':..
LA TRAVERSEE
pu
DI SCQURS MODERNE PAR LE DIALOGUEby
Mlrela SAIH
A Thesis subml tted to the Facul ty of Graduate Studies and Research ln partial fulfillment of the requirements for the
degree of
DOCTOR OF PHILOSOPHY
Comparative Llterature erogram HcGlll University
Montreal Summer 1990
(
Abstrait
LA TRAVERSEE DU DISCOURS MODERNE PAR LE DIALOGUE.
A travers ce travail, fondé sur le dépouillement de source5 primaires et secondaires diverses, appartenant
aux cultures italienne et française du XIXe et du XXe
siècles on veut suivre le parcours discursif de la forme
générique du dialogue argumentatif. On dégage ainsi, à
travers l'analyse des textes dialogués les plus
importants les permanences d'un genre et les changements
d'une époque, la modernité. On voit ainsi évoluer des
idéologèmes et des topoi du socialisme "utopique" et mystique, de la médecine physiologique, de l'èconomie du
libre-échange, des institutions politiques de la
démocratie, de la littérature romantique et
post-symboliste. Enfin, la thèse cherche aussi à évaluer les
enjeux litté:t:aires modernes d'un genre de tradition
Mirela Saim
PHoDo THESIS ABSTRACTo
ACROSS THE DISCOURSE: DIALOGUE AND MODERN HUMANITIES.
Dialogue is a written text representing an oral exchange between two or more persons; it aiso includes catechisms and rhetorically formulated series of queries and responses presenting an argument. Tne purpose of my thesis is to identify the main non-dramatlc dialogues published in France and Italy between 1800 and 1914 and
- through their discu~sive ana1ysis to provide an
assessment of their signification and their impact on modern social discourseo
The first part focuses on the generai discourse
elements of modern dialogue, such as narrativity,
rhetoricai devices, character definltion and function, paratextual structures, etco
The second part includes a series of text analyses
that proposes a study of ideological tendencies of
modern social discourse through the most representative dialogues of the age.
Finally, the third part concentrates on the
literary value and the bulld-up of dialogue as an
aesthetic structure towards the end of the Xlxth century and at the turn of the XXth century.
(
TABLE
DEMATIERES
Remere 1 ements . . . D .5
Avant-propos . . . 7
PREMIÈRE PARTIE. L'espace du dialogue moderne.
1.Le dialogue et les paradigmes du l090s ... 27
2.L'espace textuel d'interlocution ... 33
3.L'Espace narratif du dialogue ..•....•••... 51
4.L'Identification dialogale . . . 74
S.La Rhétorique du dialogue •....•.•....•••... 86
6.L'Espace de correlation pragmatique ...
1077.L'Intercompréhension discursive ... 145
DEUXIÈME PARTIE. Auctor in fabula:
huit visages du dialogue moderne.
1. Charles Fourier:
la passion du social .•...•...•...•..•. 185
2. Franiois Broussais:
la raison physiologique du vivant ...•.... 203
3.J.B.
Say:
la physiologie de la richesse .•.••...•.•.. 215
4.P.S. Ballanche:
de
l'optimisme
historique
àla profération
macrologlque . . . 236
.
S.Joseph de Maistre:
l'ordre de l'interlocution •... 261
6.Henry de Saint-Simon: de l'industrie au lien soclal. . . 278
7.Monaldo Leopardi: le chevalier de l'Antirisorgimento ... 296
8.Giacomo Leopardi: le creux culturel du vécu . . • . . . 307
TROISIÈME PARTIE. Trois traversées diachroniques. 1. Le dialogue économique ...•.•...•... 333
2.Les dialogues soclallstes . . . 361
3.Les dialogues littéraires ...•. ,. 418
CONCLUS IONS . . . . • . . . 449
ANNEXES. A.La rhétorique proférative dans la Dlylno Commedia . . . 466
B.
Bentham et. la fondation constitutionnelle de la démocratie française •...•.... 484C. Liste des dialogues ..••.•..•... 501
-REMERCIEMENTS
Cette thèse est le résultat de plusieurs années de
travail de
recherche et de
conceptualisation,
dont
certains fragments
on déjà paru dans
la presse ou ont
ét~
communiqué dans les colloques, ce qui m'a facilité
une meilleure expression de la problématique étudiée.
Et bien qu'une thèse de doctorat implique, dans le
système canadien actuel, une exigence individualiste, je
me fais un plaisir de reconnattre des dettes morales et
intellectuelles envers plusieurs personnes qui m'ont
aidé par leur confiance et leurs recommandations.
J'ai profité
des discussions amicales et des
remarques critiques des
professeurs
Michel Freitag
(UQAH),
Josef
Schmidt
(McGill),
Elisabeth
Schul~eBusacker
(Universit6 de
Montréal),
Caroline Bayard
(HcMaster). Le
professeur Marcelo Dascal (Université de
Tel-Aviv) m'a donn6 des conseils th60riques
précieux et
m'a
envoy6
plusieurs
de
ses
textes
en
cours
d'apparition. Je lui sui5 ainsi redevable pour la partie
6pistémologique du
travall. Andreea Roman (Sorbonne IV)
et Dana Sismanian (Paris, Etudes Orientales) m'ont donné
des indications bibliographiques IT.pcrtantes.
et aux autres, j'exprime ici ma reconnaissance.
r
Je tiens à remercier de manière particulière M.Marc Angenot, mon directeur de thèse, qui a montré beaucoup de patience et de disponibilité à l'égard d'un travail qui a posé bon nombre de questions difficiles et souvent ennuyeuses, tant pra~lques que théoriques.
Les membres du comité de thèse, les professeurs Eva Kushner (Victor ia College) et G. Di Stefano (McGill) 1
ont aidé aussi à la finalisation des travaux. Qu'ils soient remerciés.
Enfin, last but not least, à cette occasion je veux aussi rendre omage à mes professeurs de l'université de Bucarest (Roumanie) qui m'ont donné les premiers enseignements professionnels et m'ont montré, par leur exemple personnel, combien la recheJche scientifique implique la discipline globale d'"un mode de vie" (Vianu).
-AVANT-PROPOS
1.0. Expression textuelle d'une pratique sémiotique
et communicatlonnelle à dimensions anthropologiques
globales, la dialogue inscrit dans le discours une forme
souple qui a prouvé sa capacité d'investissement
culturel pluriel par une existence multimillénaire.
