CHRONIQUES ET COMPTES RENDUS
283
La critica del testo mediolatino. Atti del Convegno (Firenze 6-8 dicembre 1990), a cura di Claudio LEONARDI, Spoleto, Centro italiano di studi sull'al-to medioevo, 1994, VIII-455 p. ; index (Biblioteca di Medioevo Latino, 5). // verso europeo. Atti del seminario di metrica comparata (4 maggio 1994), acura di Francesco STELLA, prefazione di Claudio LEONARDI, Firenze, Consiglio Regionale della Toscana, Fondazione Ezio Franceschini, 1995, 165 p. ; sans index (Opuscoli, 9).
Ces deux colloques ont déjà fait l'objet d'une brève mention dans notre revue, à l'intérieur de la Cronaca degli avvenimenti italiani, dans les t. 50, 1990-1991, p. 127 et t. 53, 1995, p. 236. Leurs Actes, qui ne coïncident pas tout à fait avec les listes des contributions alors recensées, méritent d'être pré-sentés, en raison de leur intérêt pour les spécialistes de philologie médio-latine.
Les colloques sur la critique textuelle — depuis un fameux «Convegno di Studi di Filologia italiana», tenu en 1960 et publié à Bologne en 1961 — se sont multipliés pour toutes les époques et toutes les langues. Plusieurs ont déjà traité d'ouvrages médiolatins, notamment en 1973 (Probleme der Edition mit-tel- und neulateinischer Texte, Bonn, 1978) et en 1984 (The Editing of Theological and Philosophical Texts from the Middle Ages, Stockholm, 1986 ; Grafia e interpunzione del latino nel medioevo, Roma, 1987). Mais la réunion de Florence est, sauf erreur, la première qui ait été consacrée entièrement à la philologie du latin médiéval, avec le projet d'en couvrir tous les aspects. Ses Actes seront donc un point de référence obligé pour les réflexions ultérieures. On les consultera en même temps qu'un livre collectif intitulé : Les problèmes posés par l'édition critique des textes anciens et médiévaux, Louvainla
-Neuve, 1992, qui réserve aussi une large place au domaine médiolatin, tout en restant ouvert à d'autres périodes et aires linguistiques.
Les Actes du colloque de Florence s'ouvrent sur une lettre d'Horst Fuhrmann (« Il nuovo mondo degli editori »), qui souligne combien l'infor-matique est en train de bouleverser les conditions du travail philologique. Celle-ci précède un bilan fort utile, dressé par Claudio Leonardi (« La filolo-gia mediolatina »). Les 24 contributions individuelles sont ensuite regroupées selon trois têtes de chapitres : « Il metodo », « I generi letterari », « Gli esem-pi ». Une telle répartition était un mal nécessaire, qui ne doit pas arrêter le lec-teur : partout abondent les considérations de méthode, et parfois dans les deuxième et troisième sections avec plus d'originalité que dans la première.
La plupart des intervenants, contrairement à ce qui se passe outre-Atlantique, semblent attachés à la méthode stemmatique (ou néo-lachmanien-ne), dont ni les difficultés ni les limites ne sont ignorées, mais qu'on essaie malgré tout d'appliquer, afin d'en vérifier dans chaque cas le degré de perti-nence. La première partie est donc centrée sur les deux opérations de recensio
284
FRANÇOIS DOLBEAU(E. Menestò, G. Orlandi) et à'emendano (en général : J. B. Hall, E. Cecchini ;
liée à des questions prosodiques ou métriques : P. C. Jacobsen, D. Norberg).
En tête, les réflexions pratiques de Louis Holtz (« La recherche des témoins »)
sont de nature à rappeler une donnée trop souvent oubliée : ce qui rend une
édition caduque n'est pas d'ordinaire le choix erroné ou la mauvaise
applica-tion d'une méthode, mais le repérage de nouveaux manuscrits ; les lacunes et
imperfections du catalogage font que les éditions actuelles sont construites sur
du sable ; il est donc capital que la phase heuristique soit poussée aussi loin
que possible.
