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Le récit au fondement d'un moi entre modernité et postmodernité /

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LE RÉCIT AU FONDEMENT D'UN MOI

ENTRE MODERNITÉ ET POSTMODERNITÉ

Mémoire de maîtrise soumis à l'Université McGill en vue de l'obtention du diplôme de

Maîtrise ès arts

par

Marie-Pierre Turcot

Département de langue et littérature françaises Université McGill

Montréal Août 2002

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1+1

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Ottawa ON K1A ON4 Canada

395, rue Wellington Ottawa ON K1A ON4 Canada

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RÉSUMÉ

Ce mémoire vise à brosser le portrait du moi contemporain qui ressort de la théorie littéraire comme de la pratique scripturale. Ce projet implique de définir l'être humain en tenant compte de son histoire et d'étudier sa représentation dans le récit.

Afin de bien cerner le moi d'aujourd'hui, il faudra effectivement étudier son évolution historique. L'exploration des conceptions diamétralement opposées proposées par la modernité et la postmodernité mènera à comprendre la composition hybride du moi contemporain qui se caractérise par la recherche d'une cohérence et d'un sens à un être pluriel et changeant.

Cette définition encore théorique devra ensuite être confrontée aux représentations de l'être inscrites dans les récits de soi que livrent les écrivains autobiographes. L'étude des récits autobiographiques sera l'occasion d'observer concrètement la conception de l'être humain aujourd'hui.

Avant cela, nous noterons d'ailleurs le rôle essentiel du récit, non seulement dans la représentation de l'être, mais plus encore dans sa constitution et sa définition mêmes. En effet, le récit de soi permet de tisser la cohérence d'un être; il apparaît à la base de son identité. Le récit constitue le fondement du moi contemporain entre modernité et postmodernité.

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ABSTRACT

This the sis intends to describe the contemporary self as drawn by literary theory and writing practice. This objective implies defining the human being considering its history as weIl as studying its representation in narratives.

In order to circumscribe today's self, we undoubtedly have to study its historical evolution. Exploring the diametrically opposed conceptions suggested by modernity and postmodernity will lead us to a better understanding of the hybrid composition of the contemporary self, which is characterized by a search for coherence and meaning to a multidimensional and constantly evolving individual.

This de finition, so far theoretical, will have to be confronted with the representations of the self found in autobiographies. The study of such self-narratives will provide the opportunity to observe in concrete terms the conception of the human being today.

The essential role of narratives will be identified beforehand. Narrative form certainly allows the representation of the self, but moreover it enters in the constitution and definition of the being itself. Self-narrative permits to establish the coherence of the self, hence it clearly appears at the basis of the identity. Overall, the narrative constitutes the foundation of the contemporary self amidst modernity and postmodernity.

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REMERCIEMENTS

Merci infiniment à M. Yvan Lamonde dont les remarques toujours éclairantes ont été précieuses dans la réalisation de ce travail. Merci aussi pour son exigence de rigueur intellectuelle ainsi que pour la confiance et la patience dont il a fait preuve à mon égard au cours de ce long cheminement.

Un merci spécial à Mme Diane Desrosiers-Bonin qui a posé les premiers fondements de cette réflexion. En me faisant découvrir la notion d'évolution épistémologique, elle a transformé à jamais ma lecture de l'histoire des idées et des oeuvres littéraires.

Merci à Isabelle pour son pragmatisme, ses encouragements et surtout pour son amitié indéfectible et merci à Simon pour sa présence dans ma vie et son soutien constant dans l'achèvement de ce projet.

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ... : ... . CHAPITRE 1 : LA POSTMODERNITÉ ET LE MOI ... . EN TERMES CLAIRS ... .

Le choix du moi ... , ... . Le postmoderne dans tous ses états ... . L'HISTOIRE DU MOI ET DE LA PENSÉE POST/MODERNES ... . La modernité ... . Les origines de la postmodernité ... . LA POSTMODERNlTÉ ... .

La définition de l'épistémè postmoderne ... . Le moi postmoderniste ... . CONCLUSION ... . CHAPITRE II : LE RÉCIT AU FONDEMENT DU MOI

CONTEMPORAIN ... . LA CONCEPTION DU MOI AUJOURD'HUI ... .

Ni moderne, ni postmoderne ... . La cohérence et le sens dans la multiplicité ... .. LE RÉCIT DE SOI COMME FONDEMENT DE L'ÉTRE ... .. La réalité décryptée par le récit ... . Le récit comme définition de l'être humain ... .. L'autobiographie: une pratique contemporaine du récit de soi ... . CONCLUSION ... . p. 1 p.11 p.12 p. 12

p.

15 p.

20

p. 21 p. 23 p.35 p.35 p. 41 p. 47

p.

48 p. 50 p. 51 p. 55 p. 57

p.

58 p.

60

p. 77

p. 80

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CHAPITRE III : LA REPRÉSENTATION AUTOBIOGRAPHIQUE DU

MOI CONTEMPORAIN ... p. 82 MICHEL LEIRIS DANS LE RUBAN AU COU D'OLYMPIA ... p. 84 Une écriture multiforme pour un être pluriel ... p. 85 D'un fragment à l'autre, le ruban tisse des liens ... p. 93 Le ruban de l'écriture qui donne sens à la vie ... p. 98 Le moi leirisien ... p. 101 GEORGES PEREC DANS WOU LE SOUVENIRDENFANCE ... p.l0l Les strates multiples de l'écriture de soi ... p. 102 Le croisement des textes recompose la trame de l'enfance ... p. 111 « Les fils rompus de l'enfance et la trame de l'écriture» ... p. 119 Le moi perecquien ... p.120 CONCLUSION ... p. 121 CONCLUSION ... p. 125 BIBLIOGRAPHIE... p. 130

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INTRODUCTION

Le moi est à la mode, pourrait-on dire. À notre ère individualiste, il n'yen a que pour l'ego. En effet, la question de l'être intime se rencontre partout aujourd'hui : elle se diffuse dans toutes les sphères et touche tout le monde. Pourtant, cette préoccupation autour du moi n'appartient pas en propre à notre époque. L'aspiration à la connaissance, à la compréhension, à la pleine réalisation de soi constitue l'une des problématiques fondatrices de la philosophie occidentale, que trois millénaires ont pu éclairer, mais n'ont pas suffi à résoudre. Ainsi, le questionnement sur l'être semble inhérent à toute réflexion humaine, et la devise adoptée par Socrate, le Gnôthi seauton gravé au fronton du temple de Delphes, appelle également toute l'humanité.

Il faut admettre toutefois que cet appel s'est fait sentir avec une force ravivée tout au long du XXe siècle. Aussi, le nœud de ce mémoire, le questionnement autour des conceptions de l'être humain, origine d'une curiosité personnelle en même temps qu'il s'inscrit dans une mouvance. Notre intérêt pour le moi est né d'une part du besoin fondamental qu'a l'être humain de comprendre qui il est et de cerner les composantes de son identité. D'autre part, il a été nourri des diverses rencontres intellectuelles auxquelles nos études nous ont menée, par le biais de cours et de lectures, de professeurs et d'auteurs, en philosophie et en littérature, sur les théories du sujet comme sur l'écriture autobiographique.

Effectivement, la réflexion sur les conceptions du moi constitue un domaine de la recherche actuelle des plus florissants, que ce soit en psychologie, en philosophie ou en littérature. Cette passion pour le moi s'étend par ailleurs bien au-delà des cercles

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restreints des universitaires pour atteindre tout un chacun. D'ailleurs, la prolifération de la littérature personnelle (autobiographie, autoportrait, auto fiction, journal intime, mémoires, souvenirs et autres récits personnels) témoigne justement de cet intérêt général pour le moi. La vague d'écrits intimes observée dans les dernières décennies du :XXC siècle s'accompagne en outre d'une abondante littérature théorique et critique. Ces deux tendances, de théorisation du moi et d'analyse des écritures personnelles, convergent dans les nombreuses études sur le moi qui choisissent l'autobiographie comme matériau.

