corpus québécois ... 103

DISCUSSION DES RESULTATS ... 105

CONCLUSION ... 107

BIBLIOGRAPHIE ... 111

(7)

LISTE DES TABLEAUX

TABLEAU I :LIEUX DU NATIONALISME POUR LES CORPUS CANADIEN ET QUEBECOIS ... 86

TABLEAU II :FREQUENCE DES LIEUX DU NATIONALISME PAR JOURNAL ... 86

TABLEAU III :JUGEMENT DE VALEUR DU PHENOMENE NATIONALISTE PAR JOURNAL ... 88

TABLEAU IV :ÉTIQUETTE NEGATIVE SELON LE LIEU ET LE JOURNAL ... 89

TABLEAU V :ACTEURS NATIONALISTES DANS LE CORPUS CANADIEN SELON LE LIEU ... 92

TABLEAU VI :ACTEURS NATIONALISTES DANS LE CORPUS QUEBECOIS SELON LE LIEU ... 93

(8)
(9)

REMERCIEMENTS

J’aimerais d’abord remercier le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), le Fonds québécois de recherche sur la société et la culture (FQRSC) et le Centre de recherche interdisciplinaire sur la diversité au Québec (CRIDAQ) pour leur généreux appui financier qui m’aura permis de me consacrer entièrement à la recherche et à la rédaction de ce mémoire.

Un immense merci à mon directeur, Guy Laforest, pour son précieux temps et ses conseils au fil des différentes étapes de la recherche, ainsi qu’à Mme Sylvie Lacombe et M. Mathieu Ouimet pour leur lecture attentive de ce mémoire et leurs commentaires constructifs.

La rédaction d’un mémoire est une entreprise solitaire, mais elle fut fort heureusement ponctuée de sessions d’études et de bons cafés en compagnie de Laurence et Marie-Laurence. Merci aussi à Alex pour ses encouragements de tous les instants et pour m’obliger de temps à autre à abandonner mon écran d’ordinateur. Enfin, merci à mes parents de m’avoir instillé cette curiosité qui m’a poussée à entreprendre des études universitaires.

(10)
(11)

INTRODUCTION

« Quand on me nomme, je cesse d'exister ». Cette énigme bien connue, qui a pour réponse le silence, marque l'imaginaire puisqu'il en va normalement du contraire pour les choses et les noms : ce qui n'est pas nommé cesse, en quelque sorte, d'exister. Cette règle vaut aussi pour le nationalisme. Aux antipodes du silence, le mot est souvent associé à la clameur des manifestations, à de bruyantes revendications, à des explosions de violence. Pourtant, un nombre grandissant de travaux montre depuis les vingt dernières années qu'un autre nationalisme, passé jusque-là sous silence, et sous le radar des historiens, sociologues, philosophes et politologues de tout acabit, bénéficie encore d'un anonymat relatif. En conséquence, le nationalisme des États semble souvent inexistant, au mieux extraordinaire.

L'introduction du concept de nationalisme banal par Michael Billig en 1995 résulte de cette volonté de faire la lumière sur un phénomène largement ignoré et de mettre un nom sur une des formes que revêt le nationalisme des États occidentaux. Le concept de nationalisme banal réfère à une forme de nationalisme majoritaire des États établis d’Occident. Ce nationalisme banal s’articule par une projection rhétorique du nationalisme sur les mouvements minoritaires ou marginaux, et l’associe à un phénomène essentiellement négatif, voire dangereux. Cette projection de l’idéologie nationaliste sur les « autres » délégitime les aspirations nationalistes de ces groupes et marginalise le nationalisme aux mouvements de contestation ou encore aux pays non occidentaux. Ce faisant, le nationalisme banal permet aux États constitués de présenter leur État ou leur société comme naturelle et légitime, de consolider l’unité nationale et d’entretenir le nationalisme sous l'apparence d’un patriotisme souhaitable et positif. Le concept est intéressant, mais un autre pan de la littérature sur le nationalisme des États semble limiter l'universalité du nationalisme banal en Occident, comme nous le verrons dans les prochains chapitres.

Les travaux portant sur les États multinationaux ont effectivement contribué à démontrer que le nationalisme n'est pas l'apanage des mouvements minoritaires ou marginaux et qu'il est aussi présent chez les États établis. En montrant que le nationalisme minoritaire ne naît pas d’un vacuum politique, mais s’explique, entre autres, par une réaction face à un

(12)

2

nationalisme porté par l’État et construit autour d’une culture majoritaire (Dieckhoff, 2007 : 60 ; Gagnon, 2011 : 4-6 ; Norman, 2006 : 24), l'étude du nationalisme minoritaire a paradoxalement permis de dévoiler le nationalisme majoritaire de ces États. Ces travaux mettent en lumière les tensions quotidiennes entre le nationalisme minoritaire, dont émanent les demandes de reconnaissance de la diversité et d’autodétermination, et le nationalisme des États constitués, qui cherche pour sa part à construire et maintenir l’unité nationale. L'atteinte d'un équilibre entre ces buts en apparence contradictoires «does not necessarily mean secession but it does mean the transformation of the state into a genuinely multinational state, a state not associated with a particular national group, but one in which the thin political identity can encompass the different national communities on the territory» (Moore, 2006 : 100).

Canada, Belgique, Espagne, Grande-Bretagne : au sein de ces démocraties multinationales, les nations minoritaires québécoise, flamande, catalane, basque, écossaise et galloise ont poussé les États auxquels elles appartiennent à répondre, du moins partiellement, à leurs demandes de reconnaissance et d’autonomie. Cette reconnaissance s'est notamment traduite par l’adoption d’une forme de dévolution de pouvoir ou encore par le biais d’un arrangement de type fédéral. De tels arrangements politiques et institutionnels permettent de constater que la satisfaction des aspirations nationalistes peut passer par un degré de liberté (d'autodétermination) au sein même de ces États sans pour autant conduire à la sécession (Keating, 2001 : 56). Ces pays constituent en ce sens de véritables laboratoires de la gestion des rapports entre unité et diversité, deux principes qui impliquent toutefois un fragile équilibre. Les événements récents en Écosse et en Catalogne le prouvent bien, alors qu’après des années d’arrangement constitutionnel multinational, l'Écosse tiendra un référendum sur la souveraineté à l'automne 2014 et la Catalogne sera appelée, selon toute probabilité, à se prononcer sur son indépendance au cours des prochaines années.

Le caractère particulier des États multinationaux, soit cette recherche d'équilibre entre l'unité et la liberté des nations minoritaires, remet en question la validité du concept de nationalisme banal au sein de certains États multinationaux. Car la configuration ou la reconfiguration politique entreprise par ces États multinationaux témoigne d'une

(13)

reconnaissance ou d'une acceptation de leur caractère multinational, à divers degrés et parfois imparfaite. Les mesures que ces États ont adoptées visent néanmoins à concilier la présence de nations minoritaires en développant une identité inclusive de cette diversité. Or, force est de constater que la construction d’une identité nationale respectueuse de sa diversité multinationale et la volonté d’intégration et de conciliation des minorités nationales semblent de prime abord incompatibles avec le nationalisme banal de Billig et la projection du nationalisme qui le sous-tend.