Dans la seconde section, il était exclu de couvrir chacun des genres
litté-raires. Sont envisagés, avec plus ou moins de détails, les textes grammaticaux
(G. Polara), les comédies élégiaques (F. Bertini), l'hagiographie (M. Lapidge),
la liturgie (H. Schneider), les œuvres scolastiques (F. Del Punta) et la poésie
(P. G. Schmidt, qui fait entendre une voix dissonante, puisqu'il rejette, avec
beaucoup d'esprit, la possibilité des stemmata). La troisième partie présente
quelques traditions particulières, notamment celles du De orthographia
d'Alcuin (S. Bruni), de YAntapodosis de Liutprand (P. Chiesa), de la Legenda
aurea (G. P. Maggioni) et d'une reportatio du commentaire de Gilles de Rome
au livre II des Sentences (C. Luna). Le problème, si important, du rapport aux
sources a souvent été évoqué ; il est abordé de front et de manière neuve par
L. Benassai (« Intertestualità fra fonti e testo : alcuni problemi di ricezione del
testo di Plinio, 'Naturalis Historia', nelle mediolatine 'Curae ex
animali-bus' ») et par E. D'Angelo (« Memoria culturale e trascrizione dei testi. Su
due Lectiones singulares della tradizione manoscritta del Waltharius »).
L'impression générale est excellente. Il se prépare actuellement beaucoup
d'éditions destinées à faire date, surtout en Italie, où il est clair que la relève
universitaire est assurée. Toutefois, l'ensemble reste un peu trop sage et ne
reflète pas tout à fait la révolution que la lettre liminaire annonce et salue avec
un peu de crainte et beaucoup d'espoir. Il est vrai qu'il faudra au moins deux
générations pour prendre la mesure, au niveau des méthodes, des possibilités
réelles qu'offre l'informatique. Après l'enthousiasme des années 1970
(culmi-nant avec la publication à Paris, en 1979, de La Pratique des ordinateurs dans
la critique des textes), vivrait-on une époque de désenchantement ?
Dans cette revue, une mention spéciale doit être faite de G. Cremascoli,
« Tra i monstra della lessicografia medievale » (p. 203-214), l'une des
com-munications de la deuxième section. Ces monstra sont les mots corrompus,
qui se sont introduits dans les dictionnaires médiévaux et ont acquis ainsi un
semblant d'existence. Les éditeurs modernes sont incités à les maintenir en
l'état pour deux raisons : ils ont jadis été enregistrés par des lexicographes qui
se sont ingéniés à leur trouver une deriuatio et qui parfois ont continué ailleurs
de citer la graphie correcte ; de là, ils sont passés chez d'autres auteurs, qui
consultaient les dictionnaires comme nous le faisons aujourd'hui. Voici les
termes que commente Cremascoli ; ils sont suivis infra du nom entre
paren-CHRONIQUES ET COMPTES RENDUS
285
thèses de celui chez qui ils se lisent pour la première fois, puis de leur forme originelle derrière un trait oblique : abestis (Hugutio) / ab extis (tiré de l'ex-plication d'extispices) ; acclassis (Hug.) / calasis (grec χαλάσιρις) ; adaltua-tria (mss d'Hug.), adaltuatrium (Angelus de Senisio) / ad alta aadaltua-tria (= Virg., En. IV, 665-666) ; alarica (Hug.), alaxarica (Angelus de S.) Iphalarica ; ami-ger ou anami-ger (Papias) / armiami-ger ; apodisocia (Hug.) / adpendix, d'où par erreur apodix (employé par un hagiographe au sens de meretrix !), suivi de la glose socia ; artigilit ou astogilith (Hug.) / actogild ; canuxius (Osbern), canu-cius ou canusius (Angelus de S.) / Cannutius, orateur admiré de Cicerón ; cantes (mss de Martianus Capella) / Charités ; casnomia (Pap.), castimonia (Gloss. Abba) I cynomia ; halis, au sens deferrum (Gloss. Abstrusa) I chalybs (nom de peuple, transféré abusivement, dès l'époque de Servius, au métal que celui-ci travaillait) ; polysenus, d'où senos (Hug.) / polysemus. En complé-ment de cette riche communication, on me permettra d'ajouter deux observa-tions. D'abord, le phénomène étudié s'est aussi produit indépendamment de la tradition lexicographique : Rathier de Vérone lisait un manuscrit du De anima de Cassiodore, où une graphie fautive silitudo avait remplacé solitude ; il nota cette forme en marge (Trier, Stadtbibliothek 149/1195 8°, f. 123v) etl'em-ploya depuis lors, en la faisant remonter à sileo (cf. Sacris Erudiri, t. 29, 1986, p. 216). Ensuite, tout rédacteur moderne de dictionnaire sait que nul n'est à l'abri de ce type de bévue. Il arrive encore que deux graphies du même mot soient entrées à des places alphabétiques différentes, sans renvois internes : c'est ainsi que chez A. Blaise, Lexicon latinitatis medii aevi, Turnholti, 1975, on rencontre tour à tour les entrées serapellinae : «peaux de peu de valeur», et xerampelia : « vêtement grossier ».
