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Les cholas des marchés de La Paz : une approche interactionniste

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Cahiers des Amériques latines 

36 | 2001

Les expériences de la guérilla

Les cholas des marchés de la Paz : une approche

interactionniste

Véronique Marchand

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/cal/6593 DOI : 10.4000/cal.6593 ISSN : 2268-4247 Éditeur

Institut des hautes études de l'Amérique latine Édition imprimée

Date de publication : 31 janvier 2001 Pagination : 207-224

ISBN : 2907163906 ISSN : 1141-7161

Ce document vous est offert par Université de Lille

Référence électronique

Véronique Marchand, « Les cholas des marchés de la Paz : une approche interactionniste », Cahiers des

Amériques latines [En ligne], 36 | 2001, mis en ligne le 03 août 2017, consulté le 14 janvier 2021. URL :

http://journals.openedition.org/cal/6593 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cal.6593

Les Cahiers des Amériques latines sont mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution – Pas d’utilisation commerciale – Pas de modification 4.0 International.

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LES

CHO LAS

D ES

M ARCHÉS D E LA PAZ :

UN E APPRO CHE IN TERACTIO N N ISTE

V

ÉRO N I Q UE

M

ARCH AN D

*

*Ifresi, Université de Lille

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ARM I LEScomerciantes minoristas1de La Paz, on peut distinguer trois groupes : les vendeuses de m archés couverts, les vendeuses de rue regroupées en associations syndicales et « les am bulantes »2 qui n’appartiennent pas aux types d’organisations précédents. Ce sont m ajo-ritairem ent des m igrantes3, et sinon ce sont des filles ou petites filles de m igrantes. Elles occupent une position sociale interm édiaire. Désignées co m m e ch o l a s – ce q u e l ’ o n p eu t t r ad u i r e t r ès b r i èvem en t p ar « Indiennes en ascension sociale » –, elles se situent socialem ent entre les paysannes le plus souvent nom m ées indias et les señoras(dam es de la ville »). Elisabeth Peredo (1992), qui s’intéresse à l’identité psychosociale descholas4, m ontre bien que ces fem m es se situent entre deux m ondes et intègrent des élém ents culturels aussi bien créoles, de la société occi-dentale, urbaine que d’autres d’origine andine, pour form er une nouvelle culture dynam ique et adaptative. Elles sont pour la plupart bilingues et parlent à la fois l’aymara ou le quechua – surtout aymara dans la région de La Paz – et l’espagnol. Les cholasde La Paz se distinguent par leur apparence vestim entaire dont la pollera (jupe bouffante), la mant a (le châle) et le som brero (chap eau m elon) sont les at t rib ut s p rincip aux (photographie n°1).

Au-delà de ces signes distinctifs, que signifie exactem ent le term e de

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précis, des élém ents figés et « invariants » car ce m ot est avant tout le fruit d’une catégorisation qui ne peut être appréhendée qu’en term es relat ionnels. Saisir les d ifférent es sig nificat ions d e la chola, selon le cont ext e, const it ue l’object if cent ral de ce t ext e. Tout d’abord, il est im possible de parler de la chola sans parler de l’Indienne. En effet, les

cholasveulent s’écarter de la position sociale des Indiennes car celles-ci sont dépréciées, discrim inées par les couches sociales supérieures. De fait, on peut définir l’Indien en se référant à son statut social inférieur, dépourvu de prestige, dont le m eilleur indicateur est la profession. Avec François Bourricaud, qui s’intéresse à la situation péruvienne5, « N ous pouvons dire sans grand risque de se t rom per que l’Indien n’exerce jam ais une p rofession jouissant d ’ un g rand p rest ig e, et q u’ il exerce presque toujours une profession jugée avec quelque m épris par les indivi-dus qui n’appartiennent pas au groupe indigène » (1962 :17).

L’Indien désigne le plus souvent le paysan m ais, par extension, quali-fier une personne com m e telle revient à la considérer com m e inférieure, ret ardée, arriérée, de m anière assez m éprisant e. On com prend donc m ieux dans ce contexte l’intérêt que les vendeuses ont à se distinguer : êtrede pollera, c’est à dire en jupe, « m ais une jupe différente, une jupe som ptueuse que la société créole occidentale ne reconnaît pas toujours mais qui se distingue de l’autre jupe, celle de la paysanne » (Peredo, ibid.: 12), c’est aussi se dire non indienne. Les femmes aymara portent le plus souvent des jupes en toiles foncées et unies alors que celles des cholas PHOTOGRAPHIE N°1 : VERDURERADUMARCHÉCAM ACHO(CLICHÉ: VÉRONIQUEMARCHAND).

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sont en tissus plus fins et plus colorés. Elles se distinguent égalem ent par les bijoux – boucles d’oreilles, broches et bagues – les plus beaux étant réservés pour les fêtes, qui sont les m om ents privilégiés pour afficher son statut. Il s’agit pour les cholasde se différencier des indiaspar la qualité de ce qu’elles portent, s’écarter de la « culture indienne » pour être trai-tées autrem ent.

D’où vient le m ot chola? Il existe plusieurs hypothèses quant à son étym ologie : certains auteurs s’accordent pour lui donner une origine esp ag nole : la chula q ui d ésig ne la couche sociale la p lus b asse d e M adrid (Peredo, ibid). D’ aut res, au cont raire, défendent l’ idée selon laquelle le term e serait une castillanisation du m ot aym ara chhulu, se tra-duisant par m étis (Paredes Candia, 1992 : 42). Au-delà de ces contro-verses étym ologiques, son sens péjoratif, lui, n’est pas contesté. Le Cholo

désigne au XVIIIesiècle l’enfant de parents m étis et indiens, et fait réfé-rence aux m ét is proches des Indiens ou, pour le dire aut rem ent , à la couche sociale la plus basse des m étis. M ais, com m e l’explique Rossana Barragan (1991), ce m étissage biologique est très vite redoublé par un m étissage culturel, social, produit lui aussi de la colonisation. Pour échap-per au stéréotype négatif de l’Indien et éviter le paiem ent du tribut à la couronne espagnole, de nom breux paysans m igrent vers les villes, chan-gent d’apparence vestim entaire, se coupent les cheveux et apprennent l’espagnol. Le développem ent des activités artisanales, l’augm entation du nom bre d’em ployées dom estiques contribuent égalem ent à la créa-tion d’une couche sociale interm édiaire occupée par une populacréa-tion de

cholos/ as, selon l’appellation des créoles.

