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Madame de Maintenon devant le problème de la femme au XVIIe siècle

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Academic year: 2021

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Mme de Maintenon devant le problème de la femme au XVIIe siècle

Mme de Maintenon (163501719), éducatrice et figure historique, était aussi moraliste et féministe. Tout en résol-vant pour elle-même les problèmes posés à la demoiselle célibataire, à l'épouse, à la veuve, à la favorite et à la reine, elle conçut un idéal de la vie pour la femme dans le monde d'alors. D'abord mondaine, sa philosophie devint bientôt une philosophie chrétienne assurant à toute femme, outre la félicité parfaite dans l'au-delà, le bonheur ici-bas dans sa vie de peines et de contraintes. Mme de Maintenon, en souhaitant propager son idéal chrétien de la femme dans toutes les couches de la société française, espérait contribuer à la sanctification du royaume tout entier. A cette fin elle entreprit personnellement l'éducation de la future reine et de quelques demoi-selles de qualité tandis qu'elle fonda, aida, dirigea Saint-Cyr et plusieurs autres écoles où se formaient selon ses conseils bourgeoises et paysannes aussi bien que demoiselles pauvres.

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by

DENCE, Carole Elizabeth

A thesis submitted ta

the Faculty of Graduate Studies and Research McGill University,

in partial fulfilment of the requirements for the degree of

Master of Arts

Department of French Language and Literature

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DEDICACE

A

Mlle G.H. (Nane) MacNeill, B.A., M.A. (McGill), Ph.D. (Columbia),

professeur agrégé à Brandon College, et ensuite à Brandon University,

qui par son enthousiasme suscita mon intérêt pour la littérature française

et par ses dons anonymes me permit de poursuivre mes études,

j~ dédie ce travail et mon enseignement futur en hommage pieux,

l'assurant par delà la mort de ma profonde gratitude

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INTRODUCTION

En 1719 on érigea sur le tombeau de Mme de Maintenon à

~t-Cyr une épitaphe où elle était décrite dans les termes suivants: CI-GIT

Très haute et très-puissante dame,

_Madame Françoise d'Aubigné, marquise de Maintenon, Femme illustre, femme vraiment chrétienne .

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--Révérée de Louis-Le-Grand

.Environnée de sa gloire,

Autorisée par la plus intime confiance, Dépositaire de ses grâces ...

l.

Ses débuts n'avaient pas laissé pressentir un si glorieux destin. Françoise d'Aubigné naquit simple demoiselle le 27 novembre 1635 à Niort en

Poitou. Son père, Constant d'Aubigné, un intrigant qui avait gaspillé sa fortune, tué sa première femme, trahi son père, Agrippa d'Aubigné, et avec lui le parti protestant, faisait alors son troisième séjour en prison. Sa mère, Jeanne de Cardilhac, était la fille du gouverneur de Château-Trompette

à Bordeaux, lieu de la seconde incarcération de Constant d'Aubigné. Epouse fidèle, elle suivait son vaurien de mari de prison en prison, s'efforçant, mais sans s~ccès, d'obtenir son élargissement. N'ayant pas de quoi nourrir ou habiller ses enfants, elle remit ses deux fils et Françoise entre les mains de sa belle-soeur, Mme de Villette. Pendant sept ans celle-ci fut pour eux une véritable mère.

Dans le modeste château de Mursay, Françoise apprenait à lire dans la Bible et entendait raconter l'histoire de son illustre grand-père, Agrippa d'Aubigné, le héros protestant. Si jeune qu'elle fnt, elle commen-çait à apprendre les devoirs d'une dame chrétienne, distribuant des aumônes au côté de sa tante à l'extrémité du pont-levis du château.

1. Mémoires sur Mme de Maintenon, recueillis ar les Dames de Saint-Cyr Paris, 1846 , p. 570.

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En 1644, la petite fille fut retirée de ce foyer austère mais paisible, car son père avait alors reçu sa liberté à condition d'aller chercher fortune aux Iles. Il emmena sa famille à Marie Galante et ensuite à la Martinique. Puis il rentra seul en France, abandonnant sa famille qu'il ne revit plus. Il mourut à Orange, allant en Turquie. De retour en France en 1647, Mme d'Aubigné dut encore remettre sa fille entre les mains de Mme de Villette. Françoise passa deux ans heureux dans son véritable foyer, pendant qu'à Paris sa mère plaidait sans succès pour se faire restituer Surimeau, héritage réservé par

Agrippa d'Aubigné aux enfants de Constant. Cette terre avait été saisie par Caumont d'Adde, beau-fils d'Agrippa.

On commençait pourtant à s'inquiéter de voir une jeune fille née et baptisée catholique élevée dans une maison protestante. Mme de Neuillant, mère de la marraine de Françoise et catholique zélée, obtint de la reine-mère que la garde de l'enfant lui fnt confiée. Ses tentatives pour ramener la jeune fille à la pratique catholique n'eurent pas de succès et elle finit par mettre Françoise en pension chez les Ursulines de Niort. Lorsque Mme de Neuillant cessa de payer la pension, le couvent rendit la pauvre demoiselle à sa mère à Paris. Celle-ci, n'ayant pas plus de succès que Mme de Neuillant à persuader à sa fille de renoncer aux pratiques protestantes qu'elle avait apprises à Mursay, mit Françoise chez les Ursulines de la rue Saint-Jacques. Ce fut ici qu'eut lieu enfin la "conversion" de Mlle d'Aubigné au catholicisme.

Au sortir du couvent Françoise logea avec Mme de Neuillant qui était venue à Paris pour marier sa fille au maréchal d'Aumont. Mme de Neuillant s'était faite introduire dans le salon de Paul Scarron, le poète burlesque et elle y amena Françoise avec elle avant de rentrer à Niort.

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Scarron, quoique paralysé et plus de vingt ans plus agé que Françoise, lui proposa de se marier avec lui ou d'accepter une dot pour entrer dans un couvent. "J'ai mieux aimé l'épouser qu'un couvent," raconta Mme de Maintenon plus tard aux religieuses de St-Louis. 1.

Le mariage, célébré en mai 1652, marqua le début d'une période de huit ans où Mme Scarron vécut au centre d'un des plus brillants salons mondains de l'époque: seigneurs, financiers, membres de la cour, bons

écrivains, pédants, grandes dames et abbés libertins s'y m~laient régulière-ment.

Le 6 octobre, 1660 Scarron mourut, ne laissant à sa belle veuve que quelques dettes. Elle se retira dans un couvent mais resta en relation avec ses amies de la société élégante. Elle fréquenta les hôtels d'Albret et de Richelieu et allait souvent à la campagne avec Mme de Montchevreuil. Une pension accordée par Anne d'Autriche et renouvelée après sa mort retira enfin Mme Scarron de la g~ne. Vers 1666 elle embrassa la dévotion et prit comme directeur de conscience l'abbé Gobelin.

L'existence paisible qu'elle s'était faite se termina brusquement en 1669 lorsqu'elle fut choisie pour élever les enfants du roi et de

Mme de Montespan. Au début Françoise put prendre soin de ces enfants sans rien changer à son mode de vie, mais la naissance du quatrième l'obligea de se déplacer à Vaugirard. La légitimation, en décembre 1673, des trois enfants encore vivants prépara son installation à la cour en mars 1674.

1. Mme de Maintenon, cité par Mme St-René Taillandier, dans Mme de Maintenon; l'énigme de sa vie auprès du grand roi (Paris, 1922), p. 38.

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Au cours de cette année 1674 le roi accorda à Mme Scarron deux fois cent mille francs en paiement de ses services de gouvernante. Lasse d'être querellée par Mme de Montespan sur la façon dont elle éle-vait ses enfants, Mme Scarron ne songeait depnis des mois qu'à quitter la cour. Alors, avant la fin de 1674, elle acheta la terre de Maintenon pour s'y retirer au plus tOto Cependant l'occasion de quitter la cour ne se présenta qu'en 1679 quand enfin on donna un gouverneur au duc du Maine, l'ainé des enfants de Mme de Montespan. Dans l'intervalle le roi donna à Mme Scarron le nom Mme de Maintenon et érigea sa terre en marquisat.