Cette recherche se veut donc une exploration de la validité du concept de nationalisme banal dans un contexte multinational. Nous observerons si le nationalisme banal y est présent et, le cas échéant, s’il s’articule de la même manière que l’a décrit Billig dans l’exposé de son concept (Billig, 1995). Nous avons choisi d'étudier le nationalisme banal au Canada, un cas tout désigné puisqu'il doit composer depuis plusieurs décennies avec le nationalisme minoritaire du Québec, une province où est largement partagé le sentiment de former une nation à l’intérieur du Canada et où s’ajoute aux demandes d’autodétermination l’idée d’indépendance, qui persiste depuis les années soixante. Comme l’indique Alain G.-Gagnon, le nationalisme minoritaire n’est pas l’affaire d’un petit groupe marginal, mais rejoint l’ensemble de la société québécoise et est porté par tous les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale du Québec (Gagnon, 2003 : 298). Ainsi, au Canada, l'intégrité territoriale du pays et le bon fonctionnement de la fédération sont tributaires d'une bonne relation entre le nationalisme minoritaire et majoritaire. C'est pourquoi il nous semble intéressant de mettre le concept de nationalisme banal à l’épreuve dans le contexte multinational canadien.

Notre recherche vise donc à cerner si le nationalisme dans le discours public canadien reçoit un traitement rhétorique qui relève du nationalisme banal ou s’il sera tout au plus traité de façon neutre, voire dépeint comme acceptable, souhaitable et partie intégrante de la pluralité canadienne, limitant ainsi la portée du concept de Michael Billig.

(14)

4

étude du nationalisme banal dans le champ théorique du nationalisme. Nous en profiterons pour préciser les définitions de quelques concepts utiles à ce travail. Nous verrons que dans le champ des études sur le nationalisme, l’étude du nationalisme banal s'inscrit dans une approche postclassique, puisqu’elle s’intéresse au nationalisme de l'État majoritaire et constitué, et le considère notamment sous l’angle de la construction discursive.

Le second chapitre détaillera le concept du nationalisme banal, tel que présenté dans l'ouvrage Banal Nationalism par Michael Billig en 1995. Nous présenterons ensuite la littérature secondaire que cette première présentation du nationalisme banal a engendrée et nous nous attarderons plus particulièrement aux critiques formulées à l’endroit du concept, qui nous éclaireront sur les écueils associés au concept et sur les nuances qui s’imposeront dans notre conclusion.

Le chapitre trois s'attardera plus spécifiquement à l'État multinational que nous avons sélectionné pour notre étude. Nous offrirons d’abord quelques grandes lignes contextuelles et historiques afin de montrer que le caractère ambigu et contesté du multinationalisme canadien fait du Canada un cas particulièrement intéressant et pertinent pour l’étude du nationalisme banal en territoire multinational. Nous présenterons ensuite un corpus de travaux théoriques qui témoignent du fragile équilibre entre unité et diversité au Canada. Alors que certains travaux insistent sur le caractère novateur et exemplaire de la gestion et de la reconnaissance de la diversité multinationale et multiculturelle au Canada, d’autres sont plus critiques et mettent en doute cette reconnaissance de la diversité multinationale canadienne. Étant donné que le multinationalisme canadien est une notion contestée dans les débats théoriques, nous explorerons également les indices de cette reconnaissance, s’il y a lieu, du multinationalisme dans le discours officiel du gouvernement canadien actuel et des élites politiques fédérales. Ce tour d’horizon nous permettra d'avancer nos hypothèses quant à la présence possible d'un nationalisme banal dans le discours médiatique canadien.

Le chapitre IV constitue le cœur analytique du mémoire. Nous y expliciterons nos questions de recherche et détaillerons la méthodologie employée afin de vérifier nos hypothèses.

(15)

Ces questions s’articulent en deux temps. D’abord, nous nous interrogeons à savoir : Est-ce

que le traitement du terme « nationaliste(s) » dans les journaux canadiens est l'expression d’un nationalisme banal ? Puis, nous nous demandons : Est-ce que le traitement du terme « nationaliste(s) » dans les journaux québécois diffère de celui des journaux canadiens ?

Le nationalisme banal sera ainsi étudié sous l’angle de la projection du nationalisme dans le discours médiatique tiré de deux journaux pancanadiens, le Globe and Mail et le National

Post. À des fins comparatives et exploratoires, nous analyserons également un corpus

québécois similaire, formé d’articles des journaux La Presse et Le Devoir. Une fois notre démarche explicitée, nous présenterons et discuterons des résultats tirés de notre collecte de données, pour conclure à la présence d’un nationalisme banal en territoire multinational, mais pour lequel des nuances s’imposent. Enfin, en guise de conclusion, nous exposerons les limites de notre travail et suggérerons des avenues de recherche intéressantes afin de creuser plus avant le sujet.

(16)
(17)

CHAPITRE I :GÉOLOCALISATION THÉORIQUE DU NATIONALISME BANAL

L'approche privilégiée par cette recherche pour étudier le phénomène du nationalisme, sous l'angle du nationalisme banal et dans un contexte multinational, s'apparente et s'inspire de concepts développés dans des travaux relativement récents sur le nationalisme. Ces travaux s'inscrivent au sein d'un courant nouveau et distinct des questionnements fondateurs de la théorie du nationalisme. Ce chapitre présentera sommairement ce nouveau courant et des travaux rejoignant l’approche choisie pour appréhender le nationalisme. Nous nous appuierons à cette fin sur la chronologie des ouvrages synthèses de Graham Day et Andrew Thompson, Theorizing Nationalism, et d'Umut Özkirimli, Theories of Nationalism : a

Critical Introduction.

D'abord, nous effectuerons un court rappel du débat qui a structuré le champ de la recherche depuis le dernier demi-siècle afin de présenter en quoi les nouvelles approches s'en distinguent. Nous montrerons que ces travaux critiques à l'égard du débat classique de la discipline ont ouvert la porte à l'étude du nationalisme au quotidien, dans le discours et comme phénomène présent au sein des nations majoritaires. Enfin, nous proposerons quelques définitions de concepts centraux avec lesquels nous aurons à travailler.

Un débat « classique » sur le nationalisme

Selon les chronologies similaires d'Özkirimli et de Day et Thompson, les penseurs du nationalisme aux XVIIIe et XIXe siècles étaient aussi ses meilleurs promoteurs. Ce n'est que plus récemment, au début du siècle dernier, que le nationalisme est devenu un phénomène étudié de façon plus académique, d'abord comme l'idéologie à la base des relations diplomatiques interétatiques puis dans une perspective historique. Ces travaux d'historiens, pour la plupart, cherchaient à comprendre l'origine des nations et du nationalisme (et la séquence chronologique appropriée entre ces deux éléments) plutôt qu'à critiquer ou défendre le phénomène, comme l'avaient respectivement fait les penseurs marxistes et les romantiques allemands auparavant (Özkirimli, 2009 : 31). Ces historiens ont été les premiers à souligner la nouveauté historique du nationalisme et à explorer les conditions

(18)

8

structurelles qui lui ont donné naissance (Özkirimli, 2009 : 31). De créateurs et narrateurs du nationalisme, les historiens s'en sont fait les commentateurs et critiques (Kumar, 2006 : 8).