Si toutefoi~ la condition à la fois transdlscursive et
transhistorique du dialogue est évidente, la complexité
de cette survie à travers les variations d'époque, les
modalités que cette forme discursive simple s'est donné pour réaliser sa cohérence et sa continuité en d~pit des
changement~, sont en mesure de nous conduire à une
réflexion suivie sur les fonctions esthétiques et
extra-esth~tiques du langage, du discours et de l'énonciation
comme acte social. ,
1.1. La "survie des formes" (Focillon) est dans le
cas du dialogue moderne un phénomène qui engage
explicitement toute la structure discursive d' une
époque; l'étude qui se propose de rendre raison d'un
corpus chronologique de textes dialogués implique à la
fois le parcours histor ique et la réflexion sur les
8
travers l'historicité meme de cette forme discursivp. simple à métamorphoses successives qu'on approche une meilleure connaissance de nous-mêmes.
De ce point de vue, la résurgence "flamboyante" du dialogue XIXème siècle, résurgence impliquant plusieurs grands déplacements topiques et tropologiques au niveau du discours social, indique déjà l'approche des grandes mutations culturelles qui sont en voie d'épanouissement dans la première partie du siècle qui est le nOtre: c'est à travers le dialogue, qui connatt une distribution particulière par rapport à l'économie du discours social dans son ensemble qu'on peut
surprend~e le "bouger" idéologique de la socialité
moderne en train de se produire.
C'est en vertu de cette observation première qu'il me semble opportun de revendiquer pour l'étude discursive qui va faire l'objet de cette thèse, les paroles de Michel Serres qui, bien que parlant au nom des "philosophes", constate que la vi~ée générale/de l'approche historique engage toujours la réflexion personnelle concernant l'époque en cours, vu que la manière propt:e de comprendre son propre age est
intimement liée à la connaissance du passé:
Nous, les philosophes, disait-lI, nous sommes des gens qui pensons à long terme. Il faut que nous comprenions le fonctlonneme~t d'une èpoque. Il faut etre assez intégré dans son époque pour voir le plus clairement possible oü va l'évolution1 •
l
9
1.2. De ce point de vue, le XIXe siècle constitue un point d'intèret central car il constitue, pour l'Occident, le dèbut de la modernité et l'entrée européenne dans l'age de la civilisation industrielle. ~our tous ceux qui veulent comprendre le devenir de la société actuelle, la connaissance du XIXe siècle s'avère d'une importance vitale. C'est pour cette raison aussi que la littérature et le discours culturel du XIXe siècle constituent l'objet de nombreuses ètudes, réévaluations, rèinterpretations.
La richesse du discours sur le XIXe siècle est telle qu'il reste pratiquement peu de tachea blanches sur la grande carte du territoire des idées modernes. Les grands auteurs, les auteurs mineurs, les ècrivains hétérodoxes et les auteurs les plus conventionnels, les journaux, les pamphlets ont fait l'objet d'études nombreuses et subtiles, d'évaluations critiques souvent contradictoires, mais toujours argumentées.
Toutefois, une gros secteur de cette abond~hte
littérature n'a encore fait l'objet ni d'une description d'ensemble ni d'une prise en charge critique du point de vue structurel; il s'agit de la grande aire d'un genre mineur: le dialogue non-dramatique.
Par le terme de Q!alogue non-dramatique j'entends une structure textuelle autonome, principalement
10
argumentative, dont l'écriture est dépourvue d'intention théatrale ~u scénique.
Les aspects représentationnels de ce type de textes ne suivent pas la logique de la performance scénique, de même que l'espace de jeu, le gestuel ou
pas de fonction sémique constituée. structurel le texte est déterminé par topique et nor.. par l'action ou
le visuel n'ont Du point de vue le développement la construction caractérielle. Par conséquent, la topique argumentative et le déploiement d'une interdiscursivlté marquée par la différence sont le propre du dialogue non-dramatique. Et on peut aussi avancar dès waintenant que ce genre discursif engage une narrativité restreinte qui fait pendant à la rhétoricité plurivalente et complexe des textes.
L'importance du corpus des textes d'argumentation dialoguée pour le discours social du XIXe siècle ne peut être négligée: son existence et son évolution sont symptomatiques, tant en ce qui regarde sa distribution thématique, structurale. qU'en ce Symptomatique qui regarde sa aussi la logiqu~ typologie de ses transformations argumentatives (topiques): elle est illustrative pour un siècle caractérisé par l'intense conscience du social.
\
-11
Il s'agit,
justement, de l'age qui commence
àvoir dans
l'acte communicatlonnel la forme
privil~gléedu socia1
2et qui, par conséquent,
produit la contextualisatlon
esth6s1ogèün~e~~d~u
__
~d~i~a~1~o~g~u~e~~n~o~n~-~d~r~a~m~a~t~i~g~u~e~par
une
valorisation complexe du convivial.
Ça
valorisation
esth~tiquedu
dialogue
constitution argumentative se fait dans une perspective
de
rég~n6rationesthétique de
la socialité conviviale,
rituel social de portée
m~taphysiquetranshistorique, ce
qui
implique
une
redistribution
complexe
des
comportements discursifs en espace public.
La
rh~toriqueimmanente du dialogue
est souvent
constituée en valeur
esth~tiqueet esthétisante: valeur
qui
àson
tour produit une valorisation littéraire
transdiscursive.
Situé
l'entrecroissement
du
littéraire et de
l'idéologique,
affranchi du rituel
m~taphysique
qui a
fait sa dimension
pour tant de
siécles, le dialogue non-dramatique se retranche dans
une axiologisation poussée de
l'id~ologiqueet ten6
àreprodUire une conyiyialit6 de plus en plus spontanée et
commune. Or,
c'est cette convivialité même qui inscrit
dans
le dialogue
le signe du
temps historique: le
quotidien, le familier, le trivial sont
~langage même
d'une
soci~téqui se veut et se pense
d~mocratique.C'est un des objectifs de cette étude de voir comment
12
cette illusion démocratigue se construit au niveau de la
convivialité dia1ogale.
Car, avant d'être "le siècle des révolutions", le
XIXe est surtout le siécle de
la prise de conscience
d'une "chose sociale" qui s'énonce en se pensant et, dès
lors, se constitue au fur et
a
mesure de sa profèration.
C'est pourquoi
cette "volonté" d'énonciation se fait
entendre
autant
au
niveau
du
discours
de
conceptualisation gnoséologique qu'au niveau du discours
des foules
et de
la propagande communautaire, dont le
phénomène
discursif
le
plus
important serait la
constitution de
la propagande
socialiste comme outil
hégémonique
d'une
idéologie
normative
idéale et
utopique".
