J.-L. MARTINAND et É. TRIQUET, Actes JIES XXIX, 2008 1
QUELLE CULTURE SCIENTIFIQUE POUR
LES JEUNES DU MILIEU RURAL MAROCAIN ?
Afaf MIKOU
Faculté des Sciences Ain Chock, Casablanca, Maroc
Responsable du Projet de Culture Scientifique – Association Les Rangs d’Honneur
MOTS-CLÉS : CULTURE SCIENTIFIQUE – MILIEU RURAL MAROCAIN – ATELIERS
SCIENTIFIQUES – ENVIRONNEMENT – SANTÉ.
RÉSUMÉ : Le projet associatif que nous menons, répond aux priorités du Maroc en matière
d’éducation et de santé. Il vise à promouvoir la culture scientifique auprès des jeunes du milieu rural marocain. Des ateliers scientifiques ludiques et pédagogiques sont organisés pour répondre à des problématiques spécifiques de ces régions. Deux exemples seront présentés : L’atelier sur l’eau (construction d’une station d’épuration) et l’atelier sur les carences en iode (tests qualitatifs le sel commercial, le sel marin et le sel des montagnes).
ABSTRACT : This project is part of the national Moroccan projects as regards Education and
Health. This project aims at promoting sciences among young people in the Moroccan countryside. Educational experiments and play activities have been organized to tackle specific problems of these areas. Two examples will be shown. The first one on water problems (building a small station of water treatment) and the second on iodine deficiency (tests on cooking salt, sea salt and salt from the mountains).
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1. CONTEXTE GÉNÉRAL DU MAROC
Le Maroc en quelques chiffres
Avec une population jeune (moins de 18 ans) avoisinant les 40 %, le Maroc place le secteur Éducation parmi ces axes prioritaires. En effet, le Maroc a alloué plus de 27 % de son budget au secteur de l’éducation en 2005. Malgré les réformes engagées dans le secteur de l’éducation et un taux de scolarisation au primaire frôlant actuellement les 100 %, certains chiffres demeurent inquiétants (1.2.). Ainsi, au primaire les taux de redoublement et d’abandon scolaire (respectivement 13 % et 5,7 % en 2006) sont élevés et supérieurs à ceux enregistrés par les pays voisins ou à développement similaire. De plus ces taux s’aggravent au secondaire avec un taux d’abandon qui semble davantage toucher les filles. En plus de cette disparité de genre, on note un grand écart entre le milieu citadin et le milieu rural. Cette disparité est marquée dans d’autres secteurs comme l’accès à l’eau potable ou encore l’accès aux installations sanitaires (respectivement 56 % et 52 % seulement pour le milieu rural).
C’est pourquoi, pour 2008, 55 % du budget est alloué aux secteurs sociaux : enseignement, santé, lutte contre l’habitat insalubre, équipement de base pour le milieu rural (eau, électricité, pistes, santé, éducation de base… )
Plusieurs programmes nationaux sont engagés dans ce sens comme :
- l’Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH) qui encourage le travail associatif pour venir en aide aux populations défavorisées.
- Le programme des 10 000 ingénieurs par an qui prône la diffusion de l’esprit scientifique. - La réforme de l’enseignement et de la recherche pour adapter les programmes au contexte socio
économique.
2. CULTURE SCIENTIFIQUE AU MAROC 2.1. Paysage de la culture scientifique au Maroc
Le contexte politique, social et humain du Maroc apparaît comme un terreau propice au développement de la culture scientifique et technique dans le pays. Depuis quelques années, le Maroc encourage les initiatives relevant de la Culture scientifique qui cible en priorité les jeunes, à l’image de « Les jeunes et la science » événement instauré par l’Académie Hassan II. D’autres manifestations ont été organisées, à l’échelle de plusieurs universités, comme la semaine de la science. Pour 2008, nous avons participé à une table ronde à l’Université de Kenitra pour débattre de l’importance de la culture scientifique au Maroc. Auparavant, nous avons organisé, en 2002, la
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semaine de la science à l’Université Hassan à la Faculté des sciences Mohammedia, où nous avons associé des écoles primaires. Ainsi plusieurs élèves ont réalisé des montages scientifiques expérimentaux dans le cadre du programme la « main à la pâte » (www.inrp.fr/lamap/) et les ont exposés dans des stands réservés. Le programme « la main à la pâte » initié, en France, par Georges Charpak (3), a été introduit au Maroc depuis 1998 dans plusieurs écoles. Par la suite, nous avons organisé plusieurs ateliers de type la main à la pâte dans des établissements scolaires publics et privés marocains. Nous avons également mené un projet intitulé « la matière dans tous ses états » avec 2 classes de CE2 en 2005 à l’école Georges Bizet à Casablanca (établissement relevant de l’Agence de l’Enseignement Français à l’Étranger, AEFE). Ce projet a été soumis, pour lecture, au concours « la main à la pâte » et a contribué à l’élargissement du concours à toutes les écoles de l’AEFE.
