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James Tissot, peintre des récits évangéliques

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Academic year: 2021

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FACULTÉ DES LETTRES Département d'histoire de l'art

S Soo.s'

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5

ÏAMES TISSOT. PEINTRE DES RÉCITS ÉVANGÉLIQUES

SOPHIE DEPOT

Mémoire présenté pour l'obtention

du grade de maître ès arts (M.A.)

ÉCOLE DES GRADUÉS UNIVERSITÉ LAVAL

DÉCEMBRE 1992

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Résumé

La présente étude est consacrée au peintre nantais du XIXe siècle, James Tissot, et à son oeuvre d'inspiration biblique intitulée la Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Elle se veut une recherche sur la valeur artistique et historique de l'oeuvre.

Par diverses façons, James Tissot nous entraîne dans un univers réaliste, basé sur ses recherches archéologiques, typologiques et topographiques. En outre, une connexité s'installe entre les périodes picturales mondaine et biblique de sa carrière artistique, ce qui créera une oeuvre teintée d'influences de toutes parts. L'analyse de l'oeuvre religieuse se fera par un aperçu de la biographie de l'artiste, une recherche sur sa théorie de l'art biblique, un regard sur le contexte artistique, politique, social et religieux ainsi que sur la fortune critique du peintre, lesquels serviront à cerner les tendances picturales de l'artiste. Enfin, l'influence de l'œuvre religieuse de James Tissot dans le cinéma français et américain se retrouve en postface de ce mémoire.

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Remerciements

Dans le cadre d'une étude en histoire de l'art, les récits bibliques illustrés par James Tissot apparaissent comme une source quasi inépuisable de complexités tant théoriques qu'iconographiques. La collaboration de personnes compétentes m'a facilité la tâche et m'a permis de mener à bien cette présentation. L'élaboration de ce mémoire a été rendue possible grâce à mon directeur, M. David Karel, qui, par ses judicieux conseils d'historien de l'art, a su me diriger pertinemment dans la réalisation de cette recherche. Je tiens à remercier également la conservatrice du Brooklyn Museum, Mme Sarah Faunce, de m'avoir permis de consulter des oeuvres originales de James Tissot. Enfin, mes remerciements s'adressent aussi à A. M. Du Buit du Couvent des Dominicains à Paris qui m'a fait découvrir des tableaux inédits de l'oeuvre religieuse de James Tissot.

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TABLE DES MATIÈRES TOSEPH-fAMES TISSOT (1836-1902') PEINTRE DES RÉCITS ÉVANGÉLIQUES

Résnmé ...2

Remerciements ... 3

Table des matières ...4

Liste des figures ... ...6

INTRODUCTION ... 12

CHAPITRE I ESQUISSE BIOGRAPHIQUE DU PEINTRE TAMES TISSOT (1836-19021 1.1 Repères biographiques de l'artiste et ses influences stylistiques ... 16

1.2 Présentation de l'oeuvre biblique de James Tissot: la Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ ... 26

CHAPITRE II LES FONDEMENTS THÉORIQUES DE TAMES TISSOT 2.1 Une théorie fondée sur ses approches socioreligieuses et de réalité historique ...30

2.2 Quelques réflexions sur le thème de la vérité historique: un cas de réalisme versus la réalité... ...37

CHAPITRE IA LA DIVERSITÉ PICTURALE DES OEUVRES BIBLIQUES DE JAMES TISSOT

3.1 L'Orient et la Bible

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3.2 James Tissot orientaliste

3.2.1 Sur les traces du précurseur d'un Orient biblique, Horace Vernet ...46 3.3 L'archéologie dans l'oeuvre de James Tissot

3.3.1 Tentative archéologique de recouvrer

l'ére biblique ... 50 3.4 La mondanité retrouvée dans son oeuvre biblique

3.4.1 Renaissance de la peinture mondaine dans les oeuvres

bibliques de James Tissot ... 53 3.5 Le réalisme photographique de James Tissot

3.5.1 L'invention de la photographie: une nouvelle vision de la peinture et

le réalisme narratif de l'oeuvre... 57

CHAPITRE IV LA FORTUNE CRITIQUE DE L'OEUVRE RELIGIEUSE DE TAMES TISSOT 4.1 La polémique entourant son oeuvre:

reflet des préoccupations artistiques et

religieuses de l'époque ... ...62

POSTFACE

La portée artistique de l'oeuvre de James Tissot dans l'art

cinématographique ... ..72

CONCLUSION ... 82

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liste des figures

Kg. 1. James Tissot. Saint Jacques le Majeur et saint Bernard. V'. 1859. Peinture à la cire.

(Photocopie tirée de Williard E. Misfeldt. The Albums ofJames Tissot. Ohio, Bowling Green University Popular Press, 1982. p. 13).

Kg. 2. James Tissot. Saint Marcel et saint Olivier. V. 1859. Peinture à la cire.

(Photocopie tirée de Williard E. Misfeldt. The Albums of James Tissot. Ohio, Bowling Green University Popular Press, 1982. p. 13).

Kg. 3. James Tissot. Le Départ de l'enfant prodigue. 1862. Huile.

(Photocopie tirée de Michael Justin Wentworth. James Tissot, Catalogue Raisonné ofhis Prints. Minneapolis, éd. H. Peterson, 1978. p. 245).

Kg. 4. James Tissot. Le Retour de l'enfant prodigue. 1862. Huile sur toile. 115 x 205.7 cm. Collection Manney.

(Photocopie tirée de Michael Justin Wentworth et al. James Tissot 1836-1902. Barbican Art Gallery, 1984 et musée du Petit Palais, 1985. p. 141)

Kg. 5. James Tissot. Apparition médiunimique. 1885. Gravure à la manière noire. 48.8 x 34.2 cm.

(Photocopie tirée de Michael Justin Wentworth. James Tissot, Catalogue Raisonné ofhis Prints. Minneapolis, éd. H. Peterson, 1978. p. 294).

Kg. 6. James Tissot. Croquis exécutés durant son voyage à Jérusalem et ayant servis pour l'illustration de la Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ. 1886-1894.

Crayon et lavis d'aquarelle. 23.5 x 15 cm. Coll, particulière.

(Photocopie tirée de Maître Claude Boisgirard. Catalogue de vente de collection. Hôtel Drouot Richelieu. Paris. 1989. p. 13).

Kg. 7. Hyppolyte Lefebvre. Notre-Seigneur en croix, s.d.

Haut-relief. Recouvre voûte et arc triomphal, une surface de 475 m2. Paris, Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre.

(Photo de l'auteur e).

Kg. 8. James Tissot. Christ colossal ou Christ pantocrator. 1897. Huile sur toile. 98 x 168.5 m. Paris, Couvent des Dominicains. (Photo de l'auteure).

Kg. 9. James Tissot. La Fuite en Égypte. 1886-1894.

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(Photo tirée de James Tissot. La Vie de Notre-Seigoear Jésus-Christ. Tours, éd. Marne, P- 32).

Fig. 10. Gustave Guillaumet. Le Désert. 1867.

Huile. 110 x 200 cm. Musée du Louvre. Paris.

(Photocopie tirée de Phillippe Jullian. Les Orientalistes, la vision de l'Orient par les peintres européens au XIXe siècle. Suisse, Office du Livre, 1977. p. 63).

Fig.l 1. Horace Vernet. La Prise de la Smalah d'Abd el-Kader par le duc d'Aumale: les attatichs. 1845.

Huile. 135 x 88 cm. Paris. Coll. Naguib Abdalla.

(Photocopie tirée de Phillippe Jullian. Les Orientalistes, la vision de l'Orient par les peintres européens au XIXe siècle. Suisse, Office du Livre, 1977. p. 117).

Fig. 12. James Tissot. Rebecca Meets Isaac by the Way. 1886-1894.

Aquarelle et gouache sur papier. 29.6 x 18.9 cm. New York. Coll, du Jewish Museum. (Photocopie tirée de Yochanan Muffs et al. /./ames Tissot, Biblical Paintings. Catalogue d'exposition: The Jewish Museum, 10 février 1982. New York, 1982. p. 43).

Fig.13. James Tissot. Recommandations aux apôtres. 1886-1894. Aquarelle et gouache sur papier. New York, Brooklyn Museum.

(Photo tirée de James Tissot. La Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Tours, éd. Marne, p. 165).

Fig. 14. James Tissot. Nathanaël sous le figuier. 1886-1894.

Aquarelle et gouache sur papier. 25.7 x 15.4 cm. New York, Brooklyn Museum. (Photo de l'auteure).

Fig.15. Horace Vernet. Le Conteur arabe, s.d. Londres. Galerie Wallace.

(Photocopie tirée de Phillippe Jullian. Les Orientalistes, la vision de l’Orient par les peintres européens au XIXe siècle. Suisse, Office du Livre, 1977. p. 122).

Fig. 16. James Tissot. La Fille d'Hérodiade dansant. 1886-1894.

Aquarelle et gouache sur papier. New York, Brooklyn Museum.

(Photographie tirée de James Tissot. La Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Tours, éd. Marne, p. 168).

