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Bene rejoint là ce que disait Boncompagno dans la Palma probablement une vingtaine d’années plus tôt, une citation que je dois à l’amitié de P von Moos : Vel

micum 65... contextum), en passant par le mélange ou la juxtaposi­ tion du métrique et du prosaïque (prosimetricum compilatur),

93 Bene rejoint là ce que disait Boncompagno dans la Palma probablement une vingtaine d’années plus tôt, une citation que je dois à l’amitié de P von Moos : Vel

prosaicum dictamen est ars (...). S ed non debet dici ars, im m o artium mater, quia tota scriptura trahit originem a prosa, nam rithm i et metra sunt quedam m endicata suffragia, que a prosa originem trahunt (éd. C. S u t t e r , p. 106).

que par l’agencement des membra en strophes 94. En revanche, l’as­ similation de la prose avec l’énoncé quantitatif demande plus d’ex­ plications. Bene s’appuie sur le fait que tout vers métrique peut être lu comme un comma en prose (l’inverse n’étant évidemment pas vrai), et sur une théorie du prosimetrum qui ne peut justifier son propos, à mon avis, que si on l’entend dans le sens que lui donnait Hugues de Bologne.

L’auteur d’un vers métrique, même s’il concentre toute son attention sur la succession des longues et des brèves, et donc sur l’ordre artificiel des mots formant son vers, écrit en même temps une phrase en prose. Cela s’entend à deux niveaux: celui de la lecture et de l’interprétation, telle que peut la donner un commen­ tateur, et celui de la composition. L’arrière-plan de cette dernière idée est sans doute une théorie formulée pour la première fois, à ma connaissance, dans la Summa de Bernard de Bologne, qui l’at­ tribue à Bède le Vénérable (chez qui l’on n’en trouve pas la trace 95) :

94 D ’après les exem ples de plusieurs dictatores (Guido Faba par exemple), il sem ble que la prose rim ée ne puisse être confondue avec la poésie rythm ique qu’à p artir du m om ent où des cola ou commata strictement isosyllabiques form ent des séries analogues à la strophe d ’une poésie, en particulier chantée. En effet, des unités de rythm e et de tim bre identique seront le support d ’une m ême exécution mélodique : or la répétition m élodique est le propre de l’hym nodie (pour ces questions, se reporter à F. Della Seta, Parole in m usica..., cité supra). Dans le m anuscrit de Benzo d ’Albe,

réalisé pour le m oins sous la direction de l’auteur (c’est la conclusion de H. Hoffmann,

dans H. Seyffert, M G H Script, rer. germ, in usum schol. 65, Hannover, 1996, p. 50- 51, qui rem et donc partiellem ent en cause, mais prudemm ent, l’ancienne thèse de l ’au­ tographie du m anuscrit), une analyse de la ponctuation et de la mise en page perm et de lever le doute sur le caractère prosaïque ou non de certains passages, le texte faisant alterner prose rim ée, poésie rythm ique et poésie quantitative : mais il est remarquable que B enzo ait fait copier de la m êm e façon (le point après la rime finale du comma ou du vers dans une copie en continu) les passages en prose rimée et les répliques ryth­ m iques du septénaire trochaïque (8p7pp) lorsqu’elles n ’étaient pas organisées en strophes (voir la différence entre les f. 2 et 120v; reprod. des ff. 1, 2, 80v et 120v : éd. Seyffert, entre les p. 54 et 55). Cette ponctuation, en particulier dans les passages en prose rim ée, n ’a été que partiellem ent respectée par l ’éditeur m oderne (cf. ses rem arques à ce sujet, ibidem , p. 70-71). La poésie rythmique ne com m encerait-elle q u ’avec la strophe, la structure d ’un vers non rédupliqué ne se distinguant pas encore de la prosa ry th m iq u e? Selon P. Bourgain, Le vocabulaire technique..., p. 153-157 et pa ssim (en particulier p. 190-191), la strophe est l’élém ent caractéristique du poème

rythm ique aux yeux des théoriciens, après le poème envisagé com m e une unité. Cf. aussi infra, n. 136.

95 Les textes ayant reçu et tenté de clarifier cette théorie sont analysés dans A.-M . T u rcan-V ., Forme et réform e..., prem ière partie, à paraître.

