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Le surréalisme dans l'œuvre de Jean-Philippe Dallaire (1938-65)

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FACULTÉ DES LETTRES

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SURRÉALISME DANS L’OEUVRE DE JEAN-PHILIPPE DALLAIRE (1338-65)

CAROLINE THIBAULT

' Mémoire présenté pour 1’obtention

du grade de maître es arts ( M.A.)

ÉCOLE DES GRADUÉS UNIVERSITÉ LAVAL

DÉCEMBRE 1991

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Parmi les peintres qui ont marqué la scène artistique québécoise on retrouve Jean-Philippe Dallaire (1916-1965). La force créatrice et originale de sa production se compare avantageusement à d’autres plus connues, comme celle de Pellan.

Cette réflexion qui a comme sujet Le surréalisme dans

l’oeuvre de Jean-Philippe Dallaire (1938-1965) se veut une clé pour

comprendre l’évolution picturale de l’artiste. Notre analyse s’articule autour d’un petit groupe de toiles réalisé en 1957 et jugé comme l’ensemble le plus important de Dallaire. Le traitement des oeuvres combine une facture mi-surréaliste à une facture mi- abstraite et témoigne autant du savoir faire de l’artiste que de sa connaissance des esthétiques modernes.

Le surréalisme dans 1’oeuvre de Jean-Philippe Dallaire

(1938-1965) propose une lecture contemporaine des oeuvres par une

approche sémiologique du langage visuel telle que développée au Québec par Fernande Saint-Martin et Marie Carani. Cette approche appliquée aux oeuvres de ce corpus a permis d’inscrire l’artiste dans la modernité et ainsi de le dissocier d’une tradition québécoise alors essoufflée.

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AVANT-PROPOS

Je profite ici de 1’occasion pour remercier les personnes qui ont collaboré à la réalisation de ce mémoire. En premier lieu, nos remerciements vont à Marie Carani, directrice de recherche, pour son soutien, ses conseils et ses nombreux encouragements au cours de ces années de travail.

Je remercie de manière toute spéciale la famille de Jean- Philippe Dallaire: Marie-Thérèse Dallaire, épouse de l’artiste et ses fils, Michel et François, qui m’ont reçu et permis de voir de nombreux tableaux et dessins de leur père ainsi que de consulter de nombreux documents ayant appartenus à l’artiste. La collaboration de la famille Dallaire a été des plus utiles dans la réalisation de ce projet.

Je tiens à remercier le personnel des archives du Musée du Québec, le personnel des archives du Musée d’Art Contemporain, le personnel des archives du Musée des Beaux-Arts de Montréal ainsi que le personnel des archives du Musée des Beaux-Arts d’Ottawa sans lesquels l’accès aux oeuvres n’aurait pas été possible.

Enfin, je remercie tous ceux et celles qui ont facilité notre recherche notamment les galéristes de Montréal, des historiens de l’art et plusieurs anciens étudiants et étudiantes de l’artiste. Mes remerciements s’adressent à Nathalie Thibault et Martin Delisle pour leur encouragement et leur qualité de lecteur qui furent grandement appréciés.

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D O D O D O

LE SURRÉALISME DANS L’OEUVRE DE JEAN-PHILIPPE DALLAIRE 1938-1965

Introduction

Chapitre 1 L’importance des esthétiques modernes et du surréalisme

pictural 5

1.1 Les esthétiques modernes 5

1.2 L’influence des modernes, de Lhote et de Pellan 10

1.3 Présentation de la pensée surréaliste 26

1.3.1 La philosophie suréaliste 31

1.3.2 L’action surréaliste 36

1.4 Le surréalisme et la peinture 40

1.5 L’automatisme psychique 46

1.6 Les procédés surréalistes 50

1.7 Jean-Philippe Dallaire face aux procédés surréalistes 58

Chapitre 2 Procesus de production et spécificité Dallarienne 63

.1 Production globale 63 .1.1 L’inventaire 65 .1.2 La sérialisation et les motifs récurrents 71

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76 76 2.2 Production surréaliste : traitement

2.2.1 Trois périodes

2.3 Spécificité Dallarienne

2.3.1 Evolution d’un motif : le coq

2.4 Fortune critique

Chapitre 3 Les oeuvres surréalistes ; moderne

constat d’un espace

93 3.1 Présentation de la méthodologie et de la grille d’analyse : la sémiologie topologique de Fernande Saint-Martin.

3.2 Le corpus : série de 1957

analyses d oeuvres surréalistes de la 2ieme periode, 118 Julie, Musée du Québec

Odile, Musée des Beaux-Arts de Montréal

Calcul solaire no.2, Musée d’Art Contemporain

120 134 143 Conclusion 156 Annexe A 159 Annexe B 161 Annexe C 164 Éléments biographiques 166 Bibliographie 177

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Le surréalisme est, celui parmi tous les mouvements en "isme" qui a le plus transformé la création artistique européenne. Apparu dans les années vingt, il s’interroge sur les conditions morales de la création et sera ardemment défendu par son fondateur André Breton. Ce mouvement, introduit au Québec par Alfred Pellan, sera à 1’origine des recherches picturales québécoises les plus novatrices des années quarante. D’origine française, le surréalisme désire lever le voile sur l’univers inconscient de l’homme. Les découvertes recentes en psychologie issues des travaux de Freud serviront de base à Breton, père du mouvement, pour 1’élaboration de la pensée et de la création artistique des surréalistes.

Notre réflexion qui porte sur Le surréalisme dans

de Jean-Philippe Dallaire (1938-1365) s’est développée

JL v c/ u v j. r/

A 5 set it groupe de toiles de facture mi-surréaliste et mi-abstraite, réalisé en 19 5 7 . On se rend compte, à travers l’étude de 11 ensemble de la production de Dallaire, de 1’importance des esthétiques modernes dont le surréalisme. Ce mouvement apparaît comme un .important fil conducteur pour voir 1 ' évolution stylistique de Dallaire. D’autre part, il semble que ce dernier sait aussi prendre ses distances face à ces mêmes courants en conservant de fort s Liens au système esthétique figuratif par sa fidélité à la forme, à la ligne et à la couleur. Son talent, sa force créatrice et originale se comparent avantageusement avec d’autres productions plus connues comme celle de Pellan.

Cette étude débute avec Le premier séjour de Dallaire en France. Pour l’artiste, l’année 1938-39 constitue un point tournant dans sa jeune carrière puisqu’il y fera ses derniers apprentissages auprès de maîtres réputés. Ce sera 1’aboutissement d’un rêve et

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Paris Lui apportera rencontrera des arti : évolution artistique

La découverte d’oeuvres "modernes", stes qui auront beaucoup d’importance

, notamment Lhote et Peilan.

Bailaire dans son

Le premier chapitre, consacré au surréalisme pictural, aborde dans un premier temps les différentes sources de connaissance de l’artiste. On situe Jean-Philippe Bailaire en fonction des esthétiques modernes privilégiées au Québec et qui ont vu le jour à la fin des années trente. Suivent deux rencontres parisiennes qui modifieront sensiblement l’art de Bailaire. Le stage de formation chez Lhote à l’automne 1939 et sa rencontre avec Alfred Peilan marqueront l’artiste. Il semble que ce dernier événement peut être perçu comme un élément majeur dans le changement d’orientation picturale de l’artiste.

Bans la deuxième partie de ce chapitre, on présente une compréhension globale du mouvement surréaliste depuis sa philosophie, ses liens avec la peinture jusqu’aux divers procédés inventés par les principaux adeptes du mouvement. Cette large place faite au surréalisme pictural est essentielle car cela permet de situer Bailaire en rapport aux diverses composantes du mouvement et de vérifier la compréhension qu’il a des procédés prônés par les surréalités. La dernière partie de ce premier chapitre est consacrée aux procédés surréalistes de Bailaire.

Bans le deuxième chapitre on retrouve les données sur l’ensemble de sa production. Pour parvenir à cette fin, un inventaire des oeuvres a été réalisé à partir de plusieurs sources: collection des musées, d’entreprises, de galeries d’art et de collectionneurs. Cet exercice, bien que partiel, a permis de procéder à une analyse de contenu afin de dégager les oeuvres surréalistes, de les regrouper par procédés, de voir la méthode de travail (processus d’épuration du motif non linéaire) et son mode de fonctionnement (la sérialité). L’inventaire a mis en évidence les thèmes et les motifs récurrents et a permis de dresser une liste des autres procédés utilisés (de l’expressionnisme au

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surréalisme) par Dallaire. Par la suite, on a défini des phrases stylistiques qui ont conduit à un regroupement d’oeuvres et à 1’identification de périodes de production distinctes chacunes privilégiant une facette du surréaliste.