Un des ouvrages marquants de l'époque est certainement celui d'Hans Kohn, The Idea of

Nationalism, paru en 1944 et dans lequel il établit le caractère moderne du nationalisme et

présente, à l'instar de plusieurs autres chercheurs de l'époque, une typologie du nationalisme, qu'il distingue sur des bases géographiques (Kohn dans Hutchinson et Smith, 1994 : 162-165). Selon lui, le nationalisme coïncide avec l'émergence de l'État moderne et permet d'intégrer les populations dans une organisation politique commune, qui requiert la loyauté de ses membres. Il décrit le nationalisme comme un état d'esprit, désormais répandu chez une majorité depuis la Révolution française. Il distingue également deux types de nationalisme, soit celui d'Occident et celui d'Orient (Europe centrale, Europe de l'Est, Asie). Le premier type, pour lequel il mentionne les États-Unis, l'Angleterre et la France, apparaît à la suite de la formation de l'État et est inspiré des idées des Lumières, notamment celles de liberté individuelle et d'un cosmopolitisme rationnel (Kohn dans Hutchinson et Smith, 1994 : 162-165). À l'opposé, le nationalisme oriental serait apparu plus tard, mais à un stade plus jeune du développement économique et social. Il aurait pris forme au sein d'États dont les frontières ne coïncideraient pas avec la nation et pour cette raison, ce nationalisme serait essentiellement construit autour des liens organiques, culturels, plutôt que politiques entre les membres de la communauté. Ainsi, les nationalismes allemand, russe ou indien seraient des nationalismes complexés, qui se montrent plus agressifs afin de pallier leur manque d'assurance.

Cette typologie imprègnera de nombreux travaux ultérieurs sur le nationalisme, notamment ceux, bien connus, de l'historien Eric Hobsbawm. Il distingue aussi différents types de nationalisme, sur une base temporelle toutefois. La plus récente vague est celle de la fin du XXe siècle et serait de nature ethnolinguistique, associée aux mouvements minoritaires au sein d'États constitués d'Occident : « The characteristic nationalist movements of the late twentieth century are essentially negative, or rather divisive. » (Hobsbawm dans Smith, 1998 : 123)

(19)

À partir de la deuxième moitié du XXe siècle, dans la foulée des processus de décolonisation, les chercheurs ont vu l'intérêt pour le nationalisme se renouveler. Ils ont continué à s'intéresser principalement aux causes et aux origines du nationalisme, ainsi qu’aux étapes menant à la formation des premiers États-nations. Les préoccupations qui structuraient les débats et les recherches peuvent se résumer simplement par les grandes questions suivantes : Les nations ont-elles toujours existées ? Quand sont-elles apparues et quels facteurs expliquent leur émergence ? Ces interrogations sont à la source d'une période prolifique de débats, qui se poursuivent d'ailleurs encore aujourd'hui. Elles ont donné lieu à de riches dialogues qui ont engendré une meilleure compréhension du phénomène national.

Considérant que ce débat « classique » et structurant de la discipline n'est pas l'objectif premier de ce travail, nous nous contenterons ici de faire un bref survol de quelques contributions importantes de cette période, afin de comprendre les grandes préoccupations qui animaient alors les discussions théoriques. Au sein de ce débat important pour la discipline, les contributions des chercheurs se sont cristallisées autour des théories du modernisme, du primordialisme et de l’ethnosymbolisme.

La plupart des chercheurs s'entendent sur le caractère moderne de l'idéologie nationaliste, qui serait apparue vers la fin du XVIIIe siècle ou au début du XIXe. La plupart sont aussi d'avis qu'il s'agit, dès cette époque, d'un phénomène de masse (Day et Thompson, 2004 : 8). Ainsi, le débat évolue plutôt autour des racines du nationalisme, les modernistes soulignant le caractère nouveau et fonctionnel du nationalisme alors que les ethnosymbolistes suggèrent l'apport, à divers degrés, de l'ethnicité et d'éléments culturels antérieurs au nationalisme dans le développement de l'identité nationale. Les primordialistes insistent, quant à eux, tantôt sur le caractère pérenne ou naturel des nations qui permet de répondre à un besoin d'attachement (Geertz dans Hutchinson et Smith, 1994 : 29-31), tantôt sur la nation comme un élément primordial continu ou récurrent dans l'histoire humaine, comme le fait le médiéviste Adrian Hasting (1997 dans Spencer et Wollman, 2005 : 32-39).

(20)

10

important. Ils partagent l'idée que le nationalisme et son corollaire, l'idée de nation, sont apparus à l'époque moderne, sous l'impulsion de différents processus comme le développement du capitalisme, la consolidation de l'État moderne et bureaucratique, l'industrialisation, l'urbanisation, la sécularisation ou encore le développement des communications. La modernité du nationalisme est intimement liée à ces processus ou élément structurels de l'époque : « the emergence of nationalism, in other words, was part and parcel of the transition from tradition to modernity. Hence, it was not incidentally modern, but inherently so » (Gorski, 2006 : 143). Les travaux publiés dans cette veine attribuent à ces différents processus un rôle plus ou moins grand dans l'émergence du phénomène.

Gellner explique le nationalisme comme le produit d'une nouvelle organisation industrielle et sociale (Özkirimli, 2009 : 101-103). Le développement industriel de l'époque engendre le besoin d'une main-d’œuvre minimalement formée, possédant un certain bagage de connaissance, dont l'alphabétisation, ce que l'État seul était en mesure d'apporter par le développement centralisé d'un système scolaire (Gellner dans Hutchinson et Smith, 1994 : 56). L'éducation généralisée diffuse une culture déterminée par l'élite (high culture) qui homogénéise des cultures très variées (Gellner, 1997 : 29-30). L'attachement à la nation se crée par les possibilités économiques et sociales que cette culture commune permet aux individus au sein de la nation :

In the old days, it made no sense to ask whether the peasants loved their own culture : they took it for granted [...] But when labour migration and bureaucratic employment became prominent features within their social horizon, they soon learned the difference between dealing with a co-national, one understanding and sympathizing with their culture, and someone hostile to it (Gellner dans Hutchinson et Smith, 1994 : 69).

Un développement économique ou une intégration culturelle inégale a par ailleurs conduit certaines régions ou minorités à résister à cette assimilation à la culture dominante et à employer le nationalisme comme outil de résistance (Gellner dans Hutchinson et Smith, 1994 : 60-61). Cela rappelle les travaux de Nairn et de Hetcher, qui identifient les inégalités du développement économique comme moteur du nationalisme, le premier entre les

(21)

différentes nations et le second au sein même de l'État-nation, comme une forme de colonialisme interne (Özkirimli, 2009 : 72-82).

Anderson a mis l'accent sur le développement du capitalisme et tout particulièrement du capitalisme écrit ainsi que sur le déclin de l'Église et du latin comme étant à la source du nationalisme et d'une conscience nationale (Anderson, 2006 [1983] : 37-46). Le déclin de la religion et du latin a favorisé l'émergence des langues vernaculaires comme langues communes et le nationalisme a aussi eu pour effet de substituer le grand récit de la nation et d'une destinée commune à celui de la religion (Anderson, 2006 [1983] : 35-36). Le développement du capitalisme a favorisé l'utilisation de la langue vernaculaire par les médias écrits plutôt que celle des élites, ce qui leur permettait à l'époque d'accroître leur marché potentiel. Cela a parallèlement eu pour effet de fixer la langue, de créer un lieu d'échange et, comme corollaire, un sentiment de communauté, un lien imaginaire entre les gens partageant une même langue vernaculaire et consommant les mêmes médias. Sa définition de la nation comme « communauté imaginée » a d'ailleurs fait école (Day et Thompson, 2004 : 87).

