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Les comportements d'insensibilité à l'âge scolaire

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Academic year: 2021

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Les comportements d’insensibilité à l’âge scolaire

Étiologie et précurseurs préscolaires

Thèse

Jeffrey Henry

Doctorat en psychologie

Philosophi

æ

doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

© Jeffrey Henry, 2017

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Les comportements d’insensibilité à l’âge scolaire

Étiologie et précurseurs préscolaires

Thèse

Jeffrey Henry

Sous la direction de :

Michel Boivin, directeur de recherche

Ginette Dionne, codirectrice de recherche

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RÉSUMÉ

Les comportements d’insensibilité (CI) chez l’enfant constituent un facteur déterminant dans le développement ultérieur des conduites antisociales et de la personnalité psychopathique. Les CI sont par ailleurs associés à un risque psychosocial propre. Les profils phénotypique, neurocognitif et étiologique particuliers associés aux CI en fait également un objet d’étude indépendant du trouble des conduites. Pour ces raisons, il est primordial de mieux comprendre le développement des CI au cours de l’enfance. L’examen de la documentation scientifique disponible révèle toutefois un certain nombre de questions non résolues à cet égard. Ainsi, l’objectif général de la thèse était de tirer parti des données d’un échantillon normatif de jumeaux (Étude des Jumeaux Nouveau-nés du Québec; ÉJNQ) et d’un devis longitudinal prospectif afin de documenter les patrons étiologiques et les précurseurs préscolaires des CI à l’âge scolaire. Dans un premier temps, l’étiologie génétique-environnementale du développement des CI entre le début de l’âge scolaire et la fin de l’enfance a été étudiée. Dans le cadre de l’ÉJNQ, les CI étaient rapportés par des enseignants. Ces mesures répétées ont été analysées par l'entremise d'un modèle de courbe de croissance latente et d'une décomposition de Cholesky. Des facteurs génétiques expliquaient les différences individuelles quant au niveau initial d’insensibilité, au début de l’âge scolaire. Des contributions génétiques au début de l’âge scolaire persistaient jusqu’à la fin de l’enfance. Toutefois, de nouvelles contributions génétiques étaient observables au milieu et à la fin de l’enfance. Des facteurs environnementaux ne contribuaient à aucune forme de stabilité des CI. Ces résultats soulignent le caractère dynamique des contributions génétiques et environnementales à l’origine du développement des CI. Dans un deuxième temps, les associations phénotypiques et étiologiques prospectives entre deux patrons de conduites parentales précoces (c.-à-d., hostilité réactive et chaleur-gratification) et les CI à l’âge scolaire ont été évaluées. Les conduites parentales étaient autorapportées. Les conduites chaleureuses/gratifiantes et hostiles réactives étaient toutes les deux associées aux CI. Après le contrôle statistique des niveaux préscolaires de conduites externalisées, seules les conduites chaleureuses/gratifiantes prédisaient les CI. L’association entre l’hostilité réactive et les CI était expliquée par une étiologie génétique commune. Cette association génétique devenait non significative après le contrôle statistique des conduites externalisées préscolaires. Ainsi, il semble que les composantes positives des conduites parentales soient particulièrement susceptibles d’avoir une contribution unique au développement des CI. Dans un troisième temps, le rôle modérateur des conduites parentales chaleureuses/gratifiantes préscolaires sur l’héritabilité (c.-à-d., contributions génétiques) des CI à l’âge scolaire a été évalué. Bien que les CI

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étaient hautement héritables, leur héritabilité était modérée par la chaleur-gratification parentale; l’héritabilité était plus élevée chez les enfants exposés à de faibles niveaux de chaleur-gratification, et elle était plus faible chez ceux exposés à des niveaux élevés de chaleur-gratification. En d’autres mots, l’exposition à des niveaux élevés de chaleur-gratification pourrait porter entrave à l’expression génétique associée au développement des CI. Les résultats novateurs de la thèse soulignent l’importance potentielle de la période préscolaire comme fenêtre de prévention et d’intervention précoce auprès d’individus présentant des niveaux élevés d’insensibilité. Plusieurs des résultats obtenus portent à croire que les facteurs de risque impliqués dans le développement des CI opèrent avant l’âge scolaire et ont une contribution durable à cet égard. Les facteurs de risque propres à l’enfant semblent avoir une contribution dominante, mais certains facteurs de l’environnement familial ont également une contribution propre, quoique cet apport soit possiblement limité au début de l’enfance. De surcroît, il semble que les contributions génétiques aux CI soient difficilement dissociables de l’environnement auquel l’enfant est exposé au cours de l’âge préscolaire (c.-à-d., interaction GxE). Finalement, il semble que les composantes positives de cet environnement précoce (p. ex., chaleur-gratification parentale) soient plus susceptibles d’être spécifiquement impliquées dans le développement des CI que ses composantes adverses (p. ex., hostilité réactive). Ainsi, les résultats de la thèse permettent une compréhension plus approfondie de la nature et de l’importance du rôle de l’environnement précoce dans l’émergence des CI chez l’enfant.

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ABSTRACT

Callous-unemotional (CU) behaviors in childhood are crucial in the developmental course of severe antisocial behavior and psychopathic personality. These behaviors also involve unique psychosocial risk, regardless of conduct problems levels, and are associated with a distinctive phenotypic, neurocognitive and aetiological profile. For all these reasons, studying the development of CU behaviors as a phenotype independent of conduct problems is warranted. There is, however, several unresolved questions in this regard. Hence, the general objective of the thesis was to take advantage of a normative twin sample (Quebec Newborn Twin Study; QNTS) and a longitudinal-prospective design to examine the aetiology and preschool precursors of school-age CU behaviors. First, the temporal pattern of the genetic and environmental aetiology of CU behaviors across primary school, from school entry to late childhood, was studied. In the QNTS, CU behaviors were reported by teachers. These reports were analyzed using a linear latent growth curve model and a Cholesky decomposition model. Genetic factors explained most of the variance in initial levels of CU behaviors. Genetic factors at school entry had enduring contributions to CU behaviors through late childhood. However, new genetic contributions appeared in middle and late childhood. Environmental factors were important at each age, but did not contribute to stability in CU behaviors. These results point to the dynamic nature of genetic expression and environmental contributions involved in the development of CU behaviors. Second, the phenotypic and genetic-environmental associations between parenting in preschool (warm/rewarding and hostile reactive) and CU behaviors at school age, over and above child preschool externalizing problems, were tested. Early parenting and externalizing problems were reported by the mother. Both hostile-reactive and warm/rewarding parenting were correlated with CU behaviors. After controlling for early externalizing problems, only warm/rewarding parenting predicted CU behaviors. The association between hostile-reactive parenting and CU behaviors was mostly explained by shared genetic aetiology. This genetic association was non-significant when externalizing problems were included as a control variable. These results suggest that positive, but not negative, aspects of early parenting contribute to CU behaviors through an environmental pathway. Third, the moderating role of early warm/rewarding parenting on the heritability of school-age CU behaviors was assessed. CU behaviors were highly heritable, the rest of their variance being accounted for by non-shared environmental factors. Warm/rewarding parenting significantly moderated the heritability of CU behaviors. Heritability was higher when children were exposed to low levels of warm/rewarding parenting, and lower when children received high warm/rewarding parenting. Exposure to high levels

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of warm/rewarding parenting may partly impede genetic expression associated with CU behaviors. Results from the thesis underline the preschool period as a window of opportunity for the prevention and treatment of CU behaviors. Indeed, several results indicate that child and environmental risk factors involved in the development of CU behaviors have not only early, but also enduring contributions. Child risk factors (e.g., genetic load) appear prominent in explaining individual differences in CU behaviors, but several environments – especially those within the family – also have unique contributions; these environments seem particularly important in early childhood. Over and above independent contributions from the child and the family, it appears that these two classes of factors reciprocally influence each other through complex gene-environment transactions. For instance, low levels of warm/rewarding parenting seemingly provide a favorable context for the expression of genetic risk for CU behaviors. Finally, results show that positive aspects of parental practices (e.g., warm/rewarding parenting) are more likely to have unique contributions to CU behaviors than their negative components (e.g., hostile reactive parenting). Therefore, the results from the thesis allow a more accurate and detailed understanding of the role of early environment in the development of CU behaviors.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