Le troisième chapitre est consacre à 1 analyse de=. oeuvres du corpus. La facilité d’accès aux oeuvres choisies fut un facteur pris en considération car il allait de soi, de procède^ a 1’analyse des oeuvres à partir des originaux. Ces oeuvres exécutées en 1957 font partie de ce qu’on a nommé la "série de 57". Cette série comporte au moins cinq oeuvres et notre étude en présente trois qui semblent les plus représentatives. L’étude de ces oeuvres a été faite à partir de la méthodologie élaborée dans la Sémiologie

du langage visuelle de Fernande Saint-Martin qui par une grille

d’analyse, propose de voir 1 ’oeuvre dans sa réalité plastique. Une deuxième grille d’analyse, issue des recherches sur la perspective faite par Marie Carani auquel a participé le "groupe de recherche en esthétique et sémiologie en art contemporain", le CRESAC, se juxtapose à la première analyse. Cette autre grille permet d’établir le degré de référentialité de 1 ’oeuvre analysée face à la pratique artistique de la renaissance considéré comme une mesure étalon pour la création d’oeuvres. Les résultats de cette deuxieme grille permettront de situer la production de Dallaire en fonction d’une esthétique traditionnelle ou d’avant-garde comme le laisse supposer la présence du surréalisme. En annexe, on retrouve des tableaux et résumés sur la sémiologie, les grilles d’analyse ainsi que des notes biographiques sur 1’artiste.

Pour mener à bien ce projet, deux approches ont été privilégiées : la recherche historique et 1’analyse sémiologique du langage visuel. Le choix de jumeler ces deux approches qui se complètent très bien permet de donner une nouvelle lecture de la production surréaliste de Dallaire. La recherche historique a permis une importante mise a jour de 1’ensemble de la production de

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4 Dallaire par la cueillette des données. C’est une étape très importante puisqu’elle permet de faire un travail de défrichage sur la stylistique dallarienne. De plus, la recherche a permis de vérifier et de recontextualiser des faits concernant 1’artiste, sa philosophie et son travail. A cette première étude se greffe 1’analyse des oeuvres selon la sémiologie du langage visuel. La sémiologie, loin de contredire la première approche, en valide les résultats. En effet, 1’approche sémiologique fut privilégiée pour sa capacité de répondre à nos interrogations de départ sur la construction des oeuvres (la structure), la place du surréalisme dans la production de 1’artiste et 1’intégration de Dallaire dans le courant de la modernité.

Notre objectif général est de comprendre l’articulation de la production surréaliste de Dallaire, de voir où il se situe dans le développement de l’art au Québec et comment il s’inscrit dans la modernité.

(10)

LES INFLUENCES DES ESTHÉTIQUES MODERNES ET DU SURRÉALISME PICTURAL

1.1 Les esthétiques modernes

Michel Cheff dans son mémoire sur 1’artiste affirme : "C'est en 1938 que Da 1 Laire se rallie à une conception moderne de l’art.A cette époque, on trouve dans sa production des dessins cubistes qui illustrent ses connaissances des esthétiques modernes. De plus, Michel Cheff a trouvé un article important dans les dossiers du bienfaiteur de 1’artiste, le père Georges Henri Lévesque. En 1938 ce dominicain appuyé par sa communauté porte secours au jeune Dallaire à ses débuts en 1'hébergeant à leur monastère d ’ Ottawa . L ’ art le le que Dallai.re a découpé et conservé de

La Revue moderne, numéro de juin 1937, se consacre à deux

esthétiques modernes. Ce dernier écrit par Maurice Gagnon s’intitule Expressionnisme et cubisme. Il est illustré par une oeuvre de Picasso et une autre de Braque à partir desquelles Gagnon formuleune définition du cubisme.

On reprend ici de courts extraits des passages retenus par Michel Chef f' qui sont les plus pert trient s pour situer la compréhension qu'a Dallaire du cubisme. Ainsi Maurice Gagnon sou 1igne :

1 Cheffi Michel, Le dessin chez Jean Dali aire (1916-1965)

jusqu'en 1938, Mémoire de Maîtrise, Université de Montréal, 1982,

p . 1 9 6 .

(11)

6 "...Qu’il faut rendre, non pas ce qu’on voit mais ce que L’on sait être. La nature envisagée abstraitement n’est que volumes géométriques simples... Le cubisme: une géométrie de l’espace. "J

Plus loin, Gagnon ajoute que le cubisme se traduit par 1’épuration et la simplification des formes. Cela a certainement marqué Dallaire puisqu’à travers ses séries on retrouve toujours ce processus de réduction qui alterne avec des compositions plus savantes, chargées. Puis parlant de la vision adoptée par les cubistes, il mentionne l’idée du dédoublement de l’objet pour pouvoir le saisir dans son ensemble. Selon toute évidence Dallaire a très bien compris les idées émises par 1’auteur puisqu’il semble bien maîtriser ces notions dans deux oeuvres de cette époque qui nous sont connues : Autoportrait et Marie-Thérèse, dont une partie du visage est traitée selon le cubisme analytique.

A cette même période, Dallaire réalise une caricature présentant "trois peintres modernes pendus" qui témoigne des connaissances de 1’artiste. Cette oeuvre, connue seulement par une photographie que Cheff mentionne dans son mémoire, a pour titre

Matisse, Picasso, Duty. Elle présente chacun des artistes selon le

mode de création qui lui est propre. Ainsi, on retrouve au centre du dessin un Picasso construit selon le cubisme analytique, à sa gauche Matisse en odalisque et de l’autre côté Dufy repris selon le dessin schématique caractéristique de sa période fauve.* 4

j Ibidem, p.199.

4 Chef f, Michel, Le dessin chez Jean Dallaire (1916-1965)

jusqu’en 1938, Mémoire de Maîtrise, Université de Montréal, 1982,

(12)

Par ailleurs on a trouvé deux articles5 parus en 1949 et 1952 qui nous démontrent l’intérêt que porte Dallaire pour "les modernes". Dans le premier article paru dans le Devoir, 1’artiste nomme Vuillard, Bonnard, Dufy et Lurçat comme des artistes d’intérêt. Il ajoute un commentaire sur le cubisme et sur le surréalisme qu’il conçoit comme un mouvement qui privilégie l’abandon de l’imitation de la nature. Dans l’article du Droit, il identifie qui sont les vrais modernes. On retrouve Cézanne (pour les formes géométriques), Bonnard (pour la couleur), Matisse (pour le goût français), Braque (pour le constructif) et Picasso (pour son génie). Ce choix révélateur montre bien vers quoi aspire DalLaire.

Durant ses premières années d’étude, Dallaire semble montrer un grand intérêt pour le cubisme, procédé qu’il reprendra chez Lhote, à Paris, dans ses portraits. Plus tard on retrouve des oeuvres en partie cubiste qui se mélangent à d’autres styles, .souvent à une géométrisation des formes. Quoiqu’il en soit le cubisme analytique est fréquent à travers sa production de nature morte ainsi que dans quelques autres oeuvres. On pense à Nature morte à la lanterne (1957), Nature morte au poisson (1356), Head of a clown (1952), Damoclèse (1954), Femme assise, composition (1955) Adèle (1957) ou Le souffleur de verre (s.d.).

Dallaire n’est cependant pas le seul artiste québécois autour de 1938-1940 à se pencher sur l’apport des esthétiques modernes. De fait, rares sont ceux qui s’en désintéressent. Bien qu’il existe une trame historique qui explique la lutte de l’art

5 Mondoloni, Roger, "

Droit, 11 juin 1952. et R

septembre 1949.

Une heure avec Jean Dallaire " , Tremblay, Sans titre, Le Devoir,

(13)

vivant et la modernité” au Québec, on ne retiendra que deux événements majeurs. Ces derniers vont contribuer directement à la modification des pratiques artistiques dans l’art québécois' au début des années quarante.

Ainsi le premier des événements qui va soutenir la connaissance des esthétiques modernes est la création de la Société

des arts contemporains (S.A.C.), par John Lyman en 1938 et dont

Borduas est vice-président. La société est le lieu d’une nouvelle expression artistique (esthétique) luttant contre l’académisme et s’ouvrant sur l’international. La S.A.C. prône la diffusion et la connaissance des esthétiques modernes mais seulement quelques unes ont eu une attention plus soutenue dont le fauvisme, les esthétiques postcubiste et surréaliste.

