INFORMATION TO USERS
This manuscript has been reproduced trom the microfilm master. UMI films the text directly trom the original or copy submitted. Thus, sorne thesis and dissertation copies are in typewriter face, while others may be from any type of computer printer.
The quality of this reproduction is dependent upon the quality of the copy submitted. Broken or indistinct print, colored or poor quality illustrations and photographs, print bleedthrough, substandard margins, and improper alignment can adversely affect reproduction.
ln the unlikely event that the author did not send UMI a complete manuscript and there are missing pages, these will be noted. Also, if unauthorized copyright material had to be removed, a note will indicate the deletion.
Oversize materials (e.g., maps, drawings, charts) are reproduced by sectioning the original, beginning at the upper left-hand corner and continuing trom left to right in equal sections with small overlaps.
ProQuest Information and Leaming
300 North Zeeb Road, Ann Arbor, MI 48106-1346 USA 800-521-0600
•
La modernité religieuse dans 1a pensée sociologique: Ernst Troeltsch et Max Weber
Pierre Gendron
Faculty of ~eligious Studies McGill Universi~y
rebrüary 2001
.'A.. thesis submiLteà LO the Faculty of Graduate Studies and Res~arch in partial f\l2.filmen-c 0: -::he requiremen~s of the degree of Doctor of ?hilcsophy (Ph. D.j
1+1
NationalUbraryofC8nada
AcquisitiOnSand Bibliographie services
38SwaatgIOnStreet
OttawaON K1A\)NIl
c.n-Bibliothèque nationale duCanada Acquisitions et services bibliographiques 385.rueW~ oaawaON K1A 0N4 caMdaThe author
bas
granted
a
non-exclusive ücence allowing the
National Library of Canada ta
reproduce, loan, distnbute or
sen
copies of
this
thesis in microform,
paper or electronic formats.
The author retains ownersbip ofthe
copyright
in
this
thesis. Neither
thethesis Dor substantial extracts from it
may
heprinted or otherwise
reproduced without the author's
permission.
L'auteur a accordé une licence non
exclusive permettant à la
Bibliothèque nationale
du Canada dereproduire, prêter, distribuer ou
vendre
des
copies
de cette thèse sous
la
forme de
microfiche/film, de
reproduction sur papier ou sur format
électronique.
L'auteur conserve
la
propriété du
droit d'auteur qui protège cette thèse.
Ni
la
thèse ni des
extraits
substantiels
de celle-ci ne doivent être imprimés
ou
autrement
reproduitssans son
autorisation.
0-612-70028-3
•
•
•
ii
ABSTAACT
This study is centered on the social ~uesT:i.:Jn
as addresseà and defi~ed by Ernst Troeltsch (1865-1923) a~d
by Max Weber (1864-l920); it pertains mainly ta the r~s~ of
religious modernity a~d its conditions of pcs.s:'b:'~:'~}';
based on a compar5.7:ive analysis of the soci:-:'.:·:;··,' ::r
religion of Troeltsch and Weber, it deals with the ~~e3~:cn
how religious modernity has to be thùught :rGi:"~ a
sociological perspective.
Along with moàe=n historical science and scie~~ific
rationality in general, the social question challenged
. religion in the ninereenth century; this study brings out:
the originality of Troeltsch's vision of a modernity
compatible with belief in the future of religion.
Mati vated by the debate on the social ques~:'~n,
Troeltsch's concern was the social foundations cf :te
Christian doctrine in i ts relation ta secular domair.s of
accivity, and chis calls for a new outlook on the iS3ue cf the relation between religion and culture.
Eventually, the comparative approach of the sociological
thought of Weber and Troeltsch pursued in the present work, while providing new insight into Weber's views on religion,
brings about a better understanding of Troeltsch as
•
•
•
iii
RÉSUMÉ
La présente étude est axée sur la question sociale abordée et définie par Ernst T~oeltsch (1865-1923) et par Max Weber (1864-1920); son objet principa~ est l'~~ergence de la modernité religieuse et ses conditi0~S de
possibilité; s'appuyant sur une analyse comparée des écrits de Troeltsch et de Weber en Soci01ogie de la religion, elle ~raiLe la question àe savoir COmITLent la mojernité religieuse est pensable dans une perspective sociologique.
_"A,.vec la science hi.storique moderne et la rationalité scientifique en général, la question sociale a consti tué un des facteurs de remise en cause .je la religion au dix-neuvième siècle; la présente étude fait ressortir chez Troeltsch l ' originali té de la vision d'une mo.jerni té compatible avec la croyance en l'avenir de la religion.
Hotivé par le débat sur la question sociale, Troeltsch s'est intéressé aux fondements sociaux de la doctrine chrétienne en tant qu'elle concerne les domaines profanes d' acti vi té, et cela demande une conception renouvelée du
problème des rapports entre la religion et la culture.
Finalement, l'approche comparée suivie dans le présent travail sur la pensée sociologique de Weber et Troel tsch, tout en fournissant un nouvel éclairage concernant les vues de Weber sur la religion, apporte une meilleure compréhension de Troeltsch en tant que théologien et philosophe de la religion .
•
•
..-j ()"-1
D. Û) f--' fil .() C Û. t"(j ~i 0-
Cl> :-.\ OJ () C: ~, et> r-s 0 ~-' ".J. :-1 ::J l" 11) 0 rD 1· .... :;.
L-".-,... 1-' (l). ~1 ~ ~1) l-l Ct ~-' 0 ..:: m-
ID <D (lJ rD ID li) 11) ùJ rt- .0 I.J· 11 c:: (j) 1-" ~1 :, 1-1 1.... • (j) rJ) c: rt- n ::J '0 O. n eu 1-1 r11 n et> OJ l"...,.
Ü.ID 0 ft> ... r) :j ... CD ri ll) :r rt <~ ~j 0 n. c ru 1·.. • rD (j) :.' Cl> CI> 1-1 ()Il) ü. 0 /-i (J) ru ID fl) t-i 0
rt m ~~ ID' (j) () tr (-1 ûJ r" :.1 C ~~ lO /-J. 0 1-.1. I-.J· I.J n OJ ~j I-j CU OJ rt- 1--' 1-' rJ) 1.') rt ID eu (f) c c:: 1-.... c; 1· .... ln, 0.1 I-.J. (li C <-4 rt t-s ... 1--' 1-" ID 1-1 r1" rll 1-'" cD ~ u)
-
rD d' ... /--' 11), f.f) ~-~ Ci.. 1-" 11), 1-1 cu 0 III 1-'" W' ID m 1-1 1 : (1) 01 () I-t ~3 :J (f). (J) OJ ::1 rt ~.1 ID· u.. L: C; :y...
.-t :~ Il) t(J C 1-1 ~1 to n 0 CIJ m ru :.1 0. U:~ Il) \) 0 QJ. 0.1 :, CD Ü. iD (J) c: l,) rT '0 :,. 1-'" CI) /-...
r.'l"':,
rT 04 ..- ' Co) '1 ç': '-"1 ~1 rt '-1 ft) Il) ~lJ..
0 10 11)· O. Cl O. 1-1 ... et>~
.~= çJ OJ 0 (1) 1-" 0 r-t-
\) ~, :, " f--' n \) () Hl (l) ~,.. ... eu '0 11 (t :1 Il) 11) f.i) 10 roc, 1--' M ~j.
fT> (f) 'l)-
~O _.. 0 '0 () '.. ~j l i C ... (f) fl) OJ () m Ci.. C 0 t-1 1-1 Il) (J) ~1 iD C~ C H 1-1 L: 11) 1-11 Cu C ID,
...
.-f t-i rt Ct1 (j) 1--' (l) (,
il' /-1 ~1 rt CD::s:
/-...
f)) n. l" d OJ r.; M rt ll~J n. rJ) lU· ru ::1 1·" 'r) <-4 1-1 ? ~ ~... Il). t1 (1) Il) 1) ID /--' 0 0 ~ \.) L; .-1" 1'" '-~ 1-""-
C 1-'" (J) t-i ç": 1-1 1-' ~r CT) l i I-i ~ /--' ÛJ 1-" OJ '0 Il)· (1) ûJ ,~ -li) ln :j :.:t ~ ({> 10, L~ r11 ùJ lQ OJ rt !Tl Il) 1 ''0 " ll> CJ <~ ID' ID 1--' -1 eu f-". ~~ 11), m 0 Ü.,-'
~1 0 ::-.:t D. LU ,~ '(1 eu 1-" (1). a> ... ~.:t,-'
G I I r: OJ t-1 ~1 li) rt 1-1 (~ O. r1" 10 '0 OJ 1-'" c~ ~1 1.(1 ID, :J 1'1 Il) q OJ ri) a> 11 fI) ID ... :"0 rt :) 0 CO ~~ ( j 1 •• \.J. UJ \):3
1-" :.1' 01 n m t· .... ,,~ ~u (~ ro 10 CI> 1'" :r UJ (l Cl>..
