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Mariage, divorce et remariage à Dakar et Lomé

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

D

OCUMENT DE

T

RAVAIL

DT/2003/07

Mariage, divorce et remariage à

Dakar et Lomé

Philippe ANTOINE

Fatou Binetou DIAL

(2)

MARIAGE, DIVORCE ET REMARIAGE A DAKAR ET LOME

Philippe Antoine IRD Dakar – UR CIPRÉ

philippe.antoine@ird.sn Fatou Binetou Dial IRD Dakar – UR CIPRÉ

fbdial@ird.sn

Document de travail DIAL / Unité de Recherche CIPRÉ

Septembre 2003

RESUME

Les sociétés africaines urbaines sont en pleine mutation : la scolarisation des femmes progresse, le marché du travail se transforme en particulier le salariat régresse, l'âge au mariage recule, les femmes participent de plus en plus à la vie économique. Bien que le mariage soit plus tardif il semble que les unions soient moins stables que précédemment. Quel est alors le devenir des femmes après leur divorce? Souvent présenté comme vulnérable les femmes divorcées le sont-elles plus que les autres femmes? La réalité est certainement plus complexe et nous tentons de mettre en évidence la diversité des situations en analysant le divorce et l'après divorce dans deux capitales africaines, Dakar et Lomé, fort différentes culturellement et économiquement. L'analyse est conduite à partir de 2 enquêtes biographiques récentes (Lomé en 2000 et Dakar en 2001) qui permettent de resituer le divorce dans la vie matrimoniale, féconde, professionnelle et résidentielle de l'individu. Nous analysons les relations entre vie matrimoniale et vie professionnelle.

ABSTRACT

The urban African societies are in the process of transformation: the education of women is progressing, the labor market is transforming, in particular the number of wage earners is decreasing, the age of marriage is postponed, and women participate more and more in economic life. Despite the fact that marriage comes later, it appears that the unions are less stable than before. So, what is the future of the women after divorce? Often presented as vulnerable, are divorced women more so than other women? The reality is certainly more complex and we try to put in evidence the diversity of the situations in analyzing the divorce and the post-divorce in two African capitals, Dakar and Lomé, both culturally and economically different. The analysis is conducted from two recent investigations (Lomé in 2000 and Dakar in 2001) that reposition divorce in the marital life, productive life, professional life, and residential life of the individual. We analyze the relationships between marital life and professional life.

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Table des matières

1. BIOGRAPHIE PROFESSIONNELLE, BIOGRAPHIE MATRIMONIALE ET ANALYSE DU

DIVORCE ... 5

2. LE DIVORCE ... 6

3. ENTREE EN UNION, ET ENTREE EN ACTIVITE ... 7

4. DUREE DE L’UNION ET DIVORCE ... 10

5. ACTIVITE ET MARIAGE... 11

6. PLURALITE DE FACTEURS DU DIVORCE ... 12

7. LE REMARIAGE... 16

CONCLUSION...18

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ...20

Liste des tableaux

Tableau 1 : Niveau d’instruction des femmes présentes dans la capitale au moment de l’enquête ... 6

Tableau 2 : Enchaînement de l’entrée en activité et de l’entrée en union à Dakar et Lomé... 10

Tableau 3 : Ordonnancement des événements Mariage, Activité, Divorce parmi les femmes mariées... 12

Tableau 4 : Analyse du risque de divorce chez les femmes à Dakar et Lomé ... 14

Tableau 5 : Analyse du risque de remariage à Dakar et Lomé ... 17

Liste des figures

Figure 1 : Entrée en union et entrée en activité dans les villes de Dakar et Lomé ... 8

Figure 2 : Répartition des femmes selon le statut matrimonial et l’activité à Dakar et Lomé... 9

Figure 3 : « Concurrence » entre entrée en union et entrée en activité... 10

Figure 4 : Proportion de femmes divorcées en fonction du temps... 12

Figure 5 : Concurrence entre activité et divorce ... 13

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La dégradation des conditions de vie dans les villes africaines entraîne une redéfinition des rôles des hommes et des femmes au sein des ménages. La diminution des opportunités d’emploi dans le secteur formel de l’économie urbaine, la difficulté à trouver un emploi dans le secteur informel qui garantisse des ressources suffisantes, la baisse du pouvoir d’achat, mettent les chefs de ménage dans des situations difficiles. De plus en plus, les femmes sont amenées à jouer un rôle économique important et contribuent aux revenus du ménage, bien au-delà du simple apport complémentaire aux petites dépenses quotidiennes. Les sociétés africaines urbaines sont en pleine mutation : la scolarisation des femmes progresse, le marché du travail se transforme, en particulier le salariat régresse, les femmes participent de plus en plus à la vie économique. Le mariage, principal mode de formation de la famille se transforme : l'âge au mariage recule, le conjoint est de plus en plus choisi par les principaux intéressés, la fécondité diminue, la place et le rôle des femmes semblent s’améliorer. Face à de telles transformations, surtout celles concernant l’activité des femmes, comment évoluent la formation et la dissolution des unions ? Quel est le devenir des femmes après le divorce ? La réalité est certainement complexe et nous tenterons de mettre en évidence la diversité des situations en analysant mariage, divorce et après divorce dans deux capitales africaines, Dakar et Lomé, fort différentes culturellement et économiquement.

Dakar et Lomé sont deux villes portuaires importantes d'Afrique de l'Ouest, mais de dimension différente. Lomé compte près d'un million d'habitants et Dakar atteint les 2,5 millions. L'une comme l'autre abritent environ le quart de la population du pays. L'économie des deux pays est sous ajustement depuis une vingtaine d'années et leurs populations, confrontées à une forte récession depuis de nombreuses années, ont été frappées de plein fouet par la dévaluation du franc CFA en 1994. Les principaux secteurs d'emploi sont les activités administratives et de services, portuaires et de commerce (gros et détail). Le secteur de la pêche représente un important secteur d’emploi pour les femmes à Dakar (comme la transformation du poisson de façon traditionnelle ou dans les conserveries modernes). Le service des ménages (petites bonnes) est une exclusivité féminine à Dakar qui mobilise également une main d’œuvre importante au statut souvent précaire1. À Lomé, les activités tournées vers la vente dominent dans l’activité féminine. Au-delà de ces

similitudes, les deux villes sont loin de se ressembler. Le contexte politique est fort différent : le Sénégal a connu une transition démocratique et bénéficie de la faveur des bailleurs de fonds internationaux, alors que le Togo est mis à l'index par la communauté internationale depuis une dizaine d'années pour des raisons inverses. L'environnement géographique diffère également: le Sénégal est un pays sahélien où l'agriculture est peu productive contrairement aux potentialités du Togo. L'environnement culturel se caractérise d'un côté par une société musulmane où règne une certaine domination masculine et où le travail des femmes est mal perçu, de l'autre, par une société marquée par les religions chrétienne et animiste où la présence des femmes dans la vie économique est importante2.

L'analyse sera conduite à partir de deux enquêtes biographiques récentes à Lomé (en 2000) et à Dakar (en 2001)3 qui permettent de resituer le divorce dans la vie matrimoniale, féconde, professionnelle et

résidentielle des itinéraires féminins. Les modèles observés sont-ils les mêmes dans les capitales sénégalaise et togolaise ? On peut faire l'hypothèse que les Loméennes sont plus autonomes vis-à-vis de leur conjoint que les Dakaroises. Plus autonome au sein du couple, la femme éprouve-t-elle moins le besoin de divorcer ? Les trajectoires après divorce sont-elles identiques dans les deux villes ? Telles sont les questions auxquelles nous tenterons de répondre à travers l’analyse comparative des données des deux enquêtes biographiques réalisées à Lomé et à Dakar.

1 On peut estimer qu'à Dakar plus de 100.000 femmes sont domestiques au service d’un ménage, sans compter les parentes accueillies pour exercer les tâches ménagères.

2 Ce qui n'empêche une forte fréquence de la polygamie dans les deux villes.

3 L’enquête à Lomé a été conduite en 2000 par l’URD et la DGSCN (URD-DGSCN, 2002) ; l’enquête de Dakar par une équipe IRD et IFAN-UCAD (Antoine, Fall, 2002) sur financement du CODESRIA et de l’IRD. Cet article est le premier d’une série d’analyses comparatives qui seront conduites par une équipe IRD-UCAD-URD avec l’appui du Réseau démographie de l’AUF.

