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"Supplient très humblement-- We humbly beg--" : les pétitions collectives et le développement de la sphère publique au Québec, 1764-1791

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« Supplient très humblement…We Humbly Beg… »

Les pétitions collectives et le développement de la sphère

publique au Québec, 1764-1791

Mémoire

Gisela Giral

Maîtrise en histoire

Maître ès arts(MA)

Québec, Canada

© Gisela Giral, 2013

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RÉSUMÉ

Ce mémoire porte sur la contribution des pétitions collectives au développement de la sphère publique québécoise de la seconde moitié du XVIIIe siècle. À cette fin, plusieurs notions ont été mises en relation : le public, la sphère publique, l‘opinion publique, les espaces de sociabilité. La présente étude est basée sur une analyse détaillée de quelque 278 pétitions collectives depuis la mise en place du gouvernement civil en 1764 jusqu‘à la création du système parlementaire en 1791. En l‘absence d‘institutions représentatives traditionnelles, la pratique de pétitionner collectivement aux autorités coloniales est devenue un outil essentiel pour influencer les décisions politiques et administratives. Pratique de longue date en Angleterre, mais rare en Nouvelle-France, les pétitions collectives ont permis la participation d'un large groupe de la population de la colonie dans la sphère publique coloniale : les anciens et les nouveaux sujets, les hommes et les femmes, les élites et les gens ordinaires.

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ABSTRACT

This thesis examines the contribution of collective petitions to the development of Quebec's public sphere in the second half of the eighteenth century. It examines these using the concepts of public, public sphere, public opinion, and spaces of sociability. The study is based on a detailed analysis of some 278 collective petitions from the establishment of civil government in 1764 until the creation of the parliamentary system in 1791. In the absence of traditional representative institutions, collective petitioning to colonial authorities became an essential tool for influencing political and administrative decisions. A long-standing practice in England but rare in New France, collective petitioning allowed for the participation of a broad swathe of the colony's population in the colonial public sphere: old and new subjects, men and women, elites and ordinary people.

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REMERCIEMENTS

J‘aimerais ici prendre le temps d‘être reconnaissante à ceux qui ont contribué à l‘arrivée à bon port de ce travail. Je tiens d‘abord à remercier mon directeur de recherche Donald Fyson, dont ses conseils m'ont permis d'approfondir mes connaissances sur un sujet autant passionnant que peu exploré, alimentant ainsi ma réflexion. Grâce à son aide, j'ai pu mieux structurer mes idées et produire un mémoire que j'espère convaincant et intéressant. Cela m'a donné l‘occasion de découvrir la dynamique sociopolitique au Québec dans une période charnière de son histoire.

Ensuite, je sais gré à mon amie Lise-Marie, qui m‘a beaucoup encouragé avec ses lectures et commentaires toujours pertinents.

Finalement, juste un mot pour les deux hommes de ma vie, Guillermo et Luca, qui ont constamment été à mon côté avec de l‘amour et la patience : gracias!

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TABLE DE MATIÈRES

RÉSUMÉ... III ABSTRACT... V REMERCIEMENTS ... VII TABLE DE MATIÈRES ... IX LISTE DES FIGURES ... XI LISTE DES TABLEAUX ... XIII

INTRODUCTION ... 1

PROBLÉMATIQUE DU MÉMOIRE ... 3

DÉFINITIONS ET SURVOL HISTORIOGRAPHIQUE ... 4

Pétitions ... 4

Espace public et sphère publique ... 12

LES SOURCES : POSSIBILITÉS ET LIMITES ... 17

MÉTHODOLOGIE ... 20

ORGANISATION DU TRAVAIL ... 21

CHAPITRE I. LE « PUBLIC », LA SPHÈRE PUBLIQUE ET L’OPINION PUBLIQUE... 23

1.1 LE PUBLIC ... 23 1.2 LA SPHÈRE PUBLIQUE ... 25 1.3 L’OPINION PUBLIQUE ... 30 1.3.1 Espaces de sociabilité ... 32 1.4 L’IMPRIMERIE ET LA PRESSE ... 34 1.4.1 Métier d’imprimeur ... 40 1.4.2 Pamphlets et libelles ... 41 1.4.3 Imprimerie et alphabétisation ... 44

CHAPITRE II. LE CONTEXTE SOCIOPOLITIQUE ET LES PÉTITIONS COLLECTIVES DANS LA SPHÈRE PUBLIQUE DE L’APRÈS-CONQUÊTE. ... 47

2.1 L’APRÈS-CONQUÊTE ... 48

2.1.1 La population ... 49

i. Les « Canadiens » ou les « nouveaux sujets » ... 49

ii. Les « Britanniques » ou les « anciens sujets » ... 55

iii. Les loyalistes ... 58

2.1.2 La politique de « britannisation », « …so soon as the state and circumstance… » ... 60

2.1.3 L’Acte de Québec. Anno Decimo Quarto : « … à l'effet de pourvoir d'une façon plus efficace au gouvernement de la province de Québec dans l’Amérique du Nord » ... 62

2.1.4 L’Acte constitutionnel de 1791. Anno Tricesimo Primo : « … concernant le bon gouvernement et la prospérité » ... 74

CHAPITRE III. LES PÉTITIONS : EXPRESSION ET PRATIQUE POLITIQUES COLLECTIVES ... 81

3.1 ANALYSE QUANTITATIVE ... 81

3.2 PRATIQUE PÉTITIONNAIRE ... 85

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3.2.2 Les femmes et les pétitions ... 89

3.3 ANALYSE DE CONTENU ... 91

3.3.1 Vie quotidienne et régulations ... 92

3.3.2 Administration de la justice ... 97

3.3.3 Commerce; Transport et communications ... 101

3.3.4 Loyalistes ... 107

3.3.5 Prisonniers ... 110

3.3.6 Religion ... 111

3.3.7 Autres ... 112

CONCLUSION ... 115

ANNEXE I : LES CONTEMPORAINS ... 119

ANNEXE II : LES GOUVERNEURS DE LA PÉRIODE ... 131

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LISTE DES FIGURES

FIGURE 1: APERÇU D‘UNE PÉTITION ... 6 FIGURE 2:PÉTITION PRÉSENTÉE À LORD DORCHESTER, REPRODUITE DANS LA GAZETTE DE QUÉBEC... 39 FIGURE 3: REPRÉSENTATIONS DES CITOYENS DE MONTRÉAL À CARLETON,1778. ... 44

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LISTE DES TABLEAUX

TABLEAU 1: NOMBRE DE PÉTITIONS PAR ANNÉE ... 83 TABLEAU 2: NOMBRE DE PÉTITIONS SELON CATÉGORIE ... 85 TABLEAU 3: NOMBRE DE PÉTITIONS SELON LIEU D‘ORIGINE ... 114

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INTRODUCTION

Le 27 janvier 1770, Hector Theophilus Cramahé*1, le secrétaire civil de la Province de Québec reçoit une pétition adressée au gouverneur Guy Carleton* de la part de Jotham Gay, Richard Dobie*, Michael Hanagin et James Peppy relative aux droits d‘importation de rhum dans la province :

[...] setting forth their having paid a Duty of Six pence Halifax Currency per Gallon on Rum imported into this Province before the Establishment of Civil government to Persons appointed by Governor Murray* to collect the Same, which Duty being Two pence per Gallon more as the Memorialists are informed, than the Duty paid to the French government at the Conquest of this Country; they pray that the said Excess of Duty may be refunded to them with Interest2.