L’autre événement important est le retour de Pellan en 1940 permettant de voir certaines tendances de l’esthétique défendues par Lyman. Pellan propose des oeuvres postcubistes et surréalistes dans la tradition européenne telle qu’il l’a lui-même

° La modernité pour Baudrillard est un mode de civilisation s’opposant au mode de tradition. Au plan culturel, c’est l’exaltation de la subjectivité, l’innovation qui produira les avants-gardes.

Jean Baudrillard, Modernité, Enclyclopédia universalis XI, Paris, 1973, pp. 139-141 et cité dans Lamonde Yvan et Esther Trépanier,

Avènement de la modernité culturelle au Québec, Québec, 1979, IQRC,

p. 13 .

Esther Trépanier affirme que la notion de modernité dans les arts implique des notions de ruptures importantes et concrètes. Ainsi dans notre pratique artistique on peut résumer cette entrée comme étant la déconstruction des modèles culturels traditionnels. C’est-à-dire qu’il y a rupture avec l’académisme, la manière de peindre, de représenter le concept de l’espace/temps, et aussi rupture avec le sujet peint dans son mode de représentation de la réalité extérieure.

Lamonde Yvan et Esther Trépanier, Avènement de la modernité

(14)

seulement de Pellan mais aussi de Borduas. Il en va de même pour leurs étudiants et disciples respectifs qui seront sensibles à cette approche innovatrice et inédite au Québec.

Jean-René Ostiguy explique davantage le choix de vocabulaire auquel s’intéresse les deux maîtres.

"...ils empruntent au cubisme synthétique dans sa phase la plus critique. Seul un certain "cubisme en liberté" les a touché, en raison semble-t-il de ses connotations surréalisantes. . . "8

On a tôt fait de remarquer que Dallaire s’intéresse à la première forme du cubisme, l’analytique, qui conserve des liens assez forts avec la forme. Les autres artistes contemporains notamment les jeunes sous l’influence de Pellan et Borduas

(Bellefleur, Ciguère, De Tonnancour, Perron, Cauvreau, Leduc...) s’intéressent à la deuxième phase, le cubisme synthétique, plus conceptuel et plus éloigné de la représentation de la forme. On voit là une différence importante qui confine en quelque sorte Dallaire en marge des recherches de pointe au Québec. Sa production, malgré son assimilation de certains esthétiques modernes, ne peut se lier ni aux recherches des automatistes ni aux recherches des plasticiens ni à la peinture géométrique. Son attachement pour la forme plus ou moins définie le maintien dans les systèmes esthétiques figuratifs et semi-figuratifs.

Il semble que du point de vue théorique, les connaissances de Dallaire, à la même période, se comparent avantageusement à celles des artistes restés au Québec alors que lui subit l’influence directe de Paris. Picturalement, Dallaire

1916

6

à

Ostiguy 1346

, Jean-René, Les esthétiques Ottawa, Galerie Nationale du

modernes au Canada, 1982 Québec p.103 de )

(15)

10 propose dans ses oeuvres européennes une production éclectique assez différente de celles de ses confrères québécois hUi

travaillent dans une seule direction (production plus unifiée).

Cependant des associations stylistiques semblent évidentes avec Pellan et quelques uns de ses disciples. Plus vard, d’autres artistes indépendants proposeront des oeuvres dans un esprit voisin de celui de Dallaire. Il ne fait aucun doute que Ballaire a une place d’importance dans l’histoire de l’art québécois et ce malgré sa démarche figurative. De fait, on s’explique mal l’évacuation de cet artiste de la scène québécoise dans les années cinquante sinon par l’euphorie qu’engendre alors les démarches originales des artistes automatisées et celles des plasticiens.

1.2 Influence des modernes, de Lhote et de Pellan

Dès 1935, on retrouve quelques éléments qui indiquent l’orientation que Dallaire désire poursuivre dans son approche picturale. Parmi les ouvrages retrouvés ayant appartenus à Jean Dallaire, se trouve un livre de l’américain de Mather F. Jewett,

Modem Painting (1927). On retrouve sur la page de garde la

signature de l’artiste et la date a laquelle il aurait lu ce livre. 1935. Le livre de Jewett fait un bilan des principaux courants artistiques. Plusieurs passages ont e te annotes ou soulignes o.u crayon de couleur par Dallaire. Ceux qui nous intéressent concernent des idées que Dallaire se fait de l’art. Ainsi, dans l’introduction où Jewett parle de Delacroix, Dallaire a souligné le passage suivant: "He is prone to push vehemence to the point of incoherence..." (p.5). Plus loin, il inscrit en marge que le romantisme c’est de "l’art pour 1 ’art"(p.87). Des impressionnistes, il note "...qu’ils veulent peindre la lumière et non les contrastes entre ombre et lumière qui n’existent pas." (p.196). Dallaire écrit

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"peindre est un acte de vision"9 et souligne : "The mind can wholly be excluded..." (p.216). Il a également relevé le commentaire suivant : "Only the artist who paints solely for himself can afford to ignore nature..." (p.379). On le constate, ces annotations faites par Dallaire en 1935 laissent envisager une orientation moderne de sa pratique artistique.

Installé à Paris, Dallaire fréquente durant 1’automne 1938 1’atelier d’art sacré de Maurice Denis et de Georges Desvailières. Du premier, il retiendra la " superposition"10 et du second, "les modulations monochromatiques et la teinte cendrée, variation sur le gris"11 . Dallaire quitte rapidement cet atelier pour chercher par lui-même son style et visiter les galeries et musées parisiens avant de se décider à s’inscrire à 1’atelier d’André Lhote. Ce dernier lui enseignera à Paris en 1939-40. Son rôle dans la carrière de Dallaire semble aussi important que celui de Pellan. Dallaire retiendra de Lhote la forme12 et Dumas ajoute : "Il (Dallaire) perfectionna la technique de la composition, de la mise en page du tableau. Il découvrira aussi les ressources de la déformation, encore que chez Lhote celle-ci demeurera toujours rigide et géométrique, tant imprégné était le maître de la leçon de Cézanne"11. D’autre part, on peut penser que Dallaire a également

9 La vision de Jean Dallaire concerne essentiellement une description sociale de son époque qui revêt très souvent un caractère plus dramatique que ne le laisse supposer son traitement caricatural.

10 Roger, Mondoloni, "Une heure avec Jean Dallaire", Le Droit, 11 juin 1952.

Il Mondoloni, R. , Loc. Cit. 12 Mondoloni, R. , Loc. Cit.

13 Dumas, Paul, Préface au catalogue de la rétrospective de

air■e, Montréal, Service de s expositions itinérantes, Musée

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12 retenu diverses notions contenues dans le livre de Lhote, Traité du

paysage. Dans 1’exemplaire de Dallaire, on retrouve deux dates : la

première, "Taris 39", suppose qu’il a lu le livre lors de son stage à son atelier et la seconde, "Québec 51", correspond à sa dernière année d’enseignement à l’Ecole des beaux-arts de Québec. Jean- Philippe Dallaire assimilera toutes ces influences qui 1’aideront à développer son propre style.

Selon Jean-René Ostiguy, Lhote va jouer un rôle considérable dans la pensée et la pratique de Dallaire. Ce sera le début d’une nouvelle pratique à travers laquelle 1’artiste valorisera ses propres sujets. Ils seront "...Non plus artisanale et en réponse à des besoins dictés. . . comme la voyaient l’Ecole des beaux-arts de Montréal et 1’atelier d’art sacré de Paris... mais dans une pratique d’autonomie différentielle, lui permettant de choisir ses sujets et de valoriser ses propres sensations"14 .

René Passeron dans son Encyclopédie du surréalisme explique que 1’enseignement de Lhote était assez proche des procédés surréalistes dont Dallaire, à titre d’étudiant, aurait sans aucun doute pris connaissance. Ainsi Lhote parlait d’un processus "d’hystérie technique" qui se traduirait par une véritable perte de contrôle dans les maniements des procédés, ainsi qu’un dépassement des limites imposées où le peintre se demanderait comment il a fait l’oeuvre"15. A la recherche qui conduit à la découverte, on superpose "1’hystérie technique" dans le but d’atteindre un dépassement. L’enseignement de Lhote sera donc pour Dallaire le premier contact officiel avec l’art d’avant-garde, qui n’est pas sans rappeler le procédé de Breton pour la peinture surréaliste. Les tableaux témoignant de son passage chez Lhote, des

14 Jean-René Ostiguy, Jean Dallaire et la tradition Québécoise, Hull, 1989 , p.5.

15 René Passeron, Encyclopédie du surréalisme, Paris, 1975, p.43-44.

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portraits de femmes, rendent compte d’un changement dans la pratique de Dallaire. Ces toiles semblent plus libres dans l’interprétation des sujets, plus gestuelles et plus matière .

