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Une étude de l'Intelligent Dance Music : analyse du style rythmique d'Aphex Twin

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Une étude de l’Intelligent Dance Music : analyse du

style rythmique d’Aphex Twin

Mémoire

Anthony Papavassiliou

Maîtrise en musique - musicologie

Maître en musique (M.Mus.)

Québec, Canada

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iii

R

ÉSUMÉ

L‘Intelligent Dance Music (IDM) est un courant de musique électronique semi-expérimental qui a émergé au Royaume-Uni au début des années 1990. Souvent considérée comme une musique cérébrale peu propice à la danse, l‘IDM n‘avait jamais fait l‘objet de l‘étude nécessaire à la justification d‘un tel jugement. Les analyses formelles menées ici sur des œuvres représentatives d‘Aphex Twin, pionnier et figure principale du courant, montrent une démarche sophistiquée de complexification rythmique qui a pour effet de solliciter activement l‘attention de l‘auditeur. D‘une part, l‘asymétrie organisée aux différents niveaux du rythme provoque des phénomènes d‘ambigüité et de rupture sur le plan de la perception métrique. D‘autre part, l‘abondance d‘ensembles microrythmiques, parfaitement synchronisés avec la structure métrique, produit un dense et précis enrichissement du rythme opéré sous forme d‘agréments gestuels ou texturaux. Ces particularités musicales résultent d‘un lot de choix prédominants définissant le style de l‘artiste et, par la même occasion, fournissent les premiers éléments d‘une définition de l‘IDM basée sur des caractéristiques formelles.

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A

BSTRACT

Intelligent Dance Music (IDM) is a semi-experimental genre of electronic music that emerged in UK at the turn of the 1990s. Even though IDM has been described as a kind of cerebral music not appropriate for dancing, it has not been considered worth of musicological study until now. This thesis presents formal analyses of pieces by pioneering act and main IDM figure Aphex Twin: listeners‘ attention is notably drawn by Aphex Twin's sophisticated approach and complex rhythmic structures. On the one hand, the different rhythmic layers are characterized by an organized asymmetry leading to ambiguity and rupture in the domain of metrical perception. On the other, the large amount of microrhythmic elements, all perfectly synchronized to the metric structure, contribute to greatly enrich rhythm through gestural and textural material. These musical characteristics, that are the result of a number of choices peculiar to the artist‘s style, open the way to a formal definition of IDM.

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T

ABLE DES MATIÈRES

Résumé ... iii

Abstract ... v

Table des matières ... vii

Liste des tableaux ... ix

Liste des figures ... xi

Sigles et abréviations ... xiii

Remerciements ... xv

Introduction... 1

Chapitre I – Considérations terminologiques ... 17

1. La structure rythmique : rythme et mètre ... 17

1.1. Définition ... 17

1.2. Groupement et mètre ... 19

1.3. Accentuation et syncope ... 20

1.4. Dissonance métrique, polyrythmie et polymétrie... 26

1.5. Ambigüité et indétermination du mètre ... 27

2. Concepts relatifs aux microdurées ... 29

2.1. Microson ... 29

2.2. Microrythme ... 30

2.3. Microtiming ... 32

3. Terminologie relative aux éléments de la structure rythmique ... 33

3.1. Pulsation et unité ... 34

3.2. Temps, tactus et tempo... 34

Chapitre II – Trois analyses d‘œuvres ... 37

1. Analyse de « To Cure a Weakling Child » ... 37

1.1. Introduction ... 37

1.2. Présentation de la méthodologie ... 37

1.3. Analyse ... 49

1.4. Synthèse ... 62

2. Analyse de la forme préliminaire de la forme de « Cock/Ver10 » ... 63

2.1. Introduction ... 63

2.2. Analyse de la forme : ambigüité et indétermination ... 63

2.3. Synthèse : détermination de la forme préliminaire ... 69

3. Analyse transphonographique de « Cock/Ver10 » ... 71

3.1. Introduction ... 71

3.2. Caractéristiques stylistiques de « Cock/Ver10 » ... 71

3.3. Analyse de « Cock/Ver10 » (Aphex Twin, 2001) ... 72

3.4. Analyse de l‘hyperphonographe ... 77

3.5. Synthèse ... 84

Conclusion ... 87

Annexe 1 : Figures ... 91

Annexe 2 : Discographie ... 93

Annexe 3 : Documents divers ... 95

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L

ISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 – Tableau des fréquences d‘évènements par seconde à 84 bpm (B) en fonction de la subdivision du temps exprimée par ces derniers (A). ... 40 Tableau 2 – Tableau des multiples de fréquences (tempo et évènements) en fonction du tempo. ... 43 Tableau 3 – Exemple extrait du tableau de transcription réalisé pour l‘analyse de « To Cure A Weakling Child ». ... 44 Tableau 4 – Tableau de la forme préliminaire de l‘œuvre à partir des concepts d‘ambigüité et

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L

ISTE DES FIGURES

Figure 1 – Représentation du plan des évènements concrets (SS) superposé au plan de la structure métrique (SS) selon la notation par points de Lerdahl & Jackendoff (1983). La première note à plus de poids sur le plan de la rythmisation subjective. La notation musicale fournie ici n‘indique pas comment les accents de la SS

sont organisés de manière à appuyer les accents de la SM. ... 20

Figure 2 – Spectrogramme de la partie centrale de « Windowlicker » (Aphex Twin, 1999). ... 22

Figure 3 – Forme par groupes de « Bucephalus Bouncing Ball » (Aphex Twin, 1997). Chaque groupe représente l‘introduction d‘un timbre spécifique dans l‘œuvre (équivalent d‘instrument). Les chiffres indiquent des mesures de quatre temps. ... 25

Figure 4 – Cas de consonance et de dissonance fournis en exemple dans Kerbs (1987, p. 102). ... 26

Figure 5 - Premières secondes de « Bucephalu Bouncing Ball » (Aphex Twin, 1997). En haut une division du flux musical à 84 bpm, en bas une division du flux musical à 168 bpm. ... 39

Figure 6 – Transcription des quatre premiers temps à 84 bpm de « Bucephalus Bouncing Ball ». Les silences conventionnels ont été remplacés par des « notes vides ». ... 40

Figure 7 – Transcription des quatre premiers temps à 84 bpm de « Bucephalus Bouncing Ball » avec la prise en compte d‘une limite entre rythme et MR. ... 41

Figure 8 – Transcription des huit premiers temps à 168 bpm de « Bucephalus Bouncing Ball ». ... 42

Figure 9 – Transcription des huit premiers temps à 168 bpm de « Bucephalus Bouncing Ball » avec la prise en compte d‘une limite entre rythme et MR. ... 42

Figure 10 – Spectrogramme du temps sur lequel est porté la transcription du tableau 3. On aperçoit les quatre coups de GC (3+1) grâce à l‘énergie du spectre qui se déploie verticalement depuis les basses fréquences, et les huit évènements de HH qui partagent également le temps avec des pics d‘énergie dans le haut du spectre. ... 45

Figure 11 – Exemples d‘occupation et de transcription des régions du temps. La durée des notes choisies n‘a pas d‘importance du moment que sa position demeure claire. ... 46

Figure 12 – Exemples de transcription pour des évènements décalés. ... 47

Figure 13 – Exemples de transcription pour des phénomènes MR. ... 47

Figure 14 – Exemple extrait du tableau de transcription de « To Cure A Weakling Child »... 48

Figure 15 – Frise de « To Cure A Weakling Child » (Aphex Twin, 1996). Les différents traits horizontaux délimitent les bas niveaux de la structure et de la forme (parties A-B et cycles A0-A9). Quelques indications de temps sont fournies afin de faciliter le repérage. ... 49

Figure 16 – Exemples de spectrogrammes des groupes GC (a), CC (b), HH (c) et BZ (d). ... 50

Figure 17 – Spectrogramme des quatre premiers temps de « To Cure A Weakling Child ». ... 52

Figure 18 – Graphique représentant le nombre d‘évènements par temps pour chacun des cycles (courbes colorées). ... 58

Figure 19 – Graphique représentant le nombre de superpositions par temps pour chacun des cycles (courbes colorées). ... 59

Figure 20 – Spectrogramme de la forme préliminaire de « Cock/Ver10 » (Aphex Twin, 2001). ... 63

