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D'une France l'autre : voyage et écriture à la Renaissance (1550-1598)

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(2)
(3)

DJune France IJAutre: voyage et écriture

li

la Renaissance (1550 -1598)

par

Nathalie Bruguier

Mémoire de maîtrise soumis

à

la

faculté des études supérieures et de la recherche

en vue de l'obtention du diplôme de

Maîtrise ès Lettres

Département de langue et de littérature françaises

Universit~

McGill

Montréal, Québec

Juillet 2000

(4)

I~I

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services

385 WelinglanStrMt 0IawaON K1A 0N4 C8n8da fJi)liolhèque nationale du

canada

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0-612-70583-8

(5)

Àcellequi m'a donné la vie, mais aussi le goût dt « aller par païs».

(6)

iii

«Levray miroir de nos discoursest le cours de nos vies.» Montaigne,Les Essais, f, XXVI« De l'institution des enfans»

(7)

RÉsUMÉ

Turcs et Indiens représentent les deux grandes figures de l'altérité de la littérature -française de la Renaissance. Le présent mémoire vise à explorer l'altérité sous un angle plus rapproché en analysant les allusions discursives qui caractérisent les habitants des contrées méridionales du royaume françoys, notamment ceux de la «Province de

Languedoc» àtravers un ensemble de textes de la deuxième moitié du XVIe siècle, qu'ils appartiennent à la veine littéraire, historique ou géographique. L'approche imagologique

nous a permis de nuancer l'idée du Sud comme espace clé à l'émergence de l'identité française.

Tout d'abord terre d'industrieux notables et administrateurs, le Sud légifère. Quand bien même il afficherait son vouloir d'indépendance, fait séculairement attesté, il n'en reste pas moins assujetti au pouvoir de la couronne de France. Ses habitants, aux coutumes non dissemblables de celles des Français, y sont d'ailleurs déjà intégrés. Même si sur le plan religieux le Midi se veut le lieu par excellence du schisme qui déchire l'État - ses nombreuses poches huguenotes languedociennes en témoignant -, il estsur la voie d'épouser la foi du Même. Cette propension va de pair avec celle qui a trait au fait

langagier: l'utilisation du français se développe concurremment à la pratique juridique. Les divers paramètres qui distinguent l'Autre du Même tendent à converger pour faire du Méridional un sujet àpart entière du royaume des Valois. Loin de remettre en question l'assise de l'identité française moderne, les Languedociens et les autres Méridionaux, riches d'un bagage coutumier distinct,yparticipentàplus d'un titre.

(8)

v

ABSTRAcr

Turks and Indians are the two major figures of the Other in French Renaissance literature. The purpose of this thesis is to explore othemess from a closer point of view by analysing the discursive allusions of the inhabitants of the South of the French Kingdom, particularly those of the « Province de Languedoc» throughout a collection of texts from the second half of the 161h century, whether they be strictly of a literary, historical or

geographical source. Using the imagology method, the idea of the South being a key spaceinthe emergence of the French identity is challenged.

First of ail, the South legislates as a land of industrious administrators. However, even if it shows a claim for independence-a secularly evidenced fact-, it nevertheless remains subject to the French Crown. Southemers, with identical customs as those of the Frenc~ are already part of this political entity. Schismatic areapar excellence that tears

the State apart, shown by numerous Huguenot patches in the Languedoc region, it is about to ernbrace the faith of the Same. This tendency occurs together with the linguistic phenomenon: the use of the French language develops at the same time as the practice of Law. The various parameters that distinguish the Other from the Same tend to converge to malee the Southemer a subjectper se of the Kingdom of the Valois. Far from

questioning the foundation of the modem French identity, the people of Languedoc and other Southemers,witha rich distinct set ofcustoms, contribute to it in severa! ways.

(9)

REMERCIEMENTS

Je tiens à exprimer toute ma gratitude à ma directrice~ le professeur Diane

DESROSIERS-BONIN~dont les nombreux encouragements~ l~éruditenthousiasme et les

conseils éclairés pour les études seiziémistes n~ont cessé de porter ce mémoire.

Que Tom, formidable compagnon de route.. sans l'aide technique duquel ce mémoire n'aurait pu voir le jour, soit ici remercié de m'avoir si tendrement et efficacement soutenue lors des ultimes étapes de ce long voyage.

J'aimerais également adresser mes remerciements au personnel du prêt interbibliothèque de la bibliothèque McLennan pour son aimable efficacité.

(10)

BD CUB CUT GDF HUB N RDV RN COM MJB RCM RDF vii ABRÉVIAnONS 1 -Écritsgéographiques

Briefdiscours des choses plus necessaires& dignes d'estre entendues en la cosmographiede Guillaume de TEr..RAUBE. Paris, Morel, 1569.

Cosmographie universelle de François de BELLEFOREST. Paris, Sonnius, 1575.

Cosmographie universelled'André THEVET. Paris, L'Huillier, 1575.

LaGuide des chemins de Francede Charles Estienne. Jean BONNEROT (éd.). Paris, Bibliothèque de l'École des hautes études, 1935-1936.

L 'Histoire universelle du mondede François de BELLEFORfST. Paris, MaUo~

1572.

Journal de voyage de Michel de MONTAIGNE. François RlGOLOT (éd.). Paris, Presses Universitaires de France, 1992.

Recueil et descriptions du voyage du roy Charles IXd'Abel JOUAN. Paris, Minard, 1566.

Roche/ais etjoumal de ses voyages au:<vrsiècle. LéopoldCHATENAY (éd.). Paris, S.E.V.P.E.N., 1957.

D - Mémoires et historiographies

Commentaires de Blaise de MONLUC. Paul COURTEAULT (éd.). Paris,

GalIimar~coll«Bibliothèque de la Pléiade », 1964.

Mémoires de Jean Burel. Journal d'un bourgeois du Puy à l'époque des Guerres de religion. AugustinCHASSAING (éd.). Saint-Vidal, Centre d'étude de la vallée de la Borne, 1983.

Recueil des choses mémorables, ou histoire des cinq roisde Simon GOULART.

s.l, 1598.

Recherches de la France d'Etienne PASQUIER. Marie-Madeleine FRAGONARD et François ROUDAUT (dir.). Paris, Champion, 1996.

(11)

TABLE DES MATIÈRES

RÉsUMÉ IV

ABSTRACT

v

RE~CIEMENTS VI

ABRÉVIATIONS VU

TABLE DES aLUS"fRATlONS IX

INTRODUcrION 1

NOTRE APPROCHECRlTIQUE : L'IMAGOLOOIE 3

NOTRE CORPUS 6

CHAPITRE PREMIER: RÉFLEXIONS SUR LA 1UItTORIQUE DESCRIPTIVE 9

ÉTYMOLOOIES 10

BALISES TERRITORIALES 13

RHÉTORIQUE COSMOORAPHIQUE 15

CHAPITRE 0 : ESPACES 22

MOTtfs, ITINÉRAIRESEl'CONDmONS DE VOYAGE 25

LEMIDI CAMPAGNARD, URBAINET'MARITIME 31

CHAPITRE

m :

nOl\DlEs ETFE~SDUMIDI 49

LAPOPULATIONMÉRIDtONALE 50

Les parlers méridionClUJC 62

Professions etmétiers 70

l'RAITS DE CMLISATION 71

L ·a/imentation 71

Lasanté 75

Les rapports entreindividus 78

Culture et divertissements 80

Superstition etmondans le Midi 82

LA.QUESTIONREUGIEUSE 84

L'ORGANISAnONPOLITIQUE DUMIDI 92

CONCLUSION : L'ALTÉItITÉRENAISSANTE 96

(12)

IX

TABLE DES ILLUSTRATIONS

CHAPITRE PREMIER

Page couverture de L 'Histoire universelle du monde de François de Belleforest. Paris,

Mallot, 1572.

Citation de l'introduction à l'Augmentation III du Théâtre du monde universel de

Abraham Ortelius. Anvers, Plantin, 1585.

CHAPITRED

Description de l'Europe dans l'Augmentation III du Théâtre du monde universel de

Abraham Ortelius. Anvers, Plantin, 1585,

r

2f.

Carte de ('Europe dans La Cosmographie universelle de André Thevet. Paris,

L'Huillier& Chaudière, 1581.

Description de la France dans 1"Augmentation III du Théâtre du monde universel de

Abraham Ortelius. Anvers, Plantin, l5S5,

f

21

f.

Carte de la France dans 1"Augmentation DI du Théâtre du monde universel de Abraham

Ortelius. Anvers, Plantin, 1585,

r

2

f.