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1. BIOGRAPHIE PROFESSIONNELLE, BIOGRAPHIE MATRIMONIALE ET

ANALYSE DU DIVORCE

Les enquêtes biographiques permettent de mettre en perspective différents événements démographiques et sociaux concernant la vie d’un individu depuis sa naissance. Ces événements concernent son activité, sa vie matrimoniale (c'est-à-dire la constitution ou la dissolution du ménage) et sa vie résidentielle (mobilité, décohabitation, accès à la propriété). Ces informations dites tri-biographiques peuvent être complétées par le recueil de la vie génésique ou par d’autres informations susceptibles d’apporter un complément à l’analyse des itinéraires individuels. Ces biographies sont recueillies pour différentes générations, ce qui permet de saisir les évolutions qui s’opèrent d’une génération à l’autre. On peut inscrire l’itinéraire matrimonial dans l'ensemble de la trajectoire de l'individu, afin de montrer l'interaction entre ces événements matrimoniaux et l'évolution de sa situation économique et sociale. Alors que pour les hommes, vie professionnelle et vie familiale interférent peu, ce n’est pas le cas pour les femmes où les événements familiaux (mariage, naissance d’enfants) peuvent venir freiner ou arrêter une carrière professionnelle.

Disposant pour les deux villes étudiées, Lomé et Dakar de données biographiques4 restituant l’enchaînement

des événements matrimoniaux, professionnels et résidentiels, on peut appréhender les diverses mutations affectant la vie des individus dans une perspective dynamique. Pour chacune des deux villes étudiées trois générations sont prises en considération : les personnes âgées respectivement de 25-34 ans, 35-44 ans et 45-59 ans au moment de l'enquête5. L'enquête de Lomé concerne 2.536 personnes. L'enquête de Dakar a

permis de recueillir 1290 biographies d'hommes et de femmes. Les femmes ayant un itinéraire matrimonial complexe sont sur-représentées dans celle de Dakar6. Ces données permettent de retracer la vie de l’individu

jusqu’à la date de l’enquête. On peut donc connaître les caractéristiques d’un individu à chaque instant du temps, comme sa profession, son état matrimonial, le nombre d’enfants, etc. Différentes analyses sont possibles. Certaines sont purement descriptives, comme l’examen de l’âge de l’occurrence ou de l’ordre dans lequel se produisent différents événements. Les analyses descriptives de l'entrée en activité ou de l’entrée ou de la sortie de la première union peuvent éclairer sur des comportements féminins différents entre Dakar et Lomé. Toutes ces analyses reposent principalement sur les techniques statistiques traitant des variables de durée de vie. On cherchera également à analyser des risques concurrents comme débuter la vie adulte pour une femme par l’accès à un emploi rémunéré ou le mariage. L'estimateur de Aalen7 (Trussel et al, 1992 ;

Courgeau et Lelièvre, 1989) est particulièrement bien adapté à ce type d’étude. Le modèle de Cox permet de prendre en considération les différents états qu'a connu un individu et de prendre en compte la dimension du temps dans l'analyse causale. La possibilité d'introduire dans le modèle de Cox des variables indépendantes variant dans le temps est indispensable lorsque l’on cherche, par exemple, à déterminer l'influence de l’activité sur l’évolution du statut matrimonial.

L’inégal accès des femmes au marché du travail résulte en partie d’une scolarisation moins importante que celle des hommes. Le faible niveau d’instruction des femmes est un des marqueurs de la discrimination envers les femmes, et une des raisons avancées à leur moindre insertion professionnelle. Toutefois dans les deux villes on relève une montée générale de la scolarisation et du niveau d’instruction, même si le retard scolaire des filles par rapport aux garçons n'est pas encore entièrement comblé. À Dakar, d’une génération à l’autre, on note une nette progression de la scolarisation : près de 70 % des femmes de la génération la plus jeune sont allées à l’école (alors que 34 % seulement de la génération la plus âgée avait eu cette possibilité), mais la majorité de ces femmes n’a pas dépassé le primaire. À Lomé, le niveau d’instruction était plus élevé dans la génération la plus ancienne, les progrès sont donc moins spectaculaires que ceux enregistrés dans la capitale sénégalaise ; un tiers des filles de la plus jeune génération ont dépassé le niveau primaire. Dans les deux villes une toute petite minorité atteint l’université.

4 La méthode de collecte est comparable dans les deux villes et les fichiers ont la même structure.

5 Soit respectivement à Dakar les générations qui sont nées en 1967-76, en 1957-66 et en 1942-56. À Lomé les membres de la génération la plus jeune sont nés entre 1965 et 1974 pour la plus jeune, entre 1955 et 1964 pour la suivante et entre 1940 et 1954 pour la plus âgée. Ces générations sont donc arrivées à l’âge où fonder une famille dans des contextes fort différents.

6 Les calculs descriptifs sont affectés de pondération pour tenir compte de cette sur représentation.

7 L’interprétation graphique de cet estimateur se fait par la comparaison de pentes des courbes de quotient cumulés instantanés, ce qui permet d’avoir à chaque instant du temps une idée de l’intensité de chacun des risques en question.

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Tableau 1 : Niveau d’instruction des femmes présentes dans la capitale au moment de l’enquête Dakar Lomé Génération G1942-56 G1957-66 G1967-76 G1940-54 G1955-64 G1965-74 Non scolarisée 65,98 39,85 31,8 50,82 34,89 26,45 Primaire 21,45 33,12 39,13 26,65 29,11 36,87 Secondaire et plus 12,57 27,04 29,07 22,53 36 36,67

La recherche d'un emploi rémunéré représente un moment crucial de la vie, puisque l'accès au travail conditionne en grande partie la réussite sociale et économique. L’autonomie financière acquise par le travail constitue une condition préalable nécessaire pour déclencher éventuellement les différentes phases devant conduire à une pleine indépendance. Le mariage est un autre temps fort de la vie, particulièrement en milieu urbain où les exigences scolaires et économiques tendent à retarder l'entrée en première union. Est-ce que ces deux étapes, entrées en activité et en union, sont franchies dans le même ordre et avec la même intensité par les femmes des deux agglomérations ? Est-ce que l’enchaînement des événements se modifie d’une génération à l’autre ? Dans le domaine de l’activité féminine, certains traits structurels8 prédominent et les

situations risquent d’être nettement différenciées pour les femmes.

La participation croissante des femmes à l’économie a des retombées variées selon les situations. Lorsque le travail rémunéré des femmes répond à la recherche contrainte de revenus pour subvenir aux besoins essentiels de la famille il peut s’avérer une véritable gageure. Il intervient alors comme un facteur aggravant la condition des femmes qui doivent assumer dans le même temps les multiples tâches domestiques qui leurs sont généralement réservées (Kouame et Tameko, 2000). Elles se trouvent prises dans un conflit de rôles : la division sexuelle du travail cantonne les femmes dans les activités domestiques qui leur laissent peu de temps pour exercer des activités rémunératrices, particulièrement durant la période du cycle de vie où elles procréent9. Mais le travail peut être aussi le fruit d’une action délibérée, d’un choix de vie correspondant

avant tout à un désir d’autonomie (Thiriat, 2000). Dans pareil cas, il a de plus grandes chances de correspondre à une amélioration effective des conditions de vie et de statut social de la femme.

2. LE DIVORCE

Le divorce est devenu une préoccupation importante dans les sociétés et dans les sciences sociales. Dans les pays occidentaux, comme le souligne Jacques Commaille (1982), le divorce est d’abord un acte juridique faisant l’objet d’une décision juridique et où formellement le fait social est ici, plus encore peut-être que pour d’autres comportements familiaux, déterminé par le fait juridique. D’une fin de siècle à l’autre, dans les pays occidentaux, les angles de lecture du divorce ou les problématiques ont considérablement évolué, accompagnant tout simplement les changements de pratiques et de mentalités. L’objet « divorce » mobilise en effet, plusieurs disciplines : le droit, la démographie, la sociologie, la psychologie, la psychiatrie, l’économie, etc. Au cours du temps, on est passé d’une interprétation pathologisante et normative à une recherche des différents facteurs susceptibles de jouer un rôle dans l’adaptation des familles à l’après divorce. Et parmi eux prennent place, peu à peu, le facteur économique et plus récemment, le facteur relationnel (Martin, 1997). Les conséquences du divorce conduisent souvent à des familles monoparentales10,

et ce sont surtout les conséquences de la séparation sur les enfants qui sont appréhendées.

