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L'apothéose de Dionysos dans les Dionysiaques de Nonnos de Panopolis : à qui profite l'Olympe?

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Academic year: 2021

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L’apothéose de Dionysos dans les Dionysiaques de

Nonnos de Panopolis : à qui profite l’Olympe ?

Mémoire

Alice Fanguet

Maîtrise en Études anciennes

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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L’apothéose de Dionysos dans les Dionysiaques de

Nonnos de Panopolis : à qui profite l’Olympe ?

Mémoire

Alice Fanguet

Sous la direction de :

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Résumé

Ce mémoire de maîtrise porte sur le thème de l’apothéose de Dionysos dans l’épopée de Nonnos de Panopolis, poète égyptien du Ve siècle p.C., intitulée les Dionysiaques. Cette étude s’intéresse à la nature et au rôle de la déification pour le héros et pour l’œuvre. Le premier chapitre pose les bases de la recherche en présentant la nature des trois Dionysos de l’histoire, Zagreus, Bacchos, Iacchos, ainsi que leurs liens avec la sphère divine. Cette première étape montre que l’apothéose est progressive chez Nonnos puisqu’elle se déroule tout au long de l’épopée. L’ascension finale de Dionysos dans l’Olympe n’est plus qu’une formalité qui donne l’occasion aux trois entités dionysiaques d’être honorées conjointement. Une fois la nature de l’apothéose établie, le second chapitre s’intéresse au rôle de l’ascension divine pour la structure de la trame narrative et pour les autres personnages. Il y est question de la sincérité des mystères et des espoirs de salut dans le récit. Le dernier aspect de cette section concerne le sérieux de l’épopée et de son héros Dionysos, en lien avec ses objectifs d’écriture, subordonnés à l’esthétique de l’époque, la

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Table des matières

Résumé ... III Table des matières ... IV Remerciements ... VI

Introduction ... 1

L’homme ... 3

Les Dionysiaques... 6

Chapitre 1. Quelle immortalité pour quel Dionysos ? ... 17

La trilogie bachique ... 18

La construction de l’identité de Dionysos dans « l’invocation aux Muses » (I, 1-46) ... 19

Étape I : Zagreus ... 22

Le texte ... 25

Les métamorphoses ... 29

La mort de Zagreus ... 31

Conclusion ... 32

Étape III : Iacchos ... 34

Analyse ... 34

Présentation du passage (XLVIII, 848-978) ... 35

Le texte ... 36 Conclusion ... 38 Étape II : Bacchos ... 39 Foudre et immortalité ... 41 Le lait divin ... 46 Rhéa ... 47 Héra ... 48

La rencontre entre Dionysos et Héraclès ... 50

Étape finale : l’apothéose ... 53

Présentation du passage ... 54

Le catastérisme d’Ariane ... 55

L’apothéose de Dionysos ... 55

Le rôle de l’apothéose pour Dionysos ... 57

Pour Dionysos ... 57

La légitimation de Bacchos ... 57

Réunification de la triade bachique ... 60

Conclusion ... 63

Chapitre 2. L’instrumentalisation de l’apothéose bachique dans les Dionysiaques ... 65

Le rôle de l’apothéose dionysiaque ... 65

Les Dionysiaques ... 66

La structure ... 66

Linéarité dans la narration ... 68

Narration à tiroirs et circularité ... 69

(5)

Apothéose et déification ... 75

Métamorphose ... 76

Catastérisme ... 77

Et pour le reste, une immortalité ? ... 78

Le vocabulaire mystique ... 79

Σωτήρ vs l’oubli ... 82

Conclusion ... 83

Un vrai Salut pour un vrai dieu ? ... 84

Dionysos, entre sérieux et ironie ... 86

Dionysos, dieu/héros ?... 88

Une œuvre et une époque ... 90

« Nonnos de Panopolis, ou le triomphe du baroque » ... 90

Visualiser l’apothéose dionysiaque ... 93

Conclusion ... 95 Conclusion ... 97 Bibliographie ... 102 Annexe 1 ... 114 Annexe 2 ... 124 Annexe 3 ... 125

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Remerciements

À Mme Anne-France Morand, pour m’avoir fait connaître Nonnos, les papyrus et la littérature grecque en général. Merci pour vos encouragements continuels, pour votre patience, vos conseils et vos remarques toujours bienveillantes. Un immense merci pour toutes les opportunités, grâce à vous j’ai connu et survécu aux anagrammes, visité Varsovie et São Paulo, filmé, fait des affiches et plus encore ! Pour tout cela, je vous suis infiniment reconnaissante.

À M. Alban Baudou, pour avoir bien voulu endosser le rôle de prélecteur, et pour avoir échangé votre roman de vacances contre mon mémoire, pour vos nombreuses remarques toujours éclairantes et judicieuses, pour votre grande disponibilité et votre efficacité (encore merci pour votre aide dans l’affaire migratoire)

À Mme Pascale Fleury, pour avoir accepté d’être membre de ce jury, pour votre patience et votre aide précieuse dans le séminaire de maîtrise alors que je n’étais qu’aux balbutiements de mon mémoire.

À ma famille qui, de près comme de loin, sans cesse a su m’encourager et me réconforter dans les moments de doutes. À Rémi, pour m’avoir soutenu et accompagné depuis le début, sans toi il n’y aurait sûrement pas de mémoire aujourd’hui. Merci d’avoir toujours cru en moi.

À mes amis, pour m’avoir soutenu et changé les idées, pour les bières, les cafés, les cocktails et les sorties. Un merci tout particulier à Marie-Hélène Trépanier qui a supporté mes crises existentielles et mon indécision chronique, pour ta bonne humeur constante alors que nous partagions le même terrier, pour ton amitié si chère à mes yeux.

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Introduction

Florid and repetitive, it [Dionysiaca] has a certain verve and energy, but there are many lost works of Greek literature for which we should very happy to exchange it.

Jasper Griffin1

Ce n’est pas un hasard si celui que le Comte de Marcellus appelait « le mieux enfoui des poètes grecs » est resté si longtemps oublié2. La poésie nonnienne, jugée redondante et

précieuse, ne faisait pas le bonheur des chercheurs du siècle dernier. Encore de nos jours, certains, comme le savant oxonien Jasper Griffin, échangeraient volontiers les vers de Nonnos contre quelques œuvres perdues. Heureusement, Nonnos de Panopolis suscite à présent chez les Modernes un intérêt toujours grandissant. Ce regain d’attrait s’inscrit notamment dans le renouveau plus large des études sur l’Antiquité tardive, et profite du regard renouvelé que les savants portent depuis peu sur cette période. Jadis associée au déclin et à la chute de l’Empire romain3, l’Antiquité tardive peut désormais retrouver ses

lettres de noblesse notamment grâce à de nombreux ouvrages publiés sur le sujet4. Malgré l’affluence des recherches sur ce thème, Nonnos, qui nous a laissé deux œuvres imposantes, la Paraphrase de l’Évangile selon saint Jean et les Dionysiaques5, continue d’attiser le débat autour de thèmes regroupés sous le nom de la « question nonnienne »6.

1 J. Griffin, « Greek Epic », in C. Bates (éd.), The Cambridge Companion to the Epic, Cambridge, Cambridge

University Press, 2010, p. 29-30.

2 Nonnos, les Dionysiaques ou Bacchus, poëme en XLVIII chants, texte rétabli, traduit et commenté par le

Comte de Marcellus, Paris, Lacroix-Comon, 1856.

3 Selon les termes consacrés par Edward Gibbon : E. Gibbon, Decline and Fall of the Roman Empire,

Chicago, Rand McNally, 1979 (1776).

4 Entre autres, G. W. Bowersock, P. Brown et O. Grabar (éds), Late Antiquity, A Guide to the Postclassical

World, Cambridge / Londres, Harvard University Press, 1999 ; S. F. Johnson (éd.), The Oxford Handbook of Late Antiquity, Oxford, Oxford University Press, 2012.

5 À partir de maintenant, la Paraphrase de l’Évangile selon saint Jean sera nommée la Paraphrase.

6 L’expression « quaestio nonniana » a été introduite par Francis Vian en référence à la question homérique.

Sous cette désignation se retrouve un ensemble d’interrogations sur la paternité des deux œuvres, la religion de Nonnos et la place du religieux dans les Dionysiaques. Cf. Nonnos de Panopolis, les Dionysiaques, t. I, texte édité et traduit par F. Vian, Paris, Les Belles Lettres, 1976.

