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Raisonnement causal : quelle place occupe la mise en évidence du changement?

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Academic year: 2021

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Raisonnement causal : Quelle place occupe la mise en

évidence du changement?

Thèse

Michel Sacy

Doctorat en psychologie – Recherche et intervention

Philosophiae doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

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Résumé

Le raisonnement causal est une opération cognitive centrale pour l’être humain. C’est par ces opérations qu’on en vient à comprendre qu’un aliment nuit à notre santé, que certains propos peuvent causer un malaise chez les autres ou, tout simplement, qu’un logiciel ralentit le fonctionnement de notre ordinateur. Plusieurs facteurs qui influencent le raisonnement causal (p. ex. contiguïté temporelle et contingence entre cause potentielle et effet) sont identifiés dans la littérature. Cependant, la plupart de ces facteurs, avant d’être testés dans des études empiriques de psychologie, ont été évoqués par des philosophes. La thèse a pour objectif de tester un facteur dont plusieurs auteurs et philosophes ont traité, mais qui n’a jamais été mis à l’épreuve empiriquement : la prégnance du changement dans le cours des évènements. Dans cette optique, l’Étude 1 révèle que l’augmentation de la prégnance du changement, tant par le format de présentation que par une description des informations comme provenant d’une seule entité, plutôt que plusieurs, permet une évaluation plus adéquate de la force causale. L’Étude 2 poursuit l’objectif de cette thèse en comparant les évaluations des participants face à des informations provenant de séquences temporelles dont certaines permettent l’observation du changement alors que d’autres ne le permettant pas. Les résultats révèlent qu’une majorité de participants perçoivent que ces deux types d’informations ne sont pas équivalents pour favoriser une bonne évaluation. Les participants jugeant que les séquences temporelles permettant l’observation du changement sont plus pertinentes offrent d’ailleurs des évaluations plus adéquates face à ce type d’information.

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Table des matières

Résumé ... iii

Table des matières ... v

Liste des tableaux ... vii

Liste des figures ... ix

Remerciements ... xi

Chapitre 1 – Introduction Générale ... 2

Facteurs influençant l’évaluation de la force causale ... 3

Le delta p. ... 3

Au-delà du delta p. ... 4

Intégration des facteurs ... 8

Les modèles bayésiens. ... 8

Le modèle de Perales et Catena. ... 10

Objectifs de la thèse ... 13

La place de la mise en évidence du changement dans le modèle de Perales et Catena .... 15

Chapitre 2 - Étude 1 : Raisonnement causal : Comment faut-il présenter les observations? ... 17

Format de présentation ... 18

Nature des observations ... 22

Hypothèses ... 25 Méthode ... 25 Participants. ... 25 Devis. ... 26 Matériel. ... 28 Procédure. ... 28 Variables dépendantes. ... 32

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Résultats ... 33

Discussion ... 36

Chapitre 3 - Étude 2 : Raisonnement causal : Le changement dans une séquence temporelle. ... 39 Hypothèses ... 42 Méthode ... 42 Participants. ... 42 Devis. ... 42 Matériel. ... 43 Procédure. ... 45 Variables. ... 46 Résultats ... 47 Discussion ... 50

Chapitre 4 - Discussion Générale ... 52

Les résultats de la thèse dans une perspective des théories du double processus ... 55

Voies futures de recherche ... 60

Limites ... 64

Applications cliniques des résultats de la thèse ... 65

Chapitre 5 – Conclusion générale ... 67

Références ... 69

Annexe A ... 74

Annexe B ... 76

Annexe C ... 77

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Liste des tableaux

Tableau 1. Tableau de contingence 2 X 2 présentant les quatre conjonctions possibles entre

cause et effet………. 4

Tableau 2. Résumé des quatre groupes de l’Étude 1, formés selon les deux variables

indépendantes manipulées……….... 25

Tableau 3.Agencement des fréquences pour chaque matrice et contingences objectives

(delta p) associées pour l’Étude 1……… 27

Tableau 4. Instructions écrites de l’Étude 1 par paragraphe selon les groupes…………... 29

Tableau 5. Moyennes (écarts-types) des variables dépendantes pour chacun des groupes de

l’Étude 1………... 34

Tableau 6. Moyennes d'indice d'éloignement des matrices et résumé des différences

significatives concernant cet indice pour l'Étude 1……… 76 (Annexe B)

Tableau 7. Agencement des fréquences pour chaque matrice et contingences objectives

(delta p) associées pour l’Étude 2………... 43

Tableau 8. Moyennes (écarts-types) des variables dépendantes de l’Étude 2 selon le

jugement subjectif de pertinence et la

situation………... 48

Tableau 9. Moyennes d'indice d'éloignement des matrices et résumé des différences

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ix

Liste des figures

Figure 1. Architecture générale du raisonnement causal selon le modèle de Perales et

Catena (tiré de Perales & Catena, 2006), avec l’ajout théorique que la présente thèse vise à apporter……….. 11

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Remerciements

Vous comprendrez que, vu l’objet de ma thèse, je serais bien embarrassé de faire l’économie d’une chaine causale expliquant comment j’en arrive ici dans ma vie. Vous me voyez venir, les remerciements seront longs. Tel un mauvais amant qui ne penserait à dire je t’aime qu’à la St-Valentin, je saisis l’occasion de faire des remerciements à ceux que je ne remercie pas assez. Allons-y…

Je dois bien sûr commencer par ma famille. Christian, mon père, qui avec humilité et abnégation, n’a ménagé aucun sacrifice pour que sa famille ne manque de rien. Daniela, ma mère, qui par sa sensibilité, sa bienveillance et son empathie a constitué le ciment de notre famille dans les moments plus tendus. Mon frère grand format, Didier, dont les attaques répétées auront sans doute forgé mon caractère et aiguisé ma ténacité, et qui m’impressionnera toujours par sa générosité et son ardeur au travail (de sa run marathonienne de camelot à son entreprise actuelle) qui ne connaissent aucune borne. Enfin, depuis la naissance de Dominique, mon frère petit format, j’ai appris qu’on grandit à prendre soin des autres. Par ailleurs, s’il n’avait pas été là, je n’aurais eu aucun public pour mon humour, disons, « particulier ». Un immense merci à ma famille très spéciale qui, en plus de m’avoir supporté (dans le sens de offrir du support, mais aussi dans le sens de

endurer), m’a transmis des valeurs précieuses et, surtout, m’a généreusement approvisionné

en histoires loufoques. Je dois également remercier Zio Antonio et Zia Franca. Per me siete come un secondo païo di genitori. Grazie di tutto, grazie dal cuore.

Je remercie aussi mon ami Jérôme (pour aucune raison particulière, hormis que c’est mon plus vieil ami). Je lui dédie ici un paragraphe à lui tout seul, en espérant que ça compense pour l’exposé oral « Mon meilleur ami » de deuxième année. Jérôme avait présenté son meilleur ami Michel, et Michel avait présenté son meilleur ami… Pierre. Avec le recul je peux dire que c’était toi, Jérôme, mon meilleur ami, mais je trouvais juste Pierre pas mal plus cool parce qu’il était en cinquième année. On est-tu quitte?

Au secondaire, j’ai rencontré Louis-Gabriel et Nicolas que je ne peux pas vraiment remercier d’avoir contribué à ma réussite scolaire. Leur contribution, à cette époque, a été

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xii

encore plus précieuse; ils m’ont aidé à traverser une adolescence tourmentée. Merci. Depuis ce temps, pas même World of Warcraft n’a réussi à nous éloigner.