Figure 21 – Transcription des premières mesures du Bloc B. En A apparaissent les principaux coups de GC, en B, CC et en C, une apparition de la charleston (HH). ... 66

Figure 22 – Spectrogramme du bloc C. En A les variations de hauteur de la mélodie et en B les variations d‘intensité. ... 67

Figure 23 – Extrait du rythme de GC et CC dans le bloc F. ... 68

Figure 24 – Représentation de la forme de l‘œuvre. Les valeurs indiquées en bas représentent le nombre de mesures de quatre temps. La lettre « A » signifie « ambigüité » et la lettre « I » signifie « indétermination ». 70 Figure 25 – Spectrogrammes d‘extraits de « Cock/Ver10 » (Aphex Twin, 2001) où figurent des successions d‘ensembles MR. ... 74

Figure 26 – Spectrogramme du son de grosse caisse granuleux. ... 75

Figure 27 – Spectrogramme de l‘hyperphonographe. ... 78

Figure 28 – Spectrogramme de la version acoustique de « Cock/Ver10 ». Les traits représentent les temps tandis que les rectangles indiquent les endroits des microdéviations. ... 79

Figure 29 – 00:33 : à gauche le MR de l‘œuvre originale (70 e/s), à droite le MR « imité » (25 e/s). ... 81

Figure 30 – 01:33/34 : à gauche le MR de l‘œuvre originale (70 e/s), à droite le MR « imité » (60 e/s). ... 82

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S

IGLES ET ABRÉVIATIONS

Sigle / Abr. Définition courte

bpm Battements (ou beats) par minute. enr. Enregistrement.

e/s Évènement(s) par seconde. e/t Évènement(s) par temps. EDM Electronic Dance Music.

Fig. Figure.

IDM Intelligent Dance Music.

IOI InterOnset Interval : Intervalle de durée entre le départ de deux évènements sur la surface sonore (SS).

MH Mélodico-harmonique. MR Microrythme/microrythmique.

SM Structure métrique : le mètre en tant que grille constituée de points, accentués selon une hiérarchie de niveaux.

SR Structure rythmique : Structure résultante de l‘interaction SS-SM. Le rythme en tant que phénomène structuré.

SS Surface sonore : Évènements concrets (sonores) qui communiquent avec la SM pour produire la SR.

t. Indication du temps d‘analyse dans le cycle en cours (directement suivi du nombre, sans espace). tt. Indication du temps d‘analyse sur l‘ensemble de l‘œuvre (directement suivi du nombre, sans

espace).

TA Temps d‘analyse.

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R

EMERCIEMENTS

Nous remercions chaleureusement notre directrice de recherche Sophie Stévance ainsi que notre co-directeur Serge Lacasse pour leur soutien, leurs conseils et leur infinie patience, ainsi que l‘ensemble des professeurs qui ont continuellement alimenté notre soif de connaissance.

Nous remercions les amis, qui sont là quand il faut, et dédions ce travail à notre mère, qui, en lisant ces lignes, comprendra peut être enfin qu‘elle est la meilleure des mères.

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I

NTRODUCTION

1. Contexte

L‘Intelligent Dance Music (IDM) est un courant de musique électronique semi-expérimental qui a émergé au Royaume-Uni au début des années 1990. La particularité de l‘IDM a tout d‘abord été de proposer une musique électronique libre des standards de l‘époque par la création d‘œuvres innovantes sur les plans rythmique et timbral. Dès 1995, l‘intégration d‘ensembles microrythmiques (communément appelés « drills ») dans les créations des principaux artistes associés au courant, est devenue une pratique presque systématique. Cette volonté d‘enrichissement rythmique, qui se manifeste par l‘élaboration d‘œuvres influencées par la drum‘n‘bass, marque une transformation de l‘identité du courant et fournit les premiers exemples d‘une utilisation maîtrisée des micro-évènements et microdurées dans le domaine des musiques électroniques populaires. Même si cette transformation ne fait qu‘inscrire une nouvelle étape dans le prolongement d‘une démarche de rupture vis-à-vis de l‘EDM1, corpus auquel l‘IDM emprunte toutefois un certain nombre de codes, elle a certainement contribué à éloigner les considérations stylistiques des approximatives descriptions du courant disponibles à ce jour.

L‘absence d‘une définition précise de l‘IDM s‘explique principalement par la variété des descriptions disponibles et le peu de travaux approfondis sur le sujet. Ces lacunes trouvent une première origine dans le débat qui a entouré l‘apparition de l‘acronyme. Celui-ci, qui apparaît le 1er août 1993 avec la création de « l‘IDM List » sur Usenet2, désigne initialement les musiques du catalogue des labels Rephlex3 et Warp Records4 (« Artificial Intelligence »5, 1992-1994). L‘IDM est « plus qu‘une musique

1 Electronic Dance Music.

2 Usenet est un réseau de forums créé en 1979. Il était particulièrement utilisé aux débuts des années 1990 par

les producteurs, DJs et passionnés de musiques électroniques.

3 Rephlex est un label créé en 1991 par Richard D. James (Aphex Twin) et Grant Wilson-Claridge. Bien qu‘il

fut essentiellement créé pour distribuer et promouvoir de manière indépendante la musique d‘Aphex Twin (parmi les dix premiers articles du catalogue, au moins sept sont des supports pour ses œuvres), le label fut rapidement (à partir de 1993) dédié aux musiques de tous bords dotées d‘une démarche expérimentale ou fondamentalement artistique.

4 Warp records est un label anglais de musiques électroniques créé en 1989 par Steve Beckett et Rob Mitchell. 5 On trouve de nombreuses informations dans une réponse de Brian Behlendorf, l‘administrateur système de

la liste, donnée le 3 août 1993 : http://web.archive.org/web/20071118071301/http://elists.resynthesize.com/ idm/1993/08/412600/.

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bounce-up-and-down »6, une « sonorité »7 que Warp nommait déjà « electronic listening music »8 et certains auteurs « intelligent techno »9. Plus tard, l‘expression « art techno » (Reynolds 2012, Ferreira 2008) apparait tandis que Rephlex propose « braindance »10 comme expression alternative à l‘IDM11. À cette première confusion s‘ajoute donc la succession de deux périodes distinctes dans le développement du courant. La première période, qui recouvre la première moitié des années 1990, est caractérisée par des mélanges de sonorités issues de la techno rave et de rythmes peu intensifs mais variés, qui confèrent aux œuvres leur caractère de musique d‘ambiance intellectualisée. La seconde période est, quant à elle, marquée par des œuvres généralement plus rapides, prenant en compte une plus vaste étendue de timbres et exprimant une variété rythmique plus complexe, intégrant de nombreux microrythmes et syncopes. On remarque aisément les conséquences de cette ontogenèse particulière du style dans le propos des artistes et amateurs du milieu ou de la littérature académique. Lorsque le sujet de l‘identité du courant est abordé sur l‘IDM List, c‘est essentiellement à la première période, parfois à la deuxième, que les participants se réfèrent pour définir le genre. Les artistes cités sont principalement Aphex Twin et Autechre, bien qu‘aucune œuvre ou élément musical particulier ne semble faire figure de référence. Les participants procèdent généralement par analogie ou antonymie et s‘accordent sur le fait qu‘il s‘agit d‘une musique électronique faite d‘expérimentations ou d‘élaborations qui sollicitent un certain degré d‘attention ou de réflexion de la part de l‘auditeur.

6 Ibid. 7 Ibid.

8 Le terme est proposé par le label dès la sortie d‘Artificial Intelligence (1992). Voir Young (2005, p. 52–53). 9 Le terme « intelligent techno » fait son apparition en 1991 sur une liste de discussion dédiée à la musique

industrielle (https://groups.google.com/forum/#!msg/rec.music.industrial/3R6TNIJ1jfI/BgFQlSlApkQJ). Le style de musique visé est celui de Coil, un groupe de musique expérimentale anglais formé dans les années 1980 par John Balance et Peter Christopherson. Il apparait également en 1993 sur un sujet d‘une liste de discussion consacrée à la musique rave (https://groups.google.com/forum/#!msg/alt.rave/BBSt1zoax1A/ pOza6fqNpqMJ). Cette fois, le terme est utilisé pour désigner The Black Dog, un groupe de musique électronique anglais qui fut rapidement associé au courant IDM. Il est, par ailleurs, le sujet d‘un article réalisé par Dom Phillips (Mixmag, 1992). Ce dernier cite des artistes blip/rave/ambient qui ont émergé autour de 1990 et parmi lesquels figure Aphex Twin. Le courant décrit correspond en grande partie à ce qui sera considéré plus tard comme étant de l‘IDM (https://www.djhistory.com/features/when-techno-came-of-age). Colin Faver de Kiss FM, cité dans l‘article, qualifie cette nouvelle musique de « progressive » et commente son caractère dansant : « Some of it you can dance to, some of it you definitely can‘t ». Notons que l‘article est publié six mois après la parution d‘ Artificial Intelligence.

