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Un tisseur de lien

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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HAL Id: hal-01300102

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01300102

Submitted on 8 Apr 2016

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Un tisseur de lien

Patrick Schmoll

To cite this version:

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Armand Touati nous a quitté le 23 septembre dernier.

Pour nombre d’entre nous, à Stras-bourg et plus particulièrement à la Facul-té des sciences sociales de l’UniversiFacul-té, c’était un ami. Certains le connaissaient depuis plus de vingt ans, quelques uns ont d’ailleurs fait connaissance les uns avec les autres grâce à lui, à l’occasion des nombreux colloques, journées d’études et manifestations qu’il a organisées au cours d’une vie qui aurait pu, aurait dû, être bien plus longue.

Né le 13 décembre 1952, Armand Touati acquerra à l’université une double formation de philosophe et de psycholo-gue, qui va orienter sa carrière intellec-tuelle. Homme d’idées et de convictions, sa réflexion sur l’humain est balisée par l’expérience d’une pratique profession-nelle, comme psychologue, psychanalyste et formateur. Il participe au grand mou-vement d’échanges intellectuels et d’ac-tions militantes qui agite la profession de psychologue dans les années 1980 et qui débouchera sur la reconnaissance du titre. Il propose à l’époque aux associations et syndicats de psychologues de lancer un journal professionnel à destination du public pour faire connaître la psycholo-gie et ses praticiens, donner un éclairage psychologique aux grandes questions de société du moment, et pour inciter les psychologues à réfléchir à l’inscription sociale de leurs pratiques. Mais Armand Touati est un fonceur, et pour surmonter les lenteurs de ses confrères à réagir, c’est en définitive à titre personnel qu’il crée en 1982 le Journal des Psychologues, sous forme d’une entreprise de presse.

Dès lors, Armand Touati, tout en con-tinuant à affirmer son identité profes-sionnelle de psychologue, change en fait de métier : méta-psychologue, devrait-on

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dire, il devient en quelque sorte le psy-chologue de la psychologie, celui qui va permettre, avec d’autres, à la profession d’accoucher d’elle-même. Patron de pres-se, il dirige le Journal pendant quatorze ans, et en fait un espace d’échanges où les étudiants et les jeunes psychologues, d’abord, puis les anciens, et enfin l’Uni-versité, construisent une représentation commune du collectif qu’ils constituent : une représentation diverse, traversée par des lignes de conflits, mais dont toutes les composantes trouvent à s’exprimer là et réalisent ainsi leur unité de ce seul fait de pouvoir écrire et être lues dans un même média. Le Journal est diffusé en kios-ques, la profession sort de la semi-clan-destinité dans laquelle elle était confinée par une image « d’auxiliaires médicaux ». Très rapidement, le support de presse se double de l’organisation, une fois par an, à l’approche de l’été, d’un Forum

des Psychologues, ouvert à tous au-delà

des appartenances doctrinales ou syndi-cales. Les premiers thèmes : « L’avenir

des pratiques psychologiques » (1983),

« Les psychologues et la société » (1984), « Interventions psychologiques et

chan-gements » (1985) indiquent bien le souci

d’ouvrir la psychologie sur la société. Les actes de ces forums donneront lieu à autant de publications, qui transforment l’entreprise d’Armand Touati en maison d’édition, sous l’enseigne « Hommes et perspectives ».

Armand Touati est un fondateur. Tant l’organe de presse que l’organisation de ces rencontres qui rassemblent régulière-ment près d’un millier de professionnels, contribuent à l’accélération du processus de reconnaissance légale du titre de psy-chologue, désormais réservé aux titulai-res d’un diplôme universitaire de niveau DESS. Aujourd’hui, le Journal des

Psy-chologues est une institution, qu’il a

ren-due incontournable dans la profession, et qui dépasse complètement l’entreprise individuelle des débuts. Il finit d’ailleurs par céder le titre en 1995, car l’extension de sa propre réflexion sur l’homme et la société l’amène à se sentir engoncé par le cadre de la seule profession de psychologue. Déjà en 1989 et en 1994, il avait été tenté par la carrière politique en présentant une liste aux élections euro-péennes. Il publie le Manifeste démocrate en 1993, et poursuivra par la suite sa réflexion politique dans Démocratie ou

barbarie (1996) et La Nation, la fin d’une illusion ? (2000).

Le tournant est pris en 1996 quand Armand Touati se lance dans une nou-velle aventure éditoriale en lançant la revue Cultures en mouvement, dont le titre deviendra par la suite Sciences de

l’Homme et Sociétés. Il est alors

plei-nement dans son élément, celui d’une interrogation scientifique et éthique sur les rapports entre sciences humaines et dynamiques sociétales. À partir de 2000, suivant une formule bien rodée du temps du Journal des Psychologues, il organise un congrès annuel sur une question de société : la mutation (2000), les diffé-rences (2001), les limites de l’humain (2002), les violences (2003), les rap-ports femmes-hommes (2004). Le dernier congrès qu’il aura initié a d’ailleurs été organisé à Strasbourg en 2005 sur les « Jeunes : du risque d’exister à la

recon-naissance ».

Armand Touati est avant tout un tis-seur de liens, parce qu’il fait se rencontrer des gens, et surtout parce que lui-même aime aller à leur rencontre, débattre, con-vaincre, mais aussi écouter, découvrir, s’émerveiller. Les colloques sont toujours l’occasion d’un verre pris ensemble à une table, d’une soirée (de préférence dans un restaurant chinois, dont il affectionne la cuisine) où la présence d’un piano déclenchera forcément des chants et des rires. L’avenir dira si ses écrits auront la notoriété qu’ils méritent, mais une partie essentielle de son œuvre est en quelque sorte non signée : c’est celle qui résulte de ces rencontres qu’il aura permises entre des auteurs qui se retrouveront plus tard côte à côte dans nombre d’ouvrages col-lectifs, qui lui doivent donc indirectement d’avoir vu le jour.

Il est infatigable, gérant la revue durant la semaine, écrivant le soir et pendant les week-ends, toujours à envisager une dizaine de projets en même temps, et sur-tout, capable de les lancer et d’en mener la plupart à terme. Sciences de l’Homme

et Société est davantage qu’un métier ou

une entreprise : une passion. Mais celle-ci va le consumer, car si l’aventure du

Jour-nal des Psychologues a bénéficié du

creu-set d’une communauté professionnelle en formation où elle puisait ses ressour-ces humaines et son lectorat, le public d’une revue plus généraliste en sciences humaines est moins identifié et davantage

sollicité par des titres déjà existants. En 2003, la maladie le prend au tournant, et à la lutte pour faire vivre la revue et les congrès s’ajoute désormais la fatigue des traitements. Quand nous le revoyons en juin 2005 à Strasbourg, il semble mani-festement avoir surmonté le plus dur et être sur la voie du rétablissement. C’est compter sans l’insistance invisible du mal qui continue à agir. Quand il rechute, à la fin de l’été, c’est presque de force qu’il faut l’arracher à son travail. Tout va alors très vite, trop vite, et si l’esprit lutte jusqu’au bout, fidèle à l’idée-force de Démocratie et barbarie qu’aucune idéologie ne vaut qu’on lui sacrifie la vie d’un seul homme, le corps, lui, finira pas céder.

Nos pensées vont à son épouse Yolan-de, qui l’a constamment secondé dans les années d’épreuve, et à ses enfants qui perdent trop tôt un père qui regrettait de ne pas pouvoir consacrer davantage de temps à sa famille et à ses amis.

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