Outils e t m éthodes d e la recherche : Expérimentation, ethnoarchéologie, modélisation
In terprétation des phénomènes d'emprunts
techno-stylistiques en céramique
Limites
d'une
étude
menée
dans
la
vallée
Agnès Gelbert (UMR 7055 Préhistoire et Technologie)
L 'étude ethnoarchéologique q u e j'ai m enée dans la vallée du fleuve Sénégal s'appuie sur une p ro b lém atique archéologique g é n é ra le concernant l'interprétation des phénom ènes d ’emprunts entre différentes traditions céram iques. Pour les périodes anciennes, où la poterie constitue le matériau privilégié des interprétations archéologiques, le d e g ré d'influence visible entre deux assem blages céram iques sert g é n é ra le m e n t d e b a s e à d es interprétations variées sur le d e g ré e t la nature des relations entretenues p ar les c o m m u n au tés (conquêtes, relations commerciales, domination économ ique, C e tte d é m a rc h e interprétative pose deux problèm es essentiels. D'une part, la majorité des études se concentrent sur les a s p e c ts ornem entaux et m orphologiques des poteries, alofs que les emprunts p eu v en t concerner l’e n sem b le d e la chaîne opératoire d e fabrication. D'autre part, les interprétations suggèrent une relation univoque entre les emprunts céram iques et les relations établies entre les com m unautés, alors q u e d e nom breuses étu d es ethnographiques o n t montré la variabilité d e s facteurs qui peuvent freiner ou a c c é lé re r les emprunts céram iques (e.g. Arnold 1985; Balfet 1973 ; Foster 1965; Hodder 1982 ; Van d e r Leeuw e t al.
1991).
Les deux problèm es soulevés nous ram ènent à une m êm e nécessité : d é v elo p p er d e s données d e référen ce p e rm e tta n t d ’ab o rd d ’identifier les emprunts aux différentes é ta p e s d e la chaîne opératoire, puis d'interpréter c e s emprunts en term es culturels. J ’ai choisi d e suivre une d é m a rch e ethnoarchéologique, d a n s le sens p ro p o sé par Alain Gallay (Gallay 1986 ; Roux 1992). Il s'agit non seulem ent d e m ettre en év id en ce sur le plan ethnographique des régularités entre des faits matériels e t non matériels, mais ég alem en t d e co m p re n d re les m écanism es expliquant ces régularités afin d 'e n définir le cham p d 'a p p lic a tio n
1-L'objectif d e m on é tu d e ethnoarchéologique est triple :
• contribuer à la mise en p la c e d'un référentiel perm ettant d e reconnaître sur les produits finis l'ensem ble d e s é ta p e s d e la fabrication ; c e tte é ta p e est nécessaire pour pouvoir intégrer à l'étu d e d e l’emprunt l'ensem ble d e la chaîne opératoire ; dans le c ad re d e c e travail, je m e suis limitée au problèm e d e la reco n n aissan ce des tech niques e t m éthodes d e fa ç o n n a g e par l'étude des m ac ro tra ce s ;
• c o m p re n d re les contraintes transculturelles qui peu v en t favoriser ou e m p ê c h e r les p h é n o m è n e s d'em prunts céram iques. ; c e s contraintes sont d e deux ordres : elles se rapportent d'une part aux p ro b lèm es technologiques e t aux difficultés motrices e t conceptuelles posées à l'artisan lors d e l'adoption d'un nouveau savoir-faire ; d 'autre part elles con cern en t les contraintes environnem entales ; • m ettre e n év id en ce les facteurs contextuels à l'œuvre d a n s la région étudiée, afin d e déterminer les
conditions favorables aux processus d'emprunts entre les deux traditions cé ra m iq u e s; 3 s'agit d e caractériser le contexte d e production (au sens large, à la fois économ ique, sociologique, politique...) d a n s lequel les emprunts se sont déroulés.
L 'enquête ethnoarchéologique a é té m en ée dans les haute e t m oyenne vallées du fleuve Sénégal, dan s une zo n e d e co n tact entre deux groupes ethnoiinguistiques, les Toucouleur et les Soninké. Lors d e s terrains e ffe c tu é s en 1995, 1996 e t 1997, j'ai poursuivi trois types d'enquêtes, l'observation directe, l'expérim entation e t l'enquête orale. Deux traditions céram iques coexistent dans la région étudiée, qui se différencient à différentes é ta p e s d e la fabrication, essentiellem ent pour la préparation d e la pâte, les techniques e t m éthodes d e fa ç o n n a g e , les fraitements d e surface, la cuisson e t la décoration.