En Afrique, l'évolution de l'instabilité des unions reste assez mal connue. On ignore presque tout de l'évolution de la fréquence du divorce ainsi que de ses déterminants (Kaufmann, Lesthaeghe et Meekers, 1988). L'activité professionnelle apparaît comme le facteur le plus important du divorce. Elle est associée à une possibilité d'indépendance financière de la femme qui est alors susceptible de s'assumer économiquement ainsi que ses enfants lors d'un éventuel divorce (McDonald, 1985 ; Burnham, 1987). La faiblesse des connaissances sur l'instabilité du mariage en Afrique limite les analyses de l'évolution du phénomène au cours du temps (Smith et al, 1984 ; Hertrich, Locoh, 1999). Les données du moment

8 Reflets de cultures différentes et de la place allouée aux femmes dans ces deux pays. 9 À ce sujet voir la revue de littérature de Kouamé (1999).

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provenant d'une enquête ou d'un recensement laissent croire à une faiblesse de la fréquence des divorces. Au Sénégal par exemple, en 1986, la proportion de femmes divorcées est de 3,8 % à 20-24 ans et 5,4 % à 35-39 ans pour diminuer ensuite (DHS Sénégal, 1988). Ces proportions sont sensiblement inférieures en 1992-1993, respectivement 3,5 et 4,7 % (DHS Sénégal, 1994). Ces proportions masquent totalement l'ampleur du phénomène, et comme on va le voir, le remariage est souvent rapide à la suite d'un divorce. Les familles s’impliquent dans le mariage comme dans le divorce, et parfois la décision échappe à l’individu. Les pressions familiales pour faire obstacle au divorce sont nombreuses. En fait, le divorce est souvent perçu comme un échec par la parenté, il représente généralement une rupture entre les familles des deux conjoints, et celles-ci peuvent tenter d’y faire obstacle. La situation inverse n’est pas rare, l’immixtion de la belle-famille dans la vie du couple est souvent invoquée par les femmes comme des raisons qui les ont poussées à se séparer comme on le verra par la suite. Au Sénégal le code de la famille (1972), que beaucoup jugent plus favorable à la femme, tente de niveler le déséquilibre qu’instaure la répudiation, acte unilatéral qui revient à l’homme. Malgré ces avancées, le divorce continue de se faire dans la grande majorité des cas en dehors de la législation11.

3. ENTREE EN UNION, ET ENTREE EN ACTIVITE

Deux moments clés de la vie des femmes, marqueurs d’une certaine autonomie, sont pris en considération : l’âge au mariage et l’âge d’accès à une activité rémunérée (les périodes où la jeune femme est apprentie ou aide-familiale ne sont donc pas prises en considération). La comparaison des âges d’entrée en union s’avère toutefois délicate. À Dakar, la date de mariage retenue est celle où les personnes se considèrent comme unies (en général la date de la célébration du mariage à la mosquée). À Lomé, plusieurs dates ont été recueillies : fiançailles, mariage coutumier, civil ou religieux ainsi que le début de la cohabitation. Nous avons donc retenu (arbitrairement) le moment où la procédure de mariage est engagée et où le couple a commencé à cohabiter12 comme date du mariage à Lomé. L’évolution de l’âge d’entrée en union est bien plus grande à

Dakar qu’à Lomé13 (Figure 1).

Dans la capitale du Sénégal, l’âge médian est ainsi passé de 16,5 ans pour la génération la plus ancienne à 24 ans pour la génération la plus jeune. Le recul de l’âge au premier mariage est un des faits saillants de l’évolution des comportements socio-démographiques de la population sénégalaise, tout particulièrement dans les villes. C’est dans ce pays que le recul de l’âge au premier mariage est le plus important parmi les pays africains14. En 25 ans, on est passé à Dakar, d’un mariage précoce à un mariage relativement tardif.

L’évolution est moins rapide à Lomé où l’âge médian passe respectivement d’une génération à l’autre de 24 ans, 24,3 ans et 26,5 ans. On peut avancer que l’ampleur de la récession et la difficulté pour les Dakarois à être dans la capacité de se marier explique en grande partie le recul de l’âge au mariage des femmes. Mais à Dakar, pour la majorité des femmes, il existe une attente économique très grande vis-à-vis du mari qui est le « gor diarigne », c’est-à-dire « l’homme qui peut subvenir à tes besoins ». La fonction première d'un homme est la fonction économique.

Autre différence majeure, l’accès à une activité rémunérée est nettement plus précoce à Lomé qu’à Dakar. À 21 ans quelque soit la génération plus de la moitié des Loméennes travaillent, et à 26 ans plus des trois-quarts ont déjà exercé une activité (voir Figure 1). Presque toutes les femmes loméennes vont entrer en activité à un moment de leur vie, et le rythme d’entrée en activité rémunérée ne varie guère d’une génération à l’autre. Chez les Dakaroises, dans ce domaine aussi la situation change, l’entrée en activité est plus tardive ; l’âge médian passant de 20 ans à 26 ans et à 24,5 ans de la génération la plus vieille à la plus jeune.

11 À cause d’une part de l’immixtion excessive des parents dans le mariage et le divorce, de l’image négative du tribunal et de la méconnaissance des femmes de leur droit.

12 Ainsi selon qu’on considère l’âge médian de sortie de célibat il passe de 21 à 24,1 ans de la génération la plus jeune à la plus âgée à Lomé et de 23,9 ans à 26,6 ans si l’on retient notre définition du début de l’union. Le nombre d’unions pris en considération ne change guère d’une définition à l’autre

13 La population soumise au risque d’union est définie de la même façon dans les 2 enquêtes : les femmes célibataires présentes dans la capitale dès l’âge de 15 ans.

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Figure 1 : Entrée en union et entrée en activité dans les villes de Dakar et Lomé

Toutefois cet indicateur a ses limites, certaines femmes rentrées tôt en activité peuvent l’abandonner rapidement quelques années plus tard (en raison du mariage en particulier)15. Les femmes dakaroises sont

confrontées à un dilemme : comment concilier leur rôle d’épouse et l’exercice d’un emploi (Adjamagbo, Antoine et Dial, 2003). Un moyen de visualiser simultanément l’évolution du statut matrimonial et de l’activité, consiste à retracer la répartition en pourcentage, âge par âge, des femmes selon le statut matrimonial et le fait qu’elles soient ou non actives rémunérées. Six modalités sont ainsi distinguées. En bas du graphique les actives célibataires, les mariées actives et les séparées actives (y compris les veuves16).

Au-dessus, on trouve les non actives, classées dans le même ordre : célibataires, mariées, séparées (Figure 2). Une vision très contrastée s’offre alors à nous. À Lomé, la population active croit régulièrement au fur et à mesure que la population vieillit, quelle que soit la génération, au moins 80 % des femmes exercent un emploi rémunéré à l’âge de 30 ans. Très peu de femmes mariées sont inactives. Le principal changement concerne l’augmentation, d’une génération à l’autre de la proportion de femmes célibataires inactives, phénomène consécutif à la prolongation des études.

15 Lors d’analyses ultérieures nous comptons analyser les facteurs qui conduisent une femme qui travaillait à arrêter et vérifier si c’est le mariage ou la naissance d’un enfant le principal facteur déclenchant. D’ores et déjà les graphiques de la figure 2 suggèrent que les arrêts d’activité soient bien moins nombreux à Lomé qu’à Dakar.

