• Aucun résultat trouvé

Sexes opposés, apposés, transposés. L’analyse comparative entre déclin et déclinaisons

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Sexes opposés, apposés, transposés. L’analyse comparative entre déclin et déclinaisons"

Copied!
14
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: halshs-03180298

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03180298

Submitted on 24 Mar 2021

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

Sexes opposés, apposés, transposés. L’analyse

comparative entre déclin et déclinaisons

Georges Guille-Escuret

To cite this version:

Georges Guille-Escuret. Sexes opposés, apposés, transposés. L’analyse comparative entre déclin et déclinaisons. L’Homme Revue française d’anthropologie, Éditions de l’EHESS 2014, Varia, pp.191 -202. �10.4000/lhomme.23787�. �halshs-03180298�

(2)

L’Homme

Revue française d’anthropologie

212 | 2014

Varia

Sexes opposés, apposés, transposés

L’analyse comparative entre déclin et déclinaisons

Georges Guille-Escuret Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/lhomme/23787 DOI : 10.4000/lhomme.23787 ISSN : 1953-8103 Éditeur Éditions de l’EHESS Édition imprimée

Date de publication : 27 octobre 2014 Pagination : 191-202

ISSN : 0439-4216

Référence électronique

Georges Guille-Escuret, « Sexes opposés, apposés, transposés », L’Homme [En ligne], 212 | 2014, mis en ligne le 24 octobre 2016, consulté le 20 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/ lhomme/23787 ; DOI : 10.4000/lhomme.23787

(3)

E

MMANUEL DÉSVEAUX distille une personnalité « à part » au sein

de l’anthropologie française : quand la plupart des rejetons de Claude Lévi-Strauss installèrent un « post-structuralisme » buissonneux qui se proposait de conserver l’inspiration, ou le style, en s’affranchissant de la méthode, il préféra de son côté maintenir sa recherche dans le cadre d’une interrogation prioritaire sur la construction théorique, malgré les contraintes attenantes et au risque d’une réputation pesante d’hyper-structuraliste. Pourtant, sa fidélité au projet n’impliquait aucune obéissance et il lui est arrivé d’entrer en conflit avec des pans de l’œuvre fondatrice afin de consolider l’accomplissement du programme (Désveaux 2001). La fidélité académique n’induit nullement l’immobilité : elle réclame qu’une thèse ne soit pas jetée aux orties sans la contrepartie d’une substitution, au moins ébauchée. Nonobstant, le refus d’abjuration a marginalisé ce chercheur dans une position identique à celle que connaît le marxiste non repentant (notre cas, incidemment) sur le pôle naguère adverse. Rappelons tout de même que nos monuments théoriques, massivement abandonnés voici une trentaine d’années, attendent toujours un démenti et un remplacement, sauf à considérer qu’une désaffection morose vis-à-vis de la représentation scientifique pourra en tenir lieu.

Sur ce plan, Emmanuel Désveaux s’affirme comme un interlocuteur à privilégier en vue de ranimer des discussions de « fossiles vivants » et d’adresser ainsi un pied de nez à l’humeur dominante du moment qui soupçonne a priori une incorrection dans l’existence même d’un débat.

À PR

OPOS

L ’ H O M M E212 / 2014, pp. 191 à 202

Sexes opposés, apposés, transposés

L’analyse comparative entre déclin et déclinaisons

Georges Guille-Escuret

À propos d’Emmanuel Désveaux, Avant le genre. Triptyque d’anthropologie hardcore, Paris, Éd. de l’EHESS, 2013 (« Cas de figure » 26).

(4)

Tentation d’autant plus forte, en l’occurrence, que la recherche proposée s’aventure au cœur d’une question triturée en tous sens par la vogue : la construction idéelle de la différence entre les sexes. La quatrième de couverture prend la précaution d’annoncer un nouvel « angle d’attaque », l’auteur souhaitant saisir comment les façons de la concevoir créent aussi « de la différence d’un point de vue culturel ». Et le titre, Avant le genre, souligne le désir de revenir à des perspectives classiques contre la « tyrannie » des reformulations inutiles, en même temps que l’intention de se situer au moment clé où se forge l’opposition. Quant au sous-titre, « Triptyque d’anthropologie hardcore », n’ergotons pas sur la coquetterie littéraire, et retenons-en que l’essai tourne autour de trois tableaux : un en Amérique, le deuxième en Australie et le dernier en Europe. Images disparates, puisque la première résulte d’un texte rituel meskwaki (jadis, les Fox), alors que l’Australie est abordée à travers les réflexions d’auteurs classiques (grosso modo entre 1910 et 1960) et que le volet européen tourne autour du christianisme, via la nativité.