Je dois aussi remercier la communauté internationale (rien de moins) d’avoir eu la bonne idée de tenir le Sommet des Amériques à Québec, au printemps de mes 15 ans. Cet évènement m’a éveillé à l’existence d’une planète que je croyais, jusque là, uniquement utile à soutenir mes pieds. Pour la première fois, j’ai eu envie de savoir. Je reprocherai toutefois à la communauté internationale d’avoir omis de m’inviter, si bien que sans les efforts de sensibilisation d’une dénommée Florence, je ne me serais pas senti interpellé par ce sommet. Comme dans l’œuvre de Rousseau, cette jeune fille avait alors été la Sophie qui a fait de moi un Émile, et c’est avec une générosité excessive qu’elle m’a laissé le temps de devenir citoyen (Ben quoi!? C’est l’avant-propos d’un ouvrage que je prétends mériter le titre de Philosophiæ doctor, je ne peux pas y dire que des conneries). En secondaire V, les professeurs Roger Drouin et Pierre Beaudoin ont magnifiquement alimenté la flamme naissante de mon intérêt pour la connaissance. Leur passion était inspirante. Je leur dis merci.

À l’université, j’ai côtoyé un paquet de gens marquants. Je salue d’abord mes collègues du « Laboratoire ». Mathieu, ton passage dans ma vie l’aura changée à jamais (Haha! Ben non, mais t’es pas mal cool pareil). Joëlle, nos réflexions sur l’intimité en CHSLD m’ont beaucoup enrichi. Véronique, merci pour ton sofa (mes respects aussi à ton cervelet hors du commun). Ariane, t’es une fille presqu’aussi attachante que les chaînes qui m’ont emprisonné 17 heures par jour durant près d’une semaine d’horreur à Sainte-Justine. Esthel, ton support a été sans faille, je te suis sincèrement reconnaissant pour tout.

Toujours à l’université, j’ai connu Sémon d’Ottawa (de Kanata en fait) que je remercie de m’avoir transmis son goût pour le divertissement de grande profondeur, notamment par l’intermédiaire des galas de mixité des arts et d’une émission documentant par la recherche scientifique contemporaine les grandes questions que l’homme se pose. J’ai aussi rencontré Amélie, dont la délicatesse nous a paru irréprochable jusqu’à ce qu’une certaine remarque nous dévoile son goût latent pour la grossièreté. Merci pour ton sofa, ton appart, ton amitié, ton Quik, tes notes de cours, etc. J’ai aussi eu le bonheur de côtoyer AAPG (excuse-moi AAPG, mais j’imprime ma thèse sur du papier et Greenpeace m’en

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xiii aurait probablement voulu si j’avais écris ton nom au complet), une fille aussi adroite qu’antipathique. Aurais-tu préféré la formulation « aussi gauche que sympathique »? En tous cas, ça démontre bien à quel point je t’apprécie. Enfin, je remercie Sébastien, mon complice depuis le premier jour de baccalauréat. En huit ans d’université, Sébastien et moi avons fait ensemble de grandes choses, dont des participations remarquées à des congrès scientifiques (particulièrement au congrès 2010 de la SQRP), près de 7312 voyages dans les ascenseurs du FAS, 8 ébauches de numéros comiques pour le Psyshow, 17 enregistrements par erreur d’un travail scolaire dans les fichiers temporaires d’un ordinateur, 883 malaises (estimation conservatrice), 92 nuits blanches à étudier en échangeant des émoticones ridicules sur MSN, ainsi que 11 documents Excel ou SPSS compilant des statistiques insignifiantes. Pour tout ça, pour ton humour, ton soutien, ton amitié et pour bien d’autres choses dont on ne saurait traiter dans un document académique : Merci!

Durant quatre ans, cette thèse a été dirigée par Stéphan Desrochers qui a quitté ses fonctions dans des circonstances moins qu’idéales, ce qui ne doit pas occulter tout ce qu’il a fait pour moi. Il m’aura particulièrement marqué par son souci de concision, de clarté et d’honnêteté intellectuelle. Monsieur Desrochers, merci pour tout.

Je me dois aussi d’être reconnaissant envers Simon Grondin et Marguerite Lavallée pour leurs commentaires, suggestions et encouragements tout au long de mon cheminement doctoral. Lors du départ de mon directeur de thèse, ils ont fait en sorte que les conséquences soient le plus minimes possible pour moi. Merci!

Ma dernière année d’études doctorales, durant laquelle j’ai effectué mon internat au CLSC de St-Romuald, aura été l’une des plus riches de ma vie. J’y ai rencontré deux types de personnes. Il y a eu les collègues inspirants, les modèles, les amis dégageant une bonté des plus rafraichissantes. Par ailleurs, il y a aussi eu Fabienne Gagnon. Malgré ce dernier irritant, je conserverai toujours un doux souvenir de cette année passée dans un milieu de travail supportant et si propice à l’épanouissement personnel et professionnel. Stéphanie, bien que tu n’aies jamais, malgré mes pressions, pris le temps de fêter tes 10 ans de couple avec Guillaume, je considère que tu as de bonnes chances de faire une vie correcte grâce à tes jeux de société et ta personnalité suave. Andréanne, Lebout-Déridé de ta personnalité

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xiv

t’es conféré par ta capacité à être une adulte responsable en conservant tout l’émerveillement propre à l’enfance. Ceci dit, nous ne te pardonnerons jamais ta désertion. Geneviève, je dois t’avouer quelque chose ; tes lifts ne m’épargnaient que très peu de temps. Je tiens donc à ce que tu saches que toutes les fois où je t’en ai remerciée, c’était de la fausse gratitude. Si je prenais tes lifts, c’était pour le plaisir de partager des moments avec toi, j’aurais été plus honnête en te remerciant pour la compagnie. Sœur Maheux, tu rayonnes d’une douce simplicité, mais j’apprécie surtout ton souci de rectitude politique qui aura permis un minimum d’encadrement aux propos scabreux de certains impies parmi nous. Sabrina, ça a été un véritable plaisir d’apprendre à te connaitre. Cheminer aux côtés d’une collègue aussi sensible et délicate m’a beaucoup apporté, merci! Francine, je n’ai pas encore totalement compris comment tu fais, mais tu es en mesure d’amener les enfants les plus récalcitrants à participer à tes évaluations. Ton sens de l’observation et ton souci du travail bien fait m’ont marqué et je te remercie pour les précieux enseignements. Fabienne, je t’ai souvent complimenté à la blague, dans l’humour pince-sans-rire que tu maitrises si bien. Je vais maintenant faire une petite trêve de plaisanterie. Fabienne, tu m’auras enseigné beaucoup de choses, mais je retiens surtout l’importance d’être heureux dans son milieu de travail. Quelle joie que de te côtoyer! Un très gros merci pour tout (veuillez noter que cette section sera entièrement réécrite suite à mon évaluation finale de stage). Martin, tu m’as sorti de ma zone de confort, tu as bousculé mes certitudes, tu m’as fait travailler ce que je voulais ignorer… et si tu n’avais pas fait tout cela avec une bienveillance et une sensibilité si touchante, il est certain que je te détesterais! Au contraire, je garderai toujours un beau souvenir de ces moments. Merci à vous tous, je sors de cette année grandit.

Enfin, je remercie le Fonds québécois de recherche sur la société et la culture pour le très apprécié appui financier qui m’a permis de me consacrer entièrement à mes études, une situation privilégiée que je souhaite à tous.

