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Le Prosimetrum des Artes Dictaminis médiévales (XIIe-XIIIe s.)

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DES

ARTES DICTAMINIS

MÉDIÉVALES

(XIIe - XIIIe s.)

A partir de la fin du XIe siècle, apparaissent des traités consacrés spécifiquement à l’écriture en prose contemporaine, qui restrei­ gnent leur domaine à la rédaction des lettres : ce sont les artes dictaminis ou artes dictandi1. La formule en est conçue au Mont- Cassin2 sous le pontificat de Grégoire VII, à une époque où l’ac­ croissement d’activité des chancelleries et le souci de codifier la communication au sein de la societas Christiana rendent urgente la diffusion de normes écrites3. Ces manuels appliquent donc les préceptes de la rhétorique classique à un objet particulier. Soucieux de clarifier cette restriction, l’un des refondateurs du genre dans les années 1120, Hugues de Bologne, propose une première classifica­ tion des types de dictamina destinée, par différenciation et élimi­ nation, à situer le dictamen épistolaire par rapport à l’ensemble de la production écrite. L’une de ses innovations à l’égard d’une rhéto­ rique traditionnelle qui connaissait les genres prosaïque et métrique est la notion de genus mixtum, qui, avec des hésitations (nous y reviendrons dans un instant), reçoit alors le nom de prosimetrum, terme que nous voyons apparaître pour la première fois dans la littérature latine.

1 Pour la définition du genre de la lettre, G. C o n s t a b le , Letters and Letter-Collec- tions, Tumhout, 1976 (Typologie des sources du moyen âge occidental 17), p. 11-25, et pour Yars dictam inis médiévale, M. Ca m a r g o , Ars dictaminis. A rs dictandi, Tum­ hout, 1991 (Typologie des sources du moyen âge occidental 60), avec la bibliographie citée. Les références des artes dictam inis mentionnées dans cet article sont données en annexe, sous la forme d’un répertoire classé chronologiquement.

2 F. J. W o r s t b r o c k , Die A nfänge der m ittelalterlichen A rs dictandi, dans FMS, 23, 1989, p. 1-42 (p. 28-29 en particulier).

3 C’est l’idée exposée dans la première partie de A.-M. T u r c a n - V ., Forme et réforme. E njeux et perceptions de Fécriture latine en prose rimée (fin du X e - début du X IIIe s.), Rome (BEFAR), à paraître (récriture d’une thèse soutenue en 1995).

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Ce texte a été récemment analysé par B. Pabst dans le cadre d’une recherche sur ce que nous appelons aujourd’hui «prosi- mètre » (substantif trop récent et trop spécialisé pour figurer dans les dictionnaires courants) : une œuvre littéraire dans laquelle un auteur exprime sa pensée à travers l’alternance de pièces en prose et de pièces en vers4. E. Norden est le premier des modernes à avoir rapproché, en 18985, la terminologie des artes dictaminis publiées par L. Rockinger en 1863-18646 et la forme dont les œuvres de Martianus et Boèce sont devenues comme les para­ digmes, rapprochement apparu, nous le verrons, en Italie du Nord vers la fin du XIIe siècle. L’adoption du terme médiéval dans le vocabulaire de la critique littéraire moderne et son application stricte à ce que les Anciens appelaient satura remonte apparem­ ment à O. Immisch, qui, en 1921, introduisit cette nouveauté comme en passant : « Diese ‘gemischte Form’ ... will ich mit einem mittelalterlichen Ausdruck Prosimetrum nennen » 1. Ce mot hybride dont le sens nous paraît clair, tant notre culture occidentale croit savoir ce que sont la prose, la poésie, et leur mélange, est devenu d’un emploi général, mais on semble avoir oublié que le prosimetrum d’Hugues de Bologne et ses successeurs ne désignait pas la même réalité que notre « prosimètre » 8. Cela explique d’ailleurs très simplement que le terme prosimetrum n’ait jamais été employé par les commentateurs médiévaux pour désigner ce

4 B . P a b st, Prosimetrum. Tradition und Wandel einer Literaturform zwischen Spätantike und Spätmittelalter, Köln - Weimar - Wien, 1994 (Ordo. Studien zur Lite­ ratur und Gesellschaft des Mittelalters und der frühen Neuzeit 4/1-2), tentative de défi­ nition du prosimètre p. 11-17.

5 E. N o r d e n , Die antike Kunstprosa vom VI. Jahrhundert v. Chr. bis in die Z eit der R enaissance, t. 2, Leipzig, 1898, p. 756 et n. 4.

6 L. R o c k in g e r , Briefsteller und F orm elbücher des 11. bis 14. Jahrhunderts, München, 1863-1864, réimpr. Aalen, 1969 (Quellen und Erörterungen zur bayerischen und deutschen Geschichte 9).

7 O . Immisch, Über eine volkstüm liche D arstellungsform in d er antiken Literatur, dans N eue Jahrbücher fü r das klassische Altertum , Geschichte und deutsche Literatur, 24, 1921, p. 409-421 (p. 409 ; sur la littérature médiolatine, quelques remarques p. 419- 420). Voir à ce sujet D. B a r t o n k o v a , Prosim etrum , the m ixed style, in ancient litera­ ture, dans Eirene, 14, 1976, p. 65-92 (p. 65).

8 Cette analyse a déjà été faite par P. von Moos en 1969 dans une conférence d’ha­ bilitation consacrée au prosimètre, restée malheureusement inédite. Je remercie vive­ ment P. von Moos pour ses courriels toujours très stimulants, et pour avoir bien voulu lire et commenter cette étude.

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type d’œuvre9. Ils disposaient pour cela d’un terme antique, satura/s a tir a 10, et de périphrases qui rendaient inutile la création d’un terme nouveau : ce qui signifie bien que, si un terme différent a été inventé au moyen âge, c’était probablement pour désigner autre chose n .

Je voudrais montrer ici que la Consolation de Boèce n’est devenue le modèle du prosimetrum dans les artes dictaminis du XIIe siècle finissant que par un glissement auquel la terminologie des commentaires de la Consolation, largement analysée par B. Pabst, n’a sans doute pas été étrangère. A l’origine en revanche, prosimetrum et l’adjectif dérivé prosimetricum semblent avoir traduit l’ambiguïté d’un mode d’expression lisible à la fois comme des vers et comme de la prose, passé à peu près inaperçu aux yeux des modernes. Les plus habiles ont pratiqué au moyen âge une prose d’art qui était en même temps poésie métrique et parfois rythmique, que nous ne sommes plus capables de reconnaître à la simple lecture, écriture polyvalente indissociable d’un mode de lecture à plusieurs niveaux, dont nous n’avons plus conscience aujourd’hui.

9 D ’après les relevés de B. P a b s t (cf. p. 269, n. 198 p. 271 : «Es ist keine Stelle bekannt, wo ein prosimetrisches Werk des Mittelalters von einem anderen mittelalter­ lichen Autor als ‘prosimetrum’ bezeichnet würde», et encore p. 273).

10 Avant B. Pabst, voir les exemples cités par U. K in derm ann, Satyra. Die Theorie d er Satire im M ittellateinischen. Vorstudie zu einer Gattungsgeschichte, Nürnberg, 1978 (Erlanger Beiträge zur Sprach- und Kunstwissenschaft, 58), p. 21 sqq: satira semble avoir été réservé par les commentateurs à Sénèque, Martianus et Boèce (ibidem, p. 22 et p. 30).