L'interprétation développée dans le présent mémoire se situe précisément à la jonction de ces deux voies prolifiques de la recherche actuelle. Nous nous intéresserons ici à la conception contemporaine du moi, telle que mise en récit dans l'autobiographie. Il importe donc de souligner de quelle façon chacune de ces orientations théoriques a contribué à fonder notre problématique particulière.

Considérons d'abord les études sur le moi. Ces dernières années, les travaux consacrés à la définition d'une conception actuelle de l'être humain pullulent. Plusieurs histoires du moi, ou de la subjectivité, ont également été publiées. Si les uns ne manquent pas de souligner les apports des conceptions antérieures de l'être à la définition actuelle, les autres retracent un passé qui mène invariablement au moi contemporain. Ainsi, dans un cas comme dans l'autre, les chercheurs se sont appliqués à identifier, dans l'histoire des idées, les fondements de la conception du moi d'aujourd'hui. On a dessiné un portrait de la personne humaine qui tient compte de sa dimension historique.

À partir de l'esquisse historique de l'être humain établie par ces chercheurs, nous souhaitons étudier le moi contemporain en regard d'un épisode décisif de son évolution récente, soit la destitution de la subjectivité opérée par les déconstructionnistes et autres poststructuralistes. En effet, le :XXc siècle a été le témoin d'un point tournant dans l'histoire du moi, après lequel il ne sera plus jamais possible de penser l'être humain comme avant. La conception cartésienne du sujet qui avait prévalu jusqu'alors se voit radicalement rejetée. Le sujet, qui avait mis longtemps

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à se constituer, depuis ses balbutiements chez Augustin et Montaigne, sa cristallisation dans l'ego t'ogito cartésien et son évolution dans les modèles kantiens et hégéliens, est condamné et mis à mort au profit de la conception d'un moi éclaté inspirée. plutôt de Nietzsche, Freud et Heidegger.

On regroupe généralement ces penseurs occupés à la critique de la subjectivité sous la bannière postmoderne. L'histoire du sujet serait donc partagée entre sa lente formation moderne et sa déconstruction postmoderne. Mais qu'advient-il de la conception de l'être humain après cela? Notre analyse du moi contemporain et de son héritage historique se situe dans cet après, c'est-à-dire après la postmodernité. En plus d'approfondir la compréhension du moment déterminant que constitue la critique postmoderne de la subjectivité, nous souhaitons en évaluer les répercussions dans la conception actuelle de l'être humain. Autrement dit: qu'a retenu le moi d'aujourd'hui de la postmodernité, de cette pensée qui a évacué les idéaux modernes et qu'aurait-il récupéré des conceptions rejetées? Nous verrons que la conception contemporaine reprend l'essentiel de la définition postmoderne de l'être: sa complexité, sa diversité, sa malléabilité. Cependant, elle retourne puiser aux sources modernes la cohérence et le sens dont tout être humain semble avoir besoin.

En parallèle à ces questionnements philosophiques sur l'être, la théorie autobiographique s'intéresse au moi, à sa constitution comme à sa représentation, de façon plus concrète. Si l'autobiographie occupe dans cette étude un rôle plutôt instrumental, nous devons néanmoins à notre fréquentation des études sur le moi autobiographique certaines des intuitions essentielles qui ont contribué à définir notre problématique. Toujours à la fine pointe des recherches, la théorie sur l'autobiographie a exploité les principales avenues ouvertes par la critique littéraire, jusqu'au filon postmoderne et à l'exploration de l'aprè.r-postmodernité qui nous intéresse particulièrement ici.

Au cours des vingt dernières années, les chercheurs ont proposé diverses conceptions du moi construit dans le récit autobiographique. Les différences entre ces visions de l'être découlent des a pn'ori conceptuels et des partis pris théoriques de ces chercheurs, qu'ils soient psychanalytique ou psychologique, linguistique, sociologique

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ou autre. Depuis peu, ces définitions du moi dans l'autobiographie ont été repensées à la lumière de la postmodernité. Effectivement, des travaux récents ont proposé une définition du moi autobiographique qui s'inspire de la conception d'un être éclaté, décentré, multiple et inconstant héritée de Derrida, Foucault et Barthes. Mais l'intérêt pour la critique postmoderne du sujet, aussi pertinente et nécessaire qu'elle ait été, est là aussi vite dépassé par le besoin de refonder l'être et de lui retrouver une signification.

Pour les théories du moi comme pour la critique autobiographique, cette cohérence et ce sens nouveaux ont pour origine le récit de soi. Ces deux modes d'analyse de l'être humain nous ont en effet simultanément menée aux théories du récit. Dans la foulée des travaux de Paul Ricœur, en particulier, nombre de chercheurs issus de multiples disciplines se sont intéressés au récit, en tant que mode privilégié d'explication de l'expérience humaine. Ils considèrent désormais le récit de soi comme le fondement de l'être, le médium à travers lequel chacun donne sa signification et son unité à une existence variée, à une personnalité complexe, à des intérêts divers et à des valeurs parfois conflictuelles. Le récit de soi permet donc d'intégrer les pôles moderne et postmoderne du moi contemporain; le récit confère une forme nouvelle au moi qui vient après la postmodernité.

Dans notre portrait historique du mOl contemporain, les œuvres autobiographiques choisies nous serviront de matériau d'analyse. Elles permettront de vérifier dans la pratique ce que la théorie aura mis de l'avant. Ainsi, c'est seulement à titre de véhicule des conceptions du moi qu'elles seront considérées.

Les récits autobiographiques constituent pour nous un objet d'étude idéal pour deux raisons. D'abord, l'autobiographie représente un lieu privilégié pour saisir la construction et la représentation du moi, spécialement lorsqu'on adhère aux théories qui placent le récit au centre de la conception de soi. De plus, la pratique de ce mode d'écriture a été très novatrice à la fin du XXe siècle. Elle a absorbé beaucoup des

nouvelles idées en circulation dans les milieux intellectuels et a développé de nouvelles formes esthétiques, idées et formes justement associées à la postmodernité et à ses

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suites. Nous croyons donc retrouver dans ces œuvres une unage fidèle de la conception actuelle du moi.

En somme, nous nous intéresserons dans ce mémoire à la représentation narrative d'un moi contemporain qui porte les traces de son histoire. C'est plus précisément la reconstitution de l'héritage postmoderne du moi d'aujourd'hui et son articulation à quelques composantes modernes dans un récit de soi cohérent et signifiant qui retiendra notre attention. Après une présentation théorique des bases du moi contemporain, l'analyse d'œuvres autobiographiques fournira l'occasion de vérifier concrètement la pertinence de cette définition de l'être. En bref, ce mémoire vise à découvrir dans le récit de soi les fondements d'un moi contemporain entre modernité et postmodernité.

Avant de pousser plus loin l'eXploration de cette problématique, il convient de dévoiler certains des présupposés qui sous-tendent notre recherche et de justifier quelques partis pris, certes discutables, mais pleinement endossés par nous ici. Nous identifions deux a Priori ayant orienté notre travail: notre usage particulier des textes littéraires et notre recours à une forme de classification. Chacun sera expliqué abondamment ci-après.