Laville de Montpellier dansL "Histoire universelle du monde de François de Belleforest.

Paris, Mallot, 1572.

La ville d'Aix-en-Provence dans L "Histoire universelle du monde de François de

Belleforest. Paris, Mallot, 1572.

CONCLUSION

L'Adieu au lecteur dans l-Augmentation

m

du Théâtre du monde universel de Abraham

(13)

INTRODUCTION

Voyage et écriture forment deux pôles consubstantiels de l'épistémè renaissante française. Période communément appelée siècle des grandes découvertes, le XVIe siècle est avant tout curieux de découvrir l'Ailleurs en revenant vers l'Ici, de sonder le présent tout en se penchant sur le passé. En témoignent d'une part les nombreuses tentatives d'exploration de ('oekoumène qui va s'évasant au fil des entreprises viatiques qui jalonnent le siècle et, d'autre part, la faconde de la production littéraire qui épouse non

seulement les contours de laterra cognita mais également ceux des contrées nouvelles.

Le voyage est un mouvement qui s'effectue à la fois dans l'espace et dans le

temps, déclinant la dialectique de l'ici et de l'ailleurs parallèlement à celle du présent et

du passé, dialectique que reprend ultérieurement le procédé scripturaire, le tout donnant lieu au chassé-croisé du hic et nunc. Ce déplacement à même l'oekoumène pennet toutefois d'appréhender l'étranger, substantif ambigu de la langue française puisqu'il désigne et la terre située hors des frontières de l'ici et l'autochtone qu'y côtoie le viateur. Point de contact in situ entre des hommes appartenant à des espaces distincts, la pratique pérégrine, plus que toute autre, relève des concepts de l'identité et de l'altérité; en somme, elleestla translation spatio-temporelle au cours de laquelle Je rencontre l'Autre.

(14)

2

Trace du voyage et du passé, l'écriture scelle tangiblement le contact qui a eu lie~ nous donne l'occasion, à travers la distance temporelle qui nous sépare des prémices de la modernité, d'envisager l'univers des contemporains des Valois. En inscrivant à même le

papier les réflexions qui découlent de l'aventure hors des frontières du connu, la plume prend le relais de la boussole et transforme l'aller en retour. Trans/atio et scriptio renvoient donc au doublet de paramètres indissociables de l'anthropos et de son inscription dans l'univers depuis l'aube des temps.

Période «des nomadismes»I, le XVIe siècle français n'en est pas moins prolixe par rapport au phénomène pérégrin dont l'ampleur se reflète dans l'abondance d'écrits s'y rapportant. Les principaux ouvrages des expériences viatiques qui sont parvenus jusqu'à nous relatent les aventures lointaines de braves voyageurs., fùt-ce au Levant ou au Nouveau Monde. À eux seuls, le Turc et ("Indien., tels qu'ils apparaissent dans les textes de l'époque témoignent de la propension française à voyager ou., en d"autres termes et pour reprendre une expression chère à la Renaissance, à «courir le pays» 2.

Le présent mémoire a pour dessein de se conformer aux aspirations viatiques renaissantes ainsi qu"à la topique du Même et de l'Autre qui en découle et de procéder à l'analyse des allusions discursives et des autres motifs narratifs caractérisant les habitants des contrées méridionales du royaume françoys., principalement celle de la«Province de

Languedoc », qui se glissentçàet là à travers un ensemble de textes entre 1550 et 1598.

1R.Mandrou,Introductionàla France moderne (/500 - 1640), Paris, Albin Michel. 1961, pp. 298-310. 2Nous renvoyons le lecteur aux ttavaux de G. Atkinson et de M.-C. Gomcz-Géraudqui figurentdans la bibliographie.

(15)

Nous envisageons donc le voyage en visant une destination proche, afin d'y observer l'autochtone qu'y rencontre le Français. Notre hypothèse de départ pose l'altérité proche, c'est-à-dire « intranationale» comme la condition sine qua non de l'acception, de l'affinnation et de l'assiette de l'identité françoyse. Nous nous emploierons à remettre en question les propos de T. Todorov selon lesquels,«la pierre de touche de l'altérité n'est pas letu présent et proche, mais le il absent et lointainJ

» et à examiner l'assertion suivante de F. Braudel :« Il y a eu, il y a encore, il y aura toujours, vers le sud, une«autre» France

"».

Nous identifierons les paradigmes épistémologiques qui définissent ces Autres à la lumière d'une approche méthodologique qui, en dessinant le profil de leurs figures, nous pennettra de capter les images de la méridionalité et par là-même de révéler les orientations doxiques de la francitéàcette même époque.

Notre approche critique: l'i",agologie

Dans le choix d'un tel sujet viennent se nicher deux tennes chers au comparatiste: «rencontre» et «dialogue »5. L'imagologie s'apparente au versant français des «Cultural Slodies» américaines; elle s'inscrit en droite ligne comme l'une des

l T. Todorov, La conquête de l'Amérique. La question de {"autre. Paris, Le Seuil, 1982, coD. «

Points-Essais»,nO226.p. 200.

4 F.Braude~L'Identité de la France. Espace et histoire,Paris,Arthaud, 1986, p.73.

, D.-H. Pagea~ «Préface)) dans Le bûcher d 'Hercule. Histoire. critique et théorie /inéraires, p~

(16)

4

approches maîtresses de la littérature comparée en ceci qu'elle fait de la dimension étrangère son principal invariant, et ce, depuis Jean-Marie Carré6

Il importe en tout cas d'identifier un point de vue comparatiste chaque fois que se dessine une ligne de partage (une frontière ?) entre deux cultures; chaque fois que l'homme entreprend, par la découverte de l'Autre, un dialogue avec celui-ci et donc avec soi-même. Moments où la conscience de soi se trouve obligée de saisir dans un même mouvemen~ ce qui est accroissement de la connaissance et redistribution immédiate de celle-ci, rencontre et différence 7.

Il s'agit donc d'une mise en relief d'écarts, de différences entre deux cultures qui sont étrangères l'une par rapport à l'autre; on retrouve bien l'enjeu comparatiste de l'altérité qui, en dérivé structuraliste, isole deux unités dont les constituants vont être rapprochés de façonàcerner les caractéristiques intrinsèques de chacune. L' imagologie, au-delà de la simple comparaison d'images, rend possible une certaine rétroaction; elle permet à travers l'Autre et l'Ailleurs de mieux comprendre le Même et l'Ici; elle instaure un va-et-vient entre deux environnements culturels distincts, celui de l'observateur et celui de l'observé: «Je 'regarde' l'Autre; mais l'image de l'Autre véhicule une certaine image de

moi-mêmeS.»

Voyons maintenant la marcheàsuivre que cette approche préconise. Pour ce faire, nous aurons pour guides D.-H. Pageaux et J.-M. Moura, deux «imagologues)) qui se font

les ardents défenseurs - tant au niveau théorique que pratique - de cette méthode depuis

6O.-H. Pageaux, LaLinératuTe généraleetcomparée. Paris. ArmandCo~ 1994, chapitre 4,« Images )),

p.56.

7 O.-H. Pageaux, «De l'imagerie cultureUe à l'imaginaire )), dans Pierre Bnmel et Yves Chevre)(dir.),

Précis de linérature comparée. Paris,PressesUniversitaires de France, 1989, p. 157.

(17)

plus d'une vingtaine d'années. Toutefois, une mise au point du concept d'image, le matériau bmt imagologique, s'impose9

La notion d'image, des plus vagues, appelle moins une définition qu'une hypothèse de travail. Celle-ci pourrait être fonnulée ainsi : toute image procède d'une prise de conscience, si minime soit-elle, d'un Je par rapport à l'Autre, d'un Ici par rapport à un Ailleurs. L'image est donc l'expression, littéraire ou non, d'un écart significatif entre deux ordres de réalité culturelle. Ou encore: l'image est la représentation d'une réalité culturelle au travers de laquelle l'individu ou le groupe qui l'ont élaborée (ou qui la partagent et la propagent) révèlent et traduisent l'espace culturel et idéologique dans lequel ils se situentlo

L'analyse de ces images est tripartite : elle se veut tour àtour lexicale, structurale et sémiotique et procède ainsi à l'examen «du mot, de la relation hiérarchisée et du scénarioIl.)) Àla base de l'entreprise imagologique réside en effet l'étude quantitative du

lexique, avant de tenter de recomposer des réseaux de vocables., à partir, entre autres, de l'articulation de l'adjectivation et du recours aux isotopies :

On distinguera des mots clés et des mots fantasmes : les mots issus de la langue du pays regardant qui servent à définir le pays regardé et les mots pris à la langue du pays regardé et reversés, sans traduction, dans la langue, dans l'espace culturel, dans les textes du pays regardant. Et aussi dans son imaginaire12•

Le deuxième volet vise à faire ressortir des principes biérarcbisants, des fonctions d'éléments bilatéraux, des oppositions ou autres composantes binaires qui caractérisent le

9 Voir à ce sujet J.-M. MoUla, ( L'imagologie littéraire, essai de mise au point historique et critique»,

Revue de /inéralUre comparée,263-3, juillet-septembre 1992,pp.271-287.

