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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Idées de nature et de biodiversité chez des collégiens

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IDÉES DE NATURE ET DE BIODIVERSITÉ

CHEZ DES COLLÉGIENS

Étude à partir d’ateliers Art-Science

Joanne CLAVEL

Mots clefs : Nature, Biodiversité, Évolution, Atelier Art-science, Médiation, collège.

Résumé : Face à la « crise écologique» de nouveaux discours politiques se sont développés remplaçant le terme vernaculaire de Nature par celui de Biodiversité. Cependant, que reste-il de ce concept scientifique lorsqu’il est transmis à la société ? Quelle idée de nature perdure ? Dans cette étude nous interrogeons la perception du terme de biodiversité par des collégiens de Seine-Saint-Denis à partir d’ateliers pédagogiques Art-science réalisés en 2010-2011.

Abstract : In response to the "ecological crisis" new political views have arisen, replacing the vernacular term of Nature by a new one: Biodiversity. What remains about this scientific concept when it is transmitted to the society? What kind of idea of nature endures ? In this study we question the perception of the term ‘biodiversity’ in children from Seine-Saint-Denis schools by an original way: Art-science educational workshops conducted in 2010-2011.

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INTRODUCTION

La prise de conscience de la crise écologique actuelle est un processus qui débuta par la quantification alarmante d’un fait1, la constitution d’une discipline scientifique2 avant de devenir des politiques publiques nationales puis internationales3. L’expansion de la prise en charge de la protection de la nature, de la sphère civile (ONG, associations naturalistes ou culturelles) à la sphère scientifique, a entièrement transformé l'idée de nature en un nouveau concept majeur : celui de biodiversité. Les scientifiques sortent leurs recherches du discours endogène des sciences (Veron, 1997), à savoir un discours produit au sein des scientifiques et à destination de la communauté scientifique (Fayard, 1988), afin de le diffuser dans la société. Dans le cas de la biodiversité, les chercheurs accompagnent leurs discours scientifiques de valeurs normatives (Tackacs 1996, Maris 2010), ils remettent en question la séparation classique entre les sphères savantes et politiques (Weber, 1919). Pourtant, le rôle accru des scientifiques sur la scène politique internationale en tant qu’expert - comme le marque la construction sur le modèle du climat du trio international : Politique (CBD)4, Evaluation (IPBES)5 et Expertise Scientifique (DIVERSITAS) - s’accompagne en parallèle d’une modification du contenu scientifique du terme de biodiversité. En effet, l’absorption par la sphère politique de ce très jeune concept en élimine quasi systématiquement sa composante évolutive, revenant au temps de Cuvier à une vision fixiste des espèces sur Terre. Par exemple, en France on note que l’arrivée massive dans les manuels scolaires du terme de biodiversité ces dix dernières années peut être mis en parallèle avec la perte de l’enseignement de la théorie de l’évolution au collège (cf Barroca-Placard Marco, plénière du mercredi 26 mai). Or, la science explique le monde vivant comme un phénomène temporel dynamique et évolutif, la biodiversité est avant tout un processus de diversification.

1 Selon la liste rouge publiée par l’UICN, un mammifère sur quatre, un oiseau sur huit, un tiers des amphibiens et un conifère sur quatre est menacé d’extinction. Si la disparition des espèces est certainement le symptôme le plus impressionnant, ce n’est cependant pas le seul. La diversité décline à tous ses niveaux d’organisation (gène, population, espèce, communauté, écosystème, biome …).

2 Dès les années 70, les scientifiques se donnèrent comme mission d’alerter le public et les décideurs politiques de la nécessité de ralentir ce phénomène d’érosion de la diversité du vivant. Le point culminant de cette campagne de sensibilisation fut très certainement en septembre 1986 lors du National Forum on BioDiversity où fut d’ailleurs crée le terme « Biodiversity ».

3 La signature par 188 pays de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) lors du sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992 est l’engagement politique le plus significatif en faveur de la protection de la biodiversité.

