HAL Id: halshs-00722457
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Submitted on 1 Aug 2012
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À propos d’une réédition hâtive.
Sophie A. de Beaune
To cite this version:
Sophie A. de Beaune. À propos d’une réédition hâtive.. Bulletin de la Société Préhistorique Française,
Société Préhistorique Française, 1989, 86 (7), pp.207-209. �halshs-00722457�
207
S.A.
de BeeuNe.-
A
Propos d'une réédition hôtive. La réédition récente d'un ouvrage publié par Armand de Quatrefages 1 en 1884 nous a paru importante à signaler ànos
collègues préhistoriens.Cette réédition
présente unintérêt
scientifique
et
historique
certain pour
qui
saitresituer l'ouvrage dans
le
contexte de l'époque, mais ellepeut être très mal utilisée par le lecteur non averti car elle
manque totalement
d'un
appareil critique
et
rien
ne 1. Armand de Q-uatrefages, Hommes fossiles et hommes sau_ygger-Ey4ï
d'Anthropologie. Paris, éd. iean-Michel place, l9g8208
prévient
le
lecteur que les données présentées parA.
deQuatrefages
sont
totalement
obsolètesaujourd'hui.
La date dela
premièreédition
ne figure nulle part et de très grands noms, comme Édouard Lartet et Gabriel deMortil-Iet
pour
la préhistoire et Pierre-Paul Broca pour I'anthro-pologie ne sont même pas mentionnés. Deplus'
la préfa-cière, au lieu de redresser la situation, fait un éloge exagéréde I'apport de
A.
de
Quatrefagesà la
scienceet
nousverrons que cet éloge repose avant tout sur un malentendu
et
un
contresensquant aux
viséesde I'auteur.
C'estpourquoi nous proposons
ici
de donner une brève idée dece qu'aurait
pu
être l'appareil critique
qui
manque àI'ouvrage
et
de
réparerau
moins les contresens les plus graves de la préfacière.Tout
d'abord, quelle est
la
place de celiwe
dans lespublications
de
Quatrefages?
Ses premières leçons auMuseum datent de
juin
1856. La Chaire d'histoire naturelle de I'hommequ'il
occupait au Museum d'histoire naturelledepuis 1855 existait déjà depuis
fort
longtemps mais avait changé de nom à plusieurs reprises.De
1673 à 1830, ellefonctionna sous le nom de « chaire d'anatomie comparée »
Ha
r+
\
eorngareenpour
être intitulée
après cette date « chaire-
d'histoire naturelle de I'homme ». De 1832 à 1855, on yfait
de
la
physiologie comparée puis de I'analomie comparée. Quatrefages élargit le sujet et ne sè cantonne plus dans unpoint
de vrle purement biologique maisy
traite
des races humainesdu point
de
vue
« anthropologique"
selon lesens
qu'il
donnait à cemot,
c'est-à-dire à la fois biologiqueet culturel.
Cette confusion entre les deux domaines peutsurprendre
aujourd'hui mais
elle était
plus
répandue à l'époque, et Broca lui-même n'y a pas échappé. Elle n'étaitpas
totale
cependant.L'ethnologie, la
partie culturelle et sociale de cette « anthropologie",
était constituée comme science depuis au moins 1839, date dela
fondation de laSociété ethnologique
de
Paris. Cette
société
«fut
lepremier corps
qui ait pour but
de ses recherches les raceshumaines ». En 1859, est constituée une Société
d'Ethnolo-gie américaine et orientale qui est transformée en 1864, en
une
Société
d'Ethnographie
qui
remplace
la
Sociétéd'Ethnologie qui
ne fonctionnait plus régulièrement. Elle rassemblesurtout
des historiens, des
philosophes, deslinguistes, des
géographes. Parallèlement,
la
Sociétéd'Anthropologie
fondée en 1859 regroupe quant à elle desarchéologues, des naturalistes, des médecins, des physiolo-gistes.
etc.
Se dessinedéjà
I'amorce d'une divisionqui
aabouti de
nosjours
à
la
distinction
entre I'ethnologie etI'anthropologie stricto sensa, c'est-à-dire l'étude des
carac-tères biologiques des races humaines.