10 D.-H. Pagea~«De rimagerie culturelle à l'imaginaire»,dans Pierre Bnmel et Yves Chevrel(dir.),

Précis de finérmure comparée..Paris, Presses Universitaires de France, 1989.. p. 135.

IlIbid.,p. 142. Selon D.·H.Pagea~ilimporte de cerner«l"image, sa mise en imaginaire et la logique de

cet imaginaire.»

(18)

6

cadre spatio-temporel de 1~Autre~sa représentation physique~ mais aussi sa gestuelle~son parler~ainsi que son système de valeurs: sescoutumes~sa religion et son gouvemementlJ•

Finalement9 au moment de faire la synthèse de ces données~ il importe d~adopter une approche sémiotique. Désonnais~ on envisage 1~image comme signe~ lequel permettra d'élucider le comment de la représentation discursive de l'Autre par le Même, de mettre au jour le«scénario».

Si dans sa première étape I~imagologie ne s'en tient qu'au texte littéraire, en second lieu elle fait appel à rapproche structurale des anthropologues. Au cours de sa troisième et ultime étape, elle poursuit l'exploration des sciences humaines en élargissant le champ à l'histoire des idées et des mentalités, participant ainsi d'une réflexion interdisciplinaire. De fai~ en se basant sur le repérage systématique des lexèmes~ la démarche du comparatiste ne s'éloigne guère de celle de son homologue de l'histoire des mentalités qui, lui, se penche sur «des stéréotypes, des jugements~ des affects et des images9 autant d'idées, de croyances et d'émotions qui rendent compte de réalités collectives9 c~est-à-dire propres à la société toute entière à un moment donnéI4.»

Notre corpus

Les textes que nous avons retenus pour notre étude du «Méridional» se

regroupent en trois ensembles: 1) les écrits géographiques~fussent-ils savants dans le cas des cosmographies ou bien pratiques pour ce qui est des guides de voyage etenfinsource

13 D.-H. Pageaux, «De l'imagerie culturelleà l~imaginaire »), dans Pierre BruneI et Yves Chevrel (dir.),

Précis de Iinérature co"'JHlTée.,Paris,Presses Universitaires de France, 1989, pp. 146-148.

14 A. Jouanna, «Littérature du XVIe siècle et histoire des mentalités»., dans Les Méthodes du discours

(19)

de renseignements hétéroclites comme les récits de voyage; 2) les mémoires et le discours historiographique; 3) quatre textes de la littérature stricto sensu embrassant plusieurs genres narratifs : récits, nouvelles et essaislS

Ce triptyque textuel protéifonne tient au choix de notre sujet. Si le corpus comprenait uniquement des textes issus de la veine géographique, ilne serait que très peu représentatif de la prolixité discursive du royaume françoys de l'époque et donc de son imaginaire, « le résultat visible d'une énergie psychique fonnalisée au niveau individuel et collectif'6.» Dès lors il nous est apparu opportun de sélectionner des œuvres appartenant àdivers domaines de l'activité scripturaire renaissante. Ainsi ne devra-t-on point s'étonner de la présence conjointe de disciplines telles que la géographie, 1'histoire et la littérature dont le cloisonnement n'était que peu marqué ou du moins pas très étancheàla Renaissance. En outre, l'altérité intranationale posée comme pierre angulaire

de notre démarche nous a conduite à respecter le spectre de la diversité humaine de cette France: se sont donc retrouvés voyageurs et sédentaires, professionnels et amateurs de récriture, nobles et bourgeois, mais également catholiques et protestants, Français et provinciaux originaires des quatre coins du royaume. De surcroît, la méthode imagologique qui relève de l'échantillonnage de vocables, de phrases, voire de paragraphes, doublée de l'étroite délimitation spatio-temporelle dans laquelle s'inscrit cette étude, n'a fait qu'augmenter la nature pléthorique de notre corpus.

15Nous renvoyoDS le lecteuràla sectionducorpusprimairede la bibliographie pour la liste destitresqui

composent le corpus debase•

(20)

8

fi va sans dire qu'il était impossible dans le cadre de ce mémoire de dépouiller la totalité des imprimés tant géographiques et historiographiques que littéraires que comprend le deuxième xvr~ siècle. Nous avons dû procéder à un choix, lequel nous a toutefois paru suffisant pour que remontentàla surface les images enfouies du « Midy» et des Méridionaux entre 1550 et 1598.

Dégager les paramètres d'une altérité autre et ceux de l'imaginaire français de la deuxième moitié du

xvr

siècle par rapportàcelle-ciàtravers un corpus hétérogène, telle est la tâche que nous nous assignons. Dans le premier chapitre de cette étude, nous nous pencherons sur les modalités rhétoriques de l'Ailleurs et de l'Autre avant de développer respectivement ces deux entités indissociables de l'entreprise viatique au cours des deuxième et troisième chapitres, lesquels précéderont la synthèse des résultats de notre analyse.

Finalemen~ avant de commencer, nous tenons à préciser que nous avons

modernisé l'orthographe pour que soit facilitée la lecture de certains textes du XVIe

siècle. Ainsi, avons-nous dissimulé les «i» et les «u» de l'orthographe renaissante remplacés par les «j » et les «v », ainsi que les traits de nasalisation sur les «m » et les

«n» selon l'usage moderne de la langue française. De même, nous avons modifié les terminaisons des verbes à l'imparfait et nous avons introduit des éléments diacritiques tels que les accents aigus, graves et circonflexes tout en conservant la ponctuation ainsi que l'esperluette ou le signe typographique« & »des imprimés de l'époque, marqueur de la conjonction de coordination«et».

(21)

CHAPITRE PREMIER

RÉFLEXIONS SUR LA RHÉTORIQUE DESCRIPTIVE

(...] il nous faut voir quelles sont les limites de la Gaule Narbonnaise, à laquelle nous voyons bien déjà quelle cité lui donne telle appellation, & puis nous toucherons ce qui sera nécessaire sur le fait des peuples qui y ont habité, & anciens, & modernes, afin que consentant une partie, nous ne venons à laisser l'autre en suspens.7

À l'instar de F. de Belleforest qui introduit ainsi le passage consacré à la province du Languedoc dans sa Cosmographie universelle, nous entamerons notre étude en nous attachantàl'aspect étymologique des diverses dénominations de cet espace géographique

dont nous tracerons les balises à la Renaissance avant de nous pencher sur le caractère rhétorique d'une telle topique ainsi que sur ses données spatiales et temporelles.

(22)

10

Étymologies

Pour peu que l'on feuillette les différents ouvrages du corpus, notamment les cosmographies, on ne cesse de s'interroger devant la récurrence de certains termes servantà la désignation des divers espaces décrits, proches ou lointains, circonvoisins ou limitrophes. De fait, les lexèmes «pays », «provinces» et «nations » ricochent çà et là

au fil des quatre parties que comportent généralement les volumes savants que sont les livres du Mondel l

, énumérant ainsi les terres jusque-là découvertes, dans un guide comme

celui de C. Estienne, mais également au fil des pages d'un Montaigne ou d'une Marguerite de Navarre. L'ubiquité scripturale de tels vocables participe non seulement de la représentation de l'espace physique renaissant - à savoir les lieux et les eSlendues19

-avec son lot de coordonnées, mais aussi de sa mise en bouche. Depuis les prés pYrénéens les devisants de l'Heplaméron font résonner des mots qui sont la pâture même d'obscurs polygraphes de cabinet et de célèbres cosmographes de terrain20• Tel un bruit de fond,

l'écho se transmet par-delà l'espace et le temps.

«Pays»t «provinces» et «nations» rebondissent donc dans les multiples acceptions respectives que ces vocables revêtent auXVIe siècle. En dépit de leur emploi qui, au demeurant, peut sembler redondant et brouiller les pistes, l'aide lexicographique

'B

Nous reviendrons sur le découpage des cosmographies, voir les pages 17 et 18.