' ID ~ 1-1 nI l" ..·t .~ ... li ::j r1 ID· rt n ri) l'i :T '0 11 1·J. ty ~_I 0- .-t 1---' 1--' :ï,
...
Cl>. ~1 CO, ~.... OJ 1-'· (J> () ID ÙJ 1-1 () ru ..0 1- -' ~~ (j) I-.J • 0 C r: '(1 l)...
fj) '0 ID ÙJ ID (Il..
1) lO (f). C 0 ~, <~ tt, 1 L~ OJ [: l" '1 ~~ l: ;-:, ID rt (Il /-...•
Abstract Résurné
P'Ëx2rci e:n2:':t s
T.~LE DES L-1..:;'T l ÈRES
i i
1"...~ ;
...."
l4
v
Deux fc~dateu=s de la sociolsgie ~es re~igio~s
17
2
..
-'
Interprétations èe ~a mcdernité ":;!1
_.~ Netes ':r.a;:i:re 2 }l/(·'~'~;- ~ --...-..
_-1 -, ....:. La ~éthoèe historique ..1 -,
•
•
Chapi tre 3 SÉCULA.R.IS~..TIO!~ ET SOCIÉTÉ CI\lILE • . . . 13~1 - Le processus de la « sécularisation» 134
~ - Le social et la question sociale 151
3 - Christianisme et société 1 ~-,
_ 0 ..)
t'Je·tes 179
Chapitre 4 L..~ RELIGION DliNS L.l\ CULTURE . . . . • • . . . 1~4
1 - Herméneutique et histoire sociale .
~ - Théologie libérale et ~OUV9ments so=iaux ..
•
3 - L'avenir de la religicn . I~J.;:tes .. Ccncll.,;sicfl • . . . . !···~c·te5 • • . . • • • • • . • • • • . • . . . . • • • • • . . • • • • . • • • • • • • • . . . • . • • . . E.ibliographie . 21~ .229 ~41•
INTRODUCTION
Depuis qu'il Y a des hommes qui pensent sur les institutions sociales, la surprise première est créée par l'existence de l'autre. Nous vivons dans
une société et i l y a à'autres sociétés. Un certain ordre poli tique ou religieu:..:
nous est évident ou sacré, ~L il Y d'autres ordres. [ ... ] La s0ciolo9i~
commence avec la reconnaissance de cette diversiLé et. avec la volonté de la comprendre, ce qui n'i~plique pé5 J~e
toutes les modalités s0ie~t ô~ m~m~ niveau de valeur, mais qu'elles soient toutes intelligibles (Raymond Aron,
Les étapes de la pensée sociologique,
Paris, Gallimard, 1967, p. 560).
La vision moàerne du monàe est une manière de concevoir ':'e réel qui décc·ule fondamen:ôlement ·je 1ô prise 0;::;;
consiàération de l'historicité de l'être hUffiôin. Mais elle ~rivilégie éga:ement l re:-:p1i":2:-:: ion
phénomènes, eL elle serait évidemment incomplète sans la
sociale ». Quiconque entend assumer aujourd'hui la tâche de
se .jra.ppel~r conver.:J. est chose q~ril quelque ce communiquer
permettre d'ignorer ces données.
•
îSi la tâche première de la théologie est d'interpréter le témoignage chrétien, elle a aussi tâche d'interpréter ce témoignage de manière à le rendre
compréhensib1e et crédible pour le temps présent. C'est
pourquoi Rudolf Bultmann, qui est peut-être la figure la plus connue parmi ceux qui ont défendu et illustré cette conception de la théologie, avait fait de la vision moderne du monde un critère de l'entreprise qui l'a renàu célèbre: la démythologisation. Dans une conférence donnée en 1951 â l'Université Yale sur «Jésus-Christ et la mythologie », Bultmann fait une mise au point aussi utile
que ~éponse à une ·:.:bjectic,n
•
lui faisai t souvent concernant la relation qu'il voyai t entre la foi chrétienne et la ·,Iision moder:-ie du monde. On retiendra surtout ici, en fin de citation, ce que
3ultmann qualifie lui-même à'idée essentielle:
On reproche souvent à la tentative de
démythologisation de prendre la vision moderne du :non.je comme le critèr-e je l •i~:.erprétati0n
de l'Écriture et du message chrétien, et de supprimer de l'une et de l'autre tout élément qui entrerait en contradiction avec la vision moderne du monde.
Il est bien vrai que la démythologisaricn consiàère la VlSlon moderne du monde co~~e un critère. Démythologiser ne signifie pas, néanmoins, rejeter dans leur totalité l'Écriture et le message c~rétien, mais éliminer la vision bibliq~e j~ ~0~de, qui est. une vision périmée, trop souven'C. c:.nservée dans la dogmatique chrétienne et la prédicc.t ion ·:le l ' Ég lis e .. [....]
La tentat.ive de démythologisatio~ prend son point de àépart dans cet: te idée essentielle:
•
3 la prédication chrétienne, pour autant que la Parole de Dieu soi t prêchée sur son ordre et en son nom,n'offre pas une doctrine qu'il faudrait accepter soit par un acte de raison, soit au prix d'un sacrificium
intellectus. [ ... ] La démythologisation veut mettre
en évidence cette fonction de la prédication comme message personnel: c'es~ en le faisant qu'elle éliminera un faux scandale et mettra en pleine lumière le vrai scandale, la parole de la croix (1).
Cette réponse fournit une bonne indication du rôle que sont appelées à jouer la philosophie, la sociologie, l'histoire,
et les sciences humaines en 9énéral, dans l'étude et la
compréhension du phénomène =echerches pal~li les pl~s
religieuz récentes
(2) • Certaines
du christianisme primitif en fournissen-c un e:-:emple.
En analysar~t comme crise sociale la c!"ise du ju·jaisrne 10r3
de son intégration à l'Empire romain, COIThme l fa fait Gerd Theif~en da!:s ses t:!"ava~:·: d'e:·:ég4se ':lU Nou."'.1"eau ies::ê.mer:~, on peut montrer comment: il est possible ct' interpréter ur~e
crise religieuse de manière à évi~er de pr0j~ire une visic~
déformée de la religion. On peut y voir une façon d'évaluer
posil.ivemen'L la reliaion CO:7"üTle source .j'élérnent.3
suscept:ibles de cont:ribuer à définir une sit.uation de crise
{::.-_L. par
difficulté.
C'est: dans ce sens que =ra7aillaient: E~nst Troel~sch et
Ma:-: Weber. La présente étude s'inspire principalement .je
pas forcément sur la signification de la modernité pour la
•
leur œuvre. Si c.;s deu:-: auteurs 3 'acccrdaierlt.•
4sphère religieuse, ils accordaient à celle-ci suffisamment
d'autonomie pour qu'il Y ait un sens à parler de son
influence propre sur le comportement humain.
*
Le théologien allemand Ernst Troe~tsch (1265-1923)
est considéré, avec son contemporëin ~I- ami
•
•
(1864-1920), comme un des fondateurs de :a sociologie des
religions, et ce, à juste titre. Hais il faut souli9ner
aussi le fait que Troeltsch, identifié au courant de
l'histoire des religions (religionsgeschichtliche Schule)
dès son arrivée à Heidelberg, fut du nombre des
universitaires qui participèrent active~ent au ~enouveau
des sciences humaines qui a profondément marqué le tournant
du siècle en Allemagne, renouveau dâns lequel Troel tsch
voulai t inclure la théologie. Parmi les paramètres de la
réflexion à l'origine de la présente étude, il faut donc
situer au premier plan la référence au programme que
l'auteur des Soziallehren der christlichen Kîrchen und
Grqppen (Doctrines sociales des Églises et groupes
chrétiens) a formulé durant les années où il fut à la fois
le collègue de Weber à l'Université de Heidelberg et un àes
principaux collaborateurs de la revue Archiv für
Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, que Weber dirigeait avec Edgar Jaffé et Werner Sombart.