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Dans le cadre de ce mémoire, l’objet principal ne consistera pas en une étude détaillée de cette quaestio nonniana, mais se concentrera plutôt sur le processus de déification7 du « dieu-héros Dionysos » des Dionysiaques et n’aura d’incidence sur la vaste question que dans ce cadre. Le chant XLVIII clôt la geste de Dionysos avec son apothéose vers l’Olympe. Cette ascension de Dionysos auprès de son père Zeus se retrouve en arrière-plan de toute l’épopée dionysiaque, de sorte que la geste de Dionysos tend vers cet épisode, au sens où la capitulation des Indiens et le don du vin aux hommes sont des conditions à l’apothéose de Bacchos. Pourtant bien qu’elle soit l’enjeu principal du point de vue du personnage de Dionysos, l’apothéose n’occupe que quatre vers à la toute fin de l’œuvre. Cette brièveté n’a pas manqué de troubler les lecteurs modernes. Ainsi Paul Collart y vit le premier une preuve irréfutable que Nonnos avait initialement prévu de s’arrêter immédiatement après la victoire indienne au chant XL car il décelait dans le chant final une incohérence narrative8. Quant à Francis Vian, il interpréta plutôt cette consision comme une des plus belles preuves de la poikilia nonnienne9. Face à ces opinions à la fois extrêmes et opposées, nous nous sommes questionnée sur la nature de ce processus de déification et sur les enjeux de cette apothéose de Dionysos, en particulier en articulation avec l’œuvre entière.

7 Au fil de ce travail, pour parler de notre sujet de recherche nous emploierons à plusieurs reprises les mots

« apothéose », « déification » et « immortalisation », qu’il convient de rapidement définir ici : dans le cas de Dionysos chez Nonnos, les trois termes renvoient au processus de reconnaissance de sa nature divine. L’apothéose désigne plus particulièrement l’ascension divine en elle-même, à la fin de l’épopée. Mais cet acte, défini dans un laps de temps relativement court, est aussi un processus plus long dans les Dionysiaques, comme nous le verrons plus tard. Ainsi, il nous arrivera d’employer l’expression « processus d’apothéose » pour parler de l’ensemble des actes et des gestes qui mènent à l’apothéose finale. Le concept d’immortalité naît de la naissance mortelle de Dionysos, qui engendre une ambiguïté quant à sa nature qui est mortelle par Sémélé, mais aussi divine par Zeus. Ainsi l’immortalité pour Dionysos signifie qu’il n’est plus considéré comme un mortel. Finalement, la déification peut être définie comme le processus qui amène Dionysos à être accepté comme un dieu, après que son immortalité a été établie, et qui se concrétise durant l’apothéose avec son acceptation dans l’Olympe.

8 P. Collart, Nonnos de Panopolis : Études sur la composition et le texte des Dionysiaques, Le Caire,

Publication de l’Institut Français d’Archéologie Orientale, 1930, p. 271-272.

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Avant d’entamer l’état de la question, il convient dans un premier temps de présenter rapidement Nonnos et son œuvre10. Ce survol permettra d’éclairer le lecteur au sujet des grands débats entourant Nonnos et les Dionysiaques11.

L’homme

Mis à part son nom, nous ignorons presque tout de cet auteur. Sa biographie est absente de la Souda ainsi que du manuscrit principal des Dionysiaques (L)12. Ce nom était répandu dans les milieux christianisés de l’Empire romain, surtout en Palestine et en Syrie, ce qui nous amène à penser que Nonnos venait sans doute d’une famille christianisée, peut-être originaire d’une région orientale de l’empire13. Le nom « Nonnos » signifie « pur, saint », et devait être au départ un surnom14. Bien que ses dates de vie et de mort nous soient inconnues, selon certaines caractéristiques des deux œuvres, il aurait vécu au Ve siècle, au alentour de 400-480 p.C.15 D’après son patronyme, il venait de Panopolis en Thébaïde, mais aurait écrit ses œuvres à Alexandrie ; cette information vient en premier lieu d’une épigramme anonyme non datée provenant de l’Anthologie palatine, qui confirme l’origine du poète ainsi que sa ville de résidence lors de l’écriture :

10 Nous avons fait le choix d’évacuer de la recherche toutes les questions relatives aux croyances de l’auteur

et de nous concentrer sur l’analyse du thème de l’apothéose dans le cadre de l’œuvre. La raison de cette omission volotaire est double. Dans un premier temps, l’ensemble des spécialistes nonniens considère Nonnos comme chrétien de naissance. Sur ce sujet, cf. infra, n. 11. En second lieu, cette question n’est pas centrale pour l’objet d’étude, dans la mesure où notre recherche se concentre sur l’apothéose et l’immortalité dionysiaque pour l’œuvre, et dans l’œuvre uniquement. Trop souvent, ce sujet a été traité selon les croyances de l’auteur dans un cadre historique en négligeant de ce fait certains aspects littéraires ; c’est précisèment cette lacune que nous nous proposons de combler.

11 Pour un survol de la question nonnienne, cf. P. Chuvin, « Revisiting Old Problems : Literature and Religion

in the Dionysiaca », in K. Spanoudakis (éd.), Nonnus of Panopolis in Context, Poetry and Cultural Milieu in

Late Antiquity, Berlin / Boston, De Gruyter, 2014, p. 3-18 ; D. Accorinti, « The Poet from Panopolis : An

Obscure Biography and a Controversial Figure », in D. Accorinti (éd.), Brill’s Companion to Nonnus of

Panopolis, p. 11-53 ; E. Livrea, « The Nonnus Question Revisited », in D. Accorinti et P. Chuvin (éds), Des Géants à Dionysos, mélanges de mythologie et de poésie grecques offerts à Francis Vian, Alexandrie,

Edizioni dell’Orso, 2003, p. 447-455.

12 D. Accorinti, « The Poet from Panopolis : An Obscure Biography and a Controversial Figure », p. 19. 13 C. Bonner, « Two Notes : I. The Names Nonnos, Nonna », JEA, 40, 1977, p. 15.

14 Nonnos de Panopolis, t. I, texte édité et traduit par F. Vian, introduction p. IX.

15 Sauf mention contraire, toutes les dates sont désormais p.C. Pour les détails permettant de dater les œuvres,

(10)

Νόννος ἐγώ· Πανὸς μὲν ἐμὴ πόλις, ἐν Φαρίῃ δὲ ἔγχεϊ φωνήεντι γονὰς ἤμησα Γιγάντων.

Je suis Nonnos ; ma cité est celle de Pan ; mais c’est à Pharos qu’avec la lance de ma voix j’ai fauché les générations de Géants16.

(Anthologie Palatine, 9.198)

L’île de Pharos mentionnée dans cette épigramme est la même que l’île de Protée dans l’Odyssée, en face d’Alexandrie. Elle apparaît aussi dans le prologue des

Dionysiaques lorsque Nonnos invoque le dieu Protée17 . Du fait de l’importance

économique et culturelle d’Alexandrie, il est fort probable qu’il y ait effectué des séjours et qu’il ait quitté Panopolis. Également en appui à cette origine égyptienne, Nonnos mentionne affectueusement le Nil dans son œuvre, en l’appelant « mon Nil » (ἐμοῦ Νείλοιο XXVI, 238). Finalement, une glose marginale dans une copie plus tardive de La Souda rajoute le nom Νόνναι en précisant qu’il s’agit d’un poète égyptien, de Panopolis, fort instruit (λογιώτατος), et qu’il est l’auteur de la Paraphrase de l’Évangile selon saint Jean18.

Mis à part ces informations lacunaires, certains savants ont avancé des hypothèses sur la vie de Nonnos. Le chercheur italien Enrico Livrea a émis la théorie selon laquelle Nonnos de Panopolis serait le même Nonnos qui fut évêque d’Édesse en Turquie de 449 à 451 et de 457 à 471, et évêque d’Héliopolis entre ces deux mandats19. Pour le savant,

Nonnos aurait écrit ses deux œuvres à partir de 431 quand il séjournait en Haute-Égypte dans un monastère. Cette théorie a été critiquée par la communauté scientifique qui ne voit pas de preuves suffisantes permettant une telle identification à l’évêque d’Édesse20. Selon

une autre hypothèse, l’épigraphiste Louis Robert — qui pour sa part avait étudié les

Dionysiaques notamment pour ses abondantes et précises descriptions géographiques —

voyait Nonnos comme un poète voyageur, un « wandering poet » selon l’expression

16 Sauf mention contraire, les traductions sont de notre main. 17 Ἀλλὰ χοροῦ ψαύοντι Φάρῳ παρὰ γείτονι νήσῳ [...] (I, 13).