Selon les pétitionnaires, pendant la période du gouvernement militaire, depuis la Conquête jusqu‘à l‘établissement du gouvernement civil, les coûts qu‘ils ont dû payer pour le droit d‘importer du rhum dans la province étaient supérieurs à ceux qu‘avait établis le gouvernement français3; ils demandent donc qu‘on leur rembourse l‘excédent payé et les intérêts. De plus, les pétitionnaires « [...] are also informed that their Lordships have sent orders to pay in Like manner the over plus Interests and Charges to such Persons as had

brought Actions against Mr Thomas Ainslie One of the Collectors of the Said Duties4. »

1 Tous les noms des contemporains suivis d'un astérisque (*) figurent à l'Annexe I accompagnés d'une courte

description.

2 RG1 E1 à la Bibliothèque et Archives Canada (BAC); en bref dans ce mémoire : Journaux du Conseil.

Volume C (25 janvier 1768 au 16 septembre 1775), séance du 1er février 1770, p. 70. J‘aimerais ici remercier

Christian Blais, historien à la Bibliothèque de l‘Assemblée nationale du Québec, de m‘avoir permis de consulter les transcriptions des sessions du Conseil.

3 Les droits pour l'importation des spiritueux représentaient l'une des sources de revenus établies par le gouvernement militaire (James Murray). Voir à ce sujet A. L. Burt, The Old Province of Quebec, Volume I (1760-1778), Toronto, The Carleton Library, 1968 (1933), nº 37, p. 46.

4 BAC, RG4 A1, volumes 10-52, p. 6663. La suite des évènements est décrite par David Milobar : « The Quebec merchants resisted imposition of the duties through the courts; they used the constitutional right to trial by jury to defend the rights of the periphery from the intrusive authority of the centre. The Canada merchants‘ brought a series of lawsuits against Murray and colonial customs officials charged with collecting duties. The deputy collector of customs in Quebec, Thomas Ainslie, was arrested following suits brought against him regarding the duties », dans « The Origins of British-Quebec Merchant Ideology: New France, the British Atlantic and the Constitutional Periphery, 1720-70 », Journal of Imperial and Commonwealth History, 24, 3 (1996), p.382.

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Ils demandent aussi qu‘on intente une action contre le collecteur de ces droits. Ils concluent respectueusement leur pétition par la formule suivante : « And your Memorialists as in

Duty Bound will Pray ».

Le Conseil du gouverneur prend connaissance de cette requête le 1er février 1770. Par

la suite, le Comité des comptes publics du Conseil analyse la question et ordonne que les pétitionnaires et toutes les autres personnes concernées par la même plainte lui présentent leurs preuves afin qu‘il produise un rapport à la « chambre5 »; le Comité ordonne aussi « that the Attorney General be directed to attend the said Committee on this Business of the Excess of Duties collected on Rum 6».

Leur pétition cible un problème particulier qui ne concerne pas toute la population à ce moment-là. De fait, ceux qui signent la pétition et la présentent au gouverneur Carleton en Conseil par l‘entremise du secrétaire civil sont bien évidemment des commerçants qui se

sentent lésés au plan économique7. Cela ne constitue pas non plus un problème politique

majeur (même s‘il en est devenu un par la suite). Néanmoins, cet exemple nous permet de saisir la portée de la pratique pétitionnaire qui rejoignait bien des groupes de personnes dans la sphère publique québécoise comme les commerçants, les professionnels, les propriétaires fonciers, les groupes ethniques, les habitants de la ville, etc., dans le but d‘influencer les délibérations des autorités politiques. En outre, les pétitionnaires présentaient leurs pétitions à n‘importe laquelle des autorités politiques de l‘époque, aux gouverneurs et au Conseil sans privilégier une instance plus qu‘une autre.

5 Terme utilisé dans le texte original pour référer au Conseil dans son ensemble, c'est-à-dire, aux séances plénières.

6À la session du 30 mai 1770, on lit le rapport du Comité des comptes publics au sujet de la pétition, incluant aussi les griefs d‘autres personnes qui ont présenté au Comité des pièces justificatives ou « vouchers » démontrant les coûts payés pour l‘obtention des droits. Puis, on adopte et ordonne « that the Report be Entered in this Book and that Warrants be directed to the Receiver General to pay the Claimants the Excess of Duty and Interest thereon as stated in the said Report », Journaux du Conseil, Volume C (25 janvier 1768 au 16 septembre 1775), p. 87.

7 Mary Ann Fenton décrit les plaintes et pétitions de marchands face aux politiques des droits d‘importation

appliquées par les gouverneurs Murray et Carleton. Ces plaintes rappelaient celles des colons américains « no taxation without representation », dans « Petitions, Protests, and Policy: The Influence of the American Colonies on Quebec, 1760-1776 », Ph.D., University of New Hampshire, 1993, 430 p. Par contre, Pierre Tousignant affirme : « dans la province de Québec, faute de gouvernement représentatif, on s‘était soumis en silence », dans « La genèse et l'avènement de la Constitution de 1791 », Ph.D., Université de Montréal, 1971, vi, 488 p., p. 28. Pour un aperçu plus vaste de la question de perception des droits, voir Burt, The Old

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Problématique du mémoire

L‘objet de la présente recherche vise une importante période de l‘histoire sociopolitique du Québec, soit celle qui s‘étend de 1764 à 1791. Sans doute, les trente premières années de l'administration civile britannique au Québec (à la suite de la Conquête et le Traité de Paris qui mettait fin officiellement à la guerre de Sept ans (1756-1763) entre la France et la Grande-Bretagne8) sont d'une importance capitale pour la compréhension de l'histoire canadienne et québécoise. Ces trente ans sont marqués, d'une part, par la volonté manifestement exprimée, en 1763, de « britanniser » la colonie et, d'autre part, par la nécessité de composer avec les circonstances et les événements. Ce mémoire se penche plus particulièrement sur la pratique de pétitionner collectivement et son incidence sur le développement de la sphère publique au Québec, entre la Conquête et l‘instauration du système parlementaire inauguré à partir de l‘Acte constitutionnel de 1791.

Notre approche cible les pétitions en tant que manifestation d‘une pratique collective, peu utilisée9 dans la « sphère publique québécoise » de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, caractérisée par l‘absence des institutions représentatives classiques10. Ce mémoire

8 Par le traité de Paris de 1763, la Nouvelle-France, à l'exception de la partie ouest de la Louisiane, devient officiellement une possession britannique. De son immense empire en Amérique du Nord, la France ne conserve que les minuscules îles de Saint-Pierre-et-Miquelon au sud de Terre-Neuve. Le traité définitif est signé le 10 février 1763. Pour consulter les 27 articles du traité, voir Adam Shortt et Arthur G. Doughty,

Documents relatifs à l'histoire constitutionnelle du Canada, 1759-1791, Ottawa, Thomas Mulvey, 2 volumes,

1921 (dorénavant DC), p. 83-94.

9 Selon le principe « […] étant bon que chacun parle pour soi, et que personne ne parle pour tous », de Colbert à Frontenac, 1673, repris de l‘article de Christian Blais, « La représentation en Nouvelle-France », Bulletin

d’histoire politique, 18, 1 (automne 2009), p. 51-76.

10 Quelques questions s‘imposent : les ordonnances de l‘intendant, n‘exprimaient-elles pas parfois le résultat de certaines pétitions collectives? A-t-il des sources qui confirment cela? Bref, des pistes d‘analyse nouvelles. Pourtant, il semble intéressant pour ceux qui se penchent sur la question de la représentation d‘analyser les nouvelles pistes que proposent les auteurs de Québec : quatre siècles d’une capitale, Québec, Les publications du Québec, Assemblée nationale du Québec, 2008, 712 p. Selon eux (Christian Blais, Gilles Gallichan, Frédéric Lemieux et Jocelyn Saint-Pierre) : « À la lumière de sources nouvelles, nous démontrons qu‘au contraire, diverses formes de représentations politiques existaient sous l‘Ancien Régime pour permettre aux principaux habitants de faire connaître leurs doléances et promouvoir leurs intérêts. Assurément, il ne s‘agit pas de démocratie au sens moderne du terme, mais en Nouvelle-France, l‘élection en 1647 du syndic Jean Bourdon marque véritablement le début d‘un système de représentation. Ces élections se continueront d‘ailleurs dans la colonie aux XVIIe et XVIIIe siècles et figurent parmi les faits surprenants de l‘histoire politique de la Nouvelle-France », dans Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs,

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veut cerner la façon dont la population s‘exprime par la pratique pétitionnaire dans la sphère publique québécoise et tente aussi de confirmer l‘hypothèse selon laquelle les pétitions collectives ont contribué au développement de la sphère publique québécoise.