11 J. Ziolkowski pense que le terme satura était devenu ambigu au moyen âge, à cause du glissement de sens vers la « satire » au sens moderne : satura ne désignait pas nécessairement un texte formé d’une alternance de prose et de vers, et de tels textes n’étaient pas nécessairement satiriques (la référence principale aurait dû être à ce propos U. K in d e rm a n n , Satyra...), mais les textes cités par Kindermann montrent bien que satura / satira, au IXe comme au XIIe siècle, désigne régulièrement trois grands paradigmes du « prosimètre » (Sénèque, Martianus, Boèce), et que les différentes acceptions du terme sont parfaitement connues et assumées au moyen âge ; en outre, J. Ziolkowski ne semble pas conscient du fait que prosim etrum est certainement une création médiévale (J. Z io lk o w s k i, The Prosimetrum in the Classical Tradition, dans Prosimetrum. C rosscultural Perspectives on Narrative in Prose and Verse, cur. J. H a r r is - K. R e ic h e , Cambridge, 1997, p. 45-65 [p. 45-48]).

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Une idée d’Hugues de Bologne

Dans les artes dictaminis conservées, la première distinction formelle entre les différents types de dictamina, qui deviendra un passage obligé des manuels, apparaît chez le chanoine Hugues de Bologne12. Devant robligation d’adapter la distinction antique entre prose et mètre aux développements médiévaux de la poésie rythmique et de la prose d’art, elle se heurte d’emblée à un problème de vocabulaire :

§ II. Duo quidem dictam inum g en era novimus, unum v id e lic e t prosaicu m , alterum qu od v ocatu r m etricum .

M etricum vero a greco m etron trahitur, q u o d latin e m en sura d ic itu r ; inde m etricum id est mensuratum d icta m en latin a lin gua exprimitur. H o c autem reperitu r trip lic ite r: au t cum p e d u m m en sura e t carmen v o ca tu r ; v el num ero dum taxat sillabarum cum vocum con son an tia e t tune riddimus a p p e lla tu r ; seu utroque mixtum qu od quidem prosimetrum c o m p o sitio n e dicitur, ut sequ en tia declaran t exempla.

E st enim carmen : « B ella p e r E m ath ios ».

Riddimus solus ut hic : « hostis H ero d es im pie », e t cetera, e t e st can tu i sa tis congruus quia utrobique rep p eritu r octogon us.

C eterum prosimetrum p ossu m u s d ice re quan do p a r s versifice p a r s vero pro fertu r prosaice, ut exem pla d ec la ra n t : « U go p a tr is m a trisq u e lo co quem

habui sem per, qu icqu id h a b et quecum que v a le t d a t m ih i lib en ter ».

S ed de his alias. Nunc a d p ro sa ic u m revertamur.

§ III. Est autem p ro sa ica ora tio a lege m etri soluta, ut : « n o stra lin gua inter- p re ta m u r» (...) (éd. R o c k in g e r , p. 54-55).

On notera la gêne d’Hugues de Bologne : prosimetrum possumus dicere, comme si le terme n’était pas tout à fait approprié13, ut exempla declarant, comme si cela n’était pas clair en soi.

Hugues appelle donc prosimetrum un type de dictamen qui semble, au premier abord, appartenir au genre métrique ; il en traite en effet pour la première fois dans le genus metricum : utroque mixtum signifie dans ce contexte que le prosimètre est un énoncé

12 Les Rationes dictandi éditées par L. R o c k i n g e r , p . 9 - 2 8 , pouvaient passer pour l’exemple le plus ancien tant qu’elles étaient attribuées à Albéric du Mont-Cassin, mais la datation de ce texte dans les années 1 1 3 8 - 1 1 4 3 et leur attribution à Bernard de Bologne ont changé les données du problème.

13 B. Pabst pense, avec raison je crois, que possum us dicere pourrait signifier qu’Hugues est le créateur du terme (p. 2 7 0 ) ; en tout cas, on n’en trouve aucune trace avant lui.

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poétique mixte, à la fois carmen et rithmus. Hugues passe ensuite aux exemples, et donne du prosimetrum une seconde définition, plus étymologique : quando pars versifice pars vero profertur prosaice ; cette définition semble décrire parfaitement les « prosi- mètres » que l’on connaît par ailleurs dans les pratiques littéraires, et dont les modèles sont Martianus et Boèce. Mais à ce point du discours, se révèle l’inadéquation de l’exemple à la seconde défini­ tion, si du moins on la comprend comme une allusion à la forme héritée de la satura. Le prosimetrum d’Hugues de Bologne semble en effet, autant qu’un mixte de poésie rythmique et de poésie quan­ titative, un mélange de rithmus (par opposition à Riddimus solus) et de prose14, caractérisé par la rime et la parité du nombre des syllabes, mais pas du tout une alternance de pièces en vers et de pièces en prose.

Comme l’a remarqué B. Pabst, l’exemple donné par Hugues est formé de deux hexamètres imparfaits15, dont le dactyle cinquième est remplacé par deux brèves et une longue dans le premier, par trois brèves dans le second, ce qui reproduit la structure rythmique de la fin d’hexamètre. En ce sens, et comme l’a annoncé Hugues de Bologne, il correspond exactement à la première définition : c’est un mélange de poésie quantitative et de poésie rythmique, qui en partie respecte la mesure des pieds, en partie le seul nombre des syllabes, la structure rythmique et la consonantia. Mais on peut dire aussi que cet exemple est formé de deux commata rimant ensemble, se composant de 15 syllabes chacun, et se divisant chacun en trois groupes de 4, 5 et 6 syllabes, dans lesquels les accents toniques

se répartissent de la même façon J-- - J - —

- - - - - - - - - - - - - . Il peut donc être analysé comme un compar parfaitement réussi, dont le parallélisme est souligné par un similiter desinens: en un mot, une prose d’art rimée très élaborée16. Il pourrait même s’agir de prose rythmée, le

14 P. B o u r g a in , Q u'est-ce qu'un vers au Moyen A ge?, dans BEC, 147, 1989, p. 231-282 (p. 232 n. 7), ne retient que cette définition, sans la commenter.

15 B. P a b s t , p. 270, n. 195 ; quem peut subir un allongement devant habui dans le premier vers.

16 Tout en analysant correctement ce texte (« Das von ihm benutzte Beispiel, eine Art Mischprosa aus unvollständigen Hexametern und prosaischen Abschnitten (...)»), B. Pabst continue manifestement de penser que le terme forgé par Hugues de Bologne correspondait en fait au « prosimètre » (p. 270). Il passe ensuite directement, par un

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second comma se terminant par un cursus planus, voire de prose métrique: car ces « hexamètres imparfaits », si l’on conserve à quem sa quantité brève, se terminent par des clausules cicéro- niennes, respectivement un péon 4e — trochée et un péon 1er — trochée17. Le premier comma, ne possédant pas de rime intérieure à la fin de ces groupes de 4, 5 et 6 syllabes, peut être lu comme de la prose pure ; en revanche, le second, en possédant, peut être également décrit comme une petite strophe rythmique fonctionnant