18 P. Collart, Nonnos de Panopolis : Études sur la composition et le texte des Dionysiaques, p. 5.

19 C’est en 1987 qu’Enrico Livrea a présenté et défendu pour la première fois sa théorie : E. Livrea, « Il poeta

e il vescovo. La questione nonniana e la storia », Prometheus, 13, 1987, p. 113 sq., et le même auteur, plus récemment a réaffirmé sa position : « The Nonnus Question Revisited », p. 447-455.

20 En réponse à la thèse d’Enrico Livrea, cf. A. Cameron, « The Poet, the Bishop, and the Harlot », GRBS, 41,

2000, p. 175-188. Pareillement, contre la thèse d’Enrico Livrea, cf. Nonno di Panopoli, Le Dionisiache, Introduzione, traduzione e commento di D. Gigli Piccardi, volume primo (canti I-XII), Milan, Rizzoli, 2003, p. 34.

(11)

d’Alan Cameron21. Louis Robert s’appuie sur les descriptions visuelles détaillées de villes

orientales :

Il a fait des lectures de ses poèmes dans des villes de Syrie, dont Berytus et Tyr, et sans doute Bostra (Lycurgue et Arès), à Tarse, à Sardes, à Nicée […]. Il fut un voyageur donnant des « récitals » de ses œuvres, comme faisaient les rhéteurs et tant d’autres homines docti, comme ces poètes voyageurs du IIe et du

IIIe siècle, par exemple Nestor de Laranda sous les Sévères et Paiòn de Sidé

sous Hadrien […].22

D’un côté, orateurs, médecins, philosophes, poètes, magiciens et prédicateurs se déplaçaient de ville en ville, mais d’un autre côté, la connaissance des lieux peut être fondée sur des lectures. Toute la discussion au sujet de la connaissance d’Alexandrie en arrière-fond de la description dans le roman d’Achilles Tatius — connaissance remarquable ou lieux communs — s’applique par analogie au poète de Panopolis23. Il est tout à fait

possible que Nonnos ait tiré son inspiration et les descriptions détaillées de villes de ses voyages, mais la biographie de l’auteur demeure trop obscure pour affirmer que l’auteur a été un poète voyageur comme le prétend Louis Robert. Par ailleurs, dans son récent ouvrage Poems in Context, Laura Miguélez Cavero critique l’appellation « wandering poets » d’Alan Cameron, en montrant que nos lacunes bibliographiques sur la plupart des auteurs n’autorise pas une telle catégorisation. L’auteure concède néanmoins qu’il est tout à fait probable que des poètes se soient déplacés d’une ville ou d’un pays à l’autre ; les cercles sociaux n’étaient pas restreints à leur ville d’origine, mais nos informations ne nous permettent pas d’en savoir plus sur les déplacements des auteurs24.

21 Cf. A. Cameron, « Wandering Poets : A Literary Movement in Byzantine Egypt », Historia, 14, 1965,

p. 470-509.

22 L. Robert, « Documents d’Asie Mineure », BCH, 101, 1977, p. 113 n. 29.

23 Achilles Tatius s’inspire de Diodore de Sicile (XVII, 152) et Strabon (XVII, 1, 6-10) pour sa description

d’Alexandrie qui est par ailleurs moins précise que celle des deux historiens. Cf. A. Billault, « Les paysages dans le roman d’Achilles Tatius », in B. Pouderon (éd.), Lieux, décors et paysages de l’ancien roman des

origines à Byzance. Actes du 2e colloque de Tours, 24-26 octobre 2002, Lyon, Maison de l’Orient et de la

Méditerranée Jean Pouilloux, 2005, p. 242.

24 L. Miguélez Cavero, Poems in Context : Greek Poetry in the Egyptian Thebaid 200-600 AD,

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Les Dionysiaques

L’épopée de Nonnos est la plus grande épopée conservée de l’Antiquité avec plus de 21 000 vers. Les quarante-huit chants des Dionysiaques sont répartis en deux groupes de vingt-quatre chants, chacun introduit par un prologue (I, 1-46 ; XXV, 1-31)25. Son sujet, la

vie de Dionysos, était un thème, aussi bien littéraire qu’iconographique, en vogue durant les premiers siècles de notre ère26. De ce fait, Nonnos eut des prédécesseurs qui composèrent

des œuvres aujourd’hui disparues avec la mythologie dionysiaque pour sujet. Parmi ces œuvres se retrouvent des fragments (quatre chants) des Dionysiaques de Sotérichos d’Oasis (durant le règne de Dioclétien) qui ont survécu ; il nous reste des fragments des

Bassariques d’un certain Dionysios (Ier ou IIe siècle) ; les Dionysiaques d’Euphorion, aujourd’hui perdu, tout comme l’œuvre de Pisandre de Laranda qui devait très certainement consacrer des passages de ses Théogamies héroïques à la mythologie dionysiaque27. Bien

que son œuvre soit une épopée, Nonnos fait preuve d’une volonté de représenter l’ensemble des genres littéraires, et d’embrasser le plus de versions mythologiques possible. Ce désir de variété dans la forme et dans le genre est le principe directeur de la poésie nonnienne dont nous étudierons les détails à la fin de ce mémoire.

La question des sources de Nonnos est complexe : d’une part, une grande partie des œuvres dont l’auteur disposait ont disparu, et de l’autre, la poikilia dans les Dionysiaques fait en sorte que Nonnos recourt à une grande variété de genres, d’auteurs et de sujets, le tout en brouillant les pistes28. Parmi les grandes influences de Nonnos, Homère est présenté

à la fois comme modèle et comme rival et cela déjà d’un point de vue formel, puisque les

Dionysiaques comportent un nombre de chants égal à l’Iliade et l’Odyssée réunies. En

outre, de multiples réminiscences sont présentes dans le vocabulaire ou dans des scènes typiquement homériques chez Nonnos, comme la description du bouclier ou les jeux funèbres29. Homère est par ailleurs nommé huit fois directement dans la narration30. Parmi

25 Pour un résumé du contenu des Dionysiaques par chants, cf. annexe 1. 26 Cf. infra, p. 93-96.

27 L. Miguélez Cavero, Poems in Context : Greek Poetry in the Egyptian Thebaid 200-600 AD, p. 22. 28 Nonnos de Panopolis, t. I, texte édité et traduit par F. Vian, introduction p. XLIII-XLIV.

29 Le bouclier de Dionysos : XXV, 380-572 ; les jeux funèbres : le chant XXXVII au complet décrit les jeux

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les autres influences, Nonnos se réclame de Pindare qui est aussi nommé explicitement dans le second prologue (XXV, 21). En plus de reprendre quelques vers tirés de la première

Olympique et de la cinquième Néméenne, c’est surtout pour la forme désorganisée que

Nonnos met à profit Pindare31. Hésiode apparaît en filigrane de l’épopée, en grande partie

pour sa Théogonie que Nonnos suit à de nombreuses reprises. Du côté de la littérature hellénistique, Callimaque a eu une grande influence sur Nonnos, notamment sur la métrique32. Citons ensuite Apollonios de Rhodes, Achilles Tatius pour les digressions et

l’érotisme, les Bacchantes d’Euripide, les Hymnes orphiques dans l’épisode de Zagreus, les

Métamorphoses d’Ovide, et bien d’autres encore. À chacune de ces sources, le poète à

emprunté des formules et parfois quelques vers entiers ; plus subtilement les jeux d’intertextualité abondent dans l’épopée d’une manière qui nous échappe étant donné les sources de Nonnos désormais perdues. En accord avec le caractère syncrétique des

Dionysiaques, le poète met à profit un nombre immense d’auteurs de traditions et

d’époques différentes, dont il est difficile de mesurer la nature et l’ampleur dans le cadre restreint de notre recherche33.

L’attribution des Dionysiaques à Nonnos est assurée grâce à la mention « Νόννου (ποιητοῦ) Πανοπολίτου » dans deux manuscrits (Π, Α) des Dionysiaques34, et grâce à

l’historien Agathias le Scholastique, qui mentionne Nonnos dans ses Histoires à propos du personnage de Marsyas :

30 Ὅμηρος, Ὁμηρίς : I, 37 ; XIII, 50 ; XXV, 8, 253, 265 ; XXXII, 184 ; XLII, 181.