On
peut donc dire queA.
de Quatrefages se situe en-deça de cette division.Mais en
réalité,
I'essentiel de ses travaux relèveplutôt
de I'anthropologie physique et de la paléontologie.Le grand principe qu'il défend dans son enseignement est celui-ci
:
il
n'existequ'une
seule espèce d'Hommeet
lesdivers groupes humains, quelques différents qu'ils se
mon-trent,
ne sont que des variétés héréditaires, des races de cette espèce. L'enseignement de Quatrefages est donc dèsle
premier
jour
monogéniste.Parmi
ces æuwesimpor-tantes, citons une série d'articles publiée en un volume en
1861 sous
le titre
Unité
de
l'espèce humaine,Il
a
desopinions diamétralement opposées à celles de Broca qui a
fondé
la
Sociétéd'Anthropologie de
Paris.A
partir
de 1870,il
est I'un des auteursdl
Journal des Savants etil
y adonné, pendant une dizaine d'années, à I'occasion de livres nouveaux de voyages ou d'ethnographie, une longue série
d'articles sur la Tasmanie, la Nouvelle-Zélande,les
archi-pels
Mélanésiens,I'Afrique
méridionale...
Ce
sont
cesarticles qui ont été réunis dans I'ouvrage
intitulé
: Hommesfossiles
et
hommes sauvages,publié
en
1884.Les
idées essentielles deA.
de Quatrefages sont rassemblées dansI'ouvrage
qu'il
publie
en
1894,intitulé
Les
émules deDarwin.
Il
s'y oppose-
commeil
l'a fait
durant toute savie
-
au
transformismeet
«à la
doctrine
des origines simiennes de I'homme".
Maisle
seul de ses ouvrages quiait
réellement marqué son époque concerne non ses idées personnelles mais I'histoire dela
discipline puisqu'il s'agit du Rapport sur les progrès de I'anthropologieplblié
en 1867alors
qu'il
était titulaire de la chaire d'histoire naturelle del'homme au
Muséum.
Ce rapport
constitueune
mined'informations historiques
et
contribue à éclairerla
posi-tion
encore indécisede
I'archéologie préhistorique parrapport à I'archéologie, à I'anthropologie et à l'ethnologie.
Pour
la
préfacière, Quatrefages est une sorted'huma-niste,
d'adversairedu
racisme;
il
serait aussiun
précur-seur,
le
père de I'anthropologie moderne.En réalité.
onfrémit
un peu de voir Quatrefages, semblable en cela à sescontemporains,
définir les
races
sur
des critères
nonseulement craniologiques, mais culturels, confusion
tou-jours
inquiétante et dont on sait ce qu'elle a produit chez un Gobineau. Mais surtout, si Quatrefages parle d'unité deI'homme,
ce
n'est pas
tant pour
s'opposeraux
thèses racistes de l'époque que pour s'opposer au transformisme.Quatrefages,
on le
sait.
a bâti
sa carrièresur une
lutte d'arrière-garde contreun
transformismequi
remportait àl'époque ses victoires décisives. On sait que la controverse
qui
opposait Cuvier, défenseurdu
catastrophismeet
La-marck,
défenseur du transformisme, se poursuivit durantun demi-siècle par I'intermédiaire de leurs disciples jusqu'à
la
publication deOn
theOrigin
of
Species deDarwin
ent/59.
Après
cette date,
s'il
manquait
encore quelques preuves paléontologiques à l'évolutionnisme,on
peutce-pendant
dire
qu'il
emportait
la
conviction
de tous
les naturalistes et que bien peu nombreux étaient ceux qui s'y opposaient encore.Armand
de Quatrefagesfait
partie decette catégorie et on peut
dire
qu'à cetitre
il
représentait plus lafin
d'une époque que le début d'une autre. Sa thèse estla vieille
thèse del'unité
de l'espèce humaine, de soncantonnement
primitif, du
peuplementdu
globepar
lesmigrations
et
ii
est évidentque.
plus les découvertes semultiplient,
plus ses arguments perdent de poids.Il
recon-naît
d'ailleurs lui-même
qu'il
lui
est
chaquejour
plusdifficile
de contrer I'avancée du transformisme:
.
Quandje
combattais Ie polygénisme, I'autochtonisme,je
pouvais opposer doctrine à doctrine(...). J.
ne puis en faire autantaujourd'hui
(...).
Mais sion
me demande de donner unesolution
queje
regarde comme bonne, commevraie,
je209
serai forcé d'avouer que je n'en connais pas » (Les émules de
Darwin, p.3-4).
Rappelons brièvement les données
qui.
à
l'époqueoù
il
écrivait ses travaux. allaient à l'encontre des thèses encore défendues par
A.
de Quatrefages.Lors de
la
découvertedu
fameux hommede
Moulin-Quignon (1863),
nul
n'a
idée
de ce
à
quoi peut
bienressembler
un
homme antédiluvien
et
pour
cause:
lapaléontologie humaine n'existe pratiquement pas.
Et
au-cun fossile humain autre que des hortto sapiens ,sapiensn'a
encore été découvert à l'exception de I'hornntc c'leN,ian-derthal
en
1856 dont on sait quelles vives polémiquesil
asuscitées.