ABSTRACT ... v

TABLE DES MATIÈRES ... vii

LISTE DES TABLEAUX ... x

LISTE DES FIGURES ... xi

LISTE DES ABRÉVIATIONS ET DES SIGLES ... xii

REMERCIEMENTS ... xiv

AVANT-PROPOS ... xvii

CHAPITRE 1: INTRODUCTION ... 1

Les comportements d’insensibilité chez l’enfant ... 2

L’évolution des comportements d’insensibilité au cours de l’enfance ... 5

Émergence à l’âge préscolaire ... 5

Évolution au cours de l’enfance et de l’adolescence ... 6

Étiologie génétique et environnementale de la stabilité et du changement ... 7

Les facteurs développementaux des comportements d’insensibilité ... 10

Perspectives théoriques ... 10

Le développement de la conscience ... 10

Le développement de la conscience et le tempérament ... 11

Le développement de la conscience et les CI ... 11

Précurseurs développementaux... 12

Les objectifs de la thèse ... 21

CHAPITRE 2: A LONGITUDINAL TWIN STUDY OF CALLOUS-UNEMOTIONAL TRAITS DURING CHILDHOOD ... 24 Résumé ... 25 Abstract ... 26 Introduction ... 30 Methods ... 33 Participants ... 33

Measurement of callous-unemotional traits ... 33

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Results ... 35

Discussion ... 37

References ... 44

Other supplementary material ... 58

CHAPITRE 3: PHENOTYPIC AND GENETIC-ENVIRONMENTAL ASSOCIATIONS BETWEEN EARLY PARENTING AND CALLOUS-UNEMOTIONAL TRAITS IN PRIMARY SCHOOL ... 77

Résumé ... 78 Abstract ... 79 Introduction ... 80 Methods ... 85 Participants ... 85 Measures ... 85 Statistical Analysis ... 87 Results ... 88 Discussion ... 90 References ... 96

CHAPITRE 4: EARLY WARM/REWARDING PARENTING MODERATES THE GENETIC CONTRIBUTIONS TO CALLOUS-UNEMOTIONAL TRAITS IN CHILDHOOD ... 111

Résumé ... 112 Abstract ... 113 Introduction ... 116 Methods ... 118 Participants ... 118 Measures ... 118 Statistical analysis ... 119 Results ... 120 Discussion ... 122 References ... 127 CHAPITRE 5: CONCLUSION ... 136

Les avancées quant aux connaissances sur le développement des CI ... 137

Première étude ... 137

Deuxième étude ... 138

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Les implications de la thèse ... 140

L’importance de la période préscolaire ... 140

La nature du rôle de l’environnement ... 142

Conclusion ... 147

Les forces et les limites de la thèse ... 147

Les pistes de recherche futures ... 151

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LISTE DES TABLEAUX

Table 1.1. Descriptive Statistics for Callous-Unemotional Traits at 7, 9, 10 and 12 Years ... 51 Table 1.2. Intra-Class Correlations and Estimates of Genetic and Environmental Parameters for Full ACE Models of Callous-Unemotional Traits at 7, 9, 10 and 12 Years ... 52 Table 1.3. Test Statistics for the Latent Growth Curve and Cholesky Decomposition Models for Callous-Unemotional Traits at 7, 9, 10 and 12 Years ... 53 Table 1.4. Latent Growth Curve Model for Callous-Unemotional Traits at 7, 9, 10 and 12 Years ... 54 Table 1.5. Unstandardized Path Estimates for the Four-Factor Cholesky Decomposition Model for Callous-Unemotional Traits at 7, 9, 10 and 12 Years ... 55 Table 2.1. Descriptive Statistics for Hostile-Reactive Parenting, Warm/Rewarding Parenting, Externalizing Problems and Callous-Unemotional Traits ... 105 Table 2.2. Correlations Between Hostile-Reactive Parenting, Warm/Rewarding Parenting, Externalizing Problems and Callous-Unemotional Traits ... 106 Table 2.3. Standard Multiple Regression Models Predicting Callous-Unemotional Traits ... 107 Table 2.4. Univariate Twin Models of Callous-Unemotional Traits and Early Parenting Practices .. 108 Table 3.1. Descriptive Statistics for Warm/Rewarding Parenting and Callous-Unemotional Traits .. 132 Table 3.2. Monozygotic and Dizygotic Intraclass Correlations and Number of Participants, and Estimates of Heritability, Shared Environment, and Nonshared Environment for Callous-Unemotional Traits with 95% Confidence Intervals, from the Full Univariate Model ... 133 Table 3.3. Full and Nested Multivariate Genetic Models Parametrizing Gene-Environment Correlation and Gene-Environment Interaction Processes Linking Callous-Unemotional Traits and Warm/Rewarding Parenting ... 134

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LISTE DES FIGURES

Figure 1.1. Path Diagram of the Latent Growth Curve Model for Callous-Unemotional Traits at 7, 9, 10 and 12 years ... 56 Figure 2.1. Correlated Factors Bivariate Genetic Models Showing the Associations Between Callous-Unemotional Traits and Hostile-Reacting Parenting and Warm/Rewarding Parenting ... 109 Figure 3.1. Moderation Effect of Warm/Rewarding Parenting on the Heritability of Callous-Unemotional Traits ... 135

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LISTE DES ABRÉVIATIONS ET DES SIGLES

5HTTLPR Gène transporteur de la sérotonine/serotonin-transporter polymorphic region α Coefficient de cohérence interne

A Héritabilité/heritability a Main genetic effect (beta) AIC Akaike’s Information Criterion APA American Psychiatric Association APSD Antisocial Process Screening Device B Unstandardized path estimate (beta) β Standardized path estimate (beta)

b Main effect of the moderator on the phenotype of interest (beta) BIC Bayesian Information Criterion

C Environnement partagé/shared environment CA Conduites antisociales

CFA Confirmatory factor analysis CFI Comparative Fit Index

CI Comportements d’insensibilité CI (1) Confidence intervals

CU Callous-unemotional DZ Dizygote/dizygotic

DSM-5 Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders E Environnement non partagé/non-shared environment EXT Externalizing problems

FDNC Facteur neurotrophique dérivé du cerveau FIML Full Information Maximum Likelihood

GxE Interaction gène-environnement/gene-environment interaction HRP Hostile-reactive parenting

I Intercept

ICC Intraclass correlation

ICU Inventory of Callous-Unemotional Traits LL Log-likelihood

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M Mean

ma Moderation of genetic effects by a measured environment (beta) MAOA Monoamine-oxydase A

MZ Monozygote/monozygotic

N Taille échantillonnale/sample size

p p-value

PACOTIS Parental Cognitions and Conduct Toward the Infant Scale QNTS Quebec Newborn Twin Study

r Corrélation de Pearson ra Genetic correlation

rc Shared environmental correlation re Non-shared environmental correlation

rGE Corrélation gène-environnement/gene-environment correlation RMSEA Root Mean Square Error of Approximation

S Slope

SD Standard deviation SE Standard error

SPSS Statistical Package for the Social Sciences SRMR Standardized Root Mean Square Residual

t T-test

WRP Warm/rewarding parenting χ2 Chi square

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REMERCIEMENTS

« Nous sommes comme des nains juchés sur des épaules de géants, de telle sorte que nous puissions voir plus de choses et de plus éloignées que n’en voyaient ces derniers. Et cela, non point parce que notre vue serait puissante ou notre taille avantageuse, mais parce que nous sommes portés et exhaussés par la haute stature des géants. »

Jean Salisbury, paraphrasant son maître Bernard de Chartres Livre III du Metalogicon (1159)

Me voilà au terme de mon parcours doctoral, et je perçois en mes sentiments un curieux paradoxe. Les anges miséricordieux de ma nature m’insufflent satisfaction, fierté et une certaine forme de défiance face à l’existence. Une autre voix me souffle toutefois à l’oreille cette impression d’imposture qui m’a si souvent tenaillé. Ce sentiment m’a suivi dans tout ce que j’entreprenais, mais m’a aussi offert le privilège d’une vitalité dans laquelle s’enracinent tous les grands combats. Il me rappelle également ces géants qui, par leur mentorat ou leur soutien au cours des six dernières années, m’ont permis de me poser sur leurs épaules. Grâce à eux, j’ai eu la force que je ne croyais pas avoir. Grâce à eux, mes faiblesses n’ont pas causé ma perte. Grâce à eux, je parais plus grand que je ne le suis.

Mon directeur de recherche, Dr Michel Boivin, a été pour moi un grand mentor. Mon orgueil ne m’a jamais empêché d’admirer son intelligence, son expertise et sa patience, qui sont exceptionnelles. J’aimerais le remercier de m’avoir offert l’opportunité d’apprendre auprès de lui, ainsi que pour l’accès à une formation du plus haut calibre. J’aimerais aussi lui exprimer toute ma gratitude pour l’habileté avec laquelle il a su, dans les moments décisifs, comprendre et calmer mes anxiétés. Dans la tempête qu’a parfois été mon parcours doctoral, un homme connaissait le chemin vers la terre ferme; c’était lui. Lorsque j’étais étudiant de 1er cycle à la recherche de contrats d’assistanat de recherche, un professeur

m’avait dit que la recherche « est un milieu difficile, où avoir la confiance des autres prend beaucoup de temps ». Travailler avec ma codirectrice, Dre Ginette Dionne, a tôt fait de me débarrasser de cette idée reçue. Mme Dionne m’a offert toute sa confiance dès mon arrivée au laboratoire, insistant maintes fois pour que je cesse de douter de moi-même. Elle m’a également offert toute sa bienveillance et son écoute lorsque j’en avais besoin, ce qui a été crucial au cours de la dernière année. Je ne l’oublierai jamais.