Mais en 1679 il n'était plus possible de se retirer de la cour. Le règne de Mme de Montespan avait atteint son terme et Mme de Maintenon seule avait la confiance du roi. Il ne pouvait plus se passer de sa pré-sence et créa en janvier 1680, pour la retenir auprès de lui à la cour, une charge spéciale dans la maison de la nouvelle Dauphine.

Pendant trois ans la marquise de Maintenon vécut tranquillement à la cour, passant chaque jour de longues heures en conversation avec le roi. Elle s'efforçait de gagner la confiance de la reine pour la rendre plus agréable à son mari tandis qu'elle se servait de son influence sur le roi pour lui persuader de revenir à la fidélité conjugale.

En marge de sa vie officielle à la cour Mme de Maintenon avait aussi sa vie privée. Elle établissait son frère, Charles, et faisait pour lui maints projets de mariage. Elle tentait de convertir les Villette au catholicisme pour ensuite pouvoir faire leur fortune. Elle aménageait sa terre de Maintenon et à Rueil elle établissait sa première école.

Le 30 juillet, 1683, la reine Marie-Thérèse mourut subitement et dans l'année, peut-être dès le début du mois d'octobre, Louis XIV se maria en secret avec Mme de Maintenon. Le mariage ne fut jamais publié mais personne ne doutait qu'il ait eu lieu.

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Mme de Maintenon , devenue la reine non couronnée de France, continuait à vivre une semi-retraite dans son nouvel appartement à

Versailles. C'est là qu'elle recevait la famille royale, les ministres, les solliciteurs, tous ceux qui cherchaient à faire la cour au roi en faisant honneur à sa femme.

La politique d'intrigue et le cérémonial vide de la cour la fatigaient. Heureusement, elle s'était déjà fait une vie en dehors de la cour et elle s'y soustrayait de plus en plus sans pour autant diminuer le temps qu'elle réservait à son mari. En effet, Louis XIV prenait grand plaisir à s'associer personnellement à la vie privée de sa femme.

Elle s'adonnait sans réserve aux oeuvres de charité. Elle fondait trois écoles pour jeunes filles. Rueil en 1682, Noisy en 1684 et St-Cyr en 1685, et elle y surveillait dans le moindre détail l'éducation des pension-naires. En même temps elle élevait dans son appartement ses nièces, Mlle de Mursay et Mlle d'Aubigné, et, à partir de 1696, la Duchesse de Bourgogne.

Le premier septembre 1715 Louis XIV mourut. Mme de Maintenon, n'ayant jamais été reconnue officiellement reine, n'avait plus de place à la cour. Aussi, dès que le roi eut perdu connaissance, se retira-t-elle à St-Cyr où elle vécut désormais dans une retraite absolue. Elle y mourut le 16 avril 1719. On l'enterra dans le choeur de la chapelle de cet institut, mémorial si vrai de cette femme.

Peut-être mieux qu'aucune autre personne du Grand Siècle Mme de Maintenon connaissait les problèmes et les possibilités de la vie féminine sous Louis XIV. Elle avait vécu ou connu toutes les situations dans les-quelles pouvait se trouver une femme de la noblesse ou de sang royal. Certains aspects de son travail d'éducatrice l'avaient amenée à prendre connaissance aussi de la vie des femmes de la bourgeoisie et de la classe paysanne.

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Enfant, elle avait connu la vie de la petite noblesse de province. Puis elle avait souffert de la pauvreté et de l'humiliation d'être à charge à quelqu'un; elle avait ressenti gêne et presque honte de devoir choisir entre un mariage mal assorti ou entrer en religion sans vocation claire et nette.

Son mariage avec Scarron l'avait précipitée dans la société mondaine des salons de Paris; son éducation ne l'y avait aucunement préparée. Elle y avait rencontré toutes les difficultés qui se posaient à la femme qui devait assumer son rôle de maîtresse de maison: se refuser de tomber dans le ridicule de la pruderie ou dans la honte du libertinage en recevant une compagnie très libérée qu'elle n'avait pas choisie.

Veuve à vingt cinq ans, sans ressource financière, elle avait dO conserver son indépendance et sa réputation dans le milieu mondain de la société parisienne. Et puis un coup du sort avait donné cinq enfants à élever à cette dame, dont en fait le mariage n'avait jamais été consommé.

Installée à la cour il lui avait fallu s'adapter encore une fois

à un mode de vie qu'elle n'avait guère envisagé. Puis Louis XIV l'avait épousée: répondre aux exigences du mariage, assumer son rôle de première dame du pays s'imposèrent alors à elle comme ses nouveaux devoirs.

Cette nécessité où elle a été de s'adapter à un moment ou un autre à toute la gamme des états où pouvait se trouver une femme noble ~ amené Mme de Maintenon à formuler au long des années une philosophie de la vie féminine. En même temps l'insuffisance de sa propre éducation l'avait convaincue de la nécessité pour la femme d'une meilleure préparation à la vie, celle reçue alors dans les couvents et les écoles paroissiales lui apparaissant comme inadaptée et insuffisante. Sa fortune établie, Mme de Maintenon avait entrepris d'éduquer d'après son expérience et son idéal de la vie féminine ses nièces et quelques demoiselles d'abord, pour finir par former si possible, par l'institut royal de St-Cyr, les femmes de toute une classe sociale et même de la France entière.

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Sa penBée sur la place et le rôle de la femme dans la société fut en premiêl" lieu une réponse à un besoin personnel, puis le fruit de son travail d'éducatrice, mais jamais un simple exercice intellectuel gratuit. Pour cette raison Mme de Maintenon n'en fit jamais un exposé complet et ordonné. Elle n'observa ni ne critiqua la société en moraliste qui, comme La Bruyère, note ses observations, peint les caractères et décrit les moeurs de ce siècle; elle ne batit pas non plus une philosophie systé-matique et universelle; elle n'écrivit pas de traité de l'éducation des filles; elle ne s'engagea dans aucun débat public, à l'opposé de tant de moralistes de second rang, sur le droit des femmes à participer à la vie littéraire et intellectuelle sur pied d'égalité avec les hommes. Ses idées sur la vie idéale de la femme chrétienne sont éparpillées ça et là dans les lettres, entretiens, conversations écrits pour la direction des demoiselles de St-Cyr et de leurs maîtresses.

Dans cette étude nous nous proposons d'abord de suivre l'évolution de cette pensée au fur et à mesure que Mme de Maintenon s'adaptait aux exigences des situations diverses où elle se trouva au cours de sa vie. Ensuite nous examinerons la vie idéale que Mme de Maintenon proposait aux jeunes filles dont elle dirigeait l'éducation. Finalement nous étudierons comment elle comptait préparer les jeunes filles à réaliser cet idéal de vie.

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Chapitre l

Mme Scarron la sage mondaine: la formation de l'idéal mondain.

L'attitude de Mme de Maintenon envers la vie a évolué au cours des ans et ainsi peut-on envisager trois grandes époques dans sa vie d'adulte. La période mondaine commence par son mariage avec Scarron en 1652 et se termine vers 1666 par sa conversion à la dévotion. Cette conversion marque le début du deuxième temps de sa vie, celui où la mondaine fait place à la chrétienne tout occupée du soin de son salut personnel. On peut dire que cette dévotion prand une nouvelle dimension

à partir du moment où Mme de Maintenon devient la femme de Louis XIV. Alors cette femme dévote découvre sa vocation rédemptrice et s'y consacre. Sa sainte mission sera de sanctifier la nation française en assurant le salut du roi, en donnant à des centaines de jeunes filles une éducation chrétienne et en préparant la Duchesse de Bourgogne à ses responsabilités de future reine.

Nous étudjp.rons dans ce chapitre l'époque mondaine de sa vie; nous verrons les problèmes auxquels la femme devait faire face dans la société parisienne au milieu du XVIIe siècle et nous examinerons comment Mme de Maintenon résolut ces problèmes. Nous découvrirons aussi quel rôle elle se proposa de jouer dans cette société et quel idéal féminin elle en-visagea comme but personnel.

Pour apprécier et comprendre le comportement de Mme de Maintenon pendant cette époque de sa vie il faut considérer brièvement ce qui avait contribué à former jusqu'alors le caractère de la jeune demoiselle.