Armand
de Quatrefages n'avait donc pas grandmérite à
affirmer I'unité
de I'homme, puisque, defait,
on ne connaissait alors que des homo sapiens sapiens.Il
étaitdu reste très sceptique quant à l'authenticité de I'homme de
Néanderthal.
le
seul pré-sapiens connuà
l'époque. Maisune dizaine d'années après
la
découverte de I'homme de Néanderthal, près de Dusseldôrf,vint
celle de I'homme duTrou de la Naulette, du même type humain. Broca n'hésita pas alors à proclamer :
.
La mâchoire de la Naulette est lepremier
fait qui
fournisseun
argument anatomique auxdarwinistes
;
c'est
le
premier
anneaude la
chaîne qui,suivant eux,
doit
s'étendre de I'homme aux Singes."
Une autretrouvaille allait
étendre considérablement nos con-naissances et mettrefin
aux controverses : dans la grotte deSpy, province de
Namur
(Belgique), Lohestet
de Puydtexhumaient, en 1886. les restes de trois individus de même
type
quel'homme
de Néanderthal, associés à une faune composée d'espèces disparueset
à une industriemousté-rienne. Cette découverte vint définitivement ruiner la thèse
de
la
nature pathologique de I'homme de Néanderthal etdémontrer
I'existenced'un
ancientype humain.
Depuis cette date, on sait que les découvertes se sont multipliées.Pour revenir à
A.
de Quatrefages.il
est intéressant de constater que. lors de la découverte de I'homme de Moulin-Quignon. alors même que les paléontologues anglaisémeÎ-taient
les plus grands doutes quant à l'authenticité de cefossile,
il
s'empressait de la défendre dans deux communi-cations à l'Académie des Sciences.Il
faut
dire que I'exis-tence d'un fossile humain antérieur à I'homme deNéander-thal et cependant plus moderne et plus proche de I'homme
de
Cro-Magnon
et
des
hommes actuelsque ce
dernierarrangeait bien
A.
de Quatrefages. On ne sauraitévidem-ment
que
le
louer
d'affirmer
I'unité
des diverses races humaines existant aujourd'hui, mais cette affirmation n'est que I'envers d'un refus aujourd'hui insoutenable : celle quiconsiste à refuser de tenir compte des différences
irréducti-bles entre
l'homo
sapiens sapiensell'homo
sapiens nean-derthalensis.Voilà
en réalitél'unité
de I'homme queA.
deQuatrefages
a
en tête.
Or,
non
seulement,toutes
les découvertes mentionnéesplus
haut.
essentielles dans ledébat, ne sont pas signalées, mais la préfacière reprend à
son compte,
après Quatrefages,et
commesi
cela étaitencore
admis aujourd'hui, l'idée
de
l'existence d'uneindustrie et d'un art
préhistoriques àl'ère tertiaire.
A
sasuite encore,
elle nie
que des
rameaux humains aientaujourd'hui disparu. Tout cela témoigne d'une méconnais-sance
incroyable des
découvertes effectuéesdepuis
un siècle.On a bien sûr quelque gêne à devoir se montrer si sévère
face
à
cette
entreprise.Ce jeune éditeur.
qui
prend
lerisque de republier des textes
aujourd'hui
introuvables aassurément
bien du mérite
et on
nepeut qu'avoir de
la sympathie pourlui.
Souhaitons-lui simplement de pouvoirà l'avenir s'entourer de collaborateurs plus compétents.
Principales ccuvres de
A.
«Je Quatrefages :-
XVI-420 Unité de l'tspèrc hutnaine, Paris. p.L-
IIâchetlc et Cic, 1861,-
Rapport sur riale, 1867, 570 les progrès de p. I'anthropologie, Paris, impr.Impé--
Charles Darwinet
ses précurseurs français, Étud.e sur Ie transformisme. Paris, Germer Baillière et Cie, 1870, 378 p.-
L'espèce humaine, Paris, Germer Baillière et Cie. 1877, 368 p.-
Crania ethnica. Les crônes des races humaines décrits et figurés d'après les collections du Museum d'histoire naturelle de Paris,de
la
Société d.'anthropologie de Paris,et
les principales collections de la France et de l'étranger, en collaboration avecE.T. Hamy, Paris, J.-8. Baillière et Iils, 1882, 2 vol., XI-528 p.
et 100 pl.
-
Histoire générale des races humaines. Introduction à l'érude des races humaines. Vol. 1. Questions générales ; vol. 2.Classifica-tion des races humaines. Paris,
A.
Hennuyer, 1887-1889.-
Les émules de Darwin. Pécédé d'une préface, par E. Perrier etd'une notice sur la vie et les travaux de M. de Quatrefages par M. E.T. Hamy. Paris, F. Alcan, 1894, 2 vol.
Sophie A. de Breuræ