saut un peu anhistorique, au « D e com petenti dictam inum et grata scientia... », qui par son renvoi à Boèce semble lui donner raison (cf. infra) ; B. Pabst s’appuie là sur l’idée que le monde des dictatores était étroit, ce qui lui confère à ses yeux une certaine unité : mais la réalité était bien différente. Le traitement du prosim etrum dans les artes dictam inis montre justement la diversité des écoles et l’importance de la chronologie. B. Pabst dépend d’une bibliographie ancienne (comme l ’ont souligné plusieurs recen­ sions, par exemple D. S h a n z e r , dans Speculum , 7 1 / 3 , 1 9 9 6 , p. 7 4 9 - 7 5 2 , et P. D r o n k e , dans MIJb, 3 1 / 1 , 1 9 9 6 , p. 1 5 5 - 1 5 9 ) ; pour Y ars dictandi, il s’en tient, pour l’essentiel, au recueil ancien de L. Rockinger et à la mise au point de H. J. B e y e r , D ie Frühphase der « A rs d icta n d i», dans SM, 1 8 /2 , 1 9 7 7 , p. 1 9 - 4 3 , ce qui limite son propos, faute de sources (B. P a b st, p. 2 6 9 - 2 7 3 ; P. D r o n k e , Verse with Prose From Petronius to D ante. The A rt and Scope o f the M ixed Form, Harvard University Press, Cambridge [Mass.] - London, 1 9 9 4 , p. 2 , s’est encore moins penché sur le problème ; les artes dictam inis n’entraient pas dans la revue de U. K in d e rm a n n , Laurentius von D urham, Consolatio de m orte amici. Untersuchungen und kritischer Text, Diss. Erlangen - Nürnberg, 1 9 6 9 , p. 5 6 - 8 2 , ni dans celle de K . F r iis-J e n se n , Saxo G ram m aticus as Latin Poet. Studies in the Verse Passages o f the Gesta D anorum, Roma, 1 9 8 7 [Analecta Romana Institut! Danici. Suppl. XIV], p. 2 8 - 6 3 ) . Or de nombreux textes ont été mis au jour depuis les années 1 9 7 0 , en particulier à Münster jusqu’à la parution d’un répertoire analytique des premières productions de Yars dictam inis jusqu’en 1 2 0 0 (F. J. W o r s t b r o c k - M. K l a e s - J. L ü t t e n , Repertorium der A rtes dictandi des M ittelalters. Teil I : Von den A nfängen bis um 1200, München, 1 9 9 2 [Münstersche Mittelalter-Schriften 6 6 ] ; voir les additions proposées par E. J. P o l a k , dans A rbitrium , 1 9 9 7 , p. 2 4 - 2 6 ) , grâce à E. J. P o l a k , M edieval and Renaissance L etter Treatises a n d Form Letters. A C ensus o f M anuscripts Found in Eastern Europe and the Form er U.S.S.R., Leiden - New York - Köln, 1 9 9 3 , et A Census o f M anuscripts Found in Part o f Western Europe, Japan, a n d the U nited

States o f America..., Leiden - New York - Köln, 1 9 9 4 (University of California, Davis. Davis Medieval Texts and Studies, 8 - 9 ) , et M. Camargo, auteur de nombreuses éditions critiques (dernièrement : M. C a m a r g o , M edieval R hetorics o f Prose Composition. Five English Artes Dictandi and Their Tradition. E d ited with Introductions a n d Notes, Binghamton - New York, 1 9 9 5 [Medieval & Renaissance Texts & Studies 1 1 5 ] ) .

17 La connaissance des quantités était sans doute plus répandue q u ’on ne le croit au moyen âge. Ainsi, on s ’aperçoit de plus en plus que les clausules m étriques de la prose d ’art antique étaient connues et pratiquées par certains auteurs : M. C u p icc ia ,

Clausole quantitative e clausole ritmiche nella prosa latina della Spagna visigotica,

dans Filologia m ediolatina, 8, 2001, p. 25-110, et surtout W. B lü m e r , A rn ulf von Lisieux und der lateinische Prosarhythmus im H ochm ittelalter, dans MIJb,37/2, 2002, p. 257-275.

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comme une séquence (4p 5p 6p )18. Le parallélisme entre ces deux commata de 4p5p6p obéit lui-même, à deux rimes près, au principe de responsion des strophes qui fait la séquence19. Le seul commen­ tateur qui, loin d’interpréter le prosimetrum d’Hugues à la lumière de notre « prosimètre », ait cherché à le comprendre, F. Di Capua, l’a décrit précisément comme les deux petites strophes d’une séquence, un texte poétique appelé prosa20. L’ambiguïté du prosi­ metrum se nourrit donc certainement de l’équivocité du mot prosa, qui peut aussi bien désigner la prose au sens où nous l’entendons qu’un certain type de poésie rythmique21, longtemps perçu comme de la prose 22. En ce sens, l’exemple illustre aussi bien la seconde définition que la première. Le nunc ad prosaicum revertamur rejette cependant le prosimetrum, pour la seconde fois, dans le domaine de l’expression versifiée.

Le prosimetrum d’Hugues de Bologne serait donc un énoncé mêlant intimement poésie rythmique et poésie quantitative — celle-ci pouvant d’ailleurs donner lieu à une analyse purement ryth­ mique — , appartenant nettement au domaine de la poésie, mais susceptible d’une lecture «en prose » (y compris en prose métri­ que), en particulier au moment d’une lecture orale qui pourrait permettre à l’auditeur de distinguer à l’oreille les degrés de prose et de poésie, en particulier rythmique: ainsi pourrait-on com­ prendre l’expression pars versifice pars vero profertur prosaice, profertur insistant particulièrement sur la notion de performance orale. A moins que versifice ne se réfère à l’énoncé du vers quan­

18 Cela dit, D . N o r b e r g , Introduction à l ’étude de la versification latine médiévale, Stockholm, 1958 (Acta Universitatis Stockholmiensis. Studia Latina Stockholmiensia 5), ne relève aucune strophe possédant cette structure.

19 Cf. P. K lo p s c h , P rosa und Vers in der mittellateinischen Literatur, dans MlJb, 3, 1966, p. 9-24 (p. 19).

20 F. Di C a p u a , Il « p ro sim etru m » del maestro Ugo da Bologna, Vème partie de Per la storia del latino letterario medievale e del « cursus », 1951, réimpr. dans Id., Scritti m inori, t. I, 1959, p. 549-553 (un article malheureusement ignoré de B. Pabst). F. Di Capua conclut en n. 13 p. 553: «Il dettatore Tommaso da Capua (...) chiama prosim etricon un componimento composto di prose e poesie, come la Consolatio philosophiae di Boezio. In un primo tempo credetti che anche il prosim etrum di Ugo avesse tale significato, ma l’esempio ch’egli porta esclude una tale interpretazione ».

21 Cf. la présentation d’E. R. C u r tiu s , La littérature européenne et le M oyen Âge latin, chap. V ili, Poésie et rhétorique, trad. fr. de J. B r é jo u x , Paris, PUF, Coll. Agora, 1986,1.1, p. 252-253. Plus récemment, cf. D. N o r b e r g , Carmen oder Rhythm us ?, dans M lJb, 19, 1984, p. 63-72 (n. 5 p. 63-64).

22 Cf. P. B o u r g a in , Q u ’est-ce q u ’un vers..., p. 255 sqq, sur la copie en continu de ce type de textes.

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titatif et prosaice à l’énoncé de la mini-séquence rythmique ou prosa, dont le texte est construit sur une mélodie et non pas d’abord selon le schéma d’un vers — et donc le plus souvent copié en continu comme de la prose 23. Les unités de sens iso- ou pariso- syllabiques accentuées de la même façon et liées par la rime, conçues pour une pronuntiatio publique, étaient en soi mélodiques, le passage de la parole au chant n’étant qu’une question d’intensité dans l’exécution24. Les passages plus intensément poétiques faisaient parfois l’objet d’une lecture non seulement cantillée, mais chantée sur une mélodie, comme l’attestent par exemple les deux tentatives de neumatisation d’un passage en vers rythmiques de la Rhetorimachia d’Anselme de Besate25. Faut-il choisir entre les deux définitions d’Hugues et entre leurs significations possibles, telles qu’elles apparaissent à la lumière de son exemple ? On ne saurait les rejeter comme un contresens ou une mauvaise approxi­ mation, si leur apparente inadéquation à notre notion de « prosi­ m ele » ne provient que de notre cadre d’interprétation. Je crois qu’il faut conserver à la double définition d’Hugues de Bologne une ambiguïté qui nous dérange, car elle n’est une ambiguïté qu’à l’égard de notre système de description prose / vers. En effet, cette ambiguïté est le propre d’un certain nombre de textes, qui résistent à la classification distinguant la prose rimée de la prose rythmée, de la prose mêlée de vers isolés, du prosimètre (au sens moderne du terme), et même des formes versifiées26. Ces textes posent

23 Sur ce lien fondamental, cf. P. B o u r g a in , Q u 'est-ce q u 'u n vers..., p. 255, et surtout E a d ., Le vocabulaire technique de la po ésie rythm ique, dans ALM A, 51, 1992- 1993, p. 139-193 (p. 142-143), qui décrit la technique des « proses et séquences » comme une « prose d’art adaptée au chant», soulignant que «la souplesse d’un texte mis en musique devait atténuer ces différences ».