4 Convention on Biological Diversity

5 Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity & Ecosystem services (IPBES). Après la délibération du 22 décembre des Nations Unis, le programme IPBES a débuté officiellement en 2011.

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Nous souhaitons, dans ce travail, étudier la perception du terme de biodiversité par le public des scolaires. Comment la nouvelle génération reçoit et comprend ce terme? Que signifie-t-il pour eux ? Le public choisi nous semble particulièrement pertinent à deux niveaux. D’une part, car les collégiens de Seine Saint Denis interrogés vivent dans un milieu urbain extrême6 et d’autre part, le concept politique de développement durable place les prochaines générations au centre des débats sur la biodiversité. Or, le processus d’urbanisation est considéré comme un facteur crucial, imposant une rupture avec la nature il aurait éloigné le citoyen de sa considération envers la valeur (extrinsèque et intrinsèque) de la biodiversité (McKinney, 2006). L’un des postulats des démarches actuelles des sciences interdisciplinaires de l’environnement est que l’homme agit comme s’il ne faisait pas intégralement partie de la nature (Bernstein and Chirian, 2004). Le lien Homme-Nature semble assurer un bien-être précieux qui se décline en termes de plaisir, d’attachement, de recueillement ou de santé (Maller et al, 2005 ; Cohn, 2005 ; Frumkin, 2001 ; Kinzig et al, 2005). De plus, l’expérience de la nature est une hypothèse validée quant à l’engagement futur envers la préservation de la biodiversité des enfants dans leur vie adulte. Pour ces chercheurs, il devient essentiel de replacer les représentations et les relations Homme-Nature comme point central des actions de sensibilisation dans la conservation de la biodiversité.

Le dispositif de recherche que nous présentons a pris pour objet une forme particulière de relation entre transmission scientifique et engagement. Les protagonistes de ce rapprochement Art-Science semblent émettre le postulat que la dimension esthétique et sensible apporte une autre forme de communication, de relation entre Homme et Société. Le modèle majeur d’éducation à l’environnement utilisé actuellement est le déficit model (Irwin, 2001). Il consiste à apporter à la société des connaissances, élaborées par des experts, pour éclairer les politiques et les citoyens. Le dispositif Art-Science proposé dans ce projet pédagogique original sort d’emblée de cette démarche et s’intègre plutôt dans une co-construction des savoirs par les citoyens (Girault, 2005, 2008). Nous analyserons le processus d’interaction science/société autour de la réception par des adolescents en milieu scolaire du terme de biodiversité et nous étudierons l’idée de nature qu’ils développent. Puis, nous élargirons notre discussion en empruntant des éléments de réflexions au champ philosophique de l’éthique environnementale.

6 Les habitants de Seine-Saint-Denis vivent dans le département français avec la couverture d’espace vert la plus réduite, de plus, le milieu social de provenance leur donne peut de chance d’expérimenter la nature lors d’événements plus ponctuels (cf Intervention de M. Barré de L’ODBU).

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2. DESCRIPTION DEL’OBJET D’ÉTUDE : ATELIERS ARTS – SCIENCE AUTOUR DU TERME BIODIVERSITÉ

Nous prenons comme objet d’étude le projet Circonvolution(s) de Laetitia et Tatiana Giraud. Ce sont des ateliers pédagogiques Art-science autour de la notion scientifique de biodiversité pour des collèges en Zone d’éducation Prioritaire de Seine-Saint-Denis. Ces ateliers ont été créés dans une étroite collaboration entre des artistes de théâtre contemporain (Acteurs, Musiciens, Vidéastes et Marionnettistes) et des scientifiques spécialisées en écologie et évolution. Le premier objectif de ce projet est de créer du lien entre des acteurs appartenant à trois pôles institutionnels :

(i) Des scientifiques du le laboratoire « Ecologie, Systématique et Évolution » de l’Université Paris XI, d’Orsay. Des scientifiques Tatiana Giraud (directrice de recherche CNRS en Evolution) et Joanne Clavel (Post-doc en Art et communication et Docteur en écologie-évolution).