D'abord, comme nous l'avons mentionné plus haut, nous utiliserons dans ces pages les textes littéraires comme matériaux de base pour l'illustration d'une tranche de l'histoire du moi (et, accessoirement, de sa représentation esthétique). Nous croyons effectivement que les œuvres littéraires sont porteuses des façons de penser propres à une époque, qu'on songe aux valeurs, aux mentalités, aux sujets en vogue, aux conceptions de tout et de rien. S'ils sont la plupart du temps inconscients, dans l'air du temps, produits de la croisée des discours, ces schèmes peuvent par le fait même être associés à un groupe, à une génération, voire à une époque. Une analyse juste des textes permet de révéler ces façons de concevoir l'existence afin de constituer un état de la pensée, un fragment de l'histoire à mettre éventuellement en relation avec d'autres, en vue d'ébaucher un tableau plus global.

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De la même manière, nous considérons que sont inscrites, en filigrane des autobiographies choisies, les conceptions du moi de leurs auteurs utiles pour établir un portrait historique de l'être humain. Malgré certaines particularités personnelles, ces représentations reflètent en grande partie les conceptions de l'époque durant laquelle ces auteurs ont évolué puisque les idées circulent, s'échangent, s'enrichissent de voix plurielles, mais ne sont jamais le fruit unique de la pensée d'un seul, comme nous l'ont appris le poststructuralisme et la sociocritique.

De façon générale, les écrivains ne s'appliquent pas volontairement à inscrire dans leur œuvre leur définition du moi, bien qu'ils puissent, s'ils défendent une conception précise, la mettre en mots et en images. Nous pensons notamment ici au fameux Roland Barthes par Roland Barthes. Toutefois, le simple fait pour les auteurs de raconter leur moi dans l'autobiographie, de l'exprimer d'une façon plutôt que d'une autre, témoigne de leur conception intime. Conséquemment, une lecture attentive de ces œuvres autobiographiques peut contribuer à écrire une histoire du moi étayée d'exemples concrets. Nous nous proposons ici d'en esquisser un fragment.

Par ailleurs, le travail que nous entreprenons implique une forme de classification des modes de penser entre moderne et postmoderne. Il suppose qu'on classe des philosophies, des théories, des idées, selon ces deux catégories créées a posteriori. Ce découpage peut paraître artificiel à certains, et même impropre, dans la mesure où cette pratique pourrait amener à plaquer les catégories actuelles sur des idées passées qui ne le permettraient pas. Il s'agit donc d'une pratique délicate, qui doit être entourée de nuance.

Qui plus est, on peut se demander en quoi cette division des courants de pensée est vraiment utile à la compréhension des différents acteurs de l'histoire des idées et de leurs œuvres. En quoi l'appartenance à une catégorie plutôt qu'à une autre change-t-elle la lecture de ces textes? Que nous apprennent ces découpages et recoupements que l'étude approfondie d'une œuvre en elle-même ne révélerait pas?

Toutes ces questions apparaissent d'autant plus justifiées que l'époque n'est plus aux classifications, que l'art de tout ranger idées, œuvres, auteurs, penseurs -dans des «petites boîtes» est plutôt mal vu, perçu comme réducteur. Aujourd'hui, la

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plupart des penseurs privilégient plutôt les définitions floues et mobiles, si encore ils tolèrent le recours aux définitions.

Pourtant, définir et classifier seront les opérations au cœur de ce mémoire. Nous nous y adonnons en toute conscience, assumant les risques que cette pratique comporte. Nous concevons que, généralement, les frontières entre les catégories sont minces, mal établies, que les chevauchements sont multiples et que l'appartenance d'un auteur, d'une œuvre, d'une idée à l'une ou l'autre classe demeure discutable. Nous savons aussi que ces divisions ne sont ni objectives ni absolues, et pourraient être tout autres. Nous comprenons enfin que l'association à une catégorie particulière peut parfois entraîner une lecture d'une œuvre qui en négligerait certains aspects.

Même sachant tout cela, nous persistons dans notre démarche, car elle constitue pour nous la seule voie possible vers la connaissance. Opérer des découpages et des recoupements, concevoir des mouvements, les inscrire dans une épistémologie plus vaste, analyser l'articulation entre ces modes de penser (frictions, échanges, passages de l'un à l'autre), organiser la connaissance, distinguer en somme nous paraît être la seule façon d'étudier l'histoire des idées, la seule manière de porter un regard global sur l'évolution de la pensée. Toute vision d'ensemble, toute science

un peu étendue nécessite de faire des liens et des découpages

(ressemblances/ différences). Aussi tenterons-nous de fonder notre savoir sur la base de ce principe. D'ailleurs, n'est-ce pas Aristote qui prétendait que la connaissance se construit - et se reconnaît - dans les liens que l'intelligence peut établir entre les idées?

On pourrait encore objecter à ce projet que le vaste champ de la connaissance qui nous occupe, soit l'histoire des idées, et particulièrement celle du moi comprise entre les XVIIc et :XXc siècles, s'explique déjà grâce aux paramètres modernes. Pourquoi effectuer une relecture d'une période qui proposerait seulement de subdiviser encore les mouvements de penseurs, de chapeauter d'une nouvelle méta-catégorie un ensemble de théories et de concepts déjà organisés? Simplement parce que cette nouvelle façon de concevoir la période historique en question multiplie les perspectives, nuance, relativise. Il nous apparaît que les postulats postmodernes

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enrichissent l'interprétation de l'histoire récente des idées et qu'ils permettent de mieux comprendre l'état actuel de la pensée.1

Ainsi, ce mémoire vise simplement à proposer une lecture un peu différente de l'histoire du moi, où les contributions postmodernes seront mises en évidence. Les nouveaux outils conceptuels mis de l'avant par la perspective postmoderne contribueront, selon nous, à ouvrir notre regard sur le moi d'aujourd'hui et peut-être à mieux le comprendre, malgré le caractère sommaire de ce travail, qui se veut avant tout un exercice de pensée.

Cela nous amène à aborder les limites de cette recherche. Le cadre de la maîtrise dans lequel notre travail s'inscrit constitue sa première mesure. Cette étude n'aura donc ni l'exhaustivité, ni la profondeur d'analyse qu'un tel projet aurait normalement appelé. Pratiquement, la circonscription du champ de notre recherche s'est faite à trois niveaux.

D'abord, la prolifération presque incontrôlable de publications sur l'histoire du moi et les conceptions actuelles de l'être humain a rendu impossible une revue complète des travaux publiés. Nous avons fait ici le choix des ouvrages qui nous sont apparus les plus importants, mais sans doute y a-t-il eu dans cette sélection une bonne part de hasard.

Nous avons également dû nous limiter, dans notre approche de l'histoire du mm moderne/postmoderne, à un nombre restreint de conceptions, parmi les multiples définitions de l'être humain élaborées par les grands penseurs qui ont marqué ces siècles de philosophie survolés.2 Par contre, l'étude et l'exploitation des travaux issus du domaine français autant qu'anglo-saxon a pu, nous l'espérons, grâce

1 . D'ailleurs, si tous les spécialistes ne concèdent pas cette place à la postmodernité, ils reconnaissent généralement deux versants à l'histoire récente des idées, qu'ils peuvent dénommer autrement. Alors que nous adoptons à l'instar de plusieurs la division modernité/ postmodernité, on trouve chez Daniel Riou une distinction entre humanisme et an ti-humanisme et, chez Charles Taylor, entre rationalisme et naturalisme.

2 . Pour une histoire plus rigoureuse des conceptions de l'être humain, voir Charles Taylor, Les sourceJ du moi: lalormation de l'identité moderne, Montréal, Boréal, 1998,710 p. ou Alain Renaut, L'Ère de l'individu: l'Ontribution à une hi.!'toire de la Ju~jedivité, Paris, Gallimard, 1989, 299 P

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aux orientations sensiblement différentes que chacun prend, enrichir notre perspective.