Plusieurs questions s‘imposent : quels étaient les groupes de pétitionnaires (d‘intérêts, d‘origine ethnique, de sexe, etc.) et quels étaient leurs rapports entre eux et avec les autorités politiques? Est-ce que cela met en évidence des disputes locales? Cette pratique de pétitionner est-elle plus qu‘un outil pour communiquer aux autorités politiques les besoins locaux? A-t-elle des impacts politiques sur la sphère publique québécoise? Représente-t-elle une pratique continue? À travers cette pratique, voit-on l‘expression de l‘opinion publique? La population locale a-t-elle la capacité de s‘adapter à ces nouveaux outils?

Or, la pratique de pétitionner individuellement et collectivement, en tant que mode d'expression politique collective, a été traitée de manière assez générale par l‘historiographie. Par contre, les historiens ont délaissé la période qui s‘étend de la Conquête britannique jusqu‘à la création du système parlementaire en 1791 et ont surtout ciblé leurs recherches sur le fonctionnement de la « pratique pétitionnaire » dans le cadre des institutions parlementaires classiques (dont les pétitions constituent l‘un des outils légalement reconnus). Nous croyons que notre recherche contribuera à une meilleure connaissance d‘un aspect de l‘histoire sociale et politique québécoise et canadienne.

Définitions et survol historiographique

Il importe ici de cerner quelques notions afin de comprendre le cadre théorique dans lequel s‘inscrit ce mémoire. En effet, notre sujet de recherche s‘intéressant aux pétitions collectives et le développement de la sphère publique il s‘impose de définir d‘abord ces deux concepts.

Pétitions

Globalement, et reprenant cette notion de Lex Heerma Van Voss, on entend par pétitions des « [...] demands for a favour, or for the redressing of an injustice, directed to

Bulletin mémoires vives, Bulletin nº 25, mai 2008, « Québec : quatre siècles d‘une capitale, la contribution

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some established authority 11». Soulignons encore la terminologie variée généralement associée aux documents historiques que nous qualifions de pétitions. Peu importe que les documents d‘époque parlent de pétition, de représentation, de requête, de grief, de supplique ou encore de remontrance, quelques traits communs en ressortent, et ce, indépendamment du contexte étudié12. Dans ce sens, la plupart des documents identifiés comme des pétitions sont structurés de la même façon : une salutation formelle à l‘autorité concernée, puis une brève identification des pétitionnaires, l‘explication plus ou moins détaillée de leur situation ou de leur grief; viennent ensuite la récapitulation plus spécifique de leur pétition, la formule finale de respect envers l‘autorité et finalement les signatures des pétitionnaires (voir figure 1).

11 Lex Heerma Van Voss, éd., Petitions in Social History, Cambridge/Amsterdam, Cambridge University Press for the Internationaal Instituut voor Sociale Geschiedenis, 2001. International Review of Social History, Supplement, 9, p. 1. Dans la même ligne, David Zaret : « The word petition was a common figure of speech, used literally and metaphorically to signify deferential request for favor or redress of a grievance », dans

Origins of Democratic Culture: Printing, Petitions, and the Public Sphere in Early-Modern England,

Princeton, New Jersey, Princeton University Press, 2000, p. 83.

12 Andreas Würgler, « Voices from Among the ―Silent Masses‖: Humble Petitions and Social Conflicts in Early Modern Central Europe », dans Van Voss, éd., Petitions in Social History, p. 14.

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Figure 1: aperçu d’une pétition

Source : Collection Haldimand, vol. 21878.

Concernant le caractère collectif des pétitions, celui-ci vient du nombre d‘individus qui s‘accordent sur leur contenu et qui les signent; de plus, pour qu‘une pétition soit considérée comme collective, elle doit être signée par au moins deux personnes, ou en leur nom. Ainsi, au cours de notre recherche, nous avons trouvé plusieurs pétitions signées par deux individus, mais aussi beaucoup d‘autres signées par des centaines de personnes. En laissant de côté les pétitions de type individuel, nous centrons notre analyse sur une pratique collective, éventuellement politique.

En outre, selon plusieurs historiens, le style d‘écriture des pétitions et leur attitude déférente ne témoignent (en général) d'aucune intention de la part des pétitionnaires de remettre en question la structure du pouvoir établi, au moins directement. Elles visent

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seulement à influencer les décisions politiques des autorités en place13. L‘expression finale qui accompagne la plupart des demandes que nous avons analysées le confirme également :

« your petitioners as in duty bound shall (ever) pray » ou « vos suppliants ne cesseront de prier » ou encore « les suppliants offriront leurs vœux pour la conservation de Votre Excellence »; par ces formules, les pétitionnaires espèrent obtenir la clémence des autorités,

prient pour la santé du souverain et son bon gouvernement et affirment leur obéissance aux autorités14.

Du point de vue de l‘histoire de la pétition, dans quelques sociétés de l‘Ancien Régime elle semble un outil utilisé au sein de la « sphère publique ». En Angleterre, la royauté reconnaît très tôt à ses sujets le droit de lui présenter des pétitions sur des aspects problématiques de leur vie15; la pétition apparaît ainsi avec la Grande charte de 1215. Dès

13 Ruth Bogin souligne que « Petitions, by their very nature, acknowledged the power of the rulers and the

dependence of the aggrieved », dans « Petitioning and the New Moral Economy of Post-Revolutionary America », William and Mary Quarterly, 45, 3 (1988), p. 420; dans ce même sens, Keith Johnson affirme que : « A petition, even one asking for something to which the petitioner has some legal claim, is still a form of begging. “The formulation of a petition,‖ the American historian Linda Kerber has written, ―begins in the acknowledgement of subordination. The rhetoric of humility is a necessary part of the petition as a genre, whether or not humility is felt in fact‖ », dans «'Claims of Equity and Justice': Petitions and Petitioners in Upper Canada, 1815-1840 », Histoire sociale / Social History, 28, 55 (1995), p. 239. Pourtant, il faut remarquer les pétitions qui ont l‘intention de produire des changements dans la structure de pouvoir, comme dans le cas de celles (surtout entre 1770 et 1788) adressées soit au Conseil, aux gouverneurs et même au roi, demandant la constitution d‘une Chambre d‘Assemblée. C‘est-à-dire, avec ces pétitions-là, ils cherchaient d‘être politiquement représentés, ce qui suppose un notable changement au niveau de la structure du pouvoir. Toutefois, d‘après Steven Watt « [...] notwithstanding infrequent petitions making strong criticisms of official conduct or proposing major changes to the political framework [...] there were many more examples which serve more to facilitate governance than disrupt it », dans « 'Duty Bound and Ever Praying': Collective Petitioning to Governors and Legislatures in Selected Regions of Maine and Lower Canada, 1820-1838 », Ph.D., Université du Québec à Montréal, 2006. Xii, 268 p., p. 96.