(ii) Des collégiens des collèges Jean Lurçat et Henri Barbusse de Saint-Denis7. (iii) Des artistes géré par le Théâtre aux mains nus avec Laetitia Giraud, comédienne; Laurélie Riffault, marionnettiste; Grégory Mariscal, musicien chanteur et Anaïs Fleurent, vidéaste.

La rencontre de ces trois pôles Art-Science-Pédagogie a pour but de créer un échange interdisciplinaire autour de la biodiversité à l’interface entre science et société afin de transmettre un savoir scientifique tout en s’intéressant aux connaissances déjà acquises des enfants et de développer ainsi un véritable échange entre scientifiques, élèves et artistes. Les ateliers se déroulent sur deux années scolaires, de 2010 à 20128. Notre analyse se base aujourd’hui sur les données récoltées en 2010-2011 dans les deux classes de collèges précitées (une classe de 4ème et une de 3ème).

Pour comprendre l’idée de nature développée par les élèves et la réception du terme de biodiversité nous avons mis en place lors de la première séance d’atelier une enquête à l’aide de 12 questions. Le questionnaire laisse libre court à la parole des élèves, au débat et à la confrontation des opinions. Il reste ainsi ouvert de manière à « faire apparaître les conceptions du monde dans lesquelles s’inscrivent les représentations du thème étudié » comme dans un entretien non structuré (Duchesne, 1996, p. 199). Les adolescents sont interrogés sur ce qu’ils pensent de la nature, de la biodiversité, de la place de l’homme dans la nature, de la

7 Financement départemental de Seine-Saint-Denis. 8 Détail du déroulement des ateliers en annexe 2.

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domestication, de la préservation de la biodiversité... Tous les entretiens sont enregistrés sur bande sonore ou par caméra avec l’accord des enquêtés et retranscrits avec l’idée que « l’observation fait [...] partie de l’enquête, autant que l’écoute des informations rapportées par l’enquêté » (Chamboredon et al., 1994, p.126).

3. VARIATIONS AUTOUR DE LA PAROLE DES ENFANTS

Les enfants sont étonnés que l’on vienne récolter leurs paroles et, qui plus est, librement au sein même d’une salle de classe. Ils sont disposés en carré avec au centre l’enregistreur et les deux animatrices art-science intégrées parmi eux, la scientifique commence son questionnaire par « Quand je te dis le mot nature, qu’est ce que cela te dit ? ».

L’idée de nature dans la réponse spontanée des collégiens de 13 à 15 ans (4ème et 3ème) est d’abord une couleur le « Vert » et des végétaux « les fleurs, l’herbe, les arbres »… Viennent ensuite les animaux, mais ils ne peuvent venir que secondairement car, pour eux, la base de la vie ce sont les végétaux : « C’est grâce aux arbres qu’on respire, que les animaux respirent ». Un vif débat est lancé quand au fait de considérer une présence de nature à Saint-Denis. Pour beaucoup, il n’y a tout simplement pas de nature en ville. Ceci sous-tend une idée de nature luxuriante, sauvage, autonome, loin de toute action anthropique. Pour d’autres, au contraire, il y a bien évidemment de la nature en ville puisqu’il y a des arbres, de l’herbe... Ces personnes-là citent d’ailleurs abondamment les parcs urbains comme celui de la commanderie ou celui de la Courneuve. Pour eux, ces parcs présentent certes des arbres et de l’herbe mais aussi des animaux « Des canards, des lapins, des souris, des chevaux. Y’a même un serpent !».

Nous voici donc en présence de deux idées de nature différentes. L’une accueillant la communauté des êtres vivants quel que soit le contexte (ville, parc urbain, friche…), pour eux les êtres vivants sont la preuve de nature, ils sont les acteurs premiers de cette idée de nature. L’autre, au contraire, définit la nature avant tout par le contexte, le paysage global avec comme postulat la faible intensité de traces humaines, ici c’est le décor qui est fondamental.

