MODELISATION PAR ETAPES: EXEMPLES
DE L'EXPERIENCE D'ELlHU THOMSON
R. JOURNEAUX
A.DUREY
ENS St Cloud et LlRE5PT.
Mols-clefs: électromagnétisme - modélisation - activités expérimentales.
Résumé
L'expérience d'Elihu Thomson est réexaminée sous son aspect quantitatif, à la fois des points de vue théorique et expérimental. Elle est analysée comme un exemple de modélisation progressive, et l'accent est mis sur les diverses étapes qui conduisent de l'observation qualilati ve première au modèle quantitatif complet. La démarche modélisante est détaillée avec ses aller-retour entre les champs théoriques (calcul de la force s'exerçant entre deux circuits) et expérimental (mesure de la force d'interaction, des grandeurs caractéristiques des circuits). Celle expérience est proposée comme adivilé modélisante en alternative aux activités expérimentales classiques où l'initiative laissée aux étudiants est trop limitée.
Abstracl
A quantitative study of the so-called "Elihu Thomson experiment" is proposed with the theorical and experimental points of view. Il appearslabe an example of progressive modelisation from the qualitative first observation to the final quantitative model. The successive sleps of the modelisalion are reviewed, with special attention to the connection between the theorical field (evaluation of lhe force between two conducting circuits) and the experimental field (force, resistance, auto and mulUal induclance coefficient measurements). Such an experiment is proposed as a modelling activity10replace usual experimental works in which studenlli have rather few initiatives.
L'enseignement occulte souvent deux aspects fondamentaux de la démarche en Scienœs Physiques : d'une part l'élude expérimentale des phénomènes et d'autre part la pratique réelle de modélisation avec ses hésitations, ses impasses, ses aller-retour entre théorie et expérience. Nous allons illustrer sur l'exemple d'Elihu-Thomson, l'intérêt de restituercetle démarche aux élèves.
Nous allons tout d'abord décrin~les diverses étapes de la modélisation telles qu'elles s'imposentàl'expérinlentatcur placé devant une situation nouvelle, avec les différents passages entre les champs théorique et expérimental. Nous pourrons ensuite essayer de dégager quelques propositions didactiques pour intégrer dans l'enseïgm:ment des objectifs liésàl'apprentissage de la modélisation.
I.OlJscrvalions.
SoitUllèbobine possédant un grand nombre de tours ni alimentée par le secteur. Un circuit magnétique en U pelmet de canaliser le flux d'induction. Une spire fennée conductrice est placée sur la bobine. Quand on fenne l'intemlpteur, la spire est projetée vers le haut.
L'ex~riencepeut êrre complétée et conduit alorsàquelques résulUlts surprenants.
@ plaçons deux spires identiques sur la bobine. A la fermeture du circuit, elles sont projetéesàune hauteur plus importante que pour une seuk spire.
@ on peut également comparer plusieurs spires toriques àsections rectangulaires différant seulement par leur épaisseur: la hauteur de projection croît avec ceUe épaisseur.
@on peut faire l'expérience avec une bobine mobile comportant un petit nombre de tllurs : on constate que la hauteur d'éjection croît avec le nombre de tours.
@ enfin on peut constater qu'une spire de deux tours est projetée sensiblement àla même hauteur que deux spires séparées (même fil constitutif et même géométrie).
2. Premièreélapedela modélisation.
La bobine est parcourue par un courant1) alternatif. Par induction une f.e.rn. apparaît dans
la spire et crée un courant 12, o.:ux circuits parcourus par des courants exercent l'un sur l'autre un système de forces; la spire libre se déplaœ donc sous l'dfet de: ces forces(FEYNMAN 1965).
On peut essayer, à ce stade, de comprendre pourquoi une bobine de deux spires est soumiseàune force telle qu'elle sera éjectée plus haut que la spire: unique. L'application ds re:lations de l'électromagnétisme pemlet de cakukr la force agissant(Mmutuelle inductance)
F = Il 12dM/dx
Mais la méconnaissance: des paramètres des bobines interdit toute conclusion quand on passe d'une à deux spires.
A ce stade: de la modélisation, deux voies complémentaires s'imposent pour progresser:
@ l'analyse expérimentale qualitative doit faire placeàune étude quantitative par mesure des furees exercées sur les différentes spires mobiles.
@ l'analyse théorique du phénomène doit se faire plus fine et faire intervenir l'étude complète de l'interaction entre les deux circuits.
3. Etude expérimentale quantitative.
La bobine mobile est maintenue par un support adéquat non conducteur; ce dernier est placé sur une balance monoplateau. La force exercée sur la bobine est déduite de la variation de l'indication de la balance.
bobines~6cm; fil émaillé ~2mm
F=36xIO-3 N F
=
15.2
xlO-3 N F= 29 xIQ-3 N.J. Deuxième étape delamodélisation.
Les deux bobines sont caractérisées par leur r6istance et leur coeficient d'autoinduction et la mutuel1e inductanceM.La bubine1est attaquée par un générateur de f.e.m. efficace Vcff.