31 Pour les emprunts, comparer Dionysiaques, I, 15 et Néméennes, V, 42, ainsi que Dionysiaques, X, 260-263,

et Olympiques I, 36-42.

32 Nonnos de Panopolis, t. I, texte édité et traduit par F. Vian, introduction p. XLVI.

33 Pour une présentation plus exhaustive des nombreuses sources et précurseurs de Nonnos, cf. Nonnos de

Panopolis, t. I, texte édité et traduit par F. Vian, introduction p. XLI-L.

34 Ibid., p. LXI-LXVI : la tradition manuscrite a comporté deux familles. La première famille, qui mentionne

le nom de Nonnos, n’est plus représentée de nos jours que par deux témoins : le premier est le papyrus de Berlin P. 10567 (Π), qui contient à l’état fragmentaire cinq folios d’un codex remontant au VIe siècle ; le

second témoin est un manuscrit aujourd’hui perdu, qui a été vu pour la dernière fois en 1444 par Cyriaque d’Ancône au monastère de Lavra dans l’Athos (A) ; il reste aujourd’hui de ce manuscrit des excerpta dont le

Vat. Lat. 5250, fol. 19v contenant les 12 premiers vers impairs du chant I. La seconde famille de manuscrits,

qui ignore le nom de Nonnos, descend du Laur. 32,16 (L), il a été recopié en 1280 dans l’atelier de Maxime Planude à Constantinople. Dans le manuscrit, les Dionysiaques occupent les folios 9r à 173r.

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À propos de Marsyas, cette légende, les poètes d’autrefois la chantent et, à leur suite, les poètes modernes la chantent comme eux, entre autres, Nonnos, qui est né dans la ville égyptienne de Pan : celui-ci, dans l’un de ses poèmes intitulés par lui Dionysiaques, rapporte, je ne sais à quelle occasion, certains détails relatifs à Apollon […]

Histoires, 4, 23, 5-6. 35

La datation des Dionysiaques est sujette à débats et suscite encore certaines controverses36. Les terminus post quem et ante quem peuvent être estimés à l’aide de références à des auteurs ou des événements dans l’épopée. Plusieurs théories ont été avancées : selon Paul Collart, Nonnos aurait écrit les Dionysiaques avant l’édit de Théodose en 391 qui interdit les cultes païens37. Le terminus post quem soutenu par Francis Vian se base sur l’incipit d’une épigramme de Cyrus de Panopolis datée de 441-442 que Nonnos paraît imiter (XVI, 321 ; XX, 372)38. Ce terminus post quem est plus plausible dans la mesure où il peut être étayé par d’autres indices dans le texte. Par exemple, au chant XLI (143, 174, 395-398), Nonnos fait référence aux τῆς οἰκουμένης διδάσκαλοι, titre que les enseignants de l’école de droit de Beyrouth ont reçu en 449-450 lorsque la ville est devenue une métropole39. Quant au terminus ante quem, celui de 470 paraît aussi être le plus probable puisque les premiers poèmes influencés par le style nonnien apparaissent dès 470 avec l’auteur Pamprépios (473) et l’encomium anonyme à Héraclios d’Édesse daté de 47040. En conclusion, une fois l’ensemble des estimations faites, il est possible de donner

aux Dionysiaques comme dates de composition une fourchette probable allant de 450 à 470.

35 Agathias, Agathiae Myrinaei Historiarum libri quinque, texte édité par R. Keydell, Berlin, De Gruyter,

1967. Traduction française de Francis Vian.

36 Nous présentons ici la datation absolue des Dionysiaques, sans entrer en détail dans la datation relative des

Dionysiaques avec la Paraphrase. Pour une discussion sur la datation relative, cf. D. Accorinti, « The Poet

from Panopolis : An Obscure Biography and a Controversial Figure », p. 30-31.

37 P. Collart, Nonnos de Panopolis : Étude sur la composition et le texte des Dionysiaques, p. 13. 38 Nonnos de Panopolis, t. I, texte édité et traduit par F. Vian, introduction p. XV-XVIII.

39 L. Miguélez Cavero, Poems in Context : Greek Poetry in the Egyptian Thebaid 200-600 AD, p. 18.

40 D. Accorinti, « The Poet from Panopolis : An Obscure Biography and a Controversial Figure », p. 31, et

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L’article récemment paru de Delphine Lauritzen qui répertorie les principales études nonniennes menées depuis 1976 illustre le dynamisme de la recherche41. En 1976, la parution des deux premiers tomes de la traduction française des Dionysiaques dans la CUF marque le début du renouveau dans la recherche42. Cette vaste entreprise — dix-neuf

volumes parus en vingt-sept ans — a permis la redécouverte de cet auteur longtemps tombé dans l’oubli.

Peu étudié, il n’en reste pas moins que Nonnos avait déjà connu un certain succès avant l’édition des Belles Lettres. William Henry Denham Rouse avait traduit en 1940 dans la Loeb Classical Library les Dionysiaques en trois volumes43. En remontant encore dans le temps, la première traduction moderne date de 1856, complétée par le Comte de Marcellus, qui traduisit la Paraphrase quelques années après44. En parallèle aux travaux de traductions, les années trente ont connu une série d’études sur la composition des

Dionysiaques, conçues sur le même modèle que la méthode analytique appliquée aux

poèmes homériques45. Dominée par les recherches de l’Allemand Rudolf Keydell, cette tendance de la critique a jugé la structure narrative désordonnée, confuse et maladroitement construite46.

Il faut attendre les années soixante pour voir arriver une vision plus respectueuse du style littéraire de Nonnos avec le travail de l’Italien Gennaro d’Ippolito qui reconnaît une cohérence dans la structure proche de l’epyllion alexandrin47. Dans cette foulée, en 1977,

41 D. Lauritzen, « La Floraison des études nonniennes en Europe (1976-2014) », RET, 3, 2013-2014,

p. 299-321.

42 Nonnos de Panopolis, t. I et t. II.

43 Nonnos de Panopolis, Dionysiaca, texte traduit par W. H. D. Rouse, Cambridge, Harvard University Press,

1940.

44 Nonnos, Les Dionysiaques ou Bacchus, poëme en XLVIII chants, texte rétabli, traduit et commenté par le

Comte de Marcellus, Paris, Lacroix-Comon, 1856.

45 Pour un état de la question sur les études de la structure des Dionysiaques, cf. infra, p. 65-67.

46 R. Keydell, « Eine Nonnos-Analyse », L’Antiquité classique, 1, 1-2, 1932, p. 173-202 ; « Zur Komposition

der Bücher 13-40 der Dionysiaka des Nonnos », Hermes, 62, 1927, p. 393-434.

47 Gennaro d’Ippolito voyait les Dionysiaques comme une « sequenza di epilli » indépendants les uns des

autres, cf. G. d’Ippolito, Studi Nonianni, Palerme, Presso l’Accademia, 1964, p. 42. Pour un relevé complet des études nonniennes menées depuis les années 70 cf. D. Lauritzen, « La Floraison des études nonniennes en

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Barbara Abel-Wilmanns a abordé la composition de l’œuvre sous un angle structuraliste et mettant en relief la cohabitation de la cohérence et de la discontinuité dans l’organisation du plan48. La chercheuse, quoique sévère dans ses jugements, a aussi le mérite de replacer l’œuvre dans son époque, tout en faisant ressortir les diverses influences littéraires sur les

Dionysiaques. La dernière grande analyse de la structure marque aussi le début d’une

nouvelle vague de chercheurs. Coïncidant avec les débuts de la traduction française sous l’égide de Francis Vian, l’ouvrage de Wolfgang Fauth paru en 1981 s’attache à l’examen de l’épopée sous l’angle de la métamorphose49. L’apport essentiel de Wolfgang Fauth a été de

mettre en relation l’identité dionysiaque changeante et instable avec la structure narrative, qui partage ces mêmes caractéristiques avec le dieu.

À l’image du récit, les recherches ont commencé à partir des années quatre-vingt à se diversifier et à aborder, sous des angles thématiques variés, les caractéristiques de la poésie nonnienne. Notre objet d’analyse, c’est-à-dire l’apothéose dans les Dionysiaques, prend racine dans un ensemble d’études portant en majorité sur le thème plus large de la religion chez Nonnos. En effet, le thème de l’apothéose de Dionysos chez Nonnos a été le plus souvent étudié dans le cadre élargi de l’immortalité dans l’épopée, et approché sous l’angle de la sincérité religieuse, ou comme porte d’entrée au contexte religieux du Ve siècle.