Je ne pourrais me permettre de passer sous silence le rôle qu’ont eu les autres membres de mon comité de thèse dans le bon déroulement de mon parcours. Au Dr George Tarabulsy, je tiens à exprimer mon admiration pour ses discours passionnants sur la recherche empirique, et ma reconnaissance pour la ténacité avec laquelle il a cherché à m’exposer son point de vue sur mon travail. Je le remercie également pour la complicité qu’il a accepté de partager avec moi, et ce, dès mon entrée au doctorat; il m’a fait sentir comme si mon avis comptait, comme si je faisais partie du «

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groupe ». Au Dr Louis Diguer, je transmets mes remerciements pour ses apports judicieux et cliniquement informés à ma thèse. Je tiens finalement à remercier Dre Célia Matte-Gagné, qui a intégré mon jury de thèse au moment du dépôt initial et m’a offert des perles de perspicacité dans la lecture de mon projet. Une pensée doit également aller à Dre Jenae Neiderhiser, qui m'a fait l'honneur d'être l'évaluatrice externe de ma thèse.

De nombreux individus ont injecté leur expertise dans mon projet. D’abord, je dois à Nadine Forget-Dubois une fière chandelle pour sa disponibilité et l’étendue de ses connaissances, dont elle m’a maintes faites fois profiter. Je la remercie également pour le modèle de rigueur, de polyvalence et de bon sens qu’elle m’a offert, et qu’elle continue de donner à tous les étudiants du laboratoire. Je tiens également à remercier Bei Feng et Hélène Paradis, statisticiennes, auprès de qui je ne cesse jamais d’apprendre. Une grande partie de la valeur scientifique de la thèse est tributaire de leur savoir. Je m’en voudrais d’omettre Marie-Noëlle St-Pierre, qui est tant de fois venue au secours de l’incompétent technologique que je suis, taisant constamment l’importance de son rôle. Je veux finalement souligner le rôle de deux collaboratrices – les Dres Essi Viding (auprès de qui j’ai accompli un stage de recherche à l’hiver 2014) et Amélie Petitclerc – dont la science a marqué de façon indélébile mon projet doctoral. J’aimerais remercier les familles qui ont accepté de participer à l’Étude des Jumeaux Nouveau-nés du Québec (ÉJNQ), ainsi que le Groupe de Recherche sur l’Inadaptation Psychosociale de l’enfant (GRIP), qui mène cette étude depuis plus de vingt ans. Je tiens également à souligner la contribution financière des organismes subventionnaires dont les bourses m’ont permis de me consacrer entièrement à mes études (Fonds de Recherche du Québec – Société et Culture, Instituts de Recherche sur la Santé du Canada).

J’ai également d’affectueuses pensées pour Gabrielle Garon-Carrier, qui était parfois la seule à comprendre mon chemin. Nous avons partagé des moments intenses de doute, de désespoir et de joie. Je remercie Gabrielle non seulement d’avoir été la meilleure collègue qu’on souhaiterait avoir, mais également de m’avoir offert son amitié. Dans cet ordre d’idée, je tiens à remercier Catherine Mimeau et Vickie Plourde d’avoir fait, avec Gabrielle et moi, du local FAS-1216 un havre apaisant où il faisait bon d’être autre chose qu’un chercheur.

C’est avec grande émotion que je pense à mes amis, particulièrement Marko Biberdzic, Simon L. Chrétien, Frédérick Martel, Hugues Vaillancourt et Michaël Fortier, et mon frère Steeve Henry. Un travail aussi long et laborieux qu’un doctorat comporte son lot de chimères, la solitude étant la plus fulgurante d’entre elles. Il devient facile, au fil des heures que l'on passe le nez dans les livres, de se convaincre que personne ne peut réellement nous comprendre, que notre travail n’est important pour personne, si ce n’est pour soi-même. Il semble ainsi permis de se demander pourquoi l’on s’impose tant de souffrance si personne ne nous voit. Le chemin de la connaissance est fécond, mais quand on s’y laisse trop aller, il peut nous faire perdre de vue ce que l’on a toujours su. La vérité qui m’apparait percutante au moment d’écrire ces lignes est que mes amis m’ont tenus la main, m’ont porté sur leurs épaules et m’ont pris dans leurs bras quand je ne savais plus comment continuer. J’aimerais qu’ils

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comprennent à quel point je me suis appuyé sur eux pendant toutes ces années, même si ma retenue m’a parfois empêchée de l’exprimer. Je ne suis pas seul, je ne l’ai jamais été et je ne le serai jamais. Je termine ce parcours doctoral en pensant très souvent au rôle qu’ont eu mes parents – Jean-Marie Henry et Marie-Hélène Thibault – dans mon éducation, et à la manière dont les enseignements que j’en ai retirés m’ont amené jusqu’au bout de ce défi. Il me semble clair que je leur dois tant. Moi, un enfant de nature contemplative, j’ai appris auprès d’eux la valeur du travail – la valeur des efforts en eux-mêmes, mais également celle des heureux résultats qui peuvent en découler. Cette leçon a défini ma vie; elle m’a donné le goût des défis, et la force de les affronter. Si mes parents ont tenu ferme à me pousser à la réussite, je ne pourrai jamais oublier la tendresse dans chacun de leurs gestes. Que ce document soit un legs de l’amour que j’ai reçu d’eux.

En dernier lieu, je tiens à rendre hommage à Valérie Thibault, avec qui je partage ma vie depuis huit ans. Elle a connu chacune de mes angoisses, a ressenti chaque parcelle de mes désespoirs, a célébré avec moi toutes mes petites victoires et pleuré mes échecs. La raison pour laquelle je lui suis reconnaissant n’a toutefois rien à voir avec ma thèse doctorale, et tout à voir avec la vie en marge de celle-ci. Comment ne pas voir que chaque jour, elle sait me reconnecter avec ce qu’il y a de mieux en moi? Puis-je oublier sa capacité unique à me faire entrevoir le beau de la vie? Valérie me surprend, m’élève quand je crois tout comprendre. Je tiens à partager et à goûter avec elle les fruits que notre travail a semés. Je n’ai pas toujours été le partenaire le plus agréable, mais je ne peux qu’être reconnaissant, et admiratif. Merci, Valérie, je t’aime.

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AVANT-PROPOS

Les Chapitres 2, 3 et 4 de cette thèse sont des articles soumis (Chapitres 2 et 3) ou en préparation à être soumis (Chapitre 4) à des revues scientifiques. Le Chapitre 2 a été soumis à la revue Journal of Abnormal Psychology. Le Chapitre 3 a été soumis à la revue Journal of Child Psychology and Psychiatry. Des invitations à resoumettre ont été obtenues dans les deux cas. Les auteurs du deuxième chapitre sont, dans l’ordre, Jeffrey Henry, Ginette Dionne, Essi Viding, Amélie Petitclerc, Bei Feng, Frank Vitaro, Mara Brendgen, Richard E. Tremblay et Michel Boivin. Les auteurs des troisième et quatrième chapitres sont, dans l’ordre, Jeffrey Henry, Ginette Dionne, Frank Vitaro, Mara Brendgen, Richard E. Tremblay et Michel Boivin. Les auteurs Henry et Dionne sont affiliés à l’Université Laval. L’auteure Viding est affiliée à la University College London. L’auteure Petitclerc est affiliée à la Northwestern University. L’auteur Boivin est affilié à l’Université Laval et à la Tomsk State University. L’auteur Vitaro est affilié à l’Université de Montréal. L’auteure Brendgen est affiliée à l’Université du Québec à Montréal. L’auteur Tremblay est affilié à la University College Dublin et à l’Université de Montréal. En tant qu’auteur principal de ces trois articles, c’est moi qui ai fait la revue de la documentation pertinente, développé la majorité des idées, effectué les analyses statistiques avec le soutien de statisticiennes, et rédigé les documents sous la supervision de mon directeur et de ma codirectrice de thèse.