16 Peu nombreuses entre 15 et 30 ans, âges retenus dans le graphique.

Entrée en union à Lomé

0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7 0,8 0,9 1 12 15 18 21 24 27 30 33 36 39 Ma1940-54 Ma1955-64 Ma1965-74

Entrée en union à Dakar

0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7 0,8 0,9 1 12 15 18 21 24 27 30 33 36 39 Ma1942-56 Ma1957-66 Ma1967-76

Première activité rémunérée à Lomé

0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7 0,8 0,9 1 12 15 18 21 24 27 30 33 36 39 Acr1940-54 Acr1955-64 Acr1965-74

Première activité rémunérée à Dakar

0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7 0,8 0,9 1 12 15 18 21 24 27 30 33 36 39 Acr1942-56 Acr1957-66 Acr1967-76

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Figure 2 : Répartition des femmes selon le statut matrimonial et l’activité à Dakar et Lomé

A Dakar, on note tout d’abord une plus faible proportion de femmes actives ; cette proportion atteint son maximum (environ 60 %) vers 25-30 ans dans la génération la plus âgée. Dans les générations suivantes la proportion est plus faible. Le célibat progresse très nettement, mais la majorité des femmes célibataires sont inactives. C’est à partir de 25 ans que l’on relève une proportion équivalente de célibataires qui travaillent ou non. Parmi les femmes mariées, on note même un renversement de tendance : dans les générations les plus jeunes, les femmes mariées non actives sont plus nombreuses que celles qui ont un emploi rémunérateur. L’entrée nettement plus tardive en union, entraîne un recul du début de la vie féconde, qui lui-même influe sur une entrée en activité plus tardive. Les transformations sociales concernant les femmes semblent donc bien plus importantes à Dakar qu’à Lomé, mais sans leur offrir pour autant davantage d’opportunités d’accès au marché de l’emploi.

A Lomé une infime proportion des femmes entre en activité après le mariage (Tableau 2) ; quelle que soit la génération, la plupart travaillaient avant de se marier, et le phénomène semble s’amplifier. Dans la génération la plus ancienne, un tiers seulement des femmes travaillaient avant de se marier. Cette proportion croît lentement passant à 39% pour la génération intermédiaire et 47% pour la génération la plus jeune17. Il

faut noter que près d’un tiers des femmes n’ont pas encore travaillé au moment de l’enquête. L’entrée en activité des femmes est relativement tardive à Dakar, de nombreuses femmes n’exercent une activité rémunérée qu’après avoir élevé leurs premiers enfants.

17 Il faut relativiser les comportements concernant la dernière génération, âgée rappelons-le de 25 à 34 ans et sujette à des troncatures au moment de l’enquête. Le jeune âge explique aussi, en partie, la croissance de la proportion des femmes n’ayant connu aucun événement.

Dakar génération 1942-56 0% 20% 40% 60% 80% 100% 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 Âge Séparée NA Mariée NA Célibataire NA Séparée A Mariée A CélibataireA Dakar génération 1957-66 0% 20% 40% 60% 80% 100% 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 Âge Séparée NA Mariée NA Célibataire NA Séparée A Mariée A CélibataireA Dakar génération 1967-76 0% 20% 40% 60% 80% 100% 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 Âge Séparée NA Mariée NA Célibataire NA Séparée A Mariée A CélibataireA Lomé génération 1940-54 0% 20% 40% 60% 80% 100% 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 Âge Séparée NA Mariée NA Célibataire NA Séparée A Mariée A CélibataireA Lomé génération 1955-64 0% 20% 40% 60% 80% 100% 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 Âge Séparée NA Mariée NA Célibataire NA Séparée A Mariée A CélibataireA Lomé génération 1965-74 0% 20% 40% 60% 80% 100% 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 Âge Séparée NA Mariée NA Célibataire NA Séparée A Mariée A CélibataireA

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Tableau 2 : Enchaînement de l’entrée en activité et de l’entrée en union à Dakar et Lomé Dakar Lomé Génération G1942-56 G1957-66 G1967-76 G1940-54 G1955-64 G1965-74 Aucun 2 5 10 1 1 10 Activité 0 6 24 13 21 27 Activité-Mariage 36 33 23 55 54 43 Mariage Activité 37 29 13 28 18 11 Mariage 25 27 30 3 6 9

Les courbes de Aalen présentées à la Figure 3, confirment bien les deux schémas différents concernant les deux villes. À Lomé, on voit bien que dans l’ensemble l’entrée en activité précède nettement l’entrée en union et ceci quelle que soit la génération. Dakar offre un autre scénario, où l’entrée en union précède de loin l’exercice d’une activité pour les deux plus vieilles générations. Des changements se profilent concernant la génération la plus jeune, où l’entrée en activité précède le mariage chez un plus grand nombre de femmes. Certaines cherchent à s’autonomiser par le travail. L’entrée en union de plus en plus tardive permet à de nombreuses femmes de travailler avant le mariage pour subvenir à leurs besoins.

Figure 3 : « Concurrence » entre entrée en union et entrée en activité

4. DUREE DE L’UNION ET DIVORCE

Nous avons privilégié l’étude du divorce vu du côté féminin. Deux raisons justifient ce choix : le divorce s’effectue bien souvent à l’instigation de la femme et c’est le seul moyen pour les femmes de changer de conjoint. Côté hommes, la situation est un peu différente, la polygamie permet d’avoir une nouvelle épouse. On peut d’ailleurs se demander si, pour les hommes, l’union avec une seconde femme n’est pas une façon de provoquer le départ de la première sans avoir à évoquer le divorce avec elle. Même si l’arrivée d’une seconde épouse n’est pas une cause légitime de divorce, il semble bien que, dans les unions polygames urbaines, les premières épouses divorcent plus que les secondes. Le premier mariage est souvent un mariage prescriptif, vécu parfois comme une contrainte dont la femme tente de se libérer par le divorce (Locoh et Thiriat, 1995).

Femmes Lomé Génération 1940-54

0 0,5 1 1,5 2 2,5 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 Âge Mariage Activité

Femmes Lomé Génération 1955-64

0 0,5 1 1,5 2 2,5 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 Âge Mariage Activité

Femmes Lomé Génération 1965-74

0 0,5 1 1,5 2 2,5 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 Âge Mariage Activité

Femmes Dakar Génération 1942-56

0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 Âge Mariage Activité

Femmes Dakar Génération 1957-66

0 0,2 0,4 0,6 0,8 1 1,2 1,4 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 Âge Mariage Activité

Femmes Dakar Génération 1967-76

0 0,2 0,4 0,6 0,8 1 1,2 1,4 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 Âge Mariage Activité

(11)

Une des causes de divorce les plus courantes18 reste le défaut d’entretien de la femme par le mari. Cet aspect

a déjà été relevé par différents auteurs dans les deux pays (A. B. Diop, 1985 ; Locoh, 1984). Dans les deux villes, des travaux récents confirment l’importance de cette cause. À Dakar N.D. enseignante a rencontré cette situation: « Mon mari ne s’occupait de rien à la maison, j’avais la charge de tout à la maison » (Dial, 2001). Au Togo, l’étude EFAMTO par « focus group » confirme la légitimité de cette cause : si « la

femme ne trouve pas à manger, à s’habiller, elle peut demander la dissolution du mariage et les familles ne s’y opposent pas » (URD-DGSCN, F1, 2002). Du fait de la crise, l’homme éprouve de plus en plus de

difficultés à subvenir correctement aux besoins du ménage dont il a la charge. L’adage wolof est explicite à ce sujet : « sey bu bone dafay yakh djiguène » (un mauvais mariage détruit la femme). Cette citation fait allusion à l'entretien et au confort matériel que le mari doit assurer à sa femme en retour des attentions qu’elle lui prodigue. Cependant, de plus en plus, les femmes sont amenées à exercer des activités économiques pour seconder le mari. Ce défaut d’entretien s’accentue lorsque le mari est alcoolique, lorsqu’il va à la retraite ou s’il perd son emploi.

Près d’une union sur trois se termine par un divorce à Dakar, la proportion est bien plus faible à Lomé où à peine 20 % des unions se sont soldées par un divorce au bout de 18 ans de mariage. À Dakar, le divorce est non seulement fréquent, mais aussi de plus en plus rapide. Un quart des femmes en union de la génération la plus âgée avait divorcé après 14 ans de mariage, dans la génération intermédiaire après 11 ans et seulement 7 ans suffisent pour qu’une femme sur quatre de la génération la plus jeune divorce (Figure 4). La primauté du mariage pour les jeunes filles à Dakar peut pousser à des choix parfois précipités. En effet, la pratique de la sexualité en dehors du mariage est prohibée et le mariage est valorisant et valorisé pour les femmes. Le cadre de vie nécessaire à leur épanouissement reste le foyer conjugal et toutes les femmes y aspirent. Aussi important que puisse être leur niveau d’instruction ou la fonction occupée, toutes les femmes reconnaissent que le mariage est nécessaire à la femme, que le mari complète la femme et que la femme a besoin d’un référent qui ne doit plus être, passé la puberté, le père ou l’oncle mais le mari. Cette soif immense d’être mariée est confortée par les pressions familiales et sociales. L’entourage voyant la jeune femme avancée en âge19, pousse de plus en plus au mariage. Qu’importe les voies suivies, l’essentiel c’est de se retrouver unie

avec un homme par les liens sacrés du mariage. Une fois que la femme se marie, qu’elle procrée et que les déceptions s’accumulent, elle prend conscience de l’écart entre la réalité du mariage et la représentation qu’elle s’en faisait. C’est cet écart entre discours et quotidienneté du mariage, qui dans les premiers temps du mariage accroît le risque de rompre l’union. Le mariage apparaît comme le contrat qui lie la jeune fille à la société, aucune jeune femme ne doit faire exception. Le divorce relève de la volonté divine, il n’est pas bien maîtrisé de sorte que lorsqu’il survient presque personne n’est responsable. Il est certes mal perçu, mais cette situation est tout même préférable à celle du célibat adulte tant pour les femmes que pour les hommes.