Les deux grands représentants de l’école française, Francis Vian et Pierre Chuvin, ont particulièrement œuvré à montrer le syncrétisme religieux régnant dans les Dionysiaques, et à replacer l’œuvre dans le contexte religieux de son époque. La thèse de Pierre Chuvin soutenue en 1983 s’est attachée à retracer les différentes variantes mythologiques en lien avec les lieux géographiques décrits dans l’œuvre50. À la suite de son doctorat, le chercheur

a publié deux articles fondateurs sur le sujet du paganisme culturel dans les Dionysiaques et

Europe (1976-2014) ». Nous nous sommes par ailleurs inspirées de la forme de cet article pour la classification en différentes langues dans notre état de la question, cf. infra p. 10-12.

48 B. Abel-Wilmanns, Der Erzählaufbau der Dionysiaka des Nonnos, Francfort / Berne / Las Vegas,

Peter Lang, 1977, en particulier p. 166-182.

49 W. Fauth, Eidos poikilon. Zur Thematik der Metamorphose und zum Prinzip der Wandlung aus dem

Gegensatz in den Dionysiaka des Nonnos von Panopolis, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1981.

50 P. Chuvin, Mythologie et géographie dionysiaques, recherches sur l’œuvre de Nonnos de Panopolis,

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sur le contexte chrétien de l’auteur51. Sous le même angle thématique, Francis Vian a

abordé la question de la sincérité religieuse et de la sotériologie dans l’épopée52. Ces deux

savants ont marqué la recherche nonnienne en contextualisant l’épopée dans son environnement chrétien et en réfutant les partisans d’une conversion tardive de Nonnos au christianisme. À leur suite, une nouvelle génération française a pris le relais, qui mit davantage l’accent sur la dette de Nonnos vis-à-vis du genre du roman avec Hélène Frangoulis53, et sur la théâtralité et l’importance des descriptions et jeux littéraires

dans l’épopée avec Marie-Christine Fayant54.

L’aspect religieux des Dionysiaques, plus spécifiquement les religions à mystères, fait depuis plusieurs années l’objet d’études menées par l’école nonnienne espagnole. Dans un premier temps, en 2008, David Hernandez de la Fuente a publié une vaste monographie portant sur le syncrétisme religieux chez Nonnos en lien avec son temps, et notamment sur les références chrétiennes présentes dans l’œuvre55. À côté de ce livre, le chercheur a

consacré plusieurs articles à la présence de l’orphisme dans les Dionysiaques 56.

Rosa Garcia-Gasco relève elle aussi une thématique et un vocabulaire orphique dans plusieurs épisodes de la geste de Dionysos, par exemple le chant contenant la naissance du premier Dionysos57. Dans une autre branche de la recherche, l’ouvrage paru récemment de

Laura Miguélez-Cavaro est rapidement devenu une référence indispensable, tant des études nonniennes que des recherches sur la poésie de la Thébaïde tardo-antique58. En plus de

présenter les poètes contemporains à Nonnos (Triphiodore, Cyrus ou Musée, etc.) et leurs

51 P. Chuvin, « Nonnos de Panopolis et la déconstruction de l’épopée », in F. Montanari et A. Rengakos (éds),

La Poésie épique grecque : métamorphoses d’un genre littéraire, Vandoeuvres / Genève, Fondation Hardt,

2006, p. 249-270.

52 F. Vian, « Les cultes païens dans les Dionysiaques de Nonnos », REA, 90, 1988 ; F. Vian, « Théogamies et

sotériologies dans les Dionysiaques de Nonnos », JS, 1994, p. 197-233.

53 H. Frangoulis, Du roman à l’épopée, influence du roman grec sur les Dionysiaques de Nonnos de

Panopolis.

54 M.-C. Fayant, « Hermès dans les Dionysiaques de Nonnos de Panopolis », REG, 111, 1998, p. 145-159. 55 D. H. de la Fuente, « Bakkhos Anax » : un estudio sobre Nono de Panopolis, Madrid, CSIC, 2008.

56 D. H. de la Fuente, « Elementos Órficos en el Canto VI de las Dionisíacas : el Mito de Dioniso Zagreo en

Nono de Panópolis », Ilu, 7, 2002, p. 19-50.

57 R. Garcia-Gasco, « Dionysism in Late Antiquity : The Three Dionysos in the Dionysaca », in D. H. de la

Fuente (éd.), New Perspectives on Late Antiquity, Cambridge, Cambridge Scholars Publishing, 2011, p. 367-380.

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contextes, l’auteure aborde les thèmes de la paideia et de la poikilia dans le processus de création poétique de l’Antiquité tardive.

Du côté de la recherche anglaise, Robert Shorrock a publié un ouvrage en 2001 faisant un parallèle entre la recherche d’immortalité de Dionysos et la propre quête de reconnaissance de l’auteur59. Cet ouvrage a permis de mettre en lumière le dialogue entre

Nonnos et la tradition littéraire à travers le jeu intertextuel élaboré des Dionysiaques. De son côté, Neil Hopkinson a édité un ouvrage insistant aussi sur l’intertextualité et sur l’utilisation de la tradition chez Nonnos qui vise à créer une forme renouvelée de poésie60.

Pour sa seconde monographie publiée en 2011, l’intérêt de Robert Shorrock s’est tourné vers les liens religieux entre les Dionysiaques et la Paraphrase. Cette comparaison en lien encore avec le contexte d’écriture conclut à l’impossibilité de séparer le paganisme et le christianisme chez Nonnos qui coexistent dans un dialogue interreligieux propre à l’Égypte du poète61.

Tout aussi active, l’école italienne s’est consacrée principalement à la Paraphrase de

l’Évangile selon saint Jean62. De même, des études séminales ont été de plus entreprises au

sujet des Dionysiaques en italien. En 1985, Daria Gigli Piccardi a analysé le langage métaphorique de l’épopée63. Plus récemment, Gianfranco Agosti se consacra à la question

des liens entre la poésie nonnienne et les arts figurés de l’Antiquité tardive64. Cet angle

d’approche permet de mettre en lumière l’importance des ekphraseis et du visuel dans la

59 R. Shorrock, The Challenge of Epic : Allusive Engagement in the Dionysiaca of Nonnus,

Leyde / Boston / Cologne, Brill, 2001.

60 N. Hopkinson, Studies in the Dionysiaca of Nonnus, Cambridge, Cambridge Philological Society, 1994. 61 R. Shorrock, The Myth of Paganism, Nonnus, Dionysus and the World of Late Antiquity, Londres, Bristol

Classical Press, 2011.

62 Enrico Livrea et ses étudiants ont commencé à la fin des années 90 l’édition, la traduction et le

commentaire de la Paraphrase. Malheureusement, tous les chants n’ont pas été publiés, et ceux qui l’ont été le sont chez des éditeurs différents. Pour le détails des publications, cf. D. Lauritzen, « La Floraison des études nonniennes en Europe (1976-2014) », AndTard, 3, 2013-2014, p. 315-316.

63 D. Gigli Piccardi, Metafora e poetica in Nonno di Panopoli, Florence, Università degli Studi di Firenze,

1985.

64 G. Agosti, « Contextualizing Nonnus’s Visual World », in K. Spanoudakis (éd.), Nonnus of Panopolis in

Context, p. 141-174 ; « Immagini e poesia nella Tarda Antichità. Per uno studio dell’estetica visuale della

poesia greca fra III e IV sec. d.C. », in L. Cristani (éd.), Incontri Triestini di Filologia Classica IV, Trieste, Edizioni Università di Trieste, 2006, p. 351-374.

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poésie de cette époque et fournit un outil supplémentaire au chercheur moderne pour comprendre les visées et les motivations de l’auteur.