O portere igitu r arbitramur. ut p ro sa ic u m d icta m en tantum con gru e p r o g r e d ia ­ t e in longum quantum ex eisdem v er b is siv e sen ten tia a d unius carm in is con sti- tutionem a d m inus sufficiat. Illam ig itu r congru am litera lem ed itio n em p ro sa m vel prosaicu m dictam en esse con cedim u s que ex v er b is sive sen ten tia unius c a r ­ m inis assum i p o test. Vel ex qu a versum unum exam etrum . v e l pen ta m e tru m constituí p o ss ib ile est. ut p o te ex h oc versu notissim o. « p lu rib u s intentus m in o r est a d singula sensus ». taie p ro sa icu m dicta m en [f. 2] c o m p e ten te r assumitur. « d u m cuiuslibet sensus a d p lu ra in ten ditu r(14pp, c. tardus), m in o r a d sin gu la r e p e r i te(10p, c. velox). » Item hec p ro s a non inconven iens est. « is recte fa lli- tu r(6pp, c. p3pp) qu i sua m en te a p e rte d e cip itu r (12pp, c. tardus) ». ex qua congrue sa tis hic versus elicitur. « f a l l i t e is recte quern m en s su a f a llii a p e rte ».

H oc autem B eda in libro d e a rte v id e tu r significare vo lu isse cum d ice re t hec verba. « D icitu r autem p ro sa lon ga o ra tio a lege m etri so lu ta qu e infra heroicum non d e b et quan titate m utilari. ultra vero q u an tu m libet h a b e r i» (d’après Vati­ cano Pai. lat. 1801 f. 1-2 ; menues variantes dans Poitiers BM 213 f. lv). D’après le texte de Bernard de Bologne, l’énoncé en prose et en vers utilise, pour l’essentiel, le même vocabulaire (ex eius verbis) et exprime la même idée (vel sententia) : on peut — on doit — du vers tirer une phrase en prose, et vice versa. Bernard de Bologne instaure un va-et-vient et un rapport de nécessité non seulement entre la longueur, mais aussi entre le lexique et le sens d’une phrase en prose et d’un vers quantitatif, comme si tout énoncé était dépendant d’un énoncé non-exprimé, comme si tout énoncé était l’un des éléments interchangeables d’une paire vers / prose. Cela semble signifier que l’écriture d’une phrase en prose ne peut pas être dissociée de l’écriture d’un vers quantitatif et vice versa, puis­ qu’il faut vérifier la correspondance entre les deux énoncés, qui se définissent l’un par l’autre. Le copiste du manuscrit Copenhague BR Fabricius 91 4° (Paris, 1170-1180) f. 99v a d’ailleurs joliment intitulé ce paragraphe Prosayci carminis diffinitio. Or, si je le comprends bien, c’est cela que Bene appelle maintenant « faire un prosimetricum dictamen », la composition simultanée d’un double énoncé, l’un d’eux, le quoddam naturale dictamen in quod omnia dictamina resolvuntur, étant sous-jacent et mis en évidence par l’analyse du commentateur. Il s’agit d’un sens encore différent, qui rappelle davantage la pratique de Y opus geminum que celle du « prosimètre » 96. Peut-être était-ce la théorie bernardine de la

96 Cf. dans certains « prosim ètres » les phénom ènes de m icro-opus gem inum relevés par B. Pab st, p. 1028-1029.

composition en prose qui avait poussé ses successeurs de la fin du XIIe siècle à augmenter la triade prosaicum - metricum - rithmicum d’un genus mixtum, analysable tantôt comme un énoncé intrinsè­ quement mixte, tantôt comme une alternance de prose et de vers à la façon de Boèce.

Comme souvent, Bene est celui qui développe le plus l’analyse du dictamen, sans occulter la complexité des problèmes. Cela rend ses explications à première vue difficilement compréhensibles, mais elles ne font que refléter la richesse d’une écriture et d’une perception des styles qui nous sont devenus étrangers. Bene au fond ne se contredit pas, mais explore autant qu’il le peut les degrés de mixité de l’écriture ornée, du « prosimètre » des modernes au prosimetrum d’Hugues de Bologne, en cherchant à l’expliquer globalement par une analyse des processus de l’écriture littéraire et de la lecture qu’on peut en faire.

