4P»sm"'
Bibliothèque de la Faculté de Philosophie
et
Lettres
de
l'Université de
Liège-Fascicule
LXXXIII
^
b d~é0
MARIE
DELCOURT
-STÉRILITÉS
MYSTÉRIEUSES
&
NAISSANCES
MALÉFIQUES
DANS
L'ANTIQUITÉ
CLASSIQUE
Faculté
de
Philosophie
Librairie E. Droz
-Paris
et
Lettres
-Liège
25,
ruede Tournon
.4 Monsieur Franz Cumont,
hommage
reconnaissant.
La
présente
étude
aété
commencée
pourexpliquer le
début
à'Œdipe-Roi. On ad'abordvoulu démontrerque
le
Xoi/xoç
qui frappe
Thèbes
n'estnullement unemaladieet que
les
enfants
quele chœur
dépeint,
gisants
etabandonnés,
n'ont
pasété
exposés
morts,
mais vivants.
Ilafallu, pour
cela,
reprendre
toutesles
superstitions
anciennes
re¬latives auxFléauxetausortdesenfantsanormaux. Ona
essayé de
grouper
ici,
sinon
tous
les
textes
(car beaucoup
sebornent
à
de simples
mentions et ne nousapprennent
rien de
précis),
du
moins
ceuxqui
prêtent
à
discussion. Le
lecteur
voudra
bien
excuserl'auteur
si la
légende
d'Œdipe tient
unegrande place
dans les
pagesqui suivent.
C'estcertainement
l'exégèse
d'Œdipe-Roi
qui
ale
plus
souffert
de la
mauvaise traduction
Aot/xô?
=peste,dont
on aentrepris ci-dessous
de démontrer l'inexactitude,
peut-être
troplonguement.
** *
L'auteurremercieceux
qui
ontbien
voulu l'aider dans
sontravail,
MM.LéonHalkin,
J. Hubaux,
H.
Jeanmaire
et
A. Severyns
qui
ont
lulemanuscritetfait des
critiques dont
on a tenule plus
grand
compte;
Roland Crahay,
Alexis Curvers
et
René Henry
qui
ont
apporté plus
d'un
texteutile, plus
d'un
rapprochement
ingénieux
;enfin et surtout, Melle
Nelly
Clajot
qui
aassumé
des
recherches
fastidieusesavecautant
d'intelligence
qued'exactitude.
Melle Clajot,
MM.Crahay,
Hubaux,
etle Dr
Marique
ont
eula bonté
de
revoir les
Chapitre Premier LES
FLÉAUX
LesAnciensontvudans lafécondité delaterreetdes
espèces
vivantes unseul
phénomène régi
parla même
volonté
divine.
Les mots dont ilsse servent pourdésigner la
génération et
sesorganessont
les mêmes
lorsqu'il
s'agit de
la
terre
labourée,
ense¬ mencée,etducouple
humain. Cette
croyanceest
toujours restée
parfaitement
explicite
et
bien des rites
enont
gardé
la
trace.
Déméterest
invoquée
dans les
fêtes du
mariage. Les
Thesmopho-riessontcelles de lafécondité. Aucoursdes
Arrhétophories,
pouragir
à la
fois
surla
génération des
semenceset
surcelle des hom¬
mes,—car,dit le
scholiaste
qui
nousconservacerèglement, elles
obéissent àla mêmeloi—on
jetait dans des
trous
les
«offrandes
mystérieuses
»,des
porcsvivants
et
des gâteaux
enforme de
phallus
etde
serpents
; onapportait des
rameauxavecdes
pom¬mes de
pin
;les
pommesde pin
et
les
porcsfiguraient dans la
cérémonie à causedeleur caractèreprolifique,
commesymbole
de la
multiplication des
fruits
et
des hommes.
Les
historiens don¬
nent
aujourd'hui
uneautre
explication de la présence
des
porcssacrifiés, mais celle duscholiaste rend compte
de
cequ'on
pen¬ saitdesontemps
etc'est
cequi
nousintéresse
ici
;acceptons-la
doncaveclesensdontelleest
chargée
et
constatons
queles Athé¬
niens
pensaient
jeter
dans
les
trous
des emblèmes
de la
fécondité
soussestrois
aspects.
Les gâteaux
et
les
porcsétaient
enpartie
mangés
pardes reptiles.
Ce qui
enrestait, les
Puiseuses le rele¬
vaientetle mettaientsurl'autel. Les gens
venaient chercher
un peude
cette
matière
etla
mêlaient
auxsemencespouravoir de
belles récoltes. En 17
avant
notreère,
quand Auguste
fera célébrer
les Fêtes
séculaires,
bien desrites de
celles-ci
rappelleront les
cérémonies et
l'esprit des Thesmophories athéniennes (1).
(1) Dieterich, Mutter Erde,pp. 44 sqq.—Schol. deLucien, Dial. descour110
La fécondité éternelle de la terre et des
espèces
vivantes,
aété,pour
les anciens,
lagrande
espérance.
Leur crainteaété de voircettefécondités'arrêteroudévier.Aussi,
lorsqu'ils
sententles dieuxen
colère,
le châtimentleplus
terriblequ'ils puissent
redouter,
c'est lastérilitésoussestrois aspects:stérilité végétale,
animale,
humaine. Et,lorsqu'ils envisagent
unarrêtde la vie, ilsnele voient pas
seulement
dansl'image d'une
femme
qui
n'a
pasd'enfants,
oudont l'enfantmeurt, maisaussi d'une femme dont l'enfant est anormal. Une stérilités'accompagne
d'apparitions
étranges,
où les
espèces
refusent
de sereconnaître. Unecalamitéenvoyée
parles dieux
s'appelle
unXol/mos.
Ce
mot
signifie
exactement lamême chose que
le
français
Fléau
etonle traduira ainsi dans lespages
qui suivent.
Ilnedésigne
pas unepeste
quoique,
parfois,
unemaladiepuisse
accompagnerune calamité.
Lorsqu'on
trouve un Fléau décritavec une cer¬
taine
précision,
on constate aussitôt que ce mot sivague
fait
presque
toujours
allusion
àunestérilité.On n'essaiera pas
de tirer
del'étymologie
plus
qu'elle
nepeutdonner:ceque
l'on
cherche àatteindre,
cen'estpas une
origine
inaccessible,
maissimplement
le
sentimentdes ancienstelqu'il
selivre dans les textes.