Ce survol des différentes études marquantes permet de constater le dynamisme de la recherche dans ce domaine, mais aussi le travail qui reste encore à accomplir. Le thème de l’apothéose dionysiaque a été abordé à plusieurs reprises dans les recherches citées, mais il n’a jamais été la finalité des études ni n’a fait l’objet d’une étude systématique dans ses différents aspects. Les chercheurs ont abordé ce thème en marge d’autres sujets, souvent en faisant de l’apothéose un outil pour arriver à des conclusions plus larges sur la présence de l’élément religieux dans les Dionysiaques. Parmi les auteurs qui se sont penchés sur la déification de Dionysos, deux articles de Francis Vian s’attachent à prouver l’absence d’une quelconque ferveur religieuse dans le poème65. Dans la même ligne que son maître,

Pierre Chuvin arrivait aux mêmes conclusions en montrant que Nonnos déconstruit les règles du genre épique grâce à l’ironie et la parodie66. Robert Shorrock, quant à lui, a étudié

certains aspects de la question afin de montrer les parallèles entre l’apothéose de Dionysos et la consécration littéraire de l’auteur dans son premier ouvrage, et entre Jésus Christ et Dionysos dans sa seconde monographie67. D’un point de vue religieux, la naissance et la

mort du premier Dionysos, Zagreus, représentent un grand intérêt pour l’histoire de l’orphisme. C’est pourquoi cet épisode a été abondement étudié par David Hernandez de la Fuente qui a fait ressortir la présence dans le récit de vocabulaire et de thèmes propres aux cultes à mystères68.

Le spectre de la question nonnienne n’est jamais loin lorsque l’apothéose de Dionysos est à l’étude. Les chercheurs ont fréquemment mis à profit le processus de déification dans le but de répondre à la question d’une éventuelle présence d’éléments religieux dans l’épopée qui permettraient de comprendre les intentions de l’auteur, de déceler ses croyances ou d’analyser le contexte socioreligieux de l’époque. Loin de nier

65 Cf. supra n. 51.

66 P. Chuvin, « Nonnos de Panopolis et la déconstruction de l’épopée », p. 249-270. 67 R. Shorrock, The Challenge of Epic, Allusive Engagement in the Dionysiaca of Nonnus.

68 D. H. de la Fuente, « Elementos Orphico en el Canto VI de las Dionisiacas : el Mito de Dioniso Zagreo en

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l’importance de la littérature comme porte d’entrée d’une époque, notre recherche va s’éloigner de la question nonnienne pour analyser, dans une perspective littéraire, un sujet dont l’étude religieuse a souvent été préférée. D’ailleurs, aucune étude ne se consacre exclusivement au thème de l’apothéose de Dionysos à travers l’œuvre, que ce soit dans une approche religieuse ou littéraire. Notre entreprise se propose de combler ce vide, de manière à expliquer la nature et le rôle de la déification du héros de l’épopée, si souvent évoquée et utilisée, mais jamais fondamentalement étudiée.

La lecture et l’étude des Dionysiaques ont été réalisées selon une analyse littéraire du texte. Nous définissons « analyse littéraire » comme l’examen de la forme des

Dionysiaques (la composition, la structure, l’ordre des événements), et du fond (les thèmes,

le sujet, les personnages et la langue). À côté de l’analyse interne de l’épopée, nous avons procédé, lorsque c’était pertinent pour notre objet d’étude, à une analyse externe de l’œuvre, c’est-à-dire le lien entre l’œuvre de Nonnos et certains principes esthétiques de son époque. Sans être la finalité de notre étude, la contextualisation des Dionysiaques permet de mieux appréhender des concepts tels que la poikilia et la paideia au Ve siècle, qui sont au centre des principes poétiques de Nonnos.

La lecture des Dionysiaques, selon une grille de lecture préétablie, a été la première étape de notre recherche. Cette grille de lecture a permis, dans un premier temps, un relevé systématique et thématique des passages traitant de l’immortalité en général afin que ne soit omis aucun aspect touchant de près ou de loin le protagoniste principal. Nous avons aussi relevé les passages qui mentionnaient ou discutaient la condition mortelle et/ou divine de Dionysos, car le lien difficile entre Dionysos et le monde divin justifie sa quête d’immortalité à travers l’épopée. Les passages sélectionnés ont permis de mettre en lumière les différents types d’immortalités dans l’œuvre, ainsi que leur répartition au sein de la narration et les personnages impliqués. De ce relevé, nous avons conservé pour une analyse plus poussée les passages concernant les étapes révélant un changement de statut du dieu : les naissances, les morts, et les épisodes marquant un rapprochement avec la sphère divine. Pour sélectionner ces événements, nous nous sommes appuyée sur la présentation dans l’œuvre elle-même de ces moments comme tournants dans la quête d’immortalité de

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Dionysos. Que ce soit par la bouche d’un personnage ou celle du narrateur, certains passages sont présentés comme des étapes menant le héros à son apothéose ; ce sont donc ces passages que nous avons gardés. De manière plus générale, l’étude systématique du lien entre Dionysos et le divin, plus spécifiquement de l’apothéose du dieu et de la promesse pour lui d’une vie d’immortel, a pour visée de mieux comprendre le rôle et la place de sa déification et de son apothéose divine dans l’épopée. Dans un deuxième temps, notre étude s’intéressera aux liens entre la littérature nonnienne et les arts figurés, ce qui permettra de comprendre certains objectifs d’écriture de l’auteur. Pour ce faire, le premier chapitre s’appuiera sur les passages sélectionnés accompagnés de notre traduction personnelle afin de retracer les étapes que nous jugeons importantes pour l’apothéose de Dionysos. Comme Nonnos a la particularité de mettre en scène une trilogie dionysiaque — Zagreus le premier né, Bacchos fils de Sémélé et finalement Iacchos l’Éleusinien, fils du deuxième Bacchos — nous présenterons dans un premier temps le concept de trilogie bachique, et la construction identitaire de Dionysos qui se fait dans prologue du chant I. Selon la division tripartite de l’identité, nous aborderons dans un deuxième temps chacun des Dionysos dans une section distincte, en commençant par Zagreus, puis Iacchos et finalement Bacchos, le plus important des trois. Finalement, à l’aide des observations qui auront été faites précédemment, nous serons en mesure d’analyser le rôle de l’immortalité dionysiaque pour Bacchos et comme liant de la trilogie bachique.

Dans le second chapitre, la discussion portera sur la question du rôle de l’immortalité de Dionysos pour l’œuvre et sa signification « religieuse » pour les personnages, y compris pour Dionysos. En nous appuyant sur les extraits et les résultats du premier chapitre, nous serons en mesure d’analyser la place de l’apothéose dans la construction narrative. Finalement, en nous fondant sur des analyses littéraires, nous poserons la question de la sincérité de l’apothéose. Pour ce faire, nous la replacerons dans l’environnement sotériologique de l’œuvre en faisant une brève présentation des autres moyens de survie après la mort. Ensuite, il sera question de son possible rôle dans le salut des personnages de l’épopée et pour Dionysos en particulier. Cela nous permettra de poser un jugement plus éclairé sur la nature et le rôle de l’apothéose de Dionysos chez Nonnos, en lien avec le contexte esthétique et les principes directeurs de la paideia et de la poikilia.

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Chapitre 1

Quelle immortalité pour quel Dionysos ?

À l’image de son épopée, Nonnos présente dans les Dionysiaques un héros dont l’identité multiple évolue jusqu’aux derniers vers de l’histoire. Ainsi, la compréhension de l’immortalité bachique chez Nonnos passe avant tout par une analyse de l’identité plurielle du Dionysos nonnien. Se pose ici le premier obstacle à l’analyse du thème de l’apothéose dionysiaque, à savoir la présence de trois Dionysos de naissances et histoires différentes dans le poème. Dans cette perspective, une présentation de la façon de figurer les trois Dionysos s’avère nécessaire afin de mettre en lumière leurs immortalités respectives, et le lien que les trois versions du dieu entretiennent entre elles. Comme point de départ pour cette analyse, il sera question, dans un premier temps, d’une brève mise en contexte du concept de trilogie bachique dans la tradition littéraire et religieuse et chez Nonnos69. Dans un deuxième temps, notre recherche se tournera vers la construction identitaire de Dionysos dans « l’invocation aux Muses ». Sur les traces de ses prédécesseurs, Nonnos apporte un soin particulier à son prologue, tant au niveau de la forme que du fond, et y annonce le sujet principal, l’identité de son héros et ses exploits à venir70. Le deuxième volet du chapitre

consistera en une analyse détaillée des trois Dionysos dans l’œuvre, à savoir Zagreus, Iacchos et Bacchos. Les plus brèves histoires de Zagreus et Iacchos seront présentées en premier, puis nous terminerons l’analyse des trois Dionysos par Bacchos, protagoniste principal de l’histoire. Pour mettre en lumière leurs liens respectifs avec l’immortalité, des extraits de textes choisis selon les critères définis dans la méthodologie seront traduits et commentés.