Ainsi, la démocratisation malaisée et trouble du
discours de l'idée sociale passe souvent par une mise en
dialogue qui
figure l'6thos
d'un sujet collectif
constitué dans
l'abstraction paradoxale et même
extra-doxale des discours dèsaffiliés·;
par contre, on
ve~raque
la constitution de l'individualisme moderne est
aussi construite
a
travers
l'énonciation dla1ogale,
cette fois-ci
par
la cassure bivalente
de~énoncés
ontologiques,
par
l'intériorisation
intimiste
et
pathémique des conflits extérieurs.
13
1.3.
L'~tudedu dialogue non-dramatique au XIXe
si~cle
est de nature
àfaire apparattre certains points
d'enclenchement du littéraire avec le non-littéraire: la
valorisation esthétique du
fait rhétorique propre au
discours d'enseignement et propaqande populaires sera
symptomatique pour
la relation
àla fois génétique et
structurale qui produit le dialogue littéraire moderne.
D'autre part,
le dialogue non-dramatique revient
dans le champ
pol~mique- qui lui est propre
àpartir du
XVIIe
si~clepour lui ajouter une dimension
d~mocratisante.
Redevenu· outil de
lutte politique avec
la Révolution fran9aise, le dialogue
pol~miquesera de
plus en plus utilisé pour
montrer
et expliquer les
polarités
conflictuell~8du champs politique, économique
et sociologique.
En
m8me
temps,
les connexités
discursives,
de genre et de
théme,
illustrent une
gestion nouvel)e et dynamique de l'espace public.
La diffusion par
les
journaux,
de circulation
restreinte
~moyenne
en m8me
temps,
ainsi que' la
diffusion par colportage des
pamphlets dialogués au
niveau populaire fait du dialogue un outil de choix dans
le transfert des
connaissances,
visant
àinfluencer
l'action sociale par
l'~criture.Or, l'on constate que,
à
son tour, l'écriture du dialogue s'adapte de plus en
plus
àl'oralité quotidienne et finira par la valoriser
r
1
14
naturaliste,
pour
la construire comme
effet du réel
convivial.
Dans
cette logique,
on
verra,
au
tournant du
siècle,
le dialogue non-dramatique
revenir dans les
sphères du discours intellectuel, mais cette fois-ci ce
sera en guise d'instrument de la délibération sur le
banal. La figuration d'un ordre délibératif est ainsi
constituée sur l'axe d'un
~uotldienesthètisè: elle vise
à
former
et
reproduire
une
pratique sociale
habitudinale,
indiquant
la
valorisation plurielle,
ludique et esthésiogène du convivial: c'est le cas des
dialogues de
Rémy de Gourmont, Julien Benda, Léon Blum,
Maurice Barrès.
Le dialogue se donne ainsi
àvoir comme
làfigure
textuelle minimale de la communication sociale avec tous
ses
développements
contradictoires:
structure
de
construction consensuelle
où
d'affichage polémique,
formalisation
positiviste
ou
expressivité
d'un
ind i vidualisme
créateur,
socialité
harmonique 'et
discours de
propagande,
souvent
inscription d'une
prescriptivitè sociale
des intérêts individuels.
visant l'harmonisation idéale
1.4. structure axiologisée par
définition,
le
dialogue fait preuve d'une production discursive hors du
commun,
si
bien
qu'Il
peut
être
considéré
(
(
1S
raisonnablement le foyer discursif par excellence du
problématique
cc.mstitué
pour
mettre
en
texte
l 'opinable,
le controversable et
le discutable,
le
dialogue devient, au XIXe siècle la
forme discursive la
plus adèquate pour représenter le problématisable et le
questionnable du discours social. Le sujet collectif y
est individualisé pOUl
assumer un discours d'opinion
doxique ou doctrinaire,
de sorte que l'appropriation
discursive se fait toujours de maniére directe, montrant
comment se fait concrètement
l'assignation sociale des
idéologèmes et quel est le rapport discursif en place.
De ce polnt de vue le développement du dialogue de type
catéchétique, qui
prend en charge un savoir social de
contenu
àla fols prescriptif et utopique dans une forme
centrée par
le dispositif de contrOle hérménéutlque,
s'inscrit dans la tendance plus ample de la constitution
du discours
normatif désacralisé qui
accompagne la
formation de la modernité au XIXe siècle.
1.5. On
assiste en même
temp~au
phénomène du
déplacement du dialogue en ce qui
regarde
le niveau
discursif: il n'appartient plus au seul discours lettré
d'une élite
intellectuelle ou professionnelle, comme
dans l'Antiquité ou au Moyen Age.
Par
contre,
les
"dialogues en villageois" (Flaubert) s'imposent comme un
sous-genre
àrhétorique spécifique et
àterritoire
..
16
argumentatif d'extension maximale. La "genèse intersubjective de l'abstraction" (Serres) qui fondait la tradition formelle des dialogues socratiques est maintenant reconstituée suivant une logique du concret, de l'intelligibilité directe et
ample.
de l'accessibilité
Cette logique, à inscription historique de la modernité, fait resurgir l'autre tradition du dialogue littéraire, la tradition du dialogue satirique, illustrée dans l'Antiquité par Lucien de Samosate
(125-192) et par les symposia.
Seconde dans l'ordre chronologique, la tradition du dialogue satirique a englobé depuis le commencement le fragmentaire, le comique, l'invective et le jeu de la dérision,
social et
affichant une conscience du "carnavalesque", l'époque, dominait aussi la diatribe.
très poussée conscience qui,
du
a
1.6. Le dialogue non-dramatique de traditlon philosophique est aussi intégré à une nouvelle logique discursive du savoir, une logique qui produl t
l'esthétique par l'abandon de l'abstraction et du déductif pour le remplacer par le concret et le banal.
Il présente aussi une stratégie de constitution épistémlque qui a un rapport direct avec l'empirisme gnoséologlque de l'époque, avec le positivisme
-17
expérimental et les
procédures inductives dominant le
discours du savoir
scientifique
expression du
morcellement moderne
du discours de savoir en sphéres
autonomes
suivant la différenciation
de
la raison
compréhensive? et amorce de la "dispersion des genres de
,
discours"
(J.F.Lyotard)
qui
caractérise
contemporanéité.
2.0.
Le
corpus
de la présente étude comprend
grand nombre de textes dialogués
puisés dans
tous
domaines du champs
discursif propre aulc. sciences
la
un
le
"de
l' homme"; il traverse une période qui prend son
terme
i..Wl2.
en
1800et son
terme ad
guem
en
1914,ce qui
correspond
àune période de la modernité encadrée par
l'Empire napoléonien et par la premiére guerre mondiale.
