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Réalisme et poésie dans les romans d'André Dhôtel.

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Réalisme et poésie dans les r.omana d'André Dh6tel by

(2)

REALISME ET POESIE

DANS LES ROMANS D'ANDRE DHÔTEL

by

Marie Miklachevsky

A thesis submitted to the Faculty of Graduate Studies. and Research in partial fulfilment of the requirements for the degree of Master of Arts.

Department of French Language and Literature,

McGill University,

(3)

,. f

TABLE DE MATIERES

Introduction . . . . . • . . . 1 Première Partie: Réalisme

Chapitre I Le réalisme dans la psychologie ., 13 Chapitre II Le réalisme du cadre • • • • • • • • •

23

Chapitre III Le réalisme chemine vers

la poésie ••••••·••••••••••••••• 35 Deuxième Partie: Poésie

Chapitre I Le c8té poétique dans la peinture

de l'enfance ••••••••••••••••••••• 38 Chapitre II Le c8té poétique dans la peinture

de la vie adulte •••••••••••••••• 51 Chapitre III Le mystérieux, le merveilleux

et le fantas~ique •••••••••••••• 85 Conclusion • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 106

(4)

INTRODUCTION

Aceueil de l'oeuvre d'André Dh&tel par le public

Le nom d'André Dh&tel fit du bruit pour la première fois lorsque, en 1955, il remporta le Prix Femina pour son roman 'Le pays où l'on n'arrive jamais'. Qaoiqu'il ait déjà publié à cette époque une dou!Ziaine de romans, entre autres

'DaVid' qui lui valut le Prix Sainte-Beuve en 1948, sa réputation comme romancier n'était encore ~tre établie auprès du grand public. Pendant les dix ans qui suiVirent le Prix Femina il publia enc6re d6use :temanaftqui attirèrent surtout l'attention d'un cercle littéraire asse!Zi étroit, mais l'acclamation du lecteur de romans modernes était lente

à

~ } ~~ l

venir. La critique littéraire s'est bornée à quelques

articles dans les journaux, à quel~~e' es~ais 9ftriques dont aucun n'a ess&Yé sérieusement de comprendre la pensée et le message d'André Dhôtèl. Pierre de Boisdeffre; dans son oeuvre importante sur la liitérat~e~fr~9a~s~ fe la période qui commence avec le début de la dernière guerre ne fait que constater son existence par quelques phrases bienveillantes et désintéressées.

(5)

-2-sérieuse, en tant que poète, psychologue et peintre réaliste du drame humain. Certains l'admettent:

'Que Dh&tel soit un de nos meilleurs romanciers actuels, cela ne fait aucun doute', 1

dit Maurice Nadeau, et

'Il y a chez Dh8tel beaucoup d'exactitude, de finesse, d'humour, un grand art de narration, un style discret et très sdr', 2

jugement de Galtan Picon. Boisdeffre le place à c8té

d'Henri Bosco comme écrivain •aux antipodes de la littérature de témoignage•,3 créant dans la tradition du surréalisme des romans ésotériques 'd'une originalité un peu littéraire, dans la ligne des Bront6, de Hawthorne ••• •4.

La

question se pose de savoir pourquoi un auteur dont le génie est indiscutable, n'est pas mieux connu, plus

apprécié. La plupart des cri tiques reconnaissent que ses

oeuvres ont une valeur littéraire certaine, surtout une belle langue, rare de nos jours, et lui reprochent en mime temps son manque total d'actualité, son refus d'aborder les grands

thèmes de notre époque. Ils sont peut-3tre aveuglés par l'éclat trop brillant et trop cruel de nos romans modernes pour se

rendre compte qu'il existe des vérités dont la lumière est plus douce et plus limpide, des vérités valables pour tous les hommes et toutes les époques. La génération d'après guerre ne connatt plus le charme du loisir, de la contemplation, de la conversation calme et réconfortante, de l'oisiveté contemplative, si familiers encore

à

nos parents, jeunes au début du siècle.

1. 2.