10 Le communiqué est disponible à cette adresse : http://web.archive.org/web/20010302124112

/www.rephlex.com/braindance.htm.

11 Les dérivés de la drum‘n‘bass produits par les artistes d‘IDM forment quant à eux des sous-genres nommés

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2. État de la littérature

Dans les ouvrages qui y font référence, l‘IDM n‘est mentionné que succinctement, n‘offrant qu‘une description partielle qui se résume la plupart du temps à de vagues considérations calquées sur le consensus signalé plus haut. Mark J. Butler (2006, p. 80) décrit l‘IDM comme étant une étiquette désignant une démarche expérimentale personnelle plutôt qu‘un ensemble de caractéristiques musicales. Christoph Cox et Daniel Warner (2004, p. 414) assimilent l‘IDM au terme « post-techno », pour décrire une musique techno « différente ». Joanna Demers (2010, p. 170) définit l‘IDM comme un sous-genre de l‘electronica12, Shapiro (2004, p. 281) comme une musique qui « convient mieux à une écoute domestique au casque », tandis que Bogdanov (2001, p. xi) décrit le courant légèrement plus en détail, puisqu‘il évoque l‘opposition de la démarche de création de l‘IDM avec la musique électronique dédiée aux clubs de l‘époque, ainsi que la « migration » de la scène depuis l‘Angleterre vers les États-Unis à la fin des années 1990.

Malgré le commun accord sur le caractère cérébral ou expérimental de l‘IDM, aucun auteur n‘a encore tenté de découvrir les visées ou les résultantes de ces expérimentations. Le concept de musique expérimentale, tel qu‘il a été défini par John Cage (1961) ou encore Michael Nyman (1999), repose sur un processus de création lors duquel les actions « entraînent des résultats imprévisibles » (Cage 1961, p. 19). Or, la généralisation de l‘emploi des ensembles microrythmiques à partir de 1995, dans les œuvres des artistes d‘IDM (Aphex Twin, Autechre, Luke Vibert, Squarepusher), indique l‘adoption d‘une esthétique inédite dans les musiques populaires. Les drills, que l‘on

12 Ici envisagé comme un remplaçant du terme « EDM ». Le terme « electronica » est également sujet à de

nombreuses confusions, puisqu‘il est, selon les auteurs, utilisé pour désigner l‘IDM ou assimilés (Kyrou A. 2002, Seca J.-M. & Voisin B. 2004, Hegarty P. 2007, Emmerson S. 2007), de la musique électronique dansante (Cascone K. 2000, Demers J. 2010), de la musique électronique « de salon » (Bouhassa N. 2002), ou alors l‘ensemble de ces catégories (Bidder S. 1999, Toop D. 2000, Bogdanov V. 2001, Neill b. 2002, Cox C. & Warner D. 2004, Shapiro P. 2004, Danielsen A. 2010, Sicko D. 2010, Reynolds S. 2012). On note une nuance dans l‘ouvrage de Kyrou et al. (2007) qui fait une distinction entre l‘electronica française, expérimentale, et l‘electronica anglo-saxonne qui désigne la pop électronique. Maiken Derno (2004, p. 264) propose une définition plus simple qui englobe toute musique qui « partage la base inorganique de la techno ». L‘explication qui, d‘après nous, est la plus éclairée, est celle fournie par Sicko et Reynolds, qui décrivent le terme comme étant le fruit d‘un désir, éprouvé par la presse et les distributeurs, de catégoriser de manière simpliste et dans une seule et même branche, l‘ensemble des nouveaux courants de musique électronique apparus dans les années 1990.

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retrouve en premier chez Aphex Twin13, sont des ensembles d‘évènements présentés comme de rapides répétitions d‘échantillons sonores. Leur variété timbrale et la précision de leur assemblement témoignent d‘une volonté d‘intégrer de véritables gestes musicaux par le prolongement des fréquences du rythme (~ 10 e/s14 à 50 e/s). Ces gestes, qui font figure de nouveauté15 dans les musiques électroniques à caractère mesuré16, forment parfois des textures granuleuses ou de complexes polyrythmies.

3. Problématique

À notre avis, les ensembles microrythmiques présents dans les œuvres d‘IDM constituent une partie ou l‘ensemble d‘un langage musical propre aux artistes du courant. Nous chercherons donc à savoir si ce langage existe et quel est son degré de complexité. Comment, alors, les ensembles microrythmiques sont-ils constitués et de quelle manière interagissent-ils avec la structure rythmique ? Ces questions ont déjà été implicitement suggérées par Stan Hawkins (2007), le seul auteur à avoir décrit les comportements microrythmiques de l‘IDM dans une analyse audiovisuelle du clip de « Windowlicker » (Aphex Twin, Windowlicker, 1999) réalisé par Chris Cunningham. Il fait notamment référence aux ruptures de la structure rythmique qu‘il attribue à « l‘organisation asymétrique des patrons microrythmiques » (2007, p. 46). Il évoque une prédominance de l‘asymétrie, qui se manifeste également sur le plan du rythme, et se réfère à Butler pour indiquer la présence d‘un phénomène d‘ambigüité similaire à ceux de l‘EDM17. A quel

13 Des drills légers (environ 20 Hz) et épars sont exprimés dans « Xepha » (Aphex Twin, On, 1993), tandis

qu‘ « Italic Eyeball » (Caustic Window, Joyrex J4 EP, 1992) propose des ensembles plus rapides (environ 40 Hz) et omniprésents. « Isopropophlex » (Aphex Twin, Analogue Bubblebath, 1991), est probablement le premier exemple de l‘incorporation des drills dans un contexte isométrique.

14 Évènement(s)/seconde.

15 L‘aspect granuleux des ensembles microrythmiques de l‘IDM rappelle le son obtenu lorsque l‘on emploie

un idiophone tel que le güiro, le kagul, la crécelle ou toute technique de percussion rapide. Pour « ancêtre proche », ils ont les expérimentations électroacoustiques de Xenakis (Concret PH 1958, Analogique B 1959), Stockhausen (Kontakte, 1960), Roads (Klang-1 1974, Prototype 1975) ou encore Truax (Riverrun, 1986).

16 Ici le terme est employé dans le sens déterminé par Sima Arom (2007). Celui-ci définit les musiques

mesurées comme des musiques « dans lesquelles chaque durée entretient un rapport strictement proportionnel avec toutes les autres ». Nous parlerons de musiques mesurées et non mesurées sans que référence soit faite au concept de mesure, mais comme équivalents des temps striés et lisses de Pierre Boulez (1987).

17 « When it comes to these beats, they intersect with meter in captivating ways. While this is certainly a

subject in itself and not the remit of this study, it is worth underlining the ambiguity of metrical type and grouping. [...] Romping about with the beat trough his characteristic tricky edits, it is as if AT does everything to avoid symmetry in ‗Windowlicker‘. In pop terms, the effect is eclectic as the predominance of asymmetrical rhythms generates unclear beat groupings that imbue the musical material with its metrical diversity. In addition, a sense of downbeat displacement evokes a set of unpredictable beginning points all the

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5 degré rythme et microrythme sont-ils impliqués dans les phénomènes de rupture ou d‘ambigüité ? L‘ambigüité rythmique de l‘IDM est-elle différente de celle de l‘EDM ?

