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ARTheque - STEF - ENS Cachan | « Comment je suis devenu chimiste » : les chimistes et leur rapport à l'art

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Academic year: 2021

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COMMENT JE SUIS DEVENU CHIMISTE

LES CHIMISTES ET LEUR RAPPORT À L’ART

Richard-Emmanuel EASTES, Edouard KLEINPETER*

Groupe TRACES, IHPST (CNRS/Université Paris 1/ENS)

MOTS-CLÉS : CHIMISTES – TÉMOIGNAGE – CHIMIE – ART - CRÉATIVITÉ

RÉSUMÉ : Nous analyserons ici les réponses de 12 chimistes interviewés dans l'ouvrage Comment

je suis devenu chimiste (éditions du Cavalier Bleu, 2008), amenés à s'exprimer sur une œuvre artistique qu’ils considèrent significative au regard de leur discipline. Où l’on s'aperçoit entre autres que le « chimiste créateur et artisan de la matière » se considère parfois l'égal de l'artiste, et que les scientifiques ont souvent plus de culture (tout court) que de culture scientifique…

ABSTRACT : In this article we analyse 12 chemists’ answers being interviewed for the book How

I became a chemist (Le Cavalier Bleu editions, 2008), who were asked to talk about an artistic work that they considered significantly important towards their own skill. We can notice here that the "creative chemist and sculptor of matter" sometimes considers himself the equal to the artist, and that the scientists have often more general culture than scientific culture…

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1. INTRODUCTION

En octobre 2008 paraissait aux éditions du Cavalier Bleu un ouvrage intitulé Comment je suis devenu chimiste, recueil d’interviews calibrées de douze personnalités du domaine de la chimie en France. Parmi les questions posées figurait la suivante : « Pouvez-vous citer une œuvre d’art qui fasse sens pour vous au regard de votre discipline ? ». Dans le cadre de ce colloque sur le thème Arts, sciences et technicités, nous disposons donc ici d’une étude de cas fournissant des informations restreintes mais homogènes et directement exploitables. Les deux communicants (Richard-Emmanuel Eastes et Edouard Kleinpeter) sont par ailleurs les coauteurs de cet ouvrage.

2. PRÉSENTATION GÉNÉRALE DE LA COLLECTION

L’ouvrage s’inscrit dans une collection intitulée « Comment je suis devenu », éditée par le Cavalier Bleu et dirigée par Sylvain Allemand. Chaque opus a pour vocation de présenter un métier au travers du regard de ceux qui le pratiquent. Ainsi, d’autres livres sont d’ores et déjà parus sur les ethnologues, les géographes, les physiciens, les journalistes, les philosophes, les physiciens, les économistes et les géomaticiens. Chaque ouvrage compte douze interviews de personnalités qui font vivre (ou ont fait vivre) la discipline et chaque interview se compose de cinq questions principales auxquelles s’ajoutent deux ou trois encadrés. Les questions, imposées par le directeur de collection, sont invariablement les suivantes :

• Comment est née votre vocation ? • Quel a été votre cursus ?

• Quelles sont les personnalités qui ont marqué votre vie professionnelle et personnelle ? • Quels ont été vos apports spécifiques à la discipline ?

• Quel regard portez-vous sur la discipline aujourd’hui ?

Le choix des encadrés était relativement libre. Ils pouvaient porter sur un ouvrage particulier écrit par l’interviewé-e ou sur une action ou un fait marquant qu’il (elle) souhaitait mettre en valeur. Toutefois, l’encadré qui nous intéresse ici avait un thème imposé : le titre d’une œuvre d’art qui faisait sens pour l’interviewé-e au regard de sa discipline.

Les ouvrages de la collection s’adressent prioritairement aux lycéens ou aux jeunes étudiants qui hésitent à choisir leur cursus futur et qui souhaitent obtenir des informations sur des métiers vers lesquels ils pourraient éventuellement s’orienter. À cet effet, un cahier pratique, type Onisep, complète l’ouvrage où sont présentées toutes les filières permettant de faire carrière dans le domaine considéré. Cependant, force est de constater que le choix des personnalités interviewées se

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veut volontairement élitiste et n’est nullement représentatif de ceux qui constituent la plus grande partie des praticiens. Le métier est exposé et mis en valeur, certes, mais uniquement par la voix de ceux qui y ont rencontré un succès important et avéré, qu’il soit académique, institutionnel, entrepreneurial ou médiatique. Les « petites mains » qui, en chimie, sont les assistants, les laborantins, les techniciens, etc. ne sont pas représentées. Pour figurer dans la collection, il faut avoir eu un destin hors du commun (ce qui, comme nous avons pu nous en rendre compte, ne coïncide pas toujours avec une réussite scolaire hors du commun). Par conséquent, les personnes interviewées ayant nécessairement réussi, elles ont pour la plupart plus de 50 ans et racontent des études de chimie qui n’ont plus grand-chose à voir avec celles que peut suivre l’étudiant d’aujourd’hui. Ce choix de ligne éditoriale est délibéré de la part du directeur de collection qui, avec les Comment je suis devenu, entend tout autant « présenter des parcours de vie » que réaliser un ouvrage exhaustif sur un métier particulier. Il espère ainsi donner envie aux jeunes d’opter pour une direction de carrière en leur proposant des modèles à suivre.