Peu après son arrivée à l’atelier de Lhote, Dallaire rencontre Pellan dont la creation artistique impressionne grandement le jeune Dallaire. Selon plusieurs historiens, il va de soi que l’art de Dallaire trouve sa source dans l’oeuvre de Pellan. En effet, si on regarde ces deux productions, pourtant si originales et différentes plastiquement, on sent chez Dallaire la présence de Pellan. Ce qui demeure beaucoup moins visible et connu sont les rapports qu’ont entretenus ces deux artistes à Paris en 1939-40. On peut croire que leur rencontre et les rapports qui en découlent ont joué un rôle important dans l’orientation esthétique de Dallaire, ce qui pourrait expliquer certains de ses choix et de ses liens avec le surréalisme.

Pellan est en 1926 le premier boursier du gouvernement du Québec. Il s’embarqué pour la France où il vivra jusqu’en 1940. Paris vit au rythme trépidant de l’éclatement des courants d’avant- garde dont le surréalisme. Ce dernier mouvement influencera Pellan bien qu’il ne fasse pas partie du groupe. De retour au Québec, il se portera à la défense des poètes Apollinaire et Eluard ainsi que de Picasso et Breton16. A son arrivée dans la capitale française, Pellan a déjà une conception originale de l’art, il combine la figure humaine à des couleurs non descriptives17. De plus, sa conception de l’art comprend d’autres éléments majeurs qui sont l’importance du sujet, la fidélité à la forme et à la ligne qui seront, du reste, partagées par Dallaire. En effet Jean-René

16 Greenberg, Reesa, " Surrealist traits in the head of Alfred Pellan", Annales d’histoire de l’art canadien, 1976, p.55.

17 Greenberg, Reesa, "Pellan and Surrealism:Pellan’s Picascoid preference", dans De moura Sobral, Surréalisme périphérique, Montréal. UQAM, 1983, p.73.

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14 Ostiguy nous rappelle la perception qu’a Fellan des dangers qui menacent 1’art soit : "... 1’abandon du sujet, du metier consciencieux, du dessin. f f 1Ô

L’intérêt de Fellan pour l’art moderne ne se développera qu’en 1932 18 19 20 21 , année de deux expositions majeures à Faris. La première est celle consacrée à Van Gogh et l’autre, qui fit une forte impression sur Fellan, est consacrée à Ficasso. Dès lors, Fellan introduira des éléments puisés chez plusieurs modernes

21 Selon Germain Lefebvre, Fellan admire Van Gogh, Derain et Matisse pour les couleurs pures, les touches juxtaposées, les contrastes violents, la netteté et les larges surfaces saturées de tons en aplat. De Braque, il remarque la composition et enfin de Picasso, 1’invention et la virtuosité du dessin. Fellan assimile les maîtres de l’art actuel. Ostiguy partage également cet avis et ajoute que 1’esthétisme de Fellan fait essentiellement des emprunts au cubisme de Braque et de Picasso d’il y a vingt ans, mais que pour l’artiste, c’est une manière d’élargir ses horizons poétiques.

Fellan dira dans une entrevue accordée à Vie des arts: "Dans les années parisiennes, c’est 1’effort que j’ai fourni: tenter de passer par 1 ’ expérience de ces maîtres"22 . Fellan entend par maîtres principalement Picasso, ceux cités précédemment et aussi des surréalistes Dominguez et Ernst. L’assimilation de

18 Ostiguy, Jean-René, Les esthétiques modernes au Québec de

1916 à 1946, p. 103 .

19 Greenberg, R., Op. Cit.

20 Greenberg identifie ces artistes comme étant Matisse, Derain, Van Gogh et Braque. Picasso étant celui qui le marquera le plus profondément.

21 J’ ajouterai concernant Matisse la force de la ligne et le décoratif. Deux éléments que l’on retrouvera chez Dallaire.

22 " La queue de la comète Alfred Fellan témoin du surréalisme", Vie des arts, vol.23, no. 123, juin 1986, p.20.

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" l’art des autres" l’aide à développer son propre style. Le tracé à la plume, la synthétisâtion poussée, la puissance dans 1’expression et bien sur le coloris original caractérisent bien sou oeuvre. Cette même année (193 5) , il fera partie d’une exposition du groupe Forces nouvelles.

Dans ce même ordre d’idée, Ressa Greenberg souligne que Picasso sera le modèle retenu entre tous par Pellan pour plusieurs raisons dont une très intéressante : celle de ne pas être associé à un style unique23. En effet, Pellan dira: "L’art c’est la liberté intégrale ! Je veux rester Libre de travailler dans telle ou telle voie, comme je veux et quand je veux"*4 . Cet hymne à la liberté lui permettra d’aller tant dans 1 ’ exploration du cubisme de Picasso que du surréalisme. Puis son intérêt autour de 1935 se porte sur les recherches surréalistes d’Ernst qu’il commente ainsi : "Ce qu’il y a d’intéressant chez Max Ernst, c’est qu’il invente sans cesse à partir de peu de choses"25. Il ajoute plus loin en parlant des décalcomanies :

" (Ernst)...a su pousser à fond 1’exploration de ce qui n’était au départ qu’un procédé mécanique parmi d’autres... Ernst a développé le problème et a su en tirer parti d’une manière originale. Et le résultat est toujours satisfaisant sur le plan plastique"* .

Ressa Greenberg a relevé quelques données concernant le dessin de Pellan dans les années trente qui présente une production encore réservée bien qu’en mutation. Au début de cette periode on voit apparaître un motif pellannien qui est le tressage de lignes

23 Greenberg, R., "Pellan and surrealism...", p.74.

24 Vie des arts, Loc. cit., p. 20. On se souvient que Dallaire

partage cette même idée sur la liberté de l’usage des styles.

25 Ibidem

(21)

16 multicolores et les points de couleur appliqués à même le tube. A

la fin de cette même décennie, 1 ’ artiste proposera un art plus abstrait et organique. Ce sont ces deux tendances que Dallaire découvrira de son compatriote à Paris en 1939.

On constate un changement plus marqué dans sa production autour de 1934 qui devient plus abstraite, organique et vive'7. En 1935, notre artiste québécois s’intéresse autant à Picasso qu à Ernst et il fera, au café avec le groupe des surréalistes, quelques cadavres exquis26 . Cette même année, Pellan tiendra sa première exposition solo à la galerie Ranson de Paris. Il y présente Panier

bouclé (1933), Les cerises et Les poires vertes (1935).

L’art de Pellan restera jusqu’en 1937-38 : "Proche de la réalité malgré la liberté qu’il prend des apparences1,29 . On note que cette liberté des apparences, Dallaire 1 ’ adoptera très tôt dans sa production sans aucune difficulté. En 1938, Pellan réalise '1’oeuvre Sous-terre qui est surréaliste à caractère automatisée.

Cette même année, Pellan verra selon lui la meilleure exposition du groupe des surréalistes qu’il qualifie de transcendante.

Pellan connaît bien le mouvement surréaliste en périphérie duquel il se situe volontairement ne voulant pas etre exclusivement reconnu comme un surréaliste. Il a lu de la poésie surréaliste et les manifestes de Breton. Sa participation aux activités du groupe est plutôt passive. Pellan assiste à des discussions, voit des expositions et utilise certaines techniques propres au mouvement. Dans 1’entrevue accordée à Vie des arts , il dira :

27 Greenberg, R. '8 Vie des arts, 29 Lefebvre, G, Broquet, 1986, p.33.

"Surrealist trait in the head...", p.56 "La queue de la comète...", p.20.

(22)

"...j’ai fait de quelques taches expériences avec

intitulée Jardins

1’automatisme dirigé à partir de improvisées, que j’ai fait des le hasard. La série de tableaux

a été faite de cette manière"3 .

Pellan pense, tout comme les surréalistes de la première génération, que: "L’automatisme est seulement une première étape qui doit être suivie par une clarification de l’image évoquée par le processus automatisme"’1 . Il dira:

"Je déplore que le surréalisme ait favorisé 1’automatisme et accepté des oeuvres que je trouve trop faciles(...). Si on travaille avec des taches abstraites, il faut les humaniser ; c’est de cette façon seulement qu’on peut atteindre une dimension universelle"j2 .