Enfin, les auteurs choisis pour illustrer notre propos en fin d'analyse auraient pu être tout autres. Bien sûr, un éventail plus large aurait été plus concluant. Les œuvres de femmes, d'écrivain(e)s québécois(es) ou étranger(e)s auraient certes pu enrichir cette réflexion. Sans doute une étude plus étoffée aurait relevé des écarts et des contradictions (mais les exceptions confirment les règles, n'est-ce pas

?).

Cependant, plus de diversité aurait complexifié notre tâche: les enjeux spécifiques à chaque littérature se mêlant de détourner l'analyse de la problématique du moi. Les autobiographies qui constituent notre corpus ont donc été retenues justement parce qu'elles forment un duo cohérent et fournissent deux exemples à la fois différents et éloquents pour étayer notre hypothèse.

Maintenant ces questions de logistique réglées, il est temps d'en arriver au corps de notre travail et d'annoncer le cours que suivra notre réflexion dans les pages qui viennent. Dans le cadre de ce mémoire, nous nous attacherons à étudier la constitution d'un moi contemporain qui allie des traits modernes à une dominante postmoderne par l'entremise du récit de soi. Ce travail exigera essentiellement d'effectuer l'analyse, la mise en relation puis la synthèse des travaux sur l'histoire récente des idées qui ont marqué le passage de la modernité à la postmodernité, sur les conceptions du moi, passées comme actuelles, sur la théorie du récit et sur la critique autobiographique intéressée par le moi. Après avoir établi ces paramètres théoriques, nous en chercherons une application dans des œuvres de Georges Perec et de Michel Leiris. Nous devrions ainsi arriver à définir et à observer concrètement l'élaboration dans le récit de soi d'un moi contemporain hybride.

Après avoir précisé les définitions opératoires des principales notions en jeu dans ce travail, soit le moi et le postmoderne, nous chercherons dans le Chapitre 1 à circonscrire la pensée postmoderne et à exposer la conception du moi élaborée sur la base de cette logique. Il nous faudra d'abord explorer dans l'histoire du moi et des idées cet épisode particulier que constitue la destitution de la subjectivité et l'éviction

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des paramètres de la pensée moderne. Cela nous permettra ensuite de définir le mode de penser postmoderne né de ce rejet et la conception du moi qui en résulte.

Le Chapitre II soulignera ensuite de quelle façon subsistent, dans la conception actuelle du moi, des traits hérités de la modernité qui se mêlent aux composantes postmodernes sur lesquelles nous nous serons penchée. Nous montrerons alors comment le récit intervient dans la construction du moi pour concilier ces pôles moderne et postmoderne. Le récit sera présenté comme le noyau constitutif du moi d'aujourd'hui. Cette incursion dans les théories du récit nous mènera naturellement à aborder l'autobiographie, une des formes contemporaines du récit de soi. Nous nous concentrerons particulièrement sur les définitions du moi autobiographique proposées par les théoriciens. Si la première partie doit aborder la conception du moi d'un point de vue théorique, ce deuxième volet de la réflexion se penchera sur la pratique autobiographique de la représentation de soi.

Au terme de ces deux chapitres, nous aurons en main (mais surtout en tête) les instruments théoriques avec lesquels aborder les œuvres autobiographiques qui viendront illustrer notre réflexion dans le Chapitre III. Nous avons d'abord choisi W ou le Jouvenir d'enfam-e de Georges Perec et Le ruban au t:ou d'OlYmpia de Michel Leiris pour leur forme novatrice et inusitée par rapport à l'autobiographie traditionnelle, qui nous indiquait intuitivement une nouvelle façon de concevoir et de représenter le moi et son histoire. Nous verrons comment cette écriture du moi jouant entre fragmentation et cohésion témoigne de la conception contemporaine du moi qui réunit dans le récit les pôles moderne et postmoderne que le mémoire étudiera plus en profondeur.

C'est ainsi, par l'eXploration théorique et l'analyse d'œuvres littéraires, que nous devrions arriver à définir et à découvrir dans l'autobiographie un moi contemporain qui allie des composantes modernes et postmodernes dans un récit signifiant.

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Chapitre 1

LA POSTMODERNITÉ ET LE MOI

Le moi évolue comme les modes de penser; son parcours est rythmé par des développements et des ruptures, participant parfois d'un même mouvement que l'histoire des idées, emporté parfois par son élan propre. Il y a peu, l'histoire du moi a justement connu un point tournant majeur qui a fait écho aux profonds changements dans l'évolution de la pensée.

Effectivement, le siècle tout juste achevé a été le témoin de transformations fondamentales en ce qui concerne les conceptions de la vie, du monde et donc de l'être humain. Les idéaux modernes, alors répandus depuis quelques siècles, ont été balayés du revers de la main par les penseurs postmodernes. Exit le sujet raisonnable et les projets d'émancipation qui devaient rallier l'humanité tout entière. La postmodernité liquide les paramètres modernes au profit d'une conception du moi et d'une morale éclatées, qui semblent cependant sans promesses. Une fois le rideau tombé sur ce siècle de bouleversements, que retient le moi d'aujourd'hui de la postmodernité et que récupère-t-il de la modernité?

Afin de répondre à cette double interrogation, autour de laquelle sera bâti le mémoire, il importe en premier lieu de définir le plus précisément possible la postmodernité en question, celle que l'on cherchera à retrouver dans le moi contemporain. Cette première partie sera donc consacrée au postmoderne. Après une définition préalable des termes-clés du mémoire, nous retracerons l'histoire de la pensée et du moi postmodernes. Suivra une présentation détaillée de la postmodernité

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en tant qu'épistémè, qui exposera d'abord les principales caractéristiques définitoires de ce mode de penser, pour ensuite s'intéresser au moi postmoderniste qui constitue l'aboutissement de l'évolution des conceptions postmodernes du moi.

EN TERMES CLAIRS

En préambule à ce chapitre, il paraît essentiel de préciser quel emploi sera fait de deux concepts au cœur du mémoire, soit le moi et le postmoderne. La popularité même de ces notions, auxquelles maints chercheurs de diverses sphères s'intéressent, cause un certain brouillage autour de leur définition. Les multiples usages qui en sont faits, et les acceptions chaque fois différentes qui y sont associées, obligent toute personne s'y consacrant à son tour à clarifier sa propre utilisation des termes en question.

Le choix du moi

En plus de définir le signifié attaché au terme moi dans ce travail, il importe de justifier d'entrée de jeu le choix de cette dénomination au détriment d'autres toujours en cours (individu, sujet, Je et autres). Le recours au terme moi pour désigner la conception de la personne s'est imposé de façon naturelle. D'une part, c'est la dénomination la plus employée actuellement par les chercheurs des nombreuses disciplines qui réfléchissent aux définitions contemporaines de l'être humain. Et c'est par ailleurs la seule qu'utilisent les penseurs intéressés par la postmodernité. D'autre part, moi constitue l'appellation qui correspond le plus justement à la compréhension de la personne proposée ici. Attardons-nous au sens particulier de chaque dénomination possible de l'être humain pour que tout cela s'éclaire et s'explique.

Considérons d'abord la notion d'individu. Au sens propre, individu désigne la personne indivisible, uruque et autonome. Le concept d'individu s'oppose communément à celui de société ou de collectivité; il revêt une connotation politique ou sociale. Penser l'individu revient à envisager la personne toujours dans ses relations

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à ses semblables. Il ne s'agit donc pas d'un terme neutre. Le mot individu porte la vision selon laquelle l'être humain est un être social, qui se définit dans son unicité par rapport à un ensemble d'autres individus. Malgré la pertinence de cette idée, il faudrait éviter de confiner l'être à cette relation au groupe, et trouver plutôt une dénomination qui embrasse toutes ses dimensions.