L’augm entation de cette population n’est donc pas séparable d’un processus de m obilité sociale qui vient brouiller les distinctions ethniques et c’est à partir de la fin du XVIIIesiècle que la polleraest progressivem ent ad o p t ée p ar les co u ch es so ciales « b asses m ais n o n in d ien n es » (Barrag an, ibid. : 108), d ans le b ut d e se d ist ancier d u m ond e d es « Indiens » en im itant les señoras des couches supérieures de la société qui, elles, abandonnent peu à peu ce vêtem ent. Ce processus d’im itation s’interrom pt puisque, encore aujourd’hui, la pollerareste le vêtem ent dis-tinctif des cholas: selon Rossana Barragan, ceci s’explique peut-être par le fait qu’elles préfèrent être au som m et du m onde indien qu’en bas de l’univers créole. L’adoption de ce vêtem ent em blém atique pourrait se justifier égalem ent par l’évolution de la division du travail et l’avènem ent d’un st at ut social int erm édiaire part iculier. L’act ivit é m êm e des ven-deuses leur confère cette position charnière par l’acte de l’échange des produits agricoles produits par les paysans et achetés par les citadins.

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Relativem ent au thèm e qui m ’intéresse, les organisations et les m obi-lisations des vendeuses, la question de leur insertion sociale est prim or-diale pour com prendre ce qui les am ène à se m obiliser. Les enjeux de leurs luttes sont directem ent liés à leur activité : elles se m obilisent pour conquérir un espace de vente, le préserver ou am éliorer leurs conditions de t ravail, cela dépend évidem m ent du t ype d’organisat ions de ven-deuses, du contexte des m obilisations, des politiques de l’État ou de la m unicipalité. Face à une m esure contraire à leurs intérêts, elles se m et-t enet-t en m ouvem enet-t pour défendre leurs droiet-t s. M ais, à et-t ravers leurs com bats à visée économ ique, elles luttent plus profondém ent pour une reconnaissance sociale dans une société qui les discrim ine. Le but est ici de s’intéresser à une appellation socio-ethnique –chola – dans ce qu’elle a de révélateur de la place sociale des vendeuses, des relations entrete-nues avec les aut res groupes sociaux, en part ant du principe que les m obilisations sont à replacer dans un ensem ble d’interactions sociales pour être com prises.

Au-delà de cette position interm édiaire, que signifie aujourd’hui le term e de chola? Si objectivem ent ce sont les fem m es qui portent la pol-lera qui sont appelées cholas, cette traduction prim aire ne recouvre pas la m ultiplicité des sens de ce term e. C’est ici le nœud du problèm e : la

chola en tant que telle n’existe pas, ou plutôt elle n’existe que dans le d iscours d e p erson n es p art iculières, d an s d es sit uat ion s d on n ées. Recenser l’ensem ble des significations dans des contextes précis perm et une approche plus com plète du qualificatif ethnique. À partir de terrains africains, JeLoup Am selle (1985 : 44) invite à « cerner l’univers sém an-tique des catégories recueillies sur le terrain en fonction de l’époque, du lieu et de la situation sociale retenus. Au lieu de partir d’ethnonym es donnés, de notions vides qu’il s’agit ensuite de rem plir avec des struc-tures économ iques, politiques et religieuses, il serait préférable de m on-trer com m ent un term e situé dans le tem ps et dans l’espace acquiert progressivem ent une m ultiplicité de sens, en som m e d’établir la genèse idéale des sym boles ».

Qui est désignée com m e chola? Par qui ? À quel m om ent ? Avec quels objectifs? Quelles sont les frontières entre les fem m es de pollera et les autres? Com m ent passe-t-on d’un m onde à l’autre ? Quels liens peut-on faire entre cette dénom ination à caractère ethnique et les organisations ainsi que les m obilisations des vendeuses? Voilà la série de questions auxquelles je tenterai de répondre.

Puisque le term e de chola désigne un secteur de fem m es situées entre les Indiennes et les dam es de la ville, il recouvre des significations des deux univers. Car les cholas occupent un espace social entre les deux

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extrêm es de la société ; selon la position sociale des interlocuteurs, elles seront donc considérées com m e supérieures ou inférieures. Cette appel-lat ion reappel-lat ive renvoie donc à des élém ent s apparem m ent cont radic-toires. Aussi, les cholasse définissent-elles plus par les frontières qu’elles établissent et entretiennent avec les autres groupes, les lim ites que par un contenu ; des contenus culturels sont bien sûr m obilisés m ais ne sont int elligibles que par ce jeu de front ières. À l’inst ar de Frederik Bart h (1995 : 207), « Nous déplaçons le foyer d’investigation en focalisant la recherche sur les frontières ethniques et l’entretien de ces frontières plu-tôt que sur la constitution interne et l’histoire des groupes considérés séparém ent ». Les contours de ce groupe ne sont pas statiques m ais se déplacent en fonct ion de « l’ aut o-at t ribut ion ou de l’ at t ribut ion par d’autres à une catégorie ethnique » (Barth, ibid. : 210).

DE LA DÉSIGNATION EXOGÈNE…

Le qualificatif de chola s’appuie sur un signe extérieur, la pollera. Si la m ajorité des comerciantes minoristasde La Paz sont de pollera, elles ne le sont pas toutes. Certaines, m inoritaires, sont de vestido c’est à dire, si l’on traduit littéralem ent, « en robe ». En réalité, cette expression regroupe égale-m ent les feégale-m égale-m es en pantalon, et signifie donc, plus préciséégale-m ent, « non de pollera». Ce vêtem ent trace donc une frontière clairem ent identifiable entre les vendeuses de vestido et celles de pollera (photographie n° 2). Quelles sont les représentations associées au port de la pollera? En quoi ce vêtem ent véhicule-t-il une certaine perception du m onde social ?

La pollera

Quand on écoute les vendeuses de vestido sur ce thèm e, la situation de m igrant es apparaît le plus souvent com m e l’élém ent cent ral lié à l’usage de la pollera: « Habia m ujeres de pollera y de vestido, siem pre ha habido eso. Desde antes, hay gente que habia sido de pollera y m ucha gente estan em igrando m as que todo no ve ? De Potosi, del Altiplano, todos estan viniendo a La Paz porque aqui lo ven negocio a todo no ? Cualq uiera cosit a ya hacen neg ocio y ya nom as » (Dirig eant e d e la

Federacion de gremiales del comercio minorista de La Paz, de vestido, entre-tien le 2/ 12/ 98).