Les textes
de ce corpus sont, pour la plupart inconnus
ou peu connus,
ce qui
implique
la reconstruction du
canon
textuel
consacré
par
l'histoire littéraire
traditionnelle.
On
comprend bien que
l'extension' du
corpus canonique
améne forcément une vision nouvelle en
ce qui regarde
la structure d'ensemble du discours
soc ial moderne.
La
condition du
corpus, construit par un critére
sélectif qui se soutient par la situation empirique des
phénomènes
textuels,
correspond
déjà
une
présupposition méthodique:
on distingue d'abord entre
18
les dialogues non-dramatiques et les autres formes discursives pour ordonner ensuite
cohérent les éléments les plus dynamique du corpus.
dans un système pertinents de la
2.1. La mise en ordre du corpus a été précédée par une opération de périodisation des texte~ étudiès, critère chronologique ordonnateur implicite à la mise en page du schéma analytique et à l'élaboration théorique et historique du modèle socio-discursif de la modernité, modéle qui articule les analyses individuelles des textes. Ainsi, la discussion théorique du modèle narratif, rh~torique et herméneutique des dialogues du XIXe siècle est censée encadrer les analyses des textes
les plus importants.
Comme dans le plus grand nombre d'études portant sur le statut d'un genre discursif, l'exhaustivité reste un objectif illusoire. Ceci pour deux raisons, dont la première concerne la qualité m@me des coupures systématisantes: la vie des formes et des idées poursuit un cours continuel et inscrit toujours une dynamique sous-jacente qui se pr@te mal aux coupures, bien que celles-ci soient nécessaires du point de vue méthodologique.
A bien y regarder, tout accord synchronique cache un déterminisme diachronique, des motivations et des
19
(
données qui sont explicables seulement en perspective
historique,
puisqu'elles sont le
fruit du
travail
exécuté
par
des
forces
antérieures.
Dans
cet~rperspective,
le
moment,
qu'on
étu('He
en coupe
synchronique, n'est que
le point d'arrivée d'un passé
qui marque de ses traces le discours de
l'histoire; ce
passé -
qui aboutit
àce qui nous est présent - reçoit
souvent sa valeur réelle seulement
par l'ouverture vers
le possible et l'avenir, engageant ainsi une dialectique
du devenir qui défie la linéarité des chronologies
et
des déterminismes univoques.
Je me
suis donné beaucoup de peine pour trouver le
moyen le plus adéquat
d'analyse, de description et de
classification du
corpus. Car,
face
àun corpus
àla
fois hétérogène et homogène,
limité seulement
par une
opèration
de
réduction
préalable,
les principes
habituels de classification se trouvent mis en déroute.
2.1. Ainsi
on pouvait suivre une classification
topique,
ou
une
classification suivant
l'intention
auctoriale,
ou
même
une
classification qui
aurait
favorisè le type de destinataire.
Aucun
de
ces critères de
classification cependant
n'aurait fait
justice ni
àl'immense
richesse du
20
matériel ni à sa place exceptionnelle dans l'ensemble du discours social moderne.
J'ai donc opté pour une perspective à la fois historique et structurale, considérant qu'ainsi je serai en mesure de rendre compte de la complexité phénoménale des textes dialogués qui constituent mon corpus.
Je me suis donné pour tache de suivre la dialectique du changement di5c~rsif s'exprimant dans la différenciation idéologique à l'intérieur des textes. Par conséquent, il m'a semblé que l'approche la plus juste devrait être à la fois descriptive - de prise en charge de ce corpus inédit- et structurante, cherchant à
récupérer la signification "fonctionnelle" (Hukarovsky)-des textes dans leur intentionnalité historique et dans
l~ur position discursive, selon une perspective qui tient compte aussi de l'inhérente constitution transférentielle du texte chez le chercheur'.
2.2. C'est à travers le rapport icOnique des textes avec la réalité que se réalise ou, pour parler comme Hukarovsky, se "concrétise" le sens du texte. Dans le cas particulier du texte dialogué à caractére argumentatif, ce rapport est ~ configuré dans le texte, représenté qu'il est par l'échange personnalisé qui produit et montre justement la relation de l'énonciateur avec le destinataire.
21
Alors, la démarche critique tient à la reconnaissance de la condition ontologique des textes qui font l'objet de l'analyse: selon les remarques très pertinentes de Dominick LaCapra cela impose la perception de la nature relative et relationnelle de l'étude par rapport au texte
,
"the active ackncwledgement that a text is neither a fully embedded contextualized entity nor a Rorschach test."103.0. Dans Id présente étude je n'ai pas cherché à
faire revivre le passé, mais à en retrouver le sens et la configuration dynamique. De cette manière, la méthodologie des étude~ discursives, qui fait une part impor.tante à la contextualisation plurielle des textes, m'est apparue la plus adéquate pour dégager la signification la plus pertinente d'un corpus qui traverse l'ensemble du discours social des disciplines
humani~tes l'époque de leur constitution
institutionnelle.
Le discours moderne de la socialité conviviale, qui natt avec les aubes de la modernité, p~end ainsi tout son sens. Et c'est par le biais du dialogue, genre qui traver~e le discours moderne de faion "diagonale" et interstitielle, que les enjeux axiologiques, le circuit de valeurs propres à la civilisation moderne, res~ortent
-,
22
3.1. L'insertion du discours dans l'histoire politique, économique et idéologique du XIXème siècle est à percevoir à la fois comme intégrant l'immanentisme discursif et comme cadre de son devenir. De cette manière le discours et l'action historique sont à la
fois consubstantiels corrélation implicite et dans co-signifiants, leur dynamique par une commune et interconnexe. Or, c'est justement cette condition de dynamique corrélative du couple discours/praxis historique qui fonde la possibilité ultérieure de leur interlisibilité réciproque et qui nous offre la possibilité
heuristique.
d'un discours herméneutique à valeur
Les mouvements para-doxaux, les déplacements doxiques et les métadoxies en pui~sance constituent ainsi de l'action historique,
événementiel propre. Leur
car Ils effet
ont un caractére historlque est concevable à deux niveaux: celui du devenir discursif meme et celui de l'action historique comme pratique empirique.
Dans cette perspective qui implique une dialectique complexe et complète des tous les facteurs matériels de l'histoire l'intégralité complexe et variée du discours d'ensemble est posée comm~ primaire:
23
charge autant les irrégularités synchroniques que les parcours diachroniques et les persistances a-chroniques et anachroniques les raisons d'existence et d'évolution de cette riche phénoménologie discursive, dont la contradiction n'est qu'une des faces. De ce fait,
les ruptures, les antinomies et les polarités seront toujours envisagées sous le jour de leur encadrement dans le continuum impliqué par la sphère intégrée et agrégée d'idéologémes.