La loi d'Ohm appliquée aux deux circuits permet de calcukr la force moyenne exercée sur la bobine2,soit (DUREY,JOURNEAUX1986)
F = Veff n2 A BI D2(dm/dx) cosljl et B=-jmw Avec R 2
=
n2 r2 2L
2 = n21
2 M = n2 m 1jl=IjlA+(jlB-2<PD ( Arguments de A, B et D )Il est alllrs nécessaire de détenniner expérimentalement les différents paramètres du système, d'uù retour au niveau expérimental. L'application numérique, dans le cas étudié. conduità:
nz
= 1nz
=2nz
=3 F= 9,5 x10-3 N F=24,5 xIQ-3 N F=
43,5 xIQ-3 NOn peut constater que l'écart aux mesures expérimentales est grand. Ceci est dû en particulier au fait que les caractéristiques de la bobine mobile sont déterminées avec une très mauvaise précision. Par exemple dmldx, obtenue par différence de deux valeurs de m très voisines, est connue avec une incel1itude relative de près de100%.
S. Autres enseignements du modèle.
On peut déduire de celle modélisation des conclusions que les premières observations expérimcntales n'avaient pas mises en évidence.
Par exemple le courant1)ctson déphasage avecUvaric:nt : l'expérience le confinnt:.
Par ailleurs, le calcul dc \2 permet de prévoir l'échauffement rapide de la spire, ce qut: l'expérit:nœ confirme également.
PI"Ul'miriu/lS Jiduuiques.
La suite d'opérations que nous venons dt: décrirt: est t:n réalité, sur un t:xemple particulièrement simple, le scénario dt: l'activité de tout physicien confronté àun problèmt: nouvt:au, obligé CUII,taIllment d'aller puisa dans les champs théorique et expérimental pourytrouver les réponst:s néœssairt:sà la progrt:ssion. C'est aussi t:n raccourci tOUIe l'activité de la communauté scientifique au cours de son évolulion historique.
Champ expérimt:ntal
Observation premièrt: Intlllt:nce du nombre dt: spire
Mt:surt: dt: la force
[~lennillatjonexpérimt:ntale des paramètres locaux du modèlt:
Vérification expérimt:ntalt:
Champ théorique
Interpréw.tion qualiw.tive : loi de Lenz
lnterpréw.tion semi -qu
an
ti tati veF~11\2dM/dx
Modélisation complète: forces exercét:s entre 2 circuits.
Calcul numérique de la force
Déductions théoriques issues du modèle - phases - échauffement
cas de plusieurs spires.
Si on vt:ut plaœr les élèves devant unt: démarcht: scientifique entièrement nouvellt:,si on souhaite développer ks aspects d'apprentissage de la modélisation et du manit:ment des modèles, il faut kur dunnCf la possibilité de faire eux-mêmes des démarches de ce type. Pour cela il faut des lâchcs suffisamment précist:s età court renne pour qu'ils puissent démarrer, et suffisamment distinctes des
questions et des problèmes de: physique pour qu'ils puissent se: livrer à une vériJ;lbk activité de modélisation, c'est-à-dire pour pouvoir progresser vers la formulation de bonnes questions et de bons problèmes_
Dans le cas d'Elihu Thomson, on péut propose:r dans un pfémier temps aux élèves de réaliser l'expérience eux-même:s puis de jouer en faisant varier ks conditions expérimentales. Aprè> cette: phase "expérimentaliste:" que l'on demandera de résumer pour metlre les résultat; en commun, on demandera de donner une interprétation des résultats. Pourquoi l'anneau saute-t-il ? Quels phénomènes connus sont mis en jeux? Ces interprétations pourront faire l'objet d'une expression écrite individuelle puis d'une mise en commun collective qui pérmette de sélèctionner les concepts utiles et lès lois mises en jeux. Ce:tte phase doit nécessairement amener des réponsesàcertaine:s questions posées et déboucher sur des questions ou des problèmes physiques plus précis. Celle phase consiste donc à renvoyer ks élève:s devant kur feuille blanche pour modéliser l'expérie:nce de façon à alliver à ce qu'ils se posent un problème qu'ils sachent résoudre. Bien sûr, ce travail là n'aboutira pas du premiéf coup à la bonne formulation, il faudra peut êlre résoudre complètement le problème pour s'apercevoir qu'on l'avait mal posé.
On arrive ainsiàdes solutions donnant la valeur littérak de la force. On peut à Cé stade faire vérifier quelques implications du résultat sans faire d'application numérique seulement en regardant de quoi dépend F et dans quels sens varie F avec certaines grandeurs. Cela confirme: les résultats de l'analyse qualitative mais ne répond pas aux questions précises. D'où la néCéssité de calculer numériquement la force dans plusie:urs cas. Mais pour les applications numériques il faut connaître des caractéristiques expérimentales de ce dispositif. 11 faut l'obte:nir expérimentalement. D'où un relour à une phase de mesure sur le dispositif. La phase exploratoire du début a donc été dépassée, on sait maintenant les grandeurs qu'il faut mesure:r.Ilfaul alors réOéchir au dispositif à meUre en oeuvre (balance monoplateau pour la force ... , mesure de résistance, de mutuelle) et meUre en oeuvre des savoir-faire connus. Enfin les résultats de simulalion seront confrontés aux résultats expérimentaux pour tirer des conclusions sur l'adéquation du modèle.Làencore, il faut insister sur le rôle du professeur qui doit aider à dégager les progrès effectué; dans la connaissance du phénomène en amenalllles réponses aux questions et tenler d'apprécier lès raisons des différences enlre modèles et réalité. Dans CéUe expérience la mesure du paramêtre du modèle dM/dx explique en partie ees écarts. Dans d'autres cas les incertitudes de mesure ne sont pas suffisantes et il faut alors revoir le modèle lui-même.
R. FEYNMAN 1965 Lectures on Physics T. Il (ADDISSON-WESLEY) A. DUREY, R. JOURNEAUX 1986 European Journal ofPhyscis 8 (18)