Derniers avatars

En 1275, Conrad de Mure ne s’attarde guère d’abord sur ces définitions :

O m n is d ic ta m in is se u lo cu tio n is a p u d nos tria su n t genera : P rosaicum , rith­ m icum , m etricu m . E x q u ib u s trib u s qua n d o q u e efficitu r m ixtum , q u o d h abet fie r i ex d uobus, v e l triu m co m m ixtio n e (éd. W. Kr o n b i c h l e r, p. 28).

Comme Bene, Conrad de Mure suggère la possibilité d’une alliance de deux ou de trois des genera qu’il a définis, mais contrai­ rement à lui n’insiste aucunement, dans ce dernier cas, sur la sépa­ ration des éléments du genus mixtum : bien au contraire, il parle de commixtio, terme technique indiquant l’usage simultané, en un énoncé unique, de plusieurs couleurs de rhétorique 97. Plus proba­ blement qu’une définition d’un « prosimètre » admettant 1’alter-

97 La notion de m ixité, à la base, implique un mélange hom ogène de plusieurs ingrédients, donnant naissance à un objet unique : ainsi, quand les rhétoriciens m édié­ vaux traitent des couleurs, en particulier du sim iliter cadens et du sim iliter desinens et de leur com m ixtio, leurs exem ples m ontrent bien q u ’il ne s ’agit pas d ’une alternance des deux couleurs, m ais d ’un m élange intim e dans lequel les hom éoptotes sont en m êm e tem ps des hom éotéleutes (par exem ple M arbode, PL 171, col. 1690, exemple de

com m istum : Com m istum est, in quo duo superposita conveniunt. M êm e chose chez

Conrad de M ure, éd. Kronbichler, p. 87, Perm ixtio: E x hiis am bobus color est

nance de pièces en prose avec des pièces métriques et ryth­ miques98, comme le trimembre de Bene, il s’agit bien encore d’une définition s’inspirant des textes en prose mêlée de vers, ou de textes susceptibles d’une double ou triple lecture, prosaïque, rythmique ou quantitative. On n’a pas assez pris garde au quandoque de Conrad, qui fait écho à ceux d’Henricus Francigena et de Bene : à mon avis, il ne signifie pas que certains auteurs, de temps à autre, choisissent de donner à leur œuvre la forme du « prosimètre », mais que l’on peut faire usage sporadiquement de vers métriques, de vers rythmiques, ou bien d’une prose teintée de poésie quantitative, de poésie rythmique, ou des deux. En effet, vers la fin de son traité, Conrad de Mure revient sur ce type d’écriture, à propos d’abord des langues employées dans la lettre, et de l’insertion de proverbes ou d’expressions dans une langue étrangère, en particulier le grec. Il poursuit :

Item conven ienter queritur, utrum e p is to la ris littera interdum p o s s it sc rib i m etrice vel rithm ice vel mixtim, sc ilic e t p ro sa yce, rith m ice e t m etrice.

Interdum répond à quandoque : de temps à autre, la lettre peut être interrompue soit par un passage en poésie purement métrique, soit par une pièce de poésie purement rythmique, soit par un énoncé mixte, c’est-à-dire en prose versifiée : interdum est en facteur commun, tandis que les deux vel mettent sur le même plan les trois possibilités; on note en revanche dans mixtim scilicet prosayce rithmice et metrice un mode de coordination par et qui ne traduit pas, comme vel, des options, mais au contraire l’unité du mélange.

Réponse : il faut éviter d’écrire des documents en vulgaire, surtout s’ils doivent être produits en justice; on peut insérer de temps en temps un proverbe ou une expression en langue étrangère, suivis d’une traduction... illud idem sentías de metricis et rithmicis versiculis proverbialibus seu auctorabilibus, si taies casus vel nécessitas prosaico dictamini fecerit inseri. Inserí répond bien à interdum : il s’agit d’insertion d’éléments tranchant par leur forme dans un développement en prose. L’écriture mixte n’est plus évoquée ici, sauf si l’exemple du scolasticus de Mayence y fait