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Padre Pio (1887-1968) : de la sphère culturelle à la sphère économique.

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Padre Pio (1887-1968) : de la sphère culturelle à la

sphère économique.

Kathy Agazzini

To cite this version:

Kathy Agazzini. Padre Pio (1887-1968) : de la sphère culturelle à la sphère économique. . PRISMI : Revue d’études italiennes, Université de Lorraine, 2014, Economie-Culture : transferts conceptuels et appropriations réciproques, pp.141-155. �hal-01395603�

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Padre Pio (1887-1968) : de la sphère culturelle à la sphère économique

Kathy AGAZZINI

« It is most exceptional for the cult of a saint to acquire such dimensions in so short a time […] As a result, the Italian devotional landscape has been both expanded and leveled down by Padre Pio in recent years”.1

Le 20 septembre 1918, à un moment tragique de l’histoire de l’Italie, au sein d’un couvent retiré du Gargano (Pouilles), Padre Pio de Pietrelcina voit apparaître sur son corps les cinq plaies du Christ. Cet événement entraîne sans attendre une médiatisation considérable de la figure du capucin comme en témoignent d’une part, la vaste littérature dont il a fait l’objet mais surtout, point d’orgue de la reconnaissance des instances religieuse, sa béatification en 1999 et sa canonisation en 2002. Ainsi, au début du vingtième siècle, le microcosme géographique des Pouilles a été bouleversé par la mise en place d’un nouveau culte, malgré l’absence de reliques corporelles qui, d’ordinaire, constituent un support matériel précieux à aux fidèles. Si la renommée de ce personnage charismatique fut véhiculée, au cours du siècle, d’une part par l’Eglise et d’autre part, par l’opinion publique, elle fut aussi relayée par de nombreux acteurs qui ont consenti à faire du moine un protagoniste incontournable du paysage dévotionnel italien à l’époque contemporaine.

Le présent article, qui n’a d’autres ambitions que de dégager des conclusions partielles sur les raisons de la renommée de Padre Pio, se propose de mettre en exergue l’instrumentalisation culturelle et économique d’une dévotion constamment valorisée depuis 1918, sans pour autant remettre en cause le bien-fondé de la popularité du moine. La première partie portera sur l’analyse et l’influence de différents éléments culturels qui ont constitué un terreau favorable et opportun à l’ancrage de la dévotion. Puis, dans la seconde partie, nous tenterons de saisir comment l’Eglise, en tant que gestionnaire du culte local, a œuvré pour le développement touristique et religieux de la région.

1 Peter Jan Magry, Perspectives and debates : merchandising and sanctity : the invasive cult of Padre Pio in

Journal of Modern Italian Studies 7 (1), 2002, p.89 : “C’est plus exceptionnel pour le culte d’un saint d’acquérir de telles dimensions en si peu de temps […]. A cause de cela, ces dernières années, le paysage dévotionnel italien a été à la fois élargi et nivelé grâce à Padre Pio. »

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Les différents contextes

Environnement et topographie

En 1916, Padre Pio quitte son village natal de Pietrelcina (Campanie) pour s’établir à San Giovanni Rotondo (Pouilles), au couvent de Santa Maria delle Grazie, dans une région montagneuse appelée le Gargano où six Capucins vivent dans une misère complète. A l’origine, l’église conventuelle, consacrée en 1676 à Santa Maria delle Grazie, est l’objet d’une dévotion liturgique à la Vierge2

. A cette époque, les pèlerins rejoignent le sanctuaire, à 560 mètres d’altitude sur les pentes du Mont Gargano, en empruntant un chemin escarpé d’une longueur de deux kilomètres qui part de San Giovanni Rotondo. Non loin de là se trouve un autre sanctuaire dédié à San Michele di Monte Sant’Angelo, qui constitue un triptyque religieux composé aussi par San Michele della Chiusa (Piémont) et par le Mont Saint-Michel (Normandie), tous trois dédiés à l’archange. Selon la tradition, l’ange, qui supplante les précédentes divinités en place, établit ses premiers contacts avec le Gargano dès la fin du cinquième siècle3 :