Pour Pellan, une oeuvre se crée en trois étapes comme le rapporte Greenberg dans 1’ouvrage consacré au dessin de Pellan:

1èr* étape : exécution d’un petit dessin en noir et blanc.

2e étape: ajout de la couleur (encre, aquarelle, gouache, huile) suivi d’une couche de vernis.

3e étape: exécution du grand format, huile sur toile, à laquelle s’ajoute la texture et les motifs.

Le coloriage est arbitraire, la palette est limitée et sans caractère descriptif augmentant 1’abstraction.

La couleur ainsi ajoutée crée des formes différentes de celles définies par les lignes. Ces deux structures qui se superposent se rencontrent.

,)0 Vie des arts, Jl Greenberg, R. j2 Vie des arts,

Loc. Cît., p.20.

" Pellan surrealism.

Loc. Cit., p.20.

(23)

18 Enfin la technique de la troisième étape ne sera utilisée qu’en 1944-45, date de sa série de nus féminins monumentale et érotique.

Le processus de Pellan a une certaine analogie avec le processus surréaliste de création tel que défini par Breton, soit dictée par 1 ’ inconscient, réflexion sur ce qui a été projeté et finalement regroupement des elements afin de clarifier 1 image.

De plus, on peut faire un certain rapprochement entre la méthode de Pellan et celle de Lhote avec lesquelles Dallaire sera rapidement confronté. La connaissance pratique de ces méthodes soutient en quelque sorte la lecture que 1’artiste a fait en 1935- 36 de 1’ouvrage Modem Painting.

Pellan, on le sait, conçoit l’art comme étant la liberté et pour lui "... le surréalisme vise à la création d’un monde poétique illimité jamais vu. Il faut inventer quelque chose, un monde différent"33. Son rêve sera d’unir dans une même oeuvre le vieux cubisme au nouveau surréalisme.

Avec cet éclairage, on peut établir des rapports entre Dallaire et Pellan. Il semble que les deux artistes se fréquentent régulièrement durant une période qui s’étend sur une période de dix-huit mois. Dans une longue lettre adressée a son ami sculpteur, Henri Heyendahl, et datée du 1er mai 1940 Dallaire écrit ceci :

" Je ne suis pas allé aux atelier (sic) depuis presque une (sic) année demie Pellan m’a plus appris que tout autre. Il retourne au Canada ce moi

33

(24)

ci, (sic)... je dois reprendre sont (sic) atelier après son départ... "j4

Lorsque Dallaire rencontre Pellan, ce dernier a déjà participé aux expositions du groupe Forces Nouvelles^ présentées à la galerie Billiet Vorms à Paris. Ce groupe propose ce qui s’avère être avec le recul des années, 1’expression des principale^ caractéristiques de la jeune peinture française des années trente selon l’historien d’art Olszewski34 35 36. Sur le plan formel on assiste selon 1’auteur au retour du sujet, de la nature, et de l’homme bien qu’on y révèle une ambiguïté des sentiments qui laisse voir des craintes et des incertitudes. Lors de sa première présentation dans ce groupe, Pellan propose trois oeuvres : Nature morte à la lampe (1932), Nature morte à la palette (1933) et Femme assise (1935). Ces trois oeuvres répondent au programme qu’avait en commun le groupe soit: le respect de la perspective linéaire, 1’économie de moyens, la structure dense et une gamme chromatique réduite et

contrastée.

Dallaire quant à lui est un jeune artiste figuratif avide de connaissances et désireux de voir l’art moderne. Il en possède une bonne connaissance intellectuelle par ses lectures et discussions faites avec quelques pères Dominicains alors qu’il résidait à leur monastère de la rue Empress à Ottawa. Dès son arrivée à Paris, Dallaire participe à la vie culturelle française

34 Lettre de Dallaire à Heyendahl citée "Dallaire surréalisme et surréalité" dans L.

Surréalisme périphérique, Montréal, UQAM, 1983,

par Michel Chef f De Moura Sobral p.130.

35 Les expositions du groupe Forces nouvelles, ont eut lieu en 1935, 1936 et 1939 et Pellan a présenté des oeuvres lors de celles de 1935 et de 1939 qui portait comme titre Le deuxième salon de la nouvelle génération.

36 Olszewski, André, Forces nouvelles 1935,1939, Paris, d’art moderne de la ville de Paris, 1980, p.3.

(25)

20

et explore toutes les tendances artistiques qui ont eu cours depuis Cézanne et il puisera très tôt dans le mouvement surréaliste.

Il est intéressant de voir jusqu’à quel point ces deux artistes sont si proches dans la pensée artistique : la ligne, la forme, la composition ont créé des oeuvres originales et personnelles. Le premier apport de Pellan dans l’art de Dallaire est son utilisation de la couleur pure. Dumas rapporte 1’importance de cet élément comme suit:

"Il (Dallaire) eut la révélation soudaine de la couleur pure, il fut surtout très impressionné de voir un peintre canadien engagé aussi loin dans la voie des recherches picturales et brossant avec autant d’audace toutes ces toiles si vigoureuses et riches de tons."37

un effet

Toujours selon Dumas, cette immédiat dans les toiles en

révélation de la couleur a eu chantier de 1’artiste.

"Dallaire travaillait ce jour-là à une nature morte...le tout traité largement avec des cernes foncés et des dominantes grises* * **8 . A peine revenu de chez Pellan il se mit à couvrir cette nature morte de couleurs vibrantes comme celles qu’il avait admiré chez Pellan. Dès lors, son art devient totalement différent et s’évada pour toujours de 1 ’ oligochromie . "*5

personnel

A cela s’ajoute, selon monsieur Chef f, le caractère de sa production et le développement de la forme :

*' Paul, Dumas, Préface au catalogue de la rétrospective de

Dallaire.

*8 Le traitement monochrome gris lui vient d’André Lhote. ** Dumas , P., Op. Ci t. , p . 4 .

(26)

"Le contact avec Pellan (...) et la conviction de la primauté de la plastique picturale, mèneront Dallaire à une vision personnelle du monde et le propulseront dans 1 ’exploration et 1’articulation plastique de la forme et de la couleur"40 .

Reesa Greenberg note chez Pellan à 1’époque une préoccupation particulière pour la forme. Elle écrit:

"Lors de sa période parisienne, il (Pellan) s’intéresse d’abord aux problèmes formels... l’étude des personnes lui permet d’élucider les questions posées par la ligne, le volume, le ton et la lumière"41 .

On peut donc supposer que Pellan a fait part de ses préoccupâtions formelles à Dallaire, qui explorera, à son tour, jusqu’à la limite de 1’acceptable pour lui, soit une référence allusive a la réalité extérieure. Nous avons relevé aussi que les deux artistes peignent la figure humaine et la nature morte, très peu de paysage. L’absence de ce genre s’explique chez Pellan par son refus d’etre un artiste canadien. Pour Dallaire il est inaceptable d’être confiné à un genre et à un pays. L’art ne se limite pas au paysage mais s’ouvre sur une recherche picturale sans tenir compte d’une frontière physique. On pense ici au ravage du groupe des sept qui témoignait de leur nationalité à travers leur production pasyagesque, reflet des grandes étendues canadiennes. Il en va peut-être de même pour Dallaire, sachant qu’il partage l’avis de Pellan sur le processus individuel qu’impose une recherche picturale authentique.

On remarquera également la présence, à divers degrés, de 1’aspect décoratif dans leur composition. 1’histoire du motif

4u Cheff, M., "Dallaire: surréalisme et surréalité", p.132. ql Greenberg, R., Les dessins d’Alfred Pellan (1906-1988), Ottawa, Galerie nationale du Canada, 1980, p.33.

(27)

décoratif correspond à celle de 1’ornement. Les ornements sont des éléments (motif végétal ou géométrique) qui ajoutent à un ensemble et qui occupent une surface délimitée dans la composition. Ils pourraient être retranchés sans nuire au sujet principal. Selon 1’Encyclopédie universalis ces éléments ajoutés au décor se rattachent d’abord à 1’architecture puis aux objets avant de se retrouver dans la peinture par le biais des enluminures. Plus tard, on retrouvera avec Durer dans Le livre d’heure de l’empereur

Maximilien et par la suite dans l’Art nouveau 1’ornement où il

deviendra un motif décoratif de l’oeuvre. Chez Dallaire, le motif décoratif s’exprime de deux manières simultanément dans une même oeuvre. La première manière se traduit par la présence de petits motifs isolés: des oiseaux, de petits drapeaux et le rendu du matériau des tissus42 . De plus, certains de ces motifs décoratifs seront comme on le verra plus loin des images récurrentes de 1 ’ artiste tels les cartes à jouer, la bouteille de vin etc. La deuxième manière concerne 1’utilisation de la ligne (ornement géométrique qui date de la céramique néolithique) qu’il explore sous différentes formes. Les droites, les courbes, les arabesques, les hachures et les grilles seront présentes dans 1’ensemble de sa production. De manière plus générale, l’idée du décoratif s’exprimera dans la production de Dallaire par une représentation fantaisiste et poétique du sujet principal auquel peut se greffer un motif décoratif secondaire. Pellan quant à lui donne l’aspect décoratif davantage par des jeux avec la ligne. Pour eux, le décoratif sert de prétexte pour exprimer la texture et pour jouer avec la couleur.