Cependant,
on peutbien
signaler
queXifiôs,
Xotfjjis
etAoiyôç
semblentapparentés
entre eux et aulatin letum; que
ré
pasapparenté
à
-é\a>p signifie
d'abord
appa¬
rition miraculeuseet
significative,
puis
monstre(x). Le
Fléau
parexcellence,
c'est la faim et l'extinction de la vie; le
Signe
parexcellence,
c'est l'enfant anormal.§
i.Le
fléau de stérilité.Zeus, dit
Hésiode, punit
l'injustice
etrécompense l'équité.
Et le vieux
poète
nousdonneuneprécieuse
description
du
châ¬timent et desa
contre-partie
:«Ceux
qui
sontjustes
enversétrangers
etnationaux,
ceuxqui
jamais
ne transgressentla
justice,
leur ville
estflorissante,
lepeuple
yestprospère
;la
paix,
nourricière de
jeunes
gens,règne
dans le pays ;
Zeus
neleurenvoiepoint la
guerrefuneste.
Ceshommesauxsentences
droites,
la faimnelessuit pas,ni le
dé¬sastre: ils
jouissent
des fruitsqu'ils
ont récoltés. Poureux, la
i) Boisacq,Did.étym.s. r.:—Osthoff. ArcM.j. Relig.VIII.
—
II —
terreporte
des
vivres
abondants. Sur
leurs montagnes,
le
chêne
estchargé
de
glands à
sonsommet et
d'abeilles
en
son
milieu
;
leursbrebis laineuses traînentde
lourdes
toisons
;leurs
femmes
mettent au monde desenfants
semblables à leurs parents
(i)
; ilss'épanouissent dans
la
prospérité
;ils n'ont
pas
besoin de
prendre
la
mer:la
terrre
fertile
porte
du
fruit
»(Travaux,227-237).
Au contraire, «souvent une
ville
entière
souffre
à
caused'un
seul hommequi
vaversle
mal
et
le prépare.
Sur
eux
tous,
du
haut du ciel, Zeus
fait
tomber
unegrande
calamité,
Faim
et
Fléautout ensemble. Les
peuples
dépérissent,
les femmes
n'en¬
fantent
plus,
les maisons
s'épuisent
parle
conseil de Zeus
Olym¬
pien
»(2) (Trav.,
240-245).
Justice
immédiate,
avecla
prospérité
oula
ruine
matérielle
pour
sanction
;récompense
et
châtiment
collectifs, tout le
groupe
étant
puni
avec unseul
coupable.
Platon
ne sesatisfera
pasd'une
telle morale;
mais
elle
resterapopulaire
pendant toute
l'anti¬
quité.
Ce qui
nousintéresse
ici, c'est
de
savoir
ce
qu'est exacte¬
ment le Fléau dont Zeus menace le
coupable.
Tous les traducteurs entendent, au vers243,
Xi.ij.6v ô/xoû
Kal
Aot/xôv dans
le
sensde
la Famine
et
la Peste.
Comme
Hésiode,
danssa
description du bonheur
des
justes,
yinclut la
paix,
onveut trouverici la
plus
ancienne
mention des
trois
mauxqui
menacent
l'humanité,
la Guerre, la
Famine
etla Peste
;un mo¬ derneprend forcément
cedernier mot
commeéquivalent
de
ma¬ladie. Or,
qu'on
veuille bien
regarder le texte
de
plus
près,
onverraque
le poète
nementionne
aucunmal
qui atteigne
le
corps
humain,
excepté
lorsqu'il dit
: «les
femmes n'ont
plus d'enfants
»,ce
qui
peutsignifier,
oubien qu'elles
sont
stériles,
oubien
qu'elles
n'accouchent pas
heureusement.
La
comparaison
avecd'autres
textes nous amènera à
préférer
la seconde
interprétation. De
plus,
elles
mettent
aumonde des enfants
qui
nesont pas
sembla¬
blesà leurs
parents
(3),
litote dont
le
sensdevient
clair lorsqu'on
rapproche
la
vieille
malédiction
rapportée
parEschine dans
son
(1)V. 235TiKTOvai. 8eyvvaÎKesèoiKora réfcvayovevaiv.
(2) roîaiv8'ovpavodev [J-éy*em^yaye 7rrjna Kpoviojv, Xifiov ôfxovKal Aot^tov ' à7ro<f>dLvv9ovoi 8è Aaot
ov8eyvvaÎKestiktovolv, pnvvQovoi 8eolkoi
Zrjvos <f>pahfioavvT]aiv'OXv[xttlov.
(3) Bienentendu, ilnefaut pas rapprocherce versd'Hésiode deceluioù
Théocrite(Piol.43) parle desfemmesinfidèles dont lesenfantsneressemblent
pasà leurpère. Lesmss.d'Hésiode hésitent entre yovevaietroKevai,quisont
discourscontre
Ctésiphon.
Il parle de
la
première
guerresacrée,à
l'époque
de Solon
: lesgens
de
Cirrhaontcommis des sacri¬lèges
envers letemple
de
Delphes
;le dieu, consulté,
répond
qu'il
faut
fairela guerre aux Cirrhéens etravager
leur
pays;les
Amphictyons
promettent d'exécuter l'ordreet vouent ceux
qui désobéiraient
à la malédicitond'Apollon,
Artémis,
Léto etAthéna;
l'exécration
estformuléeences termes:«Que la
terre neporteplus
de fruits,
que
les
femmesnemettentplus
aumonded'enfants semblables à leurs parents, mais des
monstres, que, même dans les troupeaux,
les
nouveau-nés ne soient pas con¬
formes à lanaturede leur genre
»
(i). Dans
cetteformule,
l'ano¬malie est
représentée
comme unchâtiment
plus
terrible
quela
simple
stérilité.
Au
contraire,
c'estde stérilitéqu'il
estquestion
dans deuxpas¬ sagesd'Hérodote.
Cambyse
mourantconfie àceuxdesonentou¬rage
le
soin dereprendre
l'empire
des
mains desmages ;
s'ils
obéissent,
aquela
terre portedu fruit,
queles
femmes et lesfemelles accouchent»
(2).