Fig. 17. James Tissot. St-Joseph. 1886-1894.

Aquarelle et gouache sur papier. 11.4 x 22.8 cm. New York, Brooklyn Museum. (Photo de l'auteure).

Fig. 18. James Tissot. Épreuve des prétendants au mariage de la Vierge. 1886-1894. Aquarelle et gouache sur papier. 22.5 x 19 cm. New York, Brooklyn Museum. (Photo de l'auteure).

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Fig. 19. James Tissot. Marie Madeleine avant sa conversion. 1886-1894.

Aquarelle et gouache sur papier. 13.6 x 27.6 cm. New York, Brooklyn Museum.

(Photo tirée de James Tissot. La Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Tours, éd. Marne, p. 204).

Fig.20. James Tissot. Émigrants. 1880.

Eau-forte et pointe sèche. 34.9 x 15.9 cm.

(Photocopie tirée de Michael Justin Wentworth. James Tissot, Catalogue Raisonné of bis Prints. Minneapolis, éd. H. Peterson, 1978. p. 194).

Fig.21. James Tissot. Séjour en Égypte. 1886-1894.

Aquarelle et gouache sur papier. 20 x 16.8 cm. New York, Brooklyn Museum. (Photo de l'auteure).

Fig.22. James Tissot. Le Capitaine et son second. 1873.

Huile sur toile. 53.3 x 76.2 cm. Collection particulière.

(Photocopie tirée de Michael Justin Wentworth et al. James Tissot 1836-1902. Barbican Art Gallery, 1984 et musée du Petit Palais, 1985. p. 28).

Fig.23. James Tissot. Boarding the Yatch. 1873. Huile. Londres. The Hon. P.M. Samuel.

(Photocopie tirée de Michael Justin Wentworth. James Tissot, Catalogue Raisonné ofhis Prints. Minneapolis, éd. H. Peterson, 1978. p. 121).

Fig.24. Henri Martin. Peinture murale pour la décoration d’une salle du Conseil d’État. s.d. Fragment.

(Photocopie tirée de Henri Focillon. La Peinture aux XIXe et XXe siècles, du réahsme à nos jours, Paris, éd. H. Laurens, 1928. p. 235).

Fig. 25. James Tissot. Le Départ. 1881. Gravure. 31.1 x 37.5 cm.

(Photocopie tirée de Michael Justin Wentworth. James Tissot, Catalogue Raisonné ofhis Prints. Minneapolis, éd. H. Peterson, 1978. p. 249).

Fig.26. James Tissot. En pays étranger. 1881. Gravure. 31.1 x 37.5 cm.

(Photocopie tirée de Michael Justin Wentworth. James Tissot, Catalogue Raisonné ofhis Prints. Minneapolis, éd. H. Peterson, 1978. p. 251).

Fig.27. James Tissot. Le Retour. 1881. Gravure. 31.1 x 37.5 cm.

(Photocopie tirée de Michael Justin Wentworth. James Tissot, Catalogue Raisonné ofhis Prints. Minneapolis, éd. H. Peterson, 1978. p. 253).

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(Photocopie tirée de Michael Justin Wentworth. James Tissot, Catalogue Raisonné of bis Prints. Minneapolis, éd. H. Peterson, 1978. p. 255).

Fig.29. James Tissot. Waiting for the Ferry. V. 1880. Huile. Mme Viva King. Londres.

(Photocopie tirée de Michael Justin Wentworth. James Tissot, Catalogue Raisonné of bis Prints. Minneapolis, éd. H. Peterson, 1978. p. 225).

Fig. 30. James Tissot. Waiting for the Ferry. V. 1880. Photographie. Marita Ross. Londres.

(Photocopie tirée de Michael Justin Wentworth. James Tissot, Catalogue Raisonné of bis Prints. Minneapolis, éd. H. Peterson, 1978. p. 225).

Fig.31. James Tissot. En plein soleil. 1881. Eau-forte et pointe sèche. 19 x 29.7 cm.

(Photocopie tirée de Michael Justin Wentworth. James Tissot, Catalogue Raisoimé of bis Prints. Minneapolis, éd. H. Peterson, 1978. p. 235).

Kg.32. James Tissot. En plein soleil. 1880. Photographie.

(Photocopie tirée de Michael Justin Wentworth. James Tissot, Catalogue Raisonné of bis Prints. Minneapolis, éd. H. Peterson, 1978. p. 234).

Kg.33. James Tissot. Photographie de James Tissot du haut du mont sur lequel le sermon a été prononcé. 1886-1894.

(Photocopie tirée de Cleveland Moffett. J.J. Tissot and bis Paintings of the Life of Christ. McClure's Magazine, vol. XII, n° 5, Mars 1899. p. 386).

Fig.34. James Tissot. Le Sermon sur la montagne. 1886-1894.

Aquarelle et gouache sur papier. 20 x 16.8 cm. New York, Brooklyn Museum. (Photocopie tirée de Cleveland Moffett. J. J. Tissot and bis Paintings of the Life of Christ. McClure's Magazine, vol. XII, n° 5, Mars 1899. p. 387).

Fig.35. James Tissot. Tremblement de terre. 1886-1894.

Aquarelle et gouache sur papier. 20 x 16.8 cm. New York, Brooklyn Museum.

(Photo tirée de James Tissot. La Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Tours, éd. Marne. p. 200).

Fig. 36. James Tissot. Ce que voyait Notre-Seigneur Jésus-Christ du haut de la croix. 1886- 1894.

Aquarelle et gouache sur papier. 20 x 16.8 cm. New York, Brooklyn Museum.

(Photo tirée de James Tissot. La Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Tours, éd. Marne, p. 190).

Fig. 37. Charles Huot. L'Enfer. V. 1890.

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(Photocopie tirée de Jean-René Ostiguy. Charles Hnot. Ottawa. Galerie nationale du Canada, musées nationaux du Canada, 1979. p. 15).

Fig.38. James Tissot. Les Noces de Cana à Gallilée. 1886-1894.

Aquarelle et gouache sur papier. 26.3 x 23.4 cm. New York, Brooklyn Museum. (Photo de l'auteure).

Fig.39. D.W. Griffith. The Miracle at Cana. Séquence filmique du film Intolérance. (Photocopie tirée de Edward Wagenknech et Anthony Slide. The Films of D. W.

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L'image religieuse est le plus beau miroir dans lequel l'homme ait jamais cherché sa ressemblance. C'est dans l'image religieuse que l'Art a le mieux conservé, depuis des milliers d'années, la figure tangible et l'expression spirituelle des âges morts et des races disparues, et la dernière venue des religions, celle qui nous va si tendrement au coeur, n'a pas cessé un instant, pour ainsi dire, depuis son éclosion, d'être passionnément illustrée; l'interprétation plastique des sujets sacrés n'a souffert aucune interruption; l'ardeur des fidèles ne s'est contentée d'aucun idéal une fois atteint, car la diversité illimitée des combinaisons de l'art rajeunissait toujours les thèmes rituels de l'Écriture, et chaque nation, chaque époque les a traduits, selon son intime génie, avec les matériaux qu'elle avait à sa portée.

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INTRODUCTION

Les formes de l'art religieux européen de la fin du XIXe siècle prirent un tournant iconographique et structurel dans les représentations des récits bibliques. Nombreux sont les peintres de cette fin de siècle qui ont tenté de renouveler ces représentations en y insufflant un caractère dit de « réalisme historique » ou « archéologique », teinté d'orientalisme, et, en Foccmrrence, lié aux tendances artistiques et morales de l'époque. En dépit de ce mouvement artistique religieux considérable, les études de ces oeuvres se font exceptionnellement rares et même, jusqu'à un certain point, inexistantes. D'ailleurs, ces représentations de l'art religieux sont souvent qualifiées de simples illustrations documentaires des sites bibliques et on considère parfois qu'elles ne s'élèvent guère au rang de l'art. C'est ce que suggère Michael J. Wentworth en parlant des illustrations de James Tissot. Il n'en demeure pas moins que ce mouvement relève d'une tendance artistique majeure de l'art religieux de la fin du XIXe siècle et qu'il dissimule aussi bien une documentation abondante que des complexités artistiques et religieuses certaines. Nombreux sont les peintres qui ont collaboré activement au sein du mouvement pour renouveler cet art. Alexandre Bida (1823-1895), un des premiers peintres à métamorphoser complètement l'iconographie chrétienne en illustrant les Saints Évangiles, et James Tissot (1836-1902) en présentant la Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ et l'Ancien Testament, tous deux suivant les traces d'Horace Vemet, sont parmi les artistes les plus prolifiques du mouvement. Malgré que le XXe siècle accorde un renouveau de curiosité à la peinture oubliée du XIXe siècle, en fait de recherches sur l'oeuvre religieuse de James Tissot on ne compte que divers articles condensés dans les revues spécialisées ou dans les journaux, tout à fait à l'opposé de ce que nous pouvons consulter sur son oeuvre mondaine qui suscite aujourd'hui un vif intérêt de la part des historiens de l'art et des collectionneurs. C'est donc à travers Foeuvre de James Tissot, illustre représentant du mouvement artistique religieux de l'époque «pi enrichit cet univers pictural par un oeuvre d'envergure, que cette étude tentera de cerner le

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contexte de l’époque ainsi que l’apport du peintre à ce mouvement, sa conception théorique de l'art, ses orientations et ses influences.