Le second colloque est le fruit d'une journée d'études, dont le sous-titre était : Metrica comparata e storia delle culture (riflessioni sulle ipotesi di Michail Gasparov). Ce dernier est l'auteur d'une Storia del verso europeo, disponible en italien depuis 1993, mais publiée originellement à Moscou en 1991. Chaque rapporteur était prié de vérifier, à partir de sa connaissance d'un domaine particulier, la validité de la synthèse générale. Expérience fascinan-te, qui illustre les difficultés du dialogue entre comparatistes et spécialistes de terrain. Le latin médiéval était représenté par trois communications. G. Polara (« La Metrica latina medievale », p. 59-74), fournit le cadre général, en insis-tant sur le fait que la littérature secondaire, dont dépendent les comparatistes, a trop mis l'accent sur les innovations ou les bizarreries, en minimisant l'am-pleur de la continuité avec l'Antiquité. E. D'Angelo («Problemi teorici e materiali statistici sulla rima nella poesia dattilica dell'alto medioevo », p. 129-145) et F. Stella (« Gotescalco, la « Scuola » di Reims e l'origine della rima mediolatina», p. 159-165) ont tenté d'éclairer l'apparition du trait le plus typique de la poésie médiolatine, à savoir la généralisation de la rime. Les sta-tistiques réunies par D'Angelo manifestent une progression régulière du
phé-286 FRANÇOIS DOLBEAU
nomène dès le premier siècle de notre ère, une nouvelle augmentation pendant le haut moyen âge (avec des chiffres très contrastés selon les auteurs), enfin une certaine stabilité, au début de la Renaissance carolingienne, à un niveau qui reste assez peu élevé. Selon Stella, l'usage systématique de la rime dans la poésie métrique s'est codifié sous l'impulsion et à l'imitation des poèmes de Godescalc d'Orbais, c'est-à-dire à partir des années 830-870. Mais le triomphe de la rime peut-il s'expliquer par le succès momentané d'un seul poète, si brillant soit-il ? Le phénomène doit être plus complexe, et sa solution ne sera trouvée que dans le cadre d'une réflexion englobant à la fois la prose, la poésie métrique et la poésie rythmique. Car la mode de la rime — on ne le dira jamais assez, tant nos conceptions modernes sont influencées par les évo-lutions ultérieures — n'est pas, au départ, liée aux genres poétiques. Il serait urgent de remplacer le grand et beau livre, désormais vieilli, de Karl Polheim, Die lateinische Reimprosa, Berlin, 1925.
La lecture de ces deux volumes est stimulante. Voici ce qu'elle inspire à un responsable de dictionnaire. Premièrement, le cahier des charges de toute édition critique devrait continuer à inclure la confection d'une liste de mots ou de sens rares ; il serait désastreux en effet que la fabrication de concordances générales, de banques de données lexicales de plus en plus vastes, entraîne, par économie, la suppression des anciens types d'index {nominum, verborum notab ilio rum). De même que les historiens ont toujours besoin qu'une liste des noms propres soit jointe à une édition particulière, les lexicographes conservent l'usage d'un index bien conçu de mots et de sens rares. Plus les mots s'entassent par millions, plus il est difficile d'y récupérer les valeurs sémantiques inhabituelles, plus les mots rares s'y cachent parmi les homo-phones ou les monstra qu'à la manière des glossateurs médiévaux ceux qui entrent les données créent par centaines. En second lieu, les dictionnaires médiolatins qui paraissent actuellement sont insuffisants en matière proso-dique et métrique et permettent mal d'isoler rapidement les textes poétiques. Le fait qu'un terme soit impropre à la métrique dactylique n'est pas sans conséquence sur son emploi, car cela aboutit à la multiplication de quasi syno-nymes qui finissent par en restreindre le champ d'application ; le phénomène de la rime favorise d'autre part certains suffixes, entraîne la création de néo-logismes et provoque parfois des impropriétés sémantiques. Or, avec les sys-tèmes actuels de citations et d'abréviations, l'utilisateur d'un dictionnaire doit souvent effectuer une recherche spéciale pour savoir si tel mot se lit à la rime, si l'exemple fourni vient d'un texte en prose, d'un poème métrique ou d'une pièce rythmique (le cas le plus épineux étant celui des prosimetra). Ces pro-blèmes sont-ils vraiment insolubles ou justifient-ils un effort de perfectionne-ment des codages ?