3.2. Il va sans dire que cette fayon de concevoir la recherche est nettement transdiscursive, puisqu'elle s'efforce de dégager la physionomie typologique et figurale de l'époque choisie à travers et au-delà des bornes discursives (tout en les impliquant pourtant); elle est relativiste et comparative, en ceci qu'on a pleinement conscience de la fondation hétérologigue et hétérogène des faits examinés, du fait que les trajets et les formations discursives sont toujours produits par une pratique culturelle plurielle.
3.3. Selon cette logique - d'un modèle conceptuel complexe - la structure de ma thèse comporte plusieurs parties: l'étude de la problématis' tion théorique des textes dialoguès par rapport à la narratologie, la rhétorique et l'herménéutique, l'analyse des principaux
24
textes représentant l'évolution du dialogue non-dramatique au XIXème siècle dans la perspective de leur specificité idéologique (formelle et/ou argumentative), et, finalement, l'évaluation des enjeux culturels du dialogue moderne par le biais d'un examen de leur surdétermination historique, à savoir les "traversées diachroniques" du discours social.
Je compte ainsi inscrire mon travail dans un comparatisme renouvelé, issu de la rencontre des nouvelles méthodes d'analyse discursive avec la perspective relationnelle et humaniste, engagée dans l'étude des rapports et des continuités, propre à la littérature comparée et générale traditionnelle.
NOTES
l.Cité par Jürg Altwegg, Querelles de Français ~ nouvelle trahison des clercs), Paris, Grasset, 1989,p. 332. 2.Ce qui explique l'apparitlon, au tournant du siècle, des systèmes théoriques qui identifient la socialité avec la communication sociale et, dans un sens restreint, avec la presse (écrite) et le dialogue (oral). Voir, dans ce sens, la monographie de Hano Hardt, Social Theories of the Press.Early German and American Perspectives, Beverly Hills, London,
Sage PUblications, 1979.
3.Je vais employer le terme d"esthésiogénèse" pour indiquer la (sur)valorisation estnétique d'une structure textuelle qui a, inltlelement, une fonction différente:
,:(
{
25
ethique, argumentative, utopique, etc.
4.Voir H.Angenot, "La propagande socialiste. Eléments de rhétorique et de pragmatique", Texte, 7, 1990, p.l-S. S.Voir, dans ce sens, la seconde partie de mon travail d'analyse discursive.
6.Car il l'était déjà, du temps des mazarinades et des pasquinades.
?Voir dans ce sens Kant, Critique de la raison pure. 8. Pour la notion de fonction je renvoie à l'étude ne Jan Hukarovsky, "Estetika, funkce, norma a hodnota jako socialni fakty", Studie z estetiky, Praha, Odeon, 1966, p.17-54. L'étude constitue un dépassement précieux du formalisme dans la direction d'une corrélativisation plurielle de l'ordre esthétique a l'ordre culturel.
Une position théorique similaire a été adoptée par le comparatiste roumain Tudor Vianu dans ses études consacrées à la théorie des valeurs culturelles (voir Tudor Vianu, Ct~dil de fi10zofia culturii, Bucuresti, Editura ~minescu, 1982)
9. "On doit à Hukarovsky cette phrase lumineuse qui dit que "la fonction esthétique transforme tout ce qu'elle saisit en signe". Cette phrase est importante non seulement parce qU'elle souligne le statut particulier qui revient à la sémiotique en esthétique, mais aussi parce qu'elle donne à entendre que ce statut se définit par le rapport que l'art entretient avec la réalité."
(Wolf Dieter Stempel, "Aspects génériques de la réception", Théorie des genres, Paris, Editions du Seuil, 1986, p.166)
10.Dominick La Capra, "On the Line: Between History ~nd
,
PREMIERE PARTIE.
L'Espace du dialogue moderne: préliminaires sur les structures textuelles et leur rapports pragmatiques.
Hon cher monsieur, il n'y a dans le monde que des rapports, et tout dépend du point de vue. Pour mon père, je suis un fils; pour mon fils, je suis un père; pour mon domestique, je suis un mattreiPour le roi, je suis un sujet, qui paye l'impOt sans l'avoir votè; pour mon ennemi, je suis un scélérat; pour mon ami, je suis un homme avec lequel on ne se gene pas; pour vous qui me faites l'honneur de discuter avec moi, je suis un adversai~e; appelez-moi donc l'adversaire, voilà l'étiquette demandée.
27
CHAPITRE l
LE pIALOGUE ET LES PARADIGMES DU LOGOS;
RACONTER LA RAISON ET RAISONNER pU RECIT
••• cette conversation qui vous
ennuie est pour ainsi dire un
fait par elle-même.
(Crébillon fils, Le Sooha)
0.0. Déf1nir le dialogue moderne implique déjà une
double tache en ce qu'elle impose une double référence:
à une histoire du dialogue - encor~ ab:3ente - et à une
théorie typologique des structures textuelles
dialogales, également absente.
Le mie~x qu'on puiss~ faire, en l'absence de ces
outils, serait donc de renvoyer aux études fragmentaires
,
sur les dialogues classiques, études qui ne manquent
pas; la bibliographie finale en donne un aperçu.
1.0. 1 1 reste que pour procéder à une l'tude tant
solt peu cohérente, des définltions de départ sont
nécessaires, ne serait-ce que pour établir la bas~ d'un
commentaire critique et le schéma d'une approche
28
Dans ce sens, la définition du Dictionnaire de la langue du XIXe et du XXe siècle1 constitue un point de
départ possible. Le dialogue y est défini comme une Oeuvre didactique, littéraire ou philosophique, écrite 1 ~ous forme de conversation entre deux ou plusieurs interlocuteurs, de manière à mettre en évidence la contradiction ou, le cas échéant, la convergence entre les opinions, les idées, les thèses que l'auteur les charge d'exposer. (oD.cit., tome VII, p.IS3)
La définition reprend, en la neutralisant, l'ancienne définition, d~venue classique, que l'on trouve chez Diogène Laêrce, dans ses Vies. doctrines et sentences d&s philosophes illustres2
:
Voici ce que c'est un dialogue:c'est, sur une question philosophique ou politique, un discours par questions et réponses, en un style harmonieux, avec des paroles appropriées aux caractères des interlocuteurs. (t.I,
p.179).