24 F. D e l l a S e ta , Parole in musica, dans Lo spazio letterario del M edioevo. 1. Il M edioevo latino. II. La circolazione del testo, Roma, 1994, p. 537-569 (p. 538-544 en particulier).

25 Ed. K . M a n itiu s, MGH Quellen zur Geistesgeschichte des Mittelalters, 2, 1958. Cf. infra.

26 Voir, par exemple, les nombreux vers et quasi-vers repérés par E. D ’Angelo dans la prose de Pierre sous-diacre, et sa réflexion sur cette forme de « prosimètre » : E. D ’A n g e lo , Prose et vers dans l'œ uvre de Pierre sous-diacre, dans A LM A , 53, 1995, p. 187-199. Au début du XIIIe s., Jean de Garlande donne plusieurs exemples de phrases apparemment en prose qui, telles quelles ou dans l’ordre inverse, sont en réalité des vers métriques, parfois impossibles à reconnaître « parce que la rime (consonantia) n’est pas visible » (parce que située au cœur des mots) : éd. L a w le r , p. 187-188, 1. 1198-1215.

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d’ailleurs de grands problèmes éditoriaux liés en partie à notre incapacité de reconnaître à la simple lecture des vers quantitatifs et même des vers rythmiques : or cette difficulté, au moyen âge, devait être en partie levée par la lecture à haute voix, ses tech­ niques, et les gradations séparant la lecture « en prose » du chant (je renvoie au profertur d’Hugues de Bologne) 21.

Hugues de Bologne semble être le premier, en Europe occiden­ tale, à avoir analysé et nommé une mixité qui, sous différentes formes, existe en fait dans nombre de littératures : un style narratif qui, étant d’abord lié à la performance orale — comme l’indique sans ambiguïté le profertur du maître bolonais —, obéit nécessai­ rement aux lois de ce type de transmission, fournissant à l’auditeur des points de repère pour la compréhension et la mémorisation 28 : découpages de la phrase en sections identifiables, parallèles ou syntaxiquement articulées, ponctuations orales par les clausules rythmées et / ou rimées, effet de rythmisation générale29. Or la régularité ou la quasi-régularité des césures et les jeux de concor­ dance ou discordance des marqueurs que sont la rime ou la clau­ sule rythmique confèrent inévitablement à cette prose une empreinte poétique, puisque le nombre, puis la consonantia des rythmes et des rimes sont les caractéristiques des vers

contempo-27 Le détour par d’autres civilisations permet de mieux comprendre ce phénomène : voir par exemple la tripartition « speech mode » correspondant à la prose, « recitation mode », mode intermédiaire plus proche des vers que de la prose, et « song mode » correspondant aux vers, évoquée par K. R e ic h l - J. H a r r is , Introduction, dans Prosi- metrum . Crosscultural Perspectives..., p. 1-16 (p. 5 ; à propos de la tradition littéraire chinoise, cf. p. 13) ; sur le fait que, dans la poésie épique orale turque, la différence entre prose (souvent rimée et isocolique) et poésie ne soit pas seulement métrique, mais surtout liée à la structure musicale et à la performance, cf. K. R e ic h l, The Mixture o f Verse and P rose in Turkic O ral E pic Poetry, ibidem, p. 321-348, en particulier p. 334 sqq sur les degrés de chant, et conclusion p. 343. Cela dit, il semble qu’il y ait toujours eu une tendance à glisser de la lecture « en prose » (éventuellement cantillée) vers le chant proprement dit, déjà plusieurs fois soulignée dans la Règle des abbés Paul et Etienne (C PL 1850, VIe s.) : et ea cantare debem us quae, sicut beatus Augustinus dicit, ita scripta sunt ut ca n ten tu r: quae autem non ita scripta sunt, non cantemus. (...) ne quae cantando sunt in m odum prosae et quasi in lectionem mutemus, aut quae ita scripta sunt ut in ordine lectionum utamur, in tropis et cantilenae arte nostra prae- sum ptione vertam us. (§ xrv, P L 66 col. 954A). Voir F. Gé g o u, Son, parole et lecture au M oyen A g e, dans M élanges de langue et de littérature du M oyen Age offerts à Teruo Sato, Nagoya, 1973, p. 35-40 (Cahiers d’études médiévales, numéro spécial).

28 E t c e , q u e l e t e x t e s o i t d ’ a b o r d o r a l, c o m m e d a n s l e s tr a d it io n s a f r ic a in e s o u t u r q u e s , o u d ’ a b o r d é c r it , c o m m e d a n s l e m o y e n â g e la tin .

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rains. De nos jours, les livres pour enfants, destinés à une réception uniquement auditive, pédagogiques au sens le plus fort du terme en même temps qu’ils agissent sur le plan intuitif et inconscient dont la langue est la poésie, pourraient en fournir le meilleur exemple. Ce prosimetrum est la langue des littératures non écrites, dans l’histoire de l’individu comme dans celle des civilisations. Aussi le point de vue le plus utile pour nous n’est-il pas celui des latinistes, mais des spécialistes de littératures qui nous semblent plus exotiques, auxquelles on peut trouver de passionnantes introduc­ tions dans le recueil Prosimetrum. Crosscultural Perspectives. L. Haring, à propos des traditions africaines, fait ainsi d’emblée la distinction entre texte écrit et texte oral, montrant que la question du « prosimètre » ne peut se poser de la même façon pour l’un et l’autre ; comme chez Hugues, la distinction principale entre prose et vers s’opère au niveau de la performance : la prose serait parlée (pars vero profertur prosaice), le vers serait chanté30 (pars versi- fice ... profertur), cette distinction n’étant pas pertinente au niveau de l’écrit, puisque les procédés employés et la structure de la phrase ne sont pas différents. Si L. Haring peut écrire « African artistic practice, in fact, undermines the whole notion of ‘prosime­ trum’ » 31, c’est parce que cette pratique correspond parfaitement à la notion de prosimetrum telle qu’elle avait été énoncée dans le premier quart du XIIe siècle, mais non pas à celle de « prosimètre ». Il est d’ailleurs amusant que des africanistes, cherchant à traduire graphiquement l’éventail des modulations de cette « hybridization of ‘verse’ and ‘prose’ », ne fassent pas autre chose que ce qu’a proposé F. Ohly pour traduire graphiquement les recherches de la prose d’art médiolatine, utilisant en particulier les ressources de l’alinéa, de la ponctuation, des capitales32. Cela rapproche évidem­ ment, pour un européen, cette écriture orale du vers typographique.

30 L. H a r in g , The African Challenge, dans Prosim etrum ..., p. 213-223 (dès la p. 213).

31 L. H a r in g , The African Challenge..., p. 214.

32 D ’après L. H a r in g , The A frican Challenge..., p. 218; cf. F. O h ly , Textkritik als Formkritik, dans FMS, 27, 1993, p. 167-219. Certains éditeurs ont déjà recouru à ce type de présentation, mais dans leurs études littéraires plus que dans leurs éditions : pour les plus célèbres, voir l’analyse strophique de certains passages des sermons de Bernard de Clairvaux par J. L e c l e r c q , étude citée infra, n. 107 ; cf. aussi R. B a r o n , Etudes sur H ugues de Saint-Victor, Desclée de Brouwer, 1963, chapitre IV (Le style de H ugues de Saint-Victox, p. 91-120).