L’hétérogénéité des supports et des optiques constituerait un ensemble indéfendable pour une thèse en bonne et due forme, mais l’auteur n’y prétend pas : il réalise trois coups de sonde dans l’espoir de régénérer une problématique et d’entrevoir les promesses d’un futur programme compa-ratif, qui sera plus vaste et plus finement quadrillé. Il prend d’ailleurs soin de n’émettre que des « hypothèses », plus ou moins « fortes ». Néanmoins, ses cibles n’ont évidemment pas jailli au hasard et des intuitions auda-cieuses ont préparé l’agencement de la trilogie. Notamment, prenant quelque distance avec la prétention des « codes lévi-straussiens » à une validité universelle, il subodore « un morcellement de l’humanité » en « grands blocs culturels » (p. 13) et se propose de situer à cet étage les confrontations : avec le pressentiment à peine voilé que la liste se limitera à trois volets.

Emmanuel Désveaux bouscule au passage une règle tacite en prônant le développement de l’analyse sur un palier intermédiaire entre la commu-nauté locale et l’espèce, au risque de réhabiliter l’examen des « grumeaux culturels » entre variables de base et invariants. L’option irritera nombre de « poststructuralistes », sans doute, mais tant mieux : prévoir une plura-lité des échelles de confrontation parmi les faits équivaut à rétablir le programme complet de la sociologie comparative par l’entremise d’une curiosité réhabilitée sur tous les étages porteurs d’une forme de cohésion culturelle. Cela dit, malgré ce qu’il laisse entendre, la quête d’universalité ne s’évapore pas tout à fait au cours de son travail, car, ayant délaissé la présomption d’une loi organisatrice, elle se transpose sur un autre niveau : à savoir une série limitée d’éventualités initiales. Le contrôle de l’affaire

(5)

échapperait en conséquence à une psychologie radicale (issue inéluctable chez Lévi-Strauss) pour dépendre d’une connexion logique/histoire apte à livrer une grille des possibles. En arrière-plan, une attention prioritaire est accordée aux zones caractérisées par une histoire en vase clos, moyennant un isolement prolongé sur des millénaires : face à l’Amérique et l’Australie, l’Europe tend à représenter par excellence une aire de mélanges et de perturbations induisant une autre consistance de l’histoire.

L’auteur résume en fin de volume la vision globale vers laquelle s’oriente sa réflexion : l’Amérique voit « dans la conjonction des sexes le moment d’un engendrement possible, donnant lui-même lieu à une dualité sexuée destinée à fusionner de nouveau », pendant que l’Australie « conçoit le coït comme un échange de services que se prodiguent dans l’instant les repré-sentants de deux espèces naturelles pratiquement distinctes », et que l’Europe « s’adonne à l’acte sexuel dans le cadre d’une objectivation, plus ou moins poussée, du féminin, laquelle est forcément synonyme d’un rapport de domination » (pp. 249-250). Et le triptyque livrerait l’éventail des options phénoménologiques offertes à une humanité qui aurait testé chacune d’elles sur de vastes étendues : il faudra néanmoins qu’une armature logique vienne confirmer cet état de complétude.

Nous n’avons retenu que la colonne vertébrale : le livre fourmille de réflexions attachées ou de commentaires décalés qui promettent à brève échéance de faire partie du problème, mais ne prêtent guère au florilège. L’effort critique n’aura d’intérêt qu’en se concentrant sur la planification du chantier espéré et non sur une construction livrée clés en main. Gageons, par exemple, que l’entrée en lice de la Mélanésie, des Bantous, et de l’Asie du Sud-Est devrait amener quelques candidatures au titre de « blocs culturels » qu’il ne sera pas toujours facile de débouter. Inversement, le « bloc » australien isole à la fois une histoire et le mode de vie des chasseurs-collecteurs, ce qui ne vaut pas pour l’Amérique. Ainsi, Emmanuel Désveaux met d’emblée en relief le trait panaméricain d’une « mise en équivalence de la procréation et la production de mort en vertu d’une dynamique ontologique foncièrement ethnocentrée » (pp. 13-14). Or, la formule semble s’appliquer telle quelle à nombre de peuples africains et océaniens, similitude renforcée par une corrélation frappante avec un arrière-plan d’anthropophagie guerrière, ou de chasse aux têtes, qui jouent volontiers sur ce registre. Quant au « corollaire » supposé, à savoir une « complémentarité qui vaut pour équivalence des sexes », il sera tout aussi tentant, ou suspect, dans chacune de ces autres zones.