En premier lieu, il était important de faire connaissance avec l’auteur de ces compositions bibliques afin de permettre une meilleure interprétation de son approche. Ainsi, les repères biographiques du peintre mettent en évidence les diverses tendances stylistiques que nous retrouvons dans son oeuvre tant mondaine que biblique. Loin d'être une biographie exhaustive, où tous les faits se suivent chronologiquement, l'étude biographique met l'accent sur les événements circonstanciels de ce tournant décisif vers une pratique artistique renouvelée.

Un approfondissement de la théorie du peintre, pour mieux cerner la subtilité par laquelle il distingue la réalité du réalisme ainsi que l'effet pictural résultant de cette différenciation, nous paraît essentiel en seconde partie. Cette théorie nous amène à percevoir les variantes en termes artistiques mais aussi en termes de conscience de la fragilité d'interprétation de l'histoire biblique. De plus, le dessein de cerner l'oeuvre religieuse de James Tissot à travers toute la complexité des expressions picturales incorporées dans les différents tableaux ne vise qu'une parcelle infime de l'oeuvre en entier. D'autre part, la structure même de l'iconographie religieuse pourrait être matière à réflexion dans les oeuvres de Tissot, se situant dans un corpus où l'on retrouverait l’historique de la rhétorique chrétienne, mais ceci n’est point le but de ce mémoire. Outre cela, l'oeuvre religieuse comporte parfois des scènes surnaturelles; elles ne seront pas traitées dans cette recherche puisqu'elles s'éloignent de la tendance théorique de la plupart de ses compositions picturales. Ces visions, dont la source est probablement des textes d'inspiration mystique, ne semblent correspondre à rien de ce qu'il illustra en général. Une annotation du journal des Concourt particularise d'ailleurs ces tableaux:

Une chose qui me frappe, qui m'étonne, c'est chez ce fervent de l'occultisme, ce spirite, cet évocateur d'esprits, c’est qu'il ne réussit que ce que lui apporte l'observation des choses de la réalité, qu'il n'a pas

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l'invention des choses visionnées, l'imagination des apparitions, et que le surnaturel de ses compositions est très médiocre; ainsi, ce sommeil de Jésus entouré d'anges bleus tendant vers lui leurs mains indigo et qui, avec leurs petites flammes au front, font l'effet d'une queue de paon1.

Un autre aspect développé dans ce mémoire est l'appartenance de Tissot au réalisme et au naturalisme dans la mesure où ils étaient influencés par l'invention de l'époque, la photographie. Cet aspect, qui assure un lien avec sa théorie de l'art religieux, concordera avec l'influence des oeuvres religieuses dans le milieu cinématographique. En effet, quatre réalisateurs, français et américains, s'appuieront sur le réalisme des illustrations de James Tissot

dans le but de recréer des passages de la vie du Christ. Cette influence sera traitée en postface de ce mémoire étant donné qu'elle ne rejoint pas directement la pratique picturale du peintre mais plutôt l'influence que l'artiste, par son réalisme historique, a exercée.

L'étude de la fortune critique de James Tissot, qui se veut un reflet des orientations morales et artistiques de l'époque, ne pourrait être réalisée sans une compréhension plus globale de l'oeuvre et de l'époque. Les critiques, qui sont plus que de simples écrits factuels, orientent la pensée sur l'art religieux. Aussi, l'expression plastique renouvelée des thèmes bibliques du peintre a notamment provoqué plusieurs controverses. L'intolérance de certains artistes et critiques face au réalisme historique a fait surgir plusieurs écrits condamnant l'oeuvre. Par contre, d'autres y ont vu un certain intérêt: il leur semblait révélateur d'une expression artistique renouvelée, modernisée et humanisée. Les convictions religieuses des critiques et des artistes auront aussi eu des répercussions sur le degré de tolérance et d'ouverture d'esprit face à l'oeuvre de Tissot et conséquemment, au mouvement qui s'y rattache.

Enfin, Ernest Renan annotait à propos du sentiment religieux en littérature dans les

1 Edmond et Jules Concourt, Concourt journal: mémoires de la vie littéraire n° 4, Paris, 1935, p. 491.

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Origines du christianisme en 1877: « La vie de Jésus obtiendra toujours un grand succès quand un écrivain aura le degré d'habileté, de hardiesse et de naïveté nécessaire pour faire une traduction de l'Évangile en style de son temps2 ». Appliquée à l'exercice pictural, cette réflexion pourrait être certes la marque de la génération de Tissot qui s'est plu, lui aussi, à esquisser les Évangiles « en style de son temps » définissant, du même coup, une tendance picturale majeure de l'époque.

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CHAPITRE I ESQUISSE BIOGRAPHIQUE DU PEINTRE TAMES TISSOT (1836-1902)

1.1 Repères biographiques de l'artiste et ses influences stylistiques

Peintre au caractère complexe et ambigu, James Tissot jouit d'une forte notoriété dans les milieux artistiques au XIXe siècle. Malgré qu'il tombât dans l'oubli et qu'il y soit resté de longues années après sa mort, les historiens de l'art du XXe siècle redécouvrent la séduction, les valeurs artistiques et documentaires de l'oeuvre de la vie mondaine de James Tissot. Le peintre, qui analysait la société d'une classe relativement mondaine avant de nous donner les illustrations de la Bible, a produit avec fidélité des documents picturaux qui démontrent les goûts et les modes d'une époque. Mais plus qu'un simple illustrateur, Tissot s'investira dans son art jusqu'à nous donner les signes d'une vie remplie de curiosités de toutes sortes, incluant même des passages autobiographiques.

Né le 15 octobre 1836 à Nantes (Loire-Atlantique), Joseph Jacques Tissot, issu d'une famille franc-comtoise, se distingua dans le monde artistique en tant que peintre, dessinateur, aquafortiste et modeleur. Arrivant à Paris vers le milieu des années '50, il suivit une formation traditionnelle à l'École des Beaux-Arts à compter d'avril 1858, et fut l'élève de Louis Lamothe (1822-1869) et d*Hippolyte-Jean Flandrin (1809-1864), deux disciples d’Ingres1. C'est dans ces ateliers qu'il fit la rencontre de Degas, de Whistler et de l'écrivain Alphonse Daudet, formant ainsi des amitiés de longue durée. Une réciprocité des influences picturales s'établira entre ces artistes. Dès son premier Salon en 1859, l'artiste plongea dans l'éclectisme en vogue à cette époque. Il se concentra sur des thèmes religieux; deux oeuvres de cette tendance, Saint Jacques Je Majeur et saint Bernard (fig. 1) et Saint Marcel et saint Olivier (fig.2),

1 C'est avec Hippolyte-Jean Flandrin qu'est né un renouveau dans l'art religieux décoratif de par son sentiment religieux. Les ensembles de peintures murales de Saint-Germain des Prés exécutés entre 1856 à 1861 et de Saint-Vincent de Paul sont admirablement imprégnés de ce sentiment religieux.

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peintures à la dre destinées à orner les vitraux de l’église de Nantes, lui valurent des critiques de moindre considération. L’héritage pictural de son maître Flandrin transparaît dans ces premières oeuvres qui rappellent le caractère archaïque des tableaux du maître. Un compte rendu dans la Gazette des beaux-arts corrobore cette pensée que l'on a eue des premiers tableaux de Tissot: < Dans le genre du pastiche archéologique, une mention est due à M. J. Tissot, [...} qui, dans deux peintures exécutées à la dre et d'une tonalité éteinte et mate, [...] paraît avoir compris les leçons de son maître, M. Flandrin. La Promenade dans la neige est aussi une réminiscence d'un assez piquant archaïsme. M. Tissot aurait dû naître au temps où l'on enluminait des missels2 ». Au Salon de 1865, on écrit encore les mêmes annotations sur son genre pictural: « M. James Tissot, longtemps enfermé dans le magasin de curiosités de l'archaïsme3 4 ».

Quelques années plus tard, soit en 1861, l'artiste obtint du succès grâce à la reconnaissance de l'État qui lui acheta une première toile intitulée Faust et Marguerite, sujet théâtral de Goethe. Une série de sept tableaux reprendra ce thème. L'auteur Misfeldt qualifie les toiles de Tissot de « plutôt " vieux jeu ", plusieurs d'entre elles représentant des thèmes médiévaux peints avec une exactitude presque archéologique^ ». Dans ces oeuvres, l'influence du baron Henri Leys (1815-1869), peintre anversois confiné dans le style médiéval, « au romantisme historidsant, à la fois archéologique et poétique » surplombe l'ambiance par « le genre résurrectionniste5 ». De plus, « chez Leys, à travers l'humanisme et l'archéologie, on sent la recherche de la vérité physionomique des visages et des milieux6 ». L'artiste fut aussi

2 Paul Mantz, " Salon de 1859 ", Gazette des beaux-arts, juin 1859, p. 272. 3 Paul Mantz, " Salon de 1865 ", Gazette des beaux-arts, juillet 1865, p. 11-12.