19G. Matoré, Le Yocabulaireella société de la Renaissance,. Paris,. Presses Universitaires de France. 1988,

deuxième partie,. chapitre IV.«Le vocabulaire de l'espace )),. p. 94:«Pour désigner le monde environnant les termes généraux les plus employés sont ceux de païs et de contrée. déja anciens; mais on dit fréquemment la terrequia le triple sens de terrain. de pays etd'élément.))

20 Marguerite de Navarre, Heptaméroft. Simone de Reiff (éd.). Paris, Flammarion. 1982. « Garnier-Flammarion )),nO355. Les nouveUes des sept journées pyrénéennes renferment de nombreux toponymes• notamment les tugUIIIenta ad loco de l';nventio oratoire. Mentionnons entre autres«au pays de F1andres)) (1. 4),«Enlacomté d·Alès )) (1. 8).«Entre DauphinéetProvence ))(~9).

(23)

des dictionnaires Estienne, Nicot, Furetière et Richelet des xvr~ et

xvne

siècles, complétée par la consultation du Huguet, pennet d'en discerner les nuances sous-jacentes2l

. Dutriplet envisagé, le premier tenne est légion dans l'ensemble des textes du

corpus. Il signifie tout d'abord« campagne»lorsqu'il est précédé de l'adjectif qualificatif

«plat », éloigné de la mer et berceau de sources et de rivières quand il est introduit par «haut» et, inversement, proche des embouchures et d'une façade maritime quand il est

associé à « bas». Son deuxième sens renvoie au lexème «province», lequel désigne à

son tour l' « État 1 royaume». À titre d'exemple, La Guide des chemins de France

souligne à maintes reprises les connotations topographique, orographique et administrative qu'implique l'usage d'un tel vocable.

Le pays d'Auvergne.

La duché d'Auvergne. assise en partie en plat pays, & partie en montagnes, adhère au Languedoc selon les montagnes, & au pays de Forest, près la ville Croppieres :& àQuercy, près Ensseul,& Lotos.

Le haut pays d'Auvergne a pour principale ville Saint Flour, Billon, Aurillac& Le Puy: comprend le pays & bailiage de Beaucaire.

Le bas pays d'Auvergne, fertile en laines & bons vins, a pour principale ville Clermont, Aigueperse, Riom, Issoire, Montferrant, & autres: comprend le pays appelé la Limagne, c'est-à-dire, la plaine, en ancien langage, dont même l'Allemagne, pour n'être point montueuse, a été ainsi appelée.

Quercy, pays de montagnes, adhérant au haut pays d'Auvergne, ainsi que dit est, & tenant d'autre part à la Gascogne & pays de Guyenne, finissant aux monts Pyrénées, qui divisent )'Espagne de la France: a pour principales villes Cahors, Puys, Burelle, Tulle, Nazareth, Souillac, Gourdon, & autres. Ce pays est appelé des aucuns Crécy, & d'autres le Caulx22

21 Voirlesentrées«pais»t ( province» et«nation» dansles dictionnaires mentionnésci-devant.

22

c.

Estienne~ Guide des chemins de FrancetJean Bonnerat (éd.),p~ Bibliothèque de l'École des hautes

études. 1935-1936~f 188-189. Nous renvoyons désormais le lecteurà la liste des abréviationsducorpus primaire, p.vü.

(24)

12

Les composés «pays-duché», «pays-comté» ou encore «pays-province» coexistent avec les mentions de contrées étrangères qui sont désignées généralement à l'aide de leur nom propre, comme c'est le cas dans le passage cité ci-dessus pour les pays limitrophes du royaume français que sont l'Allemagne et l'Espagne, mais également précédées du mot «pays ». Il est à noter qu'à l'époque le vocable «nation» - sans les connotations modernes qu'un tel tenne a acquises - a pour sens celui de « province», reprenant ainsi l'idée d'une organisation politique véhiculée par des termes tels que «royaume» et «état ». Force est donc de constater l'ambiguïté du lexique renaissant de la spatialité la

plus rudimentaire, de son caractère polysémique, à la fois englobant et particularisant., que nous nous devons d'envisager en fonction de répistémè de l'époque. La France d'alors n'est autre qu'un conglomérat de pays, y compris celui de France., l'ensemble de ces diverses régions fonnant le royaume de France :

Le royaume de France (qu'aucuns disent contenir en forme de losange vingt-deux journées de large., & dix-neuf de long) est enclos d'une part de la mer océane, étendue depuis l'écluse en Flandres., jusqu'aux limites de la petite Bretagne, Normandie, & Picardie: qui le séparent d'avec les îles d'Angleterre, Irlande, & Écosse. Et d'autre part (qui est du côté de Midy)

ilest fermé de la mer Méditerranée, qui le divise d'avec l'Afrique, depuis Narbonne jusqu'à Aigues-Mortes. Entre lesquelles mers, plusieurs grandes montagnes lui servent de borne & rempart: à savoir, les monts Pyrénées (dits par endroits, de Foix, d'Éture, & d'Annagnac) étendus depuis Bayonne jusqu'à Narbonne, qui le séparent d'avec l'Espagne: & hautes Alpes, produites depuis Aigues-Mortes jusqu'en Savoie, qui le divisent d'avec le pays de Suisse& Italien.

(25)

Balises territorilIIes

Tournons-nous maintenant vers la spécificité toponymique du Midy et vers ses provinces proprement dites. L'extrait que nous venons de citer et celui qui le précède circoflscrivent succinctement le territoire méridional de la France de l'époque.

Par Midy, la Renaissance entend la juxtaposition de territoires qui vont du Dauphiné au Pays Basque et à l'Aquitaine en longeant la côte méditerranéenne de la Provence et du Languedoc, mais qui comprend également une portion considérable de l'espace intérieur allant du Forez à l'Auvergne vers le Limousin jusqu'au Quercy. Le substantif itératif de Midy désigne la moitié sud de l'espace français actuel situé grosso

modo en deçà de la rive gauche de la Loire au niveau de Tours. C'est dire si l'ensemble du territoire méridional offre de vastes dimensions. Notons que l'usage d'un seul et même tenne homogénéisant ne saurait rendre compte des diversités ni des caractéristiques intrinsèques de chaque «pays » qui compose l'espace méridional. Dans le cadre de notre étude, nous privilégierons donc la partie languedocienne de cette étendue territoriale, nous limitant principalement à la Gaule narbonnaise de l'époque, celle qui d'Est en Ouest va de la rive droite de l'axe fluvial rhônéen à Perpignan ainsi que le « haut pays», c'est-à-dire l'Auvergne. Nous insérerons à l'occasion des exemples empruntés à quelques-unes desautres régions méridionales mentionnéegl4.

24Nous renvoyons le lecteur au journal de voyage deJ. Esprincbard qui délimite de façon plus précise la

province du Languedoc. J. Esprincbard, Roche/ais et journal de ses voyages au

xvr

siècle, édition de

L.Chatenay,Paris, S.E.V.P.E.N., 1957, p. 267:« En cene ville [Toulouse) fmit la province duLanguedoc~

et hors desportesde celle-ci on entre en Gascogne.[.._] Laprovince de Languedoc a environ sept journées de longueur et autant de largeur. Les vines y sontsifréquentes quedequatre en quatrelieues~ou cinq etsix au plus, on en rencontre toujours quelqu'une.Lepaysestmerveilleusement riche, etfertile~etestestiméle meilleur gouvernement de Fanee. En celui-ci sont compris les pays de Vivaray, Gévaudan. Velay, les Cévennes, Albi, Rodez et autres lieux de montagnes.»

(26)

14

La Gaule narbonnaise s'étend pour ainsi dire de la porte de Nîmes à la forteresse

de Leucate en bordure de la Méditerranée,à deux pas de Perpignan, marquant d'une part

la frontière avec un pays dudit royaume des Valois, la Provence, et, d'autre part, celle avecuneterre étrangère entre le royaume de France et l'Espagne. C'esten suivant les traces des déplacements successifs de la cour de CharlesIXque l'image se précise :

Et le Roi séjourna audit lieu de Tarrascon trois jours, pour faire passer tout le train de sa cour, le fleuve du Rhône, qui tous passèrent en bateaux, & est un fàcheux passage. Puis après que tout fut passé, le Roi se mitàpasser le lundi onzième jour de décembre, et ledit jour sortit de Provence pour entrer en Languedoc [...]25.