Tout cela apparaît éminemment discutable, ici comme ailleurs, mais alors quel intérêt y aura-t-il à en discuter ici plutôt qu’ailleurs, et

pourquoi considérer ce volume comme un début prometteur ? Appelons À PR

OPOS

193

(6)

un vis-à-vis : « la pensée de la différence » selon Françoise Héritier (1996), ouvrage plus achevé, au sens littéral. Il existe deux façons de tuer un livre : l’ignorer, ou le noyer sous les compliments. Dans le premier cas (qui menace Avant le genre), on prétextera, au besoin, la multitude des questions laissées béantes, ou on ironisera sur des imperfections par trop consternantes. Dans le second (subi par Masculin/Féminin), on tire un trait sur des acquis en les couvrant de louanges afin de passer plus vite à autre chose. Désveaux signale le danger à l’orée de sa rédaction : d’aucuns souhaitent aujourd’hui disserter sur le genre après une anthropologie « classique » qui aurait prononcé son dernier mot. Vénérable, certes, et par là dépassé. Les deux essais se révèlent au moins solidaires dans un refus d’enterrer le structuralisme avant que son décès ne soit convenable-ment constaté, et l’aventure osée par l’un replace la synthèse opérée par l’autre sur une dynamique théorique qui attend seulement la « relance » d’une contradiction.

Amalgames de la domination : une carence épistémologique

Nul n’ignore que le courant matérialiste a maintes fois reproché au structuralisme de se retrancher définitivement dans un univers de signes : sortir de l’histoire, soit, mais cela ne devrait avoir qu’un temps. Cependant, si l’objection s’applique globalement à l’anthropologie de la parenté et à celle du mythe, elle achoppe davantage sur le domaine de l’opposition sexuelle en raison de l’omniprésence d’une notion qui déambule librement entre les symboles et les pratiques : la domination. Trop librement, peut-être, ce qui nous conduit, au nom des vertus heuristiques d’une mauvaise foi assumée, à imaginer soudain une protestation en sens inverse : et si les structuralistes ne s’arrimaient pas assez fermement à la sémiologie ?

Pascale Bonnemère a détaillé, en 2002, les composantes d’une faiblesse épistémologique qui n’a cessé de croître depuis : l’absence d’une « concor-dance observée entre les rapports qu’entretenaient les hommes et les femmes dans la vie quotidienne et la place reconnue à chacun des sexes dans la cosmologie » ont découragé l’examen approfondi de leurs imbri-cations, alors même que « les analyses des configurations symboliques liées au genre » augmentaient sans cesse leur ascendant sur les études traitant des pratiques sociales attenantes (2002 : 206). Précisément parce que ce texte visait en premier lieu la Nouvelle-Guinée et impliquait la participation de la psychanalyse, il faisait ressortir que l’équivoque de la domination sexuelle, avec ses innombrables « sauts » entre les visions et les actes, favorise des distorsions nocives et efface a priori des questions cruciales.

D’abord, cette équivoque supprime la confrontation méthodique entre la domination justifiée par la cosmologie et la domination effectuée par

(7)

la société, oubliant que l’intemporalité de la première et les remous qui affectent la seconde n’éviteraient les contradictions que par un pur miracle. Claude Lévi-Strauss lui-même, réduisant l’histoire à une méthode travaillant sur des contingences, dans une position de symétrie avec l’ethnologie (1962a : chap. IX), a éludé cette double résistance en tant que matière première de l’histoire : celle des pratiques au sens institué et celle des institutions aux altérations. Ce qui amène, au cœur de sa fameuse controverse avec Sartre, la formule d’autant plus trompeuse que brillante selon laquelle « les superstructures sont des actes manqués qui ont socia-lement “réussi” » (Ibid. : 336) : leur « sens » y perd la qualité de réponse et se hisse au rang de création grâce à un coup de ciseau donné en catimini dans la dialectique prônée par son adversaire. Même l’éventualité d’une domination politique qui se consoliderait à travers une symbolique étran-gère à son fonctionnement apparaîtrait, au mieux, comme fruit du hasard. Il s’ensuit l’installation d’un déséquilibre hiérarchique initial, secondai-rement accentué par la « perte d’influence du marxisme en anthropologie sociale », selon le doux euphémisme de Pascale Bonnemère (2002 : 206) : la domination sexuelle se trouve saisie en priorité au sein de la cosmologie, sa concrétisation ne livrant que des aménagements accessoires, en un réservoir de petites histoires où l’on puisera des confirmations sans se soucier outre mesure d’infirmations supposées volatiles. Seule la psycha-nalyse préserve dès lors une aptitude à répliquer d’égal à égal (ce que l’article mentionné confirme, en filigrane, devant la Nouvelle-Guinée).