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CHAPITRE 1 INTRODUCTION

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Les comportements d’insensibilité chez l’enfant

Le trouble des conduites chez l’enfant, une combinaison de comportements agressifs et antisociaux violant les droits d’autrui ou les normes sociales, comporte d’énormes coûts pour l’individu et la société. Ces conduites sont fortement liées à la perpétration d’actes criminels graves (Frick, Stickle, Dandreaux, Farrell & Kimonis, 2005) et à une variété de problèmes sociaux, émotionnels et académiques (voir Kimonis & Frick, 2011) qui persistent à l’adolescence (Kim-Cohen et al., 2009) et jusqu’à l’âge adulte (Odgers et al., 2007, 2008). L’étude des causes et des trajectoires de développement du trouble des conduites a démontré qu’il existait une importante variabilité dans la manifestation comportementale, les corrélats biologiques, cognitifs et affectifs, le risque développemental et la réponse au traitement associés à ces conduites (Frick, 2012); ceci porte à croire qu’il existe plusieurs sous-types et voies étiologiques au développement du trouble des conduites (Frick & Viding, 2009).

Cette hypothèse a propulsé la conception de méthodes permettant de différencier les enfants présentant des troubles des conduites afin de former des sous-groupes utiles sur les plans clinique et fondamental. Ces méthodes sont variées – s’appuyant sur des critères relatifs à la présentation comportementale du trouble des conduites (p. ex., prédominance ou non de l’agression physique; Tackett, Krueger, Iacono & McGue, 2005), à sa sévérité (p. ex., nombre de symptômes; Dodge & Pettit, 2003; Lahey & Loeber, 1994) et son âge d’apparition (p. ex., enfance vs adolescence; Moffitt et al., 2008), ainsi qu’à la présence de troubles comorbides (p. ex., trouble de déficit attentionnel avec/sans hyperactivité; Lynam, 1996; Waschbusch, 2002) – et parfois limitées dans leurs degrés d’efficacité (Frick & Marsee, 2006).

Au cours des dernières décennies, une nouvelle approche a été développée, s’inspirant essentiellement de la recherche sur la psychopathie (ou personnalité psychopathique), observée à des degrés variables chez les adultes présentant des conduites antisociales – la manifestation adulte du trouble des conduites (Skeem, Polaschek, Patrick & Lilienfeld, 2011). Cette approche ne consiste pas à caractériser les conduites antisociales, mais plutôt à porter attention aux caractéristiques affectives (c.-à-d., absence d’empathie et de culpabilité) et interpersonnelles (c.-à-d., égocentrisme, manipulation) spécifiques à la psychopathie (Cleckley, 1976; Hare, 2003; Lykken, 1957). Ces dimensions sont distinctes d’une composante impulsive/antisociale (c.-à-d., agressivité, style de vie « antisocial » [non-conformisme, vandalisme, abus de substances, etc.]) qui représente l’essentiel du

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diagnostic de trouble de la personnalité antisociale (APA, 2013). Chez l’adulte, la psychopathie caractérise des conduites antisociales sévères et violentes (Leistico, Salekin, DeCoster & Rogers, 2008), aussi associées à un profil cognitif affectif particulier (Blair, Mitchell & Blair, 2005; Patrick, 2007). Des études rétrospectives ont également montré que des adultes avec niveaux élevés de psychopathie ont souvent suivi des trajectoires de trouble des conduites sévère au cours de l’enfance (p. ex., Hare, Forth & Strachan, 1992). Ainsi, de nombreux chercheurs ont réfléchi à la manière dont le construit de psychopathologie peut être adapté aux enfants et aux adolescents. Après quelques tentatives infructueuses (McCord & McCord, 1964; Quay, 1964), c'est le construit d’insensibilité (CI; callous-unemotional behaviors), renvoyant à la dimension dite affective de la psychopathie (Cleckley, 1976), qui a permis d’atteindre cet objectif. L’insensibilité se définit par trois dimensions : l’absence d’empathie, l’absence de remords et l’expression superficielle des émotions (Frick, 2003; Hare, 2003). L’insensibilité a été conceptualisée comme étant multidimensionnelle (Frick, 2003; Hare, 2003), mais un consensus grandissant suggère que le construit est le mieux représenté par une dimension générale qui regroupe tous les comportements indicatifs d’insensibilité (p. ex., Henry, Pingault, Boivin, Rijsdijk & Viding, 2016).

Le trouble des conduites chez l’enfant s’accompagne à des degrés divers des CI (Frick, Cornell, Barry, Bodin & Dane, 2003a). Dans la population des enfants ayant un trouble des conduites, les CI caractérisent un sous-groupe présentant des conduites particulièrement sévères, persistantes et agressives (Christian, Frick, Hill, Tyler & Frazer, 1997; Fontaine, McCrory, Boivin, Moffitt & Viding, 2011; Frick et al., 2003a, 2003b; Frick, Stickle, Dandreaux, Farrell & Kimonis, 2005; Frick & Dickens, 2006; Frick & Viding, 2009; Vincent, Vitacco, Grisso & Corrado, 2003). Les CI ne constituent toutefois pas un phénomène limité aux populations « à risque », puisque les résultats ci-dessus ont été observés tant auprès d’échantillons populationnels que de groupes cliniques ou incarcérés (p. ex., Frick et al., 2003a, 2003b; Kruh, Frick & Clements, 2005). Au-delà du niveau ou de l’âge d’apparition du trouble des conduites, les niveaux d'insensibilité au cours de l’enfance prédisent plusieurs problèmes à l’âge adulte : conduites antisociales (McMahon, Witkiewitz & Kotler, 2010), psychopathie (Burke, Loeber & Lahey, 2007; Hawes, Byrd, Waller, Lynam & Pardini, 2016), perpétration d’actes criminels (Byrd, Loeber & Pardini, 2012). Certaines données suggèrent par ailleurs qu’une combinaison de niveaux élevés de trouble des conduites et d’insensibilité constitue un meilleur prédicteur des conduites antisociales ultérieures qu’un niveau élevé de trouble des conduites seul (Kahn et al., 2012; McMahon et al., 2010; Rowe et al., 2010; Pardini, Stepp, Hipwell, Southamer-Loeber & Loeber, 2012). Même en

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l’absence de conduites antisociales, les CI confèrent un risque unique d’inadaptation psychosociale (Burke, Waldman & Lahey, 2010; Herpers, Klip, Rommelse, Greven & Buitelaar, 2016; Moran, Ford, Butler & Goodman, 2008). En somme, les données disponibles indiquent que les CI jouent un rôle unique dans le développement ultérieur des conduites antisociales et de la psychopathie; leur contribution semble importante tant dans la population générale que chez des populations dites « à risque » (Frick, Ray, Thornton & Kahn, 2014).

Les CI se distinguent également du trouble des conduites sur les plans étiologique et neurocognitif. D’une part, les sources de variation génétiques propres aux CI et celles associées au trouble des conduites sont en partie indépendantes (voir Viding & McCrory, 2012). D’autre part, les contributions génétiques au trouble des conduites sont plus importantes lorsque ce trouble s’accompagne de niveaux élevés d’insensibilité, et ce indépendamment de l’âge d’apparition et de la sévérité des conduites antisociales, de même que de la possible présence comorbide d’un trouble de déficit attentionnel avec hyperactivité (Viding et al., 2005; Viding, Jones, Frick & Moffitt, 2008). De plus, des associations spécifiques ont été obtenues entre les CI et une série de marqueurs génomiques (p. ex., cathecol-o-methyltransférase; Fowler et al., 2009), physiologiques (p. ex., hyporéactivité cardiaque aux stimuli affectifs; Anastassiou-Hadjicharalambous & Warren, 2008; de Wied, van Boxtel, Matthys & Meeus, 2012), cérébraux (p. ex., hyporéactivité de l’amygdale aux stimuli affectifs; Lockwood et al., 2013; Sebastian et al., 2014), cognitifs (p. ex., style de réponse orienté vers la récompense; Fisher & Blair, 1998; Pardini, Lochman & Frick, 2003; difficulté à distinguer les transgressions morales et conventionnelles; Blair, 1997; Blair, Monson & Frederickson, 2001), affectifs (p. ex., déficit d’empathie affective; Dadds, Cauchi, Wimalaweera, Hawes & Brennan, 2012; Dadds et al., 2009; Jones, Happé, Gilbert, Burnett & Viding, 2010; traitement sous-optimal des signaux à teneur affective; Blair & Viding, 2008; Marsh & Blair, 2008; Munoz, 2009) et environnementaux (p. ex., chaleur-gratification parentale; Kroneman, Hipwell, Loeber, Koot & Pardini, 2011; Pasalich et al., 2012). Les associations observées se sont généralement maintenues lorsque le trouble des conduites était pris en compte.