Mlle d'Aubigné avait très tôt ressenti la distinction de sa nais-sance noble et en tirait vanité. Toute petite fille encore, l'orgueilleuse fierté de sa naissance lui fit répliquer promptement "je suis demoiselle, et vous ne l'êtes pas,\. à la fille du geôlier qui lui reprochait de n'être pas aussi riche qu'elle.

1. Mlle d'Aumale, "Mémoires et Lettres Inédites", dans Souvenirs sur Mme de Maintenon, éd. le comte d'Hanssonville (Paris, 1902), l, 15.

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Mme Taillandier prétend que Françoise était l'héritière de l'ame altière et orgueilleuse de son illustre grand-père. Peut-être, mais il n'est pas nécessaire d'avoir recours à la mystique du sang et de l'hérédité pour expliquer l'existence chez la petite demoiselle de ce sens bien développé de son identité sociale. Les influences qui pendant sa première jeunesse formèrent son caractère y suffisent.

Si Françoise n'a jamais connu l'amour maternel au sens strict, amour indispensable à la formation chez l'enfant d'un sens sain du "moi", Mme de Villette aima et éleva cette petite nièce comme sa propre fille jusqu'à l'age de sept ans. Ainsi lorsque Françoise rencontra la froideur de sa mère - Mme d'Aubigné ne lui témoigna jamais d'affection, elle-même le dit à Mlle d'Aumale - elle avait déjà acquis un sens inébranlable de sa valeur personnelle.

En effet, dans le petit chateau de Mme de Villette on lui apprit qu'elle était demoiselle de bonne et fière lignée. A Mursay, son grand-père, Agrippa d'Aubigné, héros protestant, auteur de l'''Histoire Universelle" et des "Tragiques", était l'objet d'un véritable culte. Peu important

donc que son père fat meurtrier et traître, Françoise s'identifiait avec ce grand-père hérofque qui avait même osé réprimander son roi.

Grace à la double influence de sa tante et de sa mère, Françoise apprit aussi à associer le mérite et l'honneur à l'action, au travail, à l'effort et au courage. "Elle respirait là à Mursay le salubre air

protestant; elle apprenait à hafr la faiblesse et le vice. Pour plaire à la tante il fallait ne craindre ni le froid ni le chaud, ni la fatigue, hafr comme le feu le mensonge, et, si l'on faisait mal, souffrir d'être punie."l.

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Quant à Mme d'Aubigné, elle "voulait qu'ils fussent élevés fort durement, et ne voulait pas qu'ils se plaignissent.\. Elle donna deux maximes à ses enfants: premièrement, ne jamais faire ce qu'ils n'oseraient faire devant des personnes de respect, et ensuite, "pour se trouver heureux il faut considérer ceux qui le sont moins que nous".2. Le courage de cette dame devant les infortunes écrasantes de sa vie a dû être une inspiration pour sa fille et servir à renforcer ce goût de l'hérofsme qu'on lui avait donné à Mursay.

Mlle d'Aubigné sortit du couvent des Ursulines à Paris à l'age de 15 ou 16 ans munie donc d'une saine intelligence de son "moi", d'un courage hérofque, et d'une volonté ferme. Elle savait qu'elle était de-moiselle et quelle place lui revenait dans la société par droit de naissance.

Elle eut besoin de cette volonté et de ce courage. Les Caumant d'Adde s'étaient emparés de l'héritage qu'Agrippa d'Aubigné avait réservé aux enfants de son fils Constant. En vain, Mme d'Aubigné avait-elle plaidé pendant des années pour le leur faire restituer. Françoise se trouvait donc sans dot au moment de son entrée dans le monde. Mme de Neuillant, qui

s'était fait nommer tutrice de Françoise ne pouvait pas ou ne voulait pas lui en offrir une. D'autre part, depuis sa conversion au catholicisme, Françoise ne pouvait plus espérer aucun secours de la famille Villette qui ne cachait pas son protestantisme zélé.

Sa situation était très embarrassante. Elle ne pouvait pas espérer se faire épouser par un jeune noble de son rang. Le seul mari qu'une demoiselle sans dot osait rêver au milieu du XVIIe siècle était quelqu'un qui, pour une raison ou une autre, était prêt à s'en passer, donc un veuf, un vieillard, ou un bourgeois désirant de s'allier à une famille noble.

1. Mémoires de St-Cyr, p. 5.

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A condition de choisir un couvent trop pauvre pour exiger une dot, Françoise aurait pu se faire religieuse. Mais elle n'avait pas de vocation et avoua plus tard à Mlle d'Aumale qu'elle n'avait jamais eu envie d'être religieuse. Ses expériences chez les Ursulines à Niort et ensuite à Paris ne lui avaient inspiré ni amour ni respect pour les religieuses qu'elle trouvait en général tièdes et puériles, même à la fin de sa vie. "Elles sont d'ordinaire ••. sans éducation, sans maximes, sans droiture et sans dévotion solide. "1.

Jéramec explique cette absence de vocation chez une jeune fille pieuse par une sorte d'horreur instinctive chez elle pour une vie de

recluse. "Non que le monde l'attirat, mais en dépit de toute sa piété sincère, le cloitre, les macérations, les jeQnes révoltaient sa chair palpitante. "2.

Mais nous croyons aussi que ce manque de vocation religieuse peut être attribué à l'exemple de sa mère. Comme elle, Françoise refuse hérotquement de fuir devant une situation difficile. Une ame moins ferme que la sienne n'aurait été que trop heureuse de se cacher au fond d'un couvent. Là elle n'aurait plus da rougir du souvenir de son père et elle aurait échappé à l'humiliation de sa pauvreté. Pour Françoise pourtant cela aurait été une démission, une sorte de lacheté.

Sans doute, si sa situation le lui avait permis, Mlle d'Aubigné aurait choisi de vivre tranquillement en semi-retraite, seule ou après de quelque dame sage ou dévote de qui la réputation et la conduite auraient servi de garants aux siennes. Les rares périodes de sa vie où elle a été

1. Mme de Maintenon, Correspondance Générale, éd. Th. Lavallée, IV, (Paris, 1866), p. 458.

2. J. Jéramec, La Vie de Scarron ou le Rêve contre le Destin, 12e éd. (Paris, 1929), p. 157.

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vraiment heureuse, les années de veuvage avant son installation à la cour, et les trois ans avant son mariage avec le roi, étaient des pé-riodes de quasi-retraite et d'indépendance. Et c'est ainsi qu'elle en-visageait aussi l'existence qu'elle rêva pour elle-même au moment où elle pensa se retirer de la cour et s'installer à Maintenon.

Malheureusement, au moment de son entrée dans le monde cette pos-sibilité ne se présenta pas. Françoise était trop jeune pour vivre seule. Sa mère était trop pauvre pour garder sa fille auprès d'elle; bientôt la mort privait sa fille même de cette apparente protection. Sa tante Villette était morte. Enfin, Mme de Neuillant paraît avoir voulu se débarasser au plus vite d'une parente qui lui était à charge.

Le problème de son avenir semblait sans solution permanente.

Mais Paul Scarron avait goüté l'intelligence et la beauté de la jeune demoi-selle qui fréquentait son salon en la compagnie de Mme de Neuillant et qui écrivait des lettres si spirituelles. "La lettre que vous avez écrite à Mlle de Saint-Hermant est si pleine d'esprit, que je suis malcontent du mien de ne m'avoir pas fait connaître assez tôt tout le mérite du vôtre. "1. Il prit pitié d'elle et lui proposa de l'épouser ou de la doter pour son entrée au couvent. Quoique Scarron füt presque totalement paralysé et de plus de vingt ans son aîné, elle préféra épouser cet "épouvantail de l'amour"2. que de se vouer à la vie sèche de religieuse sans vocation. Le mariage eut lieu en mai 1652. Pendant huit ans Mme Scarron joua auprès de son mari le rôle de compagne et de garde-malade.

Ce mariage, si triste qu'il füt du point de vue sentimental, servit néanmoins à retirer Françoise d'Aubigné de l'exil social où sa pauvreté risquait de la retenir. Devenue Mme Scarron elle n'était plus en marge de la société. Elle avait une maison à régler, des terres à gérer, un salon à tenir. D'ailleurs, quoique la fortune de Scarron füt assez médiocre, elle suffisait pour sauver

sa femme de l'humiliation d'être à charge aux siens.

