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Texte intégral

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Évelyne Toussaint

PRÉSENTATION

Le colloque « La Fonction critique de l’art » qui s’est déroulé à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour les 28, 29 et 30 novembre 2007 a réuni des chercheurs participant à une réflexion concernant tant l’esthé tique que l’histoire de l’art. Au-delà d’un simple parti pris « art autonome versus art critique » ou « formalisme versus historicité », les participants ont entrepris une démarche épistémologique, en revendi-quant leurs propres cadrages perspectifs, aucune censure n’étant évidemment intervenue quant aux contenus des textes réunis ici.

Les artistes, comme les écrivains, ont pris position, de longue date, sur les questions politiques, sociales, économiques ou esthétiques et ont traduit leurs idées dans leurs œuvres, conférant à l’art une fonction critique dont témoigne la contemporanéité. Les débats concernant cette fonction critique de l’art sont loin d’être épuisés, comme l’attestent ces actes qui proposent, en quelque sorte, que le dialogue se poursuive autour de problé-matiques actualisées, s’articulant selon les trois axes de réflexion qui avaient été suggérés aux participants lors de l’appel à communications.

Modalités et dynamiques de dissidences et de résistances

Heureusement indifférents aux accusations qui leur sont faites d’esthétiser la catastrophe ou d’être instrumentalisés par l’institution et le marché,

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1. JACQUES RANCIÈRE, Malaise dans l’esthétique, Paris, Galilée, 2004, p. 36.

peu sensibles à des jugements qui se révèlent souvent comme autant de témoignages de méconnaissance, de distraction, d’emballements rhéto-riques ou de volonté d’emprise, de nombreux artistes se moquent de l’injonction qui les contraindrait à dissocier œuvre esthétique et œuvre critique. Négligeant les voix de ceux qui prônent la pertinence exclusive de l’esthétique relationnelle ou de la micropolitique, du détournement ou du documentaire, contre ceux qui affirment que l’art doit être auto-nome ou ne pas être, ou bien être contextuel ou ne pas être, l’art actuel démontre quelquefois, en effet, qu’il est possible de n’abandonner en rien une réflexion sur les mécanismes de domination et d’humiliation, tout en instituant l’écart que Jacques Rancière appelle de ses vœux1, un interstice entre réalité et œuvre d’art.

Comme on va le constater ici, la démonstration d’une incompatibilité entre logique de la responsabilité et démarche esthétique – celle-ci étant à la fois sensible, émotionnelle, poétique et discursive – reste à faire.

Leszek Brogowski en appelle à Kant pour appréhender «l’expérience esthétique comme valorisant l’humanité de l’homme dans son intégralité, c’est-à-dire à la fois et inséparablement dans sa dimension intellectuelle et sensible». Pour analyser les fondements de l’avant-garde de l’esprit révo-lutionnaire, il s’attache au «regard critique sur la réalité» que porte Daumier, mais aussi au «déverrouillage de la représentation artistique» des impres-sionnistes, la révolution du regard étant complémentaire de celle de la société. Leszek Brogowski rappelle que la révolution est alors «pensée et vécue sur le mode libertaire comme une somme des révoltes individuelles spon-tanées dont la coordination a réussi. Elle est donc l’œuvre d’individus qui ont assez d’imagination pour penser une autre société, assez de sensibi-lité et de lucidité pour juger les souffrances et les injustices, enfin assez de force et de courage pour prendre le risque de vouloir changer le monde». Analysant une satire graphique de George Grosz, Romain Duval constate que celui-ci s’adonne à l’invention d’une image en partie «poli-tique et moraliste », mais dont le kunisme « reste insoumis, apoli«poli-tique et amoraliste ».

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Sylvaine Guinle-Lorinet étudie la fonction critique d’un roman de Robert Davezies, Les Abeilles, concernant la guerre d’Algérie, dénonciation «de la politique coloniale de la France, et du colonialisme en général».

Plus explicitement, la presse libre assure une fonction critique qui fait office de « veille démocratique dans cette société qui porte encore les stigmates des violences guerrières», comme le rapporte Abel Kouvouama. Jacques Norigeon s’intéresse aux Aventures de l’art de Willem, critique « délibérément choquante » de l’art majeur par l’art mineur.