En somme, les caractéristiques affectives centrales de la psychopathie peuvent être détectées dès l’enfance et marquent un risque génétique, neurocognitif et psychosocial indépendant de celui qu’implique le trouble des conduites, et ce, tant dans la population générale que chez les groupes cliniques. C’est pour cette raison qu’un spécificateur relatif aux CI (Émotions prosociales limitées) a été ajouté au diagnostic de trouble des conduites dans le DSM 5 (APA, 2013). L’émergence précoce

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des CI (Kimonis et al., 2016), leur association étroite avec des conduites antisociales persistantes et leurs particularités étiologiques et neurocognitives soulignent l’importance d’en étudier l’émergence au cours de l’enfance, notamment en documentant leur évolution et leurs mécanismes développementaux.

L’évolution des comportements d’insensibilité au cours de l’enfance

Émergence à l’âge préscolaire. Le rôle développemental des CI dans la persistance des conduites

antisociales et dans la psychopathie a essentiellement été démontré à l’âge scolaire (voir Frick et al., 2014; McMahon et al., 2010). Néanmoins, un volume croissant d’études suggère que les premiers signes d’insensibilité émergent au cours des premières années de vie. Les démonstrations initiales à cet égard se sont appuyées sur des évaluations parcellaires des CI fondées sur un nombre limité d’items. Les scores dérivés de ces évaluations se sont avérés stables entre trois et cinq ans (Willoughby, Waschbusch, Moore & Propper, 2011) et liés à des corrélats reconnus des CI : agressivité proactive (Kimonis, Frick, Fazekas & Loney, 2006), tempérament téméraire (Willoughby et al., 2011), faibles niveaux de détresse (negative affectivity; Willoughby et al., 2011), faible réactivité cardiaque au stress (Willoughby et al., 2011).

La seconde vague d’études s’est appuyée sur le Inventory of Callous-Unemotional Behaviors (ICU; Frick, 2003), un questionnaire en 24 items ayant permis l’identification de trois dimensions spécifiques d’insensibilité chez les enfants d’âge scolaire : callousness, uncaring et unemotionality (p. ex., Essau et al., 2006; Kimonis et al., 2008). Cette structure phénotypique a été reproduite à des degrés variés d’exactitude auprès d’enfants âgés de trois à sept ans (Ezpeleta et al., 2013; Kimonis et al., 2016; Willoughby et al., 2015). L’échelle globale et les sous-échelles de l’ICU présentaient des niveaux acceptables de cohérence interne à cinq ans (Kimonis et al., 2016) et des niveaux modérés de stabilité entre trois et quatre ans (Ezpeleta et al., 2013). Les scores et sous-scores associés aux dimensions de l’ICU étaient généralement corrélés au trouble des conduites, à l’agressivité physique et verbale, à de faibles niveaux d’empathie, ainsi qu’à un déficit de décodage des expressions faciales (Ezpeleta et al., 2013; Kimonis et al., 2016; Willoughby et al., 2015). Le sous-score callousness à trois ou quatre ans prédisait le trouble des conduites un an plus tard (Ezpeleta et al., 2013). Finalement, une étude récente a démontré que des trajectoires stables d’insensibilité pouvaient être établies entre les âges de trois et cinq ans (Klingzell et al., 2016).

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Dans leur ensemble, les études disponibles suggèrent que les CI émergent en tant que construit modérément stable dès l’âge de trois ans (Ezpeleta et al., 2013) et que ce construit peut être évalué de manière valide et fiable à cinq ans (Kimonis et al., 2016). Les CI semblent présenter, dès trois ans, une structure phénotypique comparable à celle observée chez les enfants d’âge scolaire, les adolescents, ainsi que les jeunes adultes (Ezpeleta et al., 2013). Finalement, les CI marquent un risque psychosocial précoce, comme en témoignent les liens robustes qu’ils entretiennent avec le trouble des conduites et diverses formes d’agressivité à l’âge préscolaire (pour une méta-analyse, voir Longman, Hawes & Kohlhoff, 2016).

Évolution au cours de l’enfance et de l’adolescence. Il existe maintenant plusieurs études

démontrant une stabilité modérée (.30–.40) à élevée (≥ .80) des CI au cours de l’enfance (âge préscolaire : Dadds, Fraser, Frost & Hawes, 2005; Ezpeleta, Granero, de la Osa & Domènech, 2016; Hawes & Dadds, 2007; Waller et al., 2012; Willoughby et al., 2011; âge scolaire : Barker & Salekin, 2012; Barry, Barry, Deming & Lochman, 2008; Pardini, Lochman & Powell, 2007; van Baardewijk, Vermeiren, Stegge & Doreleijers, 2011) et de l’adolescence (Baskin-Sommers, Waller, Fish & Hyde, 2015; Forsman, Lichtenstein, Andershed & Larsson, 2008; Lynam, Charnigo, Moffitt, Loeber, Stouthamer-Loeber, 2009; Munoz & Frick, 2007). De plus, les CI sont modérément stables entre l’enfance et l’adolescence (Burke et al., 2007; Frick, Kimonis, Dandreaux & Farrell, 2003c; Obradovic, Pardini, Long & Loeber, 2007), ainsi qu’entre l’enfance et l’adolescence et le début de l’âge adulte (Blonigen, Hicks, Krueger, Patrick & Iacono, 2006; Lee, Klaver, Hart, Moretti & Douglas, 2009; Loney Taylor, Butler & Iacono, 2007; Lynam, Caspi, Moffitt, Loeber & Stouthamer-Loeber, 2007; Pardini & Loeber, 2008). Les coefficients de stabilité sont généralement comparables à ceux d’autres comportements internalisés et externalisés au cours de périodes correspondantes (voir Roberts & DelVecchio, 2000).

Certains auteurs (p. ex., Frick et al., 2014) ont toutefois fait remarquer que les coefficients de stabilité obtenus étaient hautement variables selon l’écart entre les évaluations de référence et de suivi (c.-à-d., plus le suivi est éloigné, plus le coefficient de stabilité est faible) et l’identité du répondant (c.-à-(c.-à-d., les coefficients de stabilité sont plus faibles lorsque le répondant est l’enfant lui-même ou un enseignant vs un parent). Par ailleurs, une analyse plus fine des patrons d’évolution des CI semble indiquer que ces comportements sont sujets au changement chez certains enfants. Dans l’étude de Frick et collaborateurs (2003c), une réduction des niveaux d’insensibilité a été observée chez un sous-groupe

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d’enfants âgés de neuf et 16 ans. Une autre étude s’appuyant sur un grand échantillon populationnel britannique (N ~ 10 000) a permis d’identifier quatre trajectoires d’insensibilité entre sept et 12 ans : 1) stable-élevée (3,4% des enfants); 2) augmentant (9,6%); 3) diminuant (16,9%); 4) stable-faible (70,2%; Fontaine, Rijsdijk, McCrory & Viding, 2010; voir également Fontaine, McCrory, Boivin, Moffitt & Viding, 2011). Malgré leur niveau considérable de stabilité, les CI seraient donc sujets au changement chez au moins 25% des enfants entre les âges de sept et 12 ans (Fontaine et al., 2010). Des trajectoires et des proportions similaires ont récemment été reproduites auprès d’un autre échantillon (Fanti, Colins, Andershed & Sikki, 2016). Un résultat différent a toutefois été obtenu auprès d’adolescents, alors que trois trajectoires stables ont été établies : élevée, modérée, faible (14–18 ans; Baskin-Sommers et al., 2015).

En résumé, les données longitudinales disponibles suggèrent que les CI sont modérément stables au cours de l’enfance et de l’adolescence. Chez certains individus, ces comportements sont toutefois sujets au changement; ce changement serait particulièrement important au cours de l’enfance d’âge scolaire (Fanti et al., 2016; Fontaine et al., 2010; Frick et al., 2003c; voir Baskin-Sommers et al., 2015). Dans leur ensemble, ces données indiquent que les CI – malgré leur émergence précoce – ne se cristallisent pas avant le début de l’adolescence. L’enfance d’âge scolaire pourrait ainsi représenter une période au cours de laquelle se poursuivent certains apprentissages moraux propres à la période préscolaire et nécessaires au développement des CI (p. ex., empathie et culpabilité; Frick et al., 2014). Les réductions dans les niveaux d’insensibilité chez certains enfants (Fanti et al., 2016; Fontaine et al., 2010; Frick et al., 2003c) pourraient notamment témoigner d’un développement tardif des émotions morales d’empathie et de culpabilité (voir Frick et al., 2014). Quoi qu’il en soit, ce patron de résultats souligne l’importance de caractériser les facteurs individuels et sociaux responsables des patrons de stabilité et de changement des CI.