4. État de la question

En dehors de la courte analyse de Hawkins, la musicologie a ignoré les qualités du rythme dans l‘IDM. La discipline semble pourtant différencier clairement EDM et IDM sur le plan de la danse. Reynolds (2012), qui commente l‘apparition des œuvres de la deuxième période dans le milieu bourgeois-bohème, considère la musique du courant comme n‘étant « pas particulièrement dansable » :

This renewed interest in percussive complexity remains oddly cerebral in cast though. In freestyle salons, head nodding rather than booty shaking is the order of the day, and there‘s no drug factor, just beer and an occasional, discreet spliff. Reynolds (2012, p. 474)

Selon Pedro Peixoto Ferreira (2008), pour qui l‘EDM serait un genre de musique fondamentalement conçu pour la danse « non-stop », le reniement du caractère dansant de L‘IDM provient d‘un amalgame entre les visées de l‘EDM et celle de l‘IDM sur ce plan18. Quelles sont les stratégies musicales mises en place par les artistes d‘IDM pour contrevenir à la danse non-stop ? Les études du rythme dans l‘EDM ne sont pas très nombreuses, la musicologie s‘étant davantage penchée sur la dimension socio-historique des musiques électroniques dédiées à la danse que sur la découverte de leurs caractéristiques formelles. La plus ancienne se trouve dans « Feel the beat come down: house music as rhetoric » (Hawkins, 2003), un article qui propose une analyse de la structure hypermétrique de « French Kiss » (Lil‘ Louis, French Kiss, 1989). Le document nous renseigne sur l‘importance du tactus19, les qualités structurelles de l‘œuvre, ainsi que sur la communication rythme-mètre qui partagerait avec la musique africaine des « processus d‘inflexion, répétition et de développement » (p. 86). Il s‘agit cependant d‘une entreprise

way through, thus heightening the ambiguity. While metrical dissonance prevails for the most of the track, the beat patterns are tightly controlled, terse, and rigid. In this way, the groove calls to attention the richness of textural and timbral material, which enters and exits the sound image discretely » (Hawkins 2007, p. 46-47)

18 « It should be noted, however, that there is a corporeal dimension of IDM that is usually neglected by most

theorists » (Ferreira 2008, p. 19).

19 Nous concevons le tactus comme l‘ensemble des accents qui expriment le niveau du temps sur la surface

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limitée, puisque Hawkins ne propose pas ici un modèle d‘analyse, mais plutôt une première tentative de compléter l‘étude sociomusicologique de la house par une analyse formelle :

Accepting that house music is culture-specific, my argument proposes that its organization musically is a critical premise for working out its effect musicologically. My purpose here is to discover and determine how some of the internal mechanisms of a house track function. (Hawkins 2003, p. 81)

La deuxième analyse, qui est une monographie de 346 pages réalisée par Butler en 2006 et intitulée Unlocking the Groove: Rhythm, Meter, And Musical Design in Electronic

Dance Music, est le document le plus complet et le plus précis qui ait été élaboré sur le

sujet. Dans cet ouvrage, l‘auteur traite notamment de la place des syncopes et de l‘ambigüité rythmique dans l‘EDM, et met en rapport les différents niveaux de la structure des œuvres typiques du courant. Enfin, la troisième analyse rythmique dédiée à l‘EDM a été réalisée par Zeiner-Henriksen (2010). Dans cette thèse de doctorat, l‘auteur étudie le rapport qu‘entretiennent certains motifs habituels dans l‘EDM avec les mouvements du corps. Principalement tourné vers la mise à jour d‘un motif précis, le « poumtchak pattern », ce travail n‘accorde pas une place assez importante à la structure rythmique ainsi qu‘aux différents autres types de motifs éventuellement impliqués dans le discours rythmique du courant.

Les travaux réalisés dans le domaine du microrythme sont un peu plus nombreux, mais aussi plus variés. Ils peuvent être divisés en deux catégories : celle où sont décrites les microdurées d‘une manière générale (et, plus particulièrement, les micro-évènements) et celle où sont décrites les microdurées dans un contexte mesuré. On trouve la description la plus complète des micro-événements dans Microsound (Curtis Roads, 2001). Dans cet ouvrage, le « microson » est défini comme un quantum sonore20 (environ 0.5 ms à 100 ms) pouvant être assemblé pour produire la matière sonore. Le travail de Roads sur l‘organisation des micro-évènements, dont il est le pionnier avec Barry Truax21, nous intéresse pour les premières définitions qu‘il procure des hautes fréquences du rythme. Les

20 Roads cite, parmi ses modèles, le physicien Dennis Gabor, qui proposait une description du phénomène

sonore analogue à celui de la matière. Les quantums de la matière trouvent alors un équivalent sous forme de quasi-particules. Bien sûr, les quantums sonores de Roads se situent aux limites de la perception auditive.

21 Barry Truax est un compositeur et professeur en électroacoustique qui a notamment implémenté le

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7 procédés d‘organisation qu‘il décrit ne concernent cependant que des approches liées à la production du son plutôt qu‘à son analyse. D‘autre part, la majorité de ces procédés produisent des « nuages », ensembles asynchrones qui ne sont pas envisagés dans un contexte mesuré22. Dans un contexte mesuré, les seuls travaux effectués sur les microdurées concernent les micro-intervalles temporels et, plus précisément, les microdéviations ou

microtimings. Le microtiming désigne « traditionnellement » les microdéviations qui ont

lieu dans le jeu de l‘interprète par rapport à la norme métrique à laquelle est soumise la dimension abstraite de la musique. On trouve quelques travaux23 concentrés sur le répertoire afro-américain (V. Iyer 2002, F. Benadon 2006, C. Gerischer 2006, Butterfield 2006, A. Danielsen 2006) ainsi que sur le jeu pianistique classique (Dodson, 2012) 24. Ces déviations, qui dépassent rarement le quart de seconde, sont au centre du phénomène d‘expressivité symbolisé par le swing ou groove25. Contrairement à la dimension gestuelle du jeu instrumental, les microdéviations dans les musiques enregistrées peuvent être paramétrées avec une précision suffisante à l‘exploitation de nouvelles tensions rythmiques. Ce thème n‘a été traité que dans un seul ouvrage, collectif : Musical Rhythm in the Age of

Digital Reproduction (Danielsen, 2010). La plus grande partie de l‘ouvrage est consacrée à

leur analyse. Les concepts de tolérance rythmique et d‘entraînement y sont explorés et fournissent ainsi la première étude complète des interactions possibles entre rythme, microrythme et mètre.

22 La plupart des types d‘organisations décrites par Roads sont des « nuages » asynchrones. Les types

d‘organisations synchrones interviennent alors dans un contexte amétrique. Il existe, par ailleurs, un cas d‘analyse d‘une œuvre de Truax effectuée par Mara Helmuth en 2006. Entièrement composée de microsons, Riverrun est le résultat protoypique des méthodes de création exposées dans l‘ouvrage de Roads. L‘analyse de Helmuth, principalement réalisée à partir des écrits du compositeur ainsi que par le biais de descriptions de spectrogrammes, dévoile l‘absence de structure rythmique caractéristique de ce type de démarche. Voir Mara Helmuth, « Barry Truax's Riverrun », dans Analytical Methods of Electroacoustic Music, Mary Simoni, dir., (New York : Routledge, 2006), 187-238.

23 Dans ces travaux, le terme « microtiming » est parfois remplacé par « microrhythm ». Nous verrons par la

suite que ce terme ne devrait pas être conçu comme un équivalent du microtiming mais, comme le propose Danielsen, comme un phénomène plus général dont le microtiming n‘est qu‘un aspect.

24Dans l‘article de Dodson (2012), qui exporte dans le domaine de la musique savante la notion de groove, le

microtiming y est vu comme une « solution » aux répétitions de Schumann proposée par l‘interprétation d‘Horowitz.

25 Dans le domaine des musiques populaires, le concept de groove, conçu comme un ensemble d‘instruments

rythmiques s‘exprimant dans le cadre d‘une performance (concrète ou simulée) donnant lieu à des micro-déviations, a été traité en détail par Danielsen (2006). On trouvera une définition claire du groove chez Butler (2006, p. 326), ou bien Zeiner-Henriksen (2010, p. 153).