Les
Pélasgiens
de
Lemnos tuentleurs concubinesathéniennes
etles enfants de celles-ci
parce que
les bâtards
l'emportaient
surlesenfants
légitimes.
Ilenrésulteunestérilitégénérale
:laterreneporte
plus
de fruit,
ni les femmesni les femellesn'ont
plus la
mêmepostérité
qu'auparavant.
Épuisés
parla faim
et parle
manque
d'enfants,
ils consultent l'oracle deDelphes (3).
On voit que,dans
aucundecespassages,il n'est question
demaladies
qui frappent
les
adultes. Cette idéene
figure
pasdavantage
dans
lecouplet
imité
d'HésiodeoùCallimaque
loue la
puissance
d'Artémislorsqu'elle
punit les
hommesinjustes
: «Lafamine dévore leurs
troupeaux
(4)
et
la gelée leurs
travaux;les vieuxrasent leur tête àcause de la mort de leurs enfants;
les
femmes,
oubiensontblesséeset meurentencouches,oubien.I) Contre ctésiphon,
111 firjreyrjvKap—ovs<bépeiv, [trjreyuvaÎKas reKva ri-kt€lvyovevaivioiKora âXXà répara, firjSè fioGKTjiiara
tcarà<j>voiv yovàs-Troieîadai. (2) III, 65 y77 reKaprrovi.K&epoiKal yvvaZicésveKal ~oîfivai rl/croiev.
{3) ^ I,139ovreyij Kap—ové<bepeovreyvvaÎKesreKal noïiivaiop-olco?erucrov Kal 77po rov «rie£o/ievoiSeÀtfuv reKald~aiSij] isàeXôovsêireii—ov.—
IlieÇo-p,evoiXljj-cv Kalà—aihiiQexpliquele àrrotbdivvQovGi Aaot d'Hésiode.
(4) Hymne à Art., 125 sqq. Kr-qvea 6iv Aipôv KarafiooKerai, êpya 8i —dx^]
■
Ai\iôvestdonnéparles meilleursmss;ilest tout àfaitinutile d'accepter la lectiofacilior \oiy,6vdesreceniiores. La fin duversindique
quele poèteavoulu introduiredesmétaphoresinattendues.
—
13 —
échappant
à
la
mort,
mettent
aumonde
des créatures
dont
au¬
cune ne pourrase
tenir
debout
surdes
chevilles
droites
».Les enfants dont les vieillards
portent
le
deuil,
cesont
les
jeunes
gensmorts
à la
guerre,et,
cette
guerre,c'est la
guerre
civile:
Callimaque,
enlouant
les justes,
dit
quela
«discorde
neronge pas
leur
race »(oùSè Sixocrracrir]
Tpwei.yévos). Le
sort
desfemmesest décritici
plus
explicitement
quechez
Hésiode
:oubien ellesmeurentencouches,oubien elles mettentau
monde
des êtres
qu'il
aurait
mieux
valu
ne pasvoir
naître (i).
Les
enfantsqui
nepourront
passetenir
debout
surleurs
chevilles,
cenesontpas
seulement
des enfants
débiles,
commele
veulent les
commentateurs,cesont
des enfants
anormaux :la station droite
est le propre
de
l'humanité (2).
Callimaque,
commeHésiode,
désigne
par unelitote
ceux quela malédiction conservée
parEschine
appelle
crûment des
monstres.
*
% *
Prenons
provisoirement
le
mot
Aoi/aos- dans
le
sensde Fléau
envoyé
parles
dieux
et
continuons à demander
aucontexte
de
nous éclairer sur la nature de ce châtiment. Dans les Perses,
lorsque
Darius demande à
Atossa qui
lui
annoncela ruine
de la
puissance
perse :Aol/j-ov
tlç9e
akir/ttros7} ardais voXei
;M. Mazon entend: «Est-ce la famine ou la guerre
civile qui
s'est abattue sur
l'État
?»,prenant
ainsi Aoi/xo?,
sanscontexte,
danssonsens le
plus général de
stérilité. En profondeur, l'anti¬
thèsesignifie
: «Souffrons-nous
d'un Fléau envoyé
parles dieux
ou d'un mal né de la volonté des hommes ?»
Il faut
probablement donner le même
sens au motA01/j.oç
danslabénédiction que
les Danaïdes
prononcent
surArgos
lors¬
quela ville
consent
à
les accueillir.
«Que jamais, disent-elles,
unFléaunevide d'hommesla cité,que
la
guerrenesouille
pasle
soldu sangdes
jeunes
gens »(3),
«queles vieillards
emplissent
(1) Hymne à Art., 128 tlktovolv tœvovSev eni acfivpovopddv àvéoTTj. (2) GALLIEN, DeUSUpartium, III, 26p8os Sè/zovoç dnavrcuv Çœcuv civdptoTTOs'
yàp avTÛ)/car' evdvrœvoKeAœv17 èarLv.Lorsqu'Ovide dit:Os
homi-ni sublimedédit,cœlumque tueri iussit, ilmetl'accentsurl'aspect intellectuel du privilègehumain, lequel, certainement, avait été remarqué dèsuneépoque très
ancienne.
(3) ESCH,Sllppl., 659-662yl-q-norç Xoifios av8pwvjravScttoXlv kcvcogoll'J
€7ri^a)piotç <8opu>j7TTcofiaatvalparioai ttcSovyâç.—8opv estuneconjecture très
la salle»
(666),
«que
de
nouvelles naissances viennentsans cessedonner des chefs à cepayset
qu'Artémis
veillesurles couches desfemmes»
(674-678),
«que
l'essaim
douloureux des maladiesaillese poser
loin
du front desArgiens
»(684-685).
«Que
Zeus
rende laterrefertileentoutesaisonetque
les
brebis deschamps
soient fécondes»
(689-691).
On retrouve ici les trois thèmes
qui figurent
dans les pas¬ sagesd'Eschine
et d'Hérodote: féconditéde la terre,des trou¬
peaux etdes femmes. La guerre
fait partie du
Fléau décritpar
Hésiode etpar
Calhmaque. Eschyle
insiste
particulièrement
surle thème de la
dépopulation
humaine.Ce chœur des
Suppliantes
est le seul detouslestextesdecegenre
qui
mentionne formelle¬ment les maladies
parmi les
mauxqu'on prie les
dieuxd'épar¬
gner auxhommes. Dans
1'èa/j.oç
vovaiov duvers
6S4,
M. Mazon
reconnaît, certainement avec
raison,
les maladiesqui
frappent
les
enfants, spécialement
confiés àApollon Lycien (1).