Après avoir posé la question de la nature, nous avons continué notre enquête sur le terme de Biodiversité. Tous les élèves avaient déjà entendu parler de ce mot, ils le connaissaient : « C’est marqué sur le camion des éboueurs », « Y’a marqué l’environnement c’est la diversité ». Ils savaient, par exemple, que l’année 2010 était désignée comme l’année de la

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« biodiversité ». Cependant, aucun ne pouvait le définir, aucun ne savait vraiment ce que voulait dire ce mot de biodiversité. Alors, nous avons cherché à le décomposer, en commençant par le terme de diversité. Mais ce terme aussi n’appartient pas à leur langage courant : « C’est quand on s’amuse! Bah oui, diversité, divertissement… Ah c’est pas pareil? ». Alors la scientifique tente d’expliquer le mot divers … et aux adolescents de conclure « Ah oui ! Alors, la diversité ça veut dire plusieurs cités !! ».

Deuxième étape de la décomposition du terme de biodiversité, la partie « bio ». Et là, tout se complique, le « bio » de biodiversité est la contraction du terme biologique, la biodiversité c’est la diversité biologique, la diversité du vivant qui a été contracté en un seul terme. Mais pour un adolescent de 13 ans, le « Bio, c’est quelque chose de vrai » ou le « Bio, c’est ce qui est fait naturellement ». Ainsi, on s’aperçoit que sur les deux classes, bien que tous les élèves aient entendu abondamment parler du terme de biodiversité, aucun ne sait le définir, et tous font l’amalgame avec l’Agriculture Biologique, le fait de consommer du Bio. Une autre idée se glisse et s’entremêle dans leurs représentations à savoir le mythe de l’authentique et la question du vrai. Le bio « c’est ce qui est fait naturellement », la biodiversité est donc pour eux « plein de choses bio » et à une élève de conclure que « Maintenant, plus rien n’est naturel ». Un débat éclate dans l’une des deux classes9 un peu plus tard dans la conversation. Je laisse tels quels les propos afin de donner au lecteur une idée des conversations brutes :

Qu’est ce qui est naturel dans tout ce que vous m’avez dit ? - « La nourriture »

- « Non, pas du tout c’est pas naturel ! Quand c’est l’agriculteur qui fait la nourriture et que c’est non

« bio» et bien, il met des produits chimiques dedans » - « Comme quoi par exemple ? »

- « Comme les haricots en boîte » - « Excuse-moi je préfère le surgelé ! » - « Non, c’est naturel les haricots »

- « Non, ils ne sont pas naturels les légumes car ils rajoutent des produits chimiques dedans »

- « Si, c’est naturel » - « Non, c’est pas naturel »

- « Si, c’est naturel, par exemple, le sel c’est naturel »

9 A ce stade du questionnaire l’autre classe est trop dissipée pour que les élèves interviennent sous forme d’un débat libre, nous sommes obligées de fonctionner par tour de table.

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- « Oui, le sel … mais pas les légumes, car quand ils arrosent les plantes, ils rajoutent des produits à

l’intérieur »

- « Y’a même des tomates qui se font accélérées » Leur croissance est accélérée ?

- « Oui, leur croissance est accélérée. On va dire que sur 100% y’a que … , allez, 20% de naturel dedans »

- « Non, 50% de naturel »

- « Allez… 70%, euh… 80% de pas naturel »

- « Madame, alors, ça veut dire que c’est dangereux pour la santé ? » […] Comment elles se font accélérer les tomates ?