Sophie Dannenmüller a effectué une recherche sur l’histoire de l’as-semblage en Californie depuis les années 1950, pratique d’observation et de critique de la société américaine : « Tour à tour, [ces artistes] affron-tent la réalité, dénoncent le conformisme, le racisme, l’oppres sion, la violence et l’oubli, défendent des idéaux et s’impliquent dans les mouve-ments contestataires. En sélectionnant des matériaux et des objets emblé-matiques dans le contexte sociopolitique de l’époque, et en imposant de nouvelles formes plastiques, ils ont pu donner une dimension subver-sive aux œuvres pour provoquer la prise de conscience des regardeurs et proposer une nouvelle conception de la société ».

Felix Gonzalez-Torres, écrit Jean-Philippe Uzel, «est un des premiers artistes à avoir systématiquement réutilisé l’esthétique de l’art minimal en vue d’un message politique» et Brian Jungen nous invite à «dépasser l’opposition stérile posée par l’esthétique relationnelle entre objet et praxis, entre esthétique et politique ».

Pour ma part, je souhaite ici montrer en quelle manière les œuvres de l’artiste afghane Lida Abdul placent les forces de l’art aux interstices de la domination, instaurent un tiers espace – au sens que donne Homi Bhabha à ce terme, c’est-à-dire en tant que place capable de «faire naître l’ambivalence dans la structure du sens » et révéler le savoir culturel comme un « code évolutif » – entre fable et documentaire, associant poétique et éthique, art et responsabilité.

Lucie Pélegrin relate la démarche de Regina José Galindo, artiste guatémaltèque qui, « avec pour matériaux de prédilection sa propre chair, son sang, son corps intime exposé, développe un travail éminemment engagé ». Le corps, qui n’est pas envisagé à l’écart du politique, place le spectateur « face à une œuvre qui le confronte à la réalité mise à nue ».

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1. Ibid., p. 65-66.

2. NATHALIE HEINICH, L’Élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique, Paris, Gallimard, 2005.

3. MARC AUGÉ, « Résistances, ambivalences, ambiguïtés » in Partages d’exotismes, catalogue de la 5eBiennale d’art contemporain de Lyon, 27 juin – 24 septembre 2000, Paris, Réunion des Musées nationaux, 2000, p. 59-60.

Pour son œuvre Outre-Mémoire (2004), Jean-François Boclé écrit à la craie blanche sur un tableau noir des extraits du Code noir. Dans celui-ci, de 1685 à 1848, on qualifiait de « marchandise » et de « bien meuble » des femmes et des hommes dont la condition d’esclaves était ainsi fondée en droit. Plastiquement, comme dans son texte bref et incisif, Jean-François Boclé crée des images-valises où se condense l’histoire de l’(in)humanité.

Arts et pouvoirs : engagements, instrumentalisations et ambiguïtés

Jacques Rancière analyse les limites de la fonction critique de l’art, consta-tant sa faible efficacité « pour la transformation des consciences et des situations » et soulignant le danger d’une proposition artistique qui fina-lement ferait « s’évanouir toute résistance des choses »1. Nathalie Heinich,

pour sa part, note que l’indifférence et l’hostilité du grand public amoin-drissent l’efficacité d’une éventuelle capacité de subversion de l’art contemporain. Ses conclusions mettent en évidence la situation d’aporie d’un art récupéré par ceux-là mêmes qui font l’objet de ses attaques : l’institution qui subventionne et le marché libéral qui achète, collec-tionne ou expose2. Marc Augé remarquait déjà, à l’occasion de l’expo

-sition « Partages d’exotismes », que « le danger que courent les artistes, c’est de voir l’actuelle surmodernité, par ses effets propres d’accéléra-tion, toujours anticiper ceux qui prétendent prendre leurs distances par un mouvement de recul ou un pas de côté : ces chorégraphies sont prévues et font partie du grand libéralisme idéologique qui les accueille comme autant de preuves de sa force de tolérance et de son inéluctable préémi-nence3». Comment interroger, aujourd’hui, de telles ambiguïtés ?