Les deux artistes apprendront par la copie d’oeuvres ce que Pellan a appelé "passer par 1 expérience des maîtres". Chez Dallaire, 1’exemple le plus probant sont ses oeuvres à la Dali de 1940 qu’il qualifie de surréalisme littéraire exacerbé. A ce sujet,

^ Beaulieu, Claude, "Dialogue avec mon ami Dallaire", arts, no.9, noël 1957, p.19.

(28)

Anne-Marie Sioui considère cet exercice comme étant un contact direct avec le surréalisme qui permet: "...une tentative de libération des contrôles du conscient qui confirment l'artiste dans la transposition banale de la réalité..."4'3, ce qui ressemble à l’idée développée dans la leçon de Lhote. L’expérience est donc importante et Dallaire en est conscient. Il écrira dans sa lettre à Heyendahl: "J’ai fais (sic) du cubiste (sic), de l’abstrait, du réalisme au cubisme (sic). Il ne faut pas avoir peur de l’influence"* 44 45. L’influence des autres permet de progresser dans sa recherche picturale, d’explorer des émotions nouvelles.

Dallaire et Pellan témoigneront d’une grande admiration pour Picasso. Dallaire dira de lui qu’il est la preuve qu’on n’a "... pas besoin d’avoir le même style toute sa vie pour devenir grand"43. A leurs yeux, Picasso justifie leurs fréquents passages d’un style à l’autre. A ce moment-là, le surréalisme n’est qu’un moyen d’expression pour Dallaire qui désire tout explorer, tout connaître. Leurs productions fonctionnent très souvent par série et ils exploitent souvent le même thème et le même motif. On verra plus en détail l’utilisation de la série chez Dallaire dans le chapitre consacré à sa production.

Les deux artistes qualifient leur art de poétique et croient que leurs productions s’inscrivent non pas dans la tradition québécoise mais dans l’avant-garde québécoise. Selon Ostiguy, les deux artistes ont une production, à la fin des années cinquante, tout à fait comparable.

3 Sioui, Anne-Marie, Préface au catalogue de la rétrospective

de Dallaire, Montréal, Service des expositions itinérantes, Musée

d’art contemporain , Montréal, 1979, p.7. 44 Gheff, M. , Loc. Cit., p.130.

(29)

24 " Ne voit-on pas maintenant combien d’oeuvres

de Dallaire de la fin des années 1950 trouvent leur place à côté des grands tableaux de Pellan de la série des Jardins dont elles sont contemporaines"4” .

Il semble évident que les deux productions présentent beaucoup d’audace et témoignent du même individualisme créatif lorsqu’on regarde les séries des Jardins de Pellan et la série de 1957 de Dallaire.

De retour au Québec, Dallaire parle de Pellan en terme d’ami, mais il ne décrit pas la forme qu’a revêtu cette amitié, ni comment elle se développe dans le temps. Selon madame Dallaire, Pellan lors des soirées parisiennes parle peu de son art.4'

On aura pourtant remarqué que les liens stylistiques ne seront pas visibles uniquement en 1939-40; on en retrouve également "quelques traces durant les années cinquante comme l’a fait remarquer Ostiguy. Toutefois, il semble, selon un de ses étudiants, que Dallaire rend une visite à l’atelier montréalais de Pellan une fois l’an avec ses étudiants de l’école des beaux-arts de Québec.* 47 48 * Une étudiante de Dallaire affirme que ce dernier leur parle très souvent de Pellan en classe.45

D’autre part, il existe des différences d’importance entre .leur "genèse" respective. On sait que Dallaire a vécu à Hull

4” Ostiguy, Jean Dallaire et la tradition Québécoise, p.10. 47 Entrevue avec madame Dallaire fait le 8 novembre 1989 à Montréal.

48 Entrevue avec Yvan Landry qui fut un élève de Jean Dallaire, Québec, décembre 1989.

45 Conversation téléphonique faite à Québec en mars 1991 avec madame Gertrude Néron, étudiante de Dallaire à Québec entre 1947 et

(30)

et, avec 1 ’ artiste Henri Masson, il fait partie du caveau50. Pellan quant à lui étudie en art à Québec. De plus, Dallaire est un intuitif et un émotif tandis que Pellan est plus réfléchi. Dallaire plus que Pellan vouera toujours une certaine fidélité à la forme51 et à la couleur. Son art essentiellement figuratif conservera, même dans ses oeuvres plus abstraites, une référence plus ou moins allusive à la réalité extérieure.

L’aspect décoratif occupe une place importante dans l’art de Jean-Philippe Dallaire entre 1946 et 1952. Cette façon de faire est une influence directe de Jean Lurçat. Son stage avec ce maître lissier en 1949 lui permet d’approfondir une des techniques étudiées dans la revue Formes et couleurs de 1942. Dallaire, selon son habitude, a marqué d’un "X" le passage qui explique la méthode du "carton en noir et blanc et en numéro". On peut penser que l’artiste a transposé et utilisé cette façon de faire pour réaliser en 1947 ses dessins à la gouache, grand format illustrant les cours de l’Ecole des beaux-arts de Québec. Ces oeuvres (La céramique et

La tapisserie, La décoration et La publicité) seront sur les murs

de l’école rue St-Joachim dans le faubourg Saint-Jean-Baptiste de Québec. On se rappellera que Dallaire pense et réalise ses toiles jusqu’en 1952 en fonction de l’art mural qui: "... est le vrai rôle de la peinture qui doit pleinement adhérer à l’architecture... à côté de l’art mural la peinture de chevalet est décadente... la tapisserie d’Aubusson est à mon sens une clé pour la superposition des tons"52.

° Le caveau est le lieu où se retrouvent les artistes de la région Hull-Ottawa entre 1930 et 1940. Parmi eux, un dominicain, Masson, Dallaire, Heyendahl...

51 On entend par le terme forme la définition de Fernande Saint-Martin expliquée dans son livre La théorie de la gestalt et

l’art visuel, auquel nous renvoyons le lecteur. Cependant nous en

avons fait un résumé au chapitre 3 afin d'éviter toute confusion possible sur le sens du terme.

(31)

26

1.3 Présentation de la pensée surréaliste

Cette partie, consacrée au surréalisme pictural, tente de cerner les principaux traits caractéristiques du mouvement qui ont un rapport quelconque avec la peinture. Dans un premier temps on verra ce qu’est le surréalisme ; les fondements, la philosophie et 1’action ainsi que les méthodes de prospections du mouvement : rêve, humour, hasard, automatisme et les procédés picturaux les plus importants. Cela permettera d’identifier 1’oeuvre surréaliste (image-tableau) à partir des écrits de Breton et de quelques historiens d’art. On souhaite établir un parallèle entre la théorie présentée ici et le surréalisme de Ballaire. Le chapitre consacré à la production surréaliste de Dallaire, proposera une lecture de ses oeuvres en regard de son processus de création.

1.3.1 Les fondements

Le surréalisme se démarque largement des autres mouvements d’avant-garde par sa structure. Sa force réside dans la cohérence du discours et dans le choix de ses membres triés sur le volet par Breton. Ce dernier, chef de file du mouvement, possède le contrôle absolu (acceptation et répudiation ) de ses troupes et de la théorie. D’origine française, le surréalisme a connu du succès dans plusieurs autres pays dont la Belgique, le Mexique et le Québec. Son apport dépasse 1’esthétique pour toucher 1’individu et son rapport au monde extérieur. Le surréalisme vit d’espoir dans 1 ’ attente du retour de la vraie vie perdue que l’on se doit de retrouver. C’est un mouvement positif par son désir d’exister et d’aimer passionnément.