Étiologie génétique et environnementale de la stabilité et du changement. Sur le plan

phénotypique, un très large éventail de facteurs de risque individuels et sociaux a été associé à la fois à la stabilité et au changement des CI au cours de l’enfance. Parmi les facteurs propres à l’enfant figurent les niveaux préscolaires de conduites antisociales, d’hyperactivité, de prosocialité et d’habiletés cognitives verbales et non verbales (Fontaine et al., 2011). Parmi les facteurs propres à l’environnement figurent des composantes de l’environnement familial (conduites parentales, Fontaine

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et al., 2011; Waller et al., 2012; niveau socioéconomique et chaos familial, Fontaine et al., 2011), mais également des relations difficiles avec les pairs (Fontaine et al., 2011).

Le devis corrélationnel sur lequel s’appuient les études susmentionnées présente toutefois des limites quant à l’interprétation de la direction des associations entre les CI et ses précurseurs présumés (voir ci-dessus). Le recours à la méthode de jumeaux permet de contourner partiellement cette difficulté. Bien qu’il ne mène pas à l’identification de précurseurs spécifiques, ce devis permet de déterminer dans quelle mesure la stabilité (ou le changement) d’un phénotype est attribuable à des facteurs génétiques ou environnementaux. En ce qui concerne les CI, deux approches statistiques ont été préconisées. Une première méthode consistait à évaluer dans quelle mesure les associations entre des évaluations répétées d’insensibilité s’expliquent par des facteurs génétiques ou environnementaux partagés. Une deuxième méthode consistait à estimer l’étiologie génétique-environnementale de trajectoires développementales préalablement identifiées. Quatre études de jumeaux ont eu recours à l’une ou l’autre de ces méthodes afin d’évaluer l’étiologie des patrons de stabilité et de changement des CI au cours de l’enfance ou de l’adolescence.

Une première étude indique que 58% de l’association entre deux évaluations répétées des CI à 17 et à 24 ans est attribuable à des facteurs génétiques communs aux deux évaluations (Blonigen et al., 2006). Ceci suggère que la stabilité des CI entre la fin de l’adolescence et le début de l’âge adulte s’explique en majeure partie par des facteurs génétiques. Un résultat similaire a été obtenu dans une deuxième étude, alors qu’une corrélation génétique (c.-à-d., corrélation entre les sources d’influence génétique de deux phénotypes) de 0,82 a été obtenue entre deux évaluations répétées à 16 et à 19 ans (Forsman et al., 2008). Dans une troisième étude, une corrélation génétique de 0,65 a été obtenue entre des évaluations répétées d’insensibilité à deux et trois ans (Flom & Saudino, 2016). Une quatrième étude indique que l’appartenance à quatre trajectoires d’insensibilité entre sept et 12 ans (stable élevée, augmentant, diminuant, stable faible) est largement attribuable à des facteurs génétiques (61–78%; Fontaine et al., 2010). Ce dernier résultat indique qu’entre les âges de sept et 12 ans, des facteurs génétiques contribuent aux patrons de stabilité et de changement des CI. Bien que consensuelles quant à l’importance des facteurs génétiques, les études disponibles demeurent peu nombreuses et limitées à plusieurs égards. Premièrement, toutes ces études se sont appuyées sur un seul répondant fournissant les évaluations répétées des CI, ouvrant ainsi la porte à

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l’influence confondante de l’erreur de mesure commune d’un temps à l’autre. Deuxièmement, deux des groupes susmentionnés (Blonigen et al., 2006; Forsman et al., 2008) ont étudié les CI entre la fin de l’adolescence et le début de l’âge adulte. L’intérêt théorique de cette démarche est discutable puisque les premiers signes valides et fiables d’insensibilité tendent à émerger au cours de la transition entre les âges préscolaire et scolaire (4-7 ans; Kimonis et al., 2016). La transition à l’école coïncide également avec l’apparition de nouveaux facteurs de stress et l’exposition aux pairs qui peuvent affecter l’expression génétique associée aux CI. Par ailleurs, il est établi que les CI pendant l’enfance prédisent de façon robuste le développement de comportements antisociaux et criminels à l’âge adulte, au-delà des niveaux et de l’âge d’apparition du trouble des conduites (McMahon, Witkiewitz, & Kotler, 2010). De plus, il semble que les CI soient plus stables après qu’avant l’âge de 12 ans (Loeber, Pardini, Stouthamer-Loeber, Hipwell & Sembower, 2009; Lynam et al., 2007). L’étude de Fontaine et collaborateurs (2010) s’est appuyée sur la méthode des trajectoires développementales (Fontaine et al., 2010). Cette méthode ne permet pas d’évaluer l’étiologie partagée et spécifique d’évaluations répétées des CI. La seule étude de jumeaux portant sur l’enfance et centrée sur l’analyse de mesures répétées d’insensibilité (Flom & Saudino, 2016 s’est penchée sur la période préscolaire. Alors que l’âge préscolaire est toujours méconnu dans l’étude des CI, il a été démontré que la période située entre le début de l’âge scolaire et la fin de l’enfance donne lieu à des patrons de changement considérables (p.ex., Fanti et al., 2016; Fontaine et al., 2010). Ainsi, les efforts de recherche visant à clarifier l’étiologie des différences individuelles des CI devraient prioriser l’enfance d’âge scolaire. À cet égard, un certain degré de partage dans les facteurs étiologiques des évaluations répétées serait attendu, puisque les CI sont modérément stables au cours de cette période (Barker & Salekin, 2012; Barry et al., 2008; Pardini et al., 2007; van Baardewijk et al., 2011). Par contre, des facteurs de risque génétiques et environnementaux partiellement distincts pourraient expliquer le changement dans les niveaux d’insensibilité entre le début et la fin de cette période. Il est également possible que des transactions gène-environnement soient impliquées. Par exemple, les gènes conférant un risque pour les CI pourraient s’exprimer différemment selon la nature des environnements dominant chaque période (p. ex., à sept ans, l’entrée à l’école; à 12 ans, l’exposition croissante aux pairs déviants; Kimonis, Frick & Barry, 2004).

En résumé, l’état actuel des connaissances suggère qu’il est important de s’intéresser aux facteurs individuels et sociaux responsables des patrons de stabilité et de changement des CI. Néanmoins, les

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études ayant abordé cette question sont rares et ont peu abordé l’enfance d’âge scolaire. Il convient d’étudier l’étiologie des CI au cours de cette période, et ce, à l’aide d’approches statistiques permettant d’estimer l’étiologie partagée et spécifique entre des mesures répétées.

Les facteurs développementaux des comportements d’insensibilité

Perspectives théoriques. Sur le plan théorique, plusieurs modèles visent à rendre compte de

l’étiologie et du développement des CI (Blair, 2008; Lykken, 1957; Salekin, 2002; van Honk & Schutter, 2006). Bien qu’ils insistent sur des processus étiologiques et neurobiologiques différents, ces modèles ont généralement deux choses en commun : (1) ils représentent les CI comme étant le résultat d’une déviation au développement normal des émotions morales d’empathie et de culpabilité (c.-à-d., conscience), et (2) ils suggèrent que ce sont des caractéristiques tempéramentales précoces qui portent entrave à l’apprentissage de ces émotions morales. Bien que dérivées de l’étude de la psychopathie adulte, ces propositions sont aussi appuyées par des données obtenues auprès d’enfants et d’adolescents. En effet, de nombreuses associations ont été obtenues auprès d’enfants et d’adolescents entre les CI et différents aspects de la conscience : l’empathie affective (Dadds, Cauchi, Wimalaweera, Hawes & Brennan, 2012; Dadds et al., 2009; Jones, Happe, Gilbert, Burnett & Viding, 2010), la culpabilité normative (Lotze, Ravindran & Myers, 2010; Pardini & Byrd, 2012) et les conduites prosociales, qui renvoient à des manifestations comportementales d’empathie (Roose, Bijttebier, Decoene, Claes & Frick, 2010; Sakai, Dalwani, Gelhorn, Mikulich-Gilbertson & Crowley, 2012). De fait, il existe un consensus de plus en plus important, suggérant que les CI représentent le résultat d’une déviation précoce du développement normal de la conscience.