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Chapitre 1 – Introduction générale

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2

Chapitre 1 – Introduction Générale

L’appréciation des relations causales a une importance cruciale dans les petits et grands enjeux de la vie quotidienne. Si Georges a des problèmes de concentration, il est essentiel pour lui de savoir en identifier les causes potentielles, pour ainsi pouvoir prévenir cette entrave à son fonctionnement. Une simple visite chez le médecin nous permet de constater l’importance qu’occupe ce type de raisonnement dans la survie même de l’espèce humaine. Il n’est donc pas étonnant que plusieurs philosophes (voir White, 1990) s’intéressent depuis des siècles aux caractéristiques essentielles des attributions causales. La psychologie s’intéresse aussi à cette problématique, mais l’étudie sous un autre angle. Comme le souligne White (1990), alors que les philosophes cherchent à savoir « Comment les attributions causales devraient être faites? », les chercheurs en psychologie se demandent plus simplement « Comment les individus élaborent-ils de tels liens de causalité? »

En psychologie, l’étude des associations entre cause et effet peut être liée à deux grands types de théories, les théories de l’apprentissage et les théories portant sur le raisonnement causal (Waldmann, Hagmayer & Blaisdell, 2006). Les théories de l’apprentissage, étant basées sur l’héritage de Hume, se concentrent sur l’apprentissage d’associations entre les variables (Allan, 2005). S’il est vrai que l’association entre les variables est un élément central et incontournable du raisonnement causal, la conceptualisation de la causalité qui découle de cet unique élément en demeure incomplète. Waldmann et ses collaborateurs (2006) soulignent notamment que la simple association de variables ne permet pas de distinguer la cause de l’effet. Cette thèse a pour objectif de s’inscrire dans le cadre plus large fourni par les théories portant sur le raisonnement causal. Par ailleurs, l’objectif est ici d’isoler les mécanismes de raisonnement causal des biais relatifs aux limites cognitives (c.-à-d. attentionnelles et mnémoniques). Ainsi, contrairement aux études classiques d’apprentissage, toutes les informations présentées aux participants seront disponibles simultanément et sans contrainte temporelle.

D’autre part, la littérature issue des théories de raisonnement causal peut être divisée en deux champs majeurs, soit entre structure et force causale (p. ex. Griffiths & Tenenbaum, 2005; Johnson-Laird, 2006; Lagnado, Waldmann, Hagmayer & Sloman,

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3 2007). La structure causale d’une relation concerne son aspect qualitatif (c.-à-d. Quels sont les liens de causalité qui existent entre les variables?), alors que la force causale s’intéresse à l’aspect quantitatif d’une structure causale donnée (c.-à-d. À quel point – à chaque fois, une fois sur deux, etc. – la cause identifiée provoque-t-elle l’effet associé?). Dans les études de psychologie, la force causale attribuée par les participants est habituellement obtenue par le biais d’une échelle de Likert allant de 0 (aucun lien entre les deux variables) à 10 ou -10 (fortement associé : cause ou empêche). Le présent projet sera consacré à l’étude du raisonnement à propos de l’attribution d’une force causale à la plus simple des structures imaginables, soit celle permettant de relier une seule cause potentielle à un effet, problématique qui a reçu, et continue de recevoir, le plus d’attention dans la littérature de psychologie.

Tel que mentionné plus haut, l’association entre les variables (la contingence) a un rôle déterminant dans l’évaluation de la force causale. Toutefois, la littérature indique que plusieurs autres facteurs ont une influence sur ce type d’évaluation. Les prochaines pages passent en revue les principaux facteurs qui ont un effet sur l’évaluation de la force causale.

Facteurs influençant l’évaluation de la force causale Le delta p.

Parmi les nombreux facteurs qui influencent l’évaluation d’une force causale, le taux de contingence entre la cause et l’effet occupe une place centrale (Allan & Jenkins, 1983; Cheng, 1997; Fugelsang, Thompson, & Dunbar, 2006). L’évaluation objective de la contingence potentielle doit tenir compte des quatre conjonctions possibles impliquant la présence et l’absence de ces deux variables, tel qu’illustré dans le Tableau 1. Ces conjonctions, la présence conjointe de la cause et de l’effet (c et e), la présence de la cause jointe à l’absence de l’effet (c et ¬e), l’absence de la cause jointe à la présence de l’effet (¬c et e) et l’absence conjointe de la cause et de l’effet (¬c et ¬e), sont respectivement désignées par les lettres A, B, C et D. Depuis la parution de l’article d’Allan et Jenkins (1983), le delta p est la mesure normative de la contingence la plus populaire dans la littérature; il est basé sur l’équation suivante : delta p = A/(A+B) – C/(C+D). Cette équation constitue une soustraction entre deux ratios. La première partie (A/(A+B)) représente la

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4

Tableau 1.

Tableau de contingence 2 X 2 présentant les quatre conjonctions possibles entre cause et effet.

Cause

Effet

Présente (e) Absente

(¬e)

Présente (c) A B

Absente (¬c) C D

proportion de présence de l’effet quand la cause est présente, soit P(e|c), tandis que la deuxième (C/(C+D)) représente la proportion de présence de l’effet quand la cause est absente, soit P(e|¬c). Plusieurs travaux révèlent que le jugement des participants est corrélé avec le delta p (Allan & Jenkins, 1983; Cheng, 1997; Fugelsang, et al., 2006).

Au-delà du delta p.

La relation entre la contingence objective véhiculée par les observations et l’évaluation de la force causale n’est cependant pas linéaire et parfaite. Selon la littérature, plusieurs autres facteurs influencent le jugement des participants, tels que les croyances existantes ou suggérées, la contiguïté temporelle entre la cause et l’effet, la mémoire, l’importance inégale accordée aux conjonctions, le format de présentation des observations et la possibilité d’intervenir sur la cause potentielle. Les pages suivantes seront consacrées à un résumé de l’état actuel des connaissances relatives à ces facteurs.

Les connaissances a priori constituent un facteur exploré par de nombreuses études concernant le raisonnement causal. Ces connaissances peuvent être transmises

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5 expérimentalement, tel que le font Fugelsang, Stein, Green et Dunbar (2004), à l’aide d’énoncés particuliers soumis aux participants dès le début de l’expérience. C’est ainsi que, pour un même delta p, les résultats indiquent que, lorsqu’un mécanisme plausible est proposé aux participants, ils attribuent une force causale plus élevée aux observations que lorsqu’un mécanisme non plausible ou neutre leur est présenté. Ces résultats concordent avec ceux de plusieurs autres études (Catena, Maldonado, Perales, & Candido, 2008; Desrochers, Walsh, & Sacy, 2012; Fugelsang & Thompson, 2003; Garcia-Retamero, Muller, Catena, & Maldonado, 2009; Levin, Wasserman, & Kao, 1993; Perales, Catena, Maldonado, & Candido, 2007).

La contiguïté temporelle entre cause potentielle et effet a également une influence sur l’évaluation de la force causale. Pour un même delta p, les sujets ont tendance à juger une relation causale comme étant plus forte lorsque la contiguïté temporelle liant cause potentielle et effet augmente (Greville & Buehner, 2007; Shanks, Pearson, & Dickinson, 1989). L’incidence de ce facteur peut cependant être modulée par les croyances a priori ; l’influence d’une faible contiguïté temporelle sera moins grande lorsque les sujets s’attendent à ce que la cause potentielle produise un effet suite à un certain délai (Buehner & May, 2002, 2003).

La mémoire pourrait aussi avoir une influence sur l’évaluation d’une relation causale lorsque les informations indiquant la contingence des variables à l’étude sont présentées de façon sérielle (c.-à-d. une à la fois) et qu’elles ne sont plus disponibles au moment où le participant doit donner son évaluation de la force causale. Les résultats des études portant sur ce facteur divergent cependant de façon notable. Les études rapportent parfois un effet de primauté (Dennis & Anh, 2001), parfois un effet de récence (Lopez, Shanks, Almaraz, & Fernandez, 1998) et parfois aucun des deux (Katagiri, Kao, Simon, Castro, & Wasserman, 2007). L’influence de ce facteur demeure donc ambigüe, mais peut être écartée en présentant les informations par le biais d’une méthode qui ne fait pas appel à la mémoire, ce qui sera justement retenu dans la présente thèse.