(6)

3

-La vie se mène à un train si infernal que nous n'avons plus

de temps pour rien. De même, nous avons perdu cette sensibilité poétique qui relève de l'imagination du coeur et maintenant

toutes les expressions du lyrisme nous gênent. Nous les trouvons dépourvues de sincérité et douceâtres. Nous nous sommes tournés vers la laideur, la cruauté et l'abstraction dans tous les modes d'expression, ce qui signifie peut-être que l'homme moderne a perdu le sentiment du bonheur. 0~ pour apprécier les romans d'André Dhôtel un sens esthétique très vif et le goftt du loisir sont indispensables.

'Il nous rend sensible à chaque instant la lente et pathétique coulée du temps, la rumeur de l'âme, le grain de la vie.' 1

Notre littérature de choc abrutit le coeur et l'imagination, et tue la poésie en nous présentant des effets scientifiquement composés qui demandent des réactions sentimentales stéréotypées en accord avec les règles de l'analyse psychologique, déesse d'un siècle adonné à la science. Les oeuvres de Dhôtel sont remplies de poésie, de mystérieux et de tendresse et elles demandent à ses lecteurs de faire un effort conscient pour sentir le charme merveilleux de la vie dans le monde qu'il a créé. 'Ses livres sont écrits sans bruit, sans publicité, sans tapage, en dehors de la fièvre du "chef-d'oeuvre" du moment•, 2 dit un de ses critiques.

André Dhôtel est un des rares romanciers modernes qui soit parvenu à créer un univers, dont Maurice Nadeau dit: 'Le monde

1. Arland, Marcel, 'Le Plateau de Mazagran par André Dhôtel', Les Cahiers de la Pléiade, Paris, 1948.

2. Masoin, 'Le Plateau de Mazagran par André Dhôtel, ~'

(7)

d'André Dhôtel est complet et bouclé sur lui-même•. 1 Son univers est en effet complet, avec une atmosphère faite de confidence, de sympathie humaine et de rêves partagés, il

est peuplé d'un monde abondant, varié, romanesque et pittoresque, il s'y déroule des histoires invraisemblables, mystérieuses,

merveilleuses et parfois très banales. C'est 'un univers véridique et légendaire, tout proche de la réalité la plus familière et pourtant animée d'une secrète poésie•. 2 Son monde reste toujours baigné dans une lumière primitive qui éveille dans le lecteur une série de souvenirs lointains et à demi effacés.

Notes biographiques

André Dhôtel appartient à la génération de Jean-Paul Sartre

(1905),

de Louis-Ferdinand Céline

(1894),

de Marcel Aymé

(1902),

de Julien Green

(1900),

à la génération des Surréalistes et de leurs successeurs, et surtout

à

une

génération qui a passé par deux guerres mondiales. Il est né

à

Attigny dans les Ardennes le 1er septembre

1900

d'une

famille ardennaise. Son père était greffier et commissaire-priseur. Dh8tel a passé son enfance dans les Ardennes après quoi son père l'a emmené vivre à Autun pour qu'il puisse aller au collège de cette ville. Il a gardé un souvenir très

précieux de son enfance: 'J'ai eu une enfance radieuse, dit-il

à Dominique Arban au cours d'un entretien, nous avions quinze 1. Nadeau, Maurice, Combat, 27 février

1949.

(8)

5

-ans, seize ans. Nous faisions l'école buissonnière dans les égouts romains. C'était à Autun•. 1

Depuis son enfance André Dhôtel s'est toujours livré sans réserve à son goat pour la campagne, il fit ses devoirs d'écolier dans les champs et la botanique est restée son

divertissement favori. Toua ses romans témoignent d'un rapport très personnel avec la nature. D'un côté c'est le botaniste passionné.qui parle, mais d'un autre côté c'est l'homme à qui l'intimité avec la nature a appris à guetter ses secrets insoupçonnés. 'Dans les champs j'ai parfois l'idée de me retourner ••• qui est-ce qui se moque du monde? Qui fait tout le temps cette petite musique par en dessous?•2 A l'âge de soixante-cinq ans Dhôtel est resté écolier des écoles

buissonnières. Le sentiment de la nature transpire dans toute son oeuvre à laquelle il ajoute un charme poétique qui persiste toujours, quelle que soit la valeur de l'intrigue.

