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Analyse de la forme : ambigüité et indétermination

Chapitre II – Trois analyses d‘œuvres

2. Analyse de la forme préliminaire de la forme de « Cock/Ver10 »

2.2. Analyse de la forme : ambigüité et indétermination

Comme c‘est très souvent le cas dans les œuvres d‘Aphex Twin70, « Cock/Ver10 » contient différents « moments » rythmiques parfaitement délimités et analysables séparément. La répartition des blocs rythmiques (les moments), contribue à un partitionnement dynamique de l‘œuvre tel que nous pourrions l‘observer dans la musique classique71 (enr. 4).

Figure 20 – Spectrogramme de la forme préliminaire de « Cock/Ver10 » (Aphex Twin, 2001).

69 Cette ambigüité perceptive se confirme par ailleurs lorsque nous utilisons des logiciels de détection de

tempo qui se basent généralement sur des algorithmes de détection des transitoires. Selon les modèles, le tempo détecté est égal à 85 bpm ou 170 bpm.

70 Notre analyse de « To Cure a Weakling Child » en fournit un bon exemple.

71Nous pensons notamment aux variations de tempo entre les mouvements de la symphonie ou les thèmes de

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Ce partitionnement peut être perçu comme une alternance de moments plus ou moins calmes rythmiquement ou sur le plan de l‘intensité (fig.Figure 20, « 1 »). Il peut également se porter sur le contenu MH, ce qui établirait une forme d‘œuvre morcelée par l‘alternance des thèmes (fig.Figure 20, « 2 » et « 4 »). Partant de l‘hypothèse selon laquelle segmenter l‘œuvre à partir des possibilités de perception du tactus permettrait d‘obtenir une forme préliminaire pertinente dans un contexte d‘analyse rythmique, nous avons choisi d‘identifier et caractériser les parties contrastées du point de vue de la perception métrique, afin d‘obtenir une forme dont nous discuterons la pertinence. Notre analyse donne le tableau présenté ci-dessous (Tableau 4).

Label Début Tempo (bpm) Principe

A 0:00 170/85 Indétermination B 0:12 170 C 1:08 85 D 1:19 85/170 Ambiguïté E 2:21 85 F 2:52 85/170 Ambiguïté G 3:26 85/170 Indétermination H 3:55 170 I 4:44 0 Indétermination

Tableau 4 – Tableau de la forme préliminaire de l‘œuvre à partir des concepts d‘ambigüité et d‘indétermination.

Le tableau ci-dessus fait l‘inventaire des neuf grandes parties de l‘œuvre déterminées sur la base de leurs qualités rythmiques (également représentées sur la fig.Figure 20, « 3 »). La première partie, ou premier bloc, fait référence à une partie introductive où le mètre est constitué par la répétition d‘un événement bref situé dans le haut du spectre et faisant penser à un coup de charleston fermé (HHC). Bien que sa fréquence soit de 170 bpm, il est tout à fait possible de regrouper les évènements par deux et ainsi percevoir un tempo à 85 bpm. Nous sommes dans un cas typique d‘indétermination de la SM, puisqu‘aucune information sonore n‘invite à découvrir un niveau particulier de la structure métrique. Nous avons déterminé le tempo du bloc B à 170 bpm car celui-ci nous semblait naturellement être à cette valeur. Cela s‘explique en grande partie par le nombre et la fréquence des évènements, qui à été occasionnellement multiplié par deux ou quatre. On distingue ainsi plusieurs niveaux dans la SR. Les évènements à plus faible intensité (HHC et autres) constituent le niveau le plus élevé (4 e/t ) tandis que les évènements à plus forte

65 intensité (grosse caisse et caisse claire, que l‘on notera respectivement GC et CC) constituent les niveaux plus bas du rythme (0.5, 1 et 2 e/t).

Malgré tout, on constate une ambigüité dès le premier temps. CC, habituellement réservé aux temps pairs, est ici placée sur les temps impairs. Cela a pour effet de créer une « ambiguïté de début » puisque nous ne nous attendons pas à une introduction de la batterie sur CC, mais plutôt sur GC, qui marque habituellement le premier temps. Sans distinction faite sur le timbre, le plus bas niveau possible du tempo devient 170 bpm. Si on se fie aux positions occupées par le rythme de ce passage, on s‘aperçoit que l‘organisation des pauses forme un ensemble de phrases qui commencent toutes par GC. Les ruptures générées par les pauses (exemple : l‘indétermination temporaire des temps 6 et 7) permettent de régler le « conflit du début » en offrant la possibilité de réévaluer le départ du discours rythmique. En faisant commencer le groupement avec GC, on retrouve la logique des temps impairs/pairs du duo GC/CC qui favorise la perception d‘un tempo à 170 bpm (fig.Figure 21). Ce cas est intéressant puisque, contrairement aux phénomènes de déphasages, la séquence rythmique de la mes. 1 à 15 respecte les positions initialement proposées par la première mesure. Ce n‘est qu‘en aménageant un contexte de phrases par l‘abolition du groupement qu‘Aphex Twin affirme la phase de l‘ensemble. Cependant, le jeu de la cymbale (CY) avec GC et CC lors de la mes. 17 clôt une courte transition vers un changement de phase du rythme. La mes. 17 est un passage marqué par l‘ambigüité au cours duquel un jeu de permutations fait passer CC des temps impairs aux temps pairs. Lorsque la transition prend fin (mes. 18), les temps autrefois occupés par CC le sont désormais par GC et vice versa. D‘un point de vue syntagmatique, les phrases rythmiques ont été décalées d‘un ou de trois temps, respectivement vers la droite ou vers la gauche.