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Cela permet aussi de comprendre pourquoi le prosimetrum des origines fait partie du genre métrique et non du genre prosaïque. L ’interprétation d ’Henricus Francigena

Henricus Francigena a reçu la définition d’Hugues de Bologne — tout son passage sur les genera dictaminis s’inspire directement des Radones dictandi prosaice (nostris a magistris tradita) — et a tenté de la clarifier :

D e duobus generibus dictaminum

D u o q u id em g e n era d icta m in is p rin c ip a lia n o stris a m a g istris tradita novim us. v id e lic e t p ro s a ic u m unum . a lte ru m m etricum .

M e tro n g rece la tin e d ic itu r m ensura. Q u o d m em b ru m [sic pour m etru m ou metricum] d iv id itu r in tres p a rte s, in carm en, in R ithm um [rimum nal 610]. in u trum que.

C u m e n im o b se rv a s m e n su ra s p e d u m carmen vocatur. id est. cu m versifice d ic ta m u s sic. M o s e st stu lto r u m reprehendere fa c ta bonorum .

R ith m u s [rimus nal 610] e st q u a n d o p a re s silla b e su n t cum co n so n a n tia et leonitate. Verbi gratia. C rea to ri creatura / b en ed ica t m ente pu ra , et m u ltis aliis m odis.

Utrumque q u a n d o q u e m e tru m e t rithm us ut hic. O rdo m o n a sticu s ecclesias- tic u s esse s o le b a t33. H ic en im e st m ensura p e d u m et co n so n a n tia cu m leo n i­ tate. s e d d e his a lia s tra cta b im u s. n u n c redeam us a d prosaicum .

E s t a u tem p ro s a o ra tio a lege m e tri soluta. Q u o d d ictam en utile d ixim u s sic d ividere, id est. In p ro s a m ta n tu m aliquando. quandoque in p ro sa m sim u l et ep istu la m . P ro sa m tantum , u t S a llu stii om nes libros, et ciceronis. p ro sa m et ep istu la m . u t p a u li. e t q u e a m ic is m ittuntur. non q u ib uscum que se d quib u s voce n o n lo q u im u r (Erlangen 396 f. 48 ; cf. Paris BNF nal 610 f. 33r-v).

Henricus Francigena, gêné par l’appellation prosimetrum, l’a tout simplement supprimée. La suppression de cette dénomination lui permet d’éviter l’ambiguïté du mot prosa, et donc d’éviter la

33 Ce vers provient d’une célèbre satire (cf. v. 2 composui satyram, carmen per saecula clarum , satyra désigne bien un poème dans la veine des satiriques latins, sans aucune allusion au « prosimètre ») contre les moines simoniaques (éd. MGH Libelli de lite, 3, p. 700-701, v. 5). Erlangen UB 396 f. 48 donne aussi une variante du vers suivant : D ura cibaria que p e r agrestia rura legebat. Sans parler de prosim etrum , Albéric du Mont-Cassin évoquait déjà dans le De rithmis l’existence de vers ryth­ miques obéissant aussi aux lois de la poésie métrique : A lii sunt in quibus cum certo et

determ inato num ero sillabarum etiam longitudo et brevitas est prospecta. Q uod est apertius dicere: rithm i p a riter sunt et metra (éd. H. H. D a v is, The ‘D e rith m is’ o f A lberic o f M onte Cassino : A critical Edition, dans M S, 28, 1966, p. 198-227 [p. 208, § 1]).

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seconde définition d’Hugues de Bologne. Désireux néanmoins de conserver les distinctions d’Hugues, il leur a donné un contenu plus « canonique » à l’aide d’exemples adaptés. Le genre mixte (,utrumque), qui n’appartient qu’à la catégorie métrique, est donc maintenant illustré par un hexamètre possédant les qualités propres à la poésie rythmique, l’identité de rythme et de rime : Ordo monasticus ecclesiasticus esse solebat est un hexamètre à rime intérieure passible d’une lecture rythmique (-us 6p p us 6pp — -at 5p)34. Même s’il se trouve que chacun de ces éléments peut être décrit comme une clausule rythmique de la prose : ordo monásticus (cursus tardus) ècclesiâsticus (cursus tardus) èsse solébat (cursus planus), aucune confusion ne semble possible avec un énoncé en prose. Le quandoque fait sans doute allusion à l’emploi sporadique de ce type d’énoncé : nous verrons que c’est l’une des caractéris­ tiques du prosimetrum des origines, qui désignait encore un mode d’écriture non systématique et non pas un type de texte.

Reprise par le Traité Lombard

Le Traité lombard, qui reprend à Adalbert de Samarle sa défini­ tion de la lettre, s’inspire directement d’Hugues de Bologne pour les genera dictaminum :

D u o p rin c ip ia ] lia g enera d ic ta m in u m no vim u s. V num v id e lic e t p ro sa ice, alteru m m etrice. M etricu m vero a greco, m etro n trahitur. q u o d la tin e m e n su ra dicitur. inde m etricum . id est. m en su ra tu m . d icta m en , exprim itur. H o c a u tem trip liciter reperitur. a u t cu m p e d u m m e n su ra ca rm en vocatur. v e l n u m ero tantum . R ith m u s dicitur. seu utro q u e m ixtu m , q u o d p ro s im e tru m d icim us.

C arm en V t B ella p e r em athios.

R ithm us. Vt H o stis H ero d es im pie, e t e s t c o n cre atu m [sic ; H u g u e s d o n n e « et

est cum cantu sa tis co n g ru u m »] et c o n g ru u m . q u ia u b iq u e re p e ritu r o cta g a - n iu s [sic].

C eterum p ro sim etru m p o ss u m u s dicere, q u a n d o p a r s versifice. p a r s p r o s a ic e profertur. Vt exem pla declarant. H u g o p a tris. m a trisq u e lo co q u em se m p e r habui. Q u icq u id h a b et q u o d cu m q u e valet, d a t m ih i libenter. S e d d e h is alias. N u n c [f. 9] au tem a d p ro sa ic u m redeam us. D ic en d u m e st q u id s it prosa. E s t autem pro sa oratio a lege m e tri so lu ta . Vt n o stra lin g u a interpretatur. q u o d p a rtitio n e ta li co ngrue divid im u s. cu m a liu d p ro s a m tantum , a liu d p ro s a m e t

34 D. Norberg mentionne ce type de vers dans son Introduction..., p. 106, com m e un vers rythmique dont les accents sont « lié s ... de la m êm e m anière que dans les m odèles quantitatifs ». Ici, nous avons un véritable hexam ètre, m ais qui s ’offre à l ’oreille comme une poésie purem ent rythm ique.

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e p istu la m n o m in a m u s. P ro sa tantum , u t opus salustii. e t ciceronis. Prosa, et e pistula. u t p a u li. e t q u e m ittu n tu r am icis. vel q u ibuscunque q u itu s viva voce resp o n d eré n o n p o ss u m u s (W ien Ö N B 2507 f. 8v-9).