5. ACTIVITE ET MARIAGE

Les différences des dynamiques concernant l’activité et l’évolution du statut matrimonial sont très nettes entre les deux villes. Les courbes de Aalen20 (Figure 5) permettent de fort bien illustrer ces différences et

suggère deux dynamiques féminines opposées : une recherche d’autonomie par l’activité à Lomé et, à Dakar, une aspiration à une nouvelle chance d’amélioration du statut par des stratégies matrimoniales recourant au divorce (suivi d’un remariage en général rapide). À Lomé, la quasi-totalité des femmes entre en activité, très peu divorcent en premier. À Dakar, la pente qui concerne l’entrée en activité après le mariage est bien plus lente qu’à Lomé. C’est après plusieurs années d’union (15 ans pour la génération la plus vieille, 10 ans pour la plus jeune) que l’on relève une inflexion correspondant à une accélération de l’entrée en activité. Ces courbes indiquent aussi combien dans les premières années du mariage, les Dakaroises ont plus de risque de divorcer que d’exercer une activité.

Parmi les femmes mariées, on relève une proportion plus importante de femmes qui divorcent parmi les femmes qui travaillaient avant le mariage ; en particulier dans la génération la plus jeune où un tiers des femmes se séparent (Tableau 3). Parmi celles qui ont commencé à travailler après le mariage la proportion de celles qui divorcent est plus faible. La proportion la plus faible de séparation est notée parmi celles qui ne

18 Parmi les autres causes de divorce, nous avons relevé à Dakar la difficile cohabitation avec la belle-famille ou entre co-épouses. 19 Les hommes trop longtemps célibataires subissent aussi ce type de pression de la part de leur entourage.

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travaillaient pas durant leur union. Enfin on constate qu’une part importante des femmes qui ont divorcé, trouve du travail après le divorce. À Lomé, la situation est plus simple une part importante des femmes travaillaient avant le mariage et la fréquence des divorces est relativement plus faible.

Tableau 3 : Ordonnancement des événements Mariage, Activité, Divorce parmi les femmes mariées

Dakar Lomé

G1942-56 G1957-66 G1967-76 G1940-54 G1955-64 G1965-74

Activité Mariage 31 28 23 53 62 65

Activité Mariage Divorce 6 9 12 10 8 3

Mariage 15 20 32 2 4 11

Mariage Activité 31 28 14 27 23 17

Mariage Divorce 1 0 3 0 3 2

Mariage Activité Divorce 7 4 6 6 0 0

Mariage Divorce Activité 9 10 11 1 1 2

Les schémas descriptifs du divorce sont donc très différents à Dakar et à Lomé et laissent transparaître que vie professionnelle des femmes et vie matrimoniale sont nettement moins dépendantes l’une de l’autre à Lomé qu’à Dakar. On a l’impression que les femmes de Lomé acquièrent une certaine autonomie financière relativement tôt, et que la mariage n’obéit pas pour elles à des motifs économiques. Les femmes dakaroises sont moins nombreuses à connaître cette relative indépendance économique avant le mariage ou au cours du mariage. Les femmes dakaroises apparaissent donc comme plus dépendantes de leur conjoint. De plus en plus de dérogations sont accordées aux prétendants, même l’absence d’emploi salarié ou rémunérateur, jadis presque indispensable, est aujourd’hui acceptée. Mais l’attente économique des femmes reste forte et certaines ne sont pas prêtes à se substituer au mari pour subvenir aux besoins du ménage. Lorsque la femme se substitue au mari dans les charges familiales, le chef de famille reste toujours le mari, la femme continuant de se voir dévolu un statut dans le couple qui la place tout de même au second rang. Cette situation est considérée comme frustrante par les femmes et constitue très souvent une source de conflits, susceptibles de conduire à la rupture.

6. PLURALITE DE FACTEURS DU DIVORCE

Aborder la question du divorce, c’est pénétrer l’intimité du couple et toucher un événement encore douloureux. La plupart des enquêtés sont réticents à parler d’une situation encore mal acceptée par les deux sociétés. Différents aspects restent cachés au niveau personnel, mais nous pouvons essayer de dépasser les cas individuels pour essayer d’appréhender certains facteurs structurels et voir si ce sont les mêmes composantes qui favorisent ou non le divorce dans chacune des villes. Pour mieux appréhender cette relation, nous avons bâti un modèle de Cox qui analyse les facteurs influant la durée écoulée entre le début de l’union et l’éventuelle séparation21. Toutes les premières unions des femmes qui se sont mariées dans la capitale de

chacun des deux pays sont prises en considération. Toutes ces unions ne se sont pas soldées par un divorce au moment de l’enquête, mais l’intervalle reste ouvert : ces unions restent soumises au risque de divorce22.

Figure 4 : Proportion de femmes divorcées en fonction du temps

21 Pour plus d’explications concernant l’analyse biographique de la nuptialité voir Antoine (2002).

P r o p o r t i o n d e d i v o r c é e s à L o m é 0 5 1 0 1 5 2 0 2 5 3 0 3 5 4 0 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 1 0 1 1 1 2 1 3 1 4 1 5 1 6 1 7 1 8 1 9 D u r é e d e l ' u n i o n G 1 9 4 0 - 5 4 G 1 9 5 5 - 6 4 G 1 9 6 5 - 7 4 P r o p o r t i o n d e d i v o r c é e s à D a k a r 0 5 1 0 1 5 2 0 2 5 3 0 3 5 4 0 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 1 01 1 1 21 3 1 41 51 6 1 71 81 9 D u r é e d e l ' u n i o n G 1 9 4 2 - 5 6 G 1 9 5 7 - 6 6 G 1 9 6 7 - 7 6

(13)

Figure 5 : Concurrence entre activité et divorce

Plusieurs facteurs sont pris en considération23. Des facteurs culturels comme l’ethnie ou la religion (on

connaît la prohibition du divorce chez les catholiques). Des facteurs démographiques comme l’âge au mariage ou la descendance issue de l’union. La précocité des unions ou l’absence d’enfants sont-ils des facteurs favorisant le divorce ? L’union peut prendre différentes formes, en particulier à Lomé, où la célébration du mariage à la mairie ou auprès d’autorités religieuses est en net recul. L’union peut évoluer par une formalisation progressive. Le statut de l’épouse peut aussi changer au cours de l’union24 : la femme peut

passer, indépendamment d’elle-même, du statut d’épouse de monogame à celui de première épouse d’un polygame ; le premier statut étant choisi, le second se trouve, de fait, imposé par le conjoint. À côté de cette polygamie subie, coexiste une polygamie qu’on pourrait qualifier de « choisie », c’est le cas de la femme qui arrive comme dernière épouse d’un polygame. Le divorce risque davantage d’être une réponse des femmes « premières épouses » à une polygamie « imposée ». La forte mobilité matrimoniale et l’écart d’âges relativement élevé entre conjoints conduit plusieurs jeunes femmes à épouser lors de leur première union un homme déjà divorcé. Cette première expérience négative permet-il à l’homme de mieux « réussir » sa seconde union ? Enfin nous retenons des variables qui caractérisent la situation socio-économique : le type d’emploi occupé par la femme25 et la dépendance en terme de logement. Nos hypothèses sont les suivantes,

les femmes en situation de précarité divorceraient moins ; par contre les ménages n’arrivant jamais à s’autonomiser sur le plan résidentiel risquent davantage de se séparer. L’incapacité de l’homme à acquérir un logement autonome traduirait les difficultés économiques de ce dernier.