14 Würgler, « Voices from Among the ―Silent Masses‖ », p.16. C‘est aussi vrai que cette formule révèle une

tension dans le rapport avec l‘autorité : d‘un côté, les pétitionnaires reconnaissaient l‘autorité et ses prérogatives et, d‘un autre côté, ils insistaient pour partager avec les autorités leurs opinions sur des sujets qui les intéressaient ou les affectaient, Watt, « 'Duty Bound and Ever Praying ' », p. 13. Selon l‘étude de Bogin, après la Révolution des colonies américaines, les pétitionnaires montraient une nouvelle attitude vis-à-vis des autorités gouvernementales et « their salutations grew more matter-of-fact », ainsi « although some petitioners still employed such usages as "obedient and faithful Subjects," others blended traditional phrases with suggestions of republican citizenship. Assurances of deference and humility diminished along with unctuous terms of adulation», Bogin, « Petitioning and the New Moral Economy », p. 420.

15 « The right of English subjects to petition the government for redress of grievances originated at some indeterminate point deep in medieval past. This right was based upon the concept that the king was the source of justice and that in providing this justice he and his government must be accessible to all. Englishmen sent petitions to the highest levels of government, including the king and council, by the thirteenth century, long before Parliament assumed its ultimate organization and importance », Raymond Bailey, Popular Influence

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cette époque, de nombreux sujets adressent des pétitions au roi dans l'espoir de bénéficier de sa « grâce ». L'affirmation progressive de la chambre des communes lui donne, à partir du XVIIe siècle, une tout autre dimension. Ce n'est plus au roi, mais à la chambre qu'elles sont désormais adressées. Le Bill of Rights de 1689 consacre le droit de pétitionner16 et permet alors à cette pratique ancienne de poursuivre son évolution, si bien qu‘en Angleterre, à la fin du XVIIIe siècle, la pétition est le moyen normal par lequel l‘ensemble du peuple – surtout ceux qui sont dépourvus de pouvoir politique et sont privés du droit de vote – peut faire entendre sa voix auprès des autorités publiques17.

La même pratique se développe en France sous les monarques absolus, à partir du XVIe

siècle : les doléances, placets ou suppliques rédigés sur le ton d'une très humble requête, visent à obtenir du roi qu'il protège le pétitionnaire des décisions arbitraires des administrations. Dans l'histoire révolutionnaire de la France, le droit de pétition devient un instrument fondamental de contestation politique, et bientôt un symbole de la souveraineté populaire et des droits du citoyen. Les cahiers de doléances, rédigés en 1789 dans l'ébullition qui précède les événements de l'été de la même année, ont pour but d‘informer le monarque des conditions de vie de ses sujets, des difficultés du commerce et de l‘exercice de la justice envers ses sujets et jouent un rôle déterminant. Sous la monarchie de juillet (de 1830 à 1848), à nouveau, des centaines de pétitions réclament des réformes constitutionnelles et électorales.

upon Public Policy. Petitioning in Eighteenth-Century Viginia, Westport, Greenwood Press, 1979, p. 9. Voir

aussi Johnson, « 'Claims of Equity and Justice ' », p. 219-240.

16 En fait, dans l‘article 5 du Bill of Rights, il est reconnu au peuple anglais le droit de pétition : que c'est un droit des sujets de présenter des pétitions au Roi et que tous emprisonnements et poursuites à raison de ces pétitionnements sont illégaux. Nonobstant, tel qu‘analysé par James Bradley, le droit de pétitionner au Roi et non au Parlement, « was a right that at once looked to the past and pressed into the future. It looked back in time by its recognition of the king‘s authority and his role as defender and protector of the people; it looked forward in that it took seriously the right of the people to be heard. The right to petition the king without fear of reprisal was thus a progressive concept that genuinely embraced individual rights », Popular Politics and

the American Revolution in England. Petitions, the Crown, and Public Opinion, Macon, Mercer, 1986, p.

37-38.

17 Van Voss, éd., Petitions in Social History, p. 4. Nonobstant, ils existent des cas de refus de traitement des pétitions en Angleterre au XVIIIe siècle; à propos des pétitions présentées par des marchands anglais aux chambres des Communes et des Lords, concernant l‘appui aux colonies américaines qui luttaient pour leurs droits, leurs pétitions ont été carrément rejetées et jamais entendues. Cela fut, d‘après les quelques Lords qui se sont opposés à cette mesure, une subversion aux droits sacrés des sujets; voir Bradley, Popular Politics, chapitre I.

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Nonobstant, au sein des colonies françaises d‘Amérique septentrionale18, les pétitions collectives ne jouissent pas d‘un statut privilégié, puisque ce type de pratique communicative est formellement interdit sans l‘autorisation préalable des autorités coloniales19. En fait, dès 1677, une ordonnance défend aux habitants d‘élire des représentants et de faire aucune signature commune sans la permission expresse du

gouverneur ou de l‘intendant20. Toutefois, en Nouvelle-France se tiennent sporadiquement

des assemblées de notables grâce auxquelles le peuple peut en quelque sorte exercer une certaine influence – quoique très relative – sur la législation. Ainsi, avant de promulguer des lois touchant le bien commun, le gouverneur et l‘intendant convoquent de telles assemblées afin de connaître l‘opinion du peuple via les notables21. Ensuite, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et au début du XIXe, l‘avènement d‘une « pratique pétitionnaire » dans la province de Québec s‘inscrit plutôt dans un contexte non sans rapport avec les développements contemporains que connaît la Grande-Bretagne, où l‘opinion du peuple se manifeste par différentes pratiques communicatives, dont les pétitions.

L‘historiographie variée concernant les pétitions implique d‘auteurs américains et européens -depuis la fin des années 1970 et jusqu‘au présent — et aborde la question des pétitions selon différents axes : politique, social, historique, géographique, etc. Leur contribution a grandement nourri notre propre réflexion.

Ainsi, Raymond Bailey, étudie l‘origine et le développement des pétitions populaires au XVIIIe siècle en Virginie, et leur incidence sur le processus politique et sur les politiques

18 Mathieu Fraser, « La ―pratique pétitionnaire‖ à la Chambre d‘assemblée du Bas-Canada, 1792-1795 : origines et usages », Mémoire présenté à la Fondation Jean-Charles-Bonenfant, 2008, p. 19,

http://www.fondationbonenfant.qc.ca/stages/essais/2008Fraser.pdf.

19 Comme soulignait Madeleine Réberioux, « Inutile de dire qu'il ne s'agissait pas de la pétition individuelle, du ―placet‖, pleinement admis déjà sous l'Ancien Régime, mais bien de pétitions collectives alors interdites », dans « Pétitioner », Le Mouvement Social, 181 (octobre-décembre 1997), p. 127.

20 David Gilles, « Archéologie de l‘herméneutique du droit québécois. En quête des discours juridiques avant

la Conquête », Revue Juridique Thémis, 44, 3 (2010), p. 61.

21 Par exemple, l‘on trouve le cas du gouverneur Louis de Frontenac qui convoque des États-Généraux à l‘automne 1672, semblant ignorer la position de la monarchie relative à cette institution. Il rassemble ces messieurs du « clergé, de la noblesse, de la justice et du Tiers État » afin de trouver dans cette assemblée de notables un appui à sa politique. Sur cette question de la représentation dans la colonie, voir Blais et al,

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publiques. L‘importance des pétitions dans le processus politique se démontre clairement, car la législation promulguée par l‘Assemblée générale est régulièrement une réponse aux requêtes et aux pétitions présentées par la population22. Il existe alors en Virginie un comité spécialement consacré à l‘étude des pétitions : le comité des « propositions and grievances ». Les lois promulguées à la suite des pétitions abordaient une grande variété de sujets répondant aux intérêts collectifs ou individuels : la division des comtés, le changement des frontières, la taxation sur la concession des pensions, les combats contre la variole, les inspections concernant le tabac, parmi beaucoup d‘autres sujets. En fait, on peut noter au moins cinq principales sources de législation en Virginie, mais la plupart des lois tirent leur origine des recommandations faites par différents comités en réponse aux pétitions des citoyens23. Quant à elle, Ruth Bogin analyse tout au long de la décennie révolutionnaire en Amérique, les actions, dont les pétitions, des « ordinary Americans » qui ont fait émerger un égalitarisme économique interprété comme le « New Moral Economy » dont parle E. P. Thompson pour le XVIIIe siècle en Angleterre24.