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Figure 21 – Transcription des premières mesures du Bloc B. En A apparaissent les principaux coups de GC, en B, CC et en C, une apparition de la charleston (HH).

Bloc C agit comme une partie de transition où le rythme s‘efface. La structure métrique est alors dessinée par le contenu mélodico-harmonique pendant un court moment avant d‘être appuyé par HHC. L‘emphase est ici mise sur une fréquence deux fois inférieure à ce qui était suggéré auparavant, soit un tempo à 85 bpm. Même lorsque HHC accélère, la mélodie supporte le tactus en faisant succéder les notes fidèlement à celui-ci. Deux procédés sont utilisés; le changement de hauteur ainsi que la variation d‘intensité (voir le spectrogramme ci-dessous).

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Figure 22 – Spectrogramme du bloc C. En A les variations de hauteur de la mélodie et en B les variations d‘intensité.

À la fin du bloc, HHC décrit un ensemble MR annonçant le passage à une nouvelle séquence rythmique, le bloc D. Celui-ci répond aux standards rythmiques décrits plus haut, à savoir l‘alternance GC/CC sur les temps respectivement impairs et pairs. Une relative ambigüité fait alors son apparition. Le premier temps, qui s‘inscrit dans la logique métrique établie lors du bloc précédent, est suivi à une vitesse double (170 bpm) d‘un coup de CC, lui-même suivi d‘un temps vide, puis d‘un nouveau coup de CC. Notre attention ainsi portée sur la périodicité de CC nous invite à considérer un tempo à 85 bpm décalé d‘un temps à 170 bpm72. Cette invitation est toutefois contrebalancée par le contenu mélodico- harmonique, qui appuie les temps impairs (dans la continuité du comportement observé au bloc précédent), et HHC qui pallie l‘absence relative de GC. Au niveau des intensités, on ressent une certaine prédominance de CC qui s‘impose presque comme élément directeur

72Par là nous entendons : « nous sommes invités à évaluer le tempo à partir des apparitions de CC ». On peut

contester une telle approche et considérer le temps qui précède celui de CC, comme le temps de référence pour le tactus, qu‘il soit sonore ou non. Cette situation, de l‘absence de GC sur le 3eme temps n‘est pas nouvelle puisqu‘elle s‘était présentée à de nombreuses reprises pendant les premières mesures analysées du bloc B. La différence essentielle dans le cas du bloc D, est le contraste de la caisse claire avec les autres éléments rythmiques. La grosse caisse perd également de son intensité.

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du rythme. Au fur et à mesure du déroulement de la séquence, le rôle de CC est renforcé par l‘expression d‘un rythme où GC se trouve être majoritairement syncopé. Cette tendance à une perception suggérée du tempo sur les temps de la caisse claire (impairs), qui est assez commune chez Aphex Twin et d‘une manière plus générale dans la drum‘n‘bass, se confirme sans ambigüité possible lorsque le bloc E est introduit. Le bloc F est quant à lui un retour à un certain degré d‘ambigüité métrique. GC joue un rythme simple contenant une syncope, tandis que CC est complexifié. Le rythme est indiqué dans le tableau suivant :

Figure 23 – Extrait du rythme de GC et CC dans le bloc F.

On remarque que le deuxième impact de CC est, à cette vitesse, suffisamment proche du troisième temps (88 ms) pour créer un poids sur celui-ci et motiver la prise en compte d‘un tempo à 170 bpm73. CC reste toutefois un élément saillant qui bénéficie d‘un contexte où il ordonnait un tempo à 85 bpm. Ce contexte a cependant été en partie « rompu » sur le premier temps du bloc, puisque celui-ci est en décalage d‘un temps (à 170 bpm) par rapport au groupement rythmique du bloc précédent (85 bpm), intervertissant GC et CC. Le bloc F est ensuite suivi par un bloc d‘indétermination métrique semblable à celui présenté au début de l‘œuvre. Le contenu purement rythmique y est réduit aux répétitions de HHC et le contenu MH n‘y joue aucun rôle précis. Il ne constitue qu‘un passage de transition vers le « climax » de l‘œuvre. Le bloc H, qui constitue le point d‘orgue de l‘œuvre, est la partie la plus dense, la plus riche, et la plus intensive de toutes. Dès les premières secondes, l‘emphase est mise sur les deux premiers temps à 170 bpm, forçant une appréciation du tempo à cette vitesse. CC, qui ne contraste plus avec les autres éléments, occupe les temps 3, 6, 9 et 12, ce qui, avec GC intervenant sur les temps 1, 2, 7 et 874, invite à grouper les temps par six. Ce type de regroupement est cependant rapidement anéanti par l‘organisation rythmique, ne laissant comme choix raisonnable qu‘une plus

73D‘après le concept de pulse region, 88 ms serait une valeur suffisante pour que l‘évènement soit « absorbé »

par le repère de la grille duquel il se rapproche. Notons que 88 ms correspondent à 1/4 de temps à 170 bpm et 1/8 temps à 85 bpm.

74Il intervient également en syncope sur les temps 4 et 5, ce qui ne contribue pas réellement à affirmer le

69 grande attention pour une périodicité qui ne faillit pas, soit le temps à 170 bpm comme la seule unité pertinente. Vers 04:22, le rythme semble se désagréger. Des éléments sont soustraits à l‘ensemble et les temps ne sont désormais appuyés qu‘occasionnellement avant d‘aboutir à une fin d‘œuvre dénuée de rythme.

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