Comme le laissaient présager les analyses précédentes, les modèles (Tableau 4) confirment qu’il n’y a pas, dans les deux villes, de différences significatives entre générations. La propension élevée au divorce a déjà

22 Si le conjoint décède, l’observation cesse : le veuvage étant exclusif du divorce.

23 Nous n’avons retenu que des types de variables communes aux deux études. Certains facteurs importants comme les relations de parenté entre conjoints sont absents de l’enquête de Lomé; la prise en considération des périodes de cohabitation ne figure pas dans l’enquête de Dakar. 24 L’intérêt du modèle de Cox s’est de pouvoir prendre en considération les changements de statut au cours du temps.

25 Nous ne disposons pas de la profession du conjoint dans l’enquête de Lomé, et cette variable n’est donc pas prise en considération dans cette analyse comparative. F e m m e s d e Da ka r G é n é ra tio n 1942-56 0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 1 3 5 7 9 11 13 15 17 19 21 D u ré e d e l'u n io n A c tivité D ivorc e F e m m e s d e Da ka r G é n é ra tio n 1957-66 -0,1 0,1 0,3 0,5 0,7 0,9 1,1 1,3 1,5 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 D u ré e d e l'u n io n A c tivité Divorc e F e m m e s d e Da ka r G é n é ra tio n 1967-76 -0,1 0,1 0,3 0,5 0,7 0,9 1,1 1,3 1,5 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 D u ré e d e l'u n io n A c tivité Divorc e F e m m e s d e L o m é G é n é ra tio n 1940-54 0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 1 3 5 7 9 11 13 15 17 19 21 D u ré e d e l'u n io n A c tivité D ivorc e F e m m e s d e L o m é G é n é ra tio n 1955-64 0 0,5 1 1,5 2 2,5 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 D u ré e d e l'u n io n A c tivité D ivorc e F e m m e s d e L o m é G é n é ra tio n 1965-74 0 0,2 0,4 0,6 0,8 1 1,2 1,4 1,6 1,8 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 D u ré e d e l'u n io n A c tivité Divorc e

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été relevée dans de nombreuses études antérieures au Sénégal (Thore, 1964 ; Lo Ndiaye,1985) et dans une moindre mesure au Togo (Locoh, 1984 ; Thiriat 1998). L’effet de l’instruction se fait sentir ; à Lomé les femmes ayant été à l’école ont des risques de divorcer plus rapidement que leurs consoeurs non scolarisées. À Dakar, ce sont les femmes qui ont atteint un niveau d’instruction secondaire (ou plus) qui peuvent divorcer plus rapidement (près de 2 fois).

Tableau 4 : Analyse du risque de divorce chez les femmes à Dakar et Lomé26

Dakar Lomé

Référence Modalité Coefficient Coefficient

G5766 G5564 0,95 0,94

Génération :

Ancienne génération G6776 G6574 1,46 0,62

Primaire 1,01 1,62*

Instruction

Non scolarisé Secondaire et plus 1,90* 1,21

Poular 1,48 - Serer 0,33** - Diola 0,34 - Ethnie Wolof Autre ethnie 1,12 - Mina - 1,75* Ouatchi - 1,09 Ewe Autre ethnie - 1,28 Mouride 2,37** - Tidiane 2,22** - Religion Autre Musulman Chrétien 0,36 - Sans religion - 1,52 Traditionnel - 0,60 Protestant - 1,26 Musulman - 0,88 Catholique Autre chrétien - 0,59

Mariée avant 15 ans 0,81 2,99*

Entre 18 et 20 ans 0,68 0,94

Entre 21 et 25 ans 0,95 1,26

Âge au mariage

Mariée entre 15 et 17 ans

Après 25 ans 0,54 0,85 1 enfant 0,87 1,57 2 enfants 1,45 1,82* Descendance Pas d’enfant 3 enfants et plus 0,88 0,73 Polygame 1er épouse 2,02* - Polygame 2em épouse 1,16 - Etat matrimonial Monogame Polygame 3em épouse 2,12* -

Union formelle 1er épouse - 0,65

Union informelle 2em

épouse - 0,35***

Union informelle 1er épouse

Union formelle 2em épouse - 0,08***

Marié à un homme divorcé

Non Le mari est divorcé d’un précédant mariage 0,43* 0,21***

Patron 0,41 1,19 Salarié 1,97** 2,05* Informel 0,59* 1,01 Période d’activité Inactive Chômeur 2,07 4,50* Logement

Autonome Jamais de logement autonome 4,21*** 2,30***

26 Ce sont les valeurs de exp(ß) qui sont données dans le tableau. Le symbole *** indique que la valeur est significative au seuil de 1 % ; ** au seuil de 5 % et * au seuil de 10 %.

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Des facteurs sont plus spécifiques à chaque ville. À Dakar, les femmes Serer divorcent moins rapidement que les Wolof (groupe culturel largement majoritaire, dont la langue et les coutumes s’imposent peu à peu dans la ville). Les Serer sont des populations souvent migrantes, souvent socialisées en milieu rural et ont peut-être une conception différente du mariage que celle des Wolof. À Lomé les deux principaux groupes ethniques sont deux groupes du Sud les Ewé et les Mina. Les seconds sont urbanisés depuis longtemps et se considèrent plus au fait de la modernité que les Ewé. Ils divorcent nettement plus que leurs coreligionnaires. Une étude menée sur l’ensemble du Togo, mettait déjà en évidence une plus forte propension des Mina à divorcer que les autres ethnies dans les premières années du mariage (Thiriat, 1998).

Le mariage chez les ressortissantes des deux principales confréries du Sénégal est bien plus instable que chez les autres musulmans. Par exemple, chez les Mourides (où le risque de divorce est 2,3 fois plus rapide), dans certains cas, c’est le marabout qui célèbre l’union et quelque fois sans se concerter avec les intéressés. Ce type d’union, ressemblant à celui d’un mariage forcé, est potentiellement plus porteur de risques de divorce. Les chrétiens sénégalais sont très minoritaires et dans cette communauté, le divorce est exceptionnel, mais leur très faible nombre dans l’enquête empêche toute significativité des résultats les concernant. Ce n’est pas le cas à Lomé, où la religion ne semble guère influer sur le risque de divorce.

Contrairement à nos hypothèses, une descendance nombreuse ne semble pas constituer un frein au divorce. Cette divortialité élevée concerne donc de nombreuses femmes ayant des enfants et les recompositions familiales risquent d’être nombreuses27.

C’est à Lomé seulement que l’on constate un effet de l’âge au mariage. Le mariage très précoce (avant 15 ans) semble multiplier (par 3) les chances de divorcer. Par contre, l’effet de la polygamie apparaît clairement dans les deux villes malgré les pratiques différenciées de ce régime matrimonial et les différences d’informations recueillies. À Lomé, différentes étapes de l’union sont recueillies : l’union libre, les premiers pas, l’union coutumière et les étapes de formalisation à la mairie et lors de cérémonies religieuses, ainsi que les périodes de cohabitation. Dans le modèle, le changement de statut matrimonial est pris en considération. À Dakar, on a tenté de recueillir la date d’arrivée d’une nouvelle épouse quand l’union évolue de la monogamie à la polygamie. Le vécu de la polygamie en tant que seconde épouse semble favorable à la stabilité de l’union, en particulier à Lomé, où les secondes épouses (en union informelle ou formelle) se séparent nettement moins rapidement que les femmes premières conjointes en union informelle. Les résultats concernant Dakar confortent ce scénario. La première épouse, dans une union polygame, divorce deux fois plus vite qu’une femme en union monogame. Des analyses antérieures conduites auprès des hommes à Dakar et à Bamako conduisaient à la même conclusion : l’arrivée d’une nouvelle épouse « chasse » la première, apparentant la seconde union de l’homme à une forme de divorce (Antoine et al, 1998). Par contre, épouser un homme déjà divorcé d’une union précédente, offre plus de chances de stabilité de l’union aussi bien à Dakar qu’à Lomé. Le mariage étant la norme, le divorce est perçu comme une anormalité ou un échec. Cumuler les échecs reviendrait à se présenter comme inapte au mariage. Il semblerait que les hommes tirent parti de leur divorce et en font une expérience bénéfique.