Le développement de la conscience. La conscience, dans ce contexte, se définit par deux

dimensions: la culpabilité et l’empathie (Thompson & Newton, 2010). La culpabilité renvoie aux pensées et aux sentiments de détresse associés aux transgressions et aux incidents causés par soi (Baker, Baibazarova, Ktistaki, Shelton & Van Goozen, 2012; Kochanska, Gross, Lin & Nichols, 2002; Zahn-Waxler, Kochanska, Krupnick & McKnew, 1990). Au cours de la deuxième année de vie, la culpabilité tend à émerger, mais est difficilement dissociable du sentiment de honte (Eisenberg, Eggum & Edwards, 2010). Cet enchevêtrement se caractérise par une augmentation de la tension corporelle et de l’affect négatif (Kochanska et al., 2002). Ultérieurement, la culpabilité devient plus étroitement

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associée aux conduites prosociales et à l’ajustement psychologique, alors que la honte accompagne plutôt des problèmes internalisés (voir Tangney, Wagner & Gramzow, 1992). L’empathie se définit par une réponse cognitive affective correspondante à l’état émotionnel de l’autre; cette réponse résulte de la compréhension (composante cognitive) et du partage (composante affective) de cet état émotionnel (Blair, 2005; Eisenberg et al., 2010). L’empathie se développe au cours des deuxième et troisième années de vie (Eisenberg & Fabes, 1998). Au cours de l’âge préscolaire, les composantes cognitive et affective de l’empathie sont fortement interreliées (Belacchi & Farina, 2012; Hinnant & O’Brien, 2007; Zahn-Waxler & Radke-Yarrow, 1982).

Le développement de la conscience et le tempérament. Les nombreuses théories postulant que le

tempérament de l’enfant joue un rôle déterminant dans le développement de la conscience peuvent se diviser en deux catégories : celles qui soulignent la nature affective des processus liant le tempérament au développement ultérieur de la conscience et celles qui accordent davantage d’importance aux processus cognitifs. D’une part, un certain nombre de théories se sont fédérées autour de l’idée selon laquelle la détresse découlant des transgressions et des punitions correspondantes est essentielle à l’internalisation d’un système moral permettant de favoriser les conduites prosociales et d’inhiber les conduites antisociales (Blair, 1995; Dadds & Salmon, 2003; Malti & Krettenauer, 2013). De ce point de vue, les tempéraments indicatifs d’un déficit de la réponse émotionnelle (p. ex., désinhibition, Kagan, Reznick & Snidman, 1988; témérité (fearlessness), Rothbart, 1981) tendent à réduire les expériences de détresse habituellement associées à la perpétration d’actes répréhensibles (p. ex., anxiété, inconfort; Asendorpf & Nunner Winkler, 1992; Fowles & Kochanska, 2000; Kochanska, DeVet, Goldman, Murray, & Putnam, 1994; Kochanska et al., 2002; Rothbart, Ahadi, & Hershey, 1994). D’autre part, la seconde catégorie de théories suggère que c’est plutôt un traitement cognitif sous-optimal des punitions conséquentes aux transgressions (Newman & Baskin-Sommers, 2012; Vitale & Newman, 2009) et des signaux de détresse provenant des autres (Moul, Killcrosss & Dadds, 2012) qui limite l’internalisation d’un système moral favorisant les conduites prosociales.

Le développement de la conscience et les CI. Un volume croissant de données suggère que des

difficultés précoces dans le traitement affectif et cognitif des émotions sont associées aux CI (Frick et al., 2014), ce qui appuie les théories relatives au rôle du tempérament. Certaines études indiquent en effet que les enfants plutôt « insensibles » sont particulièrement inefficaces dans la modulation de leur comportement en réponse aux punitions (voir Frick & Viding, 2009), ainsi que dans le décodage de

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stimuli affectifs (p. ex., expressions faciales, tons vocaux; Blair & Viding, 2008; Marsh & Blair, 2008; Munoz, 2009). Des associations robustes ont aussi été obtenues entre les CI et une hyporéactivité de l’amygdale en réponse à des stimuli à teneur affective (Lockwood et al., 2013; Sebastian et al., 2014; Yoder, Lahey & Decety, 2016). Les CI sont également liés à une difficulté à ressentir des niveaux normatifs de détresse (p. ex., peur, anxiété, culpabilité; de Wied, van Boxtel, Mathys & Meeus, 2011; Frick, Lilienfeld, Ellis, Loney & Silverthorn, 1999; Jones, Happe, Gilbert, Burnett & Viding, 2010; Lynam et al., 2005; Marsh et al., 2011; Pardini, 2006; Pardini et al., 2012). Ce faisant, le développement de la conscience pourrait être entravé chez les enfants présentant des niveaux élevés d’insensibilité puisque ceux-ci peinent à lier leurs transgressions à d’éventuelles punitions et ont de la difficulté à décoder la détresse des autres. Conséquemment, ils développent des niveaux sous-optimaux d’empathie et de culpabilité (Blair, 2010; Blair & Viding, 2008). De récentes études suggèrent que certains de ces déficits pourraient avoir une origine génétique (Dadds et al., 2014; Petitclerc et al., en préparation).

Précurseurs développementaux. Les déficits cognitifs affectifs associés aux CI ont surtout été établis

dans le cadre d’études transversales menées auprès d’adolescents ou de jeunes adultes. De fait, les perspectives théoriques actuelles sur le développement des CI n’ont pas de regard sur la période préscolaire. Pourtant, l’état actuel des connaissances porte à croire que les CI émergent au cours des premières années de la vie (Ezpeleta et al., 2013; Kimonis et al., 2016). Sans devis longitudinal prospectif ou attention portée à la période préscolaire, les signes annonciateurs des CI – individuels ou sociaux – sont difficilement identifiables. Les études présentées maintenant se sont attachées à identifier les précurseurs préscolaires des CI.

Précurseurs propres à l’enfant.

Études phénotypiques. Tel que susmentionné, les enfants qui développent des niveaux élevés d’insensibilité semblent présenter des styles tempéramentaux impliqués dans le développement sous-optimal de la conscience. Les CI ont souvent été associés à de faibles niveaux de peur et d’anxiété, même après le contrôle statistique des effets propres à l’impulsivité et au trouble des conduites (Frick et al., 1999; Lynam et al., 2005; Pardini, 2006; Pardini et al., 2012). L’expérience émotionnelle de la détresse semble ainsi plus faible en présence de niveaux élevés d’insensibilité (Frick et al., 2014). Dans le cadre d’une étude normative britannique (N = 7000), un lien prédictif a été observé entre le tempérament téméraire à deux ans et les CI à 13 ans (Barker, Oliver, Viding, Salekin & Maughan, 2011). Des analyses rétrodictives ont révélé que les degrés de témérité étaient plus élevés chez les

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enfants évalués comme étant très insensibles et antisociaux (niveaux élevés de trouble des conduites) que chez les enfants seulement antisociaux (Barker et al., 2011). En somme, les caractéristiques tempéramentales associées au traitement atypique de l’information affective et aux CI semblent émerger tôt dans le développement, ce qui permet d’envisager une possible source génétique aux CI. Études de jumeaux. À cet égard, un volume important d’études de jumeaux a permis de clarifier l’étiologie génétique-environnementale des CI chez l’enfant (Scarr & McCartney, 1983). Contrairement aux études fondées sur des devis corrélationnels (qu’ils soient prospectifs ou non), les études de jumeaux permettent de départager statistiquement les sources génétique et environnementales des variations individuelles. Les études de jumeaux permettent d’estimer l’héritabilité (c.-à-d., contribution génétique) en établissant dans quelle mesure les jumeaux identiques (partageant 100% de leur matériel génétique), en comparaison aux jumeaux non identiques (partageant environ 50% de leur matériel génétique), sont similaires en regard d’un phénotype donné. L’héritabilité est inférée dans la mesure où les jumeaux identiques sont plus similaires entre eux que les jumeaux non identiques. La variance non génétique est séparée en deux sources: environnement partagé (c.-à-d., environnements contribuant à accentuer les similarités entre jumeaux; p. ex., niveau socioéconomique), et environnement non partagé (c.-à-d., environnements contribuant à accentuer les différences entre jumeaux; p. ex., expériences avec des pairs différents).

Une variété d’études de jumeaux sur les CI a été menée aux États-Unis, en Suède et au Royaume-Uni sur des échantillons variables en taille (N = 398–3687 paires de jumeaux), en âge (7–24 ans) et quant à la source d’évaluation (enfant, parent, enseignant). Des taux d’héritabilité modérés ou élevés ont généralement été obtenus (40%–78%; Viding & McCrory, 2012). Ces taux d’héritabilité semblent similaires dans la population générale vs les groupes cliniques (Viding & McCrory 2012). Ces estimations sont également similaires, que les CI s’accompagnent ou non de troubles des conduites (Larsson, Viding & Plomin, 2008). Ces résultats ont amené plusieurs chercheurs à suggérer que les différences individuelles quant au profil neurocognitif associé aux CI auraient une origine génétique (Sebastian et al., 2014). L’apparition des premiers signes d’insensibilité dès l’âge préscolaire (Ezpeleta et al., 2013; Kimonis et al., 2016) est cohérente avec cette idée. Tout récemment, une étude a montré qu’au cours de la période préscolaire, les CI sont spécifiquement associés à un déficit dans la reconnaissance de la peur (White et al., 2016), et une autre suggère et que cette association s’explique

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par des vulnérabilités génétiques communes au début de l’âge scolaire (Petitclerc et al., en préparation).