[…] Vi si narra che Gargano, il pastore eroe eponimo della montagna pugliese, una sera, al rientro del suo numeroso gregge all’ovile, si accorge che manca un toro. Dopo avec organizzato con i suoi servi le ricerche, lo rinviene in prossimità di una grotta e, preso dall’ira, gli scaglia contro una freccia avvelenata, che, però, ritornando inspiegabilmente indietro, colpisce lui […] Appare l’arcangelo Michele, il quale

2

Ornella Confessore, « Padre Pio e il santuario di San Giovanni Rotondo » in Mélanges de l’Ecole Française de Rome, 2005, p.714

3 La reconstruction de l’histoire du sanctuaire et du culte de l’ange du Gargano se fonde essentiellement sur un

ouvrage intitulé Liber de apparitione Sancti Michaelis in monte Gargano, une œuvre agiographique anonyme, riche en éléments miraculeux, datant du VIII ème siècle. Le récit se compose de trois épisodes : le premier relate la consécration de la grotte par l’archange afin de la départir des croyances païennes antérieures. Le second explique le lien entre Saint Michel et le peuple lombard et le dernier décrit la volonté de la part de l’évêque local, de faire de ce sanctuaire un lieu de culte, dans lequel se déroulent des miracles. Cf L’angelo, la Montagna,

il Pellegrino. Monte Sant’Angelo e il santuario di San Michele in Gargano, Claudio Grenzi Editore, Foggia,

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dichiara che l’episodio misterioso era stato voluto da lui per dimostrare di essere egli stesso ipsicus loci inspector atque custos […] 4

Néanmoins, ce n’est que vers le VIIIème

siècle qu’est construit un petit oratoire, légèrement encastré dans l’abrupt du rocher dédié à Saint Michel et que s’établit un collège de chanoines chargé d’assurer les offices quotidiens et l’accueil des nouveaux pèlerins. L’édifice rupestre constitue un exemple bien documenté d’un ensemble sacré du Haut Moyen Age qui se caractérise par la présence d’une grotte naturelle attribuée à Saint Michel lui-même, s’enfonçant à une profondeur de vingt quatre mètres. La grotte est un paramètre cultuel important qui suscite un sentiment de protection, elle est à la fois « un lieu magique et un archétype agissant dans l’inconscient de tous les hommes. Elle est enracinement dans la terre

5

.» La position de la chapelle en altitude, l’aspect sauvage de la montagne du Gargano mais surtout le parcours difficile que doivent effectuer les pèlerins pour rejoindre la grotte contribuent à diffuser le culte à Saint Michel en Europe. De surcroit, le pèlerinage se développe en un laps de temps très court car à proximité de la grotte se trouve une source d’eau miraculeuse qui jaillit de la roche et à laquelle sont rattachées des guérisons nombreuses et rapides6. Au fil des siècles, la grotte et la source deviennent des étapes obligatoires pour les pèlerins qui parcourent la Sacra Via Longobardorum. Ce chemin de pèlerinage, très emprunté, passe à proximité du village San Giovanni Rotondo qui en reçoit les lustres et les bénéfices et permet de constituer l’une des premières étapes de la dimension quasi iconique dont bénéficiera Padre Pio au fil des années. Quant au village de San Giovanni Rotondo, il apparaît aussi comme une terre d’élection par son paysage montagneux qui sollicite la sensibilité du pèlerin et lui garantit un chemin d’élévation vers une dimension toute spirituelle. La montagne, qui représente une rupture entre le monde matériel et spirituel, acquiert une dimension cosmologique et les premiers pèlerins qui viennent rencontrer Padre Pio au couvent ont le sentiment de réaliser un voyage ascensionnel et purificateur. Un tel paysage, en accord avec la tradition biblique, n’est pas sans rappeler le Mont Sinaï et apporte de fait un support légendaire qui façonnera le futur pèlerinage dédié à Padre Pio.