De nombreuses études suggèrent également que les individus n’accordent pas la même importance à chacune des quatre conjonctions à considérer. En effet, il semble que les individus accordent plutôt une importance relative selon un ordre bien particulier, soit

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A > B > C > D (Anderson & Sheu, 1995; Kao & Wasserman, 1993; Katagiri, et al., 2007; Levin, et al., 1993; Mandel & Lehman, 1998; Wasserman, Dorner, & Kao, 1990; Wasserman, Kao, VanHamme, Katagiri, & Young, 1996). Cet ordre apparaît tant lorsqu’on demande explicitement aux sujets d’indiquer a priori l’importance qu’ils prévoient accorder à chaque conjonction (Crocker, 1982; Mandel & Lehman, 1998; Wasserman, et al., 1990) que lorsque, par diverses méthodes, on déduit l’importance qu’ils leur accordent au moment d’attribuer une force causale particulière (Mandel & Lehman, 1998; Wasserman, et al., 1990; White, 2003). Ce biais est dénommé dans la littérature comme le

Cell Weight Inequality (CWI). Klayman et Ha (1987) expliquent que le Positive test strategy (PTS) est en partie responsable du CWI. Le PTS est une tendance qu’ont les

individus à se fier aux informations où les variables d’intérêt sont présentes plutôt qu’absentes. Puisque dans la conjonction A les deux variables d’intérêt sont présentes (effet et cause), que dans les conjonctions B et C une seule des variables d’intérêt est présente (respectivement la cause et l’effet) et que dans la conjonction D aucune des variables d’intérêt n’est présente, ceci pourrait expliquer pourquoi A > B ≈ C > D. Mandel et Lehman (1998) suggèrent plutôt que cet ordre particulier révèle que les individus priorisent davantage les informations portant sur la suffisance d’une cause, par rapport aux informations portant sur sa nécessité. Dans le delta p, le caractère suffisant d’une cause provient de P(e|c), soit la proportion dans laquelle la cause suffit à entraîner l’effet, alors que son caractère nécessaire provient de P(e|¬c), soit la proportion dans laquelle la cause n’est pas nécessaire pour provoquer l’effet. Le ratio P(e|c) se verrait donc attribuer plus d’importance que P(e|¬c) par les individus. Puisque P(e|c) est calculé à partir des conjonctions A et B, et que P(e|¬c) est calculé à partir des conjonctions C et D, ceci pourrait expliquer pourquoi les participants accordent plus d’importance à A et B qu’à C et D (c.-à-d. A ≈ B > C ≈ D). Les suggestions combinées de Klayman et Ha et de Mandel et Lehman permettent donc d’expliquer l’ordre d’importance accordé aux conjonctions A > B > C > D.

Par ailleurs, la possibilité d’intervenir sur la cause potentielle semble aussi influencer les attributions causales des sujets. Ce facteur est principalement abordé dans les études portant sur la structure causale (Lagnado & Sloman, 2004; Lagnado & Sloman, 2006; Sloman & Lagnado, 2005). Dans le domaine de la force causale, une étude de Hattori

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7 et Oaksford (2007) révèle les premières données exploratoires sur ce facteur. Les participants de cette étude ont évalué le lien causal unissant un fertilisant et la floraison des plantes, par une tâche se déroulant à l’ordinateur. Un groupe de participants n’a fait qu’observer des informations concernant l’association entre le fertilisant et la floraison, alors que l’autre a pu choisir d’appliquer le fertilisant ou non à certaines plantes et a ensuite vu si la plante a fleuri ou non. Les résultats de leur Étude 1 indiquent que les participants qui ne font qu’observer des informations tendent à ignorer la conjonction D, alors que ceux qui agissent dans l’application de la cause ont tendance à en tenir davantage compte. Toutefois, ces données demeurent uniquement exploratoires, car elles sont uniquement descriptives, et aucun test statistique d’inférence ne soutient que les différences notées soient significatives. De plus, les observations que les participants ont évaluées n’étaient pas les mêmes dans les deux groupes, posant ainsi un important problème d’équivalence.

Enfin, les formats de présentation des informations à évaluer peuvent être divisés selon que ceux-ci font appel aux processus mnésiques ou non. Tel que mentionné plus haut, les formats de présentation qui sollicitent les processus mnésiques peuvent mener à des biais qui sont évités lorsque toutes les informations nécessaires sont disponibles au moment de l’évaluation. C’est pourquoi la présente introduction ne s’intéresse pas aux formats de présentation, plus rares dans le domaine, qui font appel aux processus mnésiques. Cependant, même lorsque des formats de présentation ne sollicitant pas la mémoire sont comparés, d’importantes différences dans l’évaluation de la force causale peuvent être notées. Tel que le soulignent Vallée-Tourangeau, Payton et Murphy (2008), peu d’importance est accordée aux formats de présentation dans la littérature portant sur la causalité. L’Étude 1 de la thèse vise donc à comparer les jugements causaux notamment avec différents formats de présentation. L’introduction de la première étude de la thèse (p.17) présente plus en détail les différents formats de présentation utilisés jusqu’à maintenant.

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Intégration des facteurs

Les modèles bayésiens.

Depuis un peu plus de dix ans, plusieurs modèles de raisonnement causal intègrent le théorème de Bayes, principalement pour prédire l’interaction entre les connaissances a

priori et les observations (Holyoak & Cheng, 2011). Ce théorème consiste en une équation

mathématique (Équation 1) permettant de calculer à quel point une hypothèse est probable

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suite à la prise en compte d’une certaine observation, soit P(h|d). Dans cette formule, h correspond à l’hypothèse et d à l’observation. Le numérateur consiste en la probabilité de l’observation en regard de l’hypothèse à l’étude, soit P(d|h), multipliée par la probabilité a

priori de cette hypothèse, soit P(h). Le dénominateur représente la somme de cette dernière

opération, effectuée pour chaque hypothèse pouvant être appliquée, incluant l’hypothèse à l’étude. Le théorème de Bayes peut être illustré par un exemple concret portant sur la santé d’un individu, inspiré de l’article de Tenenbaum, Kemp, Griffiths et Goodman (2011). Dans cet exemple, je vois Jean tousser (d) et j’émets trois hypothèses explicatives : Jean a un rhume (h1), Jean a des brûlures d’estomac (h2) et Jean a la tuberculose (h3). Le théorème

de Bayes peut expliquer pourquoi, de manière intuitive, h1 est l’hypothèse la plus probable.

La probabilité de cette observation en regard de l’hypothèse à l’étude, soit P(d|h), favorise

h1 et h3 plutôt que h2, car le rhume et la tuberculose sont plus susceptibles de causer la toux

que les brûlures d’estomac. Toutefois, la probabilité a priori, soit P(h), favorise h1 et h2

plutôt que h3 puisque, de manière générale, les rhumes et les brûlures d’estomac sont des

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9 l’hypothèse la plus probable, car elle est la seule favorisée tant par la probabilité de l’observation en regard de l’hypothèse, que par la probabilité a priori de l’hypothèse.

Griffiths et Tenenbaum sont les premiers à intégrer le théorème de Bayes à la recherche sur le raisonnement causal. En 2005, ces auteurs publient le modèle du support causal qui permet de déterminer à quel point il est probable qu’un lien causal existe entre des variables, et qui s’applique donc au domaine de la structure causale. La logique du théorème de Bayes y est utilisée pour évaluer la probabilité de deux hypothèses, soit la présence d’un lien de causalité entre les variables (h1) et l’absence d’un tel lien (h2).