69 Cette brève présentation ne prétend pas être exhaustive puisque l’identité dionysiaque à travers l’Antiquité

ne peut se résumer aisément en une page, mais elle permet plutôt de dresser un portrait d’ensemble des sources d’inspiration possibles de Nonnos. Pour une présentation de l’identité plurielle de Dionysos,

cf. A. Bernabé, M. Herrero de Jáuregui, A. I. Jiménez San Cristobal et al. (éds), Redefining Dionysos,

Berlin / Boston, De Gruyter, 2013.

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La trilogie bachique

Nonnos met en scène un Dionysos pluriel que l’on trouve déjà dans la littérature antérieure au Ve siècle : Diodore qualifie par exemple le dieu de πλείονες, et dans son De

natura deorum Cicéron le présente comme Dionysos multos71. Le triple Dionysos se

retrouve aussi chez Diodore qui décrit le premier Dionysos comme le fils de Perséphone, le second de Sémélé, quant au troisième sa généalogie n’est pas précisée72. Euphorion quant à

lui connaît une variante avec un seul Dionysos, mais de trois naissances différentes : en premier de Sémélé, puis de la cuisse de Zeus et finalement grâce à Rhéa qui le ressuscite après le démembrement par les Titans73. Dans la théogonie orphique, le dieu a également

trois naissances, mais la filiation diffère puisque la première mère est Perséphone, la seconde, Sémélé et la dernière naissance est de la cuisse de Zeus74. L’Hymne orphique à

Dionysos donne au dieu l’épithète τρίγονον, qualificatif qui indique ces trois naissances75.

Ainsi, la construction identitaire du Dionysos nonnien repose sur une tradition bien établie d’un dieu aux multiples facettes dans la littérature et la religion, de sorte que le triple Dionysos de Nonnos n’est pas une innovation de l’auteur. En revanche, la nouveauté réside dans la filiation du dernier Dionysos à qui Nonnos confère comme père Bacchos et comme mère la nymphe Aura.

La répartition des trois Dionysos chez Nonnos est inégale du point de vue du nombre de vers : l’histoire du premier Dionysos, Zagreus, commence à la toute fin du chant V avec Déméter qui essaie de protéger sa fille contre Zeus. Le chant VI est consacré au viol de Perséphone, à la naissance de Zagreus, les récits le concernant, et se termine à la fin du chant sur le déluge infligé par Zeus à la terre en représailles de la mort de Zagreus. Les

71 Nonnos de Panopolis, t. III, texte édité et traduit par P. Chuvin, notice p. 17 : dans les cas de Diodore de

Sicile et d’Euphorion (rapporté par Philodème), il s’agit de fragments orphiques, rapportés par ces deux auteurs. Cf. Diodore, 5, 75, 4 (fr. orph. 303 Kern) ; Cicéron, De natura deorum, 3, 58.

72 Diodore, 3, 62, 2 (fr. orph. 301 Kern) ; 4, 4, 1. Cf. Nonnos de Panopolis, t. III, texte édité et traduit par

P. Chuvin, notice p. 16.

73 Ibid., p. 17. Euphorion, fr. 36 Powell.

74 Hymne orphique à Dionysos, 30.2. Cette dernière naissance peut être comprise comme une mise en valeur

de la naissance uniquement masculine de Zeus lui-même.

75 S. Lebreton, « Les épiclèses dans les Hymnes orphiques. L’exemple de Dionysos », in R. Bouchon,

P. Brillet-Dubois et N. Le Meur-Weissm (éds), Hymnes de la Grèce antique : approches littéraires et

historiques, actes du colloque international de Lyon, 19-21 juin 2008, Lyon, Maison de l’Orient et de la

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aventures de Bacchos, le deuxième Dionysos, débutent au chant VII avec les amours de Zeus et Sémélé. Tout le reste de l’épopée, à quelques exceptions près, lui est consacré jusqu’à son apothéose76. Finalement, le dernier Dionysos, Iacchos, fait une fulgurante, mais

significative apparition dans la seconde moitié du chant XLVIII77.

La construction de l’identité de Dionysos dans « l’invocation aux Muses » (I, 1-46)

La pluralité du dieu se retrouve dès le début de l’épopée quand Nonnos expose son programme poétique. Nonnos ne fait pas entorse à la règle et, dans la foulée de ses prédécesseurs, ouvre l’épopée sur un prologue travaillé. Comme l’avait déjà noté Francis Vian, l’ouverture des Dionysiaques est particulièrement longue puisqu’elle comporte 46 vers78. Cette ampleur se justifie par l’usage que Nonnos en fait pour présenter

ses intentions poétiques, et pour introduire Dionysos et les thèmes principaux de son œuvre79 : Εἰπέ, θεά, Κρονίδαο διάκτορον αἴθοπος εὐνῆς, (1) νυμφιδίῳ σπινθῆρι μογοστόκον ἄσθμα κεραυνοῦ, καὶ στεροπὴν Σεμέλης θαλαμηπόλον· εἰπὲ δὲ φύτλην Βάκχου δισσοτόκοιο, τὸν ἐκ πυρὸς ὑγρὸν ἀείρας Ζεὺς βρέφος ἡμιτέλεστον ἀμαιεύτοιο τεκούσης, (5) φειδομέναις παλάμῃσι τομὴν μηροῖο χαράξας, ἄρσενι γαστρὶ λόχευσε, πατὴρ καὶ πότνια μήτηρ, εὖ εἰδὼς τόκον ἄλλον ἑῷ γονόεντι καρήνῳ, ὅς πάρος ὄγκον ἄπιστον ἔχων ἐγκύμονι κόρσῃ τεύχεσιν ἀστράπτουσαν ἀνηκόντιζεν Ἀθήνην. (10) Ἀξατέ μοι νάρθηκα, τινάξατε κύμβαλα, Μοῦσαι, καὶ παλάμῃ δότε θύρσον ἀειδομένου Διονύσου. Ἀλλὰ χοροῦ ψαύοντι Φάρῳ παρὰ γείτονι νήσῳ, στήσατέ μοι Πρωτῆα πολύτροπον, ὄφρα φανείη ποικίλον εἶδος ἔχων, ὅτι ποικίλον ὕμνον ἀράσσω. (15) Εἰ γὰρ ἐφερπύσσειε δράκων κυκλούμενος ὁλκῷ,

76 Le nom des deux autres Dionysos apparaît durant l’épopée, mais toujours dans la bouche d’autres

personnages (Zagreus 16 fois et Iacchos 1 fois pour désigner Bacchos).

77 L’histoire de Zagreus est courte, mais significative pour l’histoire et pour son père Bacchos. Cf. infra,

p. 37-38.

78 Nonnos de Panopolis, les Dionysiaques, t. III, texte édité et traduit par P. Chuvin, notice p. 8.

79 Dans l’ordre, les épisodes annoncés sont le combat contre les Géants, Dionysos élevé par Rhéa, la guerre

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μέλψω θεῖον ἄελθον, ὅπῃ κισσώδεϊ θύρσῳ φρικτὰ δρακοντοκόμων ἐδαΐζετο φῦλα Γιγάντων· εἰ δὲ λέων φρίξειεν ἐπαυχενίην τρίχα σείων, Βάκχον ἀνευάξω βλοσυρῆς ἐπὶ πήχεϊ Ῥείης (20) μαζὸν ὑποκλέπτοντα λεοντοβότοιο θεαίνης· εἰ δὲ θυελλήεντι μετάρσιος ἅλματι ταρσῶν πόρδαλις ἀίξῃ πολυδαίδαλον εἶδος ἀμείβων, ὑμνήσω Διὸς υἷα, πόθεν γένος ἔκτανεν Ἰνδῶν πορδαλίων ὀχέεσσι καθιππεύσας ἐλεφάντων· (25) εἰ δέμας ἰσάζοιτο τύπῳ συός, υἷα Θυώνης ἀείσω ποθέοντα συοκτόνον εὔγαμον Αὔρην, ὀψιγόνου τριτάτοιο Κυβηλίδα μητέρα Βάκχου· εἰ δὲ πέλοι μιμηλὸν ὕδωρ, Διόνυσον ἀείσω κόλπον ἁλὸς δύνοντα κορυσσομένοιο Λυκούργου· εἰ φυτὸν αἰθύσσοιτο νόθον ψιθύρισμα τιταίνων, (30) μνήσομαι Ἰκαρίοιο, πόθεν παρὰ θυάδι ληνῷ Βότρυς ἁμιλλητῆρι ποδῶν ἐθλίβετο ταρσῷ.