L'idée
dominante esttoujours
celle
de lapersistance
de la race.Dans les
Euménides,
lesErinyes
menacent Athènes d'une«lèpre
mortelle à lafeuille,
mortelle àl'enfant»(2).
Athéna
lesprie
de
retournerleurimprécation
enbénédictionetdedonneren
Attique
la
féconditéausol,
auxtroupeaux,
et à la semencehumaine
(904-909).
Réconciliées
aveclaville,
ellesdéveloppent
cestrois thèmes dans le chœur
qui
termine lapièce.
** *
Dans la
langue
couranteduVesiècle,
lemotAoi/iôs
a donc un sensreligieux
et il
désigne
une calamitéenvoyée
parles
dieux.
Hérodoteprend
lemotaveccesens, unefoisdans laformulequi
est
déjà
chezHésiode, Aifios
Kal
Aoi/ios (VII, 171),
une autre foisenparlant
d'une maladiemystérieuse rangée dans
une sériedecrrjfieïa
inquiétants (VI, 27),
uneautrefoisencorepour
désigner
la
dysenterie qui s'empare
des
Perses affaméslorsque, pendant
leur retraite de
Thessalie,
ils mangentdes herbes
etdesécorces(3).
A ne lire que ce dernier texte,on
pourrait
penser queAol/jâs
va
désigner
unemaladie
épidémique quelconque,
même dénuée
de caractère
mystérieux.
MaisThucydide
ne se sertjamais de
(1) Suppl. 686-7 evftEvrjsS' oAviceioç €a\rùjïraaç veoXaxa.(2) Trad. Mazon, Eum.785 et
815 aévWos âreKvoç. (3) VIII, 115€-ûi\aficuv8c Xoiuoç7€rov arparovKal
ce terme pour
désigner
la
peste
de
430.
Il
l'appelle
vocro?
(II,
47,3 ;
49,6
;50,1),
voCTTj/iia(49,6
;
51,1
et
6
;
53,1)
et
kœkôv
(47,4).
Le mot
Àot/xoç
apparaît
à
la
fin
de
la
description,
dans
le texte
d'unoracle
(54,2
et
3)
et
dans
la
phrase
solennelle
qui
introduit
la
description
enrappelant
que
jamais
on
n'a
gardé
le
souvenir
d'une telle calamité:
où
...tooovtôs
yeAoi/xôç
ovSè
cj>dopà
...i/jLvrjfjioveveTo
yevéadai
(47i3)'
Aotfiôs
signifie
donc
pour
lui
fléau
en
général
et
nonmaladie.
Platon
prend
deux
fois le
mot
Àoi/xds dans
le
sens
de
calamité
en
général
(1),
unefois
pour
désigner
la
peste
d'Athènes,
mais
dansunpassage
qui
aunecouleur
religieuse
très
marquée,
puis¬
qu'il
s'agit du
rôle
thaumaturgique
de
Diotime
qui
fléchit les
dieuxet obtientque
le
fléau
soit
retardé
de
dix
ans
(2).
On n'a
doncnullementledroit
de
conclure
de
cette
phrase
que,réguliè¬
rement,
Aot/Lioç
signifie peste.
Un
quatrième
passage,
très
curieux,
oppose
Aoi/laoç
à
voo-qixaet
reprend
certainement
le mot
dans
son
premier
sens,celui
des textes
ci-dessus,
où
il
désigne
une
cala¬
mité
frappant
la
terre,
les
animaux et
la
postérité
des
hommes.
C'est cepassagedes
Lois
qui dit
qu'une
seule
réalité,
l'avidité,
peutse
présenter
soustrois
aspects
différents
;
«
elle
est
maladie
lorsqu'elle frappe
les
corps,Aoi/xo?
lorsqu'elle
frappe
les
saisons
et les années,et, par un
simple
changement
de
nom,
injustice
lorsqu'elle
atteint
les
États
et
les
constitutions
»
(3).
Plustard,lemot
garde
cette
valeur
religieuse.
Plutarque
men¬
tionne un
\ol/j.6s dans
unesérie
de
calamités
mystérieuses
(Co-riolan,
13) mais,
parlant de
la
peste
d'Athènes,
il
l'appelle
une
Aoi^ùjStjj
vôaos
et
de même
Pausanias
(I
3,4). Ce terme, et
celui
de
Xol^ilkov
irados,
est
celui
dont
seservent
également
les
phy¬
siciens, —Aristote
dans
sesécrits
d'histoire
naturelle
—lors¬
qu'ils
veulent
parler
d'une
véritable
maladie
épidémique.
Est-il
nécessaire de faire remarquer que,
dans
cestermes
unis,
c'est
Trddoç ou vôaos
qui
signifie
maladie,
l'adjectif
tiré de
Aoi/no?
marquant
simplement
le
caractère
universel,
effrayant,
d'un
mal
présenté
comme unchâtiment
divin ?
Encore
Hippocrate
(1) Banquet 188 B Aot/xot coordonnéà voo-quaTa;
Lois
188
B,
coordonné à
7roXcfJLOs, arropia, voaoï.
(2) Banquet201 D.
(3) Lois 906C <f>ap.€v S' clvaLttov to vvv
ovo^ia^6fjl€vov
àfidpTTjfia,
ttjv7rXeove-Çiav, évfi€vaapKivois aco/xaat vôoTjfia.KaXovfievov,
iv Se
œpaiscrwv#caî
d8t-— i6
—
n'emploie-t-il
ni le substantifnil'adjectif.
Le
traité desépidémies
estintitulé
—epl
~œvi—iSrnilwv
et l'auteurlesappelle
voucnj/xara e—i)(wpLa.
Un
ÀoLfios
estdoncexactementcequenous
appelons
unFléau,
unchâtiment
envoyé
parles
dieux
etfrappant
unecollectivité(i).
La forme
classique
du Fléau,
dansl'antiquité,
c'estunestérilitéde laterre,des femelleset des
femmes,
stérilitéaggravée
parla
naissance d'êtresanormaux, contraires à lanature. La
descrip¬
tion laplus complète
d'un
Fléaudecegenreaété donnée
par
So¬
phocle
dansŒdtpe-Roi.