Elément social et historique

4

G.Otranto, « Genesi, caratteri e diffusione del culto micaelico del Garagno» pp. 43-64 in Collection de l’Ecole Française de Rome, Culte et pèlerinage à Saint Michel en Occident. Les trois monts dédiés à l’Archange sous la direction de Pierre Bouet, Giorgio Otranto et André Vauchez, Ecole Française de Rome, 2003, p.48

5

Gaston Bachelard, La terre et les rêveries du repos, Paris, José Corti, 1948, p.33

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Il est évident que la sacralisation de l’espace naturel n’est pas suffisante pour mettre en place un culte. L’état de dénuement dans lequel se trouve la population sera un facteur primordial pour relayer les nombreux « miracles » attribués au capucin. En effet, le village de San Giovanni Rotondo est plongé dans une indigence extrême. Il est constitué d’une rue unique, boueuse et sale

[…] da cui sbucano frotte di bimbi mocciosi e di maialetti sguazzanti e grugnenti nel fango, buj interni di abitazioni primitive, donne ed uomini che ti guardano con una faccia triste, quasi diffidente, non un sorriso, non un fiore : ecco San Giovanni Rotondo […]7

.

Les habitants sont presque tous des paysans ou des bergers qui vivent dans des masures sans électricité, ni eau courante et une grande partie d’entre eux est décimée en 1918 par une épidémie de grippe espagnole. Ainsi, l’apparition des stigmates chez Padre Pio correspond à un moment bien particulier : une pandémie dévastatrice et la Seconde Guerre mondiale où beaucoup pensent qu’est arrivée l’heure du retour du Christ sur la terre. Les soldats italiens nourrissent une dévotion intense pour les figures de saints en tout genre et pour la prière, dans laquelle ils invoquent dans leur vie quotidienne des figures protectrices du fléau. Ces temps d’incertitude marquent un besoin de se réfugier dans des franges spirituelles où dévotions collectives et culte des saints semblent apporter des réponses immédiates. Dans les mentalités populaires,

[…] L’elogio politico della sofferenza e la fascinazione spirituale per il dolore erano naturalmente sfociati nell’idea che il conflitto mondiale equivalesse a un interminabile Venerdì Santo, che le indicibili pene dei soldati corrispondessero alle tappe di un calvario collettivo provvidenzialmente destinato alla salvezza del genere umano8 […]

De fait, Padre Pio s’inscrit dans la dynamique d’une époque douloureuse, où l’atmosphère est imprégnée d’un besoin indéniable de sacré et où la guerre affiche des tonalités religieuses. La religion est aussi

[…] le champ du combat inexpiable entre les forces de mort – la mort elle-même ou ses succédanés quotidiens, la peur et la souffrance – et les forces de vie malgré tout, qui

7

U. Aubert, “La nostra inchiesta sulla tragica giornata di san Giovanni Rotondo (dal nostro inviato speciale)”, in

L’Avvenire delle Puglie , s.d (martedì 18 ottobre 1920). Le titre de l’article renvoie au 14 octobre 1920,

lendemain d’éléctions administratives où les âmes des villageois sont échauffées. Des manifestants socialistes et antisocialistes se sont affrontés et dans l’explosion de violence, onze paysans furent tués.

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vont du médiocre paratonnerre des amulettes à la vive croyance en une forme de résurrection après l’ultime sacrifice9

[…]

La guerre participe donc à un réveil religieux et si le capucin constitue au fil du temps un symbole, c’est parce que son irruption au couvent va bouleverser l’ordre religieux établi. En quelques années, la petite église conventuelle se transforme en un sanctuaire à la typologie particulière puisqu’elle n’accueille pas de reliques, ne rappelle aucune apparition et ne vénère pas d’image miraculeuse. Cependant,elle idolâtre un saint vivant à qui les fidèles s’adressent pour obtenir des grâces spirituelles et matérielles. Grâce aux stigmates, Padre Pio devient rapidement le confesseur le plus important du monastère et participe personnellement à la mise en place d’un véritable culte dont

[…] l’afflusso è stato sempre crescente a misura che si andava diffondendo la fama della stimmatizazione. Essa quindi prende avvio fin dai primi anni della presenza di Padre Pio a san Giovanni Rotondo10 […]