Alors que les Dakaroises attendent tout ou presque du mari, les Loméennes n’ont pas la même attente matérielle vis-à-vis du mari. La crise sévit dans les deux villes, obligeant les femmes à seconder ou à se substituer à leur conjoint, mais à la condition, à Dakar, que ce dernier reconnaisse sa défaillance en se gardant de prendre une autre femme. Les femmes à Lomé semblent être plus souples avec leur époux.

Un autre élément de la vie du couple favorise le divorce. Lorsque le nouveau noyau familial constitué n’acquiert pas une autonomie de logement et reste dépendant de la parenté pour être logé, les risques de divorce sont alors nettement accrus. L’incapacité du mari à assurer un logement autonome à son couple accroît la rapidité du divorce. Le risque est multiplié par 2,3 à Lomé et par 4,2 à Dakar. Cette incapacité renvoie au défaut d’entretien, cause de divorce souvent évoquée. Les relations entre la femme et sa belle-famille sont très complexes d’une manière générale. Faire cohabiter sa femme, sa mère et ses sœurs est très souvent source de tensions et de conflits entre elles. L’idéal, pour plus d’harmonie, c’est que le couple ait une résidence séparée et qu’il visite de temps à autre sa belle-famille. Cependant la crise qui s’est installée et qui perdure dans les deux villes fait qu’aujourd’hui, les jeunes couples (et même les plus anciens quelques

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fois) s’installent dans la maison familiale et qu’ils sont alors contraints de vivre au quotidien les problèmes que pose la cohabitation. Ces couples s’exposent plus que les autres au divorce. La femme recherche un cadre de vie sécuritaire qu’elle maîtrise et seul un logement autonome peut le lui offrir.

Dans la capitale sénégalaise, l’exercice d’une activité salariée de la femme favorise le divorce. À l’inverse, les périodes où les femmes exercent une activité informelle (souvent un micro-commerce ou une activité de survie) voient leur risque de divorcer divisé par 2 (0,59). À Lomé, ce schéma est moins net en ce qui concerne les femmes travaillant dans le secteur informel par rapport aux non-actives. Par contre les Loméennes disposant d’un emploi salarié sont plus promptes elles aussi à divorcer. Ces résultats confirment une de nos hypothèses28 : les femmes qui acquièrent une certaine indépendance économique divorcent plus

rapidement que les femmes en situation de précarité. Les femmes ayant acquis une certaine sécurité de revenu ont plus de facilités à divorcer que les autres. Ces femmes, même si elles n’arrivent pas à se prendre entièrement en charge, peuvent satisfaire certains de leurs besoins ou ceux de leur progéniture. Elles peuvent aussi compter sur le soutien supplémentaire de leur famille d’origine qui offre souvent le logis et une partie de la dépense quotidienne. Par contre, celles qui sont dans des situations de précarité économique et qui n’escomptent guère de soutien de leur famille d’origine, sont davantage contraintes de rester en union, ne sachant où aller en cas de divorce. Le comportement des chômeuses (c’est-à-dire des femmes à la recherche active d’un emploi) à Lomé pose question. Peut être s’agit-il des cas où le mari s’oppose à l’activité de sa femme ? Ou bien est-ce une anticipation du divorce : ces femmes sont à la recherche d’un emploi car la situation au sein du couple se dégrade, et elles anticipent le divorce en cherchant du travail avant de se séparer.

7. LE REMARIAGE

Le statut de femme divorcée est mal accepté dans les deux villes et dans l’ensemble le remariage est rapide, ce qui explique la faible proportion enregistrée de divorcées (au sens strict, c'est-à-dire sans conjoint) dans les études transversales. Toutefois le remariage est bien plus rapide à Dakar qu’à Lomé. À Dakar, près de la moitié des femmes sont remariées 5 ans après leur divorce. Cette proportion est un peu plus faible à Lomé. La tendance semble toutefois se ralentir pour les deux plus jeunes générations dakaroises (Figure 6). L’analyse du modèle de Cox (Tableau 5) confirme d’ailleurs cette propension pour la plus jeune génération qui voit ses chances de remariage fortement se ralentir. Dans le modèle de Cox concernant le remariage, nous voulons identifier les composantes concernant l’union antérieure (nature de l’union, nombre d’enfants issus de la première union, durée de la première union) et voir leurs répercussions sur le rythme du remariage. L’urgence du remariage devrait pousser les femmes restées longtemps en union à se remarier plus rapidement à Dakar qu’à Lomé. Si les femmes salariées durant leur première union ont déjà acquis une certaine autonomie, elles devraient se remarier moins rapidement.

Figure 6 : Durée de l’attente avant le remariage

Les modèles concernant le remariage donnent davantage de résultats analysables pour Dakar (Tableau 5). De nombreux facteurs concourent à favoriser ou à freiner le remariage au Sénégal. L’analyse est moins probante en ce qui concerne la capitale togolaise où trois éléments seulement semblent jouer sur le rythme du remariage.

28 Plus nettement à Dakar qu’à Lomé.

T e m p s d e r e m a r i a g e ( D a k a r ) 0 0 , 1 0 , 2 0 , 3 0 , 4 0 , 5 0 , 6 0 , 7 0 , 8 0 , 9 1 0 0 , 5 1 1 , 5 2 2 , 5 3 3 , 5 4 4 , 5 5 D u r é e p é r i o d e d i v o r c é e G 1 9 4 2 - 5 6 G 1 9 5 7 - 6 6 G 1 9 6 7 - 7 6 T e m p s r e m a r i a g e ( L o m é ) 0 0 , 1 0 , 2 0 , 3 0 , 4 0 , 5 0 , 6 0 , 7 0 , 8 0 , 9 1 0 0 , 5 1 1 , 5 2 2 , 5 3 3 , 5 4 4 , 5 5 D u r é e p é r i o d e d i v o r c é e G 1 9 4 0 G 1 9 5 5 G 1 9 6 5

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À Dakar, le remariage de la plus jeune génération est nettement moins rapide que celui de la génération la plus ancienne, confirmant les résultats présentés à la Figure 6. Dans les deux villes, l’ethnie29 ou la religion n’ont guère d’influence sur le rythme du remariage, excepté les chrétiennes qui se remarient très rapidement à Dakar.

Tableau 5 : Analyse du risque de remariage à Dakar et Lomé30

Dakar Lomé

Référence Modalité Coefficient Coefficient

G5766 G5564 0,78 0,62

Génération :

Ancienne génération G6776 G6574 0,22*** 0,50

Primaire 2,11* 1,32

Instruction

Non scolarisé Secondaire et plus 1,39 0,68

Poular 0,94 - Serer 1,47 - Ethnie Wolof Autre ethnie 0,30* - Mina - 0,64 Ouatchi - 0,84 Ewe Autre ethnie - 0,50 Mouride 2,22 - Tidiane 2,08 - Religion Autre Musulman Chrétien 36,6* - Sans religion - 2,17 Traditionnel - 1,73 Protestant - 1,18 Musulman - 4,12 Catholique Autre chrétien - 3,12

Expérience du salariat lors de la première

union Non Oui 0,30* 1,06

Expérience d’emploi informel lors de la

première union Non Oui 0,55 0,57

À la recherche effective d’un emploi lors

de la première union Non Oui 11,62** 3,55*

2-3 ans 2,15 1,25

4-5 ans 1,62 1,24

6-10 ans 8,22*** 2,33

Durée de la première union

Moins de 2 ans

11 ans et plus 8,14** 3,49

1 enfant 2,84** 4,39*

2 enfants 1,79 2,33

Descendance de la première union

Pas d’enfant

3 enfants et plus 2,61 0,61

Polygame 1er épouse 1,13 -

Polygame 2em épouse 1,65 -

Situation matrimoniale au moment de la fin de la première union

Monogame Polygame 3em épouse 3,49* -

Union formelle 1er épouse - 0,59

Union informelle 2em épouse - 0,44*

Union informelle 1er épouse

Union formelle 2em épouse - 0,24*

Divorcée entre 25 et 29 ans 0,41* 0,77

Entre 30 et 34 ans 0,10* 0,38

Âge au divorce

Divorcée avant 25 ans

Après 35 ans 0,07*** 0,08*** Patron 11,57* 0,50 Salarié 1,29 0,84 Informel 2,29 1,01 Période d’activité Inactif Chômeur 0,06* 3,13