Et le lundi huitième jour de janvier dîner à Locquatre, qui est une belle forteresse, & dernière place de France,àquatre lieues de Perpignan26•

La Provincia Narbonensis correspond à l'une des Provinciae que les Romains avaient annexées et qualifiées ainsi puisqu'elles se situaient hors de leur territoire!7. Ainsi

circonscrit, entre Provence et Espagne, l'espace que nous allons scruter présente la

caractéristique d'un entre-deux lieux, la limite et la frontière, deux concepts distinctsà la

Renaissance. En effet, comme nous le rappelle O. Nordman, ilest des lignes qui séparent

des territoires contigus, d'extrêmes endroits, des limites naturelles, des fronts guerriers2B•

2$A. Jouan..ReCJIeil et discours du voyage du Roi Char/es IX. Paris.Minar~1566,f 29fO.

26 Ibid., f32vo. Notons que Marguerite de Navarre(op. cit) souligne également la délimitation des deux

pays:« [...] lafrontière de Perpignan. à cause des grandes guerres quiétaiententre les Rois de France et d'Espagne»(1,10).

17Belleforest,eUB,f 333 :«Orvoilà quantà la renonunée de cette Gaule Narbonnaise qui était colonie

romaine,cftle siège des Préteurs,cftdes Proconsuls envoyés pour gouverner la Province.»

:a Daniel Norclman.Frontières de France. De /'espace au territoireXY~-

siècle. Paris, Gallimard, «Bibliothèque des HistoireS», 1998, p. 62-64 : «La localisation, la distance comptent plus que l'armature ou le symbole.

n

faut toutefois préciser, carlasynonymie n'est plus parfaite, que la frontière esttoujours ponctuelle, circonscrite discontinue: le guide signale un point critique; les voyageurs atteignent et franchissent un lieu déterminé, longent la frontière d'étape en étape. Décrite, parcourue ou traversée. la frontière reste liée à une partie du territoire età des usages physiques de l'espace. EUe reste tangible: le voyageur épuiséparsa course a laissé derrièreluises poursuivants, etildécouvre des endroits d'asile. une

(27)

Rhétorique cosmographique

Le terme savant de« cosmographie»,composé d'un substantif et d'un verbe grecs

- /cosmos, l'ordre et l'univers, et le verbe graphein, écrire - signifie donc écrire le Monde

de façon ordonnée. Cet ouvrage fait coexister deux notions indissociables: veo;r et

sçaveoir. En effet, le topos de la vue assurant la compréhension n'est autre qu'une

résurgence textuelle empruntée aux auteurs de l'Antiquité29•Onne saisit bien que ce qui a

déjà été vu et écrit.

Si les cosmographies sont un genre à part entière à la Renaissance, elles se

veulent avant tout des ouvrages scientifiques, comme l'atteste le petit traité de G. de Terraube. Ce dernier présente ainsi cette discipline Au très chrétien et très puissant Roi

de France Henri Il, dans la dédicace qu'il lui consacre dans l'édition de 1558 reprise en

1569 - Revu[eJ et cOrrigé[eJ de nouveau - que nous avons choisie.

[...] je veux assurer que ce qui est en cette science, qu'on appelle Cosmographie, c'est-à-dire la description tant du ciel que de la terre & autres éléments, est plus beau & plus nécessaire, est aussi fort facile. Or (SIRE) à vous, qui méritez être Roi de toute la terre, cette science plus qu'à nul autre convient, pour connaître en qu'elle partie du monde Dieu vous fait régner, & sous quel endroit de son siège admirable des cieux, &

fois passé robstacle. La ( limite» est à la fois plus ambitieuse et plusDeutte~plus abstraite, plus livresque. Elle fait appel au savoir destexte~à 1~émdition. [...]

Et même lorsqu'eUe a évolué vers des emplois descriptifs etgéographiques~etqu'elle peut par conséquent se substitueràla limite, la frontière resteassociéeà une notion, non pas toujours de conflit. mais au moins d'épreuve, de risque (au moins celui d'être repris). EDe constitue lepérilultime. [...]

La «frontière», quand bien même elle prend appui sur des positions géographiques - un fleuve ou le débouché dtune vallée·t est principalement constituée par un lieu fortifié, par une zone constnrite. Elle est avant tout l'œuvre des hommes, que les ingénieurs ont édifiée en un endroit propice. La nature~

providentielle ouphilosophique~peut sans doute interVenir; mais eUe n'a pas fait le travail del'homme~et

la création proprement dite demeure hors de portée des États. des gouvernants et des peuples. Bonne et sage, lanature exclut enfin les antagonismes de frontières et les heurt entre belligérants. Pour ces deux raisons conjointes - transcendance et paix- tce sont des«limites»~des ( bornes»)que la nature installe •

ou qu'elle ainstalléesàl'origine.»

(28)

16

en quels pays votre domination se peut à l'avenir étendre [...]. Et cette science convient semblablement à ceux, qui sous votre majesté ont charge des expéditions que vous entreprenez pour l'honneur de votre couronne, & repos de tous vos sujets. Car par celles-ci ils savent qui règne aux autres lieux, & de quel côté il y a terre, mer, montagnes ou fleuves, quel moyen on a d'y aller, & quelle commodité on peut en avoir. Ce qui est fort bien enseigné par les Cartes,& les livres de ceux qui les ont faites [...]30.

Les cosmographies dévoilent un savoir du Monde aux sens géographique et historique du tenne. Disons que l'onest en présence de la vision d'un univers à caractère

mnémonique. L'agencement même du Cosmos au fil des pages suit invariablement les

règles de Chronos. En effet, outre le fait de renvoyer au savoir des anciens, la cosmographie se veut avant tout un rappel didactique de 1'histoire de la Terre telle que la somme de ces connaissances est parvenue depuis l'Antiquité jusqu'aux doctes esprits de la Renaissance. La cosmographie étant un ouvrage scientifique, elle ne saurait innover; elle doit plutôt reprendre un discours tout en l'agrémentant à l'occasion de la partie qui

était te"a incognitaà l'époque de Ptolémée. La réécriture, l'écriture et la description du

Monde, voilà les tâches des cosmographes, la première et la seconde ayant pour but de perpétuer le savoir antique et la troisième de tenter d'expliquer et d'apporter des éléments contemporains garantissant une compréhension plus approfondie de l'oekoumène.

Locus amoenuspar excellence du texte descriptif: à travers un ensemble demots~ la cosmographie donne à voir le Mondel

•. Elle est également un des premiers livres

JOG. de Terraube, ÉpistredansBrie{discours des choses plus nécessaires<1dignes d"être entendues en la

Cosmographie, Paris, Morel, 15699f3r'.

l iM. Sïmonin,«Le statut deladescriptionà lafinde la Renaissance»9dansL "Automne de la Renaissance,

(29)

d'images, s'insérant ainsi dans la culture renaissante de I~écritet deI~imprimé.Le préfixe latin privatifde (de-scription) annonce en quelque sorte la dépendance de cette écriture immanquablement asservie àson objet référent. La description procède du prélèvementà

partird~undéjà là dans la réalité géographique antique et contemporained~unepart et de l'emprunt de bribes textuelles peu remaniées d'une époque lointaine de l~autre. Deux

sources alimentent donc cette modalité narrative qui tour à tour puise dans l'écriture et

donc dans le temps ainsi que dans le Cosmos. Pour policée qu'elle puisse paraitre~ obéissante au fil des redites~la dimension descriptive est un langage qui se déploie dans I~espace.Linéaire sur lapage~ elle devient disjointe, se laissant porterçà et là au gré des

régions visitées et préalablement glosées. La description cosmographique est la mimésis

antique de I~Universsur laquelle vient se greffer celle de la Renaissance. Mise en abyme

du principal outil scripturo-cognitif visant à montrer et comprendre le Monde, cet

ouvrage à caractère scientifique est un amalgame de plusieurs disciplines du spectre élargi des connaissances à l'état embryonnaire. La non-étanchéité des savoirs s'apparente

parfoisà un mélange touffu d'une somme colossale d'infonnations diverses. L'ensemble

des descriptions cosmographiques expose davantage qu'elles ne classenf2.