1. Paul Scarron, "Lettre à Mlle d'Aubigné, (sans date)," dans la Correspondance Générale de Mme de Maintenon, l, 39-40.

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Autour de Scarron gravitait l'élite de la société de Paris et de la cour. Turenne et les maréchaux d'Aumont et d'Albret s'y trouvaient avec le duc de Vivonne, le duc de Sully, le comte du Lude et le chevalier de Méré. Ils s'y mêlaient aux écrivains à la mode, Saint-Amant, Benserade, Ménage, au peintre Mignard et aux belles femmes comme Ninon de Lenclos. Son mariage permit donc aussi à Françoise de pénétrer malgré sa pauvreté dans le meilleur monde de Paris et parmi

ces gens de qualité de se trouver de puissants amis, le maréchal d'Albret, les marquis de Richelieu et de Montchevreuil qui l'introduisirent chez eux.

Cependant, ce mariage qui permit à Mme Scarron de résoudre les problèmes causés par sa pauvreté lui posa à son tour d'autres problèmes non moins épineux. Rien dans son expérience ni dans sa formation ne l'avait préparée à son rôle de maitresse d'un salon à la fois littéraire et mondain, parfois même fort libertin, où l'on était estimé pour le brillo de sa con-versation et la souplesse de ses bouts rimés, mais où aussi le réalisme des propos frôlait souvent l'indécence.

A Mùrsay, sa tante Villette l'avait nourrie de la Bible et de l'épopée du protestantisme hérofque racontée par Agrippa dans son "Histoire Universelle" et dans "Les Tragiques". Auprès de sa mère, Françoise avait lu les Vies de Plutarque, tandis que chez Mme de Neuillant elle avait appris les quatrains mièvres de Pibrac.

Nous ne savons rien de précis sur la formation qu'elle avait reçue chez les Ursulines mais il est douteux qu'elle y apprit autre chose que son catéchisme, un peu de calcul, la lecture, la calligraphie. Le ton véhément sur lequel elle condamna plus tard l'éducation donnée aux jeunes filles dans les couvents semble indiquer que la sienne s'était conformée aux pro-grammes habituels, sans rien qui distinguait l'éducation des Ursulines de celle reçue dans les autres ordres.

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Lorsqu'elle devint la maîtresse du salon de Scarron elle parlait encore avec l'accent de son Poitou, natal. Elle était exces-sivement modeste, d'une vertu austère et ses manières et ses délicatesses déconcertaient la compagnie très libre pour ne pdS dire fort libertine

qui se pressait autour de son mari. Languet de Gergy raconte dans ses Mémoires qu'elle craignait alors !!jusqu'à la minutie et au scrupule!! les plus petites choses qui pouvaient blesser la modestie ou la pudeur.l. "Elle cachai,t sa gorge, qu'on dit avoir été parfaitement belle, avec le même soin avec lequel on la découvrait en ce temps-là, où l'indécence même était à la mode. Elle déconcertait par son air ceux qui hasardaient devant elle la moindre parole à double sens; elle pleura un jour parce qu'on l'avait placée vis-à-vis d'une fenêtre où elle se croyait trop en vue aux yeux de la compagnie!!.1. Elle était trop timide et fort probablement trop ignorante pour participer à la conversation animée de Scarron et de ses amis. Elle raconta plus tard la peine qu'elle eut à apprendre à raconter une histoire.

Mme Scarron aurait pu continuer à être la belle rigoureuse mais au fond elle n'avait aucune envie de passer pour une hypocrite prude. Elle

voulait être acceptée, admirée et respectée, elle devait donc fuir le ridicule d'une rigueur trop austère. Pour cela elle eut le bon sens de chercher entre la pruderie et le libertinage un juste milieu afin d'établir et de garder une bonne réputation et en même temps de prendre sa place dans la société brillante où elle se trouvait.

Grace à son intelligence et à son esprit souple, Mme Scarron réussit si bien à acquérir les graces nécessaires pour briller dans cette société qu'en très peu de temps elle y était non seulement acceptée mais remarquée, louée, et recherchée. Elle sortit, non pas sans effort, de sa timidité. Son langage s'épura et s'assouplit. Elle maîtrisa l'art de la conversation spirituelle. En faisant le portrait de Mme Scarron dans son roman Clélie, Mlle de Scudéry caractérisa ainsi sa conversation: "Son

esprit était fait exprès pour sa beauté; grand, doux, agréable, bien tourné.

L Lnnguet de Gergy, Mémoires inédits sur Mme de Maintenon et la cour de Louis XIV, éd, Th. Lavallée, (Paris, 1863), p. 106.

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Elle parlait juste et naturellement, de bonne grace et sans affectation".l. Pour combler son ignorance elle apprit le latin, l'italien et l'espagnol et elle se nourrit l'esprit de nombreuses lectures. Elle avait pourtant assez de bon gont pour ne pas faire la pédante en étalant sa science. "Elle savait le monde et mille choses dont elle ne se souciait pas de faire vanité". 1.

Elle apprit aussi à faire des vers, le passe-temps préféré des salons mondains. Après la mort de Scarron elle continuait à en faire aux réceptions de ses amies. Mlle d'Aumale en cite dans ses mémoires quelques exemples spirituels.

2• Elle étudia aussi l'art des portraits. Mlle

d'Aumale raconte qu'après avoir pris connaissance des Memoires du Cardinal de Retz, Mme de Maintenon s'amusa à croquer aussi le Grand Condé, Mme de Longueville, Colbert, Monsieur de Louvois entre autres - et tous ces

portraits révèlent, outre la pénétration de son intelligent regard, l'habi-leté littéraire qu'elle s'y était acquise.

1. Mlle de Scudéry, Clélie, cité par Th. Lavallée dans l'Histoire de la Maison Royale de Saint-Cyr (Paris, 1658), p. 8 note 7.

2. En voici 'un: "Il le faut avouer, le métier de geôlière Est un fort pénible métier:

Il faut être barbare et fière,

Faire enrager souvent un pauvre prisonnier, Et ce n'est pas là ma manière.

Si ceux qui sont dans ma prison Se plaignent, ils n'ont nulle raison: Je les prends sans vouloir les prendre, Je ne cherche pas les moyens

De les mettre dans mes liens;

Ce sont eux qui viennent s'y rendre. Mais comme, sans faire la vaine,

Je les prends sans combattre et sans rien hasarder, Sans me donner beaucoup de peine,

Je sais comme il faut les garder. Mlle d'Aumale, Souvenirs sur Mme de Maintenon, l, p. 23.

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Quoiqu'elle s'efforçat d'apprendre les graces sociales nécessaires pour faire figure dans la société mondaine, Mme Scarron reconnaissait les dangers de se mettre tout à fait dans le ton liber-tin du salon de son mari. Elle avait le bon sens de reconnaître la né-cessité de se faire respecter tout en se rendant agréable. Il lui aurait été de peu d'avantage d'avoir échappé à la rigidité si par la suite elle était tombée dans le libertinage. Elle savait que le meilleur garant de sa position nouvellement acquise dans la société était un renom solide de femme sage.

Sa conduite ne tarda pas à devenir un objet d'admiration. Elle se retirait dans sa chambre aussitôt après le dîner et elle faisait maigre scrupuleusement. Mme de Pérou raconte dans les Mémoires de St-Cyr, qu'elle imprima à la compagnie du salon Scarron "tant de respect qu'aucun n'osa jamais prononcer devant elle une parole à double entente.\. Gergy affirme qu'elle "captiva jusqu'à la langue libertine de son mari. "2. Pourtant Mme Scarron réussit à inspirer ce respect sans mettre dans l'embarras cette même compagnie. Elle raconta à Mlle d'Aumale qu'elle préparait elle-même les ragoQts et les sauces que les autres mangeaient tandis qu'elle soupait d'un hareng et de salade.

Sans trop de difficulté et assez vite Mme Scarron établit le ton de sagesse et de mesure qui serait désormais la marque de son être. Restait le problème de son comportement moral. Sa personnalité séduisante jointe à sa beauté lui attira bientôt une foule d'admirateurs plus ou moins liber-tins qui l'entouraient et rivalisaient entre eux à qui aurait d'elle la moindre faveur. Cela aurait pu faire tourner la tête à une quelconque jeune femme de paralytique.