On présente clairem ent les fem m es de pollera com m e les protago-nistes de l’exode rural : « Las m ujeres en la calle son, m e parece im i-grantes de los pueblitos que viene com o tam bien en el cam po con esto

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d el n iñ o , h an q ued ad o m uy perjudicadas, no tiene tam bien que com er, el cielo y la tierra en el cam po no ve ? Y asi que h an i m i g r ad o y se p o n en a vender y eso es las señoras de p o llera q u e est an m as en la calle, q ue est an ven d ien d o : i m i g r aci o n d e l o s p u eb l i t o s para poder t am bien… Porque en alla, en el campo, que van a hacer ? Sol, el cielo y la tierra, con esto del niño, el frio, ahora las lluvias » (Vendeuse de fruits et l ég u m es d u m ar ch é Sopocachi, de vestido, entretien le 22/ 12/ 98).

Les f em m es d e p o l l er a

seraient nées à la cam pagne et v en u es en v i l l e6, n ’ ay an t d’aut re solut ion pour survivre que de proposer des m archan-dises à vendre dans la rue. La

pollera est ég alem ent associée au faib le niveau d ’ inst ruct ion. Cet t e réponse d’une vendeuse de produits artisanaux à la question : « venez-vous de la cam pagne ? » est sym ptom atique de la corrélation entre les études, l’origine citadine et le fait d’être de vestido : « No, no : era de vestido, aqui he estudiado pero m i m arido m e ha puesto pollera. Ahora m e he acost um brado a ponerm e pollera porque ant es no podia./ …/ Porque en el cam po son puro de pollera, de Huarina es m i m arido » (Vendeuse de l’association Central San Francisco, de pollera, entretien le 6/ 01/ 99).

M êm e si cette vendeuse est actuellem ent de pollera, elle tient à spéci-fier qu’elle était de vestido, pour insister sur le fait qu’elle a étudié à La Paz. L’origine rurale, le faible niveau d’études reflètent donc une certaine représentation dont se nourrit le qualificatif de chola, ou, dans sa version affectueuse, celui de cholita: « La otra vez, com o estoy en la Junta veci-nal tam bien, por ejem plo, la otra vez, m e fui a Aguas del Illim ani, estuve con el ingeniero, m e he extrañado pues : cholitas trabajan alla, bien con la com putacion, todo bien. Y yo m e he quedado m iraba, ahi habia la cholita, es su m ano derecha de la licenciada, si, com unicativa/ …/ Habia

PHOTOGRAPHIE N°2 : CAFETERA. FÊTE POUR L’ANNIVERSAIRE DU M ARCHÉSOPOCACHI.

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hecho estudios, ha salido bachiller y han estudiado com putacion/ …/ Si una persona se puede capacitar, sobresalir, tiene el derecho » (Dirigeante de la Federacion de gremiales del comercio minorista de La Paz, de vestido, entretien le 2/ 12/ 98).

Le fait qu’une Cholita ait fait des études, ait une profession dans un bureau et qu’elle m anie à perfection l’inform atique est pour cette diri-geant e syndicale un vérit able événem ent . Cela l’ét onne considérable-m ent, ce qui considérable-m ontre bien le caractère exceptionnel de cette situation. Et on voit bien à quel point l’association de la pollera et des études – qui plus est d’inform atique – est quelque chose de frappant et d’inhabituel, représente la liaison de deux symboles opposés : celui de l’ « ignorance », d’un côté et celui du progrès, du savoir, de l’autre. Les représentations sociales associées à la pollera sont aussi le support de désignations exo-gènes en tant que chola, ou, selon les term es de Claude Dubar (1995 : 112), d’actes d’attribution.

«

Chola », une insulte

Puisque la pollera est associé à l’origine rurale, appeler une personne

chola revient à gom m er la frontière avec la paysanne, com m e le m ontre cet extrait d’entretien avec une vendeuse am bulante :

- « Chola, andate a tu pueblo, andate a sem brar, que estas vos aqui sentada ? »

- Por que dicen « chola » ?

- Eso no sé. Porque som os de pollera [Bis]. M ucho nos insulta asi : no a m i, siem pre a las que tienen pollera. Yo escucho tam bien, veo tam bien (Vendeuse am bulante, Fresquera, de pollera, entretien le 6/ 4/ 99).

On retrouve ici l’opposition ville/ cam pagne : cette vendeuse relate la m anière dont certaines señoras, en s’appuyant sur le port de la pollera, utilisent le term e de chola, pour rappeler les origines paysannes, et justi-fier ainsi le fait que l’interviewée ne doit pas être dans la capitale. Ce qui est en jeu ici, c’est le fait de « s’asseoir » pour vendre, d’occuper un espa-ce physique dans la capitale. De m êm e, une vendeuse de produits artisa-naux, née à La Paz, explique qu’on la traite d’ « Indienne » parce qu’elle porte la pollera: « A las de pollera nos les gustaba nadie pero hasta poco tiem po seguia « estas indias » a las de pollera « estas indias »/ …/ Por eso, yo cuando asi m e dicen, le digo « Señora, usted de donde ha venido ? ». Le digo : « Usted habla ingles? Habla portugues? Que habla señora ? Otros Dios tiene ? Tenem os un solo Dios Porque ha hecho… De un barro som os »/ Elle rit/ Si, una vez « india » m e han dicho pero ya les he dicho : « Señora esta m uy equivocandose »/ …/ Hay otros que se ponen la m ano

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al pecho pero hay ot ros t am bien hay ignoracion, m ucho ignorant e, m ucho ! N o hay una persona que podem os asi dialogar, hablar, decir, por ejem plo « M ire, esto es asi, esto alla » no ! / … / Nos dicen, ella, por ejem plo, est a, m i dueña de casa/Tout bas, sur un t on de confidence/ (Vendeuse de produits artisanaux de l ‘association Central San Francisco, de pollera, entretien le 6/ 01/ 99).