2.2. Projets de Culture Scientifique - Initiatives internationales
Plusieurs programmes internationaux et inter gouvernementaux favorisent les échanges culturels entre le Maroc et d’autres pays. On retiendra un programme de coopération internationale entre la France et le Maroc qui relève directement des actions de culture scientifique et technique. En effet, fin 2004, la Direction générale de la coopération internationale et du Développement du Ministère français des AFFAIRES Étrangères (DgCiD -MAE) lance un programme mobilisateur sur le Fond de Solidarité Prioritaire qui vise à promouvoir la culture scientifique. Dans le cadre de ce programme de « Promotion de la Culture scientifique et Technique » (PCST), l’Institut de Recherche et de Développement (IRD) a été mandaté comme « opérateur conseil » (www.latitudesciences.ird.fr/). Plusieurs appels à projets ont été initiés par l’IRD en direction de 10 pays du sud (Burkina Faso, Cameroun, République Centrafricaine, Djibouti, Madagascar, Mali, Maroc, Sénégal, Tchad, Yémen). La participation du Maroc a été la plus importante témoignant d’un intérêt incontestable des acteurs de la culture scientifique et technique (CST). Toutefois, au Maroc, celle-ci apparaît comme un champ qui se construit et s’organise progressivement. En effet, les structures jeunes, les acteurs CST qui manquent souvent de reconnaissance et les réseaux dans le domaine (encore à l’état embryonnaire), sont des indicateurs de cette structuration progressive.
2.3. Acteurs de culture scientifique au Maroc
Dans le cadre de ce projet PCST, la délégation à l’information et à la communication de l’IRD a sollicité le Centre de Recherche sur les liens Sociaux (CERLIS, UMR 8070-CNRS/Paris 5) pour dresser une étude sur les acteurs de Culture Scientifique et Technique (CST) et faire un inventaire des actions CST dans les 10 Pays du sud dont le Maroc. Des enquêtes par Internet et sur le terrain ont permis de répertorier les principaux acteurs de Culture scientifique au Maroc (4).
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Il ressort de cette étude que deux catégories d’acteurs se partagent le paysage de la CST au Maroc : les associations (60 %) et les universitaires (moins de 40 %) ; avec une minorité issue des entreprises. Les thématiques développées par les structures sont variables allant de la science de l’univers, des sciences technologiques (NTIC), des sciences de l’Homme (éducation, didactique, citoyenneté, écotourisme), « patrimoine et culture » à la santé, avec une grande part réservée à l’environnement. La vocation de ces structures est orientée vers un public de proximité en grande majorité jeune (école primaire, collège lycées…). On notera leur faible implication en milieu rural, d’où l’originalité du projet de notre association Les Rangs d’Honneur que nous vous présentons dans cet article.
3. PROJET ASSOCIATIF DE CULTURE SCIENTIFIQUE EN MILIEU RURAL 3.1. Présentation de l’Association les Rangs d’Honneur
L’Association les Rangs d’Honneur est constituée de près de 1000 adhérents dont quelques centaines de membres actifs regroupant principalement des médecins, pharmaciens, professeurs, enseignants, étudiants, randonneurs…
L’association mène depuis 2000 des campagnes médicales et sanitaires (près de 80) dans plusieurs régions rurales. Ces actions d’aides médicales apportent soins et médicaments à titre gratuit attirant ainsi une large population. Le projet de Promotion de la Culture Scientifique et Technique, mené au sein de l’Association Les Rangs d’Honneur, veut saisir l’occasion de ce rassemblement pour toucher les jeunes, le plus souvent des enfants, accompagnant les adultes bénéficiaires de l’opération.
Pour chaque action (en moyenne 1 par mois), l’Association effectue, en étroite collaboration avec les collectivités locales, des enquêtes préalables pour identifier les principales problématiques qui touchent la région visitée. Ces problèmes spécifiques de chaque région sont le plus souvent liés à la précarité, la santé, l’hygiène, la nutrition, l’eau…
3.2. Ateliers de culture scientifique
Partant des principales problématiques (maladies hydriques, troubles liés aux carences en iode) identifiées par l’association dans les régions rurales visitées, le projet de Culture Scientifique (CST) que nous menons se propose de passer par la prévention et l’éducation pour changer les mauvais gestes et améliorer la qualité de vie des populations.
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Ce projet, cible en particulier les jeunes du milieu rural à travers des ateliers de sensibilisation à une problématique en utilisant le plus souvent des outils scientifiques et en s’appuyant sur des modes d’expression ludiques et pédagogiques.