Par leurs travaux, les surréalistes désirent lever le voile sur la partie cachée de l’homme en explorant 1’inconscient et la folie, en provoquant un état hallucinatoire. Ils consultent des voyantes et étudient les dessins exécutés par des médiums.

(32)

hasard qui sont deux méthodes éliminant le "rationnel". La pratique de jeux dont celui du cadavre exquis, compte parmi d autres méthodes d’investigations issues de l’imagination surréaliste qui joue un rôle prépondérant dans l’histoire du mouvement.

Le surréalisme tel que défini par André Breton, son créateur, s’appuie sur plusieurs théories du 19e et du début du 20 siècle qui se sont penchées sur l’homme, la conscience, la folie, le rêve et la psychanalyse ,5’ Ainsi, Breton privilégie la théorie de Freud sur les libres associations et le rêve, celle de Myers sur la personnalité et le rêve, la philosophie hégélienne et sa notion de dialectique (on reviendra sur le sujet plus loin dans ce chapitre), celle de Maury dans son ouvrage Le sommeil et les rêves

(1861) et celle de Janet L’automatisme psychologique (1889) duquel Breton tirera sa définition du Surréalisme. En plus de ces ouvrages s’ajoutent des écrits sur l’ésotérisme, sur les sciences occultes et ceux de Marx.

Le surréalisme a également des liens importants avec le fantastique et le roman noir du 18e siècle "...dans l’émancipation du désir tel que vu dans les écrits de Lewis et Sade"53 54 , dans le romantisme allemand pour l’idée du supernaturalisme de Nerval et le surnaturalisme d’Hugo et enfin avec le symbolisme dans l’élaboration d’une pensée analogique à travers une image poétique

53 Robert, Bernard-Paul, Le surréalisme désocculté, Ottawa, Université d’Ottawa, 1975, 194 p.

54 Durozoi, Gérard et B. Lecherbonnier, Le surréalisme:

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"...où s’exprime le sentiment qu’il existe des correspondances entre les divers domaines du réel."55

Quant à sa filiation avec le mouvement Dada, qui le précède, on retiendra : 1’automatisme, les activités oniriques, les jeux collectifs, ainsi que 1’utilisation du hasard et du collage5*. Il semble, comme le fait remarquer Claude Abastado, que "...l’esprit d’aventure qui anime le 20e siècle pousse les artistes à trouver de nouveaux moyens pour traduire leur vision du monde. Pour légitimer son existence, le surréalisme revendique des liens avec d’autres formes d’art qui étaient jusqu’ici méprisées. Ain^i il valorise l’art primitif, l’art des visionnaires de toutes les époques antérieures et celui des fous.

Parmi les filiations citées, le rapport entre Breton et Freud s’avère important. La psychanalyse freudienne ouvre un secteur de la connaissance humaine jusqu’à ce jour ignoré dans 1’analyse des oeuvres d’art: "...notamment le souvenir d’enfance, les fondements psychiques de 1’expérience ou la mémoire collective.”56 57 Breton voit dans 1 ’ approche de Freud une possibilité de re ssourcement presqu’illimité et, pour les surréalistes, la possibilité de se libérer des contraintes socio-culturelles. L’univers surréaliste ne s’associe plus à la réalité extérieure mais plutôt au monde intérieur, approché par le rêve et transformé par la nouvelle définition que fait Freud de l’espace. Pour Marie Carani, "L’expérience de 1’espace qui est le corrélatif des arts

55 Abastado, Claude, Le surréalisme , Paris, Hachette, 1975, 165 .

56 Alexandrian, Sarane, L’art surréaliste, Paris, F. Hazan, c. 1969, p.2 6.

57 Abastado, Claude, Op. cit., p.65.

55 Carani, Marie, "Le principe freudien chez Borduas", L&

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visuels est décrite par la théorie Freudienne comme appartenant au domaine de l’inconscient."53 Cette transformation de l’espace serait à l’origine des transformations des valeurs' esthétiques qui sont alors orientées sur le contenu psychologique des formes dans un langage figuratif tel que proposé par les surréalistes français de la première génération ou encore dans le langage de la non- figuration avec Borduas et le groupe des automatistes.

Dans la pratique, les thèses surréalistes défendues par Breton seront incomprises par les artistes; l’histoire d’une infortune critique qui sera repris dans Le message automatique puis modifié dans Le surréalisme et la peinture. On pense ici au rôle de l’écriture automatique dont plusieurs "expérimentateurs" n’ont pas compris le sens de la dictée intérieure. La création d’une oeuvre d’art s’associe à la notion d’automatisme psychique qui est utilisée pour déjouer la pensée consciente. D’emblée, Breton se sert de l’analyse faite par Freud dans Un souvenir d’enfance de

Léonard de Vinci pour guider les surréalistes. Breton leur

conseille d’expérimenter "la leçon du vieux mur" proposée par De Vinci à ses étudiants, comme écran paranoïaque, c’est-à-dire le lieu de projection de leur inconscient. Cependant, il semble que Breton et les surréalistes n’ont pas la même compréhension des choses. Les surréalistes préféreront la subjectivité à l’objet extérieur et se référeront "aux structures compositionnelles de 1’inconscient."

Bien que cette méthode propose des images ayant peu de référentialité avec le monde extérieur, on note de la part des artistes une nécessité de rendre les choses plus reconnaissables. Cela oblige Breton à repenser sa méthode d’investigation. Ainsi, il re-formule une démarche logique en trois étapes; réalisation de l’oeuvre dictée par l’inconscient, réflexion sur ce qui apparaît

(35)

30

puis regroupement des éléments pour clarifier l’image. Cette méthode sera pour Freud sans intérêt puisque Breton évacue 1’aspect analytique (contenu du rêve) de la psychanalyse au profit de 1’imagination. L’opinion de Breton devient à ce stade divergente de celle de Freud bien que l’on reconnaît 1’apport de la psychanalyse comme élément déclencheur des premiers travaux des surréalistes. La psychanalyse propose également une ouverture sur la connaissance de soi investie dans 1’oeuvre d’art.

La spécificité surréaliste sera issue tant des recherches scientifiques que de 1’effervescence du milieu intellectuel existant. Marcel Jean souligne que son originalité vient du fait qu’il:'

"...tiendrait compte de la rencontre entre les travaux des auteurs qui avaient construit les nouvelles sciences psychologiques et les oeuvres romantiques et post-romantiques, qui de leur côté sondèrent poétiquement la subjectivité humaine. "6"

Sarane Alexandrian affirme que Breton désire utiliser le langage poétique pour explorer 1’inconscient. Selon elle, le surréalisme : "...établit une nouvelle relation entre le langage plastique et poétique en plaçant la poésie au centre de l’art..."61

La recherche des surréalistes vise à établir un contact entre l’homme et 1’univers. Ils souhaitent sortir des limites imposées par la logique et la raison. Pour ce faire, le surréalisme fait appel à une démarche heuristique, axée sur la quête et non sur la conquête. Par leurs recherches, ils veulent d’abord atteindre un idéal de la connaissance totale puis voir à la possibilité d’une

eu Jean, Marcel, Histoire de la peinture surréalisme, Paris, Seuil, c.1959 p.118.

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approche véhicule donc des valeurs chères aux surréalistes qui sont ainsi identifiées et définies par Alexandrian :

1- La beauté convulsive : Il s’agit de la beauté qui résulte d’un conflit aigu entre 1’immobilité et le mouvement. C’est une tension extrême de l’être, une agitation délirante tenue secrète.

2- Le hasard objectif : C’est un ensemble de coïncidences qui régissent une destinée. Il est intimement lié à 1’écriture automatique.

3- L’humour noir : Cette forme d’humour n’a rien de ricaneur, mais constitue au contraire une sorte de terrorisme pratique par ses sous-entendus tragiques.

4- L’amour fou : Il fait que l’amour de la femme rayonne dans la plupart des oeuvres surréalistes comme une divinité titulaire. On notera que la femme est mieux traitée en poésie qu’en peinture .°'

1.3.2 La philosophie surréaliste

Lorsqu’on aborde la question de la philosophie surréaliste on s’aperçoit que le sujet est fort complexe ; les critiques et historiens d’art Alquié, Abastado, Carrouges, Durozoi et Lecherbonnier ont des points de vue différents sur son origine et son interprétation. Cependant, il ressort que cette philosophie serait de type moniste: système où 1’ensemble des choses est réductible à l’unité. L’être est unité : matière et esprit, dans sa forme. Elle adopte parfois la dialectique, dans le sens du modèle hégélien du terme, soit la nécessité des contradictions unifiées dans une catégorie supérieure ; d’autre part, le dualisme dans la

°' Durozoi, C. et B. Lecherbonnier, Op. Cit., p.14-15. Alexandrian, Sarane, Op. Cit., p.118.