4 Gérald Blanchard, Catherine Legrand, James Tissot 1836-1902, musée des Beaux-Arts de Besançon, 1985.

5 Alfred de Lostalot, " le Musée des arts décoratifs. Exposition de MM. Le Comte Lepic et James Tissot ", Gazette des beaux-arts, mai 1883, p. 451.

6 Henri Fodllon, la Peinture aux XIXe et XXe siècles, du réalisme à nos jours, Paris, éd. H. Laurens, 1928, p. 36.

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attiré par une certaine « pédanterie historique » dans ses allégories dont la Danse de la mort de 1860, qui révèle éloquemment l’empreinte de Leys. Il cessa de peindre des motifs religieux vers 1863, à la suite du Salon de la même année, lorsqu'il présenta le Départ et le Retour de l'Enfant prodigue, (fig. 3-4) toujours du genre de Leys. Le Retour de l'Enfant prodigue fut, en outre, inspiré par la Légende de sainte Ursule de Carpaccio (v. 1455-65-v. 1525), peintre dont Tissot s’était épris d'admiration lors de son bref voyage à Venise.

Néanmoins, l'artiste abandonnera les ressources de l'archéologie pour quelques années - puisqu'il n'y reviendra que lors de la réalisation de ses oeuvres bibliques - pour s'illustrer dans des compositions quelque peu idéalisées évoquant la société parisienne moderne du XIXe siècle et celle de l'époque victorienne. On disait de cet artiste: « Il sera, dans sa période la plus séduisante, un artiste mondain, un dandy amoureux des femmes à la mode, le peintre des ambiances proustiennes, des sentiments ambigus? ». Nombreux sont les auteurs qui ont traité de cette période. Willard E. Misfeldt, David S. Brooke et Michael J. Wentworth entre autres, se sont penchés sur la carrière mondaine de l'artiste, apportant plusieurs précisions qui nous ont permis de redécouvrir un artiste oublié.

De cette période picturale se dégage déjà une complexité dans les scènes choisies. Réaliste du XIXe siècle, James Tissot emprunte ses sujets picturaux à la vie moderne, contrairement à ses inspirations premières. Empreint du lyrisme et des habitudes de vie des gens d'une certaine classe de la société, son réalisme ne tient pas dans la lignée d'un réalisme à la Courbet - malgré qu'il ait été fortement influencé par « le réalisme des années I860 et par l'impact de Courbet® » - mais plutôt dans celle d'Alfred Stevens que Tissot avait rencontré. Le parallélisme établi entre Stevens et Tissot concerne l'image de la femme du second Empire 7 8

7 Blanchard, op.dt., p. 2.

8 Michael J. Wentworth, James Tissot, Catalogue Raisonné of his Prints, The Minneapolis Institute of Arts, Minneapolis, 1978, p. 42.

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puisqu'ils accordaient, l'un et l'autre, une nette importance à son charme, à sa féminité et à ses sentiments. En fait, « l'image de la mondanité moderne9 >, enveloppée parfois d'un accent d'autrefois mais parsemée de touches fraîches, captive ces deux peintres. De sa période parisienne, nous retenons divers portraits qui figurent parmi ses succès artistiques. Portrait de M^e L. L... (Jeune Femme en veste rouge) de 1864, tableau du musée d'Orsay, est caractéristique de cette période. L'influence de Degas est ressentie dans ce tableau tout particulièrement par le choix des décors, de la pose et du style. Malgré son académisme apparent, Tissot fut fortement influencé par des artistes tels que Stevens et le peintre hongrois Munkâcsy qui oeuvraient dans un style académique entremêlé de facture impressionniste. Manet l'incitera probablement à des tendances picturales différentes.

Sa période parisienne n'est cependant que de courte durée comparativement à ce qu'il entreprendra à Londres. L'artiste, suite à la guerre franco-prussienne et après une participation active à la Commune en 1870-1871, quitta Paris pour s'exiler dans la banlieue londonienne de St. John's Wood jusqu'en 1882. À cette époque, où l'Angleterre attirait déjà plusieurs peintres dont Cazin, Legros et Besnard, Tissot fit la connaissance de Thomas Gibson Bowles, qu'il avait déjà côtoyé lors du Siège de Paris. Bowles, éditeur de la revue satyrique des années 1860 Vanity Fair, introduisit Tissot dans le monde de la caricature. L'artiste esquissa les traits de souverains et d'hommes d'État pour ce nouveau magazine.

La période anglaise de Tissot fut des plus remarquables. S'initiant à la gravure aux cotés de Francis Seymour Haden (1818-1910), beau-frère de Whistler, l'artiste imagina et réalisa des pointes sèches qui connurent un succès considérable, notamment Maroumeen, la Fileuse et Sur la tamise et qui furent exposées à l'Exposition universelle en 1889. Cette ardeur vouée à la

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gravure fut probablement inspirée de l'extraordinaire série de la Tamise de Whistler qui parut l'année même où Tissot arriva en Angleterre. L'artiste s'initia également à la gravure de reproduction, calquant ainsi ses propres peintures. Cette technique fut développée par plusieurs peintres dont Manet, Pissarro et Degas.

L'artiste vécut pleinement en Angleterre et d'ailleurs « son anglomanie était si profonde qu’il se fit appeler James dès 1859*** ». S'installant à St. John's Wood, il fit la connaissance de Kathleen Newton, qui joua un rôle éminent dans sa vie et sa carrière artistique, réduisant par contre, selon Henri Zeraer, « la sophistication de ses motifs ». Obsédé par son image, l'artiste la peindra sous différents aspects. Accompagnée de sa soeur et de ses nièces, Kathleen Newton se retrouvera dans des décors souvent empruntés à celui des jardins du peintre à St. John's Wood. Le peintre s'appliqua à mettre en scène de subtils tensions psychologiques et entoura les personnages d'un cadrage particulier. Scènes d'adieu, de poésie, d'humour, scènes nautiques ou de gares témoignant d'un passé vécu près de ces environs, sont « envahies de références personnelles*^ ». Londres influença longuement Tissot dans le traitement de ses toiles. Plusieurs critiques en témoignent: « M. Tissot, un anglomane convaincu, toujours à la mode de Londres* % ». De plus, Tissot s'est vu donner le qualificatif de documentaliste par le réalisme de ses oeuvres. Le catalogue de l’exposition au Petit Palais de 1985 insiste sur cet attribut: « Tissot est l'indispensable référence du documentaliste pour les manuels sur l'Empire britannique, les jaquettes des romans victoriens, les albums illustrés sur la mode ou le mobilier, voire les couvercles de boîtes de chocolats*3 ». * 11

10 Collectif, James Tissot, Barbican Art Gallery, 1984, musée du Petit Palais, 1985, p. 65. 11 Henri Zeroer, " James Tissot, de l'Angleterre victorienne au Paris de Marcel Proust ", l'Oeil, avril 1968, p. 26.

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Consacré en Angleterre au milieu de sa carrière artistique, à l'époque où des critiques, comme John Rustin, l'admiraient pour sa dextérité, sa brillance et son travail scrupuleux, Tissot mit fin à sa carrière anglaise et retourna à Paris suite à la mort de Kathleen Newton en 1882. Edmond Concourt qui eut sa visite lors de son arrivée nota dans son journal: « Visite, ce matin, de Tissot arrivé dans la nuit d'Angleterre et qui me dit, dans la conversation, être très affecté de la mort de la Mauperin anglaise, qui, déjà bien souffrante, lui avait servi de modèle pour l'illustration de mon livre [René Mauperin]1* *.

S'abandonnant au spiritisme et au mysticisme qui l'intéressaient depuis tant d'années et espérant retrouver celle qui avait partagé sa vie, il se joignit au médium très célèbre, William Eglinton. Une gravure de Tissot, datée de 1885, révèle cette connaissance. Peu de temps après avoir illustré la Femme à Paris avec l'intention de marquer son retour à Paris, il se tourna vers la peinture biblique, qu'il avait délaissée depuis quelques années, dans une orientation picturale et un but différents. L'origine des circonstances le menant à une « redécouverte » de l'art religieux est restée nébuleuse. Nous disons « redécouverte » puisque ses premières oeuvres sont rebées à des thèmes tendant vers un certain sentiment rehgieux, une certaine morale que nous retrouvons très tôt dans des oeuvres comme Voie de fleurs, voie de pleurs, Faust et Marguerite, les Vêpres, le Confessionnal et les représentations de l'Enfant prodigue. Plusieurs auteurs ont écrit sur ce fait mais retenons ici l'investigation de Michael J. Wentworth qui attribue au manque de critiques favorables au sujet de ses illustrations de la Femme à Paris et à une mystérieuse vision à l'église Saint-Sulpice, l'achèvement de sa carrière artistique mondaine.