L’ enjeu d e cet t e d iscussion est p our l’ int erview ée la p ersist ance, « l’ent ret ien de la front ière », pour reprendre les t erm es de Frederik Barth. Quand elle dit « vous vous trom pez », il s’agit de se différencier desindias, différence que les señorasgom m ent dans leur discours. C’est dans les rapports avec les autres groupes sociaux et, plus précisém ent, dans les conflits pour l’occupation d’un lieu de vente, que la désignation en tant que chola prend tout son sens. Dans la rue Sagarnaga, connue par les touristes pour la vente de produits artisanaux, un véritable bras de fer oppose régulièrem ent les vendeuses de rue, m ajoritairem ent de polle-ra, organisées en association syndicale Central San Francisco depuis le 25 novem bre 1970, et les dueños de casa, les propriétaires des m aisons et des galeries com m erciales qui, avec le soutien de la m airie, m enacent d’expulsion les vendeuses qui exercent leur activité à l’extérieur.

Les m obilisat ions de l’associat ion Cent ral San Francisco sont récur-rentes et la dernière, en octobre 1997, s’est soldée par le m aintien des postes de vente dans la rue, grâce à l’occupation des lieux pendant deux sem aines, nuit et jour, et à plusieurs négociat ions avec les aut orit és m unicipales. Dans ce contexte, la qualification de chola et a fortiori de

indiacristallise un ensem ble de relations conflictuelles qui peuvent être la source d’actions collectives, com m e le confirm e cet extrait d’entretien avec une vendeuse de cette association :

- « Es pues : las señoras de las galerias, a ellas no les gustan. Y otros tam bien, no les gustan las de pollera/ …/ Asi nos insultan, si, nos insultan pues : » Estas indias! Esas indias, esas cholas, tiene que irse, nos insultan pero no les hacem os caso.

- Dicen « indias » pero usted ha nacido tam bien…

- Si, pero eso no entienden pues, se creen la gente m aravilla, se cree-ran porque llevan vest ido/ …/ A una de pollera, le quiere poner m as bajo./ …/ Hay m uchas señoras que…, las com pradoras m ism as, nos tra-tan m al, si, se los trata con que am abilidad pero ellos nos tratra-tan de india, ratera, de ladrona, asi nos tratan (Vendeuse de produits artisanaux de l’associationCentral San Francisco, de pollera, entretien le 30/ 12/ 99).

La chola est directem ent associée à l’Indienne présentée com m e une voleuse. Le sentim ent de supériorité des fem m es de vest ido est claire-m ent expriclaire-m é à travers l’expression « claire-m ettre plus bas ». Les señoras de

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las galerias, sont les « adversaires » ident ifiées par les vendeuses lors d’actions collectives pour préserver leurs postes de vente : le conflit pour des intérêts économ iques (les com m erçantes des galeries com m erciales offrent égalem ent des produits artisanaux et s’opposent donc à la pré-sence de vendeuses de rue, perçues com m e concurrentes), s’exprim e là encore en term es ethniques. D’ailleurs, les sym boles utilisés lors de la m obilisation sont révélateurs : en octobre 1997, les vendeuses décorent leurs postes de vente du drapeau national : « Tam bien nos hem os defen-dido con este em blem a nacional : nuestra bandera que nos hem os aban-derado. La bandera en cada pais tiene respecto : no lo pueden retirar asi facilm ent e nadie. Ent onces, eso t am bien ha sido nuest ra defensa de nosot ros porque est am os pues en nuest ra pat ria, som os bolivianos y t enem os que luchar por nuest ras fuent es de t rabajo » (Vendeuse de l’associationCentral San Francisco, de pollera, entretien le 10/ 12/ 98).

Le choix de ce sym bole fort qui am ène le respect, que l’on ne peut ret irer, pour prot est er cont re les m enaces d’expulsion des post es de vente est en m êm e tem ps une revendication d’un respect d’elles-m êm es en tant que « m em bres de la patrie bolivienne », d’une reconnaissance en tant que citoyennes à part entière. Cette vendeuse de m arché expri-m e égaleexpri-m ent ce sentiexpri-m ent de supériorité des feexpri-m expri-m es de vestidovis à vis d e celles pollera : « A las m ujeres d e p ollera les…, no sé p orq ue… Algunos digo porque siem pre nosotros de pollera, ellos se creen que son bien lim pias. Algunos tam bien asi : con plata claro que se am odelan, las señoras bien, tienen em pleadas, todas esas cosas. Pero nosotros no tene-m os no etene-m pleada nada/ …/ Nosotros trabajatene-m os asi, a lo tene-m enos en esta verdura, m ucho se ensucia y asi las señoras de vestido con una persona que es asi, viene, o sea no le gusta » (Vendeuse de légum es du m arché Sopocachi,de pollera, entretien le 20/ 12/ 98). La distance sociale entre les

señorasqui ont de l’argent, des em ployées dom estiques et les vendeuses

de pollera qui travaillent, se salissent au contact des légum es, l’opposition propre/ sale rappelle certains stéréotypes de la cam pagne opposée à la ville, d es t âch es m an uelles op p osées au t ravail in t ellect uel et aux ét ud es… C’ est n ot am m en t à p art ir d e ce t h èm e d u t ravail q ue se construit une im age noble de l’activité de la vendeuse de pollera.

… À LA SIGNIFICATION ENDOGÈNE

Désigner une fem m e en tant que chola est insultant. M ais ce sens négatif se convertit en un ensem ble de significations positives dans la bouche des vendeuses de pollera. Certes, les catégories d’attribution, utilisées

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par autrui et celles d’appartenance, qui perm ettent aux personnes elles-m êelles-m es de s’identifier, sont liées et prennent sens les unes par rapport aux autres, dans une relation dialectique. Et « c’est cette relation dialec-tique entre définitions exogènes et endogènes de l’appartenance eth-nique qui fait de l’et hnicit é un processus dynam ique t oujours sujet à redéfinition et à recom position » (Barth, ibid. : 155). L’identification des vendeuses en tant que fem m es de pollera est donc indissociable de la stigm atisation en tant que chola, elle en est m êm e une form e de réac-tion. Pourtant, ce processus d’identification n’est jam ais une reprise telle quelle d’une cat égorie ext érieure et elles ut ilisent rarem ent le t erm e

chola pour « s’auto-définir ». Ainsi, l’élém ent retenu dans la catégorie d’appartenance est le vêtem ent en tant que figure em blém atique, véhi-cule d’une im age positive : « Nous, les fem m es de pollera».