Griffiths et Tenenbaum affirment que leur modèle s’applique également au domaine de la force causale car, selon eux, les individus ne font pas la différence entre les questions « À quel point le lien entre les variables est fort? » (portant sur la force causale et liée à la taille de l’effet) et « À quel point est-il probable qu’il existe un lien entre les variables? » (portant sur la structure causale et liée au test d’hypothèse). Cependant, Holyoak et Cheng (2011) soulignent que Griffiths et Tenenbaum appuient cette idée sur l’étude 1 d’un article de Buehner, Cheng et Clifford (2003) où la question invitant les participants à évaluer la force causale était ambigüe. Holyoak et Cheng expliquent que lorsque, dans l’étude 2 de ce même article de Buehner et de ses collaborateurs, une question de force causale moins ambigüe est utilisée, les résultats indiquent plutôt que les participants sont en mesure de faire la différence entre force et structure causale. Ces derniers résultats indiquent ainsi que le modèle de Griffiths et Tenenbaum, ne s’applique pas au domaine de la force causale. Par ailleurs, certains résultats mettent en cause la validité du modèle du support causal en tant que prédicteur de l’évaluation de la structure causale par les individus (Lu, Yuille, Lijeholm, Cheng, & Holyoak, 2008).

D’autre part, des modèles davantage liés au domaine de la force causale utilisent le théorème de Bayes pour expliquer l’interaction entre les connaissances a priori et les observations (Fernbach, Darlow, & Sloman, 2011; Griffiths, Sobel, Tenenbaum, & Gopnik, 2011; Griffiths & Tenenbaum, 2009). Par exemple, dans un article de 2009, Griffiths et Tenenbaum présentent un modèle nommé induction causale basée sur la théorie (traduction libre de theory-based causal induction). Ce modèle propose une manière systématique d’identifier les connaissances a priori qui peuvent influencer les inductions

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causales, de décrire ces connaissances avec précision et d’expliquer comment elles sont combinées avec des mécanismes rationnels d’inférence statistique. Griffiths et Tenenbaum y distinguent trois types d’observations : (1) les fréquences de cooccurrence entre une cause et un effet, (2) les interactions entre des objets physiques (p. ex. le système mécanique d’une machine) et (3) les patrons de coïncidence spatiale ou temporelle (p. ex. la collision entre deux objets). En ce qui concerne les connaissances, le modèle de l’induction causale basée sur la théorie en reconnait aussi trois types : (1) l’ontologie des entités, des propriétés et des relations qui organisent un domaine (p. ex. la masse, le volume ou le poids), (2) la plausibilité de relations causales spécifiques (p. ex. une lampe de poche est plus susceptible de créer de la lumière qu’un diapason) et (3) la forme fonctionnelle de ces relations. Ce dernier type de connaissance concerne les attentes par rapport à la nature préventive ou générative (c.-à-d. la cause produit l’effet) de la relation, à l’interaction ou l’indépendance de causes multiples et au type d’évènements à tenir en compte (binaires, continus ou fréquence d’occurrence). Ayant défini les types d’observations et de connaissances a priori, le modèle utilise le théorème de Bayes pour expliquer leur intégration.

Le théorème de Bayes, avec son explication de l’intégration de nouvelles observations à des connaissances préexistantes, a permis des avancées intéressantes dans le domaine du raisonnement causal. Cependant, les modèles qui découlent de ce théorème ne peuvent être appliqués à cette thèse, car l’objectif est ici d’étudier l’influence d’un seul facteur sur l’évaluation de la force causale en éliminant une potentielle contamination des résultats par l’influence d’autres facteurs, tel que les connaissances a priori. Pour ce faire, les tâches présentées aux participants font appel à des mises en situation contenant des variables fictives sur lesquelles le participant ne peut donc détenir aucune connaissance préalable. La contribution de la thèse ne peut donc pas s’inscrire dans le cadre des modèles bayésiens.

Le modèle de Perales et Catena.

Une des rares tentatives d’intégrer tous les facteurs étudiés indépendamment dans un seul modèle nous provient de Perales et Catena (2006). Ce modèle, présenté à la Figure

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11 1, vise à donner une vue d’ensemble de l’architecture du raisonnement causal, tant sur le plan de la structure que de la force, et contient trois grandes sections. Celle du milieu correspond aux représentations internes de l’individu, alors que celles du haut et du bas correspondent aux informations acquises dans l’environnement.

La section du haut représente les informations que les auteurs lient principalement à la structure causale (intervention, ordre et contiguïté, connaissances a priori) alors que celle du bas représente ce que les auteurs appellent la régularité statistique, soit les

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Figure 1. Architecture générale du raisonnement causal selon le modèle de Perales et

Catena (tiré de Perales & Catena, 2006), avec l’ajout théorique que la présente thèse vise à apporter. L’encadré au fond noir représente cet ajout.

Changement

-Format

-Nature des observations -Séquence temporelle Indices de structure causale (Entrée d’information) Représentation interne Régularité statistique

(Entrée d’information) Occurrences de conjonctions A, B, C, D Attentes conditionnées Représentation de fréquence d’occurrence des conjonctions

Estimation de contingence Réseaux causals

Croyances causales

Intervention Ordre et Contiguïté Connaissances a priori

Principes généraux d’induction causale Mécanismes causals

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conjonctions. Les trois facteurs de la section du haut (intervention, ordre et contiguïté, connaissances a priori) ont une influence directe sur la croyance causale, cette dernière se trouvant au sein d’un ensemble plus vaste de réseaux causals. Les connaissances a priori constituent le facteur le plus détaillé de cette section et détiennent un rôle plus complexe dans le modèle. Elles incluent deux composantes, soit les principes généraux d’induction causale de l’individu, et les mécanismes causals liant des catégories de variables (causes et effets). Ces connaissances concernant les mécanismes causals sont liées de façon bidirectionnelle aux croyances causales car, d’une part elles prennent leur origine dans les croyances causales et sont modifiées par l’accumulation de celles-ci, et d’autre part elles influencent la formation de nouvelles croyances causales. Pour illustrer cette relation bidirectionnelle, Perales et Catena donnent un exemple basé sur un baromètre et la pression atmosphérique. Dans un sens, la connaissance de mécanismes causals liant des catégories de variables permet que le changement d’affichage d’un baromètre ne soit pas interprété comme la cause de la fluctuation de la pression atmosphérique, puisque nous savons que des changements dans un petit appareil ne peuvent généralement pas causer des modifications climatiques majeures. Dans le deuxième sens, c’est à force d’acquérir des croyances causales qu’on en vient à avoir une connaissance des mécanismes nous portant ainsi à considérer qu’un petit appareil ne cause pas de changements climatiques majeurs. Les auteurs mentionnent que ce type de connaissance est représenté séparément des réseaux causals pour des raisons purement illustratives, car ils constituent en fait les mêmes propositions, mais à des niveaux d’abstraction différents.

Pour sa part, l’information provenant de la section du bas (les conjonctions), traverse plus d’étapes de représentation interne avant d’influencer les croyances causales. Elles sont d’abord traitées par les attentes conditionnées, pour ensuite devenir une représentation de la fréquence de chacune des conjonctions et finalement être converties en une estimation de contingence. Cette dernière conversion est influencée par les connaissances a priori qui permettent, lorsque le mécanisme causal est identifié comme étant déterministe (c.-à-d. la cause engendre ou prévient systématiquement l’effet), de considérer un nombre réduit de conjonctions pour donner l’estimation de contingence. Cette estimation de contingence, qui est aussi influencée par les attentes conditionnées, influence à son tour les croyances causales.

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13 Perales et Catena admettent que leur modèle n’est pas exhaustif et que certaines parties de celui-ci sont encore trop peu définies. Toutefois, leur modèle constitue une première tentative de positionner, les unes par rapport aux autres, les principales voies de recherches en raisonnement causal. Alors que les prochaines pages expliquent l’objectif de la présente thèse, son apport au modèle de Perales et Catena sera détaillé plus loin.