Naissance durant période de divorce

Pas d’enfant nouveau

Nouvelle naissance 4,57** 0,31

29 Difficile de commenter la modalité « autres ethnies » qui rassemblent des gens de culture très différente du fleuve, de l’Est et de la Casamance. 30 Ce sont les valeurs de exp(ß) qui sont données dans le tableau. Le symbole *** indique que la valeur est significative au seuil de 1 % ; ** au seuil

(18)

L’expérience professionnelle acquise durant la première union influe à Dakar sur le remariage. En particulier les femmes salariées durant la première union, et qui ont divorcé, sont moins pressées de conclure une nouvelle union, confortant notre hypothèse de l’autonomie opposée au mariage. Le rôle premier d’un mari à Dakar c’est de prendre en charge sa femme. Après l’expérience d’un premier échec matrimonial (certainement dû en partie à la défaillance financière du mari), les femmes disposant déjà de revenus préfèrent différer cette remise en couple. Mais même ces femmes envisagent le remariage à un moment ou un autre ; leur autonomie financière leur permet toutefois de l’envisager avec plus de sérénité et de prendre davantage de temps pour faire leur « choix ». Par contre celles qui se considéraient chômeuses durant leur union se remarient très vite (11 fois plus vite que les inactives durant la première union). Est-ce leur tentative infructueuse de trouver un emploi avant leur divorce qui les conduit à envisager un remariage rapide ? Les femmes qui avaient une durée du premier mariage de plus de 6 ans se remarient très vite (8 fois plus vite que les femmes ayant connu une première union très courte). Elles ne conçoivent pas la vie en dehors du mariage. Les femmes mariées plus longtemps ont peut-être plus d’enfants en bas âge ; elles gagneraient à se remarier très vite pour assurer une certaine sécurité à leur progéniture. Le divorce n’est qu’une période transitoire pour bien des Sénégalaises. Elles divorcent d’un homme pour en épouser un autre. Le remariage pouvant être rapide et prématuré surtout lorsqu’il s’agit de la volonté des parents de la femme (lorsqu’elle est donnée en mariage à un ami ou cousin du frère ou du père).

À Dakar et à Lomé, les femmes qui ont un enfant de la précédente union se remarient plus rapidement que leurs consœurs sans enfant. Les chances de se remarier diminuent avec le nombre d’enfants de la femme. Celles qui n’en ont pas ne se différencient pas à priori des femmes célibataires et peuvent donc encore séjourner sur le marché matrimonial pour ainsi opérer un choix actif du prochain conjoint.

Dans la capitale sénégalaise, ce sont les femmes qui étaient préalablement troisième épouse qui se remarient le plus rapidement. Ce sont peut-être elles qui sont des « chasseuses » de mari ? À Lomé, par contre, celles qui ont fait l’expérience de seconde épouse ne sont guère pressées de trouver un nouveau mari. Celles qui ont divorcé après l’âge de 25 ans se remarient moins vite que les divorcées précoces. Les divorcées tardives se marient moins vite tant à Dakar qu’à Lomé. Arrivent-elles trop vieilles sur le marché matrimonial ? Sont-elles désabusées par le mariage précédent ? Autant de questions qui restent pour l’instant en suspens. Résultat un peu inattendu (mais compréhensible), pour une Dakaroise divorcée une nouvelle grossesse (hors union donc) accroît très fortement ses chances de contracter une nouvelle union. Est-ce une stratégie de remariage que de se faire faire un enfant ?

Avec le rétrécissement du marché matrimonial, l’entrée en polygamie est presque la norme au moment du remariage. En effet, le remariage des divorcées crée souvent des familles recomposées car c’est souvent avec des hommes déjà en union ou ayant été en union et avec des enfants. La fragilisation du lien conjugal conjuguée à un remariage rapide des divorcé(e)s accélère les recompositions familiales selon des modalités qui varient selon l’appartenance sociale. Cette recomposition familiale revêt certainement des formes plus nombreuses qu'en Occident. En effet, aux fratries composées éventuellement d'enfants de chacun des parents divorcés viennent s'ajouter les enfants de chacune des femmes du conjoint polygame.

CONCLUSION

Le schéma du mariage et du divorce ne se présente pas de la même manière à Dakar et à Lomé bien que les deux villes partagent un certain nombre de points communs. À Lomé, on relève une relative indépendance entre l’activité et la vie matrimoniale ; mariée ou non, divorcée ou non, la plupart des femmes exercent une activité rémunérée. Si le divorce ne semble pas bouleverser la vie active des Loméennes, il offre aux Dakaroises l’opportunité d’une réorganisation de leur vie familiale et professionnelle. À Dakar l’analyse des relations entre vie professionnelle et vie matrimoniale laisse présager une attente économique très forte vis-à-vis du mariage. Il est clair que les attentes des femmes vis-à-vis du mari ne sont pas identiques : l’auto-prise en charge des femmes semble être la norme à Lomé et être une donnée nouvelle à Dakar. Ces différences fondamentales font que l’après divorce obéit à des logiques bien différentes au Togo et au Sénégal. Le mariage est censé libérer la femme de ces contraintes économiques, et même lorsqu’une femme travaille c’est avant tout pour faire face à ses propres besoins. L’ampleur de la récession modifie les rapports

(19)

économiques au sein du couple et certaines femmes sont conduites à trouver des ressources pour subvenir aux besoins de base du ménage, et suppléer ainsi les carences financières du conjoint. Les femmes en situation relativement précaire prendront moins le risque de divorcer que celles qui disposent déjà d’une relative sécurité financière dans le couple. Contrairement à une idée répandue, le divorce ne conduit pas, loin de là, à la vulnérabilité féminine. Les plus vulnérables parmi les mariées ne divorceront pas.

Un autre phénomène atténue également l’effet négatif du divorce. Au Sénégal, dans une moindre mesure au Togo, le divorce ouvre une période transitoire, une parenthèse dans la vie matrimoniale : on divorce pour se remarier. La fréquence du remariage après divorce en témoigne. Le remariage peut se faire rapidement surtout lorsqu’il est organisé par la famille d’origine de la femme. Il peut aussi être tardif lorsque le divorce a été douloureux pour la femme ou lorsqu’il découle d’une procédure conflictuelle de divorce. La femme préfère alors profiter de sa liberté chèrement acquise. La femme peut se fixer d’autres priorités comme travailler pour subvenir à ses besoins personnels ou ceux de sa famille. Au Sénégal, l’utilisation de cette marge de manœuvre qu’offre le divorce aux femmes n’est qu’éphémère ; elles y renoncent au bout de plusieurs années de solitude pour retrouver le statut valorisant de femme mariée dans une société imprégnée de tradition et où le mariage est la règle sociale.

L’importance de la mobilité matrimoniale a aussi des répercussions sur un aspect non abordé dans cette étude, celui des recompositions familiales. Divorce, remariage et polygamie conduisent à des systèmes de recompositions familiales très complexes (mais où les situations de monoparentalité seront plus rares qu’en Europe). Les frères et sœurs de mêmes parents peuvent être séparés au moment du divorce. Ils vont cohabiter avec des enfants d’une union précédente ou par exemple, avec les enfants de la co-épouse de leur beau-père. Le remariage31 crée une constellation familiale avec une fratrie très complexe avec des demi frères, des faux

frères et des quasi-frères (ou sœurs). C’est donc toute la structure des familles qui est concernée par la mobilité matrimoniale liée au divorce et au remariage.

31 À Dakar, il arrive aussi que les enfants en grandissant soient les initiateurs du remariage de la mère et tentent, souvent, de la réconcilier avec leur père biologique et de provoquer leur remariage.

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Figure

Tableau 1 :  Niveau d’instruction des femmes présentes dans la capitale au moment de l’enquête   Dakar Lomé  Génération G1942-56  G1957-66 G1967-76 G1940-54 G1955-64 G1965-74 Non  scolarisée  65,98 39,85 31,8 50,82 34,89 26,45 Primaire  21,45 33,12 39,13 2
Figure 1 :  Entrée en union et entrée en activité dans les villes de Dakar et Lomé
Figure 2 :  Répartition des femmes selon le statut matrimonial et l’activité à Dakar et Lomé
Figure 3 :  « Concurrence » entre entrée en union et entrée en activité
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