1.0. Les deux définitions ont en commun la mise en évidence d'un contenu argumentatif expositlf, enclenché par une structure de représentation personnelle minimale: ainsi, dés le début et jusqu'à nos jours le dialcgue est perçu et théorisé comme raisonnement assumé. énoncé par un couple d'agents concrétisés dans un récit, r~cit qui médiatise l'ethos rhétorique et justi f ie la jonction caractère/dérxis, exemplum/lqisonnement.
29
2 .0. Au-delà des distinctions et des
transformations que vingt siècles de tradition écrite ont pu apporter, le dialogue se montre excessivement stable du point de vue de la théorie des genres. En fait, il montre aussi parfaitement que la constitution nucléaire de tout texte à effets littéraire et à
intelligibilité minimale se trouve à l'encontre de deux grands axes paradigmatiques du discours: l'argumentation raisonnée et la narratlvité diérétigue3
, le logos et
l'ethos mythoporétique.
Ainsi, en simplifiant à l'extrême, tout dialogue est une (dia)noétique structurée par une rencontre, à savoir un discours d'argumentation appuyé par un
(méta)récit qui institue l'énonciation transitive et répartit les responsabilités locutives· selon des rOles cognitifs et/ou pathémiques5
• ,
De ce fait les questions propres au dialogue semblent s'articuler selon une gestion discursive particulière en ce qui regarde la rencontre textuelle dela détxis et de la fable racontée. Par conséquent, cette problématique renvoie à une heuristique partagée du rhétorique et du littéraire: les articulations du texte participent ainsi de manière variable - mais corrélative - à la conceptualisation d'un discours à
30
pratiques soclo-culturelles entratnant des
surdéterminations historiques plurielles.
D'où son importance pour la théorie du littéraire
vu comme effet esthétisant déterminé par le changement
historique pluriel des civilisations.
2.2. La jonction d'une sémiotique de l'action
discursive et du raisonnement place l'étude du dialogue au carrefour de nombreuses voies d'enquête et impose la reconsidération de noti0ns importantes par rapport à une théorie du dialogue: écriture et lecture, énonciation et locution, stratégie logique et mythologique du discours, etc.
Par conséquent, dans cette première partie de ma
thèse je voudrais procéder à la présentation des
problèmes propres à l'élaboration conceptuelle des
structures textuelles dialoguées pour pouvoir dégager
leur condition spécifigue. à la fois argumentatiye, et
narrative.
2.3. Dans la même ligne de pensée, je vais
examine~ les investissements de la modernité historique
dans les structures traditionnelles du dialogue:
l'énonciation du raisonnement et la narration
paradigmatique. Ainsi le défi dlalogal sera à voir comme
31
des mécanismes locutoires doubles investis dans une assignation individualisant~ des effets énonciatifs exprimant la catalyse- des figures communautaires du sujet, de ses questions et de ses passions.
Car, pour citer une remarque de H.Parret:
Les passions esthétiques garantissent dans une cOINnunauté énonciative que c'est par désir et obligation que l'instance énonciative soit enkatalysée. Ce désir et cette obligation constituent un a priori pour tout membre de la communauté énonciative. Ce n'est que par
l'ancrage dans ce fond érotétique et déontique que l'énonciation, bien que paralogique, est communautaire et communicable sans être empirique.~
NOTES
l.Paris, Edité par C.N.R.S., 1979.
2.Edition Garnier Flammarion, par Robert Genaille, 1965. 3.par diérèse (gr.dialrésis
=
division) je désigne la codification textuelle propre au discours dialogué; les embrayeurs d'attribution discursive, le signaux textuels du partage allocutaire, comme l'appel et l'adresse, etc. Voir, dans ce sens, mon travail Aecessus ad dialogum: le dialogue de de Pierre Abélard dans la perspectiye,du discours social médiéval Cmss.,1987, bibliogr.)4.Pour la notion de responsabilit~ locutive, voir O.Ducrot, Logique.structure.Enoneiation, Paris, Minuit, 1989, passim.
S.Cf. A.J.Greimas et J. Courtés, Sémiotique.pictionnaire raisonné de la théorie du langage.
II,
Paris, Hachette, 1987,p.163-l6S.6.J'utilise le terme de catalyse (ou enkatalyse) dans le sens que lui a donné Hjemslev (repris ensuite par Herman Parret dans ses Prolégomènes
a
la théorie de l'énonciation.De Husserla
la pragmatique, Berne, Peter Lang, 1987); pour la définition, ~. A.J.Greimas, J.CouItés, Sémiotique.pictionnaire raisonné de la théo,ie du langage, Paris, Hachette,1979,p.33.32
{
CHAPITRE 2
L'ESPACE TEXTUEL P'INTERLOCUTION
- Hais on y disserte sans cesse - Eh bien, oui, répondit-il,
san~ raisonner, et voilà ce
sublime du bon ton.
repr is-je. on y disserte qui fait le (Crébillon filB. Les égarements du coeur et de l'esprit)
1.0. En tant que genre discursif à expression littéraire, rhétorique et hérménéutique, le dialogue est d'abord texte: il se construit par la catalyse d'une phénoménologie d'interlocution, plus ou moins évidente. Or, le dispositif de catalyse interlocutoire pose des questions spécifiques: codage sémiotique de la co-signifiance, axes de cohérence, analyse des pratiques coréprésentatives et communicationnelles, rapport à l'action et au réel, inscription et marquages historiques communautaires et individualisants, co-brayages déIctiques (y compris ceux d'ordre drérétigues), etc.
Dans une perspective plus complexe, les problèmes soulevés par l'analyse d'un corpus de textes, ordonnés dans le cas présent par un double critère, chronologique et formel, imposent la discussion de la pertinence de ces critères par rapport à la qualité textuelle de
r
,
l
r
34
l'objet d'étude. La question générique corncide ainsi avec la reconnaissance d'une répartition textuelle, typologique et fonctionnelle, des discours modernes. C'est pour cette raison qu'un examen de la gestion discursive d'ensemble est de nature à conduire vers une meilleure compréhension des relations qu'entretient chaque texte avec son époque et avec la tradition, à
savoir, une évaluation de la place et des fonctions culturelles du dialogue dans la modernité.
1.1. Dès lors, une telle étude qui, débouchant sur l'interprétation normative d'une réalité discursive, est de nature à reposer les questions d'une théorie du texte en perspective praxéologique, théorie que j'envisage comme une construction conceptuelle à visée épistémique des effets esthétiques et pragmatiques: la mise entexte d'une idéologie donnée, en occurrence celle de la modernité, est à voir comme une pratique discurs'ive enclenchant le parcours particulier des effets d'écriture, de lecture, et de leur rapport réciproque.