Une première gravure de 1884-1885, reflétant ses préoccupations, intitulée l’Apparition médiunimique [ou médianimique] (fig. 5), gravure à la manière noire, témoigne 14

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d'un changement de thèmes picturaux pour l'artiste. Mettant l'accent sur la richesse picturale du christianisme, le peintre quitta Paris pour se recueillir dans une contrée qui émerveilla plus d'un artiste. C'est donc en Terre sainte qu'il entreprendra de conquérir une certaine vérité sur l'atmosphère biblique tout comme « Decamps et Bida, (...) [qui] ont reconnu, de temps à autre, dans les Syriens d'aujourd'hui, les patriarches et les prophètes d'autrefois11* ». Tissot part avec l'intention de reconquérir « cette terre où dorment le charpentier Joseph et des milliers de Nazaréens oubliés1 & ». Commencé le 15 octobre 1886, le volume qu'il s'est donné pour but d'illustrer sera titré « life of our Lord Jesus Christ. By a Pilgrim of the Holy Land ». Un cahier de croquis sera exposé lors de l'exposition du Champ de Mars en 1894.

Recommençant « en peintre le pèlerinage extasié que Renan avait accompli en historien15 16 17 18 », il parcourut l’Égypte, la Syrie, la Judée, la Palestine et le Liban qui l'inspirèrent dans son approche teintée de réalisme historique. Il entreprit de réaliser son oeuvre sur une base de données véritables et concrètes, « d*humaniser l'iconographie chrétienne ». De son premier séjour, qui remonte en 1886-1887, Tissot rapporta de nombreux renseignements sous forme de notes, d'observations sur la Palestine et d'esquisses (fîg. 6) déchiffrant, avec une touche gestuelle, divers événements1^. Il y retourna une seconde fois, en 1889, pour achever son oeuvre en apportant un appareil photographique. Les photographies tirées de ce séjour, dont l'état actuel n'est pas connu à part quelques-unes, nous donnent la mesure de l'approche réaliste recherchée par l'artiste.

15 Georges Lafeneste, " les Salons de 1894 ", Revue des deux mondes, juin 1894, p. 653. 16 Renan, op. dt., p. 11.

17 Lafenestre, loc. cit., p. 653.

18 131 croquis réalisé au crayon et au lavis d'aquarelle ont fait l'objet de spéculations à l'Hôtel Drouot de Paris en 1989. Ces croquis vendus au coût de 18 000 $ représentent une source de documentations particulières qui pourraient donner naissance à maintes études sur leur caractère gestuel en relation avec le caractère " photographique " de l'oeuvre achevée du peintre.

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Une dizaine d'années s'écoulèrent avant l'achèvement de l'oeuvre gigantesque racontant les récits évangéliques. En plus de se déplacer sur les lieux, l'artiste fit la lecture d'un vaste répertoire de livres dont le Talmud, les écrits apocryphes, ceux des auteurs chrétiens d'autrefois, von Munk, Sepp, Stapler, Didon et Ollivier, les écrits d'Anna Katherine Emmerick, religieuse célèbre s'adonnant au spiritisme très à la mode à cette époque, et déchiffra les plans de l'architecte germanique Herr Schieck, concepteur du Temple d'Hérode, dont Tissot s'est servi dans ses illustrations. Ces données lui permirent de réaliser « une sorte de commentaire artistique procédant d'une connaissance personnelle et approfondie de l'Orient sacré1 ^ ».

Ses voyages, dans les lieux bibliques, lui inspireront une certaine ardeur et lui permettront de produire l'exercice pictural analogue pour illustrer l'Ancien Testament. Son troisième voyage en Terre sainte, en 1896, servit à cette fin. Ses travaux, restés inachevés en raison de son décès, furent repris par des artistes de son temps. La Société Nationale des Beaux-Arts de Paris exposa en 1901 quatre-vingt-quinze des compositions. L'artiste, parlant de ce projet, énumérait les thèmes dont l'idée lui était venue avant d'entreprendre ce projet:

J'ai abandonné l'idée d'illustrer la " Vie de Jeanne d'Arc ", renoncé également à un " Bonaparte intime ", bien intéressant à reconstituer; mais quand on a passé dix ans de sa vie sur le sujet le plus sacré qui soit, tout vous paraît puéril et banal. Les aventures des humains, même les plus extraordinaires, vous laissent froids [sic] et sans emballement aucun19 20.

Son oeuvre religieuse s'étend certes sur ses nombreuses illustrations de l’Ancien et du Nouveau Testament mais également à un autre niveau qui est celui de la décoration de la voûte absidiale de la chapelle du couvent des Dominicains à Paris. Ressemblant au Christ de la

19 M. de Brunoff, l'Ancien Testament de James Tissot, introduction, p. XII. 20 Ibid., p. XI.

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basilique du Sacré-Coeur de Paris (fig. 7), le Christ colossal ou Christ pantocrator (fig. 8) de Tissot, inauguré en 1897, est teinté du « style très dépouillé et primitiviste [...] qui n'est pas sans rappeler l'art dHippolyte Flandrin21 >, son maître d'autrefois. L'oeuvre gigantesque, soutenue à l'époque par le père Sertillanges, auteur de l'introduction de l'Ancien Testament de Tissot, est une peinture à l'huile marquée par la même ferveur de costumer le Christ conformément aux traditions de l'époque biblique. « Tunique d'un rouge brun, une robe de lin, la geba et le manteau de laine d'un blanc immaculé22 23 », costume reflétant les oeuvres de sa bible.

De plus, Tissot, pendant un de ses séjours à Jérusalem, laissa à l'École biblique du couvent Saint-Étienne des Dominicains six à huit peintures marouflées. Toutefois, ces peintures ne sont, pour l'instant, point connues cependant, elles doivent sûrement être représentatives de son oeuvre religieuse.

Le nombre de ses influences n'a guère diminué avec le temps dans ses compositions religieuses. Henri Béraldi soulignait: «c Tissot est un esprit influençable, [...] susceptible de modifier son orientation suivant les milieux où il se trouve...2^ ». Les diverses influences, qui imprégnèrent les oeuvres de James Tissot tout au long de sa carrière, se retrouvent tant dans les compositions religieuses de ses débuts que dans ses représentations mondaines et plus tard dans ses illustrations des écrits évangéliques. Christopher Wood émet l'hypothèse que le travail de ses parents, oeuvrant tous deux dans leur propre commerce de tissus et au surplus, sa mère faisant elle-même le design des chapeaux, aurait eu une influence sur l'iconographie vestimentaire de l'artiste dans ses tableaux à caractère mondain. De sa mère, il hérita aussi de

21 Collectif, James Tissot, op. dt., p. 251. 22 Ibid., p. 250.

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cette dévotion envers l’Église catholique qui aurait pu provoquer ce goût pour l'art religieux. De plus, l'architecture médiévale, apparente à profusion dans sa ville natale, aurait aussi eu une influence sur ses premières toiles.

Enfin, l'artiste nous apportera un réel point d'appui en ce qui concerne les tendances de l'art religieux de son époque par ses représentations bibliques qu'il exécutera lors de son séjour en lieux saints.

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1.2 Présentation de l'oeuvre biblique de James Tissot: la Vie de Noire-Seigneur Jésus-Christ

Tout comme Renan, Tissot eut la vision de l'Orient des premiers temps. Devant ce cadre véritable, Renan déclarait: « J'eus devant les yeux un cinquième Évangile, lacéré mais lisible encore2* ». C'est dans ce même esprit et avec « l'enthousiasme d'un néophyte24 25 26 » que James Tissot réalisa son oeuvre avec un souci d'historien, la touche d'un d'artiste et en fervent croyant. C'est donc la révélation d'un paysage antique, ressemblant depuis toujours au paysage biblique, qui l'éprit d'émerveillement et qui le poussa à concentrer ses énergies des dernières années de sa vie à rassembler, en Terre sainte, les nombreux croquis et les accents de l'espace oriental.

Présentée au public, pour la première fois en 1894 au Salon du Champ-de-Mars à Paris et à la galerie Lemerder de Londres deux ans plus tard, l'oeuvre provoqua l'admiration de plusieurs. Quelque trois cent cinquante gouaches et aquarelles narratives constituèrent cette phase picturale. Elles furent également exposées à Chicago en 1898 et à New York en 1899. Dans le journal des Concourt, nous pouvons lire un bref aperçu de l'exposition de 1894:

L'exposition de LA VIE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST de Tissot au Champs-de-Mars, cette monographie réaliste de Jésus composée de 350 peintures et dessins, dont 270 sont exposés cette année et le restant sera exposé l'année suivante. Un public nombreux, très enthousiaste, où se trouvent mêlés au public élégant des expositions une foule d'étrangers et un certain nombre de prêtres2**.

La « bible de James Tissot », comme elle était communément appelée lors de sa

24 Renan, op. dt., p. 18.

25 Theodore Stanton, " Tissot's Illustrations of the Gospels ", The Century, juin 1894, p. 247. 26 Concourt, op. dt., n° 4, p. 595.