Parmi les ateliers ayant remporté un franc succès dans les nombreuses régions visitées, nous avons choisi d’en présenter deux : l’atelier « eau limpide, eau potable » et l’atelier sur « les carences en iode ».
Photo 1 : Atelier « Eau limpide, eau potable – Construisons une station d’épuration » mars 2006, Barrage El ouahda, Sidi Slimane
Maroc
Photo 2 : Atelier « Carences en iode » 31 mars, 1er et 2 avril 2006,
région Taza - Maroc
- Atelier « eau limpide, eau potable » : Construisons une station d’épuration (photo 1)
Cet atelier montre l’importance du bon geste et les précautions à prendre face à une eau de provenance douteuse. La construction avec les enfants d’une mini station d’épuration retrace les procédés de traitement de l’eau avant d’être propre à la consommation. Après une série de filtrations, on obtient une eau limpide qui en apparence, peut être consommée. Mais par l’expérience, on montre, preuve à l’appui que l’eau limpide ne signifie pas eau potable. En effet, l’examen au microscope de l’eau limpide révèle la présence de bactéries. Le traitement par les pastilles chlorées (fournies par le ministère de la santé pour le traitement des puits) permet d’éliminer les bactéries et conduit à une eau potable.
- Atelier sur « les carences en iode » (photo 2)
Le sel gemme, disponible en large quantité dans les régions montagneuses, est consommé par les populations. Il possède la même apparence et le même goût que le sel commercialisé. Cependant le test qualitatif de révélation de l’iode mené avec les enfants, prouve que le sel des montagnes ne contient pas d’iode alors que le test de coloration d’iode est positif pour le sel commercial enrichi en iode. Lors de cet atelier, un message important est transmis aux jeunes :
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La consommation du sel local ne contenant pas d’iode peut conduire aux troubles dus à la carence en iode : goitres, crétinisme, surdité…Ces maladies très fréquentes dans ces régions sont souvent associées, à tort, par les populations à un mauvais sort ou autres croyances.
3.3. Public cible
Ce projet vise donc à promouvoir la culture scientifique auprès des jeunes du milieu rural lors des grands rassemblements occasionnés par les campagnes médicales et sanitaires. De plus, ils peuvent, ensuite véhiculer ces messages simples à leurs parents souvent analphabètes. Ainsi, ces jeunes peuvent saisir concrètement l’importance de l’éducation, l’intérêt des sciences et l’utilité de certains métiers scientifiques pour l’amélioration de leur qualité de vie et le développement durable.
Ce projet PCST a été lauréat en 2006 de l’appel à projet lancé par l’IRD et a pu toucher un grand nombre de jeunes, soit près de 2300 en milieu rural au lieu des 500 prévus initialement (photo 3).
Photo 3 : Photo d’un groupe d’enfants participant aux ateliers de culture scientifique, Mont Bouiblane, région Taza - 31 mars et 1er au 2 avril 2006.
4. CONCLUSION ET PERSPECTIVES
Ce projet répond aux priorités du Maroc en matière d’éducation et de santé. Il fait suite aux recommandations de l’Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH) qui encourage le travail associatif pour venir en aide aux populations défavorisées. De même, en prônant la diffusion de l’esprit scientifique auprès de jeunes, nos actions s’inscrivent dans le programme national des 10 000 ingénieurs/an.
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Au vu des retombées médias (5) et du taux de fréquentation important (2300 jeunes pour 9 actions en milieu rural), ce projet sera reconduit en milieu rural mais aussi en ville, en particulier, dans les quartiers défavorisés. Il a récemment été sélectionné, par l’IRD, pour participer à un appel à projet restreint en 2008-2009.
Toutefois, pour assurer une meilleure et plus large diffusion de la culture scientifique, des brochures vont être élaborées en arabe, français et berbère puis diffusées auprès des jeunes.
Enfin, pour la pérennité du projet, de jeunes animateurs seront formés par des experts scientifiques et animeront des ateliers de Culture Scientifique. D’autres projets de création de clubs d’étudiants au sein de l’Université sont à l’étude. Ces jeunes pourront alors contribuer à la promotion de la culture scientifique et véhiculer l’image d’une science citoyenne.
BIBLIOGRAPHIE/SITOGRAPHIE
Site de la banque mondiale : Web.worldbank.org Rapport de la banque mondiale 2008 – Pays MEN
G. Charpak - La main à la pâte. Les sciences à l’école primaire – Flammarion 1996.
Séverine DESSAJAN et Elsa RAMOS, Étude Cerlis mars 2007, téléchargeable sur le site www.latitudesciences.ird.fr.
Plusieurs autres articles sont parus dans la presse avec en plus, une émission télévision et une émission radio avec rediffusion intégrale de l’atelier sur « eau limpide, eau potable ». on citera pour exemple l’article paru dans la revue « Le reporter » le 13 avril 2006, téléchargeable sur le site www.lereporter.ma.