De ce point de vue, les textes dialogués propres à
la modernité offren~ le privilège d'une distribution symptOm~tique sur les grands axes paradigmatiques de la pensée philosophique, épistémique et esthétique, du XIXe s lécle.
..
35
En
meme
temps,
le dispositif minimal de double
énonciation locutoire qui identifie les textes dialogués
est en mesure d'illustrer avec force les grandes options
de l'idéologie moderne et de mettre ainsi en
lumière la
production
des
paradigmes
optionnels,
les choix
fondamentaux d'une pratique discursive axiologisée qui,
par ses mécanismes
de valorisation sémiotique,
est
profondément ancrée dans l'action sociale.
Par conséquent,
je vais
suivre
la
formation et
l'évolution
d'un
mécanisme
dynamique de
fixation
textuelle des pratiques signifiantes au
niveau d'un
corpus qui
devenir de
entretient un
rapport synecdochique avec le
l'idéologie moderne
(et de préfiguration
post-moderne): c'est
cette pratique subit
parce que
les transformations que
sont retrouvables au
niveau des
textes
littéraires et philosophiques que
les textes
dialogués signalent, autant par
leur distribution que
par leur structure, les axes de sémiotisation discursive
propres
àl'époque moderne.
Ainsl, la construction du social, qui
se constitue
en parallèle avec
la constitution de l'individualisme
moderne, est non seulement susceptible de
se retrouver
au niveaux
des dialogues,
mals
régit souvent la
construction de
l'espace textuel du dialogue comme
espace privilégié de l'interlocution •
36
Or, l'interlocution est un concept qui désigne une réalité textuelle à visage chan~eant et à fonction plurielle, individualisée qu'elle est par la position du sujet parlant dans et par les pratiques discursives à
vocation communicationnelle: enseignement, propagande, publicité, conversation, convivialité, entretien, etc.
2.0. Analysé et décrit principalement par Francis Jacques1
, qui en fait la notion centrale de son discours
philosophique sur la condition dialogique de l'homme~,
le concept d' interlocution plus ieurs
significations, allant de l'expérience conviviale à la "relation instaurant interlocutive" de la co-référence, type processuel fondant le et lien communautaire dans sa dimension de "transcendentalité"3.
Cette configuration conceptualisante, d'inspiration kantienne évidente, est réprésentative pour toute une série de théoriciens modernes qui se sont penchés sur les questions du dialogue en partant d'une philosophie de l'échange linguistique à portée socio-pragmatique: on pourra citer en ce sens strawson, Searle, Appel4
•
A leur tour, les enjeux phénomène dialogique ont mobilisé généralisantes, celles-ci plus
purement sociaux du aussi des approches intéressées par la
(
37phénoménologie
communicationnelle:
l'espace
d'interlocution est alors conÇu
comme espace de pure
communication, de rapport langagier
et/ou discursif, en
dehors des
manifestations expressives
et des liens
référentiels.
Selon
cette
approche,
les
structures
interlocutoires seront réductibles
àquelques procédures
stratégiques qui
ont
pour
but
de
faciliter
la
communication verbale.
Les analyses
de ce type tendent
souvent
àaboutir
&
une
grammaire normative de la
conversation:
la
plus connue est celle de
H.~.Grice5,mais
il faut aussi citer la syntaxe dialogique de
Tatiana
Slama-Cazacu·
et
la
psychologie
conversationnelle de Weiner et Goodenough
7 •Ce sont la des
théories qui
étudient le phénomène
conversationnel
à"l'état de nature", d'un point de vue
universel et g,
-~l,se souciant peu ou pas du tout' de
l'investissement
littéraire,
des
effets rhétoriques
textualisés et des contraintes conventionnelles. Or, ce
sont
bien ces éléments qui,
àmon avis, dominent la
tradition européenne des
textes dialogiques
et, par
conséquent,
constituent
un
ensemble de conventions
textuelles
àévolution historique et qui particularise
chaque fois les décisions de l'auteur et la visée
t
38
2.1. De Platon à Pavese, le dialogue existe principalement comme tradition de mise en texte d'un savoir verbalisé antérieurement, de sorte que les procédés et les effets d'écriture sont analysables et identifiables selon les intentions qui motivent l'acte auctorial de mise en texte. Dans cette perspective l'approche au texte aura à constater la portée de l'intention auctoriale, à scruter la signification du geste créateur qui laisse ses traces dans une oeuvre-texte participant d'une tradition conscientisée par ses conventions exp;essiyes et st;atégigues et qui, en tant que telle, définit la culture européenne depuis le début: l'espace d'interlocution dialoguée est ainsi
perÇu comme ~dpace
référence conviviale variable. d'tchange et de discursif histor\sé, de mimétisation sociale
2.2. Dans cette perspective, la communication verbale est le présupposé structurel du texte dialogué: elle produit une certaine image de la convivialité qui est d'ordre historique; en
communication ne peut exister concret d'~oà;~a~l~iut~é~ __ D~a~;~~é~c~;~it~
meme temps, cette en tant qu'effet textuel
que dialectique avec ses conditions l'information qui de possibilité. par un rapport en constitue une de L'autre, tout aussi
39
importante est
l'existence des
deux
(ou
plusieurs)
interlocuteurs
qui
reioivent
la
responsabilité de
l'énonciation et dont l'interaction illocutoir.e produit
et oriente le sens de
l'usage
linguistique dans le
discours.
2.3. On voit donc que l'espace d'interlocution doit
se concevoir comme un
espace réglé par des relations
complexes. Il s'agit d'un
espace qui trouve sa logique
par la mise en place de trois éléments principaux:
- les agents de
l'énonciation qui
sont tour
àtour
locuteur et auditeur (destinateur et destinataire),
- le savoir énoncé, qui peut avoir un caractère élocutif
ou purement expressif,
- l'acte
communicationnel
qui,
dans
le dialogue
argumentatif comporte deux
niveaux, l'intratextuel et
l'extratextuel
(àportée transdiscursive et
àvaleur de
contrOle
hérménéutique par
son
effet de spécular1té
sémique).
A chacun de ces points d'articulation, l'espace
d'interlocution a
la possibilité
de recevoir des
altérations fictionnelles;
qui plus est, les positions
réciproques
des
différents éléments
peuvent
aussi
générer des effets artistiques, de sorte que la catalyse
Interlocutive soit non seulement
analysable mais aussi
corrélable
avec
le
40
récit
minimal
impliqué par
l'énonciation dialogique.
3.0. Dans
la tradition européenne occidentale, il
revient à
Platon d'avoir
identifié dans
le dialogue
l'outil
textuel
adéquat
la
pratique
de
la
communication sociale, à l'enseignement de la "sagesse":
le dialogue socratique est à
la fois l'outil d'une
pratique signifiante
propre
et
l'outil discursif
consacré à
une
construction
épistémique seconde et
transférentielle.