•
Le pro9ramme de Troel tsch se présente à la & • .LOIS5
corrrrne
cri-cique, normatif réformateur. Sous le -chème de
l'autonomie du religieux et conformément aux exigences qui
découlaienL de cette présupposition fondamentale, Troel-csch
s'attaque d'abord au problème de l'his-coricisme
relativiste, qu'il qualifie de «mauvais \ . - . .dls'CorlClsme. . »,
et il se livre à une critique rigoureuse de la théorie
positiviste de la religion. Ensuite, dans le cadre du déba'C
sur l'essence du christianisme, il tente de redéfinir
le concep"C .je reli9ion ccrnme préalable c: l 'a!1alyse du
phénomène sous l'angle du Enfin,
la !"'!ece3S1, . ,'Ce Dc,ur
cercains, l'impossibilité pour d'autres, que les sciences
. .
ni.l!L1al ries 30~ent. e:·:emp"Ces de préSUPP03é5, 3insi
la remise en cause du statu'C des facultés àe théologie
à son projet de réforme de la théologie.
poursuite Sl;r
l'avenir de la religion considérée co~~e étant autre chose
qu'~ne « ill~si0n »,
reli9ion et culture, TrGeltsch cherche une médié'Cion entre
disco~r3
sur'Lout contribuer au rapprochement en-cre la r-eligion des
ariàitè pratique et sociale, et une religion plus proche de
•
~ilieu~ cultivés, influencée o~~ la science avec 50D•
6 démarche scientifique honnête ne peut qu'être bénéfiqur: à la religion, mais l'enrichissement devrait être mutuel entre cette démarche et la tradition religieuse vivante.Quelles leçons tirer aujourd'hui àe l'entreprise de Troeltsch et de ses prises de position sur l'importance et
la si'~nification du phénomène L'f({pothèse
adoptée ici est qu'il serait utile, pour répondre à cette question, d'identifier dans le t:ravail de fondation effectué par Troeltsch, les aspects susceptibles de faire l'objet Q'u~e élucidation du point de ~je ae la sociol0cie de la religion. Une interprétation d'ensemble pOürrai~ alcrs ê~re tentée au moyen j'une comparais0n ~C:1 -sociologie des religions de Max Weber. Mais une telle visée pa.raî.t. peur le moins arr~itieuse.
étude, dans le cadre restreint des moyens qu'elle peut met'Cre en oeuvre, se limi te a l'éluciciat:io::. d'~.ln aspec'C particulier de cette problématique et n'aborde que le seul thème de la « modernité ~eligie~se ».
La sociologie telle que l' envisage Tr0eltsch si9nifie d'abord et avant '[ou~ une no~velle « faç0n de ~cir » ~u de « cons idérer » cnoses. 1 -_ 0 pensée de Ernst
Trceltsch et de
d'en~rée de jeu, l'an~lyse sociologique occupe u~e position
empirique, eL l'interrogation philosophique. Comme on peut
•
dele médiationvoir chez. entreWeber,lo recherche his~c.r::'q:.Je,.j'une•
7non seulement est toujours respectueuse des faits, mais qui ne refuse jamais d'aborder les problèmes sur le plan de la signification (3).
On sait que Troeltsch fut un temps aux affaires, ayant été nommé sous-secrétaire parlementaire au Ministère des cultes et de l'instruction publique de ?russe (Dumais 1995, 58). La méditation à laquelle il se livra sur cette expérience vécue dans le domaine s0cial-politique, et ce, dans un conte:·:te où la nation allemande r.ardait à
attelnare la ma~urité politique, lui i ' voir ~~t.rement
« le problème de l' histoire intellectuelle» (das Problem
der Geistesqeschichte), cûrrù"Lie il le raC0rlte j~r.s «!'le2.f.e
Bücher », un compte-rendu autobiographique placé en tête du q11a tri èLTle -\70l ume (post.hume) .je ses Oeuvres
(Gesammelte Schriften), et l'aIneflâ â lancer dans des études 30ciologiques. Cr, celles-ci signifiai~ut m0i~5 p0~r lui un apport de nouvelles connaissances qu'elles ~e ~eprése~taien~ une nouvelle :açon ~e voir ~es ChOS83.
La nouvelle probléma~ique a se
christianisme ainsi que difficultés qu'il depuis ~e début des Temps mo.j~rDes sor:":
formateur (Troeltsch 1922-1925, 4: Il). L'occasion de cette àé'Cermii1és », et dans quelle mesure le christianisme peut
S0cicl.û,;:q1je
•
•
8
Troel tsch concernant la réédition en 1904 d run ouvrage de
Martin von Nathusius sur la question sociale intitulé Die Mitarbeit der Kirche an der Losunq der sozialen Frage {voir Drescher 1993, 408}. Or, plutôt que la recension promise, Troeltsch finit par publier un volume d'environ mille pages, Die Soziallehren der christlichen Kirchen und
Gruppen, quril présente comme une «histoire de la
civilisation chrétienne » comparable à la grande « Histoire des dogmes » de l 'historien de l'Église Adolf von Harnack (voir Dumais 1995, 40), et dans laquelle il considère les aspects religieux, dogmatiques et théologiques simplement comme substrat de l ' acri vi té socio-éthique ou comme reflétant ce qui se passe dans l'environnement social, et ce, de façon plus ou moins prononcée à travers le temps (4).
*
La «question sociale» telle qu'abordée et délimitée par Ernst Troeltsch et par Max Weber constitue le point de départ de la présente recherche, dont l'objet principal est l'émergence de la «modernité religieuse» et ses conditions de possibilité. L'hypothèse de travail qui sous-tend cette recherche est que, s'il Y a effecti ·v·ement une modernité religieuse, la prise en compte de la question sociale et sa reformulation dans le sens d'une prise de
•
9 posi tion cri tique devant ce qu'a pu être par ailleurs la« moderni té sociale », en référence notamment à une certaine croyance plus ou moins positiviste au progrès, peuvent être considérées parmi les plus importantes sinon les premières de ces conditions de possibilité. En ce sens, le traitement adéquat de la « question sociale » représente un test décisif. En somme, il s'agit de se demander comment la rnodernité reli9ieuse, si une telle chose peut e:·:ister, est pensable du point de vue sociologique .
.Le concept de rnoderni té .3.ppa !:"a lL cer't~s .j' errJ:;l~e cornrne
problématique, il est permis de ,jouter que Troel'Csch et 'V"Jeber aient parcagé une même interpréta-::'c.n .j'ensernble de
la modernité. Mais on ad~e~tra à tout le moins que la reve~dica~ion d'égalité sous toutes ~~~ fcr~es es~ ~~e jo~ exigences fondamentales de la modernité. Troeltsch et Webe~ s'e~tendaient sur ce p0lnt, ç::.-_L
ils ont uni leurs effor~s pour situer, dans un conte~i:e qui
1 .• .;
_UJ.. la queStion de l' é·;!alité 5,:,.ciale. Cela es~
ici d'une irnportarlce capitale puisq1...ie la « questiOll
sociale » eSL c·':"r1test.e,
science historique et. l'envahissement de t.ous les domëiDes
par sc~e~tificue ,ju ~0~de,
commencement des Temps moàernes et l'0r~gine àu monde fact.eurs de remise en cause de la relig~c~ ~u XIXe sièc:e.
1-=25
•
.
l,.'"" dont la pensée de Kant étai t responsable, sil~nifiait que l'homme moderne était renvoyé à son histoire et à la nécessité de construire, avec des matériaux tirés de l 'histoire, un univers d'idées qui pût valoir sur le plan normatif. C'est ainsi que le christianisme devait être comparé aux autres religions existantes et que la religion en général devait être considérée comme une composante de la civilisation parmi d'autres, et l'Église, co~me une institution qui a cessé d'être dominante dans la société. Tout cela jécoulai~ de la ~evendication d'ègalité qui caractérise la modernité. En outre, il résultait de la 3éparation ,je l'Ë:glise et je l' t'Cal: da!'"~s le r:v:r.de moder:1e que l'importance des institutions religieuses dépendaitdorénavanl: de ce qu'elles avaient â offrir au monde.
Autrement dit, le plus grand défi qu'avait â affronter la
certains, l'affectait.
Parmi les raisons qui rnilite!"lt en faveur d'une aocroche
comparat i ·,.·09 ·:ies et Weber,
la première est qu'ils sont généralement cC'r:sidérés ·.::omme
religions en Allemagne. On peut aussi invoquer l'amitié et
•
deu:·: principau:.: fondateurs de ,:ies•
à l'Université de Heidelberg. Malheureusement,11
12: si tua tic·r~
qui rapprochait et qui, on peut le supposer, ~ut
propice à une fréquentation régulière pour ne pas dire quotiàienne alors qu'ils habitèrent quelques années lc~ étages d'une même maison n'a pas laissé, et pour cause, le genre de traces que l'on retrouve par e~emple dans la correspondance de Troel tsch avec Wilhelm Bousset ou avec
Friedrich von Hügel. En revanche, certains commentateurs
ont pu exploiter les témoignages qui concernent, entre
autres, lé: participation 0 -
_
....travaux de l'Evangelisch-sozialer Kongre8, qui S0Dt d'un grand inté~êt pour le sujet de la orèsente é~ude.