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8

Nous souhaitons donc analyser les différents niveaux de la structure d‘œuvres d‘IDM afin de dresser un premier inventaire des comportements rythmiques associés au courant. Compte tenu de l‘imprécision des descriptions déjà disponibles, l‘objectif de notre recherche est de contribuer à une meilleure définition de l‘IDM en procédant à l‘étude des éléments stylistiques résultants de la démarche expérimentale. Notre attention s‘est naturellement portée sur les drills, qui occupent une grande partie du répertoire et forment, à partir des années 1990, les éléments d‘un discours rythmique nouveau. Nous inscrivons notre travail dans la continuité des auteurs qui ont précédemment contribué à « démystifier » des pratiques populaires encore largement ignorées par la discipline musicologique. Nous pensons par exemple aux travaux de Hawkins, Butler ou Danielsen qui tous méritent d‘être complétés par l‘analyse, à l‘aide des outils théoriques développés par ces derniers, d‘objets de formes similaires ou dérivées. En analysant la structure rythmique des différentes œuvres d‘IDM de la deuxième période, nous voulons découvrir les agencements particuliers qui conduisent aux phénomènes de rupture et d‘ambigüité identifiés par Hawkins (2007). Il s‘agira, pour toutes les œuvres abordées, de déterminer le rôle du microrythme dans le but, d‘une part, de révéler sa pertinence en tant que composante d‘un langage musical propre aux artistes d‘IDM et, d‘autre part, d‘avancer nos connaissances sur l‘organisation musicale des évènements à l‘échelle micro.

5. Cadre théorique

Notre sujet d‘étude se limitant à la dimension rythmique, il est nécessaire de conjuguer deux approches dans le choix des concepts qui vont intégrer notre méthodologie d‘analyse. En effet, nous basons notre travail d‘analyse sur les descriptions occidentales26 classiques du rythme, qui ont pour avantage de permettre une lecture de la structure rythmique fondée sur une hiérarchisation de ses niveaux. La définition du rythme, que ces recherches contribuent à façonner, propose un concept à la fois structurel et phénoménologique27

26 Voir les ouvrages de V. Zuckerkandl (1956), G. Cooper & L. Meyer (1963), E. Cone (1968), A. Komar

(1971), W. Berry (1976), M. Yeston (1976), D. Epstein (1979, 1995), F. Lerdahl & R. Jackendoff (1983), W. Benjamin (1984), J. Lester (1986) ou encore J. D. Kramer (1988).

27 Par « phénoménologique », nous faisons référence à Ansermet (1989) et entendons les qualités musicales

en fonction de nos attentes, ou ce que Lerdahl et Jackendoff nomment « préférences » : « Thus, the rules of the theory are divided into two distinct types: well-formedness rules, which specify the possible structural descriptions, and preference rules, which designate out of the possible structural descriptions those that correspond to experienced listeners‘ hearings of any particuliar piece. » (Lerdahl et Jackendoff 1983, p. 9)

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9 constitué, d‘une part, des évènements sonores concrets analysables selon des paramètres contexturels et contextuels et, d‘autre part, des systèmes de préférence ou de hiérarchisation déterminés du point de vue de la réception et qui participent à la perception des formes rythmiques. Ces théories, qui associent généralement des données liées au domaine cognitif avec celles issues de transcriptions d‘œuvres à tempo isochrone, ont établi ce qui peut être résumé en quatre axes principaux :

 Une conception du rythme basée sur la constitution de deux entités communicantes que sont la surface sonore et la structure métrique;

 une typologie des accents, ceux-ci déterminant les niveaux structurels (structure métrique) ainsi que les « poids » exercés à la surface par les éléments sonores;  une typologie des niveaux de la structure métrique (hypermètre, hypermesure,

hyperbeat, etc.);

 une terminologie des éléments (beat, pulse, etc.) et des comportements (ambigüité, dissonance, etc.) du rythme.

Nous nous reposerons en grande partie sur la théorie des accents, très bien décrite par Lerdahl & Jackendoff, qui permet de séparer efficacement surface sonore et structure métrique. Celle-ci sert également d‘outil théorique approprié à la prise en compte de la hiérarchie des niveaux du mètre et des rapports que ces derniers entretiennent avec l‘organisation des évènements sonores. L‘aspect taxinomique des niveaux du rythme est également au cœur de la démarche d‘analyse de Nicolas Ruwet (1972). L‘analyse structurelle de Ruwet, directement inspirée par la linguistique, consiste à diviser le discours musical à partir du phénomène de répétition. L‘intérêt d‘effectuer une analyse de la structure par la répétition permet notamment de dévoiler des éléments de la structure qui n‘apparaissent pas ou mal lorsque sont utilisées d‘autres méthodes d‘analyse. Lors de ce procédé, la division de l‘axe syntagmatique crée des unités qui peuvent ensuite être comparées en terme d‘équivalences paradigmatiques28. Ruwet propose deux types de caractérisations des éléments musicaux à même d‘être engagés dans les rapports d‘équivalences. D‘une part, les éléments paramétriques qui se manifestent soit par la constance de leur manifestation (et qui ne seraient d‘aucun recours pour la segmentation de

28 L‘axe paradigmatique désigne, en linguistique structurale, l‘ensemble des éléments pouvant occuper la

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10

l‘œuvre), soit sous la forme d‘une opposition binaire telle que proche/lointain, grave/aigu, etc. D‘autre part, les éléments non paramétriques qui se caractériseront plutôt « par un assez grand nombre de distinctions à l‘intérieur d‘une même dimension29 ». C‘est donc la répétition, qu‘il décrit comme étant une « identité entre des segments répartis à divers endroits de la chaîne syntagmatique », qui sert à la division des segments musicaux, tandis que l‘identité des segments, ou unités, est déterminée par les dimensions non paramétriques que sont la hauteur et la durée30. Si Ruwet choisit ces paramètres pour la segmentation, c‘est parce qu‘ils sont les dimensions principales de la musique tonale. Or, il est tout à fait pertinent, pour l‘analyse des structures rythmiques des œuvres d‘IDM, de procéder à une segmentation à partir de paramètres exclusivement rythmiques, tels que les durées ou la position des éléments à l‘intérieur des plus petites unités. Roads (2001), London (2004), Butler (2006), Danielsen (2010) constituent les bases du regard phénoménologique que nous souhaitons porter sur nos analyses. Hearing in Time: Psychological Aspects of

Musical Meter (London, 2004) représente une référence concernant les données

psychologiques et cognitives liées aux rythme. L‘ouvrage, qui synthétise l‘ensemble des recherches effectuées dans le domaine, appuie les limites d‘échelles fixées par Roads ainsi qu‘une partie de l‘étude des concepts d‘ambigüité et d‘indétermination réalisée par Butler. Ces auteurs fournissent ainsi les éléments de connaissance les plus récents sur l‘analyse des situations de rupture et d‘ambiguïté et définissent un cadre théorique pour la définition des ensembles microrythmiques. C‘est sans aucun doute Danielsen (2010) qui offre la meilleure expertise concernant le domaine des microdéviations, puisqu‘elle poursuit les différentes études qui ont été menées sur le sujet en les réactualisant31. Avec Carlsen, Witek et Johansson (dans Danielsen, 2010), elle aborde la tension métrique, la tolérance rythmique et le concept d‘entraînement, et montre qu‘une organisation minutieuse des microdéviations peut grandement affecter la perception de l‘œuvre à plus grande échelle.

29 Ce type de caractérisation est communément appelée « opposition radiale ».

30Ruwet précise que les deux dimensions seront considérées ensemble, pour ensuite, si besoin est, être

considérées séparément.

31 L‘intérêt des recherches de Danielsen sur les microdéviations réside dans la prise en compte, d‘une part, des

technologies numériques comme outils permettant leur production et, d‘autre part, de la dimension cognitive qui intervient dans leur interprétation.