En ce qui a trait à la disposilio de ces volumes imposants, elle se présente de prime abord de façon identique dans ses grandes lignes. Thevet et Belleforest, une fois le

privilège royal acquis et les épîtres dédicatoires conformément adressées, divisent leurs

ouvrages respectifs en quatre parties distinctes, délimitées par le nombre de continents

connusà la Renaissance. L'Afiique correspond au livre premier de ces ouvrages, suivie

(30)

18

de l'Asie. L'Europe marque le troisième volet de cette étude avant de laisser la place au Nouveau Monde. Cette progression spatiale du sud vers rest puis vers l'ouest se calque sur l'histoire de ces écrits, les cosmographes du XVIe siècle emboîtant les pas des pionniers antiquesenla matière.

Pour ce qui est de rEurope, l'approche qui en est faite suit un itinéraire paginai des plus personnels. Dans son Histoire universelle, F. de Belleforest opte un moment pour un mouvement qui s'effectue d'est en ouest en direction du sud : de la Grèce à la Russie, il nous entraîne vers la «Germanie» puis l'Italie et se livre ensuite à un

inventaire des plus aléatoires: la Gaule, Paris, la Bourgogne, la Suisse, la Belgique, la Nonnandie, l'Aquitaine, la Gascogne, l'Espagne et l'Angleterre. La prose thévétienne, elle, abandonne également tout souci séquentiel et procède par bonds tout en obéissant à un agencement qui met en valeur les lieux clés de la couronne de France33•

La Cosmographie universelle de A. Thevet s'attache à décrire successivement l'Espagne, l'ensemble de la Gaule, les villes de Sens et de Reims, l'île d'Angleterre, la Toscane, Venise, la Turquie et la Pologne. Quoique répétitifs, les contenus de ces deux ouvrages n'en sont pas moins intéressants dans leur façon respective d'envisager l'espace européen.

I IJ.c~«L"Europeenquête de son identité selon les cosmographes de la findelaRenaissance»).dans

Renaissances européenneset Renaissance française (G. Gadoffre dir.), Montpellier. Éditions espace 34, 1995, p.S5: <<L'Europedesc:osmographes apparaîtà la fois comme une notion~ reprisede lascience mtiquell estsingulièrement tenace, et comme une représentation mentale qui ne résistepasà l'épreuve de l'histoire contemporaine qu'aux prix d'omissions. de dépréciations, mais aussi de subtiles et efficaces traDsformations. appeléesà une assez longuepostérité.»

(31)

La Gaule vient à son tour s~insérerdans cette macrostnlcture spatialeJ4

• Comme

nous venons de le voir, présente dans les cosmographies thévétiennes et belleforéziennes, eUe ne figure toutefois pas à la même place ou dans le même ordre d~apparition.Si l~on considère maintenant le Languedoc, les similitudes que partagent ces ouvrages sont plus nettes. F. de Belleforest et A. Thevet ne consacrent pas de chapitre à cette portion du territoire; ils choisissent de 1~englober dans la Gaule Narbonnaise, une énonne structure méridionale dont nous allons faire la mise au point des images.

]4Voir M. Simo~ccLes élites cborograpbes ou de laDescription de la France dans la Cosmographie

universeDe de BeUeforest))~dans Jean-ClaudeMargolin et Jean Céard (dir.), Voyagerà la Rrnaissance, Paris, Maisonneuve& Larosc, 1987, pp. 433-451.

(32)

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(33)

M. TVLLIVS

CICERO.

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LE

Cheual eft

cre~

pour

porter

&

tirer: le

Boeuf

, l

- pour arer

&

labourer la

r'rerre:

1~.Chien pour~c~af.

fer

&

garder

la

maifon:

. Mais l'Homme pour

con-fiderer

&

contempler

des

y~~x

de

l'entende-. ment la

difpofi~n

du Monde vni-

\ . .

uerfeI.

.

(34)

CHAPITRE Il ESPACES

[...] je dirai quelque chose à l'honneur de ceuxy qui, embrasés d'un honnête désir de

voir, jettent la plumeau vent et vont busquer [chercher] fortune en régions lointaines. [...] on trouvera peu d'habiles hommes de notre temps qui n'aient voyagé et qui ne fassent pas cas d'un qui a beaucoup vu. Et

pour en dire ce qui en es~ ceux qui blâment les voyageurs sont ordinairement quelques touasses [rustres], nourris seulement derrière le poil des vaches, qui n'ont garde d'aller voir que c'est que l'on fait hors de dessus leur lieu pour autant qu'ils soient tant niais, mal propres et impertinents qu'il faudrait qu'ils mourussent sur un fumiery n'y ayant

que les honnêtes hommes qui soient époinçonnés [aiguillonnés] d'un louable désir devojrls.

l5B. Poissenot,«Téméraire entreprise du clerc d'un conseiller d'Aix-en Provence~après avoir abusé de la fille de son Maitre, la voulut enlever;etcomme le conseiller, enétantav~y remédiadiscrètemenL Histoire qualrième»,dansNouvelles histoires tragiques, édition de J.-C. Arnould et deR. A. Carr, Genève, Droz, 1996,pp. 171et17S.

(35)

Topos renaissant hérité de l'Antiquité, la vue est l'activité sensorielle qui va de

pair avec l'acquisition des connaissances, servant ainsi l'appétence cognitive qui habite les contemporains des Valois. Parmi les plus honnêtes et curieuses gens du royaume qui parcourent les routes de France figurent au premier rang les héritiers de François ICf

• Si

embrasser du regard c'est comprendre le monde, c'est aussi mieux le gouverner. En politique avertie, Catherine de Médicis au terme du voyage qu'elle a effectué aux côtés de son fils Charles IX à travers le royaume, alors qu'elle séjourneàMoulins, la ville natale de Nicolas de Nicolay le «Géographe du Roy n, enjoint ce dernier de représenter les territoires qui sont sous la gouverne du jeune roi. Malheureusement, le dévoué géographe des Valois n'aura pas le temps de s'acquitter de cette vaste tâcheJ6

• Vouloir cartographier

le Cosmos témoigne non seulement du désir de le visualiser, mais également de se l'approprier. Souvenons-nous des propos du géographe de Henri II, G. de Terraube s'adressant à son souverain et abordant la question de la science au service de la Couronne. Le voici qui poursuit:

Comme si l'on pensait qu'un, qui passerait de Flandres en Espagne le droit chemin de Paris à Bordeaux, mt bien suffisant pour décrire la France : car il n'est pas dit, pour y avoir été par l'endroit susdit, que pourtant il sache quels sont les ports de Normandie & Bretagne, ni quel chemin il y a de France en Suisse, ni en Italie, ni quels sont les ports de Languedoc & Provence: de sorte que pour savoir le tout il n'est que de voir les Cartes anciennes et modernes, lesquelles ont été faites par gens de grand espri~ avec grand soin & diligence, achevées en cinq ousixcents ans, y ajoutant

J6 J. Boutier et al., Un Tour de France royal. Le voyage de Charles IX (/564-/566), p~ Aubier,

collection «historique)), 1984, p.48. Nous renvoyons le lecteur à l'incipit et aux dernières lignes de la relationd'A.Jouan(op. cit) :RDY, f4vo:«Donc ledit Seigneur [CharlesIX]voulant cOlDIDeDcer son dit voyage,partitdesa villecapitalede Paris,leLundixxiili jourdejanvierM.D.L.xnn pourallerdîner&

coucherà Saint-Mors-des -Fossés [...

J.»

Ibid., t»78 vo:«Et le Mercredi premier jour de Mai auditan.mil

cinqcent soixante-six, ledit SeigneurpartitdeSaint-Mors pour aller dîner au logisdeMadameduPeron,

(36)

24

ou diminuant selon qu'il a été besoin, dont la gloire première est due à PtoléméeJ7•

De fait les cartes permettent d'orienter les pas et les foulées. Toutefois, comme nous le

rappelle N. Broc, bien qu'elles ne soient pas choses neuves, les cartes sont alors la

propriété des savants et des lettrés de cabinet et non pas l'outil indispensable de la

majeure partie des itinérantg38. L'ouvrage de référence en la matière, le guide de

C. Estienne, en est exempt; en contrepartie, il regorge d'expressions spatio-temporelles visant à pallier cette carence. Loin de fournir des repères cartographiques, il sert les hommes de l'époque pour qui ChronosetCosmosse combinent enjoumées de marche et en relais. La distance parcourue se lit non seulement en nombre de lieues, mais également

en fonction de l'astre solaire qui, entre le lever et le coucher, donne la mesure du temps.

Accompagnant la destination finale - la majeure partie du temps d'une ville ., figure la

mention « le droit chemin» àla suite de laquelle défile uneénumération de lieux. Voici unexemple d'itinéraire conseillé au débonnaire voyageur:

À Montpellier, parMarseille Marseille, ci-dessus. Les Peines Marignane L'Île de Martigues Îstres Saint-Martin de Crau Arles

Passe la rivière du Rhône, qui fait la séparation des pays de Provence& de Languedoc.