Une certaine valorisation des femmes de pollera

Une im age de la fem m e de pollera com bative, courageuse, franche, qui n’a pas peur se forge alors dans l’expérience de la discrim ination : « Las señoras de las galerias, ellos ya t al vez ellos quieren, no t ienen puestos de venta, eso, pero hay personas que siem pre somos nosotros, las de pollera, som os personas de com bate, trabajam os./ …/ Es que hay per-sonas ellos que se creen m as, perper-sonas m as… Com o se puede decir… Esas personas que tienen m iedo de vender en la calle, es por eso que nos les gusta (Vendeuse de produits artisanaux de l’association Central San Francisco,de pollera, entretien le 10/ 12/ 99).

On retrouve dans cet extrait d’entretien l’identification en tant que fem m e de pollera. Cette jupe distinctive a ici un sens m étonym ique et renvoie plus largem ent à un ensem ble d’attributs vestim entaires et cultu-rels com m e le chapeau m elon, le châle, l’aguayo7, les deux longues

tresses… Les distinctions sociales se trouvent validées par des traits cultu-rels qui, com m e le m ontre Frederik Barth (ibid. : 211), sont « utilisés par les acteurs com m e signaux et em blèm es de différence ». En effet, les élé-m ents retenus dans le processus d’identification sont les plus significatifs pour les acteurs eux-m êm es : la pollera est donc choisie car, d’une part, elle reflète l’organisation sociale et, d’autre part, elle est associée à un ensem ble de significations positives, de qualités.

Le travail, le courage, voire le « sacrifice » sont indissociables de la vo lo n t é faro u ch e d ’ ascen sio n so ciale : l’ act ivit é d e la ven t e et la recherche constante de bénéfices sont au service de la consom m ation fam iliale et des études des enfants. La plupart des vendeuses ont quitté l’école très tôt et ce sentim ent de frustration se convertit en esprit de

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revanche : la réussite sociale de leur descendance est leur plus grande fierté car elle exprim e, en quelque sorte, leur propre réussite. Com m e le m ontre cet extrait d’entretien, les études, le savoir ouvrent des portes, offrent de nouvelles possibilités professionnelles, donnent certaines clefs indispensables que cette vendeuse de fruits analphabète ne détient pas : « Yo digo, m is hijas, por que no tienen que estudiar ? Tienen que estu-diar. No quiero que sufra com o yo porque ahorita yo no puedo tom ar facil el m inibus : cual num ero va ? Donde va ? No puedo... Tengo que estar preguntando no ve ? Asi sufro yo, bien harto sufro/ …/ Si van a estu-diar, ya van…Algo… Cualquier trabajo se van a colocar asi nom as ya, no van a andar com o yo sufriendo, yo tanto he sufrido/ …/ Con su estudio, van a estar entrando nom as donde sea, com o secretarias… Pero ellos van a saber » (Vendeuse am bulant e de fruit s, de pollera, ent ret ien le 5/ 5/ 99).

Le désir de progresser, de se dépasser, se distinguer, [sobresalir] signi-fie avant t out l’envie que les enfant s ne vendent pas. Les professions qu’elles rêvent pour leurs enfants s’exercent souvent dans un bureau, pour ne pas être dehors, dans la rue, et pour avoir un salaire stable : « Profesion que tengan… Por lo m enos quiero que uno de m is hijos que este… Yo quisiera, por lo m enos, sentado en una oficina. Yo quisiera eso, por eso nom as estoy haciendo estudiar/ …/ Les digo a m is hijos : « Para usted harto m e he sacrificado, hasta ahora sigo sacrificandom e, tenga o no tenga, haya o no haya venta, a ustedes les doy el pasaje » (Vendeuse am bulante d’abats, de pollera, entretien le 26/ 04/ 99).

Ce désir d’ascension sociale m obilise toutes les énergies, induit tous les « sacrifices » des vendeuses. M ais parm i celles de pollera, cette ascen-sion s’accom pagne généralem ent d’un changem ent vest im ent aire de leurs filles; un changem ent qui suit toujours le m êm e trajet : être de ves-tido alors que sa m ère est de pollera. Ce trajet signifie donc une rupture par rapport à la tradition vestim entaire. Être de vestidosignifie que l’on grim pe dans l’échelle sociale, c’est le signe d’une m obilité sociale ascen-dante intergénérationnelle : « Ahora ya hay de vestido, son las chicas ya son m odernos, m odernos son/ …/ M i m am a m e ha puesto/ la pollera/ ya t engo m i cost um bre : t engo que poner nom as hast a m i m uert e. M is hijas son de vestido tam bien van a ser ellas, tam bien de vestido estan/ …/ A m i hija le ha gustado eso : tiene que ponerse de vestido. No le puedo ob lig ar a ella. Ahora, en ese t iem p o, ya no p od em os ob lig ar a los wawas/ …/ Ya no es com o antes : antes obedeciam os a los m am as, papa ahora ya no. Ese tiem po esta cam biando » (Vendeuse de légum es du m arché Sopocachi, de pollera, entretien le 20/ 12/ 98).

L’idée de « coutum e » revient souvent pour qualifier la pollera: elles sont

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m odernité qu’elles associent au fait d’être de vest ido. Ce term e n’est pas neut re. Il recouvre des élém ent s valorisés par les couches sociales dom i-nantes. La société occidentale est perçue com m e m oderne, alors que les valeurs andines sont considérées com m e rétrogrades. « Être m oderne », dans ce sens, c’est se rapprocher de la culture créole. Les fem m es de pollera, dans une position charnière, portent en leur sein « la tradition et la m odernité sim ult aném ent » (Barragan, ibid. : 110). Ent re deux univers ext rêm es – Indien, d’un côté, et espagnol, créole, de l’autre –, la pollera cristallise le contact, le passage d’un m onde à l’autre rendu possible par l’école com m e m oyen d’accès à la société occidentale. Les fem m es de pollerabouleversent le clivage hérité de la société coloniale entre l’Indien et l’Espagnol, le rural et l’urbain, le traditionnel ou « l’archaïsm e » (Bourricaud, ibid. : 110), d’un côté, et le m oderne, de l’autre. Alors que, de l’extérieur qualifier les ven-deuses de cholasrevient à les associer aux Indiennes, aux paysannes, et donc à la coutum e, à l’archaïsm e, celles-ci sont tournées vers la recherche d’une prospérité économ ique et la réussite sociale de leurs enfants, en ville, et donc vers la m odernité, le progrès8.