D'autres pointent vers des éléments de nature politique pour expliquer le nationalisme. Breuilly souligne l'instrumentalisation du nationalisme par les élites politiques dans leurs luttes pour le pouvoir, ce qui, à l'époque moderne, suppose le contrôle de l'État (Breuilly, 2001 : 32-33). Dans cette lignée, Liah Greenfeld attribue l'émergence du nationalisme de la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis et l’Allemagne aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles à des nouvelles élites motivées par une forme de ressentiment ou d'envie envers leurs voisins d'autres nations (Greenfeld, 1992). Hobsbawm parle de « traditions inventées » afin de créer une cohésion et une loyauté des populations autour de l'État et de justifier l'adaptation requise à des situations nouvelles, résultat des changements rapides provoqués par l'industrialisation et par la démocratisation de la participation politique. Les traditions inventées, transmises par l'éducation, les cérémonies et les monuments publics, inscrivent la nation, créature pourtant nouvelle, dans l'histoire, et jusque dans l'Antiquité (Hobsbawm dans Hutchinson et Smith, 1994 : 76- 78).

(22)

12

Les primordialistes forment un plus petit groupe, dont la perspective de la nation comme fait naturel a été très critiquée. Cependant, comme le souligne Özkirimli, ils ont permis de considérer la dimension émotionnelle et passionnelle du nationalisme alors que les modernistes s'appliquent à en montrer le caractère construit (Özkirimli, 2009 : 66). C'est dans cet esprit que les ethnosymbolistes ont tenté de réconcilier dans leurs analyses la modernité du nationalisme avec son caractère émotionnel et sa force d'attraction. Anthony Smith note qu'il est possible de retracer l'origine des nations, phénomènes modernes, à des ethnies de l'époque prémoderne : « [...] dominant "core" ethnies furnished much of the

cultural basis for the formation of nations in general, and provided later nationalists with

many cultural elements for forging modern nations » (Smith, 2001 : 23). Parmi ces éléments ethnosymboliques se trouvent la langue, les rituels, les artefacts, la musique, les costumes, mais aussi les mythes, les valeurs et la mémoire partagée (Smith, 2001 : 23). Armstrong signale également l'existence d'une conscience identitaire des ethnies précédant la période moderne, ce qui le conduit à parler de nations avant le nationalisme (Armstrong dans Hutchinson et Smith, 1994 : 141) et souligne l'apport des mythes religieux et culturels plus anciens dans la formation des identités nationales (Smith, 1998 : 183-184).

Cette courte description de quelques travaux ne rend malheureusement pas justice à la complexité des apports théoriques de ces auteurs, ni n'en dresse une liste exhaustive. Elle permettra néanmoins de mieux saisir en quoi certaines contributions ultérieures s'en distinguent.

Un débat « postclassique »

Depuis les années 1990 se serait développé un corpus de travaux s'écartant de ce débat qui a structuré la théorie du nationalisme au cours des décennies précédentes, dans lesquels certains reconnaissent une nouvelle étape de la recherche sur le nationalisme, qualifiée de « postclassique » (Day et Thompson, 2004). Si d'autres, comme Özkirimli, jugent qu'il est un peu tôt pour parler de débat postclassique au sein de la discipline, ils n'en constatent pas moins l'émergence d'un nombre grandissant d'études depuis les années soixante, influencées par la sociologie et d'autres approches comme la psychologie et la linguistique, qui

(23)

cherchent à dépasser le cadre qui structurait jusque-là le débat (Day et Thompson, 2004 : 14). Nous explorerons dans cette section les éléments qui caractérisent ces travaux puisque notre recherche s'abreuve à quelques concepts qui s'inscrivent au sein de ces approches dites « postclassiques », soit le nationalisme banal et la nation comme construction discursive.

Cette série d'études postclassiques (acceptons l'étiquette à défaut d'options) n'est évidemment pas homogène, mais ces travaux en question partagent certains éléments communs qui les distinguent du débat classique. Habités d'un esprit critique face au débat dominant, ils mettent en doute les bases du débat classique, portent leur attention sur des éléments précédemment ignorés ou oubliés dans la discipline et, ce faisant, posent des questions nouvelles. Le nouveau corpus s'inscrit dans une perspective distincte de celle de la période précédente (1960-1990), au cours de laquelle, comme nous l'avons précédemment illustré, la théorisation du nationalisme s'articulait principalement autour des questions temporelles et causales quant à l'origine des nations et du nationalisme (Özkirimli, 2009 : 10, 46). Or, cette polarisation du débat autour de ces enjeux liés à la fondation des nations est exactement ce que déplorent les auteurs de ce nouveau corpus, lesquels cherchent à étudier le nationalisme sous un angle plus contemporain et social.

À la base des critiques communes formulées à l'égard du débat classique se trouve l'omission du nationalisme des États par les auteurs du débat classique qui se contentent de l'observer sous sa forme problématique ou excessive, sans questionner l'organisation du monde en nations comme la leur (Day et Thompson, 2004 : 5). Il s'agit d'un point très bien argumenté par Michael Billig, que nous expliciterons davantage dans le prochain chapitre. Ces auteurs considèrent ainsi le cadre analytique du débat dominant comme étant lui-même victime du discours nationaliste et critiquent ce qu'ils jugent être une réification de la nation (particulièrement la nation occidentale) dans le débat dominant puisqu'elle y est généralement présentée comme une catégorie d'analyse objective, voire naturelle, et homogène (Özkirimli, 2009 : 47). Cette critique de réification de la nation motive la production des nouvelles analyses dans une perspective visant à déconstruire la nation comme catégorie objective et à montrer qu'elle est un phénomène essentiellement

(24)

14

sociologique (Day et Thompson, 2004 : 2).

L'approche privilégiée par ce corpus de travaux se veut donc plus empirique, voire parfois normative (Day et Thompson, 2004 : 14). Dans cet esprit, de nombreux travaux insistent ainsi sur le caractère hétérogène de la nation et s'attardent aux relations de pouvoir qui la traversent en adoptant un parti pris pour les groupes qui y sont marginalisés (Özkirimli, 2009 : 170). Leurs analyses s'effectuent davantage au niveau « micro », à partir de la population nationale, plutôt qu'au niveau « macro » des élites intellectuelles et politiques. Ces recherches illustrent la discrimination au sein de la nation, qu'elle s’effectue sur des bases de classes, de genre, d'ethnicité ou de sexualité et elles insistent sur la fragmentation sociale des nations.

La dimension plurielle des identités, mise en valeur par l'apport de la sociologie, y est davantage intégrée à l'analyse de la nation, ce qui favorise des interprétations plus dynamiques qui mettent en lumière la négociation, la révision et la réinterprétation continuelle qui ont lieu entre les différents groupes qui constituent la société « nationale » (Özkirimli, 2009 : 46). La perspective d'auteurs féministes a permis de souligner le caractère sexiste, masculiniste et genré des discours et symboles nationalistes ainsi que leur contrôle exercé dans la morale sexuelle et dans la naturalisation du traitement différencié entre les hommes et les femmes par l'État (Yuval-Davis, 2001 ; Joane Nagel, 1998 ; Walby, 2006). Partha Chatterjee utilise la grille d'analyse du postcolonialisme afin d'examiner les dilemmes de la construction nationale dans les sociétés postcoloniales, où le discours nationaliste a parfois été calqué sur celui des puissances coloniales ou a été imposé par ces dernières (Smith, 1998 : 203) : « Post-colonial theorists issue warning after warning that empire is not dead [...] noting the extent to which metropolitan centres of the global economy continue to operate neo-imperialist structures with respect to the rest of the world » (Walker cité dans Özkirimli, 2009 : 196) La reproduction du nationalisme par le biais de la culture populaire ou encore tout banalement dans la vie de tous les jours a aussi fait l'objet de travaux importants (Özkirimli, 2009 : 170), dont celui de Billig, Banal

(25)

Ces auteurs regardent donc les forces sociales à l'œuvre dans le maintien, la contestation et la propagation de l'idée de nation, ainsi que la façon dont les gens se réclament de leur identité nationale (Day et Thompson, 2004 : 7). Ces approches supposent effectivement une analyse axée sur l'identité nationale plutôt que sur la nation comme objet d'analyse objectif.

