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In memoriam Bengt Löfstedt (1931-2004)

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In memori am

Bengt Löfstedt

(

1931

-

2004

)

Bengt Löfstedt est mort à Los Angeles le 2 juin 2004. Depuis assez long­ temps il savait que ses jours étaient comptés et il s’était préparé avec foi, luci­ dité et courage, réglant avec minutie ses derniers moments et sa succession tant intellectuelle que familiale.

Né à Lund, où son père, universitaire, enseignait la germanistique avant d’occuper une chaire à Upsal, c’est dans cette célèbre université qu’il avait fait ses études, obtenant son PhD en 1957 et soutenant sa thèse en 1961, d’où il tira sa première grande publication, Studien über die Sprache der langobardischen Gesetze. Il était l’élève de deux professeurs de renom, le latiniste J. Svennung et le romaniste B. Hasselrot, qui l’ont formé dans la tradition de la philologie nordique tournée vers la linguistique postclassique. Le jeune docteur obtint immédiatement pour l’année 1961-62 une bourse de la fondation von Humboldt, qui lui permit de suivre à Munich le séminaire de Bernhard Bischoff. Cette année fut très marquante pour la suite de ses travaux, car elle l’orienta vers l’édition de textes, élargit son regard vers une médiévistique ouverte sur toute sorte de genres littéraires à partir des sources manuscrites, et fixa pour longtemps son attention sur l’époque carolingienne. Bengt Löfstedt a depuis le début joui de la confiance absolue de Bernhard Bischoff, une confiance qui allait d’abord à l’excellent latiniste, exigeant et sûr. Cette confiance ne s’est jamais démentie: c’est à lui, comme à un de ses meilleurs élèves, que B. Bischoff confia, faute de pouvoir les exploiter à fond lui-même, un certain nombre de dossiers, comme l’édition de Y Anonymus ad Cuimnanum ou de Virgile le Grammairien, lorsque, pris par le temps, il décida de se consa­ crer prioritairement à son grand catalogue des manuscrits du IXe siècle.

Assistant de latin à Upsal de 1962 à 1967, B. Löfstedt se porta candidat à une chaire de latin médiéval vacante à l’Université de Californie à Los Angeles, dans laquelle il fut titularisé au bout d’un an. C’est là que se déroula toute sa carrière, qu’il eut de nombreux élèves et qu’il conçut la majeure partie de sa vaste œuvre philologique.

Le grand mérite de B. Löfstedt est d’avoir patiemment montré comment le latin et plus particulièrement le latin médiéval, bien loin d’être une langue morte, se présente comme une langue en constante évolution, en dépit des modèles classiques auxquels il était sans cesse confronté, et en relation avec les

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langues vernaculaires qui lui faisaient concurrence. Partant du latin de P Anti­ quité tardive et du très haut Moyen âge (ses trois premiers livres, l’étude des lois lombardes, l’édition des sermons de Zénon de Vérone et son Malsachanus), puis s’attardant longtemps sur l’époque carolingienne, son regard d’historien de la langue a balayé peu à peu les âges successifs jusqu’à la Renaissance et au- delà et n’a cessé de s’élargir, de la Lombardie, à la Gaule et la Germanie, aux zones insulaires, à l’Espagne (ses travaux en collaboration avec J. Gil), au Danemark, et à toute sorte de domaines linguistiques : le latin des grammai­ riens, mais aussi celui des médecins ou celui de l’épigraphie, non sans revenir parfois en arrière, sur la langue de Pétrone ou d’Aulu-Gelle.

B. Löfstedt ne se contentait pas de travailler sur les éditions imprimées : il connaissait leurs faiblesses, leurs tendances à la normalisation qui escamote les faits de langue gênants, et ne se fiait qu’aux éditions critiques les plus récentes, les siennes ou celles dont il rendait compte. Cet éditeur de textes a à son actif un palmarès impressionnant: une bonne douzaine d’œuvres vieilles de plus de dix siècles ont connu grâce à lui leur édition princeps. Pendant assez longtemps son intérêt s’est fixé sur les textes normatifs que sont les traités de grammaire du haut Moyen âge et de l’époque carolingienne. C’est lui qui plaida avec succès auprès de dom Dekkers, fondateur du Corpus Christianorum, la cause de ces textes jusque-là méconnus, si importants pour l’histoire de la pédagogie et de la culture comme pour l’évolution de la langue : en particulier sous le numéro XL de la Continuatio mediaeualis sont rassemblés en de nombreux tomes les traités de grammaire d’inspiration hibemolatine dans lesquels les jeunes moinillons, sous Louis le Pieux, Charles le Chauve et leurs successeurs, ont appris les règles d’une langue «correcte». B. Löfstedt abordait ces textes moins en historien des doctrines grammaticales qu’en linguiste : le latin dans lequel sont rédigées ces grammaires, voilà ce qui l’intéressait avant tout. Elles se veulent normatives, mais en de nombreux points, souvent imperceptible­ ment, à l’insu même de leur auteur, leur langue dévie et innove par interpréta­ tion erronée de l’héritage reçu. Sur le rôle de premier plan de l’enseignement irlandais insulaire et continental avant et après Charlemagne, B. Löfstedt avait de bonnes raisons de partager les points de vue de L. Bieler et de B. Bischoff : aujourd’hui, grâce à lui, les textes sont là, à la disposition de tous.