Si l'on se penche maintenant sur l'appellation sqjet, on fait face à une même restriction légère de sens. En effet, le sujet est l' « être pour lequel le monde extérieur, le contenu de sa pensée constituent un objet. [La] conscience libre et créatrice de sens, fonctionnant comme principe explicatif de tout fait humain »1. C Le sujet est un être

intelligible, un être raisonnable, c'est-à-dire qu'il se définit par son intellect, sa raison, sa faculté de connaissance. C'est un être pensant, dont le rapport au monde et à soi est totalement intériorisé, réfléchi et donc déterminé par sa vision personnelle. Son regard analytique sur les objets extérieurs, par lequel ces objets viennent à l'existence, le rend maître de son univers. Cette définition du sqjet paraît très associée à la modernité, qui a fait évoluer l'usage du terme en ce sens.

Certaines définitions de la personne ont également recours au vocable.Je pour désigner le « sujet qui parle, qui pense »2. Cet usage découle des théories de l'énonciation, élaborées principalement au milieu du XXe siècle. On retient surtout la

formule d'Émile Benveniste selon laquelle l'être se construit « par et dans le langage ». L'appellation

.Je

demeure très liée à une définition linguistique de l'être, encore trop pour qu'on puisse l'employer lorsqu'on souhaite construire l'être humain autour de dimensions plus diverses que la langue seule. Malgré tout, la plupart des conceptions de l'être ultérieures aux théories de l'énonciation en retiennent les principes essentiels, comme nous le ferons aussi.

1 . Le Petit Larousse illustré 1998, Paris, Larousse-Bordas, 1997, p. 973. Après avoir consulté différents ouvrages de référence spécialisés (Sylvain Auroux dir., Notions philosophiques: Dù1ionnaire, Paris, PUF (<< Encyclopédie philosophique universelle »), 1990; Paul Foulquié, Dzdionnaire de la langue philosophique, Paris, PUF, 1962 et André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, 1968), nous avons retenu la déftnition usuelle du Larousse. Claire et succincte, cette déftnition renvoie précisément à l'usage du terme st(jet fait dans la critique actuelle comme dans ce mémoire.

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Un dernier terme que pourrait rencontrer tout chercheur s'intéressant aux conceptions de l'être humain serait l'identité. S'il est aussi plus restrictif que la dénomination moi que nous privilégions, ce n'est pas de la même façon que pour individu, st!jet et Je. L'identité constitue le caractère permanent et fondamental de l'individu, du sujet, du Je ou du moi, selon l'appellation que l'on choisit d'utiliser. L'identité permet de distinguer, d'identifier, d'individualiser un être. C'est la composante essentielle, le noyau constitutif de l'être. De la même façon qu'on connaît différentes théories sur l'être humain, on peut trouver plusieurs théories concernant l'identité de l'être. Ce n'est cependant pas le propos de ce mémoire.

Revenons donc au terme de prédilection de la critique actuelle, qU1 sera également adopté dans ces pages: le mot3 . Nous définirions le moi à l'aide d'une métaphore astronomique. Le moi peut être assimilé à un système planétaire: autour d'un noyau identitaire mouvant gravitent, selon un ordre propre à chaque « système », une multiplicité de « planètes» de nature, de complexité et d'importance variables qui représentent les différentes sphères de l'expérience humaine. Ce système ne peut être cerné et décrit fidèlement que par la prise de conscience de chacune de ses composantes et des influences qu'elles exercent entre elles.

En termes clairs, le moi constitue une organisation à la fois complexe et cohérente qui intègre l'ensemble des différents pôles de l'existence humaine, notamment la vie corporelle, rationnelle, spirituelle, active, affective, relationnelle. Le moi englobe donc la raison autant que les désirs et les passions, les traits caractériels de même que les caractéristiques physiques, les idéaux élevés au même titre que les besoins primaires, les actes réfléchis comme les impulsions et les rêves, la conscience de soi ainsi que le rapport aux autres. Il va sans dire que le moi intègre aussi les dimensions de l'être humain mises de l'avant par les autres définitions, soit l'être social de l'individu, la conscience du sujet, la parole fondatrice du Je. Dans la constitution du moi, ces dimensions revêtent une importance égale aux autres facettes de la personne

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tout juste évoquées (d'ailleurs surtout soulevées par des penseurs postmodernes, comme le fera voir la suite de notre analyse).

La conception de l'être dont il sera question dans ce mémoire vise donc à cerner la personne dans sa globalité et sa complexité - son héritage moderne comme postmoderne, verrons-nous dans la suite. C'est pourquoi le terme moi apparaît le plus pertinent dans cette analyse.

Le postmodeme dans tous ses états

Avant d'aborder le vif du sujet, il faut encore mettre au clair une seconde notion: le post moderne. Lorsqu'on s'intéresse à la postmodernité et qu'on souhaite établir ce qu'une perspective postmoderne pourrait apporter au champ du savoir, il convient d'abord de définir le plus clairement possible ce que l'on entend par ces termes. En effet, le terme postmoderne et ses dérivés, malgré leur utilisation largement répandue" demeurent ambigus et leur usage, souvent imprécis, voire aléatoire. Peut-être à cause de la multiplicité de ces usages, justement, qui s'étendent des sphères restreintes des milieux intellectuels à la population en général, en passant par la critique artistique des journaux et autres médias d'information.

Toutefois, si l'on exclut l'emploi courant qui rend postmoderne synonyme de novateur ou de branché pour ne considérer que son usage dans le vaste champ des sciences humaines, littérature et philosophie particulièrement, on peut observer deux tendances dans l'étude des courants de pensée postmodernes, qui découlent de deux définitions différentes de l'objet d'étude en question. Ces perspectives ne s'opposent pas ni ne sont rivales, mais il importe cependant d'éclairer leur articulation l'une par rapport à l'autre.

À peu près tous ceux qui s'intéressent à la pensée postmoderne verront dans le bouillonnement de nouvelles théories et pratiques d'écriture du milieu du XXc siècle un moment fort de la vague postmoderne, que beaucoup réduiront à cet épisode exclusif. Plusieurs chercheurs envisagent pour leur part la postmodernité comme un véritable mode de penser qui explique un pan de l'histoire plus vaste. Il y aurait donc

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deux circonscriptions possibles de la période postmoderne: l'une restreinte, l'autre étendue et incluant la première, que l'on pourrait appeler historique et transhistorique respectivement.

Dans le prerruer cas, on emploiera post moderne et postmoderni.rte de façon indifférente, les deux termes se confondant pour désigner le même moment historique, les mêmes penseurs, les mêmes idées. Dans le second cas, à chaque dénomination correspondra un référent précis et distinct. On parlera de postmodernité pour la pensée transhistorique qui désigne une tranche de l'histoire des idées d'une durée d'un siècle peut-être et de postmodernisme pour le mouvement historique limité aux dernières décennies du :XXc siècle.

Cette distinction entre postmodernité et postmodernisme commence à faire consensus au sein des penseurs intéressés par le postmoderne, sans toutefois être généralisée. Si certains recourent toujours aux adjectifs post moderne et postmoderni.rte indifféremment, la plupart des chercheurs s'entendent aujourd'hui sur la nécessité de distinguer entre la postmodernité et le postmodernisme, deux termes employés pour désigner deux mouvements de nature bien différente.