Précurseurs propres à l’environnement. Quoi qu’il en soit, un traitement atypique de l’information

affective en bas âge ne mène pas nécessairement à un niveau élevé d’insensibilité. De même, la présence d’un risque génétique ne se traduit pas fatalement par le développement de niveaux élevés d’insensibilité. Bien que certains enfants présentant des niveaux élevés d’insensibilité soient vulnérables sur les plans génétique et neurocognitif, les facteurs propres à l’environnement ne sont pas à négliger. Les études de jumeaux montrent en effet qu’au-delà des facteurs génétiques, les facteurs de l’environnement non partagé expliquent généralement une partie significative des différences individuelles quant aux CI (22%–60%; Viding & McCrory, 2012).

Sur le plan phénotypique, un large éventail d’environnements préscolaires a été associé au développement des CI. Ces facteurs concernent essentiellement l’environnement familial, notamment le stress prénatal de la mère (Barker et al., 2011), le chaos familial (Fontaine et al., 2011) et le niveau socioéconomique (p. ex., Frick et al., 2003a). Jusqu’à présent, toutefois, ce sont les conduites parentales qui ont surtout retenu l’attention empirique en raison de leur rôle présumé dans le développement de la conscience, et ce, tant dans la population générale (Cornell & Frick, 2007; Kiang, Moreno & Robinson, 2004; Kochanska et al., 1995, 1997; Kochanska & Murray, 2000) que chez les individus avec des niveaux élevés d’insensibilité (Dadds et al., 2012). En effet, les conduites du parent sont vues comme particulièrement déterminantes au cours de l’âge préscolaire, une période pendant laquelle l’enfant apprend à faire des distinctions morales (Eisenberg & Fabes, 1998; Kochanska et al., 2002). Par ailleurs, il a récemment été montré que les conduites parentales à l’enfance expliquent en partie les associations entre les CI et les facteurs familiaux généraux, tels que le niveau socioéconomique, le revenu du ménage, l’éducation parentale et le chaos familial (c.-à-d., médiation; Mills-Koonce, Willoughby, Garrett-Peters, Wagner & Vernon-Feagans, 2016). Les conduites parentales semblent donc jouer un rôle proximal et spécifique dans le développement des CI.

Le rôle des conduites parentales. Deux grands pôles des conduites parentales précoces ont été associés aux CI. D’une part, le spectre des conduites négatives (appelé hostilité réactive dans la thèse pour plus de précision), caractérisé par l’agression verbale ou la punition corporelle en situation de conflit avec l’enfant, a été considéré (Waller, Gardner & Hyde, 2013). Un patron récurrent d’hostilité

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réactive implique pour l’enfant une exposition moins fréquente au répertoire de conduites prosociales qui permettent de gérer les conflits (Pardini et al., 2007). L’hostilité réactive pourrait également être le reflet d’un contexte où les conduites prosociales sont peu renforcées, un contexte ainsi peu propice au développement de l’empathie et de la culpabilité normative (Pardini et al., 2007).

Un spectre positif (appelé chaleur-gratification dans la thèse) a également été étudié (Waller et al., 2013). Ce type de conduite est caractérisé par un niveau élevé de récompenses accordées à l’enfant, ainsi que par un partage d’affects positifs entre le parent et l’enfant (Kochanska, 1997). Les conduites chaleureuses-gratifiantes auraient leur importance dans le développement positif de représentations prosociales et de la disponibilité émotionnelle (emotional responsiveness) face à l’autre; ces facteurs pourraient être liés négativement au développement des CI (Kochanska, 1997). L’importance de la chaleur-gratification pourrait être accrue chez les enfants à risque de développer des niveaux élevés d’insensibilité dans la mesure où ils tendent à avoir un style de réponse orienté vers la récompense (c.-à-d., faible réceptivité aux punitions, réceptivité élevée aux récompenses, voir Frick et al., 2014; Kochanska, 1997). Plusieurs études ont ainsi observé des associations prédictives entre ce type de conduite et le développement de divers aspects de la conscience; ces associations étaient particulièrement fortes chez les enfants présentant un tempérament téméraire (voir ci-dessus; p. ex., Kochanska, 1995, 1997). Une autre étude a également conclu à une association plus étroite entre la chaleur parentale et la culpabilité normative chez les enfants présentant un tempérament désinhibé (Cornell & Frick, 2007).

Comme postulé, les études prospectives disponibles indiquent globalement que l’hostilité réactive et la chaleur-gratification parentale au cours de l’âge préscolaire prédisent les niveaux ultérieurs d’insensibilité (N.B. : élevés et faibles, respectivement; Barker et al., 2011; Hawes, Dadds, Frost & Hasking, 2011; Hyde et al., 2016; Lopez-Romero, Romero & Gomez-Fraguela, 2015; Mills-Koonce et al., 2016; Wagner, Mills-Koonce, Willoughby, Zvara & Cox, 2015; Waller et al., 2012, 2014, 2016a, 2016b; Waller, Shaw, Hyde, 2016c; pour une recension, voir Waller et al., 2013; pour une exception, voir Brown, Granero & Ezpeleta, 2015). Ces études ont toutefois donné lieu à des résultats variables. Auprès d’un échantillon normatif d’âge varié (3–10 ans), une association négative a été observée entre l’octroi de récompenses et les niveaux d’insensibilité un an plus tard (Hawes et al., 2011). Auprès d’un autre échantillon normatif, l’hostilité et la chaleur parentale à l’âge de quatre ans ont été associées – respectivement, positivement et négativement – aux CI à 13 ans (Barker et al., 2011). Deux autres

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études menées auprès d’échantillons non cliniques ont rapporté des liens négatifs entre des conduites parentales chaleureuses ou gratifiantes à l’âge préscolaire et les CI à l’âge scolaire (Lopez-Romero et al., 2015; Wagner et al., 2015). À partir d’un échantillon à haut risque sur les plans psychosocial et socioéconomique, des associations ont été obtenues entre l’hostilité parentale (deux et trois ans) et les CI (trois et quatre ans; associations positives), ainsi qu’entre la chaleur parentale (deux ans) et les CI (trois ans; associations négatives; Waller et al., 2012, 2014). Auprès d’un autre échantillon non normatif, le même groupe a obtenu une association positive entre la chaleur parentale à deux ans et les CI à dix et 12 ans (Waller, Shaw & Hyde, 2016c). Un autre groupe a conclu, auprès d’un échantillon à haut risque, à des associations entre l’hostilité et la chaleur parentale à six, 15, 24 et 36 mois, et les CI à six ans (associations positives et négatives, respectivement; Mills-Koonce et al., 2016). Finalement, auprès d’un échantillon d’enfants adoptés, le renforcement positif de la mère adoptive à 18 mois prédisait négativement l’insensibilité à 27 mois (Hyde et al., 2016, voir également Waller et al., 2016b). Dans toutes ces études, les niveaux initiaux d’insensibilité ou de troubles des conduites ont été pris en compte dans les tests d’associations prédictives entre les conduites parentales et les CI.

Dans leur ensemble, les études prospectives disponibles indiquent que les conduites parentales précoces sont impliquées dans le développement des CI, même après la prise en compte des niveaux initiaux d’insensibilité. Cependant, des résultats divergents ont été obtenus lorsque l’hostilité réactive et la chaleur-gratification ont été considérées simultanément comme prédicteurs des CI. Une étude suggère que l’hostilité réactive a un rôle prépondérant (Waller et al., 2012), alors que d’autres ont plutôt conclu à un pouvoir prédictif supérieur de la chaleur-gratification (Lopez-Romero et al., 2015; Hawes et al., 2011; Waller et al., 2016c) et d’autres indiquent que les deux prédicteurs ont une contribution unique (Barker et al., 2011; Mills-Koonce et al., 2016). Cette question est particulièrement importante puisqu’auprès d’échantillons d’adolescents et de jeunes adultes, la chaleur-gratification a été plus étroitement associée aux conduites antisociales accompagnées de niveaux élevés d’insensibilité (Kroneman, Hipwell, Loeber, Koot & Pardini, 2011; Pasalich, Dadds, Hawes & Brennan, 2012), alors que l’hostilité réactive a été plus étroitement liée aux conduites antisociales lorsqu’elles s’accompagnaient de faibles niveaux d’insensibilité (Hipwell et al., 2007; Oxford, Cavell & Hughes, 2003; Pasalich et al., 2012; Wootton, Frick, Shelton & Silverthorn, 1997). De plus, la chaleur-gratification parentale est un important prédicteur d’empathie chez les enfants présentant un style de

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