Sur le plan politique, certains partis favorisent égalem ent ce processus de valorisation de la chola en m ettant en avant la possibilité d’ascension sociale des fem m es de pollera. C’est ainsi que le parti populiste Condepa (Conciencia de Patria) contribue à la construction de l’im age positive des cultures indigènes « en offrant à ces grandes ethnies une reconnaissance dont elles furent privées » (Zabala, 1995 : 97). Fondé en 1988 à partir de la radio populaire RTP qui donne la parole aux fem m es d’origine aymara, il revalorise le t erm e chola, habit uellem ent dépréciat if, en m êlant la dim ension fém inine et des aspects ethnico-culturels. Ce processus culm i-ne quand, en 1989, la cholitaRem edios Loza, l’anim atrice renom m ée de la RTP, accède au parlem ent, ce qui sym bolise la possibilité de prom otion sociale pour les fem m es de pollera. Ce pouvoir d’attraction des foules par Condepa n’est certes pas dissociable de la personnalité du leader charisma-tique9 qui « établit une base affective de familiarité avec ses adhérents, une suppression apparente des hiérarchies entre ses auditeurs et lui, mène une politique communicationnelle habile qui combine un discours quasi-religieux avec une série d’exigences socio-politiques pom peuses m ais confuses » (Castedo Franco, M ansilla, 1993 : 131).

Ainsi, com m e l’explique cette dirigeante syndicale de la fédération « du com m erce au détail de La Paz », les vendeuses de pollera peuvent s’identifier à la cholita parlementaire comme symbole de réussite sociale qui les invite à se sentir fières d’être de pollera : « Ahora, con lo que han visto : aunque no nos guste, por ejemplo, como que Remedios la cholita deCondepano ? Remedios Loza ha llegado a la diputacion las compañeras

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de pollera tam bien se han levantado. Ellas ya tienen esa m entalidad de decir : « Una de pollera esta diputado y por que yo no voy a ser igual ? » no ? Yo veo no, se interesan m ucho com pañeras de pollera que quieren llegar hacer asi, alguien asi, una persona notoria, lucrativa tal vez no ? Tam b ien t ien e esa m en t alid ad ya y es b uen o, p ara m i es b uen o » (Dirig eant e d e la Federación de grem iales del com ercio m in orist a, de vestido, entretien le 2/ 12/ 98).

Cet t e im age publique favorise donc une appropriat ion posit ive du stigm ate de chola. M ais ce contexte politique et le parcours exceptionnel de certaines cholitasne suffisent pas à transform er l’expérience de la dis-crim inat ion en volont é de se bat t re cont re cet t e dom inat ion. Encore faut-il avoir suffisam m ent de ressources, de force pour le faire. L’insulte en t ant qu’absence de reconnaissance de cert ains act eurs dans le jeu social peut faire obstacle à la com bativité. Pourtant, si les vendeuses dis-posent par ailleurs d’autres ressources10, com m e l’appartenance à une organisation, la constitution d’alliés, l’identification d’adversaires, si cer-taines conditions sont réunies, alors cette insulte peut être reprise par les act eurs à leur p rop re com p t e com m e une id ent ificat ion aid ant à la constitution d’un « nous » capable de protester, com m e une arm e de protestation. Alors, cette identification ethnique peut devenir à son tour une ressource m obilisable (Poutignat, 1995 : 105).

Chez les vendeuses « am bulantes », ou non affiliées à une association syndicale, on note une m oindre capacité à se m obiliser notam m ent à cause de l’absence d’organisations collectives inscrites clairem ent dans l’espace. Elles sont plus souvent seules, connaissent régulièrem ent des conflits avec les vendeuses organisées, avec les gendarm es. Une enquête sur cinquante vendeuses « non affiliées » de La Paz (Fernandez, Rojas, 1992 : 63) m ontre que celles ci développent certaines stratégies pour s’installer à un endroit donné telles que « l’im ploration, les accords ver-baux, les pots de vin avec le personnel de m airie ou les dirigeants syndi-caux et le changem ent constant de poste de vente » : « Tengo m iedo porque se quita tam bien, se quita pues. Por eso ya tengo m iedo para vender. Han venido/ Les gendarm es m unicipaux/ « levantate ». Asi m e vendo pues, asi, por eso no quiero vender : a veces, a la casa nom as m e quedo. Tengo m iedo para vender, asi./ …/ Ojala puedo tener un puesto ! Donde yo quiero… Donde…Ahi arriba yo subo, en toda parte se atajan, no aqui nom as, en toda parte, se atajan : no hay caso de sentar. Donde « (Vendeuse am bulante de fruits, de pollera, entretien le 30/ 04/ 99). Les vendeuses am bulant es se caract érisent plus par une at t it ude de fuit e, d’évitem ent des autorités extérieures de m anière plus individuelle.

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« Les vraies

cholas »

Ainsi, m êm e si, vu de l’extérieur, toutes les fem m es de polleraform ent un groupe hom ogène puisque t out es peuvent êt re désignées com m e

cholas, il existe évidem m ent des distinctions internes et ce stigm ate n’est donc pas vécu de la m êm e m anière par toutes. On le voit bien en lisant le tém oignage de cette vendeuse appartenant à l’association Central San Francisco qui distingue les « vraies cholas», bien insérées dans le m onde urbain, des m igrantes récentes : « Las señoras antes usaban un som brero de paja, este tam año asi ponian. Los Ricachos se ponian som brero de paja, estas vicuñas se ponian, es puro, es los ricos. Y los pobres con ropa de bayeta de tierra, asi nom as era, asi, andaba en Burrito, si, pues, asi era. Las m ujeres esas polleras de bayeta de tierra, con esas polleras eran. Ahora no ! Toditas son cholas. Asi era antes. Bayeta de tierra ahora ya no conocen. La gente del cam po ou ! Se han entrado aqui, ya se ha llenado, ya son cholas. Ya no hay ahora la gente de antes, cholas, ya no hay. Hab ra un os cuan t it os… Porq ue la m ayoria, es la g en t e d el cam p o nom as, que ha entrado del cam po y todo/ …/ Antes, por ejem plo, por eso la gente, la chola era con botas, con botas hasta aqui, con botas; la pollera hasta aquicito, la pollera y botas, botas. M ayoria asi, asi, com o de los soldados, asi, botas. Despues unas m antillas tenia, asi chalas com o esto se ponian. Som brero de paja, asi era. Ahora ou ! La gente del cam po dice « Soy chola ». Nada ! No son : no conocen bien la ciudad, todo : para decir que son cholas, tienen que conocer bien la ciudad, com o era, de com o se ha organizado, construido, por aqui com o era… Nadie sabe. A ver… » (Vendeuse de produits artisanaux de l’association Central San Francisco, de pollera, entretien le 6/ 01/ 99).