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32

reconnaissance d’une doctrine qui admet dans 1’univers deux principes premiers irréductibles. Finalement cette philosophie serait ésotérique, lorsque Breton fait appel aux sciences occultes telle la magie et 1’astrologie. De plus, Breton lui-même est assez difficilement saisissable dans la mesure où un certain nombre de contradictions, qu’il affirme nécessaires, sont présentes. L’analyse a montré que le surréalisme englobe ces trois propositions. Pour Michel Carrouges, le terme "philosophie" attaché au surréalisme est à comprendre non dans son sens scolaire, mais dans celui de "...l’intention d’une nouvelle prise de conscience de la vie assez bouleversante et assez efficace pour décider une action révolutionnaire en vue de la métamorphose de la condition humaine. 1,64 Selon Carrouges et Abastado, la philosophie surréaliste est une "doctrine" totale de 1’univers, de l’unité c’est-à-dire de l’homme dans la fusion de ses deux composantes ; le conscient et 1’inconscient. Durozoi et Lecherbonnier ajoutent qu’elle est d’un monisme absolu dans son désir de placer le monisme spirituel d’Hegel et celui du matérialisme de Marx sur le même pied d’égalité. Selon eux, les activités surréalistes sont orientées:

"...par la conviction que le jeu dialectique en permanence ouvert, et que reconnaître une fonction..à une seule matière ou à la seule pensée, c’est mutiler le réel et n’en retenir qu’une compréhension partielle . "°5

Ces mêmes auteurs développent la notion de "double présence" qui explicite la dialectique surréaliste :

"... ce qui semble divergent est en réalité porté vers un lieu de convergence... il n’y a ni positif ni négatif mais double présence et s’en tenir ...à * 65

°4 Carrouges, Michel, André Breton et les données fondamentales

du surréalisme, Paris, Gallimard, c.1967, p.159.

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un seul de ses versants c’est s’interdire la compréhension de la totalité..."0'1

des surréalistes est synthétique et non analytique. Il semble que cette vision analytique soit perçue par le groupe des surréalistes comme répressive. D’ailleurs, cette ancienne vision sera largement critiquée au tout début du 2e manifeste de Breton.

" ...il s’agit encore d’éprouver par tous les moyens et de faire reconnaître à tout prix le caractère factice des vieilles antinomies destinées hypocritement à prévenir toute agitation insolite de la part de l’homme. . . "6'

Abastado ajoute que de "...présenter les oppositions comme insurmontables invite à la résignation", état de chose que Breton dénonce dans sa vision de l’unité attachée à un point de 1’esprit qualifié de Suprême où les contradictions n’existent plus. Breton définit ainsi ce point :

" Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort , le réel et 1’imaginaire, le passé et le futur ... cessent d’être perçus contradictoirement. Or c’est en vain qu’on chercherait à 1’activité surréaliste un autre mobile que l’espoir de détermination de ce point. "°8

Ce point suprême, Carrouges 1’associe à la pensée ésotérique du Tao et du Zohar6” . Il le situe à:

00 Ibidem, p . 86 .

°' Abastado, C. , Op. Cit., p. 161.

00 Breton, André, Manifestes du surréalisme, Paris, Gallimard, c.1985 , p.72-73.

°9 Le Tao est un terme chinois qui signifie voie. C’est le lieu où les êtres et les choses entrent et sortent dans 1’absolu et qui correspond au yin et au yang. Le Zohar est, quant à lui, un livre

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34

"... une certaine hauteur de perspective capable par définition d’englober toutes les perspectives particulières...il désigne le point de la dialectique absolue qui ne se laisse soumettre à la primauté d’aucun élément du monde. Loin de s’opposer à tel ou tel autre point... il les englobe

Abastado ajoute que ce point, non abordé par Hegel, est cependant : " ...réel, vraiment surréel et central, situé à la fois dans la réalité subjective de la conscience et dans 1’univers extérieur."71 Durozoi et Lecherbonnier quant à eux, expliquent la notion de surréel comme :

"... étant un principe pas réduire à 1’irréel réel. Il se distingue montre sous un jour 1’irréel...élément de 1’existence humaine."”

immanent. Il ne se laisse et ne s’oppose donc pas au (du Réel) parce qu’il le nouveau. Il y intègre 1’imaginaire forme de

Cette notion de point suprême, développée en 1930, sera reprise par Breton dans L’amour fou (1937) puis commentée dans ses

Entretiens: " ...ce point, en quoi sont appelées à se résoudre

toutes les antinomies qui nous rongent...ne saurait aucunement se situer sur le plan mystique.'”'’ Breton lui-même nous aide ainsi à situer ce point autour duquel tout tourne et qui constitue la quête du surréalisme dans sa recherche de l’unité. Claude Abastado dira que Breton assimile et mélange deux traditions à la fois: celle

hébreu qui sert de base à 1’enseignement Kabbaliste. On y traite des mystères de la divinité, de la révélation et de la destinée humaine.

,v Carrouges , Michel, Op. Cit., p . 102 . Abastado, Claude, Op. Cit., p. 162.

” Durozoi,G. et B. Lecherbonnier, Op. Cit., p. 87.

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d’Hegel et celle issue de 1’ésotérisme, d’où la complexité de son discours.

Abastado poursuit sur d’autres liens possibles entretenus par le surréalisme, entre autres ceux qui le rapprochent du symbolisme issu du romantisme allemand. Selon lui, la démarche du symbolisme comme celle du surréalisme serait non pas logique mais analogique, car c’est: "... à travers les métaphores ... que s’exprime le sentiment qu’il existe des correspondances entre les divers domaines du réel."74

Abastado croit que la pensée surréaliste est "empirique : (sens étymologique ) elle est liée à 1 ’ expérience. Elle vise à rendre manifeste, par la relation du perçu et du senti, la vraie vie absente..."75. En ce sens, 1 ’ écriture automatique faisant appel au modèle intérieur et à 1’automatisme graphique permet de révéler la face cachée de l’etre. La peinture surréaliste rendra visible (sur la toile) par 1’automatisme graphique, ce qui était jusqu’à présent invisible car enfoui dans 1’inconscient.

En tenant compte des différences d’interprétation des critiques sur la philosophie surréaliste, il semble important de ne pas perdre de vue les notions qui expliquent 1’action et 1’oeuvre picturale. Car, comme le souligne Abastado, la philosophie surréaliste telle que vu par Breton diverge, en autres, de celle d’Hégel en privilégiant :

"... les puissances de 1’irrationnel sur 1’affectivité néglige le logos, le discursif au profit des phantasmes de 1’imagination et des associations libres... une éthique qui se révolte contre l’ordre collectif, contre l’histoire."75

'4 Abastado, Claude, Op. Cit., p.165. ,5 Ibibem, p. 166 ,

Ibidem, p.162.

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1.3.3 L’action surréaliste

o a

Le terme surréaliste apparaît pour la première fois en 1317 quand le poète Guillaume Apollinaire 1 ’emploie pour qualifier

Les mamelles de Tisésias 77 de "drame surréaliste" . Par la suite

et pour lui rendre hommage, Breton et Soupault 1’adopteront pour désigner : ". . .le nouveau mode d’expression pure que nous tenions à notre disposition et dont il nous tardait de faire bénéficier nos amis."77 78 *. Le résultat de cette nouvelle pratique sera le recueil de poésie de 1919, Les champs magnétiques (1919).

C’est en 1924, dans le premier manifeste du surréalisme de Breton, que le terme sera défini de façon définitive:

" Surréalisme : Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer soit verbalement, soit par écrit soit de toute autre manière le fonctionnement

réel de la pensée. Dictée de la pensée, en

1’absence de tout contrôle exercé par la raison, en

dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. Enclyclo philos : Le surréalisme repose sur la

croyance à la réalité supérieure de certaines

formes d’associations négligées jusqu’à lui, à la toute puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée . . .

Toutes les idées dominantes du surréalisme sont présentes dans cette définition. On constate aussi que la peinture fait partie de la catégorie "autre manière" ce qui témoigne à 1’époque du peu d’intérêt de Breton pour la peinture.

77 Waldberg, Patrick, Le surréalisme, Genève, Skira, 1962. Breton, André, Manifestes du surréalisme, p.35.

Ibidem, p.36. Les italiques sont de nous.

Figure

Tableau 3 Artiste: Jean-Philippe Dallaire

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