Ils abandonnent ainsi l'idée de développer de grands récits explicatifs, une tâche qu'ils jugent impossible considérant la nature hétérogène des causes présidant à l'émergence du nationalisme et sa dimension immensément complexe, d'autant plus qu'il se situe aux frontières de l'ethnicité (Özkirimli, 2009 : 195). Les contributions du débat postclassique s'éloignent donc d'une perspective inscrite dans la longue durée et d'une approche développementale du nationalisme pour étudier le nationalisme au jour le jour, comme Michael Billig, ou encore en tant qu'événement, comme Brubaker. Ce dernier considère en effet le nationalisme : « as en event, as something that suddenly crystallizes rather than gradually develops, as a contingent, conjuncturally fluctuating, and precarious frame of vision [...] rather than as a relatively stable product of deep developmental trends in economy, polity, or culture » (Brubaker, 1996a : 19).

Les travaux dits postclassiques ont ouvert la porte à de nouveaux questionnements sur le nationalisme, notamment sur la façon de déterminer comment la nation se constitue à différentes époques et différents lieux par l'interaction de visions concurrentes et conflictuelles au sein de cette même nation (Day et Thompson, 2004 : 16). De telles interrogations ont favorisé une approche interdisciplinaire dans l'étude du nationalisme et par le fait même l'utilisation de nouvelles méthodes d'analyses. Parmi celles-ci, nous l'avons mentionné, se retrouvent les approches épistémologiques postcoloniale et féministe, mais aussi l'analyse critique de discours (Özkirimli, 2009 : 47). À cet effet, Bhabha évoquait déjà, en 1990, l'intérêt d'analyser la nation comme une narration et invitait à déconstruire l'homogénéité qu'elle sert à créer (Bhabha dans Hutchinson et Smith, 1994 : 309 ; Smith, 1998 : 202-203).

(26)

16

La nation et le discours

La sensibilité aux risques de réifier la nation comme objet d'étude a mené plusieurs auteurs issus des nouvelles approches à traiter le nationalisme comme une forme de discours, une construction du langage. Des jalons avaient néanmoins été posés auparavant. Rappelons qu'Anderson avait mentionné le rôle des médias écrits et des langues vernaculaires dans la formation d'une conscience nationale et Deutsch avait déjà défini la nation comme un espace communicationnel fonctionnel (Deutsch dans Hutchinson et Smith, 1994 : 26-27). Armstrong avait aussi souligné le pouvoir symbolique des mots : « Most often symbolic boundary mechanisms are words. » (Armstrong dans Hutchinson et Smith, 1994 : 144)

Renforçant le lien entre langage et nationalisme, Craig Calhoun appréhende la nation comme une construction discursive (Calhoun, 1997 : 1-2) :

[...] behind the overt nationalist struggles lay deeper patterns of collective identity and pride, given form by nationalism as a way of talking and thinking and seeing the world - a world made up at one basic level of nations and their international relations. [...] borders and popular sovereignty themselves are part of the nationalist discourse by which we give conceptual form and practical organization to the modern world.

Ainsi, malgré l'apport des modernistes cherchant à comprendre le nationalisme à l'aune de différents processus, il n'existe pas de variable maîtresse pour expliquer le phénomène, selon Calhoun. Face à l'hétérogénéité des formes et des bases de revendication du nationalisme, ce qui les lie toutes est l'utilisation de la rhétorique du nationalisme : « [...] use of the discourse of nationalism is partially autonomous from these specific instances and contributing factors, and link otherwise disparate phenomena in significant ways » (Calhoun, 1997 : 21). À l'instar de Gellner qui affirmait que le nationalisme est à l'origine des nations, Calhoun suggère que le nationalisme soit avant tout traité comme une construction discursive (Calhoun, 1997 : 22). Malgré le rôle essentiel qu’il attribue à la langue dans la compréhension du nationalisme, il reconnaît que les nations comportent néanmoins plusieurs dimensions liant leurs membres, dont certaines bien réelles, comme l'État ou l'armée (Calhoun, 1997 : 23).

(27)

Les linguistes comme Ruth Wodak ont aussi apporté leur contribution à cette dimension du nationalisme, soulignant comment l'identité nationale est produite et reproduite dans le discours. Wodak mentionne la capacité du discours (entendu comme une pratique sociale de création de sens à partir du langage) à former et consolider les appartenances et les différences entre les groupes, en l'occurrence nationaux. Cette production de sens et la construction du « nous » et du « eux » a une nature malléable selon le contexte ; la nation dans le discours peut prendre diverses définitions, parfois contestées entre elles (Wodak, 2006). Les travaux de Billig ont aussi grandement étayé cette idée du nationalisme en tant que construction discursive, comme nous le verrons plus en détail dans le prochain chapitre.

Encore marginaux en 2000, ces travaux postclassiques ont connu une croissance exponentielle dans la dernière décennie et se sont taillés une place enviable dans les débats théoriques sur le nationalisme (Özkirimli, 2009 : 169-170). Un signe de l'importance que ces nouvelles contributions ont prise dans le débat est certainement les critiques qui ont été émises à leur endroit, notamment par des auteurs issus du débat classique. Il leur a été reproché de faillir à expliquer la prégnance du nationalisme et les passions qu'il soulève, alors qu'elles s'appliquent principalement à démontrer le caractère construit et constamment contesté de l'identité nationale (Özkirimli, 2009 : 195-196). La place prise par ces approches dans le débat est néanmoins indéniable, si bien qu'on parlera probablement d'un âge postclassique dans l'étude du nationalisme au cours des prochaines années, selon Özkirimli (2009 : 47).

Le nationalisme, une affaire d'État

En insistant sur l'hétérogénéité des États-nations et la pluralité des interprétations de l'identité nationale, le courant postclassique a souligné la tendance homogénéisante du discours nationaliste, perceptible même dans de nombreux travaux académiques. Auparavant, les approches classiques avaient déjà fait mention du paradigme nationaliste, à savoir que les frontières de l'État doivent normalement coïncider avec celles de la nation. Elles avaient également exploré les pratiques et les processus permettant au nationalisme de

(28)

18

construire la nation, souvent par le biais de l'État. Possiblement inspirés par les contributions antérieures et animés de la volonté d'examiner des pans du nationalisme négligés dans la recherche, plusieurs sociologues et politologues ont ainsi analysé le phénomène du nationalisme chez les États constitués.