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parution en 1894, a été présentée sous forme de recueil à la fois illustré et accentué d'autant de récits évangéliques que de notes transcrites avec un souci d'érudition. Ces dernières prendront parfois l'ampleur d'un texte exégétique interprétant les sites de Jérusalem qu'il profila avec exactitude et proposant maintes explications sur les types, les costumes et les us des régions dites bibliques. L'artiste nous invite ainsi à mettre en fusion nombre de documents et sources visuels de la terre biblique. Les volumes, édités en 1895 grâce à la collaboration de la maison d'édition Marne de Tours, - celle-ci s'illustrant particulièrement dans les reproductions des publications à caractère religieux dont, entre autres, la Bible de Gustave Doré - se composent de plus de trois cents compositions inspirées des écrits évangéliques. C'est sous l'oeil attentif du peintre que l'oeuvre fut publiée. Avec des procédés les plus remarquables, telles que la gravure de reproduction et la chromolithographie, l'oeuvre originale a été recréée avec le plus grand soin nous donnant la même qualité picturale des premières compositions. Plus de 5 000 planches lithographiques et autant de plaques de métal ont servi à produire les volumes que l'on connaît aujourd'hui.

La Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ se compose de thèmes présentés selon l'ordre suivant: la Sainte Enfance, la Prédication, les Paraboles, la Semaine sainte, la Passion et enfin la Résurrection. Ensemble comprenant dessins à la plume, lettres, culs-de-lampe, types et paysages de Palestine, tous sont reproduits à partir de gouaches et d'aquarelles du peintre. L'Orient, l'exotisme et le pittoresque se manifestent sans cesse dans ses compositions qui visent toujours une certaine vérité. Ces oeuvres, aux dimensions modestes, n'atteignent que très rarement plus de 38 cm de hauteur par 50 cm de largeur.

Compte tenu du contexte social, politique, religieux et artistique de cette période, l'oeuvre ainsi dévoilée suscita l'éloge de certains mais provoqua également la proscription des autres. Nous soulignons ce contexte par une citation relevée dans un catalogue d'exposition du musée des Beaux-Arts de Besançon:

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Il est troublant que la popularité de ces peintures coïncide avec une vague d'anti-sémitisme en France, dont la manifestation la plus laide fut l'affaire Dreyfus. Les peintres répondaient exactement aux besoins du mouvement néo-catholique qui représentait une balance du pendule théologique vers l'extrême conservatisme. Les peintures religieuses de Tissot, donc, combinaient le conservatisme du réalisme artistique au mysticisme et à la piété que demandent les croyances religieuses??.

Marquant ainsi une réelle appartenance au mouvement déjà institué dès le milieu du XIXe siècle appelé « archéologique », ses compositions étaient perçues comme appartenant à une tendance de juste milieu. Par contre, ce qui provoqua le malaise engendré par l'oeuvre fut certes cette reconstitution historique de l'histoire sainte. Les critiques, que nous analyserons au cours du dernier chapitre, seront le reflet de ce contexte mais aussi de pensées théoriques et religieuses de chacun.

Les oeuvres mondaines des époques parisienne et londonienne de James Tissot se retrouvent dans plusieurs musées, soit à Londres, à Manchester, à San Francisco, à Boston, à Paris, à Nantes, et enfin, plus près de nous, à Montréal, à Toronto, à Hamilton et à Ottawa. Mais c'est à New York que l'oeuvre religieuse de James Tissot est la plus représentée. Le Brooklyn Museum a acquis en 1900, avec la contribution des citoyens de la ville, l'oeuvre originale du Nouveau Testament. Celle-ci est entreposée dans les réserves du musée et ont fait une brève apparition lors d'une exposition au Brooklyn Institute of Arts and Sciences à la fin de l'année 1989 et au début de 1990. Une autre institution, le Jewish Museum à New York, conserve depuis 1964 les compositions originales ayant servi aux illustrations de l'Ancien Testament de James Tissot. Cette collection appartenait auparavant à la New York Public 27

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Library. L'achèvement des illustrations de l’Ancien Testament fut repris par des artistes de la tradition de Tissot: messieurs A.-F. Gorguet, Charles-C.-J. Hofïbauer, A. de Parys, G. Scott et M. Simonidy. Seule la couleur était l'élément à incorporer.

Contrairement à ses habitudes de travail, qui consistaient à composer ses esquisses par séries, puis à colorier ces séries pour se délasser, il s'est imposé la tâche très dure d'achever toutes les esquisses de son ouvrage avant de les mettre en couleur et d'établir la maquette et le gabarit définitif de son livre. Tout cela, en prévision de sa mort, afin que, dans ce cas, la publication de son oeuvre fût chose aisée2®.

Ces illustrations ont aussi refait surface lors d'une exposition ayant débuté le 10 février 1982 au Jewish Museum et dont un catalogue est disponible, retraçant maintes influences, entre autres archéologiques, des oeuvres.

Nous emprunterons, pour conclure cette présentation, quelques lignes de l'auteur Charles Yriarte relevées lors d'un dîner chez les Concourt:

Yriarte parlait ce soir des dessins de Tissot rapportés de Jérusalem, et qui ont produit un bouleversement chez Meissonnier. C'est un [sic] espèce de Chemin de la Croix, en plus de cent cinquante pastels, d'après les indications des religieux du pays, et vous donnant ainsi que des photographies, les petits sentiers d'oliviers où a dû passer le Christ, avec là dedans, des bonshommes indiqués dans les Évangiles de telle profession, de telle localité, retrouvés dans le type général des gens de ce temps-ci de la même profession, et de la même localité, où le peintre s'est transporté. Enfin de la réalité rigoureuse, exécutée dans un état d'hallucination mystique, et à laquelle une maladresse naïve ne fait qu'ajouter un charme: de l'art qui a une certaine ressemblance avec l'art de Mantegna28 29.

28 Brunoff, Ancien Testament de James Tissot, op. rit., p. XI. 29 Concourt, op. rit., n° 8, p. 92.

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CHAPITRE H LES FONDEMENTS THÉORIQUES DE JAMES TISSOT

2.1 Une théorie fondée sur ses approches socioreligieuses et de réalité historique

Les concepts théoriques des artistes de tous les temps ont évolué en relation avec leur époque. C'est ainsi que l'art religieux, à maintes reprises, a été bouleversé par les grands mouvements, aussi bien religieux qu'artistiques. Les diverses mutations de l'interprétation picturale des textes bibliques sont le reflet d'une culture, d'une époque et du sentiment personnel de chaque artiste. Malgré « cet esprit des représentations religieuses » qui se transforment selon les temps et les origines, il existe une certaine continuité des idées et des traditions iconographiques. Parmi les éléments communs des représentations, qui se sont perpétués des siècles durant, notons entre autres la Vierge voilée, le costume antique du Christ, les anges ailés, le bœuf et l'âne aux abords de la crèche. Mais, en dépit de la propagation de ces coutumes, l'iconographie chrétienne, symbolique et formelle ne cessera de subir des révolutions en relation avec l'interprétation des thèmes bibliques.

Le XIXe siècle européen n'aura pas été épargné des modifications apportées par les besoins changeants de l'Église et des artistes. La seconde moitié de ce siècle a été une source de grandes réformes quant à l'interprétation picturale des textes sacrés, passant du mystique au réalisme.

Plusieurs tentatives de renouvellement de l'art chrétien européen au XIXe siècle ont été perçues soit dans la restauration des églises par des pastiches du Moyen Âge, soit dans les activités des mouvements artistiques successifs. Par exemple, en 1848, à Londres, est fondée la société des préraphaélites, <c disciples des primitifs italiens, touchés de la grâce

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franciscaine1 », qui donnèrent une place prépondérante au sentiment religieux, visant à faire disparaître les compositions stériles et froides que les disciples avaient introduites dans l'art. « Mais dans leur désir de remonter au Moyen Âge, les préraphaélites abusèrent d'un symbolisme trop subtil pour des esprits aussi peu habitués que les nôtres à la théologie^ ». Seuls les initiés pouvaient jouir de cet art qui fut bientôt remplacé par d'autres styles moins ambigus. « Le mouvement néo-chrétien dont Tolstoï fut l'apôtre exerça aussi sur l'art une influence plus curieuse que durable. [...] Reprenant une conception qui avait été en somme celle des primitiis et, plus près de nous, de Rembrandt, les peintres imaginèrent de montrer la figure du Christ dans notre société contemporaine^ ». Cette conception se retrouve aussi dans les compositions de l'artiste Uhde qui transposait un Christ dans les lieux modernes pour l'immortaliser ou le rendre vivant éternellement. Les scènes religieuses se sont situées tour à tour dans des espaces français, flamand, italien, allemand, etc. En s’exprimant avec ces anachronismes, les peintres de ce mouvement voulurent concrétiser les récits évangéliques.