- « Dans E=M6, si vous regardez, ils disent qu’ils mettent dans une boite en aluminium de la lumière et

cette lumière elle fait accélérer la tomate, grâce à la lumière et à l’eau. »

- « Moi, je sais pourquoi. C’est par ce que le soleil il est pas tout le temps là. Alors, comme ça pousse

grâce au soleil, et qu’il n’est pas toujours là, et bah… ça peut pas pousser sinon ! Donc on fait ça pour

gagner de l’argent. »

À partir de ce court extrait, on peut noter que de nombreuses interrogations préoccupent les adolescents à l’interface entre science-société et entrevoir des inquiétudes face à la technologie. Dans le cas de l’agriculture, on voit qu’avec les connaissances déjà acquises, ils se positionnent rapidement en tant que consommateur et expriment leurs craintes face à leur propre santé.

4. POURQUOI CONSERVER LA BIODIVERSITÉ

Tous les collégiens avaient entendu parler de la perte de la biodiversité spécifique, à savoir les extinctions d’espèces. Ils n’ont jamais, lors des ateliers, évoqué d’autres niveaux d’intégration que celui de l’espèce (p.e. gène, écosystème). Nous les avons alors interrogés sur les raisons qui motivaient la conservation de la biodiversité : pourquoi préserver les espèces sur Terre ? Or, vouloir protéger la biodiversité, c’est d’emblée lui attribuer une valeur et c’est justement les différentes valeurs attribuées par les collégiens que nous souhaitons étudier. Prenons un extrait de la conversation qui s’est déroulée dans l’un des collèges :

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- « On doit les protéger pour s’en servir. »

- « Si non, y’en aura plus. Bah oui y’aura plus de reproduction alors y’en aura plus et c’est grave. »

- « Non, moi je ne suis pas d’accord. Par exemple, si il y a quelque chose qu’on perd ... et que …, par

exemple, y’a un animal qui mange un autre animal et bien s’il n’y a plus cet animal, s’il disparait et

bien l’autre aussi va disparaître. »

À partir de ces trois réponses spontanées on observe des visions très différentes quand aux devoirs moraux que l’homme peut avoir envers la biodiversité. Nous analysons ces réponses selon la nature des arguments évoqués, selon la valeur donnée à la biodiversité par ses trois élèves. La première réponse attribue une valeur instrumentale à la biodiversité et défend un utilitarisme certain. La biodiversité fournit aux populations humaines une multitude de biens et de services comme pour se nourrir, se vêtir, se distraire … Il est incontestable que l’homme a besoin de la nature pour assurer sa propre survie. Cependant, il est important de distinguer la valeur de la biodiversité elle-même de celle des ressources biologiques. Prenons l’exemple de Virginie Maris (2010) sur la culture du Manioc.

« Les bénéfices liés à la culture du manioc en Afrique ne dépendent pas à proprement parler de la biodiversité. Par contre, lorsqu’une souche sauvage résistante à une maladie permet de sauver des milliers d’hectares de culture d’une épidémie ravageuse, il s’agit d’un bénéfice direct de la biodiversité. […] … bien souvent valeur des ressources et valeur de la biodiversité sont inversement proportionnelles. Dans le secteur agricole par exemple, et à quelques exceptions près, la diversité biologique à tous ses paliers diminue au rythme auquel augmentent des productions.» (V. Maris, 2010, p. 85).

De plus, la valeur de la biodiversité n’est pas forcément réservée à une valeur d’usage, à une consommation physique comme pour la nourriture, les médicaments… par exemple, les valeurs esthétiques, les valeurs culturelles ou éthiques peuvent être appréhendées en terme de bénéfices rendus mais elles peuvent être également considérées comme non instrumentales possédant une fin en soi, une valeur intrinsèque. C’est ce qu’exprime le second élève, le fait que les espèces disparaissent est important en soi indépendamment des services que ces espèces peuvent rendre à l’homme. Enfin, le bien-être humain dépend également de services dont l’appréhension ne nous est pas accessible par nos sens. Ces services écosystémiques dépendent en effet, d’un fonctionnement complexe que seule la science a pu nous révéler comme par exemple la régulation des cycles hydrologiques ou climatiques, on bien encore la