Mais le fait sans doute le plus si'~nificatif est que
les célèbres études Troeltsch c::.-
_
....respectivement sur les àoctrines sociales des Églises
et groupes chrétiens iDie soziallehren der christlichen
Kirchen und Gruppen} et st.:r l'éthique protestante ~Die protestantische Ethik und der Geist des Kapitalismus), ont d'abord paru à peu près en même temps sous for~me
dans la =ev~e Archiv für Sozia1wissenschaft und
Sozialpolitik, du moins en par~~e. On ~e saurait ~r0p
de cette revue, dont il venai~ de prendre la direcricn avec
•
«L'objectivité de la connaissance dans les sciences•
« Essais sur la théorie de la science »12
(Gesammelte Aufsatze zur Wissenschaftslehre). Enfin, l'aspect ce
complémentarité entre les deux études citées plus hau~
mérite égalemen~ à'être relevé. En effel:, alors a'~~
l'Éthique protestante de Weber met l'accent sur le rôle du
fac~eur religieu:·: dans l'émergence du capitalisme mc·derne,
Troeltsch, dans les Soziallehren, insiste sur l'importance
d'analyser les fac~eurs autres que reliqieu:·: déns
l'histoir-e du christianisme. En réaliti§, ce qui retient
~e plus l'atten~ion ce Trceltsch ~a~s le décât. sur
question sociale, c'est. l ...._0. discussicn rela~ive a.u:·:
fondements s0ciaux ae la doct.ri~e les
domaines d'activité propremenL séculiers éU sein des
Irtociernes. Il -·..7C':'i t d'Uf;e
interrogation sur les rapports de l'i§thos chrétien avec les
problèmes drét~ique ass·.)ciés au:·: tâ.ches irrrocsées D~ r la ·,..rie
dans le monde. - ,,.:., l '
.L 1:.9-lse a-t-elle quelque chcse a offrir au nonde?
•
Pour répondre à ce'Cte question, il fallait ;,,;;~e défi!li tion
àans sa rela~ion avec les Églises el: avec le christianisme.
les Soziallehren. L'un àes objec~ifs de la présent.e ét.uàe
àe la pensée pour l'interprétation proprement religieusE de
•
en évidence certaines de ses13
impl ica t.ioïL3,
•
tout particulièremen~ en ce qui concerne les rapports entre la religion et la culture .
•
14 NOTES1. Bultmann 1968, 205. -- Déjà en 1913, Bultmann s'était
e:·:pliqué sur. la nature àe ce «vrai scandale» dans un e:,:posé fai't de....ranl: la « Freie Vereini9ung » de Oldenburg le 29 septembre 1913 sur le thème « Science théologique et pratique du minisi.:ère ». Selon Bu l CTië:Dn, .La1 _ SCl.enCe
hist.orique a ent.re autres pour fonct.ic'n ·je oréveni~
~ferreur qui id'9Dtifier
par certains réci ts avec le sca!1èale inhé.!:'er:t ~ la fc'i. ?our lui, le seul scanàale qui cioit demeur'3r !'"1'e31: pas
celui àu savoir, mais bien celui la conscience {voir IvIaurice Bour.in, « Eudolf Bultmann », Catéchistes ~l (1972): 405-431; p. 415-416).
-
.
.:..
.
éventuellement la philosophie de la religion, Paul Ricoeur
livre le cowment.aire suivant:
Rudelf Bultmann affirme q'..1e la « si·;nificatic:"1 » des «énoncés mythologiques» n'est plus elle-même
:nyth,,J10r; ique:
m~rthIJlogi q:J e s
en peGt parler, ,jit-:'l, -.- ::er:nes rJor~ <je la fi~li;:li·je ,ju m0!"lde et ,je 1.'r.':"!7't!":19
•
en face àe la puissance ~ranscendan~e de Dieui
c'est même, dit-il, la. si9nificatiol1 des mytr1es
eschatologiques. ~a notion j'u~ «ac~e je Jieu »,
àe «Dieu C0mme acte », est, selorl l~.1i,
non mythologique; et même celle de «parole de
Dieu »; celle aussi d'« appel de la parole àe Dieu »:
•
•
15
le retire à l'idolâtrie de lui-même; elle appelle
l 'homme à son moi véritable . Bref, l'agir de Dieu,
plus précisément son agir pour nous, dans l'événement
de l'appel et de la décision, est l'élément non
mythologique, la signification non mythologique de la mythologie.
Cette signification, la pensons-nous?
On serait d'abord tenté de dire, dans le langage
de la philosophie kantienne, que le transcendant,
le tout autre, est ce que nous «pensons»
suprêmement, mais que nous nous «représentons»
en termes obj ect ifs et mondains. [ ... ] D'une façon
générale, tout ce qui oppose Bultmann à Feuerbach
[ ... ] rapproche Bultmann de Kant; le « mythe» tient
chez le premier la même place que 1'« illusion
transcendantale » chez le second; cette
interprétation est confirmée par l'emploi constant du
mot Vorstellung « représentation » pour
désigner les « images du monde » par lesquelles nous
remplissons illusoirement la pensée du transcenàant
(Bultmann 1968, 22).
3. Voir sur ce point l'explication de Jean-Clauàe
Passeron dans l'introduction à Hax Weber, Sociologie des
religions:
La rationalisation èes actes et des instruments de
l'action ne s'exerce pas seulement pour transformer
les conditions d'existence rnacérielle d'un groupe
social, mais elle s'exerce de manière tout aussi
àéterminante déns l'aménagement de Ir univers
symbolique qui permet à tout groupe de vivre dans un
monde symboliquement vivable, c'est-à-dire
suffisa~~ent cohérent et satisfaisant, à tout le
moins non désespérônt. Par ce1:t:e thécrie àu besoin
symbolique, irréductible à d'autres besoins, Weber se
distingue aussi d'une autre approche scientifique de
l'histoire des religions, celle qui, pour mieux
exorciser la nostalgie religieuse toujours suspecte
de complicité idéaliste ou spiritualiste avec la
religion, s'empressait d'embrasser par principe
le parti explicatif le plus réductionniste
•
164. Le verbe allemand employé par Troeltsch est ansehen, ici dans Ire:·:pressic!:. ansehen als, «consiàérer comme»
(à l'imparfait dans la phrase citée):
Das wurde f.un eine Geschichte der chri3~li,:h tirchlichen E<ult:.:r, eine valle Parallele zu Ha.=:-iâCts
Dogmengeschichte, bei der ich alles Religi.5se, Dogmatische ~nj 'T~eologische nur aIs Untergrund -jer sozialethiscte:1 ~~irkungen oder aIs Spiegel :.:nd Rückwirk:ung je=- soziologischen Umgebungen s.:-.s~h (Troeltsch 1922-1925, 4: 11-12).
Le même verbe es'[ '..:~ilisé par Ma=-: Weber dans l 'e:·:;::~e5sion soziologisch angesehen «sociologuement parlant », ou
•
« du point de v~e sociologique ». Ainsi, à propos des Juifs qui constituaient, selon Weber, un « Pariavolk »:
Das ei:;ent:b:liche religionsgeschich:2.ict-.-soziologische Problem àes Judentuffis
laBt
sieh ~eitau3 am besten aus ,jer Vergleichung mit der indischen Kastenordnung verstehen. Denn was v-.raren,soziologisch ôngesehen, die Juden? Ein Pariavolk (Weber 1920-21, 3: 1-3).
La conclusion de la très longue note que Weber a placée au début de Das antike Judentum, note qui comprend une discussion des travaux historiques relatifs au judaïsme antique, vient souligner le caractère novateur de cette démarche: « Dans une certaine mesure, seule une certaine façon d'envisager et d'interpréter les faits selon une
(Weber 1970, 19).