Enfin, le troisième aspect se rapporte au poison virulent que diffuse d’elle-même la notion de domination : un ethnocentrisme presque irrésis-tible, tant il est vrai qu’en ce domaine les cultures occidentales peuvent effectivement revendiquer une expérience « supérieure ». Par l’entremise de procès d’intention implicites, collés à qui mieux mieux sur les compor-tements mâles, la domination menace régulièrement de se cristalliser en un principe sociobiologique, propre à rendre la comparaison caduque ou décorative. Admettre que les hommes souhaitent partout s’arroger une position éminente ne revient nullement à postuler une immanence de l’avantage désiré. De la même façon, tous les guerriers espèrent gagner leur prochaine bataille, mais tous ne rêvent pas à la conquête de territoires ou à l’asservissement de populations. Si celui qui chasse et celui qui domestique définissent différemment la victoire, comment leur attribuer des fantasmes identiques sur la domination sexuelle ? Songeons avec quelle facilité l’une symbolise l’autre dans certaines catégories de cultures. Cette notion ne rejoint les « universaux » qu’à la condition de se démarquer clairement des « invariants » : elle vise un universel complexe, hétérogène

et variable, autrement dit un problème anthropologique non résolu. À PR

OPOS

195

(8)

Emmanuel Désveaux, contrairement à Françoise Héritier, évite l’écueil en réservant le paramètre de la domination aux cosmologies du « bloc » européen, mais ce contournement ne l’épargne qu’à titre provisoire : l’Amérique, sa terre d’élection, suffira à le faire broncher sur l’aporie de sociétés terriblement patriarcales où des mythologies s’abstiennent de valo-riser une authentique domination. Il reste qu’en miroir de la synthèse exposée par Françoise Héritier afin de fixer une position momentanée du savoir, Emmanuel Désveaux relance une investigation propre à produire de nouvelles surprises, et cette dialectique-là mérite sans nul doute de revenir à l’ordre du jour.

Malgré sa mauvaise foi initiale, notre contestation ne conduit pas à une absurdité : il convient certes de souhaiter (notamment, avec Pascale Bonnemère) davantage d’interdisciplinarité sur ces sujets, si et seulement si cela ne devient pas une auberge espagnole ou un prétexte pour stabiliser des confusions. L’effort d’interdisciplinarité réclame que les disciplines impliquées contrôlent et protègent leur identité. Leur raison d’être s’évanouira – parfois – après le succès total de l’entreprise, mais anticiper ladite disparition satisfera des motivations d’une autre sorte. Le maintien d’une sémiologie structuraliste autonome, avec un plan de travail spécifique, diminuerait une certaine tentation de transformer les enquêtes sur le genre en un kaléidoscope.

Sur ce point, les auteurs cités tomberont probablement d’accord : l’anthropologie doit récupérer sa responsabilité et son influence sur la question, plutôt que de subir les aléas d’une conjoncture intellectuelle. Puisque le vœu pieux de « sortir de l’histoire » a été rappelé, notons qu’un colloque parisien a récemment aligné trois contributions touchant, sous divers angles, au sexe des anges et qu’aucune réminiscence ne troubla ensuite la sérénité des dialogues. Loin des querelles byzantines, prions alors pour le Quartier latin, avec l’espoir d’une prompte Renaissance.

L’être cosmologique vs le devenir pratique :

le sexe “en puissance”

Le deuxième motif de discussion, plus classique, incite à conserver le parallèle entre Emmanuel Désveaux et Françoise Héritier. Tous deux remémorent une phrase de Simone de Beauvoir, fameuse entre toutes : « On ne naît pas femme, on le devient » (1949 : 285-286). Toutefois, le premier s’en débarrasse aussitôt en l’attachant à la vision constructiviste du genre, tandis que la seconde ajoute qu’aussi bien on « devient » homme chez les Sambia de Nouvelle-Guinée. Or, cette remarque arrive juste après une description du cas exemplaire des Nuer, où une femme reconnue