Les
dialogues platoniciens apportent,
par leur
existence même,
une problématique qui remet en question
la relation génétique du discours de
savoir,
son
investissement doxique et ses fonctions par rapport à la
dimension chronologique et à l'espace public.
Les
hypothèses déjà classiques
de
l'école de
TQbingen et des réflexions plus récentes· sur le statut
écrit,
textualisé,
des
dialogues
platoniciens ont
imposé
la réévaluation de
la pratique
textuelle du
dialogue en ce qui concerne son apport fonctionnel à la
culture moderne.
De
ce
point de
vue,
les dialogues de Platon
contiennent une
technique
intentionnelle de
mise en
texte à
valeur fictionnelle, technique théorisée, entre
autres, dans le Gorgias·,
f
41
Hais pour comprendre la véritable portée de cette
méthodologie discursive
il faut aussi comprendre que la
"techné" du dialogue
,
socratiqu~est étroitement
liée au
statut de communication différée propre à l'écriture: en
même temps elle est aussi censée prendre en charge la
dimension exotérique du savoir:
ce qui veut dire qU'il
s'agit d'une ouverture d'adresse
issue de l'orientation
des dialogue3 vers un public plus nombreux que celui des
disciples
initiés déjà par
le discours acroamatique
(caractérisé par l'oralité ésotérique).
Par
conséquent,
l'écriture dialogale a
comme
condition
d'existence
l'ouverture
publique,
l'accessibilité élargie,
bien qu'elle garde souvent les
allusions et les subtilités destinées au groupe premier
des initiés.
De cette manière, le dialogue socratique est à voir
comme
outil méthodique de
transmission
prèc'~ed'un
savoir
doctrinaire
vocation
didactique
et
démocratique.
Son caractère méthodologique est
institué par une
codification textuelle
spécifique,
codification qui
prend pour but l'accès du grand public au savoir du
mattre.
r
1
42Dès lors, la fiction conviviale est intégrée à une stratégie discursive d'orientaticn pragmatique claire et indiscutable. Dans ce sens, un disciple d'Aristote, Dicéarque de Hessene, écrivait:
Par la composition de ses dialogues, Platon a exhorté une masse de gens à philosopher [ ... l.
Platon, qui avait une grande influence par son activité littéraire, encouragea avec ses livres beaucoup d'absents à ne pas se soucier des opinions des bavards. (Vie de Platon)10
De manière tout à fait exemplaire pour l'évolution moderne des théories du dialogue, Dicéarque de Hessene relie la qualité de méthodologie de "propagande"11, propre à l'écriture dialogique platonicienne, avec la condition de vie communautaire constituée dans le groupe de l'ancienne Académie et avec la personnalité magistrale:
Il Y eut en effet un grand nombre de visiteurs qui vinrent dans l'Ecole et ceux-là glanaient pour eux-mêmes une partie de la moisson. Parce qU'ils mettaient au second rang leurs intérêts propres, les disciples de Platon menaient, dans l'égalité et la communauté, une vie où ils étaient martres de leur temps et ils furent les premiers en ce temps-là à prehdre ce genre de vie ... [ ... ] En outre, Platon, en philanthrope qu'il était, dispensait de toute redevance les élèves et il offrait donc l'égal à tous les égaux. (ibidem.)
Le
caractère parénétique, protréptique et pédagogique, de portée démocratique, des dialogues platoniciens est ainsi â percevoir par une plus correcte évaluation des pratiques textuelles à l'intérieur d'un complexe discursif qui distribue l'oralité et l'écriturel
43d'une maniére
différente de
la notre, tout en
gardant-pourtant
une
configuration propre
analogue
àla
configuration moderne
du
savoir et de l'action
socio-politique.
On comprend ainsi pourquoi le dialogue se constitue
à
travers
l'histoire comme texte d'adresse personnelle,
récit d'une guête de
sagesse qui
personnalise le désir
collectif de savoir, ce qui fait que le double paradigme
discursif du
savoir
raisonné et du récit-exemplaire
prennent en charge l'aventure éDistémigue.
3.1. Dans
ce sens, la comparaison aristotélicienne
du dialogue avec
la tragédie apporte une dimension
nouvelle
àla situation discursive
du dialogue par
rapport
àla
fiction
artistique et
aux
arts du
spectacle:
dans
sa
Poétigue,
Ar.istote classifiait le
logos socratique parmi
les arts de
la mimésis qui
emploient
lIl2..1.na.
de trois
"media"~2:par conséquent,' le
dialogue est rangé dans les arts "sans nom" qui "créent"
quelque chose
seulement par
l'exercice de la parole.
D'où l'on peut déduire qu'Aristote pensait,
comme les
pragmaticlens contemporains,
que
la
particularité de
l'art dialogique de Socrate tient surtout
àla maniére
de
reproduire
ou
d'''imiter''
par
l'énonciation
44
D'ailleurs, la Rhétorique, les Topiques et les Réfutations Sophistiques complètent la théorie artistique et rhétorique du dialogue ancien par une théorie de l'argumentation et une théorie des procédures discursives réglant la performance polémique de l'acte de parole en contexte d'interlocution compétitive ("éristique"14) faisant ainsi ressortir l'hétérogénéité fondamentale de l'axiologie dialogale. Dans ce sens, les Réfutations Sophistiques présentent un intérêt particulier, en cela qu'elles engagent une méthodologie systématique de décomposition du simulacre discursif, qu'elles s'efforcent de mettre à jour une technique sQr~ de vérification logique de l'argumentation topique, comportant la déconstruction analytique du mensonge et de la manipulation par le raisonnement. Ainsi, le programme à la fois argumentatif et éthique du texte polémique dialogué se trouve, en fait, donné par ce passage d'Aristote:
Et puisque certaines gens trouvent leur avantage à parattre sages p1utot qu'à l'être sans le parattre (car la Sophistique est une sagesse apparente mais sans réalité, et le sophiste, un homme qui tire un profit pécuniaire d'une sagesse apparente mais non réelle), il est clair qu'il leur est nécessaire aussi de parattre faire oeuvre de sagesse, plutOt que de le faire réellement sans le parattre. Et, pour comparer la tache une a une, la tache, en chaque chose, de celui qui sait, c'est de ne pas dire soi-m@me de mensonges au sujet de ce qu'il sait et de pouvoir démasquer celui qui en dit; et cette double tache consiste, l'une à pouvoir donner la raison des choses, et l'autre à pouvoir la