Trinquetaille Saint-Gilles

J7Voir citation 30. G. de Terraube,BD,f3fl-4 {'.

la N. Broc, «Les cartes de France au XVIe siècle»), dans Jean-Claude Margolin etJean Cêard (dir.),

(37)

Nîmes

Là se noient de grandes antiquités, comme les Arènes, & autreschose~9.

Les paragraphes intitulés «Chemins» ou « Autre chemin», plutôt succincts si on les compare aux descriptions des pays ou des villes importantes, semblent redondants à la lecture de ces dernières et ne viennent en rien éclairer l'itinérant quant à l'orientation géographique en soi40

Mais sans plus attendre, glissons-nous donc dans les pas de ces voyageurs des contrées méridionales pour y explorer en premier lieu les espaces du voyage lui-même et ensuite y découvrir ses paysages. À défaut de cartes, hormis celles qui figurent dans les

cosmographies, nous aurons pour repères et pour guides les traces de l'écriture renaissante.

Motifs, itinérairesetconditions de voyage

Force sont les personnes qui vont par pais, pour reprendre une expression de la Renaissance, àcommencer par les générations successives des Valois - de François ICI' et

de sa sœur Marguerite de Navarre àHenri II et ses descendants -, leurs cours respectives ainsique les agents royaux, qui sillonnent les routes du royaume français et notamment

39c.Estienne.GDF. f1S7.À ce propos, voir ('ouvrage deC.Liarouttos,Le Pays et la mémoire. Pratiques

et représentation de 1·espace français chez Gilles Corrozet et Charles Estienne, Paris.ChampiOn. 1998,

deuxième partie. chapitre fi «La carte absente»). p. 164: «La disposition typographique inventée par Estienne [...] tend eUe aussiàinstaurer une progressionquirend possible une représentationdel'espace au moins comme successionde lieux. Les toponymes sontdisposéslesUDSà la suitedesautres (cequin'est pas nouveau), mais leur organisation par étapes, chacune aboutissant à un gîte. en fait une véritable séquence, que la mentionrégulièredes journées inscritdansletemps.»

-Ibid...flSI : [Languedoc&Gascogne] Chemins.«Ces chemins sontfréquentés,tant pour leslimites de la Gascogne& Espagne~ comme pour le parlementde Toulouse. & marchandisesde bousvins, cftautres choses.»

(38)

26

celles qui mènent vers le Languedoc à cette époque. Néanmoins, soldats à la suite d'hommes d'épée - tel un Monluc ou un Brantôme -, marchands"l, fidèles se rendant en pèlerinage",2, étudiants et brigands",3 viennent grossir les rangs de la population pérégrine qui circule dans le Midi à cette époque. Cependant, il est des voyageurs qui contournent

cet espace. En effet, en 1580 Montaigne quitte la région de Bordeaux pour se rendre à Paris remettre un exemplaire des Essais àHenri III avant de chevaucher vers l'Allemagne

et la Suisse pour atteindre l'Italie. Au retour, une fois la frontière transalpine franchie, le cavalier traversera le royaume de France depuis la Savoie jusqu'au Bordelais au niveau du Massif central en direction du château familial. Au sortir de l'Auvergne, dans ce « haut pays» appartenant au repère spatial qui nous intéresse, il ne manque toutefois pas de rencontrer d'autres voyageurs.

PONT SARRAUT, petit village, six lieues. Ce chemin est garni de chétives hôtelleries jusques à Limoges [...]. Il n'y passe que muletiers et messagers qui courent à Lyon'".

S'aventurer sur les routes, malgré la connaissance des multiples périls encourus, demeure donc le lot de la plupart des contemporains des Valois, lesquels ouvrent ce ballet

.., P.J~ «Guides de voyage et manuels pour marchands )), dans J.-C. Margotin etJ. Céard (dir.), Voyager à la Renaissance, Paris, Maisonneuve & Laros~ 1987, pp. 159-160: ( Parmi les voyageurs circulantsurles chemins de terre ou les voiesd'ea~à répoque delaRenaissance, lesmarchandsfonnaient sûrement un gros contingent. (...) Dans l'état actuel de l'enquête, nous avonsrepéréenviron mille éditions-jusqu'à 1600 - de livres petits ou gros pouvant àdestitres divers être traités conune manuels à l'usagedes

marchands.»

42M.-C. Gomez-Géraud,Le Récit de pèlerinageà Jérusalem,Paris, Champion, 2000.

U J.Esprinchard,op. ciL,p. 263. Alors qu"il se trouve entre Carcassonne etCastres, voici ce que rapporte

ce RocheIais: «Le vendredi 24 du mois (avril] ayantpris troissoldats d'escorte à cause des bandoliers, passâmes unetrèshaute et ticheuse montagne toujours au travers d'uneépaisseforêt où l"espace de trois heuresàcause que nous étionsdansles nuées nous ne voyions que troispasdevant nous.»)

" Montaigney Journalde lIOyage, édition critique de F. Rigolot. Paris,Presses Universitaires de Francey

19929 p. 231. Notons quelatraversée française d 9

esten ouest n·occupe que cinq pages(227-232)et se clôt abruptement en comparaison des autres parties du récit de voyage.

(39)

endiablé, poussiéreux et éreintant dont nous allons essayer maintenant d'entrevoir l'orchestration.

Comment se rend-on dans le Midy entre 1550 et 1598? Par où passer et

pourquoi ? Si les cosmographes agrémentent les cartes de leurs ouvrages d'éléments orographiques, ils n'y incluent pas pour autant de tracés routiers précis à même la terre fenne et les axes fluviaux. Il semble évident d'affirmer que les voies d'accès à respace

méridional épousent non seulement le relief mais aussi les moyens de transport de ce temps-là. Piétons, cavaliers et bateliers se côtoient au hasard et aux croisements des chemins du royaume. Deux axes principaux de communication se dessinent, lesquels, sans nous étonner outre mesure, reprennent la double association dichotomique des quatre points cardinaux. À lire les textes qui mettent en scène les membres de la famille royale, c'est l'axe nord- sud qui l'emporte étant donné leur lieu de départ, l'Î1e-de-France,

c'est-à-dire la«France»de

r

époque, situé dans la partie septentrionale du royaume. Le cas de Marguerite de Valois témoigne de la binarité directionnelle des routes étant donné les nombreux voyages qu'elleyentreprit.Eneffet, à travers ses Mémoires, on la retrouve aux

quatre coins du royaume"s. Outre ses allées et venues nord-sud-nord que nous indiquent les villes de séjour, notons qu'elle effectue le trajet d'ouest en est, alors qu'elle se trouve en Gascogne sur les terres que possède son époux le futur roi Henri IV et que la tourmente politico-religieuse qui fait rage la jette sur les routes en direction du Languedoc.

oUMarguerite deValo~Mémoires de Marguerite de Valois «la reine Margot». édition de S. Rozenker, Toulouse, Éditions Ombres, 1994.pp.SO et S2 : [1574]. « [ •••)Cela passé, après avoir demeuré quelques tempsà Lyon, nous aPâmes en Avignon»; [1575].«Nous fimes un long séjour en Avignon, et un grand tour par la Bourgogneetla Champagne pour alleràReims aux noces duro~et delàveniràParis [...].»)

(40)

28

Nous demeurâmes en cette heureuse condition tant que la reine ma mère [Catherine de Médicis] fut en Gascogne; laquelle après avoir établi la paix, changea le lieutenant du roi àla prière du roi mon mari, ôtant M. le marquis de Villars pour y mettre M. le maréchal de Biron; elle passant en Languedoc nous la conduisîmes jusqu'à Castelnaudary, où prenant congé d'elle, nous nous en revînmesàPau, en Béarn [...]46.

Il n'est pas rare de traverser le Midi d'est en ouest et vice-versa comme l'attestent les déplacements de Montaigne ou de J. Esprinchard, lequel revenant de Suisse, passe par Lyon, Montpellier et Toulouse pour se rendre à La Rochelle, ville dont il est originaire.

Peu importe la façon de s'y rendre, le Midi, mais plus précisément le Languedoc, demeure généralement un territoire dont les Français - du nord comme du sud -, font le tour ou que l'on traverse de part en part pour se rendre ailleurs, même si le guide de C.