1. Mémoires de St-Cyr, p. Il.

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Sa réputation d'honn~te femme était en jeu ainsi que son honneur de femme fidèle. Elle semble avoir vu clairement les risques encourus. Il ne s'agissait pas seulement d'éviter une liaison amoureuse. Pour préserver sa réputation il lui fallait se garder de laisser voir le moindre intérêt pour un homme en particulier.

Scarron mourut en 1660 mais le problème ne changea pas tellement. Bien sQr, sa veuve pouvait alors choisir ses relations et ses amitiés, ce qu'elle n'avait pu faire auparavant, mais d'autre part ses admirateurs pou-vaient profiter de son indigence pour l'assiéger de tentations qui l'auraient mise sous leur dépendance. Pourtant il lui fallait à tout prix préserver intacte sa réputation de sagesse si elle voulait continuer à ~tre accueillie dans la bonne société et si elle voulait garder l'espoir de recevoir la pension royale dont elle avait un si cruel besoin.

Devant décider de son comportement moral Mme Scarron agit comme déjà elle l'avait fait lorsqu'elle avait do régler son comportement social; elle trouva un juste milieu entre pruderie et libertinage. Sans se rendre odieuse en se scandalisant devant leurs manèges galants, elle réussit à tenir les hommes à une distance convenable. Par exemple, lorsqu'un admira-teur lui envoya une douzaine d'éventails pour remplacer celui qu'il avait cassé exprès, elle les lui renvoya avec une réplique spirituelle: "Je lui fis dire que ce n'était pas la peine de casser le mien pour m'en envoyer douze autres, que j'en aurais autant aimé treize que douze.\. Elle pré-serva ainsi son honneur sans blesser cet amoureux grace à sa bonne humeur.

Avec la mort de son mari, Mme Scarron se trouva encore une fois aux prises avec la pauvreté car Scarron qui avait gaspillé son argent en projets chimériques ne lui avait laissé que des dettes. En fait ce mariage, au lieu d'être une solution permanente au problème de sa pauvreté, n'avait été qu'une échappatoire relative et temporaire.

1. Mme de Maintenon, Conseils et Instructions aux Demoiselles our leur conduite dans le monde, éd. E. du Chatenet Limoges, sans date, p. 49.

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Pourtant, Mme Scarron triompha de sa pauvreté. L'esprit d'économie qui lui avait été inculqué par sa mère et Mme de Neuillant s'était déjà manifesté dans la maison de Scarron. Elle avait essayé, quoique sans beaucoup de succès, d'établir un certain ordre dans les affaires de son mari et pendant leur séjour sur les terres de Fougerets et de la Rivière elle s'était faite l'active gérante de ce nouveau patrimoine.

Après la mort de son mari, Mme Scarron sollicita une pension royale, seul moyen de subsistance qu'elle püt accepter sans bassesse. En 1661 la reine-mère lui accorda 2.000 livres par an. Entre-temps, Mme Scarron dut accepter de quoi vivre de ses parentes et amies riches et titrées, situation délicate pour une femme orgueilleuse qui voulait

à tout prix conserver sa dignité et son indépendance aux yeux du monde. Ainsi, elle accepta de sa marraine, la maréchale d'Aumont, une chambre chez les Ursulines de la rue St-Jacques, du linge et des habits, mais elle renvoya la charrette de bois déchargée dans la cour du couvent parce que cela faisait trop paraître son indigence.

La pension accordée, elle n'accepta plus rien de personne, se faisant un point d'honneur de vivre dans les limites de son revenu. Elle continua à habiter sa chambre dans ce couvent, conservant ainsi l'indépen-dance qu'elle aurait perdue en acceptant les invitations de Mme d'Albret et de Mme de Richelieu d'habiter chez elles. Elle ne brülait que de la bougie; elle portait des robes d'étamine du Lude et de grisette, étoffes communes et bon marché. Aussi, d'après ses dires aux Dames de St-Cyr, réussit-elle si bien à harmoniser ses besoins à ses ressources qu'après avoir payé sa pension et les gages de sa domestique il lui restait encore de l'argent pour faire des aumônes et des économies.

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En acceptant ainsi ouvertement sa pauvreté Mme Scarron échappa à l'humiliation de la dépendance et à l'embarras de cacher l'état véritable de ses affaires. En même temps, en renonçant aux petites vanités mondaines comme la chandelle ou les robes de soie, elle

-faisait remarquer son courage, sa supériorité morale: "Je ne saurais vous dire quelle estime cette conduite m'attira; on ne pouvait se lasser d'admirer qu'une jeune personne jolie et au milieu du monde eQt le cou-rage de soutenir un habillement si modeste ..• je paraissais plus avec

cela que si j'avais eu un habit de soie décolorée, comme en ont la plupart des pauvres demoiselles qui veulent approcher de la mode, et qui n'ont pas de quoi pour en faire la dépense.\. Cette affirmation de son bon goQt proclamait en même temps l'indifférence qu'elle éprouvait pour les hommes.

Si la pension royale lui suffisait pour vivre d'une façon modeste, Mme Scarron n'en voulait pas moins occuper dans la société une place digne de sa noble naissance et de ses talents. Elle était trop pauvre pour tenir son propre salon; il lui fallait donc se faire désirée et invitée chez des gens plus riches qu'elle.

Alors, la réputation de sagesse qu'elle s'était acquise chez Scarron lui fut d'un grand secours. Comme nous l'avons noté, le maréchal d'Albret et Messieurs de Montchevreuil et de Richelieu n'avaient pas

hésité à introduire la jeune Mme Scarron auprès de leurs femmes. Maintenant c'est avec empressement qu'elles accueillaient dans leurs salons la veuve. de Scarron.

Elle y était accueillie pour la douceur de sa bonne humeur et

l'agrément de sa conversation, et parce qu'elle savait se rendre aussi utile qu'aimable et complaisante. Elle cultivait avec finesse cet art de prévenir les désirs d'autrui. Saint-Simon lui-même se sent contraint à admettre que

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qu'elle "plaisait. infiniment, au maréchal d'Albret et à tous ses com-mensaux, par ses grâces, son esprit, ses manières douces et respec-tueuses et son attention à plaire à tout le monde".l.

Ainsi donc elle avait triomphé de sa pauvreté et de sa

mauvaise éducation; elle avait échappé aussi à l'isolement et à l'ennui d'une vie de retraite et s'était retrouvée enfin dans un milieu social digne de sa naissance et de ses talents. Elle s'était liée d'amitié avec les femmes célèbres de l'époque, Mme de Sévigné, Mme de la Fayette, Mme de Coulanges, la Princesse des Ursins, la marquise de Montchevreuil et Mme de Montespan. "J'étais contente et heureuse, raconta-t-elle aux Dames de St-Cyr, je ne connaissais ni le chagrin ni l'ennui. "2.

Mme Scarron n'avait alors qu'une seule passion, une seule ambi-tion, celle de se faire admirer. "Il n'y a rien que je n'eusse été capa-ble de faire et de souffrir pour faire dire du bien de moi; je me contrai-gnois beaucoup: mais cela ne me coQtoit rien, pourvu que j'eusse une belle réputation: c'était là ma folie; je ne me souciois pas de richesses, j'étois élevée de cent piques au-dessus de l'intérêt, mais je voulois de l'honneur'''3. "Elle a dit souvent, raconte Mlle d'Aumale, que "personne n'avait poussé

si loin l'amour de la réputation et le désir d'être aimée •.. "4. Elle voulait être le modèle de la veuve sage, pas simplement parce qu'elle estimait la sagesse, mais parce que par le moyen de cette réputation de sagesse elle se mettrait au-dessus du monde. Sa réputation irréprochable, sa retenue, sa façon sobre de S'habiller, son choix d'amies la plaçaient

dans une position où en l'admirant, en la louant, en recherchant sa compagnie,

1. Saint-Simon, Mémoires du Duc de Saint-Simon, publiés par MM. Chérueil et Ad. Régnier fils (Paris, 1923), l, 352.

2. Mme de Maintenon, cité par Th. Lavallée dans Histoire de la Maison Royale de Saint-Cyr (Paris, 1856), p. 9, d'après le manuscrit des "Lettres

édifiantes de Mme de Maintenon," V, 930.