Sa réputation de thaumaturge stigmatisé et d’imitatio christi lui confère les caractéristiques du grand mystique. Aux yeux des fidèles, il vit au quotidien une expérience spirituelle, il est assimilé à Jésus au travers du phénomène de stigmatisation ou et d’auto-flagellation. Il devient un père spirituel qui brandit les dogmes de la dévotion franciscaine en offrant un schéma simple de spiritualité basée sur l’Evangile et fidélité à l’Eglise. Si la « célébrité » du moine capucin est due à la prétendue réalisation de miracles, elle a transformé l’identité du lieu sacré. En effet, au fil des années, la dévotion qui lui est accordée a remplacé le culte marial jadis pratiqué. De plus, les phénomènes miraculeux de bilocation ou de diffusion de parfum nous permettent de remarquer que

[…] nel Garagano del primo Novecento, si era continuato a offrire in pasto alla pietà popolare quel che la Chiesa merdionale aveva proposto per secoli11 […]

La médiatisation du culte

9Annette Becker, La guerre et la foi. De la mort à la mémoire 1914-1930, Paris, Armand Colin, 1994, p.8 10 Giuseppe Scarvaglieri, Pellegrinaggio ed esperienza religiosa. Ricerca socio-religiosa sul santuario di Santa

Maria delle Grazie Foggia, Padre Pio Da Pietrelcina, 1987, p.250

(7)

Si aujourd’hui, plus de cinq cent ouvrages ont été consacrés à Padre Pio12, c’est la presse qui à

l’époque a joué un rôle de médiatisation dès l’apparition des stigmates en 1918. Padre Pio choisit de taire l’événement surnaturel aux Pères du couvent mais Padre Benedetto, l’un des directeurs spirituels du moine, après une visite au couvent de Santa Maria delle Grazie, relate dans une lettre que les plaies sont visibles lorsque le moine dit la messe

[…] in lui, non sono macchie o impronte, ma vere piaghe perforanti le mani e i piedi. Io poi gli osservai quella del costato : un vero squarcio che dà continuamente o sangue o sanguigno umore. Il venerdì è sangue. Lo trovai che si reggeva a stento in piedi ; ma lo lasciai che poteva celebrare, e quando dice messa, il dono è esposto al pubblico, dovendo tenere le mani alzate e nude13 […]

Rapidement, les dévots se convainquent de l’existence des stigmates et la nouvelle se propage dans toute la région, puis en Italie et hors des frontières. Padre Pio, grâce au soutien des capucins du couvent, devient un leader spirituel. La nouvelle est ensuite diffusée dans deux articles anonymes par le quotidien napolitain « Il Mattino » les 4 et 5 juin 191914. Le village devient rapidement la destination d’un pèlerinage qui entraîne des conséquences socioéconomiques considérables puisqu’il faut créer des structures adaptées à l’arrivée des pèlerins, décision qui entraîne la création d’activités diverses comme l’ouverture de magasins de souvenirs, la construction d’hôtels mais surtout l’édification d’un nouveau sanctuaire.

Le sanctuaire

La décision de construire un sanctuaire pour valoriser le culte à Padre Pio s’explique principalement par le fait que le moine capucin, à la différence des apôtres ou des missionnaires, ne se déplace pas et que ce sont les fidèles en personne qui viennent à lui. Par conséquent, le sanctuaire revêt un rôle de catalyseur et d’opérateur touristique respectant et s’éloignant de la tradition architecturale. En effet, si la basilique, inaugurée le 1er

juillet 2004, est constituée de deux édifices superposés à l’instar de l’ouvrage qui se trouve à Assise

12 La première biographie sur Padre Pio, retraçant étape par étape son parcours mystique, a été publiée en avril

1924. Il s’agit de l’ouvrage du journaliste du Messagero, Giuseppe Cavaciocchi, Padre Pio da Pietrelcina. Il

fascino e la fama mondiale di un umile e grande francescano, Roma, Giorgio Berlutti, 1924. Les ouvrages, au fil

du temps, s’enrichissent de détails dont il est difficile d’en vérifier la véracité. Par exemple, l’historien catholique Yves Chiron écrit qu’à huit ans, Padre Pio se frappe le dos avec une chaîne de fer et qu’il s’agit de la première imitation du Christ. Cf Yves Chiron, Padre Pio le stigmatisé, Paris, Librairie académique Perrin, 1989, p.21