On peut notamment voir cette tendance se dessiner dans quelques-unes des contributions au collectif Littérature et post modernité. Dans une note accompagnant son article, Léo H. Hoek consacre quelques lignes à mettre au clair les notions qui nous occupent:

La terminologie permettant de discuter les phénomènes culturels· en question n'est pas encore bien établie: on trouve "postmodernité" à côté de "postmodernisme" et "postmoderne" à côté de "postmoderniste". Essayons d'y mettre un peu d'ordre en parlant de "postmodernisme" (avec ou sans majuscule) pour indiquer le courant littéraire et culturel adantique, propre à une période historiquement déterminée (ca. 1950-1982) qui succède au Modernisme, tandis que "postmodernité" désigne le caractère de ce qui succède à la modernité, envisagée comme phénomène culturel transcendant ahistorique. L'adjectif "postmoderniste" sert à désigner ce qui est propre au "postmodernisme" tandis que "postmodeme" est l'adjectif auprès de "postmodernité".4

4 . Léo H. Hoek, « Indifférence, outrance et participation, dispositifs postmodernistes », Aron Kibédi Varga (dir.), Littérature et postmodernité, CR.LN., n014 (1986), p. 43.

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Des chercheurs tels que Daniel Riou insisteront par ailleurs sur l'importance de procéder à cette précision terminologique afin d'apporter une rigueur à la discussion sur le postmoderne.

Si l'on considère les légères variantes apportées par Riou, Marc Gontard et Matei Calinescu5, entre autres, on arrive aux définitions suivantes. Le postmodernisme serait un mOU1)ement intellectuel et eJthétique, assez circonscrit et bien ancré dans l'histoire6, qui révèle une « attitude réactionnelle à l'évolution du monde »7, au même titre que le romantisme, le surréalisme ou l'absurde. On s'entend en général pour associer au postmodernisme l'effervescence intellectuelle et artistique qui a donné naissance, des années 1950 à 1980 environ, aux mouvements poststructuraliste, déconstructionniste, féministe et autres.

La postmodernité, quant à elle, constitue un véritable mode de penJer

chapeautant penseurs et courants culturels inspirés par la configuration du savoir qui lui est particulière. Elle engloberait de cette manière le postmodernisme, alors· simplement considéré comme un mouvement de tendance plus radicale à l'intérieur d'une même logique. On peut parler de la postmodernité en terme d'ère épistémologique ou d'épùtémè au sens où Foucault l'entendait, soit en tant que « période de la pensée occidentale [ ... ] constituée par sa propre manière d'organiser le champ des connaissances possibles, et déterminée par une conception sous-jacente des rapports entre la langue et les objets auxquels elle fait référence »8.

En tant que période épistémologique, la postrnodernité se place sur le même plan que la modernité et c'est d'ailleurs toujours par rapport à cette dernière qu'elle sera définie. Distincte de la pensée moderne, l'épùtémè postmoderne y demeure toutefois intimement liée puisqu'elle s'établit en réaction à l'échec du projet moderne

5 . Matei Calinescu, « Introductory Remarks: Postmodernism, the Mimetic, and Theatrical Fallacies », Matei Calinescu and Douwe Fokkema (eds.), E>.p!orin.Z POJ//nodernù/n, Amsterdam,

Benjamins, 1987, p. 4.

6 . Marc Gontard, « Postmodernisme et littérature », ŒuvreJ et critiqueJ, vol. XXIII, nOl (1998), p. 28. 7 . Daniel Riou, « De la modernité », ŒuvreJ et critiqueJ, vol. XXIII, nO

l (1998), p. 10-11. 8 . Jerrold Seigel, « La mort du sujet: origines d'un thème », Le Débat, n058 (1990), p. 164.

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fondé dans la raison du sujet.9 S'il est somme toute assez aisé de situer historiquement

le postmodernisme, il n'en va pas de même pour la postmodernité, aussi les scénarios les plus opposés peuvent être envisagés.

Plusieurs ont clamé qu'avec le postmodernisme ('50-'80) s'ouvrait une nouvelle ère épistémologique, la postmodernité, qui succéderait à la modernité et la remplacerait. Depuis le milieu du siècle dernier (XXe), nous serions donc entrés dans une nouvelle période de l'histoire des idées, projetée vers l'avenir. Un second point de vue sur la pensée postmoderne la présente comme une épistémè passagère dans l'histoire des idées, isolée et transitoire, faisant le pont entre la modernité qui s'achève et une ère nouvelle, non encore définie, qui s'installerait dans les décennies ou même les siècles à venir. Enfin, le postmoderne peut être vu comme le second versant de la modernité, son versant négatif, soit la déconstruction fulgurante du projet moderne qui a pris son essor au cours des siècles précédents. La postmodernité ainsi conçue tirerait son origine dans le passé pour culminer dans le postmodernisme. Elle marquerait en ce cas le déclin, la fin de la modernité après laquelle s'installerait un nouveau mode de penser pas encore nommé.

Entre ces trois façons de concevoir la postmodernité, et son articulation à la modernité, il nous paraît impossible de trancher avec certitude à cause du peu de recul dont nous disposons à ce jour. Néanmoins, ces diverses interprétations de l'histoire récente des idées obligent à effectuer un constat essentiel. Dans n'importe quel cas, la postmodernité implique un bouleversement profond dans les conceptions humaines et marque le passage d'une ère à une autre. Cet épisode postmoderne n'est pas innocent, ni sans conséquences. Il trouve sa cause dans la désillusion face au projet moderne, dont il a révélé les écueils et dont il sonne le glas.

Cependant, la postmodernité ne constitue pas une solution pour autant. Si on ne peut désormais plus penser et vivre comme des modernes, après la mise à sac par les postmodernes des anciens idéaux, on ne peut pas non plus fonder de morale sociale à l'heure de la postmodernité Oes idées de visée, de collectivité, de hiérarchie

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de valeurs ont été bannies du vocabulaire postmoderne). Aussi voyons-nous poindre une nouvelle façon de voir l'existence. Un nouveau mode de penser qui ne serait plus ni la modernité, ni la postmodernité, mais qui tirerait profit de l'une et l'autre.

Nous aimerions proposer ici, autour de la dernière conception évoquée, une interprétation qui paraît riche de sens. Cette approche de l'évolution des idées de la fin de l'âge classique à aujourd'hui vient, selon nous, compléter et nuancer l'histoire de la modernité. À notre avis, considérer deux modes de penser aussi proches, aussi étroitement liés que la modernité et la postmodernité comme un ensemble découvre d'intéressantes perspectives. Nous choisissons de les étudier parallèlement car c'est dans leurs relations l'une par rapport à l'autre qu'elles se dévoilent véritablement. Examinons de plus près cette hypothèse.

La période épistémologique qui nous intéresse (du .1..rvIIc au XXc siècle)

s'expliquait jusqu'à récemment selon les paramètres modernes. On la partagerait désormais entre un premier versant moderne et un second, postmoderne. La coupure entre ces deux moments de l'histoire récente des idées n'est évidemment pas nette. Si l'on peut aŒrmer que le point tournant se situe vers la fin du XIXc siècle avec la pensée de Nietzsche, alors qùe le mouvement de destitution du sujet prend de l'ampleur et s'accélère, les deux pensées se chevauchent longtemps. La modernité perdure dans les esprits en bien des sens même jusqu'à aujourd'hui, et une certaine postmodernité pouvait être observée bien avant la naissance du philosophe allemand, particulièrement chez le philosophe David Hume, ce qui ramène presque aux débuts de la modernité.