Parle, déesse, ministre de la couche enflammée du Cronide, par une étincelle nuptiale du douloureux enfantement, par le souffle de l’éclair et de la lumière éblouissante qui fut la servante de Sémélé, parle de la race de Bacchos, deux-fois né, que Zeus extirpa du feu, l’enfant humide à moitié formé, issu d’un enfantement sans sage-femme. [Zeus] après avoir incisé sa cuisse de mains prudentes accoucha de son ventre mâle, père et vénérable mère. Il avait déjà fait l’expérience d’une autre naissance lors de la conception dans sa tête, lui qui avait autrefois produit une grosseur invraisemblable dans sa tempe gestante, et avait fait jaillir Athéna toute brillante de ses armes. Apportez-moi une férule, agitez des cymbales, Muses, et donnez dans ma main le thyrse de Dionysos que je chante. Faites surgir pour moi Protée aux mille tours, près de l’île voisine de Pharos, moi qui gagne ce chœur, afin que [Protée] apparaisse dans sa forme variée, car variée est l’hymne que je joue80. Si en serpent faisant des cercles, il

rampe dans son ondulation, je chanterai le divin combat pendant lequel la race effrayante des géants aux cheveux ophidiens fut abattue par le thyrse couronné de lierre. Si comme le lion il secoue autour de son cou sa crinière hérissée, je proclamerai l’évohé de Bacchus, qui sur le bras de Rhéa la terrible dérobait le sein de la déesse nourricière de lion. Si en léopard il s’élance dans les airs d’un saut impétueux de ses pattes, changeant de forme, je chanterai le fils de Zeus, comment il tua la race des Indiens après avoir piétiné leurs éléphants sur son char de panthères. Si son corps cherche à imiter la forme du sanglier je chanterai le fils de Thyoné, désirant Aura la bien mariée tueuse de sangliers, la mère cybélienne de Bacchus le troisième, né sur le tard. S’il devient de l’eau qui imite, je chanterai Dionysos plongeant au fond de la mer alors que Lycurgue combattait. Si devenu plante il tremble en produisant un murmure

80 Comme le remarque Francis Vian, l’expression ποικίλων ὕμνον se retrouve déjà chez Pindare (Néméennes,

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faux, je ramènerai Icarios en mémoire, comment dans un pressoir ivre il écrasait les grappes avec le plat rivalisant de ses pieds. (I, 1-33)

L’« appel aux Muses » se divise en trois parties ponctuées de quatre apostrophes à la déesse θεά (v. 1 et 45)81, à la Muse Μοῦσαι (v. 11) et aux Mimallones Μιμαλλόνες (v. 34). La première partie (v. 1-10) introduit le héros et ses deux naissances, de sa mère Sémélé puis de la cuisse de Zeus (Βάκχου δισσοτόκοιο). La description de cette naissance extraordinaire est mise en lien avec la venue au monde d’Athéna, présentée à l’égal de Dionysos, comme sa sœur et une sorte de double82. Dès le début, Nonnos met l’accent sur

l’élément du feu qui préside à l’accouchement de Sémélé. En quatre vers, Nonnos parle de la couche enflammée (αἴθοπος εὐνῆς), une étincelle nuptiale (νυμφιδίῳ σπινθῆρι), de l’éclair (κεραυνοῦ), la lumière éblouissante (στεροπήν) du feu (πυρός). Le centre du prologue, plus long, est réservé aux métamorphoses de Protée qui correspondent chacune à un épisode dionysiaque. Outre la présentation des thèmes principaux, Nonnos annonce sa

poikilia à travers le dieu invoqué ici, Protée qui est de plus mis en relief par une allitération

aux vers 14 et 15 (Πρωτῆα πολύτροπον [...] ποικίλον […] ποικίλον). Le Vieux de la mer patronne l’épopée et fait figure proleptique en incarnant à travers ses propres métamorphoses un des motifs principaux de l’histoire. Durant les transformations successives, Nonnos fond les identités de Protée et de Bacchos en ne nommant jamais celui qui se transforme par son nom, mais en utilisant systématiquement un pronom personnel. Cette confusion laisse présager de la nature instable et changeante de Dionysos dans les

Dionysiaques, dieu qui incarne lui-même la multiplicité et les contrastes, à travers

notamment ses métamorphoses83. La description des métamorphoses dans le prologue repose sur un vocabulaire qui appartient à la famille de l’illusion, de l’instabilité et de la variété. Les termescomme ποικίλος et ses dérivés, (3x), les mots commençant par πολυ- (3x), εἶδος, νόθος, μιμηλὸς (3x) reviendront souvent par la suite dans le reste de l’épopée. En plus d’associer dès le début de son œuvre la poikilia aux caractéristiques de Dionysos,

81 La dernière apparition de la déesse au vers 45 n’est pas comprise dans l’extrait que nous avons abrégé, mais

le terme est le même qu’au premier vers.

82 Sur le lien entre Athéna et Dionysos de par leur naissance, cf. J. Rudhardt, « Les deux mères de Dionysos,

Perséphone et Sémélé, dans les Hymnes orphiques », RHR, 219, 4, 2002, p. 500.

83 Nonnos de Panopolis, t. I, texte édité et traduit par F. Vian, notice p. 9. Protée personnifie la poikilia chez

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Nonnos présente les attributs du dieu que le poète s’approprie au moment d’entonner son chant : la férule et les cymbales (νάρθηκα, κύμβαλα), le thyrse (θύρσον), la nébride (νεβρίδα ποικιλόνωτον), le serpent (δράκος et ses dérivés), le lierre (κισσώδει θύρσῳ) et évidemment les grappes de vin (βότρυς)84. Viennent ensuite à travers les métamorphoses

les animaux dionysiaques, le serpent (δράκος et ses dérivés), le lion (λέων), et la panthère (πόρδαλις). Durant le prologue, le lecteur apprend que le dieu sera allaité et élevé par Rhéa, et ensuite que Bacchos va s’unir à Aura qui sera la mère du troisième Dionysos le tard venu, Iacchos85. Le prologue de Nonnos représente un condensé de sa poésie, et contient

une carte d’identité de son héros qui n’apparaît que sept chants plus tard. Omissions dignes d’intérêts, l’auteur ne parle ni de Zagreus alors qu’il met en scène Iacchos dont l’histoire est plus courte, ni de l’apothéose de Bacchos désignée pourtant comme son objectif ultime. Explication vraisemblable de ces silences, la poikilia nonnienne se trouve dans le foisonnement des images et des mots, mais elle se manifeste aussi par les silences et omissions volontaires qui créent une attente chez l’auditoire.

Étape I : Zagreus

Le nom de Zagreus, qui peut désigner Dionysos ou un autre dieu, n’a que peu d’occurrences dans l’ensemble de la littérature grecque. Il convient donc, dans un premier temps, de brosser un rapide portrait du dieu Zagreus dans la tradition littéraire antérieure à Nonnos. Cette dénomination Ζαγρεύς est attestée pour la première fois dans un fragment de l’Alcméonide aujourd’hui disparu86, où il semble avoir été associé à un dieu infernal, tout

comme chez Eschyle dans un fragment de Sisyphe échappé des Enfers87, où Zagreus est

84 Nonnos rend à travers la narration l’aspect bruyant du dieu Dionysos, particulièrement lors des célébrations,

cf. R. F. Newbold, « The Power of Sound in Nonnus’ Dionysiaca », in D. Accorinti et P. Chuvin (éds), Des géants à Dionysos, mélanges de mythologie et de poésie grecques offerts à Francis Vian, p. 457-468.

85 Nonnos affectionne particulièrement les scènes d’allaitement auxquelles il donne une signification

symbolique. Cet épisode sera d’ailleurs important pour la nature du dieu. Cf. infra, p. 45-48.

86 Nonnos de Panopolis, t. III, texte édité et traduit par P. Chuvin, notice p. 19 : fr. 3

Kindel / Bernabé / Davies ; par ailleurs, l’auteur de l’Alcméonide ne nous est pas connu. Dans son édition des fragments épiques grecs, Martin L. West date cette tragédie, notamment grâce à la mention de Zagreus, du VIe

ou du début du Ve siècle av. J.-C. Pour plus de détails, cf. M. L. West, Greek Epic Fragments, Cambridge,

Harvard University Press, 2003, p. 10-11.

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