Mais
l'importance
du débutdecettetra¬
gédie
comme documentreligieux
a été si totalementméconnue
qu'il
n'estpasinutile
d'en faireiciuneétudeunpeuapprofondie.
§
2. Le fléau dans Œdipe-Roi.Onavoulu voir dans lacalamité thébaineuneallusion à
l'épi¬
démie
qui
ravageaAthènesen430et,
dans
Œdipe lui-même,
unesortede
figure
de Périclès
(2). Disons
tout desuite quele
rappro¬ chement n'aurait puêtre suggéré
que par
le
pire
ennemi de Périclès. Eneffet,
si l'onfaitappel
à
Œdipe
pour
guérir le fléau,
c'est lui
uniquement qui
enest
responsable
etla confiance desThébains reposesur
le
plus tragique
des
malentendus. Onnevoit pastrès
bien nonplus
le
fils deXanthippe
invitant
un desesconseillers,
commeŒdipe
le
fait dansuneminutededémagogie,
à faire devant tout le
peuple
rapportsur samission(3). Vouloir
àtout
prix
trouver des allusionshistoriques
dans
l'un despoèmes
les
plus
inactuels qu'on ait
jamais
écrits,
c'ests'exposer
à
enfausser lesens pour y
introduire
deforcece
qu'on
estdécidé
ày
découvrir
ensuite(4).
1)C'estpeut-êtreparcettecroyancequ'il faut expliquerlevers
348des Tra¬
vaux : 0Ù8' av fiovs àïrdAoito. ei'
firj yeirœv kcikos en7. *I-iïtaureaupassait
facilementd'untroupeau à
un autre \ dit Wilamowitzdanssoncommentaire.
C'estexact,maisunhomme méchant porte malheur
puisque la fauted'unseul
peutfaire punir toute lacommunauté. Un mauvais voisinestmaléfiquedu seul
fait desaméchanceté.
(2) Musgrave semble avoirété le premier à
proposer le rapprochement.
Malheureusement,ilfut suiviparHermann.
On s'est ensuite servi de laprétendue
allusionde Kiel,pour19x2,dater lapp. 9 sqq.pièce.Cf.Shdhaus,KônigŒdipus'Schuid.Rektoratsrede
(3) Œd.-R. 93.
(4) Un médecin humaniste ne s'ytrompera
pas. Le Dr. Béteau,auteur
d'uneexcellente étudesurla maladiedépeinteparThucydide,
—
17 —
Lorsqu'on
lit la
tragédie
sansidée
préconçue,
ons'aperçoit
que
Sophocle n'a
entendu
décrire
ni
unemaladie, ni
uneépidémie
au sensmoderne du mot.Le Fléauqui éprouve
Thèbes est
unestérilité. Lesseuls êtres menacés sontles femmes en
couches
et leurs fruits.Lemalheur
qui
pèse
surThèbes
est
deux fois
décrit,
une pre¬
mière fois dansle
prologue
parle
grand-prêtre,
uneseconde fois
par
le
chœur
dans
le
commentaire
lyrique de
la
parodos.
C'est
la
technique tragique
employée
parEschyle
dans les Perses,
dans
lesSept, dans
Promethée,
parSophocle lui-même
dans les
Tra-chiniennes, et,
d'une façon
plus mouvementée,
dans
Philoctète
et dans
Ajax.
Quelques
mentions
rapides, dans le
premier
épi¬
sode,
rappellent le
Fléau. La
dernière
allusion
est
dans
la
bouche
de
Jocaste
qui
entre
endisant à
Œdipe et
Créon
(v.
635-636)
:«N'avez-vous pas
honte,
quand
l'État
souffre tant,
d'agiter
des
querelles
personnelles ?
»Puis, c'est tout.
Déjà à
l'apparition de
Jocaste, les spectateurs,
pris
tout
entiers
parla
question
: «qui
atuéLaïos ?»,ne
devaient
plus
guère
penser auFléau. Personne
n'en
reparlera plus à
la fin de
la pièce.
Laville, dit le
grand-prêtre,
est
accablée
parl'orage
:<f>9Lvovaa /xèv ko.XvÇiv iyKa.pTroi.ç
(25)
<f>dlvovaa
8'
àyéXaLs fiovv6p.oiç
tokololreàyôvoLS
yvvaiKœv ' evS'
ottvp<f>6poç deos
(TKr/ipas
èXavvei
,XoLfxos
é^ôicrtos, ttÔXlv,
v(f>'
ov KevovTCu8(5/za KaSfxeîov
'/xe'Àa? 8'
"AlStjç
arevayfioîç
Kdl yôoiç
TrXovTiÇeTai.
(30)
- «La ville
périt dans les
germesfructifères de la
terre,
dans
les
troupeaux
des bœufs
enpâture,
dans
les
accouchements
des femmes,
qui, tous,
seterminent
sansnaissances. Le
dieu
porte-feu, le haïs¬
sableLoimos, s'étant
élancé,
malmène lacité
et,par
lui,
sevide la
maisoncad?néenne tandis que
le
noir
Hadès s'enrichit de larmes et
de
déplorations.
»(1)
ceprologued'Œdipe-Roi, rien de naturel, riend'humainement possible, mais unphénomène mythiqueà l'échelle despersonnages.Pasd'assimilation possible
dufléau àuneépidémie».
(1) Il faut justifiercettetraduction.'Ay6voi.s(27) qui, grammaticalement, est
attribut de tôkokji, domine égalementkaauftv etàyéXais. Ainsique<f>divovaa,
ilfaitoxymoronavecÉy/câp7rotçetavectokolol;d'unefaçon plus sourde,avec
àyiXais, qui,en insistantsurle nombre desbêtes,évoque leur multiplication.
Il devrait y avoir prolifération; on nevoitqu'avortement.—'Ev S'...uK-qi/ias
(27-28): la plupart descommentateurs fontremarquer queSophocle emploie
— i8
—
Le chœur décrit ensuite le fléau dans la deuxième
strophe
et la deuxièmeantistrophe de
la parodos
:ai ttottoi,
àvâpidp.a yàp <j>époj
(167)
TTr/ixara ' voaet
Se
fioi—pô~aç
crroXos, ovè' ëviépovri-Soç
éyx°s
l1?0)
ai ri;
dAérerai
. ovreyàp éxyova
kXvtô.s
x9ovos
av£erai,
ovre tokoioiv(175)
Irjlwv
Kafxdraiv
dve^ovcri
yvi'aÎKes 'âXXov S'àv âXXai
—poaiSoLs
arrep evTrrepov opvivKpelacrov
à/iai/iaKérov
rrupos opfievovaKràv 77pos
écrTiépov
deov.