•
•
•
17
CHAPITRE l
Religion et modernité
Le fait religieux devrait pouvoir §tre distingué e~ situé dans l'ensemble des faits humains, s'il d0i~ "i a-v-cir
une connaissance spécifique aux sciences religieuses. Mais il est difficile, voi=e impossible, de .j~finir ,je :T"l-3.nière simple et précise ce qu'on doit entendre par « phénomène religieux» ou par « religion» (1). Max Weber pour sa part ne voyait pas la nécessité de définir la religion dans la phase initiale à'une recherche sur ce sujet. Au début du
chapitre sur l'origine des religions, dans la section de
Wirtschaft und Gesellschaft (Économie et société) consacrée
à la sociologie de la religion, il explique qu'il lui apparaî t impossible de «définir» a priori la religion, de «dire ce qu'elle est »; tout au plus, estime-t-il, on pourra le tenter en fin de parcours. Il déclare ne pas avoir à s'occuper de« l'essence de la religion »,
et affirme que sa tâche est simplement d'étudier les conditions et les effets d'une espèce particulière
simplement comme un type de comportement social . d'« agir en communauté»
comportement
•
pour cela de considérer
(Weber 1963, le
1) . Il suffit religieux
•
Pour Troel tsch,18
ou bien on entreprend sérieusement de définir la religion, et cela exige l'élaboration d'une véritable philosophie de la religion, ce qu'il essaye de faire par ailleurs comme théologien (2), ou bien on procède à la manière de Weber, et on prend le mot «religion» corrune un terme non défini. C'est une option légi time dans les limites du discours scientifique, lequel ne peut se dispenser d'employer aussi certains termes non définis, pas plus qu'il ne peut se dispenser d'utiliser comme point de départ un certain nombre de proposi tians non démontrées qu'il appelle des postulats. De même qu'on peut faire de la biologie sans àéfinir la vie, il est possible de faire de la sociologie sans définir la société et de la sociologie de la religion sans définir formellement la religion. Bien qu'on puisse déjà intuitivement en avoir une idée,
il s'agit plutôt en réalité pour le chercheur de construire l'objet de sa science.
Comme l'explique Wolfgang Schluchter dans la préface de son livre Rationa~ism, Re~iqion, and Domination: A Weberian Perspective, une façon àe comprendre la socioloqie ,-:0':::
...
-
....•
religions consiste a dire qu'elle vise à comparer et
à expliquer les positions ultimes que l'humanité a pu prendre à l'égard du monde ainsi que les modes de «conduite de vie» (Lebensführung) qui s'y rattacheDt . C'est en même temps un effort pour si tuer dans le cadre
•
19de l'histoire de l'humanité sa propre position à l'égard
du monde et ainsi prendre, au moyen de la réflexion, une
distance critique envers cette position. Pour cette raison,
la sociologie des religions peut être comprise comme un
effort à grande échelle pour saisir la signification de la
cul ture moderne de l'Occident, avec sa « vision du monde »
et la «conduite de vie» qui lui est propre. De cette
façon, on parviendra à faire ressortir la singularité de la
civilisation occidentale qui s'est formée, du moins en
partie, sous l'influence du judaïsme et du cnrlS,-lanlsme,. .
....
.
et ce, en l'opposant aux civilisations qui se sont ~ ,
.Lonnees
sous l'inÎluence à'aüt.res reli,~i0ns. ::n même temps,
on veillera à établir les choix qui s'oÎfrent à nous
intellectuellement et pratiquement en matière de prises de
position ultimes à l'égard du monde (Schluchter 1989, xv).
Schluchter se montre ainsi non seulement un lecte~=
attentif de la Re1iqionssozioloqie de Weber (3), mais aussi
•
un bon connaisseur des Sozia11ehren de Troeltsch
en qui il voit une sorte d'alter ego de Weber .
f t' \
•
•
20
§1. Deux fondateurs àe la s0ciolagie des religions
L'éta-c actuel de la à0ci..:.me:-~:::tion ne oerrnet pas
d'établir à quel moment Troeltsch 2 :ait la conDaissance de
Weber. Rien n'indique q'Je ~es .jeu:·: hc,rmnes se soient
rencontrés avant la venue ùe Tr0eltsch à Eeidelberg.
t~ais Troeltsch fréquentait le milieu auquel appartenait
le théologien Otto Baumgarten,
un
cousin de Weber; il n'estpas impossible que Troel tsch e-c ~'ieber aient pu pé.rtager
certaines des idées qui y circulaient. Quoi qu'il en soit,
les amis de Baumgarten à l'Univer3i:é de Halle étaient en
contact avec un autre groupe de théologiens qui s'était
constitué à l'Université Gottingen autour de
Albert Eichhorn, en partie sous l'influence de Troel tsch,
et qui sera connu plus tard sous le nom d'« École àe
l'histoire des religions » (reliqionsgeschichtliche
•
Schule). Ce groupe se voyait comme une sorte d'avant-garde
historico-critique en théologie (5). La démarche de ce
groupe relevait d'un intérêt pour la connaissance de
l'effet que la religion pouvait avoir sur la façon dont les
gens menaient leur vie, intérêt semblable à celui qui
•
21sociologie des religions et qui fut sans doute à l'origine
du rapprochement ultérieur entre lui et Trae1 tsch. C'est
pourquoi, dans ses «Notes on Weber and Troeltsch »,
Friedrich Wilhelm Graf conclut pruderrunent que bien avant
leur arrivée à Heidelberg, ils avaient dû être marqués par
la même expérience générale, qui peut se résumer dans
l'importance accordée à la question théorique et
pratique de la pertinence sociale de la religion
(Graf 1987a, 216). Mais surtout, comme le fait remarquer
Jean-Marc Tétaz àans un article récent sur Troeltsch
intitulé « Rédemption, eschatologie et sublimation:
éléments pour une théorie du christianisme »,
c'est l'accent mis sur l'antagonisme entre religion
et culture qui définit la perspective commune de
Troeltsch et Weber. [ ... ] Pour Troeltsch et pour
Weber, la religion, loin de conférer une sanction
transcendante aux ordres axiologiques de la culture,
développe un contrepoint complexe aux valeurs
régissant la vie sociale et culturelle, pouvant même
aller jusqu'à un antagonisme exacerbé provoquant une radicalisation de la désintégration sociale (6).
Très tôt, Ernst Troeltsch a revenàiqué un t~aitement
uniforme des liens abondants et divers qui rapprochent les
iàées religieuses des autres facteurs culturels. Pour
•
appuyer cette revendication, il a lui-même esquissé un
certain nombre à'éléments qui se si tuent au centre de sa
vision de l'histoire du christianisme et qui trouveront une
•
22 les doctrines sociales des Églises chrétiennes: la distance eschatologique marquée par la culture du christianisme primitif; le dualisme ascétique particulier à la culture unifiée du Moyen le quiétisme générateur d'indifférence à l'égard de ce qui détermine la cul tured'une société, attitude que Troeltsch re9rochait au luthéranisme (Graf 1987a, 219-220). Sur tous ces points, et notamrrlent le dernier, les vues de Troeltsch rej8ignaient celles de Weber. TouLefois, malgré l'importance que le protest.antisr.-te ascétique 2:Vé:it : - . -t- _ ...~
.... cl- '_'=L..~
constit~tif de la genèse du capit.ali3~e iudustri~l moderne, ~'ljeber ne pouvait accorder at:;·: vale',;~s ~eli';rie:Jse.3 alJCUne
fonction sociale permanente; seul Troeltsch persistait dans
ses efforts pour adapter é:hioue
christianisme aux problèmes sociaux de la moderuité (7).
Devarn: ~es conséquences ,-;oc:::r ...4 u ... '~---r ' ; --c.c:::1,.,.. _....,
modernisation capitaliste, Troeltsch estime que la religi0n offre toujours des possibilités qlji ne ,je!Tia;lder~"[ 'J'u'à I§l:~e re1'1ouvelées pour e;·:ercer une influence hUJnanisante
s'inquièt.e avec Troeltsch de la menace pour la liberté que
=epréser~te la .Jelj:.:
la bureaucratie et la rigidité croissante jes institutions indépendante po~~ l'i~di~idu est limi~ée par l'e~te~5i0n je
,j'action la que p-:.'ur s'accordent
•
•
•
23
sociales, de sorte que, en ce qui concerne la culture moderne, les conceptions normatives datant des Lumières s'avèrent maintenant illusoires. Mais seul Troel tsch demeure convaincu que la religion peut encore, en régime capitaliste, devenir une force de libération effective (8), c'est-à-dire une force susceptible d'agir, à contre-courant s'il le faut, en vue de raffermir la position de l'individu dans la société (Graf 1987a, 226) . Troeltsch juge sévèrement la religion dominante en Allemagne. Il considère le luthéranisme prussien, avec ses valeurs patriarcales et son esprit étroit, comme la religion de la classe dirigeante. Néanmoins, il est profondément convaincu qu'il ne peut pas y avoir de société sans religion. Pour lui,
la sécularisation ne signifie pas la dispari tion progressive de toute religion mais une transformation du rôle social et culturel de la religion. Il serait absurde d'ignorer cette forme de conscience ouverte sur la
transcendance, ei: qui, par cette ouve!:'ture même, élargit
l'horizon personnel tout en favorisant un libre engagement au sein de la société. Troeltsch n'est pas seulement incapable d'envisager une société sans religion: i l est également incapable de croire à une religion purement subjective, c'est-à-dire à toute forme de piété qui ne trouverait aucune expression objective dans les institutions ou qui resterait absolument sans rapport avec
•
24 la réalité sociale (Graf 1987a, 226-227). D'où l'insistance avec laquelle il revient sur les trois principaux types sociologiques qu'il décrit dans les Soziallehren: l'Église, la secte et le type mystique.*
La notion de type « mystique », à laquelle Troel tsch a
tenté tout au long de sa carrière de donner un contenu positif, n'a pas eu de résonance chez Weber. Un des traits caractéristiques de la conception wébérienne de la religiosité indienne, aussi bien que de la religiosité asiatique en général qu'il décrit en détail dans
la conclusion .je Binduismus und Buddhismus , réside
•
justement dans l'utilisation particulière que Weber fait àes termes de « gnose », de «mysticisme » et de « gnose mystique ». Cela concerne d'abord un présupposé général:
[Dans] toutes les philosophies de l'Asie [ ...