(9)

stérile endosse un statut d’homme et joue le rôle du mari, puis du père, face à des femmes qu’elle épouse et qu’elle féconde par l’entremise d’un serviteur. Conclusion : « ce n’est pas le sexe mais la fécondité, qui fait la différence réelle entre le masculin et le féminin » (Héritier 1996 : 230). Tout le problème se situe dans le mot « réelle ». Voilà une société où la virilité revendique avec ardeur sa position éminente et où une femme peut devenir homme par défaut : la stérilité la transforme en mâle, ce qui revient logiquement à dire que la supériorité masculine y émane d’une carence. Image extrême, peut-être, mais nullement atypique. Puisée dans une société d’éleveurs qui aimait s’enrichir en capturant du bétail et des humains, cette situation provoque un écho parmi une multitude de cultures africaines ou méditerranéennes, portées à accentuer lourdement l’inégalité sexuelle, mais qui accordent à des femmes très âgées la position politique d’un aîné. Délivrées de la fécondité et de l’autorité d’un mari, leur parole se transforme dans les faits en celle du sage.

Chez les Nuer, le devenir considéré se conçoit dans un réel économique et politique, tandis que le retour de Françoise Héritier chez les Sambia porte sur une façon de penser le monde qui dicte des conduites. Ainsi, l’importation en anthropologie de l’aphorisme féministe se prête provisoi-rement à une équivoque latente dont il permet par rebond de démasquer la teneur en déverrouillant une rafale de questions. Y a-t-il des systèmes où l’on naîtrait homme et où l’on deviendrait femme ? D’autres où ce serait l’inverse ? Y en a-t-il où la cosmologie définit l’être sexué et se tait sur son devenir ? L’organisation sociale parvient-elle ici ou là à légiférer sur le destin de l’un des sexes, voire des deux, au-delà d’une rupture avec l’identité déductible du mythe ? Nul besoin de posséder le bagage d’un spécialiste du genre pour ressentir empiriquement qu’aucune de ces interrogations ne s’oriente vers une réponse simple. Nonobstant, aucune ne risque non plus de se voir disqualifiée d’un trait de plume. Par exemple, il faudrait concevoir une interdépendance soudant une logique de l’opposition sexuelle à un processus conduisant à l’identité du mâle parfait : cet « homme accompli », décrit par Élisabeth Copet-Rougier (1998) chez les Kako du Cameroun, au terme du franchissement d’une série d’interdits alimentaires croissants, ou encore cette « personne pleinement constituée » dont Anne Christine Taylor (2000) dépeint l’avènement chez les Jivaro. Ces deux exposés s’appuient sur l’étude des significations portées par la parenté et non sur celle d’une image « fondamentale » de l’univers : ainsi, en ce qui concerne les Kako, nous apprenons le partage entre une droite qui relève du masculin et une gauche qui renvoie au féminin, mais cette juxtaposition n’entre pas ensuite

en lice. À PR

OPOS

197

(10)

Indubitablement, c’est à cet instant qu’Emmanuel Désveaux mérite le double coup de chapeau dû au provocateur salubre et au chercheur obstiné. Ayant remis en cause la solidarité des ambitions anthropologiques portées, d’un côté, par le structuralisme de la parenté et, de l’autre, par celui des Mythologiques, il se lance dans un triptyque avec la résolution de ne pas entremêler les deux apports : Avant le genre ne quitte pas la cosmologie. Avec plus ou moins de bonheur au fil des pages, mais une grande part des maladresses dont on souhaitera l’accabler renverront à une accumulation de lacunes qui ne lui sont nullement imputables. Il s’engage dans un défrichement importun et son « impair » consiste à faire tomber le paravent dressé par des conventions de pensée devant un vieux désordre théorique en s’engageant. Et si les structures de signes ancrées dans la parenté n’étaient pas toujours compatibles ou commensurables avec celles proposées par les mythes ? Le comble serait qu’on les découvre parfois complémentaires socialement et contradictoires logiquement. La person-nalité à l’origine des deux explorations nous a fait perdre de vue la nécessité d’ouvrir ce chantier, et Désveaux, se retranchant, le temps d’un

essai, dans la seule strate cosmologique nous fait danser devant des

gouffres. En marge de sa vision des « deux Lévi-Strauss » (Désveaux 2008), demandons-nous donc en parallèle si une inspiration méthodologique n’aurait pas incidemment entremêlé ses deux cibles dans nos esprits.