(Lv ttoÀiçavapiOfios
oXXirrai
'vTjXéa
8è
yévedXa
TïpoçrréSai
davarat^opa
xtiraiavoiKTWS '
(180)
iv S'
â.Xo)(oi
77oXLai
tèîri
fiarépeç
aKTav
Tïapa^âifiLOV
âXXodev
âXXaiXvypâiv
776vwv
LKTrjpes emcrreva^ouCTiv.(*85)
naiàv Sè
Xd/XTret
crrovàeaad reyfjpuç
5p.avXos
'aiv V7rep
, uj
xpvcréa dvyarep Al6s,
evwTTa
77épApov dX/cav
'(1S9)
1S0davaraéopaou 9avarâ<j>opa L2 8avaraôôptuL16avo.ra.i6pw recc. iv...Siavec la valeur homériquede ensuite;ilsentirentargumentpourdire
quelesvers25-27décriventunestérilité àlaquelle s'ajouteunepeste,unemala¬
die définie parlesverssuivants. IlestexactqueSophocle emploie iv...Seavec
lesensde ensuite;c'est lecasin/ra 181, Trach., 206,probablementaussi dans
Œd. Col. 55.Mais,endehorsdecestroiscas,je n'envoisaucunoùivnepuisse s'expliquercommefaisantpartiedu verbe. C'est lecaspourip.neorovp.ai (Ant.
420,El.713). Quant à Ajax 675,le texte paraît gâté. Ajax énumérantles vicis¬
situdes de lavie,parle dessoufflesquisecalment aprèsavoiragité lamer enfurie, puisil dit: èv S'oTrayxpaTTjsvrrvos : Avei—eSijoaç, ovS' àet Aaâcùi c^ct.
Impossible d'expliquericiunitem (avecWunder)ou unsimui (avecEllendt).
Lesdétails, visiblement, ne sontpas coordonnésentreeux, mais
simplement
subordonnés à l'idée dominante. La correction 178', adoptéeparSchneidewin
Nauck,nevaut pasmieuxqueletexte traditionnel. Onpourrait peut-êtrepro¬ poser iic S'...AÛ€i,tousles élémentsdecepassageétant simplement reliés
par Si aprèslepivduvers670.—ivaicijifiaçestausurplus leterme courantlors¬
qu'ils'agitd'unfléauqui s'abat. Le Fléau Porte-Feun'est donc pasquelque
chose qui s'ajouteà la SOiois, c'estelle-même. Inutile de vouloir
retrouverla fièvre (nvpcros) dans le termebanal de
irvp&opos. Le dieu néfaste auquelon
identifieici la calamitédestructrice, c'est Arès, dont lechœur
parlera tout à
l'heure et pourlequel rrvpAoposestuneépithètecourante. Ici, le Fléau, iden¬ tifié àundieu,traverse la ville
enrafaleetladépeuplepourenrichir Hadès.
Rienn'indiquequ'il s'agisse d'autrechosequedesmaux décrits parlesvers
—
IÇ) —
«Hélas ! innombrables sont les maux que
j'endure. Tout
le
peuple
souffre
et
l'esprit
netrouve
aucune armepour
écarter le mal.
En
effet,
les fruits de
cette terreillustre
(1)
nepoussent
plus
et
les fem¬
mes ne serelèvent
plus, dans leurs accouchements, des souffrances
qui
les font crier. Vie après vie,
soustes
yeux, commel'oiseau
aux ailesvigoureuses,
plus vite
quele
feu irrésistible, s'élance
versla-rive du dieu occidental.
Comblée demorts,la ville
périt. A bandonnés de
tous,
les
nouveau-nésporteurs
de
mort
gisent
par
terre,
sans quenul les pleure. Et
lesjeunes femmes
avecles
mères
auxcheveux gris, le long de la
rivedel'autel, l'une ici, l'autre là,implorant la fin du terrible
mal¬
heur,gémissent.
Et
le péan
éclate, mêlé
auxlamentations.
Pour
toutcela,
fille rayonnante
de Zeus, envoie le
secours aubeau visage
». Ici encore,je
nevois
quela
description d'une stérilité. Les
femmes mettent au monde des enfants morts ou des enfants
anormaux
qu'on
expose(2)
et
elles
meurent
elles-mêmes.
C'est
pour
cela qu'on voit, dans les temples, des
épouses
(âAo^ot)
prier
avecleurs
mères
pour quecesort
affreux
leur soit
épargné.
Lescholiaste commentece vers en disant: 4k toutou
SfjXov
otiKal réXeioi
aTrédvrjOKov,
ceci prouve
quedes adultes
mouraient(1) Le scholiasteexplique: çtcyovaxdovàs ' rjtcl èévSpa r/roiis Tratââç r^rjolv.
(2) La traductiondesvers 180-1S1serajustifiée dans unchapitre suivant.
Pour lereste, voici quelques explications:
noafîfloitt-pôirar cttoAosnesignifie nullementquetoutle peuple soit malade.
Lamétaphoreesttellement uséeen grec que,s'il fallait prendre lemotaupied
dela lettre danstouslespassagesoùonle rencontre,ons'exposerait àd'étranges
contre-sens. Auxvers60-61,Œdipe l'applique à lui-mêmeetauchœur,voulant
diresimplement:Noussommestousmalheureux,eimoi,commeroi,plusencoreque
vous.Ausurplus,ceuxqui voudraient donner àvocreîson senslittéral seraient
obligés d'entendre: Nous tous quisommes ici, nous sommesjrappés, à quoi,
heureusement,personne nesonge.
tokoioiv: simplement, commele veut le scholiaste, èv tokoioiv. L'interpré¬
tation deJebb:pardes naissatices,parla miseau monde d'un enfant vivant,
est séduisanteàpremière lecture, mais reprenduneidée quiestépuiséeparle
vers précédent; oûrc écyova, ovreyvvaÎKes:mortdesgermes,mortdes mères.