Dans son travail publié en 199625, David Zaret pose un regard socio-politique sur la pratique de pétitionner en relation avec l‘« invention » de l‘opinion publique26, dans l‘espace public créé par la Révolution anglaise. Ici, grâce à l‘importance de l‘imprimerie, les pétitions (et d‘autres moyens de communication traditionnels) empruntent de nouvelles voies, autant dans leur contenu que dans leur portée27. Selon l‘auteur, l‘importance attribuée aux pétitions ne vient pas seulement du fait que les pétitions sont un message politique en elles-mêmes, mais aussi un outil privilégié pour transmettre leur message de la périphérie vers le centre (entendons le centre du pouvoir politique). Pour sa part, un

22 Bailey, Popular Influence upon Public Policy, p. 55. 23 Ibid, p. 61-64.

24 Bogin, « Petitioning and the New Moral Economy », p. 392.

25 David Zaret, « Petitions and the "Invention" of Public Opinion in the English Revolution », The American

Journal of Sociology, 101, 6 (Mai, 1996), p. 1497-1555.

26 Voir à ce sujet : Keith Michael Baker, « Public opinion as political invention », Inventing the French

revolution. Essays on French political culture in the eighteenth century, Cambridge, Cambridge University

Press, 1990, p. 167-199.

27 « Unacknowledged change in petitioning supplied a practical precedent for ―people‘s public use of their reason‖ which Habermas describes as an elite, 18th century development », dans Zaret, « Petitions and the "Invention" of Public Opinion », p. 1498.

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ouvrage collectif édité par Lex Heerma Van Voss en 2001, s‘intéresse aux pétitions comme source importante en histoire sociale28. On y trouve des essais qui abordent, dans différents contextes sociogéographiques, plusieurs questions : une définition plus large des pétitions, les pétitions comme voix des sujets sans pouvoir de s‘exprimer autrement, l‘analyse des formes et l‘analyse de leurs contenus.

Au Canada, dans une thèse consacrée aux pétitions collectives adressées aux gouverneurs et aux législatures du Maine et du Bas-Canada dans la première moitié du XIXe siècle, Steven Watt met l‘accent sur le caractère généralisé et continu de la pratique de pétitionner auprès des différentes instances du pouvoir public29. Watt étudie aussi la pratique de pétitionner comme manifestation de la politique informelle, son caractère potentiellement démocratique (surtout la possibilité de donner voix à une grande variété d‘opinions et de perspectives politiques); il analyse la structure des groupes de pétitionnaires et met aussi l‘accent sur le caractère unique de certaines questions débattues et de leur influence sur le pouvoir politique.

Puis, dans un mémoire présenté à la Fondation Jean-Charles-Bonenfant en 2008, Mathieu Fraser aborde les pétitions du point de vue de la culture politique du Bas-Canada (rappelons que le Bas-Canada est né de la division de la province de Québec après l‘Acte constitutionnel de 1791); il étudie le rôle des citoyens dans le fonctionnement interne des institutions mises en place par la constitution de 179130. De son côté, dans un travail présenté en 2009, Donald Fyson réévalue la période critique qui s‘étend de la Conquête jusqu‘en 1775 en dépassant les interprétations « misérabilistes » et « jovialistes » pour étudier l‘« adaptation mutuelle » dans cette nouvelle société : dans la sphère politique, l‘auteur démontre l‘utilisation de certaines pratiques britanniques de représentation collective vis-à-vis de l‘administration coloniale, dont les pétitions collectives31, sans précédent sous le Régime français. Comme le souligne Fyson, les différents groupes

28 Van Voss, éd., Petitions in Social History.

29 Watt, « ―Duty Bound and Ever Praying ' ».

30 Fraser, « La ―pratique pétitionnaire‖ à la Chambre d‘assemblée ».

31 Donald Fyson, « The Conquered and the Conqueror: The Mutual Adaptation of the Canadiens and the British in Quebec, 1759-1775 », dans Phillip A. Buckner et John G. Reid, dir., 1759 Revisited: The Conquest

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professionnels, des avocats aux boulangers, constituent la sphère publique et utilisent les pétitions collectives pour faire valoir leurs intérêts particuliers, comme apporter des modifications aux conditions de travail ou à l‘augmentation des règlementations de leur commerce par l‘État32. Il est approprié, semble-t-il, de souligner cet aspect d‘« adaptabilité des Canadiens33 » ou de la « Canadien flexibility toward British institutions » dont parle Fyson, c‘est-à-dire de cette possibilité d‘incorporer certaines pratiques et certaines institutions qui leur étaient imposées dans le but de contrer la prétention d‘assimilation des autorités britanniques.

Sommairement, et au-delà des études faites à propos des pétitions, nous placerons la pétition collective au cœur même de notre analyse, comme outil d‘expression politique des « citoyens ordinaires34 » dans la sphère publique québécoise, à l‘intérieur d‘une structure politique sans instances parlementaires classiques.

Espace public et sphère publique

Depuis une vingtaine d‘années, la notion d‘espace public est un concept-clé de l‘historiographie politique et sociologique. Dans son ouvrage classique L’Espace public :

archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise35,

Jürgen Habermas affirme que le Siècle des Lumières est traditionnellement présenté comme le laboratoire de l‘espace public. Pour Habermas, l‘émergence de la « sphère publique » et le développement de l‘État moderne se produisent simultanément. De plus, cette sphère publique (« le règne des pratiques communicatives et d‘associations ») se

32 Ibid.

33 Reprenant la définition de Cole Harris, on appelle « Canadiens » les francophones dont les ancêtres vivaient au Canada durant le Régime français; les immigrants anglophones se distinguent par la langue, la religion ou l‘appartenance ethnique. Juste après la Conquête, et jusqu‘à tardivement au cours du XIXe siècle, l‘utilisation de l‘expression « Canadien français » serait anachronique, dans Le pays revêche : société, espace et

environnement au Canada avant la Confédération, Québec, Presses de l'Université Laval, 2012, p. 221.

34 Nous allons reprendre la notion de « citoyen ordinaire » définie par Steven Watt, i.e.: « Theoretically, given the lack of formal rules regarding who can participate or the parameters of debate, anyone could prepare a petition on any subject. The only pretext petitioners needed to rely on was that they were interested in or affected by the decisions of those political authorities to whom they addressed themselves », dans « 'Duty Bound and Ever Praying' », p. 9.

35 Jürgen Habermas, L‘Espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société

bourgeoise, Paris, Payot, 1988 (1978), 324 p. [Titre original : Strukturwandel der Öffentlichkeit :

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situerait quelque part entre l‘État et la sphère intime de la famille, et l’usage public du

raisonnement incarnerait son moyen particulier de confrontation politique. À la suite du

travail d‘Habermas, de nombreux politologues et sociologues, entre autres, se questionnent sur la nature bourgeoise de cette sphère publique (caractérisée par des débats sur les affaires commerciales et sur l‘économie politique, où l‘idéal est l‘inclusion des participants sans distinction de statut et la qualité des argumentations).