13

Sergio Luzzato, ibid. p.33

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(l’association est donc évidente entre Saint François et Padre Pio), il faut aussi noter la modernité de l’œuvre 15 qui s’exprime par le choix des arcs de soutien situés dans les nefs semi-circulaires, ne répondant à aucun modèle précédent et témoignant du degré d’expérimentation de l’architecte. L’Eglise, commanditaire de l’édifice, a aussi porté sa préférence sur l’architecte génois Renzo Piano dont les chantiers comme le centre Pompidou à Paris témoignent de sa forte médiatisation. C’est la première fois que le maître d’œuvres réalise un édifice religieux et force est de remarquer « l’incredibile quantità di record in termini di progresso architettonico e di tecnologie impiegate [che] ne fanno sicuramente una delle chiese più innovative mai realizzate 16 ». Le travail de l’architecte relève d’une double intention : utiliser la pierre locale pour respecter la tradition régionale et concevoir un espace capable d’accueillir 7200 fidèles. Pour ce faire, la solution architecturale est innovante par le choix de la coquille d’escargot17. Renzo Piano réalise un édifice-symbole, pierre angulaire du pèlerinage, qui respecte la spécificité du lieu puisque la démarche de l’architecte a été d’observer « un attegiamento di ascolto perchè secondo lui, la natura e la pietra del luogo hanno parlato.18 ». L’édifice est magnifié par les contributions d’artistes contemporains comme Mimmo Paladino (1948-) pour la porte de bronze, Arnaldo Pomodoro (1926-) pour la croix et l’autel ou encore Giuliano Vangi (1931-) pour l’ambon. Dans une certaine mesure, l’opulence du sanctuaire veut refléter « la dose d’intervention » du saint et la collaboration d’artistes à ce point médiatisés, architecte compris, muséifie le lieu et reflète la puissance du commanditaire.

Par conséquent, puisque l’édifice confère une matérialité aux « miracles » du saint capucin, il devient une attraction touristique mais le processus de transformation de ce village isolé de la province de Foggia en une ville moderne pose aujourd’hui quelques problèmes fonctionnels. En effet, les premiers résultats du recensement de 2001 réalisé par l’ISTAT rapportent que la population de San Giovanni Rotondo atteint 26 000 résidents, un phénomène unique dans une

15

La modernité de l’édifice rappelle l’église de San Giovanni Battista de Florence (appelée « la chiesa dell’Autostrada ») sur l’autoroute A1. Construite entre 1962 et 1964 par l’architecte toscan Giovanni Michelucci (1891-1990) en mémoire aux ouvriers décédés lors du percement de cette route, elle est constituée « di una grande tenda dove il vandante-automomobilista del nostro tempo possa sostare, seguire un percorso devozionale e pregare in raccoglimento. » Cf Cesare De Seta, Architetture della fede in Italia, Torino, Pearson Paravia Bruno, Mondadori, 2003, p.187. Le couvrement en cuivre vert de l’église cherche à rappeler les pentes des proches Apennins tout en faisant allusion au Golgotha.

16 Renzo Piano building workshop, La chiesa di Padre Pio a San Giovanni Rotondo, Milano, Federico Motta

Editore, 2005, p.16.

17

L’escargot revêt un symbole de fertilité et de fécondité virginale, étant un animal hermaphrodite et la spirale de sa coquille donne l’aspect d’une évolution temporelle. Cf. MICHEL FEUILLET, « Le bestiaire de l’Annonciation : l’hirondelle, l’escargot, l’écureuil et le chat », in Italies 1/2008, (n°12), Publications de Provence, 2008, p.231-242.