âXXovS'ài' âAÀajwponi'Soiç. Le masculin auquelseréfère âXXov n'estpasindi¬ quéetilne sedégagepasaisément dupassage.L'imagesuggère,pourle subs¬
tantifrepris par ce pronom, 1/ivxrj- Le senssuggérerait plutôttckvovpuisque
l'idée qui domine le tout estcelle de l'appauvrissement de la citéparlamort
desgermes. Leplussimple estencoredesuppléerunmotcommevexpôs qui,
necadrant pas avecl'imagede la rafale funèbre, n'estpasexprimé. C'est ainsi
qu'entend lescholiaste qui écrit:aAAov t'~ 'aÀ Aùj ?8otç aTrodvyoKovra,a»çopvtdes
V.— 20 —
également.
Cette
remarque montre que, pourlui,
le Fléau
com¬porte
essentiellement
la mortdes germes etdes
nouveau-nés.En effet, pas un
instant
personne neparle
d'une
contagion
qui menacerait,
soitŒdipe,
soit les
hommesqui
composentle
chœur. Le seul endroit où
Œdipe
paraît craindre
pourlui-même,
c'est celui où il dit àCréon,
pourjustifier
sonordre de
parler
devant tout le
peuple
:rœvëe
yàp
—\éov
éépaj
to -évOos rj
Kal
tjjs
èfirj; drvxrjs ~épt
(93-4),
maison
s'aperçoit bientôt
que cesmots ont une valeur toute
générale
: «J'ai plus
de soucis
pour eux que pour ma proprevie.
»Celaneveutpas
dire qu'il
craigne
rien
pour sa
vie, mais
signifie
simplement
que, ensaqualité de
roi, il portele
tourmentdetoutson
peuple,
idée
déjà exprimée
aux vers59-61.
Toutesses autres
paroles définissent
unestérilité,nonune ma¬ladie. Aumoment de maudire le meurtrier
inconnu,
il résume lemal
auquel
il
veutporterremède
etditqu'il
travaille
au
bénéfice
du
pays qui
périt, privé
de fruits, privé des dieux.
yrjs
cL8'
aKap—œçxàdécos
èd$apyJvr]s
(v.
254).Aucune allusion à une
épidémie
dans le
sens courantdumot.La
conjonction
axap-iosKal àdéœç
s'explique parfaitement.
Les dieux manifestent leur faveur parla fécondité,
leur colèrepar
la stérilité.
Celle-ci, àcausedesoncaractèredestructeur,
est ensuite(190-202) identifiée
à
unArèsqui
n'aurait besoin
d'aucunappareil
guerrier
pouraccomplir
son œuvre de mort(ô.xclXkoç
âcr7TL&a>v)
et
l'on prie
Zeus de l'arrêter.
Plus
loin,
lorsqu'Œdipe
ordonne
aux Thébains d'exécuter l'ordred'Apollon
tel qu'il
aétérapporté
de
Delphes
parCréon.
il
prie les
dieux de
punir
les désobéissants
enleur refusanttout fruit né de la terre, toutenfantné d'unefemme,etde les atteindrepersonnellement
parle fléau
actueloupar un autreplus affreux
encore :
p-~qr
iporov
avroîs yrjçàviévai
riva p.TjT ovv ywaïKwv—aî&as, àXXà
râ>—âr/xio
Tt3 uvv
(pdepeîcrdai
KarirovB'
è-/9Lovi.
Cesvers sont d'une
logique parfaite.
Si
quelqu'un désobéit
à
l'ordre du dieu et accueille le meurtrier deLaïos, le Fléau con¬tinuerasesravages.
Mais il
estpossiblepasencore
été
touché
personnellement.
Dans
cecas,
Œdipe
appelle
sur lui le Fléau collectif transformé en
punition
individuelle,
mais il ne demande pas aux
dieux d'en
modifier le
caractère.
Ce
qui frappera
le
coupable,
c'est
unestérilité
sous
ses
trois
aspects
classiques,
stérilité
de
la
terre et
des
troupeaux,
stérilité
des femmes.
(Pdepeïadai,
nesignifie nullement
qu'il périra
enpersonne, —pas
plus
quevooeîv,
dans les
passages
cités plus
haut, ne
signifiait qu'il
dût
tomber
malade,
—mais
qu'il
sera
atteint par
des
forces
destructrices, acharnées
après
sa
maison.
On levoit, il
n'y
arien
de
communentre
la
maladie
contagieuse
admirablementdécritepar
Thucydide
et
la
stérilité mystérieuse
dont
Sophocle
nemontre
qu'un
effet
indirect
:l'effroi des hommes
devant lemal
qui
menaced'anéantir les
récoltes et
les familles.
Unedernièreremarque :la
tragédie
grecqueignore
ce quenousappelons
les
maladies
et
les morts
naturelles.
Sophocle dans
Philoctètea
peint
la souffrance
physique, étonnante
hardiesse
que
Wagner
renouvellera
dans Parzival.
Sophocle,
commeWagner,
relève lasouffrancesurle
plan
poétique
enlui donnant
uneori¬
gine
mystérieuse,
divine. Œdipe vieux
ne pourramourir
natu¬
rellement: les dieuxdevront s'en mêleretlefaire
disparaître. La
légende
même
neconnaît
guère
quedes morts
violentes. Ariane
meurt encouches, mais la mort
d'une
jeune femme
avec sonfruit
est
précisément
unsigne de la
colère divine. Et,
ausurplus,
la
curieuse
légende
d'Ariane
demanderait à être
étudiée
de
plus
près.
Dans Mutter Erde, A. Dieterich,colhgeant les superstitions
anciennesrelatives à la Terre-Mère, a
allégué tous
les
passagesqui
sont
relevés
ci-dessus, excepté le début d'Œdipe-Roi. Dans
celivre charmant, le
philologue
poète
regrette
queSophocle,
«influencé par sa
formation sacerdotale, ait été
inattentif
auxcroyances
populaires
»(i). Les commentaires ont masqué le texte
auxyeux
de
Dieterich. La description du Fléau de Thèbes
est
inspirée
parles mêmes
croyances quela prière des
Suppliantes (2)
: pourSophocle,
comme pourEschyle, la
fécondité du monde
est(1)Mutter Erde, p. 41.