3. PRÉSENTATION GÉNÉRALE DE L’OUVRAGE

Lors de la constitution de notre panel d’interviewés, nous avons néanmoins tenté de refléter la diversité des métiers de la chimie, d’abord en couvrant tous les domaines de la recherche (chimie analytique, chimie de synthèse, chimie physique, biochimie, etc.), puis en incluant ses branches industrielles (génie des procédés, ingénierie chimique, recherche et développement), sans négliger les aspects de réflexion sur la discipline (philosophie) et sur ses implications sociales et écologiques (développement durable, place et responsabilité du chimiste dans la société, vulgarisation scientifique, etc.). Certaines personnalités représentaient des choix évidents au regard de leurs achèvements scientifiques déterminants dans le domaine de la recherche, d’autres par leur réussite professionnelle dans le domaine industriel, d’autres encore par leurs réflexions originales sur ce qu’est la chimie et sur le rôle qu’elle doit jouer dans notre société moderne. Nous avons également essayé de laisser une place aux femmes (au nombre de trois sur douze), qui ne sont malheureusement que peu représentées dans cette discipline essentiellement masculine. Notre panel final est le suivant :

• Christian Amatore, Directeur de recherche, École normale supérieure • Jacqueline Belloni, Directrice de recherche, CNRS

• Bernadette Bensaude-Vincent, Philosophe, Paris X

• Yves Chauvin, Ingénieur-chercheur, prix Nobel de chimie 2005

• Olivier Homolle, Président de BASF Ouest-Europe, président de la Société Chimique de France • Jacques Khéliff, Directeur développement durable, Rhodia, ex-dirigeant syndical CFDT

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• Armand Lattes, Professeur, directeur de l'Institut supérieur de chimie de Toulouse, ex-président de la Société française de chimie

• Jean-Marie Lehn, Professeur, Collège de France, prix Nobel de chimie 1987

• Jacques Livage, Professeur, Université Pierre et Marie Curie, Collège de France, fondateur de la « chimie douce »

• Andrée Marquet, Professeure, Université Pierre et Marie Curie, présidente de la commission « Chimie et Société »

• Didier Roux, Directeur recherche et développement, Saint-Gobain

• Hervé This, Chercheur, Institut national de la recherche agronomique, fondateur de la « Gastronomie moléculaire »

Les entretiens avaient une durée moyenne de trois heures et la question qui nous intéresse ici (la citation d’une œuvre d’art) n’était posée à chaque fois que vers la fin de l’interview. Il était également demandé à chacun de justifier son choix. Les réponses figurent à présent dans l’ouvrage sous forme d’encadrés d’une longueur moyenne d’environ 1500 signes. Toutes les questions, ainsi que le déroulement de l’entretien, étaient envoyés par courrier électronique aux interviewés quelques jours avant le rendez-vous afin qu’ils puissent s’y préparer. Cependant, nombre d’entre eux furent surpris par cette question et certains demandèrent un délai supplémentaire de réflexion. Quelques-uns, en revanche, n’hésitèrent pas une seconde avant de livrer leur réponse. Avant d’exposer les résultats, nous devons souligner l’exception notable d’Yves Chauvin qui n’a fourni sa réponse qu’après une longue hésitation tout en précisant que, selon lui, l’appréciation esthétique d’une œuvre d’art fait partie du domaine de sa vie privée et qu’il a toujours tenu à distinguer clairement son activité de chimiste professionnel de sa vie personnelle. Il n’a donc pas vu de lien entre art et chimie et s’est contenté de nous citer une œuvre qu’il appréciait.

4. ART ET CHIMIE : DOUZE POINTS DE VUE

Les réponses que les douze interviewés nous ont données à la question « Pouvez-vous citer une œuvre d’art qui fasse sens pour vous au regard de votre discipline ? », ainsi qu’un court résumé des raisons qu’ils ont avancées pour justifier leur choix sont recensés dans le tableau 1 ci-après.

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Tableau 1

-Réponses à la question « Pouvez-vous citer une œuvre d’art qui fasse sens pour vous

au regard de votre discipline ? », ainsi qu’un résumé des justifications

et quelques remarques données par les interviewés.