J,
le savoir, qu'il s'agisse d'un savoir àe le1:trés ou d'une gnose mystique, est la seule voie absolue pouvant mener au salut suprême, ici-bas comme dans l'ôu-àelà. Un savoir, soulignons-le, qui n'a pas trait aux choses de ce monde, au cours ordinaire de la nature et de la vie sociale ni aux lois régissant ces deux domaines. Mais un savoir philosophique relatif au «sens» du monde et de la vie•
25 La notion de maîtrise habituellement associée à l'ascétisme peut aussi s'appliquer dans ce contexte. Mais c'est alors de maîtrise de soi qu'il s'agit plus que de maîtrise du monde, la maîtrise de type magique que procure une certaine« connaissance ». Comme dans un jeu de poupées russes, à l'intérieur de la sotériologie asiatique il y a la sotériologie indienne, mais à l'intérieur de celle-ci il y
a encore la gnose, c'est-à-dire une maîtrise de type
« mystique et magique »:
Dans le domaine de la réflexion sur le «sens» du monde et de la vie, il n'existe absolument rien qui n'ait déjà été pensé en Asie, sous une forme ou sous une autre. Le savoir, auquel la pensée asiatique aspirai t, revêtait inévi tablement, de par la nature
de son sens propre, et en général aussi dans les fai ts le caractère de la gnose; il étai t considéré par toute sotériologie asiatique, c'est-à-dire indienne, comme la voie unique menant au salut suprême, et, en même temps, comme la voie unique menant à l'action juste. [ ... ] Cet enseignement et cette « connaissance» de ce qu'il faut savoir ne consistent absolument pas dans la présentation et l'apprentissage rationnels àe connaissances empirico-scientifiques susceptibles, comme en Occident, d'assurer la maîtrise rationnelle de la nature et des horrunes. Mais il constit.ue le moyen d'acquérir une maîtrise mystique et magique de soi et du monde: une gnose (Weber 1996, 464).
Quand i l fait le lien entre gnose et sotériclogie
•
asiatique, Weber porte en réalité sur celle-ci un jugement critique assez dévastateur dans ~a mesure où l'élément.
•
26« asocial et apolitique »:
Le fait que le savoir qardait objectivement un caractère mystique a eu deux conséquences importantes. D'abord, l'aristocratisrne du salut propre à une telle sotériologie. En effet, la capacité de parvenir à la gnose mystique est un charisme, et elle est loin d fêtre partagée par tout
le monde. Ensuite, et en liaison directement avec ce trait, cette sotériologie présente un caractère asocial et apolitique. La connaissance mystique n'est pas communicable, du moins pas sur un mode adéquat et rationnel. La sotériologie asiatique conduit toujours celui qui est à la recherche du salut suprême à entrer dans le royaume d'arrière-monde d'une vision sans contours rationnels, mais divine à cause de cette absence même de formes; dans le royaurne ct 'une félicité que l'on possède et qui vous possède, félici té qui n'est pas de ce :TlQnàe et qui p,'ju':Tant
peut I§tre et doit erre acquise dans cette vie au
moyen de la gnose {Weber 1996, 464-465}.
Il ne faut donc pas s'étonner si la théc-l,:,.gie, dans la
mesure où elle pouvait être assimilée, à tort ou à raison,
a une gnose ou e~core à une démarche de COGnalS3ë~ce
mystique, pour ne pas dire mystificatrice, trouvai.-c difficilement: grâce aUX yeux de Weber, com~e du reste tout «point de vue d'inspiration religieuse» en histoire.
« Maligned Mysticism: The Maledicted Ca~eer cf Troeltsch's
Type », un art:icle au titre
•
la connotation particulière qui découle de l'emploi par ~\eber ,ju terme de « mysticisme » a nt.:i. considé:-ablement 211 "."
•
27 aux types «Église» et «secte» (Garrett 1975, 210).L'influence de l'Éthique protestante, où Weber définit d'une ~anière sociologiquement précise et durcit a ses propres fins l'opposition entre l'Église et la secte, ezpliqüe, du moins en partie, le peu de succès qu'a eu la tentati-V"9 de Troeltscrl d' introduire, ~ partir du IT.ë:É:riaiJ
des Soziallehren, l'idée d'une troisième veie de type
mY5tlq~e ou spiritualiste.
Cette situation comporte malgré des ëspects
•
•
pcsitifs. Contemporain et ami de Troeltsch, Weber entrevoit comme lui la nécess i té d'un rapprochemen t ent re la
sociologie des religions, considérée en tant que discipline scientifique, et la question dite sociale, c'est-à-dire l 'erlsemble des problèmes posés par le fai t q!...:e la satisfaction des besoins physiques et 50ciauz, y compris ceü;': qui sont conçus d'après les pl us purs idéau:·:, se heurte partout aux limites quantitatives et à l'insuffisance qualitative des moyens extérieurs. L'Allemagne vit au tournant du siècle une période où les phénomènes socio-économiques requièrent une attention spéciale de la part d'une science sociale dont ils constituent selon Weber l'objet propre (Robertson 1985,
279-280). Plus généralement, Troel tsch et Weber partagent un même souci concernant l'avenir de la ci vilisation occidentale. Lié à cela, un même intérêt les anime
•
à l'égard de la signification particul:'èr€28
du protestantisme quant à la direction prise par 1.'histoire occidentale moderne. Il est vrai que pour Weber lé religion n'a plus aucun rôle à jouer dans l'évolution du monde moderne, aussi déte!minant qu'ai t é t é s:Jn rê,2.e dans le passé. Halgré cela, ::'es det.::-: hommes for~t caL.:se c:'rr.:rr..l:-~e pour
combattre vues de ceux qui l'accent
l . - .'
sur e3 sat13:actloDS symboliques au
•
prix d'un ret~ait OÜ d'une indifférence à l'égard j J monde.
*
Il est clair que Troeltsch et v~eber tiennen": 1.'un et l'autre a montrer jusqu'à quel point «reli;i~n» et
« monde» sor~t historiquement entrelacés depuis les origines du christianisme. Mais chacun ô:borde lé quest ion d'une manière différente. Dans l'Éthique protestante, Weber souligne l'importance du « facteur religieux » pour l'émergence du capitalisme moderne. La posi tion défendue par Troel tsch dans son ouvrage sur les doctrines sociales des Églises et groupes chrétiens concerne plutôt
•
l'influence des facteurs non religieux sur l'évolution du christianisme. Il étudie l'attitude de différents groupes chrétiens à l'égard du «monde » en analysant le contenu des doctrines, facilement accessible à une investigation de
•
29 type historique, alors que Weber s'intéresse avant tout aucomportement méthodique des individus et à leur action dans
le «monde ». Ce comportement peut être inspiré par
diverses doctrines religieuses, mais Weber considère qu'il faut porter une attention particulière à l'éthique. Car Weber cherche à établir un lien entre l'image du « monde» promue par certaines sectes chrétiennes et les exigences de l'adaptation au «monde » en tarlt qu'elle se traàui t par l'adoption d'une forme de vie individualiste 0_L.... méthodi.que .