(2) Dèsqu'on étudie dans le détail le texte d'Œdipe-Roi,onestfrappé de voir
legrand nombredepassagesoùle rapprochements'imposeavecles Suppliantes
—
22 —
une idée
simple,
identique
sousplusieurs manifestations, qu'il
s'agisse
de
laTerre,
destroupeaux,
des
familles humaines.Il est vrai que
Sophocle n'invoque
nulle
partla déesse Gê,
qui joue
ungrand rôle
chez lesautrestragiques.
Ici,
ondemandeàArt
émis,
àApollon,
surtout àAthéna,
de faire cesserle Fléau.Or,
cesontprécisément
cesdivinitésqui
sontinvoquées
par
les
amphictyons
contreCirrha,
dans laprière
de
même contenu,mais de
signe
contraire,
qui
nous est conservée par
Eschine.
Toute la
description
de
Sophocle
paraît donc empruntée à
unetradition
religieuse singulièrement homogène, parfaitement
pure de toutenjolivement
littéraire.§
3. Le fléau dupremierlivre del'IliadePlusieurs commentateurs de
Sophocle
ont penséquesa
des¬
cription
du
malheur de Thèbesestuneréplique
à celle
qu'Homère
fait du camp grec au
début
de Y Iliade(1). A
vrai dire,
unautrepassage
d'Homère
aurait puêtre
allégué,
parallèlement
àŒdipe-Roi,
maispersonnenesembleavoirpensé
àle
faire. Dansl'Odyssée
(XIX,
109sqq.), Ulysse
salue
Pénélope
etlui dit
quesa renom¬méeestcelle du bon roi
qui, craignant
les dieux,
gouvernantsurdes
peuples
nombreux etforts,
tientferme
les sentencesjustes,
et la terre noireporte froment
etorge;
les arbres
plient
sousles fruits,
les brebis mettent bas
régulièrement
; lamer donne du
poisson
; tout cela vient de son bon gouvernement et lespeuples prospèrent
sous son
règne.
Le
tableau traditionnel des fécondités
envoyées
par
les
dieux
esttraité ici avecune certaine fantaisie: ledétailde lamer
qui
donne
dupoisson
enabondanceestbienhomérique
etne seretrouve pas
ailleurs.
Du mêmefond,
Eschyle
fait
pro¬mettrepar
les
Euménides(937) la
richesse
des minesdu Laurium. Lesdescriptions
classiques
parlent
uniquement
de
la terre, des femelles et des femmes. Encore cettedescription
de
l'Odyssée
est-elle bien
plus
conformeàlatradition quele fléau
du débutdel'Iliade. Ce textecurieuxmérite
quelques
motsd'explication.
Il
offreun
exemple parfait
dece
qu'on
trouvesisouventchez Ho¬ mère: unesuperstition populaire
utilisée dansunrécit
après
avoir
(1) Notamment Bruhn,dans la préfaceàsarévision de1éd.Schneidewix-NaucketRobert, Œdipus,
p. 292.
—
23 —
été vidéedesonsens
religieux
et
negardant
plus
qu'une
valeur
pittoresque
(i).
Agamemnon ayant
outragé
le prêtre
d'Apollon,
une
punition
frappe
collectivement tous
les Grecs.
Cette
punition
est
appelée
vovaos
(xo), Àot/ioç
(61) et
Aotyoç
(97)1
qu^,
malheureusement,
lesmodernes ont
pris dans
le
sensde
maladie
et
de peste.
Avec
certains scholiastes anciens du reste,
ils ont
donc
cru queles
flèches
d'Apollon
blessaient
d'abord
et
amenaient
une
maladie
ensuite. Or, nulle
part
dans
le texte,
il
n'est
dit
que
quelqu'un
soitmalade. Lesflèches
partent,les
bûchers
s'allument
aussitôt(2).
Les flèches
d'Apollon tuent
immédiatement et
inévitablement,
commecelles
qu'il
aremises
à
Hercule
et
celui-ci à
Philoctète (3).
De
plus, la
notion même
de
maladie
est
rigoureusement
exclue
dela
poétique
épique.
Les
héros
d'Homère peuvent
être
blessés,
maisleurs organes ne sedérangent
pas.Nôaos
doit donc
signifier
mal
(sens
qu'il
agardé dans
le
grec
de toutes
les
époques)
et
Aoi/xdî,
avec sonéquivalent
Aotyo?
quenous
lisons
avec
Aristar-que au vers 97,
signifie,
commepartout
ailleurs,
mal
collectif
d'origine
mystérieuse.
Si lesmodernes ont cru que
le Fléau
déchaîné
parla colère
d'Apollon
comportait des
blessures
mortelles
et
une
maladie, c'est
la faute de
quelques
scholiastes
qui le
disent
explicitement.
Et
ceux-ciontétéamenésàlepenserà
proposdes
vers50-52,
où
l'on
voit lesmulets etles chiens
frappés
les
premiers.
Ce
détail leur
parut
bizarre
et
ils
cherchèrent
à
l'expliquer
vaille
que
vaille.
Lesunsdisaient que
la
divinité
procédait
miséricordieusement,
frappant
d'abord
les animaux
afin
d'éclairer les
hommes et
de
leurdonnerletemps
de
serepentir (4). La
plupart,
cherchant
une
explication
naturelle,
prirent
Aoiyôs dans
le
sens
de
maladie
contagieuse
et
dirent
queles
animaux
sont
frappés
les
premiers
parce
qu'ils
sont
plus
près de la
terre
d'où
vient le
«mauvais
(1) Parexemple, centversplus bas,Achille jure
à
Agamemnonqueles Grecs
!erappellerontunjourenvain.Il jurepar son
bâton,
etunscholiaste
rappelle
qu'ainsi faisaient lesarchontesathéniens.
Achille ajoute
(I,
234sqq.)
quele
bâtonaétéécorcé etpoli, qu'ilnerefleurira doncjamais.Détails inutiles dansun
tel contexte(rudimentaires,diraitZielinski), maisquis'expliquentparfaitement
s'ils ontfaitpartie d'unsermentpromissoire du type:«Jenereviendraipasavant
quecebâton ait refleuri»(Cf.II.XXIII,42sqq.).
(2) II. I, 51-52fie'Ao? j fiaAA* ' cu'et8è nvpal l'eKuajv
xaiovro
iafitiaî. (3) Phil. 105.