Dans sa jeunesse Dhôtel lisait avec passion, s'attachant à différents auteurs, et entre autres à Molière; les romans français lui inspiraient pourtant une horreur instinctive et il recherchait les romans de langue étrangère, Dostoievski, Gogol, Faulkner. Toutefois Pierre Loti a été longtemps son auteur préféré. Au cours de ses études à Paris il fit la connaissance de Marcel Arland, Georges Limbour, René Crevel et Roger Vitrac, tous soldats en

1920,

il se trouva mêlé à des

---·----·

1. Arban, Dominique, 'Un homme de silence, un homme de nulle part', Le Fi~aro Littéraire,

3

décembre

1955,

p.

4.

(9)

-6-conversations littéraires et assista au mouvement dada!ste, puis,au début du mouvement surréaliste sans y prendre part.

André Dhôtel fut nommé professeur à Athènes où il resta pendant quatre ans

(1924-1928).

Là se produisit un phénomène curieux: par l'intermédiaire du grec il trouva un accès à l'âme russe en lisant Gorki et Dosto!evski en grec. Il y

sentait que les Russes avaient le pouvoir d'aller aux sources de la vie, à une vérité profonde, étrangère à l'esprit

français: 'Cette fraternité des Russes ••• leur humanité ••• Tout ce vrai1 Ça m'a beaucoup donné•,1 dit-il. En outre l'art du récit chez les Russes le passionnait. Maupassant, Mérimée lui étaient toujours restés étrangers.

Avec son profond sentiment de la nature Dhôtel devait nécessairement 3tre fort impressionné par le pays grec. Il nous révèle la Grèce avec toute sa beauté éblouissante et sa cruauté sauvage de pays pauvre sous le soleil méditerranéen dans deux romans, Oe lieu déshérité et Ma chère âme ainsi que dans une nouvelle 'Idylle de Samos' qui fait partie d'un

recueil de nouvelles intitulé Idylles. Mais dans ces trois oeuvres seul le décor est grec, tandis que l'intrigue et les personnages pourraient facilement figurer dans le schéma de n'importe quel autre de ses romans.

Actuellement André Dhôtel est professeur de philosophie au collège de Coulommiers.

Il se dit indépendant, surtout parce qu'il refuse de t. Arhan, Dominique, 'Un homme de silence, un homme de nulle

(10)

-7-s'identifier avec l'un des groupes contemporains comme celui des existentialistes, dont toute l'idéologie lui est étrangère. Toutefois il admet que le seul fait d'écrire comporte de

soi-m8me un engagement.

L'oeuvre de Dh8tel comprend jusqu'à présent Vingt-quatre romans, trois biographies, de J ean-J acqùes Rousseal.l.t de Jean Follain et de Saint Benoit Joseph Labre, un recueil de

nouvelles I~ylles et un recueil de poèmes intitulé Le petit livre clair. André Dh8tel a commencé à publier en 1928,

l'année de ses poèmes; en 1930 parut le roman Campements suivi

"

en 1932 d'une étude sur Rimbaud. Ensuite pendant une période de dix ans il a souffert d'une maladie nerveuse at ~il ne recommença à écrire qu'à partir de 1941.

On

peut placer le début de sa carrière littéraire à cette date. Parmi les plua importants romans depuis cette époque sont Les rues dans

l'aurore (1945), David (1948), Le pgys o~ l'on n'arrive jamais (1955) et Le Mont Damion (1964). Les romans sur la jeunesse sont moins nombreux que ceux sur les adultes, mais ils semblent en général mieux réussis et mieux reçus par le public.

Les prédécesseurs de la pensée dh8telienne

Réalisme et poésie sont au fond les deux éléments

essentiels et inséparables dans tout roman. 'Il faut d'abord convenir qu'il n'est roman que réaliste•,1 dit Maurice Badeau. Le romancier choisit les faits dans la réalité et les transforme

1 •. Nadeau, Maurice,

'La

méthode d'André Dh8tel', Le Mercure

(11)

-8-en leur imprimant sa