La confusion bourgeonne sur une ambition affichée par La Pensée

sauvage : contribuer à « cette théorie des superstructures, à peine esquissée

par Marx », en abandonnant les infrastructures à l’histoire (Lévi-Strauss 1962a : 173-174). Le second pluriel relève du lapsus, le mode de production distinguant une infrastructure économique et deux instances « au dessus » : l’idéologique, habité par la cosmologie, et le juridico-politique avec lequel la parenté entretient des liens privilégiés. Bref, une théorie des super-structures devrait concilier les théories de l’idéologie et du juridico-politique, ce qui exclut ipso facto l’amalgame. Claude Lévi-Strauss élude cette phase d’un trait de plume en offrant – ou, pour offrir ? – l’ethno-logie à la psychol’ethno-logie. L’expédient triompha aisément, car la plupart des marxistes, obnubilés par la défense du primat de l’économie, négligeaient de leur côté cette stéréoscopie, trait de génie pourtant majeur dans la matrice théorique.

Que ce soit ou non le but poursuivi, Emmanuel Désveaux, disciple retors, fait alors surgir un problème en suspens depuis cinquante ans. L’être, préoccupation principale de l’idéologie, face au devenir, responsa-bilité accaparée par le juridico-politique : comment s’entendent-ils dans les sociétés ? Pour l’heure, rien n’autorise à affirmer que les mythes et la parenté disposent d’une égale compétence quand ils surveillent l’essence

(11)

des choses, d’une part, et leurs destinées, d’autre part. Par-delà les chocs brutaux de l’histoire, porteurs de contradictions houleuses, les deux instances pourraient se compenser l’une l’autre dans l’ordre pratique, sans s’entendre systématiquement dans la logique.

La résolution de l’énigme exigera des experts du signe un triplement de l’effort comparatif au sujet de la distinction sexuelle : une grille pour la cosmologie, une deuxième (déjà plus avancée) dans l’organisation sociale et une troisième, déterminante, sur leurs interactions. Après tout, si un auteur a réussi à écrire Les Structures élémentaires de la parenté, puis les Mythologiques, une école saura connecter les deux entreprises, à condition d’admettre qu’aucune science n’aboutit à des invariants en dévaluant les variables.

L’opposé métaphorique et l’apposé métonymique

Comment s’engager sur cette voie ? Emmanuel Désveaux entoure un ressort central en notant que le « double registre nominal métonymie/ métaphore, terme de parenté/nom propre, appropriation du monde par le soi/appropriation du soi par le monde est universel » (p. 256). Sauf que le premier de ces rapports s’installe à un niveau d’abstraction plus élevé : lui seul donne accès à une grammaire de la représentation.

Résumons : Claude Lévi-Strauss a reconnu dans la métaphore une « forme première de la pensée discursive » (1962b : 146), Roman Jakobson (1963) plaçant en renfort la métonymie sur le même rang. Puis, Patrick Tort approuva cette seconde conviction et porta l’enchère plus haut : métaphore et métonymie fournissent les deux schèmes élémentaires de l’activité classificatoire, révélant leur alternance dans les classifications des sciences naturelles et humaines. Avec une précision importante : il faut entendre par là des figures dominantes, métaphore et métonymie ne se détachant jamais entièrement l’une de l’autre. Chacune se construit en intériorisant sa rivale en tant que composante. En fin de parcours, cet auteur émet soudain une proposition qui résonne sur l’ensemble de notre réflexion :

« Une fois posée l’équivalence entre “schème métaphorique” et système formel statique, et entre “schème métonymique” et processus généalogique, il est possible d’affirmer que toute classification renferme un “schème métaphorique” et un “schème méto-nymique”, mais qui sont liés à l’intérieur du dispositif classificatoire lui-même – dans la simple mesure où, par exemple, l’observation d’une ressemblance suggère l’idée d’une parenté, et où, inversement, toute parenté réelle est productrice de ressem-blance » (Tort 1989 : 543).

À PR

OPOS

199

(12)

Les sceptiques s’insurgeront : trop beau pour être vrai. Et bienvenue à eux pour peu qu’ils s’emploient à démentir l’éventualité, donc à la tester. On devrait d’ailleurs dire les éventualités, puisque plusieurs affleurent d’emblée. Les sociétés résolument « froides » devraient préférer le schème métaphorique… en dernière instance. Tout comme le registre cosmo-logique, à l’encontre du juridico-politique, ce dernier « jouant » davantage sur la métonymie pour pré-dire le devenir, tels les Maniotes (Péloponnèse) qui désignent les filles comme « ventres » et les garçons comme « fusils » (intrication subtile des deux tropes) (Xanthakou 1993 : 26-28).