L'atmosphère qui se dégageait des contextes artistique, historique et religieux est incontestablement mise en relation avec le mouvement religieux artistique qui se développa autour des années 1890-1910. Plusieurs peintres religieux européens du XIXe siècle, soucieux de recouvrer une certaine cohérence dans l'expression de l'histoire biblique, se dirigèrent vers des représentations ayant un caractère réaliste, tenant compte de la temporalité de l'histoire sainte et du contexte topographique. Cette vague, déferlant sur la peinture religieuse, sera appelée « courant archéologique » ou « réalisme historique ». Le nouveau besoin de réalisme va à l'encontre des mouvements artistiques religieux précédents où l'imagination des peintres du Romantisme, prolifique et généreuse, s’ingéniait à créer des mises en scène bibliques d'une

1 Louis Bréhier, l'Art chrétien, son développement iconographique des origines à nos jours, Paris, Librairie Renouard, H. Laurens éd., 1928, p. 242.

2 Ibid., p. 432.

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grande magnificence, dans lesquelles les décors étaient inspirés parfois de fantaisies théâtrales, où les costumes antiques prenaient l'apparence d'une garde-robe grecque ou romaine, et où l'histoire se déroulait à une époque quelconque et dans un lieu géographiquement hors contexte. Cette poétisation était proscrite par les peintres réalistes qui « s'appuyaient, en ce qui concerne la représentation du Sacré, sur les prétentions d'un certain scientisme et sur les préoccupations sociales, humanitaires, provoquées par l'économie nouvelle naissant du développement considérable de l'ère industrielle* ». Les artistes, préoccupés par ce phénomène, sont donc invités à penser à une reconquête du peuple et à se rajuster aux valeurs des gens. Ce mouvement artistico-religieux du XIXe siècle « consistait à évoquer [...] le personnage de Jésus dans sa réalité historique, au milieu des paysages de Palestine et des contrées qu'il a parcourues, entouré des foules pittoresques qui ont écouté sa prédication4 5 ». L'Académie et le Romantisme ne mettaient d'emphase que sur la classe privilégiée de la société; aussi, l'art religieux qu'ils proposaient n'était plus accepté par une classe ouvrière qui désertait peu à peu l'Église. D'ailleurs, le XIXe siècle connut une forte chute des valeurs spirituelles. L’idée de traiter la thématique biblique sous l'angle de la vérité historique amènera malgré tout diverses critiques.

Hanté par le désir de rétablir une « certaine réalité » dans les représentations des thèmes bibliques, James Tissot, qui prit une place considérable dans le mouvement religieux « archéologique », avait comme but de ramener le peuple à une vision plus juste, plus concrète de cette histoire, déclarant que « toutes les écoles avaient travaillé plus ou moins consciemment à égarer l'esprit public6 ». Donc, jugeant abusif l'idéalisme et les fantaisies illustrés dans les

4 Marcel Brion, la Grande Aventure de la peinture religieuse, le sacré et sa représentation, Paris, Librairie académique Perrin, 1968, p. 323.

5 Bréhier, op. cit., p. 434.

6 Théodor de Wyzewa, les Peintres et la vie du Christ, à propos de la vie de Jésus de M. Tissot, la Société d'aquarelhstes français, février 1897, p. 22.

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oeuvres des écoles antérieures, James Tissot avait une ambition à caractère didactique, voire documentaire et social. Grâce à ses voyages dans les lieux saints, il put réaliser une oeuvre axée tant sur une tendance sociale que sur une tendance de vérité relative à l'histoire.

Pour ce qui est de l'oeuvre biblique, le peintre nantais se distingue plus spécifiquement dans ses interprétations picturales des écrits évangéliques. James Tissot se voit non comme un peintre où le mysticisme prime dans l'oeuvre mais plutôt comme un historien allant puiser dans les ressources archéologiques, topographiques et typographiques. Sur cette préoccupation il prédise:

J'ai dit déjà à quel point de vue je me place dans toute cette oeuvre; c'est celui d'un historien, d'un historien fidèle et consdendeux. Veut- on que je compose un rédt de la Passion à la manière des poètes de la Renaissance? Veut-on voir un crucifié bien fait, bien blanc, avec trois gouttes de sang à chaque blessure pour faire ressortir la pâleur des chairs? Un tel crucifié n'est point le mien, parce que ce n'est point celui de l'histoire. [...] C'est une oeuvre de vérité, non une oeuvre de fantaisie7 8.

Il réitère en soulignant davantage son caractère d'historien: « J'ai cru rester fidèle à la vérité historique et donner des rédts évangéliques une interprétation légitime, ce qui est, on le sait, ma préoccupation prindpale dans ce travail® ».

Cette tentative de recouvrer l'effet de réel ou une reconstitution historique de Père biblique se reconnaît dans toutes les étapes de l'histoire de son oeuvre. Le peintre identifie expliritement cette tendance en parlant de l'Enfance, première parcelle de son travail:

Quand nous avons évoqué les heures de l'Enfance, elles nous ont offert, à part quelques menaces lointaines, des scènes doucement attrayantes,

7 James Tissot, la Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Tours, éd. Marne, Introduction de la Passion, tome II, p. 66.

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se déroulant au sein d'une nature amie et présentant toute la poésie des antiques légendes, en gardant toutefois leur caractère de vérité9 10.

L'atmosphère biblique suggérée par James Tissot se veut digne d'un cadre oriental dans lequel les personnages hébraïques sont teintés des couleurs locales, et dont nulle improvisation ne saurait être justifiée. C'est donc avec un certain respect de l'histoire biblique qu'une recherche d'une authencité adéquate et une proscription de l'irrationalité s'effectuent.

En fait, parcourant les mêmes chemins que le Christ, le peintre eut l'impression que rien n'avait été métamorphosé. Ary Renan, auteur d'un article traitant des illustrations de Tissot, parcourut les mêmes chemins que le peintre et recouvrit les mêmes hypothèses que l'artiste. Il souligne:

Rien, en Palestine, n'a changé depuis l'ère chrétienne: le paysage, à coup sûr, est le même, jusque dans ses moindres détails de végétation, de culture; la main de l'homme a ruiné bien des choses, elle n'a presque rien édifié qui contrarie la nature. Les lieux évangéliques sont tous identifiés, presque tous restés dans l'état antique. L'homme n'a guère changé, et si, sur certains points, les races sont forts mélangées, on peut dire que l'habitation, les moeurs, les costumes se retrouvent identiques, quand on sait observer; [...] la poésie est partout vivante encore...1®

L'orientalisme et la découverte d'un Orient biblique, comme nous le verrons plus tard, a évolué parallèlement aux événements politiques de l'époque. Chez James Tissot, comme chez bien d'autres peintres, cet Orient fut l'illumination pour concevoir la biographie du Christ. Le caractère concret ou documentaire, le réalisme photographique, la recherche d'archétypes issus des fouilles archéologiques, l'exotisme, qui ne sont autre qu'un retour à sa mondanité de jadis, seront des aspects qui se refléteront dans la majeure partie de son oeuvre religieuse car

9 Tissot, op. dt.

10 Ary Renan, " Une nouvelle illustration des évangiles par M. James Tissot ", Gazette des beaux-arts, mai 1887, p. 426.

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son cheminement est désormais nourri d'une certaine authenticité historique. Son intention est de représenter «c un Christ oriental dans un cadre palestinien11 », exposant ainsi une réalité spatio-temporelle. Il ne serait aucunement question pour James Tissot d'illustrer la monographie du Christ sans considérer l'historicité des évangiles et leur emplacement géographique. S'entourant de ces éléments, il souhaite renouveler l'art religieux dans lequel régnait une grande confusion et ainsi, promouvoir un art où jaillirait une certaine vraisemblance historique.

L'ambiguité des valeurs morales et religieuses qui hante la fin du XIXe siècle avait déjà fait surface au cours du XIIIe siècle italien alors que la volonté de renouveler l'iconographie chrétienne donna lieu à une tendance analogue motivée par ce même besoin de réalisme historique. Notamment, un parallèle se dessine entre le mouvement religieux étudié et la littérature de l'ordre mendiant du XIIIe siècle. Par ailleurs, ce mouvement originaire d'Italie provoqua « dans l'art occidental la transformation la plus profonde qu'il ait subie depuis ses origines11 12 13 14 » affirme l'auteur Bréhier. En effet, « cette action des ordres mendiants sur l'art religieux s'est exercée par l'intermédiaire de leur littérature dans laquelle on trouve déjà toutes les qualités qui seront celles de la nouvelle école1 ^ ». Il s'agit de la littérature italienne dite de saint Bonaventure, et on peut affirmer qu'elle bouleversera toute l'iconographie. Les Méditations sur la vie de Jésus-Christ de saint Bonaventure sera un des livres de référence pour les auteurs de ces bouleversements. «c Ce qu'il faut d'abord constater, c'est l’aspect entièrement nouveau sous lequel il présente la vie de Jésus. Plus de méthode allégorique, plus de symboles et de figures, mais un effort constant pour atteindre la réalité et replacer les événements dans leur cadre naturel1 * ».

11 Abel Fabre, Pages d'art chrétien, études d'architecture, de peinture, de sculpture et d’iconographie, Paris, Maison de la Bonne Presse, 1927, p. 291.