Estienne propose plusieurs itinéraires en fonction des villes de départ et d'arrivée. La plupart du temps, toutefois, on ne rebrousse guère chemin, l'aller et le retour ne coïncidant pas vraiment. Serait-ce le danger du lieu pérégrin qui incite nos voyageurs à emprunter d'autres routes, ou bien la seule soif de satisfaire une curiosité démesurée, ou encore la nécessité de maîtriser l'espace dans son ensemble?

L'engouement du pérégrin amène celui-ci àbraver les conditions de voyage qui,à la Renaissance, se limitent aux seuls moyens de locomotion accessiblesà l'ensemble des

itinérants, c'est-à-dire une paire de jambes endurantes allant par monts et par vaux, adaptées aux divers accidents du relief et fiables devant les obstacles rencontrés - fussent-ils animés ou inanimés; une vaillante monture échangeable en cours de route; ou parfois plusieurs chevaux tirant lUle litière sur les chemins cahoteux. À vrai dire, les piétons

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n'endossent que le rôle de figurants anonymes comparativement aux célèbres cavaliers qui peuplent les pages des textes étudiés"'. De surcroît, comme le souligne P. Tachouzill,

«[t]oujoursàcheval, Henry de Navarre est donc avant tout un homme du mouvement48

Les Marguerite de Navarre et de France, quant àelles, font souvent état de la litière, ce

dernier véhicule les transportant d'un endroit à l'autre à travers l'ensemble du territoire, signe extérieur de leur rang, leurs moyens financiers leur garantissant un certain confort et le loisir d'y deviser ou d'y écrire. En outre, le train royal de Charles IX ne saurait passer inaperçu dans sa tournée du royaume49

• Moins fréquentes, cependant, sont les

allusions aux bateaux et autres traversiers permettant aux voyageurs de franchir les cours d'eau, ces barrières naturelles, et ainsi d'écourter la distance qui les sépare de leur

destination finale. Cette rareté viendrait corroborer notre constatation antérieure voulant que les chemins aient l'avantage sur les tracés fluviauxso•

D' une part, le voyage est une translation reliant deux points distincts de l'espace du royaume, d'autre part il met en contact des êtres humains eux-mêmes véhiculant bagages et maux. Si la pratique viatique facilite l'échange de messages, de techniques et

41 Monluc, Commentaires, éditionde P. Couneault, Paris, GaUimar~coU. c(La Pléiade », 1962, p.475,

(1561, décembre):c(Àlafin ils[Catherine de Médicis et le roi] se résolurent de m'envoyer en Guyenne,

avec patentes et permission de lever gens à pied et à cheval pour courir sur les uns et les autres qui prendraient les armes.»

a P. Tachouzin,c(Henride Navarre: un hommeà cheval »pdans Provinces et pays du Midi au tempsde

Henri de Navarre. 1555-1589,volumes des actes du colloquedeBayonne,7-9 octobre 1988, Pa~J.& O. Éditions- Association Henri IV1989. 1989,p.243.

5 J. Boutier et al.. Un Tour de France royal. Le voyage de Charles lX (1564-/566), Paris. Aubierp

collection«historique»), 1984, chapitre

vm

«Sur la route )), p. 119: c(Plusieurs milliers de voyageurs

s"écheloDDent sur 4 ou5lieues, voire davantage. [...] le cortège royalestàproprement parler énorme.

n

a

dû frapper l'espritdes contemporains parce qu'il est intcrmiDable. La place qu'il occupe sur la route, entendueici danssa matérialité, etdanslevoyag~est untRslong ettrèsvaste spectacle.»

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de marchandises, elle comporte cependant de grands désavantages. On pense aux divers risques encourus lors du déplacement, certes, mais également, aux dangers plus insidieux que sont les épidémies et la transmission de diverses maladies qui affectent certaines personnes transitant d'un lieu à un autre, et ce, plus ou moins rapidement en fonction du moyen de transport utilisés,.

Ondit bienvrai que le mal court la posteà cheval et que le remède à pied tout beau chemine, étant chose difficile d'éviter et fuir son malheur lorsque nous le portons en croupe derrière nous, et que l'avons en queue si près de nous que peu s'en faut qu'il ne nous marche sur les taionsS2•

La vitesse est synonyme du moyen de locomotion équestre plutôt que pédestre, si l'on en croit la métaphore filée empruntée au narrateur de cette cinquième histoire. Le futur Henri IV, quant à lui, incarne le viateur véloce par excellence, un cavalier infatigable dont l'énergie ne saurait faire défaurJ

• L'infrastructure viatique comprend non seulement les

moyens de transport mais également les lieux incontournables de l'entreprise pérégrine. La halte obligatoire telle que la plume nous la donne à voir nous pennet de pénétrer à la

SI S. Melchior-Bonnet, L ·Art de vivre au temps de Diane de Poitiers. Paris. Éditions Nil, 1998,

c(L'enm:tènementdesanté>.,p.144 :ccLarègle est que tout voyageur présente,àl'entrée d'une ville, une

«bullette », ou bulletin de santé. prouvant que le lieu d·où il vient n'est pascontaminé. Les villes sont évidemmentlesplus touchée. leurs portes gardées. les mendiants et étrangers refoulés. les tètes et les foires supprimées, les étuvesfermées.>.

51B.Poissenot,(cGrandeur de courage d'une fille de maison de la ville de Montpellier,qui sans recevoir aucune consolation voulutmourirpour avoir été vue par sonamienunétatauquel eUe ne désirait êtrevue.

Histoire cinquième»), dans Nouvelles histoires tragiques, édition de J.-C. Arnould et de R. A. Cau,

Genève,Dr~1996, pp. 220-221.

SlP. Tachouzin,«Henri de Navarre: un homme à cheval », dans Provincesetpays du Midi au temps de

Henride Navarre. 1555-1589,volumes des actes du colloque de Bayonne, 7-9 octobre 1988, Pau,J.& D. Éditions- Association Henri IV 1989, 1989, p.244: C(Le3 septembre 1579,ilparcourtdans l'après-midi

les 88 kilomètres qui séparentNërac de Vielle, à une moyenne de 18km1b. Le 7 août 1584,il couvre la distance de NéracàHagetmau en huith~àune moyennede16 lanIb. Vitesses assez exceptionnellesà

une époque où le chevalestle plus rapide des moyensde transports terrestres et où les chemins ne sont guère entretenus.»)

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fois dans la sphère des châteaux offrant l'hospitalité aux voyageurs recommandés par un tiers ou une connaissance commune, celle des monastères hébergeant pèlerins ou curistes déroutésS4 et celle moins privée des relais et des auberges qui sectionnent l'itinéraire en

étapes. De fait la nature du lieu de balte fait écho au motif même du voyage, au budget alloué, voire à la race du viateur. De tous nos voyageurs, le bourgeois bordelais J. Esprincbard est sans aucun doute celui qui, grâce à l'importance qu'il accorde à la toponymie hôtellière - complétée à l'occasion par certaines mentions odonymiques -, nous fait entrevoir la vie vagabonde et ses haltes sous un autre angle que celles des grands de la cour des Valois. En effet, lors de son passage en terre languedocienne, il nous entraîne quasi systématiquement dans une série d'auberges citadines dont les noms et l'emplacement pennettent au lecteur moderne de faire une mise au point plus précise, de mieux cerner le vécu pérégrin d'une autre race d'homme55

Le Midi CII",plIgIItlrd, IIrbllill etmllritime

Quittons les micro espaces clos, sortes de bulles réconfortantes disséminées sur l'intenninable route des divers déplacements, pour les lieux naturels du monde de

~ Nous faisons ici allusion aux devisants de 1·Abbaye de Sarrance que. met en scène, et ce dès le

«Prologue )). Marguerite de Navarre.op. cit.

55 J. Esprinc:hard, RJY. pp. 239-267. Nous le suivons aisément d·est en ouest à travers le Languedoc:

citadin: des faubourgs d'Uzès ( à l'hôtellerie de l'Étoile»), vers ~DDes «à la Pomm~ derrière les Arènes »),puisLunel« àla Bégude », viaMODtpellier ( au Cheval blanc: en la plus belle rue de la ville »,à

Béziers « à la Croix blanche, toutdecontre laporte paroù on vaà Narbonne »). danscelte dernière ville ( au Logis de rAnge »).à Carcasonne ( aux Balances», à Puy-Laurens ( en l'hôtellerie de la Pine») et enfinàToulouse ( en l'hôtellerie de la Ponune enlaruedesFaiseurs d'aiguilles.))

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