5. RÉPARTITION DES RÉPONSES ET INTERPRÉTATION

On note ici que quatre des douze chimistes interviewés ont cité des tableaux (dont deux Picasso), trois ont choisi des morceaux de musique classique (dont deux Bach), un chimiste a mentionné un ouvrage d’artisanat et trois ont désigné des objets issus directement de leur champ d’expertise particulier dans lesquels ils décelaient une certaine esthétique. La seule non-chimiste (Bernadette Bensaude-Vincent, qui est philosophe de la chimie) a quant à elle choisi une œuvre littéraire.

Parmi les raisons avancées pour justifier leur choix, quatre chimistes ont évoqué un lien avec la chimie (Bensaude-Vincent, Lattes, Lehn et Livage), cinq ont établi un parallèle avec l’activité scientifique en général (Amatore, Belloni, Homolle, Marquet et Roux) et les trois autres n’ont pas

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créé de lien particulier entre l’œuvre et la science (Chauvin, Khéliff et This) et n’ont donc pas, à proprement parler, répondu à la question. Yves Chauvin ne l’a pas fait pour les raisons précédemment évoquées, Jacques Khéliff, aujourd’hui directeur du développement durable chez Rhodia, fut avant tout un responsable syndical (il a consacré 27 ans de sa vie à la CFDT entre 1975 et 2002) et Hervé This, bien que chimiste de formation, a passé presque toute sa carrière (de 1981 à 2000) au magazine Pour la Science en tant qu’éditeur scientifique.

On peut citer ici quelques exemples. Parmi ceux qui ont établi un pont entre leur discipline et l’œuvre citée, Jacques Livage nous dit : « Lorsque je synthétise une molécule, je retrouve cet aspect manuel et créatif qui me plaisait tant dans la menuiserie. La chimie n'est donc pas qu'une discipline intellectuelle, elle fait intervenir ce que j'appelle “l'intelligence des mains”. Une intelligence qui me séduit beaucoup, au moins autant que l'intelligence du cerveau. » Jacqueline Belloni, quant à elle, étend sa réflexion à l’ensemble du champ scientifique : « Jean-Sébastien Bach, par un jeu à la fois très élaboré et plaisant, parvient à un degré de perfection unique. Il existe des règles de composition, bien sûr, mais il arrive à les transcender pour provoquer notre émotion. Je retrouve cette rigueur et ce dépassement dans la recherche scientifique. En effet, chaque nouvelle découverte, même modeste, est également émouvante car elle s’inscrit dans la longue lignée des fruits du raisonnement humain, en amorcera d’autres et changera la relation au monde de ceux qui nous suivront. »

Il serait bien entendu hasardeux de tenter de tirer une typologie générale du rapport entre les chimistes et l’art sur la seule base de ces douze témoignages. Néanmoins, certaines tendances semblent se dégager et des enseignements peuvent être tirés de ces études de cas. Une première distinction peut être établie entre ceux qui s’intéressent au contenu d’une œuvre (par exemple, à ce que le tableau représente dans le cas d’une peinture) et ceux qui mettent l’accent sur la démarche artistique en général. Ainsi, par exemple, Armand Lattes voit dans les personnages dépeints par Bruegel des figures représentatives du travail du chimiste tandis que Jean-Marie Lehn trouve dans l’activité créatrice de Bach un écho à sa propre pratique de recherche. Dans chacun des cas, on distingue plusieurs sous-catégories, puisque certains voient dans l’art une fonction essentiellement illustrative des concepts et résultats de la science (Olivier Homolle) tandis que d’autres utilisent l’œuvre d’art pour interroger le fonctionnement de la science (Andrée Marquet). Enfin, certains, tels Yves Chauvin, ne voient aucun lien entre art et science et préfèrent les considérer comme deux catégories étanches.

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6. CONCLUSION

Dans le cadre de ce colloque, cette communication avait pour objectif de présenter des résultats concrets obtenus auprès de scientifiques en leur posant directement la question de leur rapport à l’art et du lien qu’il entretient avec leur discipline. On ne saurait ici tirer de conclusion définitive sur le thème complexe de l’articulation entre art et science, ni même entre art et chimie. Néanmoins, ces témoignages peuvent servir à orienter la réflexion et à introduire des recherches plus approfondies. Il pourrait, par exemple, sembler pertinent de conduire la même enquête auprès de scientifiques d’autres disciplines et de comparer les résultats, discipline par discipline, afin de tester et de compléter l’esquisse de typologie que nous avons établie ci-dessus. Ceci pourrait être initié par une analyse extensive des ouvrages de la collection Comment je suis devenu puisque, comme il a déjà été dit, la question de l’œuvre d’art et de la façon dont l’interviewé-e la met en rapport avec sa discipline, a été posée à tous, sans exception.

BIBLIOGRAPHIE

EASTES, R.-E. & KLEINPETER, E. (2008). Comment je suis devenu chimiste. Paris : Le Cavalier Bleu.

Références

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