12 Bréhier, op. dt., p. 324. 13 Ibid., p. 326.

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« Ainsi préoccupés d'agir sur les hommes par leurs prédications et par leurs oeuvres littéraires, les mendiants ne pouvaient négliger le puissant moyen d'action qu'était l'art

religieux15 ». L'émotion sincère et le sens de la réalité pittoresque ont modifié toute l'iconographie chrétienne.

Le décor des scènes religieuses est entièrement modifié. Bien que les trécentistes italiens aient conservé dans une large mesure les thèmes de l'ancienne iconographie, ils ont réussi à remplacer les attitudes et les paysages de convention par des portraits vivants et des représentations réelles; parfois même, bien que l'anachronisme ait été leur méthode favorite, ils ont recherché la couleur locale. [...] Il n'est même pas impossible que les nombreux rapports avec des franciscains en Terre sainte, où ils sont établis gardiens du Saint-Sépulcre en 1328, aient eu pour résultat de mettre à la disposition des artistes des documents précis: c'est ce qui expliquerait le grand nombre de traits empruntés au paysage oriental, palmiers, caravanes, maisons arabes, costumes que l'on trouve dans les tableaux de cette époque1

De plus, l'originalité de saint François d'Assise, son action personnelle et celle de ses disciples, sa façon de vivre la vie de Jésus avec ardeur et tangiblement, modifia la piété chrétienne ainsi que l'art religieux occidental. « À la froideur et à la complexité de l'homélie allégorique, il substituait le sens vivant, il ne commentait pas, il vivait, il jouait l'Évangile. Cette nouvelle manière d'interpréter l'Évangile est commune aux ordres mendiants1? ». Enfin, la précision d'édifices réels provenant de documentations authentiques se retrouve parfois dans quelques compositions des primitifs flamands du XVe siècle.

C'est dans l'art religieux de James Tissot et du mouvement auquel il est lié que se retrouve cet attachement à réunir des données aussi exactes que possible afin de recréer ou de stimuler une certaine ferveur religieuse. Cependant, sa conception théorique ne s'arrête pas là puisqu'il ouvrira une parenthèse sur l'ambiguité du sens de réalisme et de réalité.

15 Bréhier, op. cit., p. 328. 16 Ibid., p. 331-332.

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2.2 Quelques réflexions sur le thème de la vérité historique dans le mouvement religieux du XIXe siècle: un cas de réalisme versus la réalité

Réalisée par la visualisation de la topographie et de la physionomie du peuple hébraïque, l'oeuvre de James Tissot est une tentative de reconstitution historique de la vie du Christ. L'artiste dotera son oeuvre d'une mise en scène réelle ou du moins qui pourrait paraître indubitablement réelle. C'est ainsi que le peintre découvrira le sens concret de ce pittoresque historique que l'on retrouve dans un Orient biblique.

Lors d'un échange avec son père à son retour du Proche-Orient, James Tissot révéla une autre partie de son approche théorique, et, par le fait même, ses réflexions sur l'art religieux. Cette approche nous amène à entrevoir la subtilité de la pensée qu'il engage dans les concepts désignés par « réalisme » et « réalité ».

En présentant à son père des croquis et des esquisses d'après nature qu'il avait effectués, ce dernier sursauta lorsqu'il vit l'apparence exacte des sites. Le Golgotha l'étonna tout particulièrement et il dit ceci:

Il faudra donc que je change toutes les idées que je m'étais faites sur ces choses. Comment! Le Calvaire n'était pas une haute montagne en pain de sucre couverte de rochers et de brousailles? -Eh bien, non, répondit le peintre; le Calvaire, tout en occupant le haut de la ville, n'avait que six ou sept mètres de haut tout au plus. De même, le Saint-Sépulcre se trouvait à côté, dans des conditions tout autre que celles que tu te représentes. Ton erreur est semblable à celle de la plupart des fidèles. Le monde chrétien a depuis longtemps l'imagination faussée par les fantaisies des peintres; il y aurait tout un stock d'images à expulser de son esprit, pour l'établir dans des données se rapprochant un peu de la vérité. Toutes les écoles ont travaillé plus ou moins consciemment à égarer sur ce point l'esprit du public. Préoccupées uniquement les unes de la mise en scène, comme les écoles de la Renaissance, les autres du sentiment comme les écoles des mystiques, elles délaissaient d'un commun accord le terrain de l'histoire et de l'exactitude topographique. Ne serait-il pas temps, dans un siècle auquel l'à-peu-près ne suffit plus, de rendre à la réalité - je ne dis pas au réalisme - ses droits usurpés?...***

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Nous pouvons fonder une hypothèse sur cette différenciation précise de ces deux appellations que le peintre propose. Le concept de « réalité », tel que le projette James Tissot, se veut un regard sur une sorte de concrétisation des faits, une sorte de matérialisation - du moins plastique - des récits évangéliques. À l'opposé, le terme réalisme, se voulant une suggestion d'une réalité, laisserait entendre quelques fantaisies de la part des artistes peintres. Cette philosophie iconographique entraînera un nouveau concept d'interprétation picturale des motifs de l'histoire sainte. L'herméneutique se redéfinit donc au contact de la composition des éléments figuratifs et décoratifs. Ainsi, le nom du mouvement artistique de cette nouvelle tendance, soit « mouvement archéologique », qui paraît dans tous les volumes consultés, nous semble quelque peu fautif. Le « mouvement archéologique » trouve sa signification dans la recherche qu'effectuaient les artistes pour s'assurer de l'analogie entre le passé et le présent. La narration biblique, que créent James Tissot et d'autres artistes du XIXe siècle, porte non seulement sur des données archéologiques, qui implique au sens propre du terme une analyse de vestiges que les peintres seraient en mesure de peindre, mais sur le sens de l'effet du réel historique ou de reconstitution historique. Par contre, les ressources archéologiques ont été grandement utilisées pour concourir à une certaine réalité, mais ce n'est qu'un aspect des compositions narratives de Tissot. La pratique picturale qu'exerce James Tissot dans ses oeuvres bibliques donne un effet du réel normalisé quant au rapport historique. Le dispositif scénique des représentants et des décors est axé sur l'histoire, sur un type de recherche de vérité historique, non entièrement sur l’archéologie. En peignant les récits évangéliques de cette facture, James Tissot accorde divers aspects picturaux pour créer l'effet de réel voulu. Du fait que quelques peintres ont été conscientisés devant cette part de réalité et sur ces thèmes, l'art religieux du XIXe siècle s'est vu projeter dans de nombreuses polémiques accordant à cette

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nuance ignorée, tous les mépris. Particularisés par des compositions teintées de couleur locale, les artistes de ce courant, que l'on devrait qualifier plutôt de réalisme historico-religieux, ont tenté de rendre à l'histoire une vérité à saveur historique. Bref, la pensée de M. de Brunoff dans l'introduction de l'Ancien Testament de Tissot exprime bien l'éthique du peintre: « [...] La totalité de ses esquisses et compositions eurent revêtu cette couleur locale, cette forme si précise qu'elles donnent l'impression de la chose vue ».

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CHAPITRE IE LA DIVERSITÉ PICTURALE DES OEUVRES BIBLIQUES DE JAMES TISSOT

3.1 L'Orient et la Bible

3.1.1 Découverte d'un Orient pictural biblique chez les artistes français

La découverte d'un Orient pictural biblique, chez les peintres européens, s'est manifesté notoirement au XIXe siècle. Cette découverte se rattache, certes, aux événements contextuels du XIXe siècle qui entraînèrent une nouvelle vision artistique de la peinture religieuse. Les Européens prirent goût à cet exotisme aux mille couleurs, qui, auparavant, se déployaient dans quelques excentricités décoratives. Quoique sporadiques, ces décorations, qui charmèrent bien des peintres européens, seront plus tard des révélations vivantes de l'histoire sainte. Cette curiosité orientaliste fut, outre cela, fortement déterminée par les conjonctures politiques de l'époque. Jean Alazard souligne à ce sujet:

Ce contact étroit entre la France et l'Orient fut privilégié par les événements politiques qui guideront alors les aspirations des artistes. Après l'expédition d'Égypte (de Napoléon 1er) et la guerre d'indépendance grecque, l'entrée d'une terre africaine dans l'histoire européenne ne pouvait que contribuer à mieux faire connaître les paysages, les types et les moeurs des pays qui depuis longtemps hantaient l'imagination des Occidentaux. L'Afrique du Nord attirera les peintres, séduits par une nature et une civilisation nouvelles. Ce sera une brusque révélation qui ne manquera pas d'avoir son importance. L'idée qu'on se faisait de l'Orient en sera quelque peu bouleversée. On apprendra à le mieux voir, à le mieux comprendre; il deviendra l'objet des descriptions exactes; c'est vraiment du XIXe siècle que datera la "connaissance" précise de l'Orient*.

Ce premier intérêt prononcé pour l'Orient se manifesta plus spécifiquement de 1827 à 1

1 Jean Alazard, l’Orient et la peinture française au XIXe siècle d'Eugène Delacroix à Auguste Renoir, Paris, Librairie Plon, 1930, p. 2.

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