(9)

province où les dernières décennies enregistraient des baisses importantes de population19. Cependant, le nouvel espace sacral entraîne une densité de circulation due aux nombreux bus touristiques qui envahissent les lieux. La fréquentation croissante du lieu s’explique en partie par la création de la Via Crucis dès 1968, à la veille de la mort de Padre Pio et dont l’inauguration a lieu le 25 mai 1971, en présence d’une foule considérable. L’archevêque de Naples, le cardinal Corrado Ursi, a déclaré : « L’opera non ha uguale al mondo per la grandiosità di concezione e per l’intrinseco valore artisitico.20 » En effet, les statues des quatorze stations ont été réalisées par le sculpteur Francesco Messina (1900-1995). Dès lors, l’œuvre intégrale est illuminée de nuit et « l’osservatore estatico che la contempla dal tavoliere pugliese, la vede come una strada luminosa sulla oscura massa della montagna garganica. Così, la Via Crucis di Padre Pio diventa la Via della Luce.21 » En outre, il faut souligner que la Via Crucis a été enrichie d’une station supplémentaire dédiée à la Résurrection du Christ, ce qui met clairement en exergue la volonté de l’Eglise de diffuser le culte à Padre Pio comme un culte unique en son genre. La finalité de cet ensemble architectural ne fait aucun doute : la basilique peut être considérée comme un promoteur touristique puisqu’elle permet au culte de se développer à grande échelle. Cependant, il faut rappeler que le flux de visiteurs sans cesse crescendo s’explique avant tout par le soutien personnel du pontife Jean Paul II qui a inauguré une plaque commémorative le 23 mai 1987 dans l’ancienne église, à l’issue d’une célébration eucharistique, contribuant de fait, à une ultime reconnaissance officielle du futur saint.

19 Ornella Confessore, ibid. p.721 20

Giuseppe Scarvaglieri, ibid., p.55

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Renzo Piano

La basilique de San Giovanni Rotondo © 2001, Foggiapress.it.

Comme nous l’avons vu, plusieurs raisons nous incitent à penser que le culte de Padre Pio a été instrumentalisé même si notre étude n’aborde évidemment qu’une partie d’un sujet très vaste. Au terme de cette étude, plusieurs conclusions s’imposent. En premier lieu, le culte à Padre Pio a, dès l’origine, rejoint la sphère économique. Lors de l’apparition des stigmates, l’Eglise, par le biais des frères capucins, a tout mis en œuvre pour médiatiser le « miracle », répondant ainsi à la demande populaire de liturgie rassurante en cette période douloureuse. L’Eglise fut donc capable de proposer un remède d’antidouleur social à la sensibilité collective des fidèles et a, dans une certaine mesure, tenter une récupération du monde paysan avec la mise en tourisme du territoire22. En second lieu, le chef de la chrétienté, le pape Jean-Paul II, a contribué à la diffusion du culte en se rendant in situ et en homologuant la réputation du futur saint. Enfin, le sanctuaire, au-delà de sa représentation touristique, est l’expression de la communauté religieuse officielle. La basilique influe sur le sens du message

22 Cette remarque constitue l’une des questions fondamentales du colloque intitulé « Usi turistici dell’ambiente

rurale. Contributi ad un dibattito per il VII congresso mondiale di sociologia rurale » organisé par l’INSOR (Istituto Nazionale di Sociologia Rurale), 26 juin-2 juillet 1988, à Bologne. Les actes du colloque ont été réunis par Tullio Tentori et publiés en 1988 par Franco Angeli Libri s.r.l, Milano.

(11)

délivré par l’Eglise et devient un véritable objet de communication de masse. En substance, Padre Pio peut être considéré comme l’œuvre ecclésiastique du vingtième siècle mais une question ambigüe, voire paradoxale apparaît : le culte religieux de masse est-il nocif à la nature même du territoire ? En effet, l’utilisation économico-touristique du territoire rural a-t-elle dénaturé la campagne ou au contraire la basilique l’exalte-t-a-t-elle en tant que besoin de purification de l’homme et de la nature ? En observant le cas de San Giovanni Rotondo, il serait possible de penser que le patrimoine rural est désormais devenu un patrimoine exclusivement consumériste et religieux, exalté par le mausolée de Renzo Piano.

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