En fait, la reprise d’Hugues n’est pas littérale. Le texte du Traité Lombard semble plus explicite dans sa première définition, qui fait bien du prosimetrum un énoncé versifié possédant à la fois les caractéristiques de la poésie quantitative (mensura) et de la poésie rythmique (numerus) : cette définition correspond au mode de lecture médiéval de certains vers quantitatifs expliquant historique­ ment la naissance de certaines formes rythmiques. Le Traité Lombard, sensible au «possumus dicere» de son modèle, a pris soin de suggérer l’étrangeté du terme prosimetrum35 en substituant à dicitur un dicimus plus subjectif. Comme son modèle, le Traité Lombard propose lui aussi la définition étymologique du terme, qui semble bien renvoyer aux deux grands genera, prosaicum et metricum, et l’entraîne ainsi vers l’extension d’une définition qu’il sent un peu inadéquate. Sa principale innovation est d’intervertir les mots habui et semper: cela n’est sans doute pas le fait du copiste, car, d’une façon générale, le Traité Lombard semble atta­ cher moins d’importance à la rime que ses deux modèles, et inter­ vertit souvent les deux mots d’une clausule rimée. En agissant ainsi, il supprime tout effet de prose rimée, mais aussi de poésie rythmique ; s’il gommait de sa définition du rithmus toute allusion à la leonitas, il conservait l’idée de numerus : or habui et libenter n’ont en commun ni la rime ni l’accent tonique. L’effet paradoxal de cette petite modification est de donner à la phrase un tour peu gracieux, prosaïque en un mot, mais de rétablir dans le premier comma un dactyle cinquième précédé d’un quem long par position (tout en supprimant le trochée final) — ce qui brise le parallélisme de la mini-séquence : on glisse de plus en plus vers un mélange de prose et de mètre.

35 C ontrairem ent aux affirm ations de B. Pabst, qui n ’en tire d ’ailleurs aucune conclusion, H ugues n ’est donc pas le seul dictator à avoir employé le substantif prosi­

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Les Auree gemme

Les Auree gemme ont une attitude plus radicale. AGB 4-6 reprend le début de la définition d’Hugues de Bologne, de même qu'AGO 26-30, mais toutes deux s’abstiennent soigneusement de la moindre allusion au prosimetrum, se contentant d’une distinction entre prosaicum et metricum. Contrairement au mètre, qui est enfermé dans le carcan de la mensura, la prose se définit par ses possibilités d’extension : Prosa est prolixa locutio absque lege metri composita. Dicitur autem prosa apo tou poson, hoc est a prolixitate verborum. Non enim certo numero pedum et syllabarum constringitur, sed quantum vis convenienter extenditur (.AGB 7-8). Cette définition, reprise dans AGW 21-22, est absente d’AGO. Le genus mixte disparaît donc totalement de la définition des genres, à moins qu’il ne faille voir dans cette « prolixité » une allusion à la prose prolixe encore en vogue au début du XIIe siècle, la prose rimée.

Albertus Astensis de Sancto Martino

Albert d’Asti, qui pourtant suit habituellement Hugues de Bologne avec fidélité, s’écarte un peu de son texte précisément au sujet du prosimetrum, comme s’il avait été troublé par les formula­ tions de son prédécesseur. Albert donne les deux définitions d’Hugues, mais, incapable d’en résoudre l’énigme, il se tire de ce mauvais pas en supprimant l’exemple donné par Hugues, qui seul faisait problème, en particulier par ses allures de prose rimée :

h o c [genus m etricum ] a u tem trip lic ite r invenitur. a u t cu m p e d u m m en su ra , et tune carm en vocatur. vel n u m ero d u m ta x a t silla b a ru m . c u m vo cu m c o n so ­ nancia. et tune rithm us appellatur. seu ex u tro q u e c o m m ixtu m q u o d q u id em ex u triusque co m p o sicio n e ostenditur. h o c a u te m co n se q u en c ia e xem p la d e c la ­ rant. E t enim dicitur. « b e lla p e r e m a th io s » e t cetera. R ith m u s so lu s u t hic. « h o s tis herodes im pie c h ristu m ven ire q u id tim e s » UH iste [f. 2v] sa tis congruus. q uia utrobique re p e ritu r o c to g a n u s. Item . « A v e m a ris ste lla d e i m a te r alm a ». N a m et iste ex o m n i p a r te in ve n itu r exaganus. C eteru m s iq u id e m p ro sim etricu m p o ssu m u s dicere, q u a n d o p a r s a lie u iu s d icta m in is m etrice. p a r s p ro sa ice scribitur. se d de h is h u e u sq u e licet. N u n c a d p ro s a ic u m g e n u s revertí o p o rtet (Paris B N F nal 610 f. 2r-v).

Le prosimetricum fait encore partie du genre métrique. La suppression de l’exemple prépare la spécialisation du terme, qui

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bientôt ne sera plus compris que selon Vétymologie (quod quidem ex utriusque composicione ostenditur). Cette évolution est favo­ risée par le passage de profertur (performance orale) à scribitur (acte d’écriture), de la matière vivante de textes faits pour l’oreille à des textes couchés sur le parchemin, ce qui change complètement les perspectives et porte en germe les déplacements de sens futurs. Peut-être le passage du nom à l’adjectif dérivé traduit-il cette évolution, comme s’il ne s’agissait déjà plus du prosimetrum proprement dit, mais seulement d’un dictamen ayant quelque chose du prosimetrum : le substantif lui-même n’apparaîtra plus jamais dans nos sources.

Bernard de Bologne, responsable d’un renouvellement majeur de l’ars dictandi au milieu du XIIe siècle, n’évoque pas le prosi­ metrum dans les Rationes dictandi. Tout juste peut-on remarquer que sa définition de la prose est écrite en prose rimée36, style que Bernard n’emploie pas fréquemment dans ce texte. Dans les rédac­ tions A et B de la Summa, on ne trouve qu’une bipartition : Dicta- minum siquidem duo sunt genera. Metricum et prosaicum (...) (Vaticano Pal. lat. 1801 f. 1 ; Poitiers BM 213 f. 1); en revanche, le recueil de Savignano di Romagna Acc. dei Filopatridi 45 trans­ mettant la rédaction C de la Summa, lié à Bernard ou à l’un de ses disciples, offre sous le nom du maître un traitement complet des trois types de dictamina, prosaïque, métrique et rythmique37. La mention très curieuse du genus mixtum semble donc caractéristique des artes dictaminis dépendant d’Hugues de Bologne, qui, devant traiter de ce je ne scay quoi, ont fait subir à la notion de prosime­ trum une évolution qui en modifiait le sens, préparant l’interpréta­ tion moderne du terme médiéval.

36 § II, éd. L. Ro ckinger, p. 10.

37 Voir la description d ’E. Far a l, Le manuscrit 511 du «H unterian M useu m » de G lasgow , dans SM, n. s. 9, 1936, p. 18-119 (p. 80-83).

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Patronage de Boèce et glissements de sens

(début du XIIIe siècle)

Pas plus que chez Bernard de Bologne le prosimetrum n’apparaît chez les dictatores français du XIIe siècle, qu’ils aient développé une ars dictaminis praticienne ou « rhétorico-poétique » 38, une spécifi­ cité sensible dès Y Aurea gemma gallica. Je n’en citerai que quelques uns: Raoul de Vendôme, l’auteur de 1’« Erudiendorum instruc- tioni... » 39, Bernard de Meung40, Y Ars dictandi Aurelianensis attri- buable peut-être à Raoul de Tours, ou même le « Floribus rethori- cis... », pourtant écrit dans un style fleuri41, les Introductiones de Transmundus. Pierre de Blois, qui dépend de Bernard de Bologne et de la tradition tourangelle, n’y fait aucune allusion, pas plus que Magister Gaufridus, un maître de passage à Bologne entre 1188 et

1190, identifiable sans doute avec Geoffroy de Vinsauf.

38 Sur ces deux directions prises par Yars dictandi française, la première

représentée par les grands maîtres Orléanais, la seconde par des traités plutôt liés à Tours et par maître Gaufridus, F. J. W o r s t b r o c k , D ie Frühzeit der A rs dictandi in Frankreich, dans Pragmatische Schriftlichkeit im M ittelalter. Erscheinungsform en und Entwicklungsstufen, cur. H. K e l l e r - K. G r u b m ü lle r , München, 1992 [Münstersche Mittelalter-Schriften 65], p. 131-156, en part, sa conclusion p. 154.