3. Mme de Maintenon, "Entretien particulier avec Mme de Glapion, (1707)," Lettres histori ues et édifiantes adressées aux Dames de Saint-Louis, éd. Th. Lavallée, Paris, 1856 , II, 221.

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le monde ne lui rendait que ce qui lui était dO. C'était elle qui menait le jeu, sa renommée ne dépendait que d'elle.

Pour sa réputation aucun sacrifice n'était trop grand. Libre de choisir ses amies après la mort de son mari, Mme Scarron se sépara

de ses connaissances les plus libertines, entre autres de Ninon de Lenclos. D'après les Dames de St-Cyr, elle se lia avec la maréchale d'Albret,

qui n'avait pas beaucoup d'esprit, parce qu'elle croyait qu'il valait mieux pour sa réputation s'ennuyer avec une femme de mérite que de se divertir, même innocemment, avec d'autres. C'était pour sa réputation qu'elle conti-nuait toujours à résister aux instances de ses admirateurs. C'était en partie pour se met~re à l'abri de toute tentation d'accepter d'eux ou cadeau ou argent qu'elle se contraignait à vivre dans les limites de ses disponibi-lités. "Je ne voulois point être aimée en particulier de qui que ce soit; je voulois l'être de tout le monde, faire dire du bien de moi, faire un beau personnage et avoir l'approbation des honnêtes gens; c'étoit là mon idole."l.

La nature de ses relations avec Villarceaux après la mort de Scarron reste un mystère qui ne se résoudra pas à moins de trouver de nou-veaux documents. Mais qu'il réussit ou non à avoir d'elle des complaisances, aucun scandale n'entacha le nom de Mme Scarron à cette époque. Elle garda sa belle réputation de veuve sage.

Lavallée résume ainsi la conduite de Mme Scarron avec les hommes aV.:lnt sa conversion à la dévotion: "Mme Scarron était, comme on le disait dans le dix-septième siècle, aimable et galante, c'est-à-dire que suivant les habitudes de ce temps, elle aimait à être courtisée; elle souriait des doux propos; elle ne s'effrayait ni d'une déclaration amoureuse, ni d'une protestation passionnée ... rnais elle était ... contenue, en garde contre tout le monde, sOre d'elle-même, incapable d'un égarement, d'une faiblesse ... "2.

1. Mme de Maintenon, "Entretien particulier avec Mme de Glapion, (1707)", Lettres historiques et édifiantes, II, 221.

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L'essentiel à cette époque de sa vie était de protéger à tout prix sa réputation, et non pas, comme serait le cas plus tard, d'empêcher les hommes de la désirer.

Mme Scarron mettait aussi la religion au service de sa

répu-tation. Comme toute bonne catholique du XVIIe siècle elle remplissait les devoirs prescrits de sa religion; elle assistait régulièrement à la messe, elle se confessait, observait les jours maigres et donnait des aumÔnes. Pourtant elle avoua à Mlle d'Aumale que son salut éternel n'était pas sa préoccupation principale dans tout cela. "Elle fut un jour fort fachée de ce qu'une personne de sa connoissance lui étoit venue faire une visite le Vendredi Saint parce qu'il lui paroissoit que c'étoit supposer qu'elle n'étoit pas occupée ce jour-là aussi saintement qu'elle le devoit être, et tout cela pourtant, dit-elle, sans piété, mais par la seule vue qu'il n'y auroit pas été de bonne grace qu'une jeune femme ait été sur tout cela comme sont les libertins et les hommes sans religion!"r. Elle confessa aussi à Mlle d'Aumale que son observation minutieuse du carême chez Scarron avait été un moyen de se faire remarquer et admirer pour sa régularité, de se distinguer de ce groupe de mondains.

Elle s'intéressait vivement aux défilés de mode, comme le

témoigne entre autres sa lettre du 25 juin 1670 à sa cousine Mme de Villette. Pourtant elle sacrifia le désir de se parer en partie par esprit d'économie, en partie parce que s'habiller en bourgeoise servait à souligner son courage, sa sagesse et son indifférence à l'égard des hommes. D'ailleurs ces étoffes bon marché lui permettaient de souligner son bon goQt: jamais on ne la vit porter une toilette démodée ou tachée et elle était toujours bien chaussée et vêtue de beaux jupons et de linge fort propre. Quoiqu'elle ne portat ni soie ni dentelle rien n'était mesquin dans sa toilette; bien au contraire puisque son confesseur, l'abbé Gobelin s'en inquiéta quelque peu après sa conversion à la dévotion: "Je vois tomber à mes pieds une quantité d'étoffe qui a trop bonne grace et sied trop bien."2.

1. Mlle d'Aumale, Souvenirs sur Mme de Maintenon, I, 28. 2. Gergy, Mémoires sur Mme de Maintenon, p. 120.

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Françoise d'Aubigné pvait atteint son but. Parfaitement à l'fise dans la société parisienne de l'époque, elle était l'admira-tion de tous ceux qui l~ conn~issaient. Accomplie dans tous les arts d'agrément elle pouvait tenir sa place parmi les dames les plus bril-lantes de ce cercle. Elle était vertueuse selon le monde--économe sans être mesquine, scrupuleuse dans ses pratiques religieuses, sobre dans son habillement, jouissant d'une réputation sans tache. Sympathique,

secrète, elle était l'amie et la confidente de tous ceux qui l'approchaient. Selon Gergy et les Dames de St-Cyr, Mme Scarron était le parangon de la femme mondaine.

Et son idéal l'avait bien servie. Son mérite lui avait ouvert la porte de la société mondaine; il lui avait permis de se retrouver dans ce milieu social auquel sa naissance l'avait destinée et dont sa pauvreté l'avait exclue; il lui cvait assuré aussi une certaine liberté et une belle indépendance.

Finalement, sa réputation irréprochable, son indépendance maté-rielle, ses arts d'agrément lui permirent de satisfaire son orgueil autre-fois blessé. Mme Scarron désirait être acceptée, aimée, respectée, admirée. Elle voulait qu'on lui cédat la première place, qu'on désirat sa compagnie. Ce n'était pas qu'elle aimat le monde ou qu'elle respectat tellement son opinion, mais elle tenait à forcer le monde à admirer le personnage qu'elle s'était fait; il lui fallait être telle que le monde ne puisse jamais lui refuser ou lui retirer son admiration comme on l'avait frustré de son héritage.

"Délivrée de tout ce qui avait fait souffrir cet orgueil, elle voulait encore lui donner ses revanches: être sage, le modèle des veuves; voilà son personnage. Sa nature l'y inclinait autant que sa volonté.\.

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Ghapitre II

De la Veuve dévote à Mme de Maintenon, reine et pédagogue: la formation

de l'idéal chrétien.

Dans le chapitre précédent nous avons parlé de la façon dont Mme Scarron s'adapta à la vie mondaine. Mais en général on ne pense pas à la mondaine quand on parle de Mme de Maintenon. On tend plutot à la regarder comme représentante de cet aspect de la France chrétienne au 17e siècle qu'est la dévotion.

Vers 1666 Mme Scarron embrassa la dévotion et engagea comme directeur de conscience l'abbé Gobelin. Un certain mystère règne autour de cette conversion et les biographes ne s'accordent pas sur sa sincérité. Certains la croient le résultat d'un calcul mondain. Bailly, dans sa bio-graphie suggère par exemple que Mme Scarron ne se convertit que pour

assurer le renouvellement de sa pension après la mort de la reine-mère tout en complétant son personnage de veuve exemplaire.

En effet, Mme Scarron savait que sa pension disparaîtrait avec la mort imminente de la reine-mère et il n'est pas ~ priori impensable qu'elle embrassat la dévotion pour souligner sa conduite vertueuse et s'attirer ainsi la sympathie de ceux qui accorderaient les nouvelles pensions royales. De même, il est possible qu'il y ait eu une part de sagesse mondaine dans sa décision, un désir de se faire louer dans le monde. "Il n'y a rien que je n'eusse été capable de faire et de souffrir pour faire dire du bien de moi", a-t-elle dit.l. Or, la dévotion était alors à la mode et la femme qui voulait passer pour sage était presque obligée d'engager un directeur de conscience. Bailly croit même que, en vue de faire admirer son courage, elle exagérait les exercices d' humiliétion suggérés par l'abbé Gobelin.