Et l’énigme de l’intenable dualisme se dresse devant nous, qui hante l’œuvre de Lévi-Strauss depuis Les Structures élémentaires de la parenté jusqu’à l’étourdissant chapitre final d’Histoire de Lynx, où il insiste sur la tendance amérindienne à « expliquer le monde sur le modèle d’un dualisme en perpétuel déséquilibre dont les états s’emboîtent les uns dans les autres » (1991 : 316). De notre point de vue, ici, la métaphore installerait la bipartition, et le relais obligatoire de la métonymie induirait l’altération des symétries par des engendrements, ce qui ouvre le chemin à la combinaison, soulignée par le structuraliste, de la réciprocité et de la hiérarchie dans la dualité. Il semble surprenant que celui-ci n’ait pas « capté » l’inspiration lumineuse de Jakobson, se retranchant derrière Rousseau dans une mise en balance de la métaphore et de l’opposition (Lévi-Strauss 1962b : 146). Cependant, la logique du tiers exclu impliquée par la linguistique structurale tournait le dos à une logique dialectique qu’il avait répudiée, tandis que le rapport métaphore/métonymie la remet « fatalement » en selle.

Quant à la prédominance du schème métonymique, n’irait-elle pas de pair avec la justification d’inégalités irrévocables ? Le legs d’un monothéisme imaginant Ève, femme originelle, en pure métonymie, « flanquant » le premier homme, abonde en ce sens. Au lieu de considérer le bloc européen via le christianisme, Emmanuel Désveaux aurait gagné à partir de Platon et Aristote, grands architectes de l’inégalité sexuelle : en un éblouissant passage de témoin entre pensées « traditionnelle » et « scientifique », le mythe d’Aristophane, transcrit par l’aîné, s’évapore dans la théorie de l’élève, qui regarde la femme comme la première déviation à partir de l’homme : nécessaire, ce qui, au moins, la distingue de monstruosités plus prononcées1. Schème métonymique plus sophistiqué

et plus insidieux que dans la Genèse.

200

1. Pour Platon, cf. le chapitre que lui consacre Patrick Tort (1989). Françoise Héritier (1996) n’y fait que de brèves allusions, s’attardant davantage sur Aristote.

(13)

Arrêtons là ce crépitement de conjectures. Il s’agissait de montrer que le tissage subtil des liens métaphore/métonymie, si on prend la peine de l’assimiler à la manière d’une jonglerie (à l’instar, jadis, des lycéens en classe de rhétorique), offre à l’analyse comparative des signes une série de canevas extraordinaires, afin de comprendre l’idéologique (cosmologie comprise), de saisir le juridico-politique (parenté incluse) et finalement d’inventorier leurs interactions. La Raison classificatoire (Tort 1989) se tournait vers les systèmes rationalistes, mais la méthode concerne toutes les productions de signification. Et la distinction sexuelle s’impose manifestement en terrain d’élection, car, comme l’écrit Françoise Héritier : « c’est l’observation de la différence des sexes qui est au fondement de toute pensée, aussi bien traditionnelle que scientifique » (1996 : 19). La formule invite non seulement à repérer les opérations qui habitent les deux univers, mais aussi à confronter les formes d’occupation privilégiées. Une ironie post-socratique, sinon post-moderne, veut que la science actuelle soit précisément en train de promouvoir, du côté de l’idéologie, un schème métonymique que les discussions juridico-politiques fiévreuses sur le genre s’évertuent à ne pas voir. Deux générations d’étudiants ont appris, dans la seconde moitié du XXe siècle, que le chromosome Y

équivaut, tout bien considéré, à un chromosome X privé d’un bout, mais aucun philosophe anticlérical n’a bondi sur l’occasion d’affirmer qu’à moins d’imaginer un démiurge incomplètement équipé, si Dieu a fait l’humain à son image, la divinité penche inéluctablement vers le féminin. Nous n’en sommes plus là. Voici près d’une vingtaine d’années, nous avons imaginé, au-delà du brouhaha ambiant sur le clonage humain et compte tenu des techniques affinées par la médecine, une éventualité « révolutionnaire », où la culture produirait une innovation sans précédent au regard de la nature : utiliser un gamète féminin et lui faire jouer le rôle du spermatide dans la fécondation (Guille-Escuret 1998). Or, depuis, l’expérience a été effectuée avec succès sur des souris, sans provoquer de commentaires, ni enthousiastes ni scandalisés. Aucun éveil de curiosité hors des universités. Pourtant, une parthénogenèse sexualisée, reproduction sexuée entre femmes, s’avère techniquement accessible. En conséquence, l’homme se définit de plus en plus par un handicap congénital et la vision aristotélicienne s’inverse : une déviation à partir de la femme donne l’homme, premier stade de monstruosité. Avec ce supplément redoutable que sa nécessité prête à contestation. L’homme devient-il le passé de la femme ?