39 (...) dictaminum aud m etricum a u d ricm icum a u d prosaicum . m etricum est lite-

ralis edicio que certis m ensuris pedum seu tem porum distinguitur et dicitur a m etros quod est mensura, ricmicum est literalis dictio certo num ero sillabarum concordons et dicitur a ricmos quod est numerus. prosaicum est literalis ed. legem metrorum respuens; longa congruaque continuatione procedens proson enim longum d icitu r; huius pars est epistula. epistula dicitur ab epi quod est supra et stolon quod est m issio quoniam supra vocem deferentis missa. epistula est oratio ex constitutis sibi partibus m entem delegantis insinuons (Paris BNF lat. 15170 f. 20v).

40 (...) D ue sunt species dictaminis. m etricum et prosaicum . m etricum est in quo

observatur correptio et productio sillabarum . quale est virgilianum et ovidianum et cetera, prosaicum est ubi ratio m etri non observatur. quale est tullianum. gregorianum. salustianum. et aliorum prosaice scribentium . p rosaici dictam inis m ulte sunt species, decretum. preceptum. privilegium . omelia, epistule et plures alie P reterm issis aliis agam us de epistula (Paris BNF lat. 15170 f. 16). Texte également cité par J. J. M u r p h y , La retorica nel Medioevo. Una storia delle teorie retoriche da s. A gostino al R inasci­ mento (trad, italienne de Rhetoric in the M iddle A g es, Berkeley - Los Angeles, 1974), cur. V. L ic it r a , Napoli, 1983 (Liguori Editore, Nuovo Medioevo 17), n. 66 p. 260-261, d’après L. D e l i s l e , Notice sur une « su m m a d icta m in is» ja d is conservée à Beauvais, dans N otices et extraits.., 36/1, 1899, p. 171-205 (p. 179).

41 II semble qu’en France, en particulier dans les milieux ligériens, on ait préféré la simple bipartition prosaicum / m etricum (cf. G. C. A l e s s i o , B ene Fiorentini C ande­ labrum..., p. 332 ; pour ne prendre qu’un exemple inédit, les autres étant plus acces­ sibles, on la trouve dans une ars orléanaise du milieu du XIIIe s. inc. Q uoniam tam veteres quam moderni..., dans Paris BNF lat. 1093 f. 81v, premières lignes de la première colonne).

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La théorie en Italie du Nord au début du XIIIe siècle

En revanche, la théorie du dictamen mixte reparaît en Italie du Nord vers l’extrême fin du XIIe siècle, quand Vars dictaminis fleurit de nouveau dans la Péninsule42. On trouve dans le manus­ crit Vaticano Vat. lat. 2776, propriété d’un maître de Plaisance43 travaillant sous l’épiscopat de G. (Grumerius, év. de Plaisance de 1199 à 1210?), faisant également allusion à Crémone, une ars dictaminis qui ressemble à une préparation de cours, peu soignée, dans laquelle des mots sont barrés. Cette préparation semble s’inspirer de Bernard de Bologne dans sa définition de la prose44, mais aussi, pour la définition de la lettre, d’Hugues de Bologne (mention du secret et de l’incapacité du messager). Le professeur évoque l’idée d’un genre mixte, mais sans donner de détails : Dictaminum species sunt tres silicei prosaicum. Metricum. riimicum. aditur enim quartum silicet mixtum quod ex comistione predictorum habet fieri, de ceteris ad presens [ce demier groupe est un ajout] dimitamus, de sola prosaico [Ve] agamus... Dans son résumé très fruste, il ne traite pas de ce genre particulier, mais témoigne de la diffusion locale d’une théorie renouvelée du

42 A près B ernard de B ologne, la production d ’artes dictaminis est essentiellem ent française ; on associe en général sa véritable reprise en Italie avec l’enseignem ent de Boncom pagno, à partir des années 1190 (cf. F. J. Worstbrock, D ie Frühzeit...,

p. 132).

43 A u f. 56v, liste des élèves devant le salaire de leur maître, peut-être plus tardive que le cours : Isti sunt illi qui debent dona magistri ; une bonne trentaine de noms effacés suivent cette indication (Vat. lat. 2776 f. 56v), copiée d ’une m ain du début du X IIIe siècle à ce q u ’il sem ble. Le reste du m anuscrit est une espèce de livre du maître, parfois annoté de la m ain de notre professeur (notes sur le sens des mots, sur la gram ­ m aire) : descr. dans L es m anuscrits classiques latins de la Bibliothèque Vaticane, 3/1, Paris, 1991, p. 600-601.

44 Vat. lat. 2776 f. 56 : dictam en est congrua et aposita literalis com pos icio, de

aliquo [quod] vel m ente vel literis continetur. vel voce significatur : cf. Gervais de

M elkley, qui reprend les Introductiones bernardines : D ictam en est congrua et apposita

litteralis com positio de aliquo q uod vel mente retinetur, vel litteris seu voce signifi­ catur, secundum Bernardi sentenciam (éd., p. 217). Comme Bernard, le maître

anonym e divise la lettre en cinq parties. D ’après un inventaire (dont l ’original est aujourd’hui perdu), la basilique S ant’Antonino de Plaisance possédait à la fin du X IIe ou au début du X IIIe s. des « radones dictandi m ultíplices », identifiables avec un traité de l’école de B ernard de B ologne (cf. Savignano di Rom agna 45 f. 87v Incipiunt

m ultíplices epistole ... a Bernardino com posite) : éd. A. Riv a, La Biblioteca capitolare d i S. A ntonino di P iacenza : secoli XII-XV, Piacenza, 1997 (Biblioteca Storica Piacen­

tina, n. s., Strum enti, 7), p. 52-63, arguments pour une datation postérieure à la date traditionnelle de 1160 ca p. 43.

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genus mixtum, qui inclut nettement la prose dans le mélange des species dictaminum.

Or l’Archivio di stato de Plaisance conserve aujourd’hui dans un petit manuscrit qui semble de la fin du XIIe siècle une ars dicta- minis, peut-être liée à l’activité de ce maître de Plaisance (qu’il en soit l’auteur ou qu’il l’ait utilisée), inc. Ut congruam doctrinam dictaminum habere valeamus...45 On y trouve cette définition des trois types de dictamina, qui curieusement élimine le dictamen rythmique :

D icta m en ita dividitur. dicta m in u m . a liu d e st p ro sa icu m . a liu d e st m etricu m . a liu d prosim etricum . p ro sa ic u m d icta m e n illud. q u o d f i t sin e ulla c o n sid era - cione longitu d in is et brevitatis. so lu m m o d o . e t d ic itu r p ro sa ic u m a p o t o i 46 p roson. id est a p ro lixita te verb o ru m . Veluti d icta m e n sa lu stii e t ciceronis. M etricu m dicta m en est illud. q u o d f i t cu m c o n sid er a cio n e lo n g itu d in is e t b re v i­ tatis. et d icitu r m etricu m a m etron. id e st a m e n su ra q u ia certo n u m ero p e d u m et silla b a ru m constringitur. S icu ti d icta m e n ovidii. e t virgilii. p ro sim e tric u m d ictam en e st illud. q u o d p a rtim f i t cu m c o n sid era cio n e lo n g itu d in is e t b re v i­ tatis. et p a rtim non. Vt d icta m en b o e tii d e c o n so la cio n e. e t d icta m e n p o rs p e r i [sic]. D e m etrico au tem et de p ro sim etric o . n ich il a d p re se n s n eg o tiu m S e d d e p ro sa ico ag a m u s (Piacenza Arch, di Stato, Diversorum Volumen M p. 155

[XII ex] f. 1 47).