Objectifs de la thèse

En psychologie, la prise en compte des suggestions de la philosophie dans l’étude du raisonnement causal joue depuis longtemps un rôle important. Il est en effet facile de retracer les origines philosophiques de plusieurs des facteurs mis à l’épreuve en psychologie (White, 1990). Par exemple, le delta p est particulièrement relié avec les idées de David Hume (1739/1978) qui propose que la causalité ne soit qu’une idée élaborée à partir de la constatation répétée d’une association entre deux variables. Le rôle des croyances qui viennent encadrer l’interprétation du niveau de contingence constaté (delta p) peut facilement être relié aux suggestions d’Emmanuel Kant (1781/1997) qui considère que seules les contingences pouvant être expliquées par un mécanisme de transmission quelconque peuvent être élevées en relation de causalité. Le délai temporel est une autre caractéristique proposée par Hume lui-même. D’autre part, le mode d’acquisition des informations (observation ou intervention) comme variable influençant le jugement causal a d’abord été évoqué par Francis Bacon (1620/2004). En d’autres mots, les suggestions de la philosophie sont une source d’inspiration intéressante pour les chercheurs de psychologie étudiant le raisonnement causal (White, 1990).

Pour la présente thèse, ce sont les écrits philosophiques suggérant que l’idée de causalité n’émergerait qu’avec la possibilité d’observer un changement dans le cours normal des événements qui retiennent l’attention.

L’un des premiers philosophes à mentionner l’importance du changement est Curt John Ducasse (1924) qui propose que la cause d’un phénomène soit le changement dans les circonstances antécédentes qui est suffisant pour le produire. Collingwood (1940) souligne aussi l’importance du changement avec son point de vue relativiste, selon lequel la cause

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est déterminée en fonction du contexte de l’individu. Selon cet auteur, l’individu identifie comme cause la variable qu’il a le pouvoir de changer (c.-à-d. celle sur laquelle il peut intervenir pour la produire ou prévenir). Pour leur part, Hart et Honoré (1959) proposent qu’il existe deux façons d’identifier la cause d’un effet : (1) en retraçant la variable qui a dévié de la normalité (c.-à-d. de ce qui est attendu dans les circonstances) ou, (2) en retraçant une intervention humaine délibérée parmi les conditions nécessaires à l’occurrence de cet effet. En rapport avec la première, Gorovitz (1974) remplacera par la suite la comparaison au cours normal des événements à celle plus simple d’un groupe de référence. Cette notion de changement pour identifier un rapport de causalité est donc fondamentale chez plusieurs philosophes. Tel que résumé par White (1990), il faut identifier « une différence qui fait la différence ».

Ces écrits philosophiques indiquent qu’une relation causale peut être identifiée lorsqu’un changement de la cause (p. ex. passage d’absent à présent) est associé à un changement de l’effet (p. ex. passage d’absent à présent). Si, au contraire, le changement de la cause est associé à une absence de changement de l’effet, ceci indique plutôt que les deux phénomènes sont indépendants. En somme, une relation causale implique deux types de changements, soit celui de la cause et celui de l’effet. La présente thèse étudie de manière plus spécifique la mise en évidence du changement lié à la cause, car ce changement constitue la base même de l’indice normatif de force causale, le delta p. Tel que mentionné ci-dessus, le delta p compare le ratio contenant les informations liées à la présence de la cause (P(e|c)) au ratio contenant les informations liées à l’absence de la cause (P(e|¬c)). Cet indice exige donc, en premier lieu, une distinction entre présence et absence de la cause. L’étude du changement de la cause (passage de présente à absente ou

vice versa) est donc une première étape logique dans l’analyse du rôle du changement dans

le raisonnement causal. Dans le présent document, l’étude du changement réfère donc plus précisément au changement de la cause.

En présumant qu’un lien de causalité peut être identifié plus adéquatement lorsque le changement est mis en évidence, il est donc plausible que l’observation d’un changement de la cause améliore l’évaluation de la force causale. Il est également possible de croire que la mise en évidence du changement réduirait la différence d’importance accordée aux

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15 conjonctions. En effet, lorsque le changement est présenté d’une manière plus évidente pour le sujet, il est difficile qu’il ignore l’importance devant être accordée aux conjonctions dans lesquelles la cause est absente (C et D), puisqu’elles sont nécessaires pour constater le changement. Lorsqu’au contraire, les observations sont présentées d’une manière qui rend plus difficile l’appréciation du changement par le participant, les conjonctions C et D sont peut-être perçues comme des informations moins pertinentes. Une présentation des observations dans laquelle le changement est présenté d’une manière évidente devrait augmenter l’importance accordée aux conjonctions C et D, ou P(e|¬c), et ainsi réduire l’écart avec les conjonctions A et B, ou P(e|c).

La place de la mise en évidence du changement dans le modèle de Perales et Catena

La présente thèse vise à évaluer l’influence de la mise en évidence du changement dans les observations présentées, soit les conjonctions. Les manipulations sont donc effectuées à partir de la section inférieure du modèle de Perales et Catena. Tel qu’expliqué plus haut, cette thèse vise à isoler les mécanismes de raisonnement causal des biais relatifs aux limites cognitives. Dans les études qui suivent, toutes les informations présentées sont donc disponibles simultanément, sans contrainte temporelle et les participants peuvent compter et prendre en note la fréquence d’occurrence de chacune des conjonctions. Dans les circonstances, la représentation interne de la fréquence de chacune des conjonctions devrait être conforme à la réalité. La mise en évidence du changement ne pourrait donc pas avoir d’influence avant cette étape mais agirait plus tard, dans la façon dont la représentation de la fréquence des conjonctions est convertie en estimation de contingence. Ainsi, la présente thèse fait l’hypothèse que la mise en évidence du changement devrait favoriser une conversion de la représentation de la fréquence des conjonctions en une estimation de contingence qui soit cohérente avec le delta p. Il est également attendu que la mise en évidence du changement soit un facteur modérateur de la différence d’importance accordée aux conjonctions.

Les pages suivantes présentent les études 1 et 2 en détail (introduction, méthode, résultats et discussion), ainsi qu’une discussion générale. Les deux expérimentations de la thèse ont comme objectif d’évaluer l’influence de la prégnance du changement dans les

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observations à considérer par les participants. Dans l’Étude 1, l’influence de la prégnance du changement sur l’évaluation de la force causale est manipulée par le format de présentation ainsi que par la définition de la nature des observations. Dans l’Étude 2 la prégnance du changement sera manipulée par une séquence temporelle permettant ou non d’observer le changement du statut de la cause potentielle (présente ou absente).

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Chapitre 2 - Étude 1 :

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Chapitre 2 - Étude 1 :

Raisonnement causal : Comment faut-il présenter les observations?

Le mode de présentation des observations est ici utilisé comme terme englobant deux facteurs liés à la présentation des observations et visant à manipuler la prégnance du changement, soit le format de présentation et la nature des observations. Il est à noter que, jusqu’à présent, ces facteurs attirent peu d’attention dans le domaine du raisonnement causal.

Format de présentation

Vallée-Tourangeau, Payton et Murphy (2008) soulignent le peu d’importance accordée aux formats de présentation dans la littérature portant sur la causalité. Toujours selon ces auteurs, le fait d’ignorer le format de présentation revient à ignorer la phase initiale d’apprentissage durant laquelle le sujet transforme les observations présentées en une représentation interne, à partir de laquelle il évalue ensuite la contingence et la force causale.