Plus récemment l’exégèse médiévale lui a également donné l ’occasion d’éditer des textes méconnus, YAdversus Elipandum de Beatus de Liébana et trois commentaires de saint Matthieu, celui de Sédulius Scottus, celui de Hraban Maur et celui d’un anonyme.

Un aspect important de son œuvre, à vrai dire complémentaire, est le regard critique, aigu mais toujours constructif, qu’il portait sur les travaux d’autrui. C’est pourquoi, dans la riche bibliographie publiée en annexe de ses Ausgewählte Aufsätze zur lateinischen Sprachgeschichte und Philologie\ recueil de ceux de ses articles qu’il jugeait lui-même les plus importants, - une

1 Hrsg. Walter Berschin, Stuttgart, 2000 (Quellen und Untersuchungen zur lateinischen Philo­ logie des Mittelalters, 13), p. 405-417 (376 numéros).

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bibliographie largement incomplète puisque, tout en s’arrêtant au numéro 376, elle ne comprend pas les publications des cinq dernières années de sa vie - il ne faut pas manquer d’accorder une attention toute particulière aux comptes rendus qu’il a donnés des principaux travaux contemporains concernant la langue latine classique et surtout post-classique : il ne se contentait pas de feuilleter les livres, il les lisait à fond. C’est pourquoi ses comptes rendus sont à la fois des modèles et des apports positifs à la connaissance de la langue latine. Il s’agit parfois d’un petit article d’une à quelques pages qui lui permet­ tait non seulement de redresser les erreurs commises par l’auteur (il le faisait avec humour), mais d’esquisser une théorie ou un rapprochement significatif, ou de fixer l’évolution d’une forme.

C’est ainsi qu’à la faveur des publications dont il rendait compte, B. Löfstedt s’est investi dans le latin de saint Jérôme et de saint Augustin, dans le latin vulgaire (de la Vulgate, d’Egèrie), dans celui de Virgile le Grammairien, Bède, Guillaume de Conches, Jean de Salisbury, Érasme, Juste Lipse, Luther, Rabe­ lais, Linné... et de tant d’autres. Souvent le livre d’un collègue lui inspirait un nouveau chantier et il avait toujours « plusieurs fers au feu », une expression qui lui était familière. Jamais peut-être un savant n’avait eu une vision aussi élargie de la langue latine, de son système et de ses infinies possibilités d’adaptation.

Cette œuvre scientifique, si diffuse mais si riche, mérite d’être rassemblée bien au-delà des Aus gewählte Aufsätze mentionnés plus haut. C’est ce que souhaitait B. Löfstedt, qui espérait bien qu’un jour l ’informatique, qu’il ne pratiquait pas, serait l’outil capable d’offrir au public en une vaste base de données au moins tous les termes et tous les phénomènes morphologiques ou syntaxiques qui avaient retenu son attention. Ce projet est en cours de réalisa­ tion à Los Angeles même, par les soins d’un de ses étudiants et sous le contrôle de Leena Löfstedt.

Ce latiniste était un travailleur acharné : sa recherche, il la menait non à domicile, mais dans son bureau de l’université, dans lequel il s’enfermait chaque jour, à heures fixes. Le travail d’édition critique demande régularité de travail absolue, discipline et constance : ces exigences le rapprochaient de ses amis de Steenbrugge et de leur vie monastique. Il se plaisait beaucoup aux USA. Il aimait vanter le mérite de ses étudiants, qui travaillaient la nuit pour gagner leur vie et pouvoir le jour suivre leurs cours à l’université. Mais il était foncièrement resté fidèle à son pays la Suède, à ce Smâland des lacs et des forêts où il revenait avec joie chaque été, après avoir traversé l’Europe en chemin de fer pour aller de bibliothèque en bibliothèque ou de Paris à Bruges et à Munich. Car il parlait au moins quatre langues, dont le français parfaite­ ment, mais sa langue scientifique était l’allemand, par tradition familiale et universitaire bien sûr, mais aussi peut-être en reconnaissance envers ses amis de Munich, un allemand limpide et précis. Quand il arrivait à Sunnansjö, dans la propriété de famille, c’était un autre homme : il retrouvait la ferme de son enfance et les sabots, le plaisir de la pêche sur le lac, à Klinten, sa foi luthé­ rienne toujours vivace, l’horizon qui lui était familier et qu’il regrettait parfois d’avoir dû quitter. Car il y avait en lui une certaine rudesse, à l’image de ces pays du nord au long hiver et aux soleils voilés, où le terroir forme le caractère

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à l’endurance et à l’exigence. Sur la terre de son pays natal il a voulu reposer auprès de ses parents, mais aussi qu’une partie de ses cendres fût dispersée dans les forêts qu’il aimait.

Bengt Löfstedt a fait à la revue ALMA l ’honneur de lui donner son ultime article. A notre collègue Leena Löfstedt, romaniste bien connue, son épouse, à leurs quatre enfants, qui étaient sa fierté, Ragnar, Torsten, Ritva, Ingvar et à leur famille, nous présentons nos regrets et nos condoléances.

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