Centre Norbert Élias, Marseille

guille-escuret@orange.fr

(14)

Beauvoir, Simone de

1949 Le Deuxième sexe, 1. Les faits

et les mythes. Paris, Gallimard.

Bonnemère, Pascale

2002 « L’anthropologie du genre en Nouvelle-Guinée : entre analyse sociologique, psychanalyse et psychologie du développement », L’Homme 161 : 205-224.

Copet-Rougier, Élisabeth

1998 « Tu ne traverseras pas le sang (corps, parenté et pouvoirs chez les Kako du Cameroun) », in Maurice Godelier & Michel Panoff, eds, Le Corps humain.

Supplicié, possédé, cannibalisé. Paris,

Éd. des Archives contemporaines (« Ordres sociaux ») : 87-108. Désveaux, Emmanuel

2001 Quadratura Americana.

Essai d’anthropologie lévi-straussienne.

Genève, Georg (« Ethnos »). 2008 Au-delà du structuralisme.

Six méditations sur Claude Lévi-Strauss.

Paris, Complexe. Guille-Escuret, Georges

1998 « Radiations évolutives et divergences culturelles : les pense-bêtes et la

discontinuité », in Frédéric Joulian, Albert Ducros & Jacqueline Ducros, eds,

La Culture est-elle naturelle ? Histoire, épistémologie et applications récentes du concept de culture. Paris, Errance

(« Collection des Hespérides ») : 189-198.

Héritier, Françoise

1996 Masculin/Féminin. La pensée

de la différence. Paris, Odile Jacob.

Jakobson, Roman

1963 Essais de linguistique générale. Paris, Minuit.

Lévi-Strauss, Claude

1962a La Pensée sauvage. Paris, Plon. 1962b Le Totémisme aujourd’hui. Paris, Presses universitaires de France. 1991 Histoire de Lynx. Paris, Plon.

Taylor, Anne Christine

2000 « Le sexe de la proie : représentations jivaro du lien de parenté », L’Homme 154-155 : 309-334.

Tort, Patrick

1989 Les Complexes discursifs,

2. La raison classificatoire : quinze études. Paris, Aubier (« Résonnances »).

Xanthakou, Margarita

1993 Faute d’épouses on mange ses sœurs.

Réalités du célibat et fantasmatique de l’inceste dans le Magne (Grèce). Paris,

Éd. de l’EHESS(« Cahiers de l’homme » 32). RÉFÉRENCES CITÉES

MOTS CLÉS / KEYWORDS:genre/gender – différentiation sexuelle/sexual distinction – relations

homme-femme/gender relation – domination sexuelle/sexual domination – cosmologie/

Références

Documents relatifs

Les traditions musulmanes sont déjà bien ancrées dans notre pays, et le sont sans cesse toujours et toujours plus?. À l’école, au travail, dans notre société, dans

3 Depuis la Confédération de 1867, 40 personnes choisies hors Parlement se sont vu confier des responsabilités à l’échelle ministérielle, dont seulement 12 depuis 1970. 4

Une statistique de Broadvision montre que ce n'est pas moins de 6008 entreprise qui ont été rachetées en 1999 dans ce secteur pour un montant de 1200 Milliards de $: il y aura

Ce dispositif correspond au remboursement des dépenses avancées par le régime général d’assurance maladie (Caisse Nationale d’Assurance Maladie

Le dialogue lancé en mars 2011 entre Belgrade et Pristina, sous l’égide de l’Union européenne, a connu de nouvelles avancées sur le plan technique (accord sur la participation

- L'eau municipale dont les caractéristiques chimiques sont à retirer auprès du service municipal des eaux doit comporter une teneur en ions sulfate largement inférieure à 100 mg.L -1

Les crédits du programme 138 sont destinés aux dispositifs d’aide spécifiques aux entreprises d’outre-mer (compensation des exonérations de

On pourrait émettre l’hypothèse que si cette vitamine n’a certaine- ment pas de rôle à jouer dans les premières phases du développement, l’embryon exige