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pollinisation des plantes à fleurs par les insectes (Millenium Ecosystem Assesement) . Et c’est exactement ce que nous enseigne le troisième élève en détaillant les interactions que peuvent entretenir différentes espèces au sein d’une communauté. En prenant un exemple qui lui est familier, celui d’une chaine alimentaire, cet élève appuie le fait que les conséquences de nos actes sur des systèmes si complexes ne peuvent être évaluées et ne pourront jamais l’être. En effet, les conséquences des changements de la biodiversité peuvent être modélisées par une approche réductionniste, puis être évaluées par des approches économiques mais elles ne pourront jamais s’affranchir de l’incertitude liée à la complexité des écosystèmes10 et aux limites des approches d’évaluation économique. L’homme ne pourra jamais ni maitriser, ni dompter, ni prévoir toutes les conséquences de ses actions sur la biodiversité.

Les réponses obtenues se rattachent à différents courants de pensées philosophiques des éthiques environnementales. Depuis la fin du 19ème siècle le milieu universitaire de l’éthique anglo-saxonne repense les rapports Homme-Nature autrefois restreints à des questions d’ordre technique. Les éthiques environnementales aident à réfléchir le rapport des hommes avec la nature selon la morale, les droits et les devoirs que cette cohabitation homme/non-humain nécessite. L’éthique ne se focalise pas sur les intentions mais sur les conséquences de nos actions dont la portée est objectivée par les données scientifiques. Ces philosophies se déclinent en différents courants en passant historiquement d’une vision utilitariste de la nature, à une vision où la responsabilité humaine est élargie à une communauté de non humain (Larrère 2002). Lorsque l’on attribue une considération morale exclusive aux êtres humains, on qualifie cette vision d’anthropocentrisme. La biodiversité possède, dans cette vision du monde, uniquement des valeurs instrumentales qu’il convient de protéger pour le bien-être humain : « Pour que l’homme vive, pour l’eau de source, pour l’air pur »… A l’opposé les visions biocentrique et écocentrique donnent toutes deux une valeur intrinsèque à la nature qu’elle soit à l’intérieur de tout être vivant pour la première, ou à un niveau d’intégration plus global comme au niveau de l’écosystème pour la seconde réponse. On observe que sur l’ensemble des réponses obtenues, les enfants ont majoritairement une vision anthropocentrique : la nature doit être protégé pour l’homme. Cependant, nombreux sont ceux à citer des valeurs non instrumentales : « Il faut préserver la nature pour s’amuser, pour le plaisir », « Pour étudier, pour les connaissances scientifiques »… Et une minorité donne des droits à la nature pour elle-même que ce soit au niveau de l’espèce ou au niveau de l’écosystème.

10 Donc, seulement appréhendable par le réductionnisme puisque la biodiversité est un potentiel qui s’exprime spontanément au cours du temps.

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CONCLUSION

Les ateliers proposés au sein de deux collèges de Seine-Saint-Denis nous ont permis d’analyser les visions de nature et de biodiversité des adolescents. Face une question socialement vive comme la crise de la biodiversité, faisant intervenir des luttes de pouvoir entre différents acteurs, il était important de questionner le point des vues des prochaines générations. Nous pouvons conclure que le terme scientifique de biodiversité bien que déclaré connu n’est absolument pas compris, et ce tout simplement parce qu’il est chargé de notions complexes [multiplicité des niveaux d’intégration (e.g. gène, espèce, écosystème) et approche multiple (e.g. fonctionnelle, évolutive)]. Il n’est actuellement même pas rattaché à la notion de nature, mais plutôt à celle d’une consommation via le label Bio. Enfin, bien que les exemples présentés ici soient fort réducteurs de la richesse des réponses récoltées, on peut d’ores et déjà voir que la responsabilité humaine face à la communauté des non-humains se traduit par une diversité de positionnements qui se construisent, s’opposent et se modifient au sein même des séances.

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