1 Pour une e xp lica tio n détaillée de la d é m arche, voir Roux 1992.
Outils et m éthodes d e la recherche : Expérimentation, ethnoarchéologie, modélisation
Dans un premier temps, l'étude sem i-expérim entale m'a permis d e m ettre en é v id e n c e des m a c ro tra c e s caractéristiques des différentes techniques e t m éthodes d e fa ç o n n a g e observées d an s la région.
L'étude d e s situations d e contacts entre ces deux traditions a ensuite permis d e montrer l'existence d e p h é n o m è n e s d'emprunts plus ou moins m arqués selon l'étap e d e la chaîne opératoire considérée. Certains attributs, c o m m e les outils du fa ç o n n a g e e t la m éthode d e fa ç o n n a g e aux colom bins d e la panse e t du bord, sont très résistants aux influences externes. Pour ces étapes, la potière p ro c è d e toujours com m e elle a appris, quel q u e soit le c o n ta c t qu'elle a a v e c une tradition étrangère. Au contraire, certaines é ta p e s d e la fabrication, com m e le dégraissant utilisé, le type d e traitement d e surface ou le com bustible d e cuisson, varient facilem ent quand la potière se d é p la c e d'une tradition à l'autre. Enfin, certains attributs, co m m e la technique d e fa ç o n n a g e d e la base par m oulage sur forme convexe, caractéristique d ’une des traditions, diffusent d e proche en proche dans l’ensem ble d e la zone. Dans c e cas, un simple c o n ta c t é p h é m è re peut entraîner l'emprunt d e c e tte nouvelle technique par des potières d e tradition étrangère.
Différents facteurs sem blent expliquer les régularités observées. Tout d 'a b o rd , d'un point d e v u e psychom oteur, la facilité d'acquisition d e certains savoir-faire joue un rôle clé dans la rapidité d'adoption d e s no u v eau tés techniques. L'emprunt est ég alem en t influencé par la perception q u e les potières ont d e s différences entre leur tradition e t la tradition étrangère. Les potières sem blent n'em prunter q u e c e qu'elles p erçoivent réellement com m e différent. D'autres facteurs d'ordre contextuels interviennent dans les p h é n o m è n e s d'emprunt observés, en particulier l'organisation d e la production e t d e la distribution d e s produits. À c e niveau, il faut considérer la con séq u en ce d ’un ch a n g em e n t sur la rapidité d e production e t sur la qualité d e s produits finis.
La poursuite d e c e travail d'analyse, réalisé dans le c a d re d e m a thèse d e doctorat, devrait m e perm ettre d e synthétiser ces résultats et, je l'espère, d e révéler un certain nom bre d e régularités dont le c h a m p d'application devra être strictement défini.
Éléments bibliographiques
Arnold D.E. 1985. Ceramic theory and cultural process. C am bridge : C am bridge University Press. New Studies in
A rc h a e o lo g y .
Balfet H. 1973. A propos du tour du potier. L'outil e t le geste technique. In : L'homme hier e t aujourd'hui. Recueil d'études en
h o m m a g e à Leroi-Gourhan, p. 109-122. Paris : Cujas.
Foster G.M. 1965. The sociology of pottery. Questions and hypothesis arising from c o n te m p o ra ry m exican work, hi :
Matson F.R. Ceramics and man. p. 43-61. C hicago : Aldine Publishing C om pany.
Gallay A. (sous la direction de) 1986. L'archéologie demain. Paris : Belfond. 320 pages.
H odder L 1982. Symbols in action. Ethnoarchaeological studies of material culture. C a m b rid g e : C am bridge University
Press.
Roux V. 1992. Ethnoarchéologie expérim entale: de nouvelles perspectives. In : Ethnoarchéologie: Justification. Problèmes, Limites, p. 45-55. Xlle Rencontres internationales d 'a rc h é o lo g ie et d'histoire d'Antibes, Antibes, o c to b re
1991. Juan-les-Pins : Ed. APDCA.
Van der Leeuw S.E., Papousek D.A.. Coudarf A. 1991. Technical traditions and unquestioned assumptions : 1he case o f p o tte ry in M ichoacan. Techniques et Culture. 17-18, p. 115-145.