1. Mme de Maintenon, "Entretien avec Mme de Glapion, (18 oct. 1717)", Lettres historiques et édifiantes, II, 461.

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D'autres biographes, pourtant, croient cette conversion par-faitement sincère. -Taillandier y voit une évolution naturelle et lo-gique de la personnalité de Mme Scarron: " ... tout la conviait à orienter sa vie vers une discipline religieuse qui achèverait vis-à-vis d'elle-même l'harmonie de ce personnage. C'était une base sur laquelle pouvait, en

toute sécurité, reposer l'édifice un peu léger et compliqué de son existence. Les souvenirs d'enfance, sa laborieuse conversion, qu'on appelait "une

conversion" malgré son baptême catholique, son choix d'un couvent pour y abriter son veuvage, ses amitiés, ses espérances, tout la poussait à devenir femme d'église". L

Hanotaux, commentant un passage tiré d'une lettre à Mme de Glapion écrit: "A la fin, que trouve-t-on: l'élan mystique vers Dieu, si fréquent en ce siècle de grandes fautes et de grandes repentances, le besoin de repos pour l'ame, la nostalgie du cloître. "2.

Mais, quelle que fat sa motivation initiale en embrassant la dévotion, la pratique des humiliations amena certes Mme Scarron à la réelle humilité. Après une certaine période de découragement elle revint à son directeur, et désormais elle se soumit à lui avec une docilité parfaite. Personne, à l'exception de St-Simon et de La Beaumelle, ne doute que, peu à peu, sinon tout de suite, le souci du salut éternel remplaçat Hamour-propre comme mobile de conduite pour Mme de Maintenon.

La dévotion répondait sans doute en quelque façon à un besoin de la personnalité même de Mme Scarron puisqu'elle persévéra dans les humiliations que lui imposa son directeur; puisque sa dévotion fut pendant plus de cinquante ans au coeur de son existence et non pas simplement une façade pour sa morale mondaine. Elle s'était déjà distinguée comme une

1. Taillandier, Mme de Maintenon, p. 69.

2. G. Hanotaux, éditeur, "Les Cahiers inédits de Mlle d'Aumale", Souvenirs sur Mme de Maintenon, II (Paris, 1903), xiv.

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personne à qui l'action était indispensable, qui aimait vaincre les difficultés. Or, elle embrassa la dévotion précisément au moment où elle semblait avoir réussi à surmonter les difficultés extérieures de sa vie. Sa réputation était établie, ainsi que sa place dans les cercles mondains. Son amour-propre était assouvi par les louanges venant de tous côtés. Malgré sa pauvreté elle était acceptée partout, même à Versailles. Il nous semble naturel qu'ayant conquis la société mondaine, elle éprouvat le désir d'assurer son salut éternel en domptant son ame.

Pour une femme la pratique de la dévotion n'était pas facile. Saint François de Sales, dans l'Introduction à la Vie Dévote, avait pris soin de mettre la dévote en garde contre la tentation de vouloir servir Dieu simplement en assistant souvent à la messe, en faisant oraison plusieurs fois pendant la journée, en distribuant des aumônes et en s'imposant des austérités. Ces pratiques avaient leur place mais la dévotion ne consistait pas à mener dans le monde une vie religieuse.

La femme devait servir Dieu en soignant ses enfants, en soutenant son mari, et en lui inspirant l'amour de Dieu et de la vertu, en s'occupnnt de ses domestiques, de sa "maison". Le programme de prières, de messes et autres pratiques qu'elle se proposait ne devait jamais l'empêcher de remplir ces devoirs. Et parce qu'une dévotion trop austére ne pouvait qu'importuner sa famille et ses amis et finalement les dégonter de la dévotion, la femme devait éviter toute austérité qui pourrait gêner la compagnie ou au moins la rendre invisible à tout le monde sauf à son confesseur.

La correspondance de Mme de Maintenon et les mémoires sur sa vie nous montrent qu'elle ne fit jamais consister sa dévotion dans la multiplicité des prières, des messes et des communions. Même dans le premier élan de sa nou-velle dévotion elle ne passa pas de longues heures dans les églises. Il est vrai que l'ébbé Gobelin lui conseilla de réduire le nombre de ses visites mais il ne parait pas qu'il lui conseilla de s'en abstenir totalement pour

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ppsser son temps è. l'église en prière. Elle ne prit pas l'habitude de se confesser ou de communier plus souvent qu'elle ne l'avait fait précédemment.

Tout au début, Mme Scarron faillit glisser dans une dévotion d'une austérité outrée: elle s'interdisait alors de briller dans la conversation chez les d'Albret et les Richelieu~ avec l'inconvénient d' "ennuyer le monde".1. Elle s'aperçut vite de cette erreur et s'en souvenait sans doute quand elle reprit Mme de Montchevreuil, coupable de la même aberration qui risquait aussi de dégoQter les autres de la dévotion.

Elle ne négligea ni ses charges ni ses amis, lorsqu'elle avait le soin des enfants du roi, pour se vouer à une dévotion de prières. Plus tard, quand elle envisageait de se retirer à Maintenon pour vivre dans la retraite elle rédigea "un projet de conduite" où elle ne consacra que rela-tivement peu de temps aux exercices de piété, à la prière, à la méditation et à l'examen de conscience.

Elle ne réussit à se retirer de la cour qu'après la mort du roi en 1715. Pendant ces années à la cour elle ne prit pour ses dévotions que le temps qui lui restait après l'accomplissement de tous ses devoirs sociaux, ceux d'une dame de la cour et, plus tard, ceux de la femme du roi. Elle ne fit même pas l'oraison dans sa propre chambre quand le roi y travaillait de peur de le dégoQter de la dévotion. Hanotaux dit dans son introduction aux Cahiers de Mlle d'Aumale: "Elle [Mme de Mr.intenon], subit cette vie rude qu'est la cour, sans joie, mois quoi qu'on en dit, sans pédantisme morose"'2.

1. Gergy, Mémoires sur Mme 1e Maintenon, p. 110.

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Sa toilette montre aussi qu'elle ne rejetait dans les usages du monde que ce qui tenait du péché. Elle refusa toujours de se découvrir la gorge à la mode du jour, mais, gouvernante des enfants du roi, elle abandonna l'étamine de Lude et la grisette pour s'habiller en robe de soie avec des passements d'or, tenue qui convenait à sa charge et à son rang et répondait aux désirs du roi. Femme du roi, elle paraissait toujours "soignée, élégante, vraiment grande dame ... \ .

Ainsi, Mme de Maintenon réussit-elle à réconcilier sa dévotion avec les exigences de sa vie dans le monde à Paris d'abord, à Versailles ensuite. Elle se montra bon disciple de saint François de Sales qui insiste non seulement sur la possibilité mais sur le devoir de mener une vie sérieusement chrétienne sans rompre avec le monde.

L'heureux succès de sa pratique de la dévotion était da en

partie à son bon sens inné et en partie à celui de ses directeurs de conscience, l'abbé Gobelin et Godet des Marets. Saint François de Sales termine le

chapitre sur la directiùn dans l'Introduction à la Vie Dévote en défi-nissant ainsi le lien qui devait exister entre une femme et son directeur: " •.. vous le devez écouter comme un ange qui descend du ciel pour vous y mener. Traitez avec lui à coeur ouvert, en toute sincérité et fidélité, lui manifestant clairement votre bien et votre mal, sans feintise ni dissimulation ... ayez en lui une extrême confiance mêlée d'une sacrée révé-rence, en sorte que la révérence ne diminue point la confiance et que la confiance n'empêche point la révérence ..• "2.

Ce passage résume parfaitement le comportement de Mme de Maintenon envers ses directeurs. Elle consultait à tout propos l'abbé Gobelin, qui fut son directeur depuis sa conversion jusqu'en 1690. Elle lui demandait

1. Claude Aragonnès, Mme Louis XIV, Françoise d'Aubigné, Marquise de Maintenon, (Paris, 1938), p. 76.

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ses conseils sur ce qu'elle devait porter aussi bien que sur ses prières, ses communions et ses aumônes. Elle lui confiait ses cha-grins et lui faisait part de ses joies.