La connaissance de la ville présentée com m e un m oyen de reconnais-sance d es « vraies ch olas » sem b le à p rem ière vue p arad oxale. Les fem m esde pollera entre deux m ondes m ettent en scène des perceptions qui jouent avec les front ières et hniques, dans leurs relat ions avec les autres groupes sociaux car « les distinctions ethniques ne dépendent pas d’une absence d’interaction et d’acceptation sociale, m ais sont tout au cont raire les fondat ions m êm es sur lesquelles sont bât is des syst èm es sociaux plus englobants » (Barth, ibid. : 205). En fait, c’est une question de point de vue : on utilise l’argum ent citadin en vue de se rapprocher desseñorasen s’écartant de l’Indien, associé au m onde rural, dans un souci de valorisation de la chola. Tandis que les m igrantes récentes ten-tent d’im iter le « look » des anciennes, celles-ci ten-tentent de m ettre une distance, une « frontière » entre elles et les nouvelles venues. Le discours

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de cette vendeuse de fleurs de pollera, âgée de 74 ans, qui appartient à l’organisation syndicale des floristas11, une des plus anciennes de la capi-tale, le m ontre avec éclat :

- « Lindas cholas hay. Por que no vas a ver en El Tam bo Quirquincho [m usée] ? Ahi estan las fotos de las cholas. Ahi adentro, ahi estan las fotos de las cholas con sus botitas.

- Antes las cholas eran…

- M uy cult urizad as p ero ahora ya no es eso, no, p orq ue son d el cam po pues, ya tienen su cultura, igual nom as tratan, puede ser señoras, señorit as, igual nom as t rat an ahora est a gent e del cam po, ya no hay pues. Igual nom as, com o siem pre en el cam po se han crecido, igual nom as quieren ser t rat ando. Yo le digo « Por que t rat as asi ? – Igual som os gente, igual dios tenem os » dicen. Asi contestan, no hay caso de hablar a esas m ujeres. / …/ Del cam po son, se han venido. Ahora se ha m ezclado tunta con chuños/ …/ Tunta cara blanca, chuño cara negra/ …/ La educacion es lo que vale : no es por la plata, la educacion es lo que m as vale » (Florista, de pollera, entretien le 17/ 6/ 99).

La m étaphore t unt a/ chuño m ontre que cette vendeuse regrette, en quelque sorte, l’im puissance des indicateurs « raciaux », jugés finalem ent plus pertinents. Elle construit donc d’autres critères dans le but de distin-guer les « vraies cholas» de m anière « infaillible » : la m anière de parler, l’éducation, qui justem ent appartient aux valeurs dom inantes de la socié-té. Les élém ents culturels sont renvoyés à la nature, précisém ent à la cou-leur de la peau et l’on voit bien, à travers cet exem ple, com m ent des élém ents biologiques sont m obilisés pour valider, justifier, légitim er une discrim ination sociale.

CONCLUSION

Si la définition exogène de la chola tend à l’assim iler à l’Indienne, la signification endogène insiste, au contraire, sur des caractéristiques qui la rapprochent des señoras. Ainsi, les batailles autour de la signification du m ot chola prennent sens autour d’un jeu de distance et de proxim ité avec les autres groupes sociaux : « Ces luttes sym boliques autour de la désignat ion et de la dom inat ion et hniques ne se produisent t out efois que lorsque les groupes dom inés ont atteint un niveau d’acculturation leur perm ettant d’en apprécier les enjeux et de m anipuler les significa-tions attachées aux catégories ethniques dans les term es de la société globale » (Poutignat, ibid. : 161). Et les définitions des cholasne sont intelligibles que dans un ensem ble d’interactions sociales, elles sont donc

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dynam iques. Les frontières ne sont pas figées m ais se construisent, se m aintiennent ou se détruisent en fonction des relations sociales, toujours en m ouvem ent. À travers les m ots, ce sont des perceptions différentes de l’espace social qui s’affrontent et se com battent. Dans le cas des « vraies

cholas », on assiste à un processus de réappropriation d’un qualificatif discrim inant, « un rapport de force dans lequel le groupe ethnique dom i-né tente d’im poser sa propre définition et disqualifier celle que prétend lui im poser le groupe dom inant » (Poutignat, ibid: 162) .

On l’a vu, les choses se com pliquent dans le cas des cholas– par rap-port aux Indiens, par exem ple – car nous som m es ici face à un secteur à la fois dom iné et dom inant ou, en tout cas, socialem ent supérieur aux « Indiens ». Nous som m es donc face à un double processus : d’une part, l’appropriation positive d’une désignation extérieure négative et, d’autre part, la recherche de supériorité par rapport aux indiens. Rem arquons d’ailleurs que si les définitions exogènes et endogènes de la chola sont différentes, elles s’appuient toutes les deux sur les m êm es norm es, celles de la société globale, du m onde urbain, et ont pour principal critère dis-crim inant l’instruction.

Enfin, le fait que les vendeuses de rue regroupées en association syn-dicale et les vendeuses de m arché développent des significations posi-tives autour de la pollera, de la chola, beaucoup plus que les vendeuses am bulantes n’est sûrem ent pas fortuit : le fait d’appartenir à une organi-sation « form elle », reconnue par les autorités, d’avoir une place dans la sociét é, une plus grande st abilit é du post e de vent e, une sécurit é de l’ em p loi est p eut -êt re un fact eur p erm et t ant d’ assum er, en q uelq ue sorte, cette discrim ination, voire de la com battre en construisant un dis-cours ethnique positif. Ainsi, il faudrait avoir déjà certains avantages pour pouvoir se défendre, certaines « ressources » pour se battre. Et c’est dans le secteur des vendeuses « am bulantes » qui n’appartiennent pas à un collectif organisé que l’on peut reconnaître les « oubliés qui subissent en silence » décrits par M ancur Olson (1978 : 188).