D’après le début du traité, dont A. Riva donne une photographie, cette ars est particulièrement proche du De competenti dictaminum et grata scientia..., que l’on date maintenant du tout début du XIIIe siècle, qui serait originaire du sud de la France, mais qui s’est largement inspiré de l’enseignement de Bernard de Bologne (au point qu’on le considérait jadis comme un témoin de la Summa de Bernard) ; il s’en est cependant séparé parfois, en particulier en ajoutant une définition du « prosimètre » qui pourrait procéder d’une relecture d’Hugues de Bologne 48 :

D icta m in u m q u a tu o r su n t genera. N a m a liu d e st p ro s a ic u m , a liu d m etricu m , a liu d p ro seum etricum , a liu d rith m icu m . D e m e trico e t rith m ico a lib i dicetur.

45 L’idée de Congrua doctrina apparaît dès l’incipit de Y ars du Vat. lat. 2776. 46 Signe que le texte copié ici portait une transcription du grec, toy.

47 Feuillet reprod. par A. R iv a , La B iblioteca capitolare di S. Antonino di Piacenza..., pl. XLIV, notice p. 226-227 ; je n’ai pas encore eu la possibilité d’étudier l’ensemble du témoin.

48 Sur l’utilisation de ce texte par l’auteur du D e com petenti..., cf. M. K l a e s , dans Repertorium, p. 125.

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P ro se u m e tricu m u t d icta m e n B o ec ii est, q u o d co n sta t p a rtim ex prosa, p a rtim ex m etro (éd. Br i n i Sa v o r e l l i, p . 2 0 2 ) .

Le témoin de Plaisance est étroitement apparenté à un petit traité dans lequel M. Klaes a vu une esquisse ou un condensé du De competenti dictaminum et grata scientia... (inc. Ut compendiosam et congruam doctrinam...), qui ne lui est connu que par l’un des témoins des Introductiones prosaici dictaminis de l’école bernar­ dine, Zaragoza BU 225 (olim 41) (XIIIe s.) :

[U ]t c o m p en d io s a m e t co n g ru a m do ctrin a m dicta m in is habere p ossim us. p r im o v id e n d u m e st q u id sit dictam en. Secu n d o q u a liter dividatur. u t illam sp e c ie m d icta m in is d e q u a intendim us. exequamur.

D ic ta m en e st co n g ru a verb o ru m ordinacio. fa c ta a d exp rim en d u m id q u o d est in m e n te co n cep tu m . D ic ta m in u m vero IlIIo r su n t genera, n a m aliu d p ro sa ic u m . a liu d rith m icu m . a liu d m etricum . a liu d p rosim etricum . P rosaicum d icta m e n e st id q u o d f i t sin e ulla co n sideratione p ro d u ctio n is e t corruptionis. S ic u t d icta m e n S a lu stii. e t d ic itu r p rosaicum . a p ro so n greco, q u o d e st longum in latino, e t in d e d ic itu r p ro sa , p ro sa est oratio p ro d u cta a lege m etri soluta. [R Jith m icu m d icta m e n e st id. q u o d f i t cum q u a d a m con sid era tio n e num eri silla b a ru m . e t s im ilitu d in is term in a tio n u m . Ut cum dicitur. « Taurum so l intra- verat. e t v e r p a r e n s flo r u m . c a p u t exeruerat. flo r ib u s d eco ru m » , et dicitur. rith­ m ic u m a rithm os. greco, q u o d e st sim ile vel idem ticus [sic] in latin o 49. et inde rith m u s.m i e t rith m icu s.a .u m .

[M Jetricu m d icta m e n e st illud. q u o d f i t cum q u adam con sid era tio n e longitu- d in is e t b revitatis. S ic u t d icta m e n Lucani, et d icitu r m etricum . a m etros greco q u o d e st m e n su ra in latino, q u ia m en su ra tu m h a b et fieri.

[P J ro sim etricu m d icta m e n e st id. q u o d co n sta t p a rtim ex prosa, p a rtim ex m etro. S ic u t d icta m e n p ro s p e r i e t d icitu r p ro sim etricu m a p rosa.se. sive a p ro sa ic u s.a .u m . e t m etricu s.a .u m . q uia f i t ex p ro sa ico e t m etrico. D e rithm ico e t m etrico, e t p ro sim e tric o d icta m in e n ich il a d p re se n s (Zaragoza BU 225 [olim 41] f. 64V50).

S’il est plus proche du De competenti... par sa définition du prosimetricum dictamen, 1’« Ut compendiosam et congruam doctrinam... » est manifestement une autre rédaction du manuel de

49 On peut rapprocher cette étymologie d’une définition comme celle d’Arseginus de Padoue en 1217, à ajouter au dossier constitué naguère par P. Bourgain {Le voca­ bulaire technique..., en part. p. 146-149), où le rythme est toujours lié à l’isosyllabie : est autem rithm us pa rita s consonans sillabarum. et dicitur a rim or rimaris eo quod sillabarum num erus et consonantia veluti p e r rimam subtiliter inquiratur (Padova BU 1182 f. 161v).

50 Je remercie Ch. Vulliez de m’avoir généreusement prêté le microfilm de ce manuscrit.

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Plaisance, comme le montrent l’ampleur de sa classification et, au niveau du détail, le choix de Prosper comme exemple de prosime- tricum dictamen. Pour la définition du rithmus, il utilise un exemple en vers goliardiques du dernier tiers du XIIe siècle qui n’apparaît à ma connaissance dans aucune ars dictaminis anté­ rieure, YAltercatio Ganimedis et Helene51 ; ces deux vers sont cités par Jean de Garlande (éd. La w l e r, p. 166 1. 619-620), mais, 1’« Ut compendiosam... » ne devant rien à la Parisiana Poetria, il est certainement antérieur: nous verrons d’ailleurs qu’il a sans doute été utilisé par un maître padouan dès 1217 (cf. infra)52. Le témoin de Plaisance, très proche textuellement, datant de la fin du XIIe s., il est même probable que nous avons là un état antérieur à celui du De competenti dictaminum et grata scientia... composé en France : comme nous le verrons en parlant de Y Ars dictandi Palentina, c ’est peut-être cette version qui a assuré la translation de la théorie du prosimetricum dictamen de la Lombardie vers le sud de la France. Grâce aux deux témoignages les plus anciens, liés à Plaisance, nous savons ainsi que c’est encore en Italie du Nord, dans le cercle très limité de certains héritiers de Bernard de Bologne, que renaît au tournant des XIIe et XIIIe siècles la théorisation du prosime­ tricum dictamen, et que c’est là que Boèce est devenu le patron du « prosimètre ».

L’un des relais les plus importants de la diffusion de cette nouvelle forme de la classification est le manuel de Thomas de Capoue, qui pourrait en avoir eu connaissance au cours de ses études à Vicenza. E. Heller a en effet noté dans ce traité longtemps utilisé à la chancellerie pontificale l’influence de l’école bolonaise du dictamen53. Comme le maître du Vat. lat. 2776, Thomas reprend à Hugues de Bologne l’idée du genre mixte, mais par l’explication

51 Tradition manuscrite et éd. critique : R. Le n z en, «A ltercatio G anim edis et H elene». Kritische Edition m it Kommentar, dans MIJb, 7, 1972, 161-186.

52 Jean de Garlande ayant enseigné à Toulouse entre 1229 et 1232, il a pu connaître en revanche V« Ut compendiosam... ».

53 E. Heller, Die A rs dictandi des Thom as von Capua. K ritisch erläuterte E dition ,

dans Sitzungsberichte der H eidelberger A kadem ie d er W issenschaften. P hilosophisch­

historische K lasse, 1928-1929, 4. A bhandlung, p. 49, p. 52 et p a ss im ; ce détail pour­

rait plaider pour l ’identification de Thom as avec un hom onym e cité en 1209 par un document de Y Universitas scholarium de Vicenza, bien que les traités bolonais aient connu une large diffusion ; H . M. S challer, Studien zu r B riefsam m lung des K ardinals Thom as von Capua, dans DA, 21, 1965, p. 371-518 (p. 387 ; sur la biographie de

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