Si Descartes, les philosophes des Lumières, Kant, Hegel, et aujourd'hui Habermas comptent parmi les représentants de la pensée moderne, Hume, Nietzsche, Freud, Heidegger, Foucault, Derrida et Barthes, pour ne nommer qu'eux, auraient élaboré leur philosophie sur les bases de la logique postmoderne. La pensée postmoderne, apparue seulement de façon ponctuelle et restée marginale par rapport à la modernité dominante pendant plusieurs siècles, se forge une place plus importante dans les esprits dès le tournant du XXc siècle, pour culminer ces dernières décennies dans ce que nous avons nommé le postmodernisme historique.

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Par commodité donc, parce que ses manifestations demeurent assez isolées avant cela, nous ne parlerons de postmodernité qu'à partir de Nietzsche. Il faut comprendre aussi, c'est entendu, que chaque penseur et chaque philosophie associés à l'un ou l'autre mode de penser ne tient pas exclusivement du moderne ou du postmoderne. Le chevauchement et donc la coprésence des deux épistémè au moment du passage de l'une à l'autre expliquent l'hybridation de certaines pensées. Mais nous n'invoquerons ici que leur dominante moderne ou postmoderne.

L'interprétation de l'histoire récente des idées proposée ici nous semble assez inédite. La filiation qui mène de Nietzsche aux déconstructionnistes, en passant par Freud et Heidegger, a certes souvent été relevée et étudiée. Cependant, on a rarement, à notre connaissance, inscrit le travail de cette lignée de penseurs sous le signe d'une autre épistémologie, ou d'un mode de penser élaboré contre la modernité, soit la postmodernité.

Nous chercherons donc, dans les sections suivantes, à explorer la pensée postmoderne ainsi circonscrite pour en comprendre d'abord les origines et les fondements qui la distinguent de la pensée moderne. Puis, nous tenterons de cerner les principes fondamentaux grâce auxquels on définit l'ère postmoderne, notamment les critères épistémiques qui la sous-tendent et les différentes conceptions qu'elle permet.

L'HISTOIRE DU MOI ET DE LA PENSÉE POST /MODERNES

Comme nous l'avons vu précédemment, la postmodernité se construit en réaction à la modernité et c'est toujours par rapport à cette dernière qu'elle se définit. Conséquemment, il faudra d'abord évoquer ici la pensée moderne. Nous mettrons en évidence deux idées au centre de la modernité: la conception de l'être humain en tant que sujet raisonnable et les projets d'émancipation du genre humain. Nous verrons ensuite que c'est par ces deux voies qu'advient la postmodernité, c'est-à-dire par la critique du sujet et par la désillusion face aux grands récits modernes. Une fois établi

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le paradigme à partir duquel jauger le postmoderne, nous découvrirons les origines et l'histoire de la postmodernité.

La modernité

L'épistémè moderne voit naître deux nouvelles conceptions sur lesquelles elle établira ses bases, soit le concept de sujet et l'idée de progrès dans l'histoire. Ces deux notions se rejoignent et sont mises à profit dans les grands récits d'émancipation d'une humanité guidée par la raison. Ces récits caractérisent pour nous l'ère moderne, ils en révèlent toute l'essence. Notre analyse de la modernité expliquera donc d'abord les concepts de sujet et de progrès propres à la pensée moderne pour ensuite parler des divers récits d'émancipation qu'ils permettent.

Avec la pensée de René Descartes, la modernité découvre en effet une toute nouvelle façon de concevoir l'être humain. Alors qu'il cherchait une certitude première sur laquelle fonder tout l'édifice de la connaissance humaine et de la philosophie, Descartes arrive dans son Dist'Ours de la méthode à la seule évidence que « ego sum, ego existo », « t'Ogito ergo Jum ». C'est à partir de cette dernière formule que la suite de la philosophie, particulièrement chez Kant et Hegel, assimilera le fait d'exister en tant qu'être humain au fait de penser. L'être humain devient un ego mgito, un « moi pensant », c'est-à-dire un être dont la caractéristique existentielle se situe dans sa raison ou dans son rapport de connaissance aux objets du monde; la personne humaine devient un sujet.

Comme nous l'avons défini plus haut, le sujet est un être qui entre en relation avec le monde par le biais de son intellect, qui intériorise et personnalise tout objet de connaissance. Il s'approprie le sens, attribue une valeur aux biens qui s'offrent à lui et se fait ainsi maître de son univers. Chantal Mouffe confttme que le sujet moderne est

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cet « autonomous, unitary, meaning-making self »10. Calvin O. Schrag évoque en plus l'activité centralisée et dirigée vers un but11 qui occupe le sujet. Éclairé par la raison, le

sujet guide son existence dans le but d'atteindre un mieux-être. Ce point nous amène d'ailleurs à exposer la seconde idée au cœur de la modernité: l'idée de progrès.

Avec l'ère moderne, l'humanité développe l'idée de changement dans le temps, les hommes inventent l'histoire et éprouvent le sentiment nouveau de leur historicité. Cette transformation du monde et des esprits à travers le temps, cette évolution dans l'histoire est évaluée positivement; on pense en terme de progrès, l'humanité se dirige vers un avenir meilleur. En effet, selon Pierre Barbéris, le thème de la modernité « est profondément lié à progrès, dJangement(J), Hùtoire, conscience et prise de mesure du progrès, du (des) changement(s), de l'histoire et de l'historicité »12.

Daniel Riou ajoutera d'ailleurs en parlant de l'époque des Lumières, dont la philosophie teinte toute la modernité, « être moderne, c'est alors se fonder sur l'idée d'une perfection toujours en progrès, ouverte sur l'avenir d'une humanité plus avancée qui jugera positivement le présent »13.

La conception de la personne humaine comme sujet et celle de progrès historique sont évidemment intimement liées. Qu'on y songe: l'avancement de l'humanité vers un avenir meilleur est la conséquence de la rationalité du sujet, qui dirige son activité vers un but élevé. La raison de l'homme cherche naturellement et incessamment le progrès. Ainsi, l'association des concepts de sujet et de progrès découvre la trame de tous les grands récits modernes: l'idée d'émancipation de l'humanité guidée par la rationalité. Comme l'ont montré Hans Robert Jauss ou Luc Ferry, les modernes croient effectivement que l'essor infini des connaissances

10 . Chantal Mouffe, «Radical Democracy»; cité par Betty Bergland, «Postmodernism and the Autobiographical Subject: Reconstructing the "Other"», Kathleen Ashley, Leigh Gilmore and Gerald Peters (eds.), Au/obiograpf!)l and Pos/modernism, Amherst, University of Massachussetts Press, 1994, p. 157.

11 . Calvin O. Schrag, The Se!lafler Pos/moderni!J, New Haven, Yale University Press, 1997, p. 8. 12 . Pierre Barbéris, « Qu'est-ce que la modernité? » ; cité par Daniel Riou, « De la moderpité », lOi:

à/., p. 15.

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humaines doit mener à l'émancipation des peuples14. «Le progrès des sciences, des techniques, des arts et des libertés politiques affranchira l'humanité tout entière de l'ignorance, de la pauvreté, de l'inculture, du despotisme et ne fera pas seulement des hommes heureux, mais [ ... ] des citoyens éclairés, maîtres de leur destin. »15

Dans le but d'arriver à cet état meilleur de la société humaine, plusieurs voies peuvent être empruntées, pour enrayer dans chaque cas un fléau différent. Ces voies s'expriment dans les grands récits d'émancipation modernes déjà annoncés. On pense entre autres au capitalisme promettant le développement de la richesse, au marxisme annonçant l'affranchissement du prolétariat et l'égalité entre les hommes, aux nationalismes visant la souveraineté et l'indépendance des peuples, au développement des sciences et de la technologie devant prolonger et faciliter l'existence ... Ces grands récits proposent un projet qui donne une orientation à l'existence et autour duquel rallier la collectivité. Ils trouvent leur légitimité dans un futur à faire advenir. Dans cette optique, chaque découverte, chaque initiative ou chaque institution n'a d'utilité qu'en autant qu'elle contribue au projet rassembleur. C'est en ce sens qu'on parle des récits de légitimation modernes.