Les résultats de trois études empiriques contemporaines (Hagmayer & Waldmann, 2002; Perales & Shanks, 2008; White, 2003), bien qu’elles ne visent pas directement la comparaison des formats de présentation, comportent des résultats intéressants. White (2003), par exemple, s’intéresse à la possibilité de réduire le Cell Weight Inequality (CWI), soit la tendance des individus à accorder une importance différente à chacune des quatre conjonctions, en portant attention à certains aspects méthodologiques (formulation de la question et format de présentation, étude 3). Dans cette étude 3, 38 sujets évaluent le lien causal entre un oligoélément et l’apparition de taches vertes sur la peau des poissons, pour 16 ensembles d’observations véhiculant les fréquences des quatre conjonctions (aussi appelés matrices). Pour ce faire, les chercheurs prennent bien soin de distinguer (pages séparées) le groupe contrôle (poissons nés dans un aquarium ne contenant pas l’oligoélément) contenant donc les occurrences des conjonctions C et D, du groupe expérimental (poissons nés dans un aquarium contenant l’oligoélément) contenant donc les occurrences des conjonctions A et B. Pour chacune des 16 matrices, les participants donnent leur évaluation de la force causale par une cote allant de -100 à 100; -100 signifiant

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19 que l’oligoélément cause une forte baisse dans l’occurrence de taches vertes sur les poissons de l’espèce, 0 signifiant que l’oligoélément n’a pas d’effet sur l’occurrence de taches vertes sur les poissons de l’espèce, et 100 signifiant que l’oligoélément cause une forte croissance dans l’occurrence de taches vertes sur les poissons de l’espèce. L’importance accordée à chaque conjonction est ensuite calculée à partir de la corrélation entre sa fréquence d’occurrence et la cote donnée par le participant à chaque matrice. Il semble que le format de présentation de cette étude 3 réduise le CWI puisque l’écart dans l’importance accordée aux conjonctions y est plus petit que dans toutes les autres conditions de l’article où on ne prend pas soin de diviser les observations en deux groupes distincts (contrôle et expérimental). Dans ces autres conditions, les occurrences de toutes les conjonctions sont présentées aléatoirement dans un seul tableau. Cependant, l’article de White comporte plusieurs lacunes au point de vue de la comparaison des formats de présentation. Tout d’abord, bien que le format de présentation simulant une méthode expérimentale amène une réduction du CWI, aucun test statistique d’inférence n’est effectué pour démontrer que cette différence est significative. Ensuite, les conditions de format de présentation ne sont pas comparables à bien des égards; les matrices à évaluer, la formulation de la question invitant le participant à évaluer la force causale ainsi que la mise en situation dans laquelle le sujet effectue les évaluations ne sont pas les mêmes dans ces différentes conditions. De plus, dans l’étude 3, un texte visant à expliquer la méthode expérimentale est présenté aux sujets avant qu’ils n’effectuent leurs évaluations. Ce texte met en évidence l’importance du groupe contrôle (conjonctions C et D) en expliquant qu’avant d’évaluer la force causale, il faut connaître la fréquence à laquelle les poissons ont des taches vertes quand l’oligoélément est absent, pour voir quelle différence est apportée par ce dernier. Il est possible que la réduction du CWI provienne de l’effet de ce texte et non pas du format de présentation.

Les données de Perales et Shanks (2008) comportent aussi des renseignements intéressants quant à l’influence des formats de présentation, bien que l’objectif principal de l’article est d’appuyer l’hypothèse selon laquelle les participants utilisent différemment les observations fournies, en fonction de la formulation de la question qui sollicite leur jugement causal. Dans les expériences 3a et 3b, Perales et Shanks demandent à 16 participants d’évaluer la contingence entre la fertilisation de plantes par un engrais et la

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floraison de celles-ci selon deux formats de présentation. Le premier format présente, dans un seul tableau, chaque occurrence de conjonction dans un ordre aléatoire. Le deuxième format présente les mêmes observations sur l’occurrence des conjonctions, mais dans deux tableaux : un premier présente quelles plantes ont fleuri ou non dans le groupe n’ayant pas reçu l’engrais (groupe contrôle avec les conjonctions C et D), et l’autre présente les résultats obtenus pour le groupe ayant reçu l’engrais (groupe expérimental avec les conjonctions A et B). Les résultats tendent à démontrer que ce deuxième format de présentation incite les participants à évaluer la contingence d’une manière qui tient davantage compte de P(e|¬c), réduisant ainsi la disparité entre l’importance accordée aux ratios P(e|c) et P(e|¬c) et permettant une évaluation qui concorde davantage avec le delta p. En d’autres mots, les participants semblent accorder une importance plus équivalente à l’ensemble des conjonctions lorsque les observations sont séparées en groupe expérimental et groupe contrôle. Cependant, les expériences 3a et 3b n’ont pas pour objectif de comparer le jugement causal en fonction du format de présentation, mais plutôt d’apporter une explication pour la différence entre les résultats des expériences 2a et 2b et ceux d’une étude antérieure. Perales et Shanks, ont donc fait une analyse révélant une interaction entre les observations présentées et le format de présentation, mais ne décortiquent pas cette interaction. Les conclusions à propos des formats de présentation pouvant être tirées de cette étude s’appuient donc uniquement sur l’observation des données descriptives. Encore une fois, les auteurs n’ont recours à aucun test statistique pour appuyer leurs conclusions.

L’étude de Vallée-Tourangeau, Payton et Murphy (2008), quant à elle, est expliquée au départ comme ayant pour objectif de comparer les formats de présentation. Ces chercheurs comparent le jugement des participants invités à évaluer le lien unissant des virus et des maladies chez des patients. Trois formats de présentation distincts sont utilisés. Dans le groupe 1, la fréquence d’occurrence de chaque conjonction est présentée par une phrase. Dans le groupe 2, l’occurrence de chaque conjonction est représentée par un visage schématique variant en fonction de la conjonction et placée dans une des quatre cases d’un tableau 2 X 2, chacune de ces cases contenant les occurrences d’une seule conjonction. Finalement, dans le groupe 3, les informations sont présentées en ayant recours à un nouveau format, soit un arbre de distribution. Au sommet de cet arbre, une cellule indique le nombre total de patients, soit la somme des occurrences de toutes les conjonctions. Cette

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21 cellule se divise ensuite en deux nouvelles cellules indiquant le nombre de patients ayant la maladie et le nombre de patients n’ayant pas la maladie (présence ou absence de l’effet). Chacune de ces dernières cellules se divise finalement en deux dernières cellules indiquant chacune le nombre de patients ayant le virus ou ne l’ayant pas (présence ou absence de la cause). Dans chaque format de présentation, les sujets évaluent les mêmes matrices d’une manière similaire à celle de White (2003). Les auteurs comparent ensuite les cotes de ces trois groupes expérimentaux. Les résultats indiquent que la cote du groupe 1 ne diffère pas selon que le delta p est de 0 ou 0.5, la cote du groupe 2 distingue ces deux niveaux de delta

p, mais seulement lorsque le niveau de P(e|c) est élevé, tandis que le groupe 3 distingue les

deux niveaux de delta p, peu importe le P(e|c). Selon Vallée-Tourangeau et ses collaborateurs, ces résultats indiquent que le format de présentation permettant la meilleure évaluation de la force causale est celui du groupe 3 (arbre de distribution). Les auteurs suggèrent aussi que ces résultats permettent de suggérer que le format de présentation influence l’importance accordée aux différentes conjonctions, puisque lorsqu’un groupe ne distingue pas deux niveaux de delta p pour le même niveau de P(e|c), c’est donc qu’il ignore les conjonctions associées à P(e|¬c). Toutefois, Valle-Tourangeau et al. se contentent de souligner que, selon le format de présentation, des différences significatives dans le jugement des participants sont observées à aucun, un ou deux niveaux de P(e|c), sans comparer directement les conditions de format de présentation entre elles. Cette lacune statistique est importante, car une analyse comparant directement les formats pourrait révéler que les différences ne sont pas significatives. Malgré cela, ces résultats, ainsi que ceux de White (2003) et Perales et Shanks (2008), permettent de penser que le regroupement de certaines conjonctions améliore le jugement causal.