Troeltsch, lui, est av~n~ ~cut motivé pa~ le débat en cours sur la «question sociale ». Il demeure par cons~quent surtout préoccupé par la façc~:l dent l 'e:1~acine!Tter1L 3..:,.::ia1
du christianisme fonde doctrines qui
COf.cernent certains domaines d'acti ..·..ri té profanes dans les sociétés modernes (Robertson 1985, 282-283) . Enfin, U!'"le autre différence ir:1portante entre les démarches j e
Weber et de Troeltsch réside dans la manière dont chacun
.::cnçOlt. le rôle de l'iàéal-t::,.rpe. Weber met l'accent sur la fonction heuristique ou logique, c'est-à-dire ~:.:plicative, de l'idéal-type; la visée ,je Tr,:.,el:sch, e.i..i.'9,
plutôt de nat.ure onl:olo9i que ~_L... normative
(?-obertsc·n 1985, 22S). Frie;j~ich l"1ilhe2.m GV';:.-F:.·bserv~ de
et malgré leur intérêt commun pour l'étude de la religion malgré l'existence d'une collaboration
•
son CÔi:é que,
•
30en tant que «facteur existentiel» (Lebensmacht)
à l'oeuvre dans l'histoire, les deux fondateurs de la sociologie des religions évaluent différemment la pertinence de la religion dans le contexte rationaliste de la modernité occidentale (Graf 1987a, 215-216). On l'a dit, Troel tsch n'interprétai t pas la sécularisation comme une extinction progressive de la religion, mais bien comme une transformation de la fonction cul turelle et sociale du religieux. À l'instar de Friedrich Schleiermacher,
le théoricien «classique» de la modernité religieuse, Troeltsch considère que la conscience religieu3e fournit un cadre propice à l' affirmation individuelle (ce qui ne veut pas dire « individualiste ») de la personne. D'après lui,
la vision de l 'homme que procure la religion est susceptible de s'opposer durablement a l'impression
d'insignifiance (9) produite par le fait de vivre en
société. Elle donne sur le plan symbolique l'assurance que
l'âme humaine, et par conséquent chacun des individus, ont une valeur infinie (Graf 1987a, 226-227). Sans doute à cause àe sa tournure d'espri t e:-:trêmement rationnelle, Troel tsch ne souscrit pas à la solution que Weber veut. apporter au « problème des valeurs », et ce, dans la mesu~e
solution remet en cause la possibili té même de rationalité fondée sur des principes
•
où cette l 'e}:istence universels.
d'une
•
31 la philosophie de l'histoire; il espère découvrir à travers une reconstitution historique de l'Occident religieu:·: les fondements pratiques et nonnatifs d'un consensus valable pour l'ensemble de la culture occidentale (Graf 1987a, 228). C'est d'ailleurs par une interprétation de la modernité occidentale qui lui est propre que Troeltsch souhaite contribuer à l'avancement de la réflexion sur les rapports entre la religion et la culture.§2. Interprétations de la modernité
Le terme de modernité n'est pas sans évoquer spontanément un certains norr~re d'aspects bien connus:
la vision scientifique du monde qui s'est imposée depuis
Galilée, Descartes et Newton; la méthode historique préconisée de manière générale par les uni versi~aires du XIXe siècle, mais dont l'application au domaine des études bibliques remonte à Spinoza et ;ichard Simon, sans cublier l ' universalisation de la cri tique proposée par Kant;
la révolution industrielle, enfin, à laquelle on associe
développement àe l'économie capitaliste, la forrrlation jes classes sociales et l'expansion des empires coloniaux, mais
•
•
32aussi la démocratisation de la société et la laïcisation de l'État s'appuyant désormais sur une bureaucratie professionnelle, l'éducation nationale, et des institutions comme le service militaire et le suffrage universel. Dans ces conditions, à quoi pourrait bien ressembler la modernité religieuse? L'hypothèse de la présente recherche est qu'un élément de réponse important découle du fai t quril y a d.r:=ux réalités que l'analys~ peut considérer dans un rapport de tension aussi bien l'un vis-à-vis de l'autre
qu'avec la religion: la modernité sociale et la question sociale. Sans vouloir trop anticiper sur la suite, on peut déjà noter que la question oU~J'rière a mis en évi,jence le caractère problématique d'une moderni té sociale bourgeoise héritée àes Lumières et reposant sur la notion de p~ogrès. D'où la nécessité, défendue notarnrrtent par le marxisme, àrune viq-oureuse cri tique sociale. ?our l'observateur du
XXe siècle, à plus forte raison s'il est lect.r:=ur de Troeltsch, il est tentant de req-arder du eSté d.r:= la théologie libérale en quête des prémisses d'une cri t.ique eornme celle que p~éco!"lisent aujou~,j'hu':' les rno~vemeLts sociaux qui se réclament de la théologie de la libérat.ion.
Ma':'s alcrs, il faudraiL pouvoir imaginer ~~e i~terprétati0n
de la moàernité qui remette en cause la « privatisation du àonc aussi dans ur.e
•
théologierelio;J,ieu:·: »,libérale,cer:aine mesure la
•
33comme un aspect contingent de la «sécularisation» du
monde moderne.
*
Davantage peut-être que la vision scientifique du monde, l'historicité de l'être humain est un acquis fondamental de
la modernité. Dans son livre sur Troeltsch, intitulé
justement Historicité et foi chrétienne, Alfred Dumais
donne une appréciation du théologien qui vaut comme
principe àe lecture: « Son oeuv~e une longue réfle:,,:ion
sur l'historicité. Elle témoigne des interrogations d'un
croyant sur la nature de l' histoire, sur ses tendances
évolutives, sur son sens ultime» (Durnais 1995, 7). C'est
précisément cela qui fait de Troel tsch un penseur de la
modernité. En effet, comme l'explique Alexis Nouss dans
La modernité, «le sens de la moderniJ:é tient, à chaque
fois, pour le sujet individuel ou collectif dans
•
la recherche du sens de son historicité» (Nouss 1995, 4).
Bien qu'il ne fasse pas référence à Troel tsch, l'essai àe
synthèse de Nouss fournit quelques repères analytiques pour situer le parcours de Troeltsch et pour évaluer l'hypothèse
d'une rnodernité proprement rel ig ieuse, hypothèse que !'Jouss
•
34D'abord, Nouss résume l' histoire du mot et du concept, notamment à partir de la querelle des Anciens et des Modernes. Ensui te, il évoque les multiples définitions de la modernité, dont celles de la modernité philosophique et critique et surtout de la modernité sociale, d'une importance particulière pour l'étude de Troeltsch et Weber, et qui est «née des progrès technologiques, de la révolution industrielle, du pouvoir bourgeois et de
•
l'économie capitaliste» (Nouss 1995, 30). C'est à la fin du Ve siècle, au moment du passage de l ' ll.ntiquité romaine au monde chrétien, qu' apparaî t le terme latin modernus,
d'où vient le mot «moderne» qui voit le jour au XIVe siècle (Nouss 1995, 7). Mais il faut attendre la fin de la Renaissance pour que se produise une mutation essentielle:
La Renaissance du XVIe siècle avait affirmé sa rupture par rapport à la tradition médiévale en élaborant de nouvelles formes de pensée lui permettant d'échapper à la tutelle de l'idéologie religieuse. Elle s'était cependant placée sous une autorité non moins contraignante, l'~~tiquité, l 'héri tage gréco-latin, obj et de vénération aveug le légitimant la modernité par la reproduction de l'ancien.
La «Querelle àes Anciens et des Modernes» révéla un nouveau combat, pour cette fois-ci dénoncer la stérilité d'un culte du passé et, au-delà, tout esclavage intellectuel. Hontaigne, Descartes t::L.
Pascal vont frayer la voie aux principes d'une raison individualiste et d'un progrès, philosophique et scientifique, de l'esprit humain» (Nouss 1995, 9) .