À propos de la catégorie de « bourgeois », Roger Chartier, à la suite de Habermas et de l‘historien allemand Reinhart Koselleck, considère que « les données empiriques dont nous disposons aujourd‘hui, sur les différentes formes de sociabilité ou sur les différents porteurs de l‘usage public de la raison, démentent toute attribution sociale univoque. Leur assise sociologique traverse à la fois le Tiers État et la noblesse et implique des bourgeoisies de

types extrêmement différents 36». Or, selon la version d‘Habermas, nous pouvons maintenir

cette qualification sociale pour désigner ce processus de constitution de l‘espace public à partir de formes de sociabilité. Particulièrement, Habermas utilise le coffeehouse londonien de la période après la Restauration comme un modèle, un paradigme de la formation de la sphère publique, favorisant ainsi tout un courant de recherche sur la culture politique de la Restauration. D‘autre part, dans cette sphère publique se forme une opinion axée sur la rationalité et l‘universalité, éventuellement contestataire, et qui chevauche l‘opinion publique et l‘opinion essentiellement privée. Il est important de noter que cette « opinion publique », telle qu‘elle apparaît au XVIIIe siècle, se présente conceptuellement de manière unitaire (dans les écrits de J. J. Rousseau, de Louis-Sébastien Mercier, de Malesherbes, entre autres) comme l‘est l‘État centralisateur lui-même dont elle endosse les attributs idéaux37. Nous voudrions souligner en ce sens l‘apport de Baker sur l‘invention de l‘opinion publique en tant que source de légitimité, et l‘opinion publique devenue autorité

36 Pour ce qui concerne la constitution de l‘espace public au XVIIIe siècle, le débat entre Keith M. Baker et Roger Chartier semble éclairant : « Dialogue sur l'espace public», Politix, 7, 26 (1994), p. 5-22. Voir aussi : Reinhart Koselleck, Le règne de la critique, Paris, Minuit, 1979 et Colin Jones, 'The Return of the Banished Bourgeoisie', Times Literary Supplement, 29 (March 1991), p. 7-8.

37 Cela ne veut pas dire qu‘effectivement il existe une « opinion publique» unitaire – c'est-à-dire, comme phénomène social ou politique empirique —; il y a beaucoup d‘opinions différentes sous l‘Ancien Régime.

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politique, comme ultime instance politique38. À côté des voies institutionnelles traditionnelles de production de l‘opinion (les Parlements, les États provinciaux, les États généraux), le XVIIIe siècle voit naître d‘autres voies institutionnelles telles les Académies provinciales qui ont fait l‘objet d‘une recherche approfondie par Daniel Roche39. De plus, la parole et la conversation constituent des éléments dont il faut tenir compte dans une étude sur la formation ou la transformation de l‘opinion. En outre, il faut indiquer l‘importance centrale de l‘imprimé (pamphlets, libelles, correspondance), ainsi que la lecture à haute voix de celui-ci, et son lien étroit avec les formes de sociabilité dans lesquelles se forme l‘opinion.

La majorité des auteurs européens reprennent la notion de sphère publique de Habermas pour la soutenir ou la questionner. James Van Horn Melton, par exemple, effectue une réévaluation critique de la « sphère publique bourgeoise » habermassienne. Selon l‘auteur, pendant la période des Lumières, le « public » acquiert une nouvelle signification à cause de la reconnaissance par l‘État du pouvoir de l‘opinion publique dans la vie politique. De même, l‘expansion de la culture de l‘imprimé crée un nouveau public lecteur qui forme ses propres opinions tout en participant à de nouveaux espaces de sociabilité40; au Québec, cette culture de l‘imprimé est favorisée par l‘apparition de la Gazette de Québec, qui naît dans la Province de Québec en 1764. L‘absence d‘institutions représentatives en France (sauf les États généraux consultés exceptionnellement) telles qu‘on les trouve dans le Parlement anglais (dans la chambre des Communes spécifiquement) contribue à faire naître l‘« opinion publique » un peu partout. Bref, pas seulement à travers les moyens institutionnels traditionnels.

38 Baker, « Public Opinion as Political Invention», et aussi Baker et Chartier « Dialogue sur l‘espace public», p. 13-15.

39 Daniel Roche, Le siècle des lumières en province : académies et académiciens provinciaux, 1680-1789, Tome I, Paris, Mouton, 1978, 394 p.

40 « In theory at least, public opinion had an institutional locus, and for this reason the concept was less vexatious in British political discourse than it was in France. There the absence of representative bodies claiming to represent the views and interests of a national constituency meant that ―public opinion‖ was simultaneously more frequently invoked and more difficult to define », dans James Van Horn Melton, The

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D‘autre part, Roger Chartier dans son ouvrage classique Les origines culturelles de la

Révolution française, traite de l‘apparition d‘une « sphère publique politique » qui est

doublement caractérisée. D‘abord, cette « sphère publique politique » définit un espace de discussion et d‘échanges soustrait à l‘emprise de l‘État et qui se veut critique à l‘égard des actes ou des fondements de celui-ci (caractère politique); puis elle se différencie de la cour qui appartient au domaine du pouvoir public, et du peuple qui n‘a point d‘accès au débat critique (caractère sociologique)41. Nous pouvons donc dire que l‘organisation de la sphère publique politique repose sur deux principes, à savoir que cette sphère représente l‘espace où les personnes privées font usage public de leur raisonnement; et que la communication entre ces personnes privées postule une égalité de nature entre elles, si différentes soient-elles les unes des autres.

Au Canada, dans son livre Médias et démocratie, Anne-Marie Gingras reprend et discute la notion de sphère publique habermassienne. Selon l‘auteure, même si la sphère publique est réglementée par l‘autorité, elle est utilisée par des « personnes privées rassemblées en un public », « directement contre le pouvoir lui-même » pour « discuter avec lui des règles générales de l‘échange, sur le terrain de l‘échange des marchandises et du travail social » – domaine qui reste essentiellement privé, mais dont l‘importance revêt désormais un caractère public; selon Habermas, « l‘usage public du raisonnement » rend possible l‘opposition de la sphère publique à l‘État42. Une société bourgeoise se consolide et s‘affirme face à l‘État pour discuter avec lui des termes de l‘échange, comme les taxes sur les prix et les impôts. L‘économie devient politique; il s‘agit d‘un sujet susceptible d‘être débattu dans la sphère publique, qui se pose comme un tiers dans le débat entre l‘État et la société civile. Selon Watt, l‘étude de la pratique pétitionnaire peut être abordée du point de vue du cadre théorique de la sphère publique. Ainsi « such studies [sur la sphère publique] tend to place a strong emphasis on the role played by informal practices in

41 Roger Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française, Paris, Seuil, 2000 (1990), p. 32.

42 Anne-Marie Gingras, Médias et démocratie : Le grand malentendu, 2e édition revue et augmentée, Québec,

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providing hitherto marginalized groups a political voice and ultimately formal recognition by the state 43».

Craig Calhoun édite en 1992, un ouvrage qui vise à présenter les thèses d‘Habermas, surtout les différents aspects de la sphère publique habermassienne, dans le contexte de la construction de la république américaine44. Nancy Fraser, quant à elle, se pose quelques questions à propos des matières publiques débattues par des personnes privées : « What counts as a public matter? What, in contrast, is private? 45» Et elle suppose que seulement les participants eux-mêmes peuvent décider lesquelles de leurs préoccupations sont ou ne

sont pas des préoccupations communes, même si on ne peut pas garantir que tous soient

d‘accord. C‘est alors à travers la contestation discursive qu‘ils arrivent à se décider46. Faisons le point : nous analyserons principalement la signature des pétitions collectives et plus largement la consignation par écrit, à l‘intention des autorités politiques -gouverneurs, Conseils, etc.-, des demandes de modification des certaines politiques publiques, réfléchissant sur la participation des « citoyens ordinaires » dans les institutions de gouvernance locale dans la vie publique. Nous allons nous concentrer sur les pétitions

comme mode d'expression politique collective47, pour cerner leur contribution au

développement de la sphère publique politique au Québec. Nous soulignons que la

43 Watt, « 'Duty Bound and Ever Praying' », p. 48.

44 Craig Calhoun, dir., Habermas and the Public Sphere, Cambridge, Mass., MIT Press, 1992, x, 498 p.

45 Faisant premièrement le point sur le fait que pour Habermas, la sphère publique bourgeoise évoquait une

arène discursive ou les « personnes privées» délibéraient sur des « affaires publiques», elle mentionne de différents sens de « privé» et « public». ―Public‖, for example, can mean (1) state-related, (2) accessible to everyone, (3) of concern of everyone, and (4) pertaining to a common good or shared interest. [...] in addition, there are two other senses of ―private‖ hovering just below the surface here : (5) pertaining to private property in a market economy and (6) pertaining to intimate domestic or personal life, including sexual life; Nancy Fraser, « Rethinking the Public Sphere: A Contribution To The Critique of Actually Existing Democracy », dans Calhoun, dir., Habermas and the Public Sphere, p. 128.