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6. Méthodologie

Les modestes dimensions de ce mémoire ne nous permettant pas d‘aborder l‘IDM dans toute son étendue, nous avons choisi de concentrer notre étude sur les œuvres d‘Aphex Twin appartenant à la deuxième période. En choisissant de nous focaliser sur une analyse formelle éclairée par des données perceptives, ce que Jean-Jacques Nattiez nomme comme étant l‘approche « esthésique externe » dans son inventaire des situations analytiques (Roy 2003, p. 26), nous avons délibérément modéré l‘utilisation de données émanant des propos du compositeur. La première raison est tout simplement qu‘il n‘a jamais abordé ses œuvres pour en faire le commentaire ou en offrir une description, de même qu‘il n‘a jamais vraiment été précis concernant son processus de création. Parfois il fournit quelques informations sur le matériel utilisé ou quelques procédés de création, mais le futile tend à dominer la teneur des propos. C‘est le cas lorsqu‘il confie à Greg Rule (Keyboard

Magazine, avril 1997) utiliser Recycle, un logiciel de découpage audio, afin de créer de

petits morceaux d‘échantillons :

One of his favourite mashing tools is Steinberg's ReCycle."Yeah, it's quite a wicked program. The most useful thing about it is it creates a bank on your sampler, and gives it loads of sample names. And that saves you an hour, at least. You can cut something up into, like, 90 samples, and transfer it over SCSI in a minute. That would take two hours normally." And not just for breakbeats, Richard uses ReCycle for melodic material as well. "I might play a violin or a trumpet scale into Pro Tools—every note I can think of—and then bang it into ReCycle, chop it up into little bits, bang it into the sampler, and you've got a complete bank of sounds in your sampler in about five minutes." (Rule 1997, p. 12)

Une telle situation peu en partie être reprochée aux interviewers, généralement plus préoccupés de connaître des détails de la vie quotidienne, les goûts et états d‘esprits de l‘artiste ou encore des informations sur les travaux en cours et à venir, plutôt que des éléments d‘ordre musicologique. La seconde raison est son attitude de détachement, souvent emprise d‘humour et de désinvolture, lors des entrevues que l‘artiste accorde. Ce dernier se joue souvent des questions qu‘on lui pose et répond volontiers de manière aléatoire ou ironique. Cette tendance devient la règle à partir du début des années 2000, lorsqu‘il impose aux intéressés de lui poser ses questions sous forme de formulaires écrits.

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12

Kyrou et al. (2007) évoque également un tel comportement lorsqu‘il évoque ses entrevues « je m‘en foutistes » et déclarations « outrancières ».

Les entrevues ne sont cependant pas reconnues pour être les sources les plus fiables quand on les insère dans une démarche de compréhension de l‘œuvre musicale. Même lorsque l‘auteur a une idée très précise du sens qu‘il veut donner à sa création, il peut tout à fait y avoir un décalage entre les intentions exprimées et le résultat perçu. Aphex Twin est, malgré cela, un choix d‘étude naturel lorsqu‘il s‘agit d‘aborder L‘IDM. Il en est la figure principale32 sur plusieurs plans. Sur le plan professionnel, Aphex Twin est à la fois un des producteurs33 pionniers du label Warp, figurant notamment sur Artificial Intelligence, et dirigeant d‘un important label d‘IDM (Rephlex Records). Sur le plan musical, il est certainement l‘artiste du genre à être le plus productif et le plus inventif jusqu‘à 2001. Deux aspects de sa musique nous concernent directement. Premièrement, Aphex Twin est l‘auteur d‘albums séminaux pour chacune des périodes de l‘IDM, la chronologie de ses créations comporte donc deux périodes qui sont identiques à celle du courant. Selected

Ambient Works 89-92 (Aphex Twin, 1992) est un album important de l‘IDM naissant,

tandis que Hangable Auto Bulb EP et Hangable Auto Bulb EP.2 (Aphex Twin, 1995) marquent le passage à une esthétique dont les drills font partie intégrante. Deuxièmement, outre sa capacité à réaliser des œuvres variées stylistiquement34, Aphex Twin est reconnaissable par son attrait pour la mélodie, qu‘il insère dans des compositions de type instrumental35. Même si la diversité des timbres tend à parfois confondre certains flux sonores, on remarque nettement une organisation des évènements en flux distincts.

32 S. Reynolds (1998) associe l‘IDM à Squarepusher, Luke Vibert et Aphex Twin. J. Demers (2010) écrit que

« beaucoup considèrent Aphex Twin, Autechre, Boards of Canada et KLF comme des exemples définitifs d‘IDM ». S. Emmerson (2007) ne fait, quant à lui, que référence à Aphex Twin et Autechre comme exemples d‘artistes d‘IDM.

33 Le terme « producteur », qui est parfois utilisé par erreur comme un anglicisme du terme « producer »

désignant le réalisateur artistique, est ici utilisé selon l‘acception relativement nouvelle et désormais courante dans le domaine de la création des musiques électroniques. Il fait référence à un contrôle étendu, voir total, de l‘artiste sur la genèse de l‘œuvre, puisque ce dernier réalise généralement l‘ensemble des étapes de la création (composition, performance, arrangement, mixage, etc.) seul.

34 Dans l‘album Druqks (Aphex Twin, 2001), les pièces de breakcore (« Vordhosbn », « Mt Saint Michel

Mix+St Michaels Mount ») côtoient mélodies au piano (« Avril 14th ») et œuvres pour piano préparé (« Jynweythek »).

35 L‘intérêt d‘Aphex Twin pour la musique instrumentale ne se mesure pas qu‘à l‘écoute de Druqks. L‘artiste

a notamment collaboré avec Philip Glass afin de réaliser une version instrumentale d‘« Icct Hedral » (Aphex Twin, 1995). Certaines de ses œuvres ont également fait l‘objet d‘une reprise par le groupe Alarm Will Sound (Acoustica [Alarm Will Sound Performs Aphex Twin], 2005). L‘une d‘entre elles a fait l‘objet d‘une analyse par nos soins présentée dans ce mémoire.

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13 Contrairement au duo Autechre, qui tend à effacer la notion de flux dans ses compositions, il est très facile d‘isoler auditivement les formules rythmiques chez Aphex Twin. Cette spécificité a pour avantage de faciliter l‘analyse, mais a aussi le potentiel de pouvoir permettre une meilleure identification des techniques qu‘utilise l‘auteur pour accorder des codes conventionnels avec ceux de l‘IDM.

Nous avons divisé notre travail en deux grands chapitres. Le premier chapitre est dédié à la terminologie des concepts et définitions liées au rythme. Nous y clarifions nos outils théoriques et proposons des compléments jugés nécessaires. Pour présenter les concepts et justifier nos choix, nous agrémentons les cas qui le nécessitent d‘exemples, par l‘analyse ciblée d‘œuvres du répertoire de la seconde période de l‘artiste. C‘est dans le second chapitre que sont présentées nos analyses de deux œuvres d‘Aphex Twin également issues de la seconde période. Chaque œuvre y est confrontée à certains concepts rythmiques exposés dans le premier chapitre. Toutes les méthodes d‘analyse employées découlent de concepts basés sur un contexte mesuré, raison pour laquelle nous avons écarté les outils théoriques d‘analyse qui n‘insèrent pas les phénomènes musicaux dans une structure de durées équivalentes. C‘est le cas avec l‘analyse des musiques électroacoustiques (Roy, 2003) qui offre des modèles dont aucun qui ne soit dédié au rythme. L‘enjeu de l‘analyse des musiques électroacoustiques se joue principalement au niveau de la transcription des formes sonores, qu‘il s‘agit de prévoir afin qu‘elle puisse décrire efficacement la surface sonore ainsi que les relations entretenues par celles-ci. L‘absence de contexte métrique ne permet malheureusement pas d‘identifier plusieurs niveaux d‘organisation temporellement équivalents. Nous avons écarté Les Unités Sémiotiques Temporelles (UST) pour les mêmes raisons. Les UST sont une série de 19 unités36 définies par les chercheurs du MIM37 (Delalande et al., 1996) dans le but de décrire le mouvement évoqué par les événements sonores. Le principe des UST repose sur la description de « fragments sonores qui, même hors de leur contexte musical, possèdent une signification temporelle due à leur organisation » (Favory, 2007). Elles sont donc un moyen supplémentaire de transcrire des

36 Les 19 UST de base sont « en flottement », « en suspension », « lourdeur », « obsessionnel », « par

vagues », « qui avance », « qui tourne », « qui veut démarrer », « sans direction par divergence d'information », « sans direction par excès d'information », « stationnaire », « trajectoire inexorable », « chute », « contracté-étendu », « élan », « étirement », « freinage », « suspension-interrogation », « sur l'erre ».

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formes sonores dans un contexte où le temps n‘est réellement considéré qu‘au niveau de celles-ci, plutôt que comme un paramètre déterminant la qualité de leur relation.