•
Ce que l'épisode de la « Querelle » aura apporté,35
c'est à
la Îois la notion de progrès, la conscience de participer à l'évolution générale des connaissances, et celle de contemporanéité, le sentiment d'être de son temps, point de non-retour franchi par les Lumières: «Le siècle des Lumières est le premier à se reconna 1tre et se baptiser
siècle, accordant le sens nouveau de période de cent ans au vieux terme chrétien» (Nouss 1995, Il). Ici l'on peut rapprocher l'historien allemand Ranke, pour qui toutes les époques étaient d'égale valeur puisque chacune se tenai t « immédiatement devant Dieu », et l'écrivain français
•
Chateaubriand. Comme le dit Nouss, « l'image est dèsorrnais
celle d'une spirale s'ouvrant à l'infini (Chateaubriand) puisqu'avec une conception du temps désormais historiciste, chaque époque peut prétendre à la perfection » (Nouss 1995, 12). Mais on n'a pas pour autant résolu la question de la datation historiographique de la modernité. Selon Nouss,
à partir du XVIe siècle (Renaissance, R~f0rme et Nouveau monde), on commence à découper l 'his~0ire en trois grandes périodes: Antiquité, Moyen Age et Temps modernes. Cette périodisation, insistanL sur l'innova tion et créant donc dt:.? l'ancien, ezprime la victoire de la concepLion progressive àu temps [ ... ]. Les raisons en sont culturelles, économiques et
techniques (dont la mesure mécanique du temps). [ ... )
Parallèlement a ce àécoupage, les historiens
àonnent è~alement à la moderniLé une date de naissance. Certains ouvrent 1'« ère moàerne » en 1436 avec l'invention de l'imprimerie, en 1492 avec la découverte de l'.~rnérique, en 1520 a-,,"ec la rêvol te
•
36 de Luther, [ ... ]. Dans cette perspective, si l'ère moderne succède à l'Antiquité, elle s'achève en 1789 pour céder la place à l '« ère contemporaine» (ce qui ne règle pas la quest ion de la modern i té) . Les historiens des idées, en revanche, choisissent volontiers 1789 comme date inaugurale, modernité non plus événementielle mais état d'esprit, mythe ou « morale» [ ... ] , 1789 parce que la Rêvol ut ion française, les Lumières, les Droits de l'homme, bref une nouvelle définition de l' homme, en rupture radicale avec celles qui ont précédé et qui continuerait à nous éclairer. D'autres choisissent aussi 1789 mais pour en faire le début d'une période d'oppression de l 'homme par l' homme sous le couvert de la Raison qui aurait culminé dans les totalitarismes du Y~e siècle (Nouss 1995, 20-22).Ce dernier point soulève toute la question de la modernité politique et sociale. Mais Nouss n'aborde celle-ci qu'après s'être penché sur la «modernité philosophique », qu'il prend soin de distinguer de la philosophie moderne (10). Deux aspects définissent à ses yeux la modernité philosophique. Le premier, qui concerne la culture moderne dans son ensemble, est «la prise en compte par les
philosophes de l'actualité historique dans laquelle
•
s'insère leur pensée» (Nouss 1995, 54). Kant l'a sans doute exprimé mieux que quiconque:
La césure qui s'opère avec Kant ne marque pas un simple épisode du développement de la pensée occidentale (Kant n'apporte d'ailleurs pas de nouvelles catégories), elle ouvre un hori2on nouveau dont nous participons encore grâce à un système et une méthode dont les fondements onL contribué à cerner la notion même àe rnodernité. [ . . . ] Et lorsque Kant célèbre son époque comme le «siècle de la critique », ( ... ) il invite à comprendre que
•
désormais la pensée ne pourra se déployerl'ignorance de l'histoire (Nouss 1995, 55-56).
37
dans
Le second aspect est moins évident. I l concerne
spécifiquement le phénomène du totali tarisme moderne:
« La modernité philosophique se mesure ( ... ) depuis un
demi-siècle à l'aune de son appréciation du phénomène
totalitaire, pris emblématiquernent comme le surgissement
d'un mal dans une société occidentale dont la modernité
sociale se donnait pour tâche de préserver les bienfaits»
(Nouss 1995, 55). Certes, la mesure nouvelle dont parle
Nouss ne peut s'appliquer dans le cas de Troeltsc:-l 0U de
Weber, encore que le drame de la Première Guerre mondiale
et l'échec appréhendé de la République de \lIJeima~ aier~t pu
en constituer le prélude. Mais que la modernité sociale se
soi'C donné pour tâche de préserver les bienfaits àe la
société occidentale est un fait. qui doit retenir
•
l'ar.tenticn dans la mesu~e où le caractère çlrc.blématique
de cet état de choses était apparu à Troeltsch er. à Weber,
comme à Narx avant eux (voir Nouss 1995, 100). 1a question
sociale consistait à se àemander: bienfaits, oui, mais
bienfaits pour qui? La moderni~é que doit penser !~0eltsch
après Kant et les Lumières, et avec la théologie libérale,
c'est aussi la modernité sociale remise e~ Céuse par la
•
38 Le XVIIIe siècle ne donnait [au mot « Révolution »,avant la Révolution française] que son sens astronomique[;] mais devant la nouveauté de ce qui se produisait, des catégories sont nées, la gauche, la droite, et le sens politique du mot
« révolution ». ( ... ) La Révolution accueille la naissance d'un sujet nouveau: les catégories du temps (calendrier) comme de l'espace (système métrique) sont redéfinis, les rapports sociaux et privés (le
« tu» de citoyenneté) le sont autant que les structures étatiques et publiques (Nouss 1995, 85).
Qu'en est-il de la «privatisation du religieux» comme conséquence de la «séculéris5.tion» du monde moderne?
Peut-on concevoir une interprétation de la modernité qui
comprenne celle-ci .je telle rr\éni~re que lé:. tt2ndânC~ .3 la
privatisation soit au moins th~oriquernent révers1ble?
Tout dépend sans doute de .La, - position du religieuz à la
•
fois par rapport à la modernité sociale, telle que Nouss la présente, et par rapport à la question sociale.
L'apport je Ernst Troeltsch c l'analysE du processus de sécularisation repose en partie sur le jugement qu'il porte sur l ' i:nportar!ce du pro:estë~~tisme dans l 'a-\~è!'1err:ent du
monde moderne, comme on peut le constater à la lecture de Protestantisme et modernité. Dans sa pro2raco2, 1.02 traci'..1,.:to2ur
•
39du rapprochement qu'il fait entre Troeltsch et Weber. Comme il l'explique,
Max Weber était davantage intéressé à mettre sur pied
des types idéaux qui puissent jouer le rôle de
catégories culturelles au sein d'un processus
historique, celui de la modernité, globalement
compris comme «rationalisation» progressive du
champ social. Troeltsch procède de manière bien plus
empirique, plus historienne: le premier résul tat de
cette « prudence» [au sens aristotélicien] est que
le concept général de protestantisme vole en éclats.
[ ... ] Le néo-protestantisme [dont traite, pour
l'essentiel, Max Weber) apparaît bien plus comme un
produi t de la moderni té en marche depuis plusieurs
siècles que comme l'une des causes de cet te phase
historique nouvelle [ ... ]. Les àébuts de la
« modernité » ne constituent nullement une évidence:
si le processus isolé et choisi comme moteur est la séparation entre la logique du politique et celle de
la religion, c'est donc la question de la
sécularisation qui vient au premier plan, même si
Troeltsch n'utilise qu'exceptionnellement le mot
(Troeltsch 1991, v-vi).
Rejoignant le point de vue exprimé par Hans Blumenberg dans
La léqitimité des Temps modernes, Marc de Launay fait
remarquer qu'il existe une logique propre à la sphère
religieuse, qui est en quelque sorte la contrepartie àe
cette légitimité, et qu'on ne saurai t purement et
simplement traduire
en
logique intramondaineou
séculièrecomme si les contenus spécifiquement religieux étaient en
« séculiers ». Autrement dit,
•
•
•
40
il s'agi t moins d run processus au cours duquel des
contenus religieux «passeraient dans la sphère séculière en se laïcisant» que d'une évolution qui voit certaines institutions corrune l'État [ ... ] s'affranchir de la tutelle institutionnelle de l'Église, sans que, pour autant, leur contenu ait d'abord été religieux (Troeltsch 1991, vii).
Marc de Launay conclut que Troeltsch, contrairement à Weber, pensait la modernité de façon à laisser ouverte la question du sens de la sécularisation, et par là, celle de la place du religieux dans le monde moderne. En effet, si la réponse de Troeltsch est, à peu de chose près, identique à celle de W~ber, l'infime déplacement opéré par Troeltsch suffit à marquer une différence essentielle
par rapport à l'interprétation wébérienne:
Puisque les idéaux religieux ne peuvent se réaliser effectivement, puisque la part messianique ou prophétique de ces idéaux empêche que la réalité historique et mondaine ne se transforme radicalement pour y correspondre, les hormnes ont fini par les appliquer « à la vie pratique au sein de la société et de l'économie ». Il est difficile de ne pas être insatisfait de cette rapide conclusion où l'on sent bien à quel point Troeltsch est réticent face à l'échéance d'une résolution univoque de l'alternative. À moins qu'il ne faille comprendre, dans cette réticence même, la présence d'une conviction plus profonde, mais, justement, indémontrable: l'idée que jamais n'aura lieu la résorption du monde religieux dans le monde séculier, que la «sécularisation », précisément, ne sera jamais ni effective ni achevée, ce qui oriente la recherche dans une tout autre perspective et la place dans un cadre radicalement différent de la