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Notes

1 Ce que l’on peut traduire par « vendeuses au détail ». 2 Je reprends ici la manière dont elles-mêmes se définissent.

3 A La Paz et El Alto, 56 % des comerciantes minoristassont des migrants en 1991 et 80% sont des femmes (Rojas, Baldivia, 1995 : 109-110 ).

4 Elisabeth Peredo (1992) base son étude sur le marché Camacho, un des plus anciens de la capitale.

5 Cette synthèse des différences culturelles dans la ville péruvienne de Puno (Bourricaud, 1962) est tout à fait applicable en Bolivie.

6 Cette représentation recoupe en partie la réalité : elles sont effectivement originaires de la campagne, soit elles mêmes y sont nées, soit leur mère ou leur grand-mère. M ais, parmi celles qui sont effectivement nées à La Paz, certaines portent la polleraalors que d’autres sont

de vestido.

7 Tissu carré multicolore qui permet aux vendeuses de porter leur bébé ou certaines marchan-dises sur le dos.

8 Le « progrès » étant bien sûr une notion relative. 9 Au sens de M ax Weber.

10 Voir théorie de la mobilisation de ressources de Charles Tilly (1986).

11 Ce syndicat est fondé en 1936 et rattaché à la Fédération Ouvrière Féminine, créée en 1927 à La Paz.

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Si l ’ o n d éf i n i t c o m m u n ém en t l a “ c h o l a ” d e L a Pa z c o m m e l ’ I n d i en n e en asc en si o n so c i al e, l a f em m e d e p o l l er a, c et t e d éf i -n i t i o -n p r i m ai r e -n e su f f i t p as c ar l e s si g n i f i c a t i o n s d e c e t e r m e v ar i en t sel o n l e c o n t ex t e : el l es n e so n t i n t el l i g i b l es q u e d an s u n en sem b l e d ’ i n t er ac t i o n s so c i al es et so n t d o n c d y n am i q u es. Le c as d e s c o m e r c i a n t e s m i n o r i st a s, m a j o r i t a i r e m e n t d e p o l l e r a , e n e st u n e i l l u st r at i o n : al o r s q u e , d a n s l a b o u c h e d e s se ñ o r a s d e v e st i d o , l ’ ap p e l l at i o n c h o l a e st u n e i n su l t e q u i v i se à g o m m er l a f r o n t i è r e a v e c l ’ I n d i e n n e ; c e r -t a i n e s v e n d e u se s s’ a p p r o p r i e n -t c e st i g m at e et c o n st r u i sen t u n e i m a g e v a l o r i sa n t e d e l a f e m m e d e p o l l e r a, d an s u n e r e c h e r c h e d e su p é r i o r i t é p a r r a p p o r t a u x I n d i e n n e s. A u t o u r d e c e s b a t a i l l e s d e se n s, s’ a f f r o n t e n t d e s c o n c e p t i o n s d i f f é r e n t e s d e l ’ esp ac e so c i al . * * *

Se defin e gen eralm en t e a la “ ch ola ” d e La Pa z co m o l a I n d i a en a scen -si ón soci a l , “ l a m u j er d e p ol l er a ” ; est a d éfin ición p r im a r ia n o es a d a p -t a d a p o r q u e l a s si g n i f i ca ci o n es d e e s t a p a l a b r a c a m b i a n s e g ú n e l c o n t e x t o : s o n c o m p r e h e n s i b l e s s o l a m e n t e e n u n c o n j u n t o d e i n t er a c c i o n es so c i a l es y a l m i sm o t i em p o so n d i n á m i c a s. El c a so d e l a s c o m e r c i a n t e s m i n o r i s t a s , m a y o r m e n t e “ d e p o l l e r a ” , e s u n a i l u st r a c i ó n d e el l o : c u a n d o l a s “ señ o r a s d e v est i d o ” l es ca l i f i c a n d e “ c h o l a s ” , e st a a p e l a -c i ó n e s u n i n su l t o q u e t i e n d e a b o r r a r l a f r o n t e r a c o n l a I n d i a ; a l g u n a s v en d ed o r a s se a p r o p i a n e s t e e s t i g m a y c o n s t r u y e n u n a i m a g en r eva l o r i z a n t e d e l a “ m u j er d e p oller a ” , en b u sq u ed a d e su p er -ior id a d en r ela ción con la s In d ia s. A t r a ves d e est a s b a t a l l a s d e si g n i f i -ca d o s, se en f r en t a n co n cep ci o n es d i f er en t es d el esp a c i o so c i a l . * * * I f w e a r e t o d ef i n e c o m m o n l y t h e “ c h o l a ” f r o m L a Pa z a s a n i n d i a n f e m a l e i n u p w a r d so c i a l m o b i l i t y , t h e w o m a n d e p o l l er a , t h i s s i m p l i s t i c d e f i n i t i o n i s n o t su f f i ci en t , si n ce t h e m ea n i n g s v a r y w i t h t h e c o n t ex t : t h ey a r e i n t el -l i g i b -l e i n so c i a -l i n t er a c t i o n s, a n d t h er ef o r e t h ey a r e d y n a m i c . T h e ca se o f t h e co m er ci a n t es m i n o r i s-t a s , m a i n l y d e p o l l e r a , i s a n ex a m p l e : o n t h e o n e h a n d , w h en t h e señ o r a s d e v est i d o u se “ ch o -l a ” , i t i s a n a b u se w h i c h t en d s t o e r a s e t h e f r o n t i e r w i t h t h e i n d i a n f em a l e, a n d o n t h e o t h er h a n d , so m e sa l e sw o m e n a p p r o -p r i a t e t h i s st i g m a a n d sh a -p e a s t a t u s - e n h a n c i n g i m a g e o f t h e w o m a n d e p o l l e r a , i n se a r c h o f su p er i o r i t y i n co m p a r i so n w i t h t h e i n d i a n f e m a l e s . A r o u n d t h e s e m ea n i n g co n t r o v er si es, i t i s so m e d i f f e r e n t c o n c e p t i o n s o f so c i e t y t h a t a r e i n c o n f r o n t a t i o n .

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