Ces critiques déplorent la réduction du nationalisme à la volonté d'autodétermination et sa disparition théorique lorsque la congruence de l'État et de la nation est accomplie. Selon ces derniers, « there is nothing oxymoronic about the idea of a nationalist nation-state, a "unination" state with a nationalistic political culture » (Norman, 2006 : 24). Du même souffle, ils critiquent aussi le fait que ces recherches antérieures sur l'entreprise de construction nationale ou encore d'intégration nationale par les États examinent ces processus sous l'angle civique, sans considérer la place que peuvent occuper les facteurs ethniques dans l'entreprise de construction nationale (Brubaker, 1996b : 412 ; Lecours et Nootens, 2007 : 23). Ils ont ainsi contribué à déconstruire l'association très répandue entre les mouvements minoritaires et le nationalisme ethnique, et le nationalisme majoritaire et civique.1

Parmi eux, Brubaker, en observant les nouveaux États européens de l'après-Guerre froide, développe le concept d' « État nationalisant » ou encore de « nationalisme nationalisant » (Lecours et Nootens, 2007 : 25) : « A nationalizing state, I have suggested, is one understood to be the state of and for a particular ethnocultural "core nation" whose language, culture, demographic position, economic welfare and political hegemony must be protected and promoted by the state » (Brubaker, 1996b : 431). Il examine les « pratiques nationalisantes » des groupes dominants des États constitués d'Europe de l'Est qui s'expriment, à divers degrés, dans des domaines comme les politiques linguistiques, l'éducation, les médias de masse, le symbolisme constitutionnel, l'iconographie nationale, les politiques d'immigration, le secteur public et les lois (Brubaker, 1996b : 433). Kymlicka

1 Pour Bouchard, la dichotomie ethnique civique est peu éclairante « parce que la nation civique est une utopie

juridique inspirée d'une vision réductrice de la vie collective, parce que la nation ethnique est une notion trop ambiguë et que certaines composantes de l'ethnicité ne sont pas à proscrire car elles sont indispensables à toute société » (Bouchard, 1999 : 41-42).

(29)

fait mention des divers outils étatiques permettant de créer une vision partagée de l'identité nationale et un attachement à la nation, comme les politiques linguistiques, les critères d'accession à la citoyenneté, le système d’éducation et l’enseignement de l’histoire (Kymlicka, 2001 : 252). Lecours et Nootens ajoutent à cette liste un élément plus récent, soit les politiques sociales de redistribution (2007 : 39).

Kaufmann met également en exergue la présence importante de l'ethnicité au sein des États contemporains. Il explique que les États occidentaux ont longtemps connu une congruence ethnonationale et que ce n'est que plus récemment, au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, que le groupe ethnique dominant a subi de grandes pressions sous l'impact des flux migratoires, forçant ces États à s'adapter. Cela signifie adopter une définition de l'identité nationale sur la base de critères plus civiques, chérir leur diversité culturelle plutôt que leur homogénéité et reconnaître les revendications autonomistes de leurs minorités (Kaufmann, 2009 : 38). Cependant, ces changements vers le caractère plus civique des nations ne signifient pas la disparition des groupes ethniques majoritaires au sein des nations :

it is unrealistic and normatively unjustified to argue for the extinction of dominant ethnicity upon the altar of civic nationalism. All ethnic groups need to be dominant over some territory and/or institutions to perpetuate themselves. We are all dominant ethnics somewhere. The question is how to manage and constrain dominance so as to respect liberal norms and minority rights (Kaufmann 2009 : 55).

Il établit à cet effet une distinction importante entre les expressions ethnie dominante et nationalisme majoritaire : « the relationship between dominant ethnicity and dominant nationhood is not therefore automatic, for it is possible that dominant ethnic elites may invest their political energy in an inclusive state nationalism (Kaufmann, 2009 : 42). Kaufmann précisera dans cet ordre d'idée que le nationalisme de l'État peut très bien reposer sur des bases civiques et aussi inclure les contributions des différents groupes ethniques minoritaires, être une synthèse de ces contributions. (Kaufmann, 2009 : 42).

Abondant dans le même sens, d'autres auteurs soulignent également la différence du concept de nationalisme majoritaire. Parce qu'ils sont étroitement élaborés autour des

(30)

20

groupes ethniques, les concepts d'ethnicité dominante et d'État nationalisant « ne peuvent donc apporter qu'un éclairage limité sur les nationalismes qui, tout en rejoignant plus fortement les membres du groupe majoritaire, s'érigent néanmoins sur des bases bi ou multiculturelles, ou incorporent des éléments culturels du ou des groupes minoritaires » (Lecours et Nootens, 2007 : 26). Le nationalisme majoritaire peut aussi contenir l'expression d'éléments issus de plus d'un groupe ethnique. Le nationalisme canadien, qui sera plus loin notre cas à l'étude, n'est pas uniquement défini par son noyau ethnique anglo-protestant, mais a intégré les dimensions du bilinguisme anglais-français et du multiculturalisme (Lecours et Nootens, 2007 : 26).

Cela dit, Kaufmann soutient malgré tout que les symboles et les mythes associés à l'ethnie dominante continuent généralement d'occuper une place prédominante dans le nationalisme majoritaire. Au final, les États ne sont pas ethniquement ou culturellement neutres (Lecours et Nootens, 2007 : 28). Ils ne manquent pas d'outils pour consolider ces éléments ethnoculturels et diffuser l'identité nationale, parmi lesquels les politiques de langues officielles, les règles de naturalisation, le cursus scolaire, le service militaire obligatoire, les mythes et symboles nationaux, les jours fériés, la toponymie des rues et des lieux géographiques, la régulation des médias et la promotion du sport (Norman, 2006 : 46-47).

Ces travaux académiques portant sur le nationalisme des États occidentaux contemporains ont permis de nuancer la dichotomie entre nationalisme ethnique et civique, qui associait le premier aux mouvements non occidentaux ou minoritaires tandis que le second était l'apanage des États. Rappelons que dans la plupart des travaux du XXe siècle, le nationalisme cessait souvent d’être un objet d’étude dès que le mouvement obtenait l’État et la souveraineté politique qu’il revendiquait. S'il était parfois reconnu chez un État d’Occident, il était alors qualifié de civique et présenté comme souhaitable, libéral, bénéfique et permettant la cohésion au sein de la nation basée sur une citoyenneté commune. « The binary distinction Kohn developed in The Idea of Nationalism proved to be the longest-living, and probably the most influential, typology in the field of nationalism studies » (Özkirimli, 2009 : 37).

(31)

Or, le caractère arbitraire de cette distinction dans laquelle un Occident cosmopolite joue le bon rôle face à l'Orient de tous les particularismes a été bien démontré par les Kaufmann, Brubaker et autres, qui ont établi que les nationalismes majoritaires sont également construits autour d’éléments culturels (Kymlicka, 2001 : 244-246). La recherche sur l'identité nationale et la formation discursive de la nation a permis de constater les stratégies similaires de construction de l'identité nationale, au-delà de la nature du mouvement. Calhoun a montré, par exemple, que les manifestations positives ou négatives du nationalisme prennent forme dans un discours du nationalisme partageant certaines bases et suppositions (Calhoun, 1997 : 3).

La déconstruction de la typologie établie autour des caractères ethnique ou civique a permis aux chercheurs de faire la démonstration de nombreux nationalismes minoritaires contemporains tout aussi tolérants de la diversité, engagés dans le respect et la défense des droits individuels et collectifs, ouverts sur le monde et favorables à la mondialisation que peuvent l’être les nationalismes majoritaires (Gagnon, Guibernau et Rocher, 2003 : 1-2). C’est notamment le cas du Québec (Kymlicka, 2001 : 281), État de droit doté d'institutions politiques et judiciaires à l'image de ceux des États les plus libéraux et où la définition d'appartenance à la nation a changé dans le temps. D'abord associée aux descendants des Canadiens français, la définition de la nation québécoise s'est élargie à tous les habitants du territoire, conservant comme pilier central le français comme langue publique commune.