Bref, aucune étude à ce jour n’a comparé systématiquement différents formats de présentation à l’intérieur d’un même plan expérimental. Les comparaisons se limitent toujours à vérifier plus ou moins intuitivement l’impact de ce facteur sur le raisonnement causal. Par ailleurs on ne sait jamais vraiment pourquoi un mode particulier de présentation des observations devrait améliorer le jugement causal des participants ou les inciter à considérer également toutes les informations (conjonctions) disponibles ; on se contente le plus souvent de faire appel à une présentation plus organisée des informations, moins confuse, qui devrait améliorer le jugement. Dans les études présentées ci-dessus (Perales &

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Shanks, 2008; Vallee-Tourangeau, et al., 2008; White, 2003), l’amélioration du jugement des participants, en regroupant entre elles certaines conjonctions s’explique peut-être par une mise en évidence du changement du statut de la cause et de ses effets. En effet, il est probable que la prégnance du changement soit accentuée par une séparation des occurrences de conjonctions en fonction du statut de la cause, permettant de mettre en évidence la différence entre présence et absence de la cause.

Nature des observations

La définition de la nature des observations fournies aux participants dans les études classiques de raisonnement causal indique généralement que chaque observation (occurrence de conjonction) représente une entité indépendante des autres (patient, plante, poisson, etc.). Une rare exception provient des expériences de Hagmayer et Waldmann (2002). L’étude 3 est particulièrement intéressante, car les observations présentées aux participants proviennent d’une même entité et ne sont donc pas indépendantes. Dans cette étude, les chercheurs demandent à 20 étudiants universitaires d’évaluer l’efficacité d’un traitement pharmacologique pour traiter une maladie tropicale rare. Ce traitement est administré à un seul patient, et 56 observations sont faites sur celui-ci, soit 28 lorsqu’il est en traitement et 28 lorsqu’il ne l’est pas. Un tableau indique le nombre de jours durant lesquels le patient était en bonne santé durant la période où il était sous l’influence du traitement, ainsi que cette même statistique, mais pour la période où il n’était pas sous l’influence du traitement. Les observations présentées ne proviennent donc pas de plusieurs patients dans un même temps de mesure, mais plutôt d’un seul patient sur plusieurs temps de mesure (jours). Ici encore, les participants ont recours aux fréquences des quatre conjonctions pour évaluer le lien causal et leurs évaluations concordent avec le delta p.

Cette définition de la nature des observations fournies apparaît particulièrement intéressante pour la problématique du changement. En effet, par définition, le changement est impossible à observer dans une situation statique (c.-à-d. sans variation). Il faut donc se fier sur des informations mettant en relation des situations où le statut de la présumée cause change. Dans l’optique d’une variable dichotomique ce statut peut être soit présence (conjonctions A et B) ou absence (conjonctions C et D). La mise en évidence de ce

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23 changement peut être effectuée de deux façons bien connues des scientifiques. La première, la méthode expérimentale, est généralement privilégiée en sciences et consiste à comparer un groupe contrôle (conjonctions C et D) avec un groupe expérimental (conjonctions A et B). La seconde, l’étude de cas, est moins prisée des scientifiques et consiste à comparer un sujet à lui-même, alors qu’il est sous l’influence de la cause potentielle (conjonctions A et B) ou non (conjonctions C et D). Bien que la plupart des articles introduisent le raisonnement causal en l’illustrant par des exemples qui concernent un individu aux prises avec le bien-fondé ou non d’une relation de causalité qu’ils ne peuvent éprouver que sur eux-mêmes, une seule étude contemporaine définit ses observations comme provenant d’une seule entité (Hagmayer & Waldman, 2002).

Tel que souligné par White (2003), les scientifiques ont les outils pour comprendre l’importance de chaque conjonction. Ils connaissent des concepts liés aux attributions causales, tels que la variable indépendante (cause potentielle), la variable dépendante (effet), le groupe expérimental (conjonctions A et B) et le groupe contrôle (conjonctions C et D). White affirme également qu’on ne peut pas prétendre que la population générale partage cette compréhension, mais que les individus auraient plutôt une compréhension de la causalité adaptée aux tâches d’inférence causale de la vie de tous les jours. Par ailleurs, il peut être ajouté à ceci que, les individus disposent généralement d’un seul sujet sur lequel ils peuvent manipuler les variables, soit eux-mêmes ou d’autres unités conceptuelles dont ils ne possèdent pas plus d’un exemplaire comparable (p. ex. voiture, réfrigérateur, chat, etc.). Dans la vie de tous les jours, ils n’auraient donc ni les connaissances, ni les ressources pour utiliser des concepts analogues à ceux utilisés par la méthode expérimentale. De plus, même dans des situations où la constitution d’un groupe expérimental et d’un groupe contrôle serait possible, cela n’est pas forcément pertinent dans la vie de tous les jours, puisque les individus cherchent rarement à établir des relations causales qui soient généralisables (ce qui constitue l’avantage principal de la méthode expérimentale). Prenons, par exemple, une situation où Pierre possède dix chats et cherche à savoir si une nourriture spéciale (cause) permet de les stimuler (effet). La méthode expérimentale lui permettrait de savoir que, dans le groupe expérimental (avec nourriture spéciale), trois chats sur cinq sont stimulés, alors que dans le groupe contrôle (avec nourriture ordinaire) deux sur cinq le sont. Cependant, une série d’études de cas lui permettraient de savoir quel chat est stimulé par la

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nourriture spéciale et quel chat ne l’est pas, ce qui est pour lui encore plus important. Alors qu’en science, les relations causales sont préférablement testées à partir de la méthode expérimentale, dans la vie de tous les jours, c’est probablement l’étude de cas qui est privilégiée. D’ailleurs, dans le domaine de la structure causale, une récente étude de Rottman et Keil (2012) indique que lorsqu’on présente une série d’observations à des individus, ceux-ci affichent une tendance naturelle à considérer qu’elles proviennent d’une seule entité. Les résultats de ces auteurs révèlent que cette tendance se manifeste même lorsque la mise en situation met l’accent sur la nature indépendante des observations. L’utilisation d’observations provenant d’une seule entité pourrait donc détenir une plus grande validité écologique. Des informations présentant le changement d’une manière plus familière aux individus devraient faciliter son observation par ceux-ci et donc le rendre plus prégnant.

La première expérience de cette thèse a pour objectif d’évaluer l’influence de la prégnance du changement en manipulant le format de présentation et la nature des observations. Le format de présentation sera soit « organisé », ce qui signifie que les conjonctions où la cause est présente (A et B) seront séparées de celles où la cause est absente (C et D), soit il sera « non-organisé », ce qui signifie que toutes les conjonctions seront présentées dans le même ensemble. En contrepartie, la nature des observations sera soit « indépendante », ce qui signifie que chaque conjonction représente une entité distincte, soit « répétée », ce qui signifie que les conjonctions représentent la même entité, mais observées à plusieurs reprises. Par un assemblage de ces deux variables dichotomiques, quatre groupes seront obtenus, soit les groupes « non-organisé/indépendant », « non-organisé/répété », « organisé/indépendant » et « organisé/répété » (le Tableau 2 résume l’organisation de ces quatre groupes). Ces modes de présentation seront comparés par rapport à leur influence sur la précision de l’évaluation de la force causale, sur l’importance accordée à P(e|c) et P(e|¬c), ainsi que sur la différence entre l’importance à P(e|c) et à P(e|¬c).

Figure

Figure 1. Architecture générale du raisonnement causal selon le modèle de Perales et  Catena (tiré de Perales & Catena, 2006), avec l’ajout théorique que la présente thèse vise à  apporter
Figure 2. Théorie heuristique-analytique d’Evans (2006).

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