46 Ibid., p. 129.

47 Tel qu‘analysé par Watt, le contexte délibératif des pétitions nous offre un point de vue unique sur les caractéristiques de l‘expression politique à cette époque, « Petitions were both collectively and unequally authored documents, with different petitioners playing vastly different roles in their creation. An individual‘s contribution could range from drafting the text to merely affixing their name [...] », « 'Duty Bound and Ever Praying' », p. 11. Encore, il se dégage de l‘analyse des pétitions qu‘il existe des expressions de solidarité (solidarité professionnelle, religieuse, socio-économique, linguistique, etc.) qui vont au-delà de la totale compréhension du contenu spécifique du document signé, ce qu‘illustre par exemple, le fait de signer une pétition sans même avoir participé à sa discussion ou rédaction.

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formation d‘un espace public est déjà en cours à l‘époque. En fait, d‘après nous, l'opinion publique est présente dans les discussions publiques ayant eu lieu depuis le tout début de l‘établissement du gouvernement civil. Nous reviendrons sur ce point dans les deux premiers chapitres.

De plus, dans le chapitre suivant nous allons approfondir trois notions clefs de notre cadre conceptuel : celle du « public », de la « sphère publique » et de l‘« opinion publique », et leur déploiement au Québec entre 1764 et 1791, et d‘autres sujets qui en découlent, spécialement le rôle de l‘imprimerie et la presse.

Les sources : possibilités et limites

Par sa nature, cette étude repose sur des documents officiels, donc des pétitions et des adresses, issues des institutions politiques coloniales. Notre corpus de sources appartient principalement aux fonds d‘archives publics et aussi privés. Nous décrivons ici les sources sélectionnées en précisant les avantages et les limites de leur utilisation.

Premièrement, nous avons utilisé le fonds d‘archives du Secrétaire civil qui contient une multitude de documents dont des lettres, des pétitions, des adresses et d‘autres communications envoyées aux différentes autorités politiques et reçues au bureau du Secrétaire civil. Depuis l'instauration d'un gouvernement civil dans la Province de Québec en 1764, et en passant par sa division en deux provinces distinctes en 1791, puis par leur réunion en 1841, le secrétaire civil a été le principal responsable de la gestion de la correspondance locale, agissant au nom du gouverneur en ce qui avait trait aux affaires internes de la colonie48. Il avait notamment pour fonctions de faire parvenir aux fonctionnaires des directives, ainsi que des lettres circulaires pour recueillir des renseignements auprès d'eux, et d'acheminer les lettres, les pétitions, les rapports et d'autres documents destinés au gouverneur, à l'Assemblée législative (une fois installée) ou aux fonctionnaires pertinents pour qu'ils prennent les mesures qui s'imposaient ou qu'ils

48 De fait, le secrétaire civil est remplacé par le secrétaire provincial dans ce rôle à partir de l'Union et peut-être avant.

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fournissent des avis, en informant les expéditeurs de la démarche entreprise. Ce fonds demeure donc une source d‘information très précieuse pour la période49.

En second lieu, nous avons analysé les journaux des conseils successifs qui participaient à l'administration de la province, qui se trouvent dans le Fonds Conseil

législatif, Québec50. Ce fonds contient les délibérations et les décisions du Conseil de Québec. Ce Conseil se réunit pour la première fois en avril 1764 et ses premières tâches sont de conseiller et d'assister le Gouverneur dans l'établissement des institutions locales et des infrastructures gouvernementales, comme l'administration de la justice et des tribunaux dans la Province. Plus tard, la loi de 1774 (l‘Acte de Québec) crée le Conseil législatif de la province de Québec, une assemblée délibérante non élue dont les membres sont nommés par la Couronne, et qui assume le gouvernement de la colonie. Le Conseil législatif est composé d‘un minimum de 17 conseillers et d‘un maximum de 23 conseillers et il est chargé d‘adopter des ordonnances pour « la police, le bonheur et bon gouvernement » de la colonie. Le Conseil est dissout à la suite de la sanction de l‘Acte constitutionnel le 10 juin 1791 et remplacé par un Parlement bicaméral composé d‘une Chambre d‘assemblée élue et d‘un Conseil législatif nommé. Donc, l‘utilisation de cette source est non négligeable aux fins de notre étude, malgré le fait que certaines demandes de pétitionnaires n‘ont pas été retranscrites, mais énoncées.

Troisièmement, le Fonds Haldimand51 fait aussi partie de notre corpus. Ce fonds privé,

contenant la volumineuse correspondance (commencée en 1758 et continuée jusqu'en 1785) de Sir Frederick Haldimand, l‘un des gouverneurs de la Province de Québec, contient plus

49 BAC, RG4 A1, « Civil Secretary's correspondence. Quebec, Lower Canada and Canada East», volumes

10-52.

50 BAC, RG1 E1, « Minute books of the Council (1764-1775)», volumes A, B et C, et « Journals of the Legislative Council (1775-1791)», volumes D, E et F.

51 Dorénavant Fonds Haldimand. Le fonds Haldimand lui-même est au British Library, Add. MS 21661-21892 (The official correspondence and papers of Lieut.- General Sir Frederick Haldimand, K. B., commanding at various posts in North America, and afterwards Governor of the Province of Quebec; 1758-1785), la Collection Haldimand, ayant été cédée par ses héritiers au British Museum, où le gouvernement canadien en a fait transcrire le texte entier qu‘on retrouve à BAC, Fonds Haldimand, série MG21. Nous avons consulté les originaux disponibles sur microfilms à la Bibliothèque de l‘Université Laval. Il existe également un répertoire détaillé : Collection du général Frederick Haldimand 1718-1791, compilée par Claude Kaufholtz-Couture. Québec : Association des familles d'origine germanique du Québec (AFOGQ) : Éditions Kaufholtzverlag, 2002 [ressource électronique : CD], couvrant la correspondance, le journal intime et les statistiques du commerce, compilés par le général Frederick Haldimand.

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de 26 000 lettres et documents de nature institutionnelle (lettres aux ministères, à d‘autres généraux, au Conseil, etc.) et personnelle. Le contenu de ces fonds est semblable à celui du secrétaire civil : ils contiennent tous les deux des lettres et des pétitions adressées à toutes les autorités politiques en place. De fait, c'est en partie un complément à RG4 A1 et on y retrouve beaucoup des mêmes types de documents.

Globalement, malgré qu‘il ne semble pas toujours très lisible, notre corpus documentaire reste un incontournable pour notre recherche; son contenu est d‘une importance majeure et possède la qualité d‘être accessible! L‘on y trouve des pétitions originales, des copies très complètes ou encore des descriptions bien détaillées. Il reste essentiel de consulter ces sources pour comprendre la contribution des pétitions adressées aux autorités coloniales au développement de la sphère publique québécoise. Pourtant, les pétitions dressées par les autochtones au Québec pendant notre période ne se retrouvent pas pour la plupart dans les fonds que nous avions consultés pour cette étude52.