Les origines de la postmodemité

Comme nous l'avons aŒrmé en début de section, ces deux idées au cœur de la modernité auxquelles nous venons de nous consacrer sont précisément celles qui feront l'objet de la déconstruction postmoderne. Le rejet des paramètres modernes s'opère sur deux plans. D'une part, sur le plan de la réalité concrète, divers événements historiques suscitent une profonde désillusion face aux projets modernes et un détachement complet vis-à-vis des idéaux de la modernité. D'autre part, à un niveau conceptuel, la définition du sujet moderne paraît inadéquate à plusieurs grands penseurs. De Nietzsche jusqu'aux postmodernistes, on procède à la destitution

14. Marc Gontard, « Postmodernisme et littérature », 10l: àt., p. 30.

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progressive du sujet hérité de Descartes. Plusieurs conceptions corrélées à ce concept sont évacuées du même coup et font place à une organisation du monde et du savoir radicalement différente. La suite du développement présentera d'ailleurs les caractéristiques propres à l'épistémè postmoderne.

Voyons en premier lieu de quelle façon la réalité historique a désabusé les hommes des projets modernes. Ces liens avec l'histoire événementielle de l'humanité ne constituent pas notre propos essentiel, néanmoins ils nous paraissent intéressants dans ce cas-ci parce qu'ils donnent un ancrage à notre réflexion. Il faut donc voir que si l'humanité a suivi la voie tracée par les grands récits modernes, elle n'a pas toujours obtenu les bénéfices promis. On a certes observé une dissémination des idées qui devaient libérer les hommes et connu des progrès dans de nombreux domaines, sans toutefois constater une amélioration franche de la condition humaine. Les développements scientifiques et sociaux ont amené autant d'améliorations à l'existence qu'ils ont créé de problèmes nouveaux.

En effet, la progression du capitalisme favorise certes l'enrichissement des plus riches, mais entraîne également l'appauvrissement des plus démunis. La puissance et l'étendue de l'empire capitaliste ont aussi permis la Grande Crise économique qui a suivi le krach de la bourse de New York en 1929. De plus, le développement techno-industriel amène inévitablement dans ses suites la pollution de l'environnement à l'échelle mondiale et ses conséquences désastreuses sur l'écosystème, sans compter les catastrophes humaines telles que celles survenues à Bhopal ou à la centrale nucléaire de Tchernobyl. Enfin, l'avancement des sciences, les découvertes surprenantes tant en physique qu'en biologie, sont responsables des explosions atomiques au Japon durant la Deuxième Guerre mondiale et de la menace constante des armes bactériologiques.

Jean-François Lyotard souligne d'ailleurs cette réalité dans Le Post moderne

e:>..pliqué aux e'!.fants.

Ce n'est pas l'absence de progrès, mais au contraire le développement technoscientifique, artistique, économique et politique qui a rendu possible les guerres totales, les totalitarismes, l'écart croissant entre la richesse du Nord et la

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pauvreté du Sud, le chômage et la "nouvelle pauvreté", la déculturation générale [ ... ], et l'isolement des avant-gardes artistiques yi

De plus, comme le laisse encore entendre Lyotard, l'esprit de maximisation caractéristique de la pensée moderne, à l'œuvre dans les idéologies fortes, entraîne les pires conséquences. Les projets d'émancipation se transmuent en totalitarismes. Le marxisme devient le communisme en Chine et en Russie où il bafoue toutes les libertés en imposant sa pensée unique, en freinant l'innovation scientifique et artistique, en rétablissant la censure, en envahissant le territoire de nations autonomes pour les assujettir. Le nationalisme devient le fascisme en Italie et le nazisme en Allemagne, mouvement qui repose sur le terrorisme d'État et qui viole jusqu'au droit à la vie lorsqu'il procède à l'extermination de millions de Juifs et de Tziganes.

Ce sont ces événements tragiques et tant d'autres qui causent la désillusion face aux idéaux moderneS et rendent les récits d'émancipation peu crédibles au XXe siècle. « Tout le monde admet ainsi la perte de vraisemblance irréversible des GrandJ

RédtJ, ces totalisations du passé, du présent et de l'avenir qui ont été durant deux siècles les énigmes résolues du malheur des hommes.»17 Impossible désormais de croire au progrès de l'humanité, au développement guidé par la rationalité, au sujet maître de son univers. La modernité qui a mené à ces horreurs est déchue et fait place à un nouveau mode de penser.

Revenons maintenant a ce qw nous intéresse plus spécifiquement, soit l'histoire des idées, pour étudier par quelle voie s'opère la critique postmoderne du sujet. Mais avant tout, en quoi consiste cette critique? Les détracteurs de la subjectivité qu'a connus le siècle dernier refusent la conception moderne d'un moi plein, cohérent, conscient, possesseur du sens et maître de son existence pour lui opposer l'idée d'un moi dissous, divisé, multiple et changeant. La modernité attribuait un fondement unique et unitaire à la personne humaine, qu'il s'agisse d'un principe fondateur ou d'une finalité dernière, qui assurait par là une direction unique au

16. Ibidem, p. 130.

17 . Marc Angenot, D'où venons-nous? Où allons-nous? : LA décomposition de l'idée de progrès, Montréal, Éditions Trait d'union, 2001, p. 13.

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cheminement du moi et donc une permanence dans la représentation de soi. Les postmodernes balaieront cette conception en soulignant la diversité des discours sur lesquels le moi se construit, les changements soudains dus au hasard qui ponctuent l'existence et l'apparente incohérence du moi qui en résulte.

De façon plus précise, la critique du sujet portera sur trois points essentiels. D'abord et avant tout, les postmodernes rejettent le primat de la raison. La raison perd sa place première, elle ne se situe plus au centre de la définition de l'être, ne constitue plus sa caractéristique existentielle. Les critiques de la subjectivité insistent plutôt sur les autres déterminations possibles des actes humains. La raison devient une composante du moi parmi tant d'autres. Cela mène les penseurs postmodernes à affirmer la multiplicité de l'être, par opposition à l'unicité propre au sujet moderne. Les détracteurs de la subjectivité soulignent les facettes diverses de la composition intrinsèque du moi, de même que le nombre des influences extérieures auxquelles le moi est soumis. Enfin, les conceptions postmodernes du moi feront une large part au langage ou au discours, c'est-à-dire aux structures extérieures à l'être qui entrent néanmoins dans sa constitution. Le moi se construit au moyen du langage, il prend forme dans la langue; les discours sociaux ambiants influencent fortement sa construction.

En bref, le moi postmoderne relègue la raison sur le même plan que les autres dimensions de l'être. Le moi est multiple et se construit par et autour de discours sociaux variés. Chacun des critiques du sujet moderne contribuera à élaborer cette conception du moi. Cependant, il est impressionnant de noter déjà cette définition dans presque tous ses termes chez le premier d'entre eux, chez le pionnier.

De nombreux chercheurs s'accordent pour situer Friedrich Nietzsche à l'origine de la déconstruction postmoderne de la subjectivité. Lui qui critique vertement la tradition philosophique et en dénonce les leurres, traite le sujet sans beaucoup plus d'égards. Sa conception du moi s'inscrit radicalement en dehors de la modernité. En effet, le philosophe allemand

déclare le sujet pure "fiction". Son assimilation au fait impersonnel de penser, qui en serait la condition, est un ''pr&ugé populaire" causé par la grammaire. [Le sujet]

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