Les analyses du nationalisme des États permettent de constater que derrière cette tendance à la négation du nationalisme par les États constitués se trouve l’action d’un nationalisme majoritaire. C'est à eux que profite la description courante du nationalisme aux groupes minoritaires, générateurs d'instabilité, qui remettent en question la légitimité de l’État (Gagnon et al., 2003 : 1). Les travaux présentés nous sont théoriquement très utiles puisque l'objet de ce travail est justement le nationalisme majoritaire d'un État, de surcroît occidental et multinational. Ce nouveau regard posé sur le nationalisme étatique et majoritaire élargit le phénomène en même temps qu'il déconstruit d'anciennes théorisations. Cela requiert des précisions sur les définitions de quelques concepts qui seront utilisés au cours de ce travail.

(32)

22

Définitions

À l'aune des éléments théoriques qui viennent d'être présentés, quelques définitions s’imposent avant de détailler le concept essentiel à notre recherche qu’est le nationalisme banal de Michael Billig. Afin de distinguer les concepts clefs avec lesquels nous travaillerons tout au long de ce travail – nationalisme, nation et identité nationale – nous empruntons à quelques auteurs leurs définitions en gardant à l’esprit où s'inscrit notre travail dans la théorie du nationalisme.

Pour Michael Keating, considérant la grande difficulté de définir le phénomène, le nationalisme possède une seule définition qui fait consensus, soit lorsqu’elle est décrite comme « une doctrine d’autodétermination » (Keating, 1997 : 1). Cette définition est toutefois assez restrictive et peut être comprise à tort comme désignant uniquement les minorités qui recherchent la création d’un État. Pourtant, le nationalisme ne passe pas exclusivement par l’obtention d’un État souverain pour la nation. Nous trouvons à cet égard que la définition proposée par Smith est plus éclairante et plus opérationnelle. Il définit le nationalisme comme « un mouvement idéologique pour obtenir ou maintenir l’autonomie, l’unité et l’identité d’une population dont les membres sont considérés comme constituant une « nation » réelle ou en devenir » (Smith, 2010 : 9). Cette définition a le mérite d’inclure le nationalisme majoritaire des États constitués, dont le but est de maintenir leur existence, leur souveraineté. L'autonomie de la nation peut d’ailleurs se décliner en degrés divers, comme dans le cas des États multinationaux, sans pour autant toujours aboutir à la formation d’un nouvel État souverain.

La définition de Smith nous renvoie au concept de nation, qu’il définit ainsi : « une communauté humaine nommée, qui vit sur un territoire perçu comme le sien, qui a des mythes communs et une histoire partagée, une culture publique distincte, des lois et des coutumes communes pour tous ses membres » (Smith, 2010 : 13). Cette définition, contrairement à plusieurs autres, résiste au piège de confondre l'État et la nation (McCrone, 2006 : 237). Elle ouvre également la porte au fait que la nation doit aussi être comprise non pas comme une catégorie objective, mais plutôt, pour reprendre l’expression de Benedict

(33)

Anderson, comme « une communauté politique imaginée, et imaginée à la fois comme limitée et souveraine » (Anderson, 2006 : 6). Elle est un acte de l'imagination parce que même les membres de la plus petite des nations ne pourront jamais connaître l'ensemble de leurs compatriotes nationaux, et pourtant, une forme de communion d'esprit lie les membres de cette communauté imaginée (Anderson, 2006 : 6). Le caractère imaginé de la nation n'en fait pas quelque chose de faux, au contraire (Anderson, 2006 : 6), puisque la nation existe grâce à un sentiment d'identité qui, lui, est réel, quoique intangible.

Ainsi, ce qui permet à la nation d'exister est le sentiment d’appartenance partagé par plusieurs, soit l’identité nationale. Bien qu’il n’existe pas de définition consensuelle de l’identité nationale, Guibernau suggère qu’elle est « un sentiment collectif basé sur la croyance d’appartenir à la même nation et de partager la plupart des attributs qui la distinguent des autres nations » (Guibernau, 2007 : 11). Ces attributs peuvent être de nature territoriale, psychologique, culturelle, historique et politique. Peu importe les éléments mobilisés, Anthony Smith relève que l'identité nationale n’est pas figée dans le temps, mais est sujette à changement et réinterprétation. L’identité nationale, pour Smith, est « la reproduction et la réinterprétation continuelles par les membres de la communauté nationale de l’ensemble des symboles, valeurs, mythes, souvenirs et traditions qui composent l’héritage distinctif des nations, et l’identification variable des membres individuels de cette communauté avec cet héritage et ses éléments culturels » (Smith, 2010 : 20). L’identité nationale est donc basée sur une pluralité d’éléments auxquels chaque individu adhère de façon inégale et personnelle, et est susceptible de changer dans le temps, selon le niveau d’adhésion et d’identification de ses membres à ces divers éléments.

Il n’existe pas de consensus autour de ces définitions. Celles retenues ici nous semblaient les plus appropriées considérant le positionnement de ce travail au sein du débat sur le nationalisme. Elles demeurent néanmoins le fruit d'un choix, souhaitant mettre en lumière le caractère imaginé et subjectif de la nation, du nationalisme, et de l'identité nationale. Nous nous inscrivons ainsi résolument dans une perspective proche de ce qui sera peut-être unanimement qualifié de postclassique dans quelques années.

(34)
(35)

CHAPITRE II :ANATOMIE DU NATIONALISME BANAL

L’ouvrage de Michael Billig paru en 1995, Banal Nationalism, s’inscrit résolument dans les nouvelles approches postclassiques de la théorie du nationalisme que nous avons abordées dans le précédent chapitre (Özkirimli, 2010 ; Day et Thompson, 2004). Le nationalisme banal de Billig réfère « aux habitudes idéologiques qui permettent aux nations établies de l’Occident de se perpétuer » (Billig, 1995 : 6). L’adjectif « banal » n’y est pas entendu au sens de bénin, mais fait plutôt référence à l’aspect routinier, quotidien, voire inconscient de cette forme de nationalisme.

Le caractère postclassique du nationalisme banal est d'abord observable dans le fait que l'auteur porte son attention sur le nationalisme des États occidentaux, et particulièrement sur celui des États-Unis, ce qui, à l’époque de sa publication, fait office de nouveauté (Özkirimli, 2010 : 171). Il s'écarte du débat classique entre modernistes, primordialistes et ethnosymbolistes pour s'intéresser plutôt à la reproduction et au maintien des nations dans le temps. Billig ne cherche pas à comprendre quand ou comment la nation s'est construite : « Constatant la permanence du modèle national, il préfère interroger les fondements de sa primauté idéologique à l'époque contemporaine » (Martigny, 2010a : 8). Pour Özkirimli, Michael Billig peut d'ailleurs être considéré comme le premier à offrir une analyse systématique de la perpétuation et de la reproduction du nationalisme (Özkirimli, 2010 : 171), et ce, au quotidien plutôt que dans une perspective de longue durée (Skey, 2009 : 334). L'approche de Billig s'inscrit également dans une perspective postclassique en ce qu'il étudie le nationalisme en tant que construction discursive.

Ce chapitre présentera l'essentiel du concept de nationalisme banal qu'introduit Michael Billig dans l'ouvrage du même nom, sans toutefois en faire un résumé exhaustif. Nous survolerons ensuite la littérature secondaire que le concept de nationalisme banal a engendrée et les critiques qui ont été formulées à son endroit.