Toutefois, si ces documents officiels mettent en lumière certains principes, il n‘en demeure pas moins qu‘il est souvent conseillé de réviser la presse locale, la Gazette de

Québec, principal journal à l‘époque, pour voir si elle reflète ou reproduit les débats dont

ces documents parlent. Ainsi, nous avons consulté quelques articles de dates précises qui nous intéressaient pour mieux situer le contexte de production des pétitions. Outre les sources principales mentionnées, nous nous sommes également servis d‘autres sources pour compléter l‘information recueillie, notamment Documents relatifs à l'histoire

constitutionnelle du Canada53.

52 Elles font l'objet d'une thèse de doctorat -qui vient d‘être déposée- à l'Université du Québec à Montréal : Maxime Gohier : « La pratique pétitionnaire autochtone sous le Régime britannique : le développement d‘une

culture politique moderne dans la vallée du Saint-Laurent (1760-1860) »,

http://www.territoireautochtone.uqam.ca/pages/publications/memoires.asp. Pour ceux qui s‘intéressent particulièrement aux pétitions parmi les populations autochtones, voir : Micah Abell Pawling, « Petitions and the Reconfiguration of Homeland: Persistence and Tradition Among Wabanaki Peoples in the Nineteenth Century », Ph.D., University of Maine, 2010.

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Méthodologie

Les documents des immenses fonds d‘archives du Secrétaire civil, du Conseil et de la Collection Haldimand étant en grande majorité à caractère textuel, la constitution de notre corpus s‘est réalisée d‘abord par la recherche par mots-clés dans l'instrument de recherche de chaque fonds, aussi que par une recherche dans les transcriptions fournies par Christian Blais sous format Word et PDF, puis par la sélection des éléments pertinents à notre sujet de recherche, dans son cadre chronologique et géographique.

La méthode privilégiée par les historiens qui ont mené des recherches similaires à la nôtre (Steven Watt par exemple) est l‘analyse de type qualitative ou de contenu. Nous avons procédé à une analyse détaillée des documents tirés des sources que nous venons de mentionner, pour creuser dans les contenus des pétitions collectives et déterminer leur importance et leur influence sur le développement de la sphère publique québécoise. En ce qui concerne le type de contenu des sources, nous avons déterminé l'intérêt et la valeur d'un sujet par sa présence plutôt que par sa fréquence dans les écrits. Ensuite nous avons identifié à travers les discours, la matière de ce mémoire, c‘est-à-dire, les pétitions envoyées aux autorités politiques, mettant en évidence le contexte sociopolitique (où la pétition a-t-elle été signée? Dans quelle situation?), l‘identité des pétitionnaires (noms, auto-identification sociale, type de signature, profession, genre et lieu d‘origine), le destinataire (Gouverneur, Conseils, nature du rapport préconisé entre pétitionnaires et destinataire) et le contenu des pétitions (sujet abordé, demande).

Nous avons aussi retenu certains éléments d'analyse quantitative : le nombre de pétitions par année, la fréquence de différents types de pétitions, la nature des signataires, les sujets des pétitions, etc. Par cette méthode, nous avons cerné les différents thèmes pertinents qui se dégagent des sources recueillies. Le regroupement de ces thématiques permet de répondre adéquatement aux questions qui nous intéressent.

Par ailleurs, nous signalons qu‘il n‘y a pas de registre systématique des activités ou des délibérations des pétitionnaires, sauf tout ce qui est contenu dans les pétitions elles-mêmes. Nous n‘avons pas trouvé de descriptions des activités des groupes de pétitionnaires et de la

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création des pétitions54. En plus de cela, la situation géographique assez restreinte révèle majoritairement des contextes urbains et la prépondérance des villes les plus importantes et les plus peuplées à cette époque : Québec, Montréal et Trois-Rivières. Or, dans la majorité des pétitions ciblées pour cette étude, les pétitionnaires s‘identifient eux-mêmes comme citoyens de la ville de Québec ou de Montréal, soulignant dans plusieurs cas leur lieu de résidence dans un quartier spécifique (Saint-Roch, par exemple). En effet, plus de quatre-vingt-dix pour cent des pétitions ont pour origine ces dernières villes. Néanmoins, cela ne signifie pas que la pratique pétitionnaire se limite aux villes; elle est aussi présente à la campagne.

Organisation du travail

La présent mémoire se déploie sur trois chapitres. Le premier chapitre aborde la discussion des concepts de sphère publique et opinion publique et leur développement au Québec à l‘intérieur de notre cadre chronologique. Le deuxième chapitre se concentre sur le contexte sociopolitique entre 1764 et 1791, mettant en lumière la genèse complexe de la pratique pétitionnaire dans la sphère publique québécoise et illustrant ceci par des pétitions « classiques ». Le troisième chapitre présente la pétition en tant qu‘outil d‘expression et pratique publique collective généralisée et se consacre à l‘analyse des pétitions recueillies dans notre corpus.

Même si plusieurs autres questions se dégagent de notre recherche, elles dépassent les limites de notre étude qui se concentre essentiellement sur les pétitions collectives et le développement de la sphère publique québécoise. Elles demeurent cependant ouvertes pour des recherches ultérieures.

54 Par contre, l‘étude de Bradley sur les pétitions en Angleterre concernant la Révolution américaine décrit les procédures des réunions des pétitionnaires qui variaient considérablement en rapport avec les différents groupes : « There were considerable differences in procedure, for example, between a university, a group of justices of the peace, a town corporation, a body of citizens in an urban setting, and a county meeting called for the purpose of petitioning. [...] An address from a corporation was set forth at a regular meeting time, at a prescribed place, (normally the guildhall) and seldom met with serious opposition. In contrast, the organisation of petitions and addresses in boroughs and counties was far more complex. [...] Leaders normally called for a public meeting weeks in advance by advertisements in local newspapers, and sometimes, depending upon the setting, by handbills », Popular Politics, p. 61.

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CHAPITRE I. Le « public », la sphère publique et

l’opinion publique

Au cours du présent chapitre, nous approfondissons trois notions clefs, qui servent de cadre théorique à notre étude : celle du « public », de la « sphère publique » et de l‘« opinion publique », et leur déploiement au Québec entre 1764 et 1791, pour les illustrer par la suite avec des exemples précis dans les chapitres suivants. D‘autres sujets découlent de ceux-ci, spécialement le rôle de l‘imprimerie et la presse.

Nous voulons d‘abord nuancer l‘idée soutenue par Lamonde, sur la « consécration » de la formation d‘un espace public après l‘instauration du système parlementaire. En fait, d‘après nous, l'opinion publique est déjà présente dans les discussions publiques ayant eu lieu depuis le tout début de l‘établissement du gouvernement civil, et ce à travers les pétitions collectives. Nous allons analyser cela au chapitre suivant.

1.1 Le public

D‘abord, définissons avec Gerard Hauser le public « as the interdependent members of society who hold different opinions about a mutual problem and who seek to influence its resolution through discourse »55. Alors, à partir de notre compréhension du « public » québécois (qui est-il? à quoi s‘intéresse-t-il? comment agit-il?) nous analyserons la configuration et le développement de la sphère publique. Selon Hauser, « An understanding of ―the public‖ is essential to politics, and, at some level, members of a public share interests in important ways. However, a public‘s nature is not defined by its shared political interests but by its function: to provide critical evaluation and direction 56».

Cependant, le « public » québécois57 de la deuxième moitié du XVIIIe siècle n‘a pas de moyens formels ou légalement garantis qui lui permettent de transmettre son « intérêt général » comme : libre discours, presse libre, rassemblement libre et, éventuellement,

55 Gerard A. Hauser, Vernacular Voices: The Rhetoric of Publics and Public Spheres, Columbia, South Carolina, University of South Carolina Press, 1999, p. 32.

56 Ibid., p. 60.

Figure

Figure 1: aperçu d’une pétition
Figure 3 : représentations des citoyens de Montréal à Carleton, 1778.
Tableau 3 : nombre de pétitions selon lieu d’origine  Lieu d'origine Nombre de pétitions

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