Olivier Neveux dissèque le théâtre critique de Rodrigo García, «cette œuvre qui, à sa manière, et non sans certaines limites, facilités ou parfois

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détestables ambiguïtés, paraît interpeller, en regard de la question critique, les pratiques contemporaines ».

Sarah Gilsoul entreprend de démontrer que l’esthétique relationnelle « fait, paradoxalement, de la participation et de l’interactivité en art le vecteur d’un détournement de la fonction critique de l’art », devenant « une nouvelle cosmétique au service de l’État ».

La success-story de Jeff Koons, selon Fabien Danesi, peut susciter de « justes réticences si on croit avec Theodor Adorno et Jean-François Lyotard qu’“il faut accompagner la métaphysique dans sa chute […] mais sans tomber dans le pragmatisme positiviste ambiant, qui sous ses dehors libéraux n’est pas moins hégémonique que le dogmatisme” ».

La volonté de Fred Forest, rapporte Isabelle Lassignardie, est de «s’ex-traire de l’unilatéralité imposée de la communication, en détournant les principes de la communication instantanée à sens unique au profit d’un art participatif, en tachant de mettre en place des contextes propices à l’instauration de relations au cœur même du spectacle». L’artiste entend, par cette position non dénuée d’ambiguïtés, faire prendre conscience au spectateur de son « potentiel critique, et ainsi créatif et artistique ».

Sandra Métaux s’intéresse à la dérision critique de Gianni Motti et questionne, en parallèle, la définition même de « l’esthétique totalitaire ». Dans l’espace public, constate Éric Van Essche, «les plasticiens navi-guent entre autonomie et instrumentalisation ». L’auteur s’attache donc à expliciter les « paradoxes montrant l’étendue du registre d’expression développé par les artistes contemporains, mais dénonçant aussi les limites de l’engagement artistique dans l’espace public ».

Cette problématique rejoint celle du théâtre de rue, dont les compa-gnies, explique Martine Maleval, courent le risque de l’institutionnali-sation et de l’instrumentalil’institutionnali-sation, et de l’autocensure. L’auteur fait ici référence à l’ouvrage Subversion et subvention de Rainer Rochlitz selon lequel la société devra « apporter la preuve qu’elle n’a pas ouvert ces temples à un art insoumis dans le seul but d’en neutraliser les forces explosives ».

Neli Dobreva interroge l’esthétisation immédiate des attentats du World Trade Center, à New York, le 11 septembre 2001, relevant « d’une mise en scène du spectaculaire » calquée sur « la stratégie des publicitaires ».

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Androula Michaël revient sur les raisons de l’annulation de « Manifesta 6 » en 2006, à Nicosie. La question de la responsabilité de l’action des critiques et des commissaires dans des contextes géopoli-tiques instables se trouve alors frontalement posée : « Les artistes et encore moins les commissaires ne sont pas des messies qu’on attendrait pour sauver le monde. L’art ne peut pas remplacer l’action des politiques.» Miguel Egaña analyse une œuvre de Claude Lévêque, Arbeit macht

Frei (1992), dont le titre emprunte la sinistre devise – « le travail c’est

la liberté » – surmontant le portail d’entrée de certains camps nazis, sous l’angle du « devenir-tragique du kitsch ». Le kitsch pourrait-il être critique?

Jean-Marc Lachaud, via Theodor Adorno et Ernst Bloch, s’interroge sur la « force de nuisance susceptible d’ébranler, malgré tout, les fonda-tions sur lesquelles repose le monde administré dans lequel nous vivons», liant la question de la fonction critique de l’art « aux désirs d’utopie (concrète) que peut réveiller l’expérience esthétique ». Alors que bien des œuvres qui se veulent subversives « accompagnent en fait le renou-veau du “capitalisme de consommation” », l’art pourrait cependant être, écrit Jean-Marc Lachaud en référence à André Breton, « cette étincelle qui cherche la poudrière ».

L’autonomie de l’art, un outil de la fonction critique ?