Rien ne montre mieux sa docilité à ses conseils que sa décision de rester à la cour. Elle ne comprenait pas comment elle pourrait mieux travailler à faire son salut dans un lieu fourmillant d'intrigues, pollué d'adultère et de dissipation que dans une retraite paisible dans son propre domaine. "Il est impossibl~ que je soutienne longtemps la vie que je mène, je prends trop sur moi pour que le corps ou l'esprit n'y succombe pas, et peut-être tous les deux; il en arrivera ce qu:il plaira à Dieu, et quand il en ordonnera ..• si sa volonté m'était connue, je la suivrais dans ce qu'il Y a de plus opposé à mon humeur. "1. Pourtant, toute persuadée qu'elle fOt de l'extrême difficulté de faire son salut à la cour elle y resta parce que l'abbé Gobelin lui dit que telle était la volonté de Dieu.

Les lettres écrites à Mme de Maintenon par Godet des Marets, son

directeur à partir de 1690, révèlent que, comme elle l'avait fait avec l'abbé Gobelin, elle le consultait sur tous les détails de la vie quotidienne aussi bien que sur ses grands problèmes. Elle demandait encore des conseils sur ses vêtements, ses prières, ses confessions, ses aumônes; elle lui soumettait sa conduite envers son frère; elle lui confiait ses inquiétudes et ses

chagrins sur le manque de sentiment religieux qu'elle apercevait chez le roi; elle lui avouait le découragement dont elle souffrait parce qu'elle n'arrivait pas à lui inspirer une dévotion vraie et profonde, provenant du coeur. Elle se plaignait 'à lui de ses souffrances devant ses échecs politiques, par exemple lorsqu'elle ne parvanait pas à dissuader le roi qui poursuivait une politique de grandeur écrasante pour ses sujets. Elle consultait des Marets aussi sur les problèmes les plus délicats et les plus intimes, telles

ses relations conjugales avec le roi.

1. Mme de Maintenon, "Lettre à l'abbé Gobelin (20 déc., 1676)", Correspondance Générale, l, 321.

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La soumission que Mme de Maintenon vouait à Godet des Marets n'était pas moins absolue que celle dont elle avait fait preuve envers l'abbé Gobelin. Mais, t~ndis qu'elle n'avait soumis que sa volonté à l'Dbbé Gobelin, elle accepta de soumettre son intelligence aux vues de Godet des Marets dans les questions théologiques d'alors.

En 1686 ~rriva à Paris Mme Guyon, auteur du livre Moyen Court dans lequel elle prétendait mettre à la portée de tous une communion mystique avec Dieu. Cette dame exerça une grande influence sur Fénelon, la Duchesse de Montemarte, les ducs de Beauvilliers et de Chevreuse, et leurs femmes, tous amis de Mme de Maintenon. Mlle de la Maisonfort, une des maîtresses les plus appréciées à Saint-Cyr fut entièrement acquise au nouveau mysticisme et elle introduisit ce quiétisme à Saint-Cyr où il enthousiasma les plus jeunes parmi les dames ainsi que nombre de jeunes filles et même de servantes.

Mme de Maintenon apprécia l'esprit séduisant et la grande piété de Mme Guyon et conçut pour elle une grande amitié. Elle lut le Moyen Court, le plus discret de ses écrits, "avec la simplicité d'une bonne chrétienne qui s'édifie de tout"l. sans y trouver rien de suspect. Elle conçut même un certain gont pour ce que proposait Mme Guyon.

Mais, aussitôt avertie par son directeur que le quiétisme était une doctrine suspecte, elle lui remit son exemplaire du Moyen Court et sacrifia son amitié pour Mme Guyon. Ayant promis de travailler à purger St-Cyr de cette erreur pernicieuse elle accorda à son directeur que les Dames de St-Louis livrassent à son examen les écrits de Fénelon qui avait entrepris la défense de Mme Guyon. Elle fit tout en son pouvoir pour per-suader à Mme de la Maisonfort non seulement de cesser son prosélytisme, mais même d'abandonner le qujétisme. Puis elle acquiesça, malgré la peine qu'elle

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en éprouvait, au renvoi en 1698 de cette dame ainsi que Mesdames du Tour et de Montaigle. "Vous ne pleurerez jamais tant vos soeurs que je les pleure depuis quatre ou cinq ans, et encore plus depuis quatre ou cinq mois, que je voyais qu'il faudrait en venir à ce qui s'est fait~ Je les aimais par inclination et par estime ... mais je dois préférer le bien de la maison à toute autre considération ..• \ .

Dans ce chapitre nous avons examiné jusqu'ici les problèmes de la conversion à la dévotion et ceux de la pratique de la dévotion. Nous devons maintenant considérer un peu les problèmes que présentait pour

Mme de Maintenon sa vie de femme chrétienne qui n'a pas rompu avec le monde. Un problème majeur se posa en 1669: trois ans après avoir embrassé la dévotion comme mode de vie Mme Scarron se vit proposer la charge de gou-vernante des enfants illégitimes du roi et de Mme de Montespan. Comment allait-elle pouvoir accepter d'élever ces enfants d'un double adultère sans compromettre à la fois et son salut éternel et sa belle réputation de vertu sévère?

Il faut bien d'abord replacer ce problème moral dans le contexte historique du l7e siècle. "La royauté s'était placée dans une sphère si élevée, les adorations dont l'entouraient toutes les classes de la nation étaient telles qu'on lui avait fait une existence et une morale en dehors de l'humanité; ses faiblesses et ses scandales, tout en restant des crimes aux yeux de la religion, étaient aux yeux du monde excusés, et pour ainsi dire respectés, enfin l'on éprouvait à l'égard des amours du Jupiter de Versailles un sentiment un peu semblable à celui qu'éprouvaient les anciens à l'égard des désordres de leurs dieux. "2. Devenir gouvernante des enfants

naturels du roi ce n'était pas se souiller par une dégradante complaisance en face du péché, mais recevoir une insigne faveur. C'était en les propres termes

1. Citée dans les Mémoires de St-Cyr, p. 393. Lettre de Mme de Maintenon (déc. 1698).

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de Mme de Maintenon Il une sorte d' honneur fort singulier. "1. Ainsi, en

acceptant la charge de gouvernante des enfants naturels du roi, Mme Scarron non seulement ne compromettait pas sa réputation aux yeux du monde mais s'auréolait de gloire.

Mais encore fallait-il que ce fussent les enfants de Sa Majesté. Elle ne négligea rien, fit mille efforts pour savoir sans aucun doute que l'enfant qu'attendait Mme de Montespan était effectivement l'enfant de Louis XIV car sa réputation, et son salut, en dépendait. Alors elle insista que ce füt le roi lui-même qui lui demandat de se charger de l'enfant.

M?is enfin, devant Dieu, quelle différence entre les enfants na-turels d'un roi et n'importe quel autre b~tard? Son rôle pouvait n'avoir rien de repréhensible aux yeux du monde, mais pouvait-elle le justifier devant Dieu? En acceptant d'élever cet enfant, elle se demandait si elle ne donnait pas son approbation à l'adultère.

Elle consulta l'abbé Gobelin et, d'après Gergy, ce fut lui qui lui conseilla d'accepter à condition que la paternité royale soit confirmée et qu'elle tienne la charge du roi lui-même et non pas de Mme de Montespan; nous avons signalé comment elle se conforma à ses conseils. Selon Gergy encore l'austère directeur " ... jugea que ce n'était pas autoriser le crime que de prendre soin de cacher la honte de celle qui l'avait commis et de procurer au fruit qui en venait une éducation chrétienne. "

2.

Il se peut aussi que l'abbé ait pensé à réformer les moeurs de Mme de Montespan grace à l'influence de la sage gouvernante de ses enfants. Peut-être rêvait-il même d'une influence possible sur le roi?

1. Mme de Maintenon, "Entretien avec Mme de Glapion (18 oct. 1717)", Lettres historiques et édifiantes, II, 461.

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