L‘intérêt des analyses du deuxième chapitre est donc l‘intégration des outils théoriques dans un processus guidé par une méthodologie adaptée. Afin de porter nos analyses sur des exemples pertinents, nous avons dû effectuer un choix parmi les centaines d‘œuvres produites entre 1995 et 2001. Tout d‘abord, nous avons choisi celles qui contenaient des drills. Celles-ci sont presque systématiquement exprimées à des tempi rapides situées entre 150 et 170 bpm environ. Nos critères de sélection étaient essentiellement basés sur les effets de contraste, d‘ambigüité ou de rupture ressentis à l‘écoute ainsi que sur l‘appréciation d‘un certain dynamisme exprimé par le rythme que seule une analyse poussée aurait permis de comprendre. Dans « To Cure a Weakling Child » (Aphex Twin, Richard D. James Album, 1996), qui sera notre première œuvre étudiée, des drills sont régulièrement insérés au sein d‘une structure semblant être organisée de manière relativement simple et répétitive. Celle-ci est interrompue en son milieu par un interlude rythmique dont il est difficile, manuellement, de définir le tempo. Le point important de cette analyse est la présentation d‘une méthodologie conçue pour la transcription des données du rythme dans les œuvres d‘Aphex Twin. Celle-ci repose sur les étapes que sont la détermination de la forme préliminaire de l‘œuvre, la définition du temps d‘analyse et des groupes, la transcription et l‘interprétation des résultats. Dans « To Cure a Weakling Child », nous avons soumis les données de la transcription à l‘analyse paradigmatique de Ruwet. Notre objectif a été la découverte de la structure rythmique dans son ensemble par la comparaison de divers types de récurrences (formules rythmiques, nombre d‘évènements, superpositions, etc.). Les données du rythme et du microrythme sont mises en relation afin de comprendre quel rôle ces derniers jouent dans le discours musical de l‘artiste.

Les deux analyses suivantes portent sur « Cock/Ver10 » (Aphex Twin, Drukqs, 2001), une œuvre que nous avons jugée intéressante pour les subtils contrastes d‘énergie entre ses différentes parties. En effet, si la répétition semble encore omniprésente ici, la poursuite de notre méthodologie d‘analyse élaborée pour « To Cure a Weakling Child » nous a confronté à un tempo ambigu lors de l‘étape de sa définition. Cette première étape

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15 est essentielle, puisqu‘elle contribue dans certains cas à la détermination de la forme préliminaire de l‘œuvre. Or, contrairement à la musique écrite ou une grande part de la musique populaire, où l‘organisation rythmique définit en règle générale assez clairement le tempo de l‘œuvre, la vitesse et l‘agencement des éléments ainsi que la complexité des ensembles autorise plusieurs tempi possibles. L‘objectif est donc ici, en nous servant notamment des concepts d‘indétermination et d‘ambigüité du mètre énoncés par London (2004) et Butler (2006), de tenter de déterminer le comportement de chacune des parties et ainsi obtenir une forme préliminaire basée sur les relations entretenues entre la surface sonore (SS) et la structure métrique (SM). Notre seconde analyse de « Cock/Ver10 » sera quant à elle une analyse transphonographique, puisque nous comparerons l‘œuvre d‘Aphex Twin à la reprise d‘Allarm Will Sound, un groupe de musique instrumentale qui a dédié un album à la réinterprétation des œuvres de l‘artiste (Acoustica [Alarm Will Sound Performs

Aphex Twin], 2005). En analysant l‘œuvre acoustique selon les mêmes critères que ceux

pris en compte dans l‘analyse originale, nous pouvons comparer les résultats et ainsi mieux cerner le rôle des microdéviations (omniprésentes dans le jeu humain) dans le phénomène d‘ambigüité. Nos observations sont, pour cela, confrontées au concept de tolérance rythmique, pour lequel un premier ensemble de lois a déjà été énoncé dans l‘ouvrage de Danielsen (2010).

7. Outils pratiques d‘analyse

Deux types d‘analyses ont été menés pour décrire et comprendre les œuvres abordées, soit l‘analyse à partir de la trace sonore, et l‘analyse à partir de la transcription. L‘analyse à partir de la trace sonore peut se faire à l‘écoute lorsqu‘il s‘agit de transcrire les durées rythmiques en notation musicale, mais nécessite l‘appui d‘un spectrogramme lorsque les données à transcrire sont trop complexes (fréquence des évènements trop élevée, évènements trop courts, etc.). Nous utiliserons RX2 Advanced de l‘éditeur iZotope pour produire les spectrogrammes. L‘avantage de ce logiciel d‘analyse est sa qualité de rendu qui permet d‘observer avec une bonne résolution le comportement du spectre. Les figures en forme de spectrogramme comportent, lorsqu‘elles présentent des ensembles de temps, une règle temporelle horizontale qui marque l‘axe du temps ainsi qu‘une règle verticale qui marque l‘axe des fréquences. Nous aurons la plupart du temps recours à Photoshop CS 5 pour l‘édition des spectrogrammes. L‘utilisation de Photoshop ne se limitera pas à la mise

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en forme des figures (découpages, indications diverses), mais nous servira également à appliquer des repères pour l‘analyse. Cette pratique consistera à dessiner deux lignes verticales blanches au début de deux évènements. Nous obtenons ainsi une unité de temps graphique que nous dupliquons. La grille qui résulte des multiples duplications peut être étirée ou contractée38, afin de correspondre aux accents de la structure rythmique. Nous utiliserons la notation musicale pour transcrire le rythme et les chiffres arabes lorsqu‘il s‘agira de dénombrer les évènements. L‘analyse à partir de la transcription consiste à utiliser les données récoltées du sonore pour les décrire et les comparer. Pour effectuer la comparaison, nous avons choisi de transcrire les données séparément dans les cellules d‘un fichier Excel, un logiciel flexible qui facilite leur manipulation ainsi que la présentation des résultats. Nous utilisons également Mathematica 8 de l‘éditeur Wolfram pour produire des courbes à partir des données récoltées sur Excel. Pour les graphiques qui ne réclament pas la représentation de valeurs précises, Photoshop sera utilisé. Enfin, le tempo sera identifié dans le logiciel Cubase. Ses outils de mesure nous permettent de découvrir celui-ci très précisément. Lors de nos analyses, nous arrondirons le tempo à l‘unité, de sorte de ne pas surcharger le texte d‘informations futiles. Nos indications de temps seront également arrondies à la seconde.

38 L‘ajustement est souvent minime lorsque les deux premiers traits ont été correctement placés. Il est souvent

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17

C

HAPITRE

I

C

ONSIDÉRATIONS TERMINOLOGIQUES

1. La structure rythmique : rythme et mètre

1.1. Définition

Le rythme est un domaine très complexe qui regorge d‘études dans de nombreuses disciplines. Lorsqu‘on s‘intéresse au rythme musical, les ouvrages de référence tels que les dictionnaires ne fournissent qu‘une définition générale ou partielle qui s‘attache principalement au caractère périodique du rythme :

Distribution d'une durée en une suite d'intervalles réguliers, rendue sensible par le retour périodique d'un repère et douée d'une fonction et d'un caractère psychologiques et esthétiques. [...].

Retour périodique des temps forts et des temps faibles, disposition régulière des sons musicaux (du point de vue de l'intensité et de la durée) qui donne au morceau sa vitesse, son allure caractéristique. (Le

Petit Robert électronique, 2013)

On retrouve la notion de périodicité dans la définition du Oxford Dictionary of

Music qui décrit le rythme comme étant la perception d‘une unité de temps :

Rhythm covers everything pertaining to the time aspect of mus. as distinct from the aspect of pitch, i.e. it incl. the effects of beats, accents, measures, grouping of notes into beats, grouping of beats into measures, grouping of measures into phrases, etc. When all these factors are judiciously treated by the performer (with due regularity yet with artistic purpose—an effect of forward movement—and not mere machine‐like accuracy) we feel and say that the performer possesses ‗a sense of rhythm‘. There may be ‗free‘ or ‗strict‘ rhythm.