L’art autonome peut apparaître, selon Jacques Rancière, comme «le germe d’une nouvelle humanité, d’une nouvelle forme individuelle et collec-tive de vie1». Si, à l’acmé de cette pensée, et sans doute pour partie à

son origine, il y a le « poème critique » de Stéphane Mallarmé, dont la forme est acte de rupture avec tout héritage et toute norme imposée2,

Jacques Rancière constate aujourd’hui que « l’art n’est pas politique d’abord par les messages et les sentiments qu’il transmet sur l’ordre du monde. Il n’est pas politique non plus par la manière dont il représente les structures de la société, les conflits ou les identités des groupes sociaux. Il est politique par l’écart même qu’il prend par rapport à ces fonctions,

1. JACQUES RANCIÈRE, Malaise dans l’esthétique, op. cit., p. 48.

2. Voir JEAN-FRANÇOIS LYOTARD, Discours, figure, Paris, Klincksieck, 2002 (1971), p. 72.

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par le type de temps et d’espace qu’il institue, par la manière dont il découpe ce temps et peuple cet espace1». L’art ne serait ainsi jamais

plus résistant que lorsque l’œuvre n’est en rien politique, préservant sa singularité contre tout enrôlement et tout utilitarisme.

L’art aurait-il été critique, en France, bien avant la Révolution? C’est l’hypothèse qu’étudie Delphine Trébosc en revisitant des peintures de nus féminins du XVIesiècle, peut-être moins laudatives que le veulent

les commentaires traditionnels, «voiles de plaisir enveloppant la recom-mandation du courtisan ».

Selon Bernard Lafargue, en effet, via Mozart, Véronèse ou Jeff Koons, les œuvres d’art « accomplissent, chacune à sa manière, l’exigence du style qui les distingue des objets de culte et de divertissement. En artia-lisant un monde à la beauté plurielle, elles délivrent un gai savoir, habile à tisser le terreau d’une “grande politique”, où démocratie rime avec pluralisme, typologie et hiérarchie ».

« Du fait d’une vigilance auto-critique et inter-critique exception-nellement aiguë et soutenue », comme en témoigne Marie-Noëlle Moyal, Karlheinz Stockhausen soutient « une démarche dérangeante au sein d’une avant-garde musicale radicale ».

Michel Métayer rend compte de l’œuvre photographique d’un « critique hors critique », Jan Svoboda, pour explorer les potentialités critiques du visuel, via Theodor Adorno : « L’absence de finalité de l’art, c’est sa façon d’échapper aux contraintes de la conservation de soi. Il incarne quelque chose comme la liberté au sein de la non liberté. Si sa seule existence le fait échapper à l’emprise dominante, c’est qu’il exprime en même temps une promesse de bonheur, d’une certaine façon, même dans l’expression du désespoir. »

Marie-Noëlle Ryan défend « l’idée selon laquelle, indépendamment de leurs contenus particuliers, les œuvres d’art exercent un effet critique, qui passe par la médiation formelle du contenu et la dynamique propre qui en découle », ce qui constitue « l’intérêt spécifique de l’art par rapport aux autres sphères du savoir et des pratiques avec lesquelles il partage des préoccupations ».

1. JACQUES RANCIÈRE, Malaise dans l’esthétique, op. cit., p. 36.

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Jean-Pierre Raynaud affirme que « la particularité de l’œuvre d’art n’est pas d’ordre moral », estimant que l’on « ne demande pas la vérité à un artiste », et Villeglé « pense que la vérité de l’œuvre d’art ne peut être univoque et qu’elle retrouve son offensive si elle prend ses distances avec le parti pris ». Tel est aussi, à travers ces deux artistes, le point de vue privilégié par Dominique Dussol.

Alors que notre époque, écrit Yves Depelsenaire, « est animée par un fantasme de transparence absolue, au point que l’espace de l’inti-mité en est souvent gravement menacé », que l’inflation d’images et les technologies de pointe conduisent à des « effets d’aveuglement », c’est tout le génie des artistes d’aujourd’hui, selon l’auteur, « que de pouvoir encore imposer des arrêts sur image, serait-ce en poussant au paroxysme leur excès ».

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