(36)

26

Une définition problématique

Une première contribution importante de l'ouvrage Banal Nationalism a été de rendre visible une importante lacune dans la théorie du nationalisme (Day et Thompson, 2004 : 5). D'entrée de jeu, le chercheur critique la définition du nationalisme qui est en usage dans le milieu académique, qu’il juge trop restreinte. Si les chercheurs occidentaux rendent compte abondamment du nationalisme comme un phénomène conflictuel qui déstabilise l'organisation des sociétés, Billig soutient qu'ils ignorent toutefois le nationalisme de leur propre État. Il souligne que le nationalisme doit être compris non seulement comme l’idéologie qui conduit les nations minoritaires à résister à l’État, mais aussi celle que met en œuvre l’État une fois constitué afin de maintenir l’unité et se perpétuer (Billig, 1995 : 15). L’étiquette du nationalisme devrait être pensée comme « l’idéologie qui crée et permet de maintenir les États » (Billig, 1995 : 19), plutôt que d’être apposée principalement sur les mouvements qui revendiquent l'autodétermination.

Les auteurs des travaux classiques portant sur le nationalisme et qui négligent le nationalisme des États constitués souffrent, aux yeux de Billig, de ce que d'autres ont nommé « nationalisme méthodologique » (Wimmer et Glick Schiller, 2002 : 327), c’est-à-dire « the assumption that the nation/the state/the society is the natural social and political organization of the modern world » (Wimmer et Glick Schiller, 2002 : 302). Le fait de limiter la définition du nationalisme pour qu'elle s'applique uniquement aux « autres » permet de renforcer l'impression de normalité des États constitués. La théorisation du nationalisme dans les travaux classiques rend donc invisible le nationalisme des États constitués de deux manières : par la naturalisation et la projection du nationalisme. Il s'agit de deux dynamiques qui serviront à circonscrire le concept de nationalisme banal.

La naturalisation de la nation

Dans sa proposition de définition élargie du nationalisme, Billig expose le phénomène comme une idéologie, c'est-à-dire comme des « patterns of belief and practice, which make existing social arrangements appear « natural » or inevitable » (Eagleton cité dans Billig,

(37)

1995 : 17). Le nationalisme cherche à faire de la nation quelque chose de naturel et d’intemporel, auquel les membres sont liés dans le temps et l’espace. Cette entreprise de construction nationale est également une bataille pour l’hégémonie, puisqu’elle fait triompher une façon d’imaginer la nation sur les autres possibles. Billig montre par exemple que dans cette entreprise hégémonique le concept même de langue a joué un rôle très important.

En effet, le dialecte associé à la vision qui l'emporte sur les autres lors de la création ou de la consolidation de l'État devient langue nationale, tandis que les autres demeurent des dialectes appelés à disparaître (Billig, 1995 : 32). La narration de l'histoire nationale est également sujette à des tensions entre des visions concurrentes quant aux mythes fondateurs et à l'interprétation des événements historiques (Billig, 1995 : 70). Une de ces visions sera appelée à devenir la version officielle enseignée dans le système national d'éducation, jusqu'à ce qu'une autre réussisse à s'imposer dans le temps.

La vision d’une partie de la communauté nationale en vient par conséquent à représenter l’ensemble (Billig, 1995 : 27). À partir du moment où cette vision est liée à un État constitué, elle n'est plus seulement imaginée, mais relève aussi du vécu. L'identité nationale n'est plus uniquement d'ordre psychologique, mais devient « (a) form of life which is daily lived in a world of nation-states » (Billig, 1995 : 68). Dès lors, l'absence de cette nation devient soudain inimaginable (Billig, 1995 : 77). Pourtant :

[…] the assumptions, beliefs and shared representations, which depict the world of nations as our natural world, are historical creations : they are not the "natural", common-sense of all humans. At other times, people did not hold the notions of language and dialect, let alone those of territory and sovereignty, which are so commonplace today and which seem so materially real to "us". So strongly are such notions embedded in contemporary common sense that it is easy to forget that they are invented permanencies (Billig, 1995 : 36).

De la même façon, dans les travaux classiques, l’organisation des populations en un système international n’est pas située dans son contexte historique et est elle aussi présentée comme naturelle. De plus, la loyauté à cet État est associée à un besoin psychologique

(38)

28

(besoin d’identité ou de liens primordiaux) endémique à l’humain : le nationalisme de ces États cesse non seulement d’être perçu comme du nationalisme, mais cesse également d’être un objet digne d’investigation. Billig déplore par exemple que la sociologie s'intéresse aux « sociétés », sans toutefois reconnaître que ces sociétés sont le produit même du nationalisme (1995 : 38). La théorie « naturalisante » permet donc de dépeindre l’État-nation comme naturel, voire intemporel, plutôt que comme le produit d’une époque particulière et d’une idéologie.

La naturalisation met en lien de façon paradoxale l'oubli et le rappel de la nation. En effet, le nationalisme banal suppose un rappel quotidien de la nation et permet à chacun de ne pas oublier de quelle nation il vient et dans quelle nation il vit. Billig souligne que ce rappel s'effectue inconsciemment et est oublié. La nation ainsi signalée à l'esprit des populations laisse en plan les versions concurrentes de l'histoire nationale, ou encore le monde qui préexistait aux États-nations. Ernest Renan avait mis en lumière le fait que les historiens oublient des éléments dans la construction de l'histoire nationale. Billig soutient qu'en parallèle, les chercheurs en sciences sociales oublient le nationalisme contemporain des nations occidentales tout en le projetant sur les autres (1995 : 38).

La projection du nationalisme

Une fois le nationalisme des États rendu invisible, ces derniers étant dépeints comme « naturels » et « permanents », il devient aisé d’adopter une définition très restreinte du nationalisme et de le limiter aux mouvements qui luttent pour créer des nouveaux États. Ce nationalisme est qualifié d'émotionnel, d'irrationnel et d'extrême, et l'attachement à la « société » ou la nation n'est plus associé à un besoin primordial d'identité comme il l'est pour les « sociétés » établies. Il est dépeint comme un phénomène problématique, qui est excédentaire au bon ordre international et qui se situe en périphérie des États constitués de l'Occident (Billig, 1995 : 38) : « Nationalism, thus, is typically seen as the force which creates nation-states or which threatens the stability of existing states. […] nationalism takes the guise of separatist movements or extreme fascistic ones » (Billig, 1995 : 43).

Références

Documents relatifs

Chez les nationalistes hindous, ce sentiment de vulnérabilité est en définitive venu se substituer au complexe d'infériorité majoritaire dont ils souffraient vis-à-vis des

Le nationalisme était partout : dans les rues, les drapeaux rouges et blancs des partis (celui du parti du Mouvement National, celui du Parti de la Vertu et celui du Parti de la

On propose ensuite une méthode algébrique synthétisée dans le tableau ci-dessous (figure 53) dans le cas où l’on additionne deux vecteurs. On glisse rapidement vers la

En effet comme nous avons pu le voir précédemment les différentes études sur le sujet montrent que la santé dans sa globalité est altérée par l’exposition à

The spectrum of a Schr¨odinger operator in a wire-like domain with a purely imaginary degenerate potential in the semiclassical limit.. Almog, Department of Mathematics, Louisiana

ACCUEIL IMMUNOLOGIE NEUROLOGIE MALADIES CHRONIQUES SANTÉ CARDIOVASCULAIRE NOUVELLES TECHNOLOGIES CANCER SANTÉ FÉMININE

La suite de l’ouvrage montre qu’il s’agit plus précisément des divers mécanismes qui fondent et encadrent le pouvoir de direction de l’abbé général (des

Based on dedicated coupled field-circuit models, this paper investigates important parameters of a 300 kHz cold crucible induction furnace in its environment,