The human ear seems to demand the perceptible presence of a unit of time (the beat); even in the ‗Free Rhythm‘ of PLAINSONG or of RECITATIVE this can be felt, though in such mus. the grouping into measures is not present. (Oxford Dictionary of Music, 2013)

La musicologie offre cependant une description du rythme plus approfondie. Depuis les études menées par Cooper et Meyer (1960), Lerdahl et Jackendoff (1983), et, plus récemment Hasty (1997), London (2004) ou encore Danielsen (2010)39, il est admis

39 Citons également Friedrich Neumann (1959), Andrew W. Imbrie (1973), TellefKvifte (2007) ou encore

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que le rythme est composé de deux plans en interaction permanente. Le premier plan est la partie concrète, soit la « surface » composée des évènements sonores tels qu‘ils apparaissent à l‘écoute et que l‘on nommera « surface sonore » (SS). Le deuxième plan, que l‘on nommera « structure métrique » (SM), est celui de l‘univers abstrait créé par notre esprit dans le but d‘apprécier les relations temporelles entre les évènements. Lorsque nous écoutons un ensemble de sons (surface sonore) qui semblent être répartis sur les repères d‘une grille « virtuelle » composée d‘unités de longueur égales ou similaires40, il nous est possible de percevoir le rythme. Comme le précise Danielsen41, le sensation de rythme est le résultat d‘une communication permanente entre la surface sonore (« sounding realizations ») et la structure métrique (« rhythmic ou virtual reference structure ») : l‘évaluation de l‘intervalle temporel entre chaque son (IOI42) produit des unités sur la grille qui, à son tour, fournit une indication sur les futurs emplacements rythmiques possibles.

Parler de la SS, c‘est désigner un ensemble d‘évènements sonores43 perçus

distinctement sur l‘axe du temps. L‘ « étalonnage » que fournit la SM par sa périodicité, et qui donne au rythme perçu son caractère mesuré, permet l‘anticipation nécessaire à la danse, la reproduction ou le jeu de groupe. La présence du mètre dans la théorie du rythme permet d‘expliquer comment nous pouvons « mesurer » les distances entre les sons et prévoir leurs manifestations possibles dans le temps sans que ceux-ci soient obligatoirement réitérés avec une parfaite régularité (qu‘ils soient décalés par rapport à la grille ou tout simplement absents). Lerdahl et Jackendoff (1983, p. 8-9), définissent quatre « composants de l‘intuition musicale hiérarchiques par nature » qui, chacun, jouent un rôle dans la structuration de l‘œuvre. La structure de groupement est relative à la segmentation du discours musical en motifs, phrases et sections. La structure métrique désigne l‘intuition

40 Cette précision est importante, puisqu‘on doit tenir compte du facteur expressif du jeu humain (les

microdéviations décrites plus bas) ainsi que des pratiques musicales où certaines unités de la grille semblent avoir une durée plus longue ou courte que les autres. Voir les rythmes ovoïdes de Jean During (1997).

41 « Rhythm comprises an interaction between rhythmic structure and the sounding realization(s) of such

structures. This interaction goes both ways, and in fact it is the sounding events that usually serve as the basis for the non-sounding schemes activated in the listener (though those schemes then immediately inform the listener‘s experience of the sounding events). » (Danielsen 2010, p. 19).

42 Inter Onset Interval (littérallement : Intervalle Inter-Attaque). Désigne l‘intervalle de durée mesurable entre

chaque début d‘évènement sonore.

43 Voir William Moylan (2007, p. 91) sur la différence entre évènement sonore et objet sonore : « A sound

event is the shape or design of the musical idea (or abstract sound) as it is experienced over time. The sound object is the perception of the whole musical idea (or abstract sound) at an instant, out of time ».

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19 de l‘existence d‘une grille métrique constituée de temps forts et faibles et donc, la perception de ces unités sur différents niveaux. Les deux autres composants sont relatifs aux hauteurs de notes. La réduction de la période de temps concerne la hiérarchie des hauteurs compte tenue de leur position au sein de la structure, tandis que la réduction

prolongationnelle réfère à la hiérarchie mélodico-harmonique. Malgré la place importante

prise par l‘organisation des hauteurs dans la théorie de Lerdahl et Jackendoff, nous retiendrons deux grandes catégories de hiérarchies. La première est celle relative à la prise en compte des évènements de la SS (qualité, durée, forme, etc.) et la deuxième est celle qui concerne l‘évaluation temporelle par la SM (quantité, fréquence, fond, etc.).

1.2. Groupement et mètre

Ainsi, la distinction est communément faite entre le groupement, qui est l‘activité consciente de segmentation du discours musical, et le mètre, qui représente la grille d‘étalonnage subjective. Le groupement peut, dépendamment des informations fournies par la SS, être asymétrique et complexe, contrairement à la segmentation suggérée par la SM, qui est soumise à différentes lois naturelles et permet l‘appréciation et la comparaison de valeurs simples et proportionnelles :

Meter is not simply a matter of regularly recurring dynamic intensifications. It is a set of proportional relationships, an ordering framework of accents and weak beat within which rhythmic groupings take place. It constitutes the matrix out of which rhythm arises. (Cooper et Meyer 1960, p. 96)

We have established that the basic elements of grouping and of meter are fundamentally different: grouping structure consists of units organized hierarchically; metrical structure consists of beats organized hierarchically. (Lerdahl et Jackendoff 1983, p. 25)

Selon Lerdahl et Jackendoff, lorsque la structure de groupement correspond à la structure métrique, celles-ci sont en phase. Lorsqu‘elles ne correspondent pas, elles sont dites déphasées (p. 30). Ces derniers utilisent l‘exemple de l‘anacrouse comme un cas typique de déphasage entre groupement et mètre. Ils distinguent le déphasage léger du déphasage plus conséquent que « l‘auditeur traite plus difficilement », puisque « the recurrent patterns in the two components [groupement et mètre] conflict rather than reinforce one another » (p. 30). Ils considèrent ainsi le degré de phase comme une

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« importante caractéristique rythmique d‘un passage musical ». Enfin, ils précisent que l‘organisation des évènements et de leurs accents peuvent privilégier un seul ou plusieurs groupements en « conflit ». Dans le dernier cas, l‘auditeur a alors « des intuitions vagues ou ambigües » (p. 40).

1.3. Accentuation et syncope

Lerdahl et Jackendoff définissent trois types d‘accents entrant en jeu dans la structure rythmique. Les accents phénoménaux désignent « n‘importe quel évènement de la surface musicale qui met de l‘emphase ou qui accentue à un moment du flux musical » (Lerdahl et Jackendoff 1983, p. 17). On peut considérer les accents phénoménaux comme étant des sons, ou évènements, contrastant avec d‘autres sons. Par leur caractéristique contrastante, que leurs différents attributs timbraux leur confèrent, ils exercent un poids sur la SM qui affecte potentiellement le groupement et la définition du mètre. Les accents structuraux désignent quant à eux les poids exercés par les structures qui sont, ici, mélodico-harmoniques. Dans notre analyse de l‘IDM, nous verrons si le rythme et le microrythme peuvent agir en tant qu‘accents structuraux. Enfin, l‘accent métrique réfère à « n‘importe quelle unité de la grille métrique [dit beat] qui est relativement forte dans son contexte métrique ». Les accents métriques désignent des points de la grille métrique, plus ou moins « forts » ou fortement attendus (nous dirons qu‘ils ont plus ou moins de poids) en fonction de leur position par rapport au début (et donc du nombre de niveaux de la SM pris en compte, voir fig.Figure 1 ci-dessous).

Figure 1 – Représentation du plan des évènements concrets (SS) superposé au plan de la structure métrique (SS) selon la notation par points de Lerdahl & Jackendoff (1983). La première note à plus de poids sur le plan de la rythmisation subjective. La notation musicale fournie ici n‘indique pas comment les accents de la SS sont organisés de manière à appuyer les accents de la SM.

Figure

Fig.  Figure.
Figure 1 – Représentation du plan des évènements concrets (SS)  superposé au plan de la structure métrique  (SS) selon la notation par points de Lerdahl & Jackendoff (1983)
Figure 4 – Cas de consonance et de dissonance fournis en exemple dans Kerbs (1987, p. 102)
Figure 5 - Premières secondes de « Bucephalu Bouncing Ball » (Aphex Twin, 1997). En haut une division du  flux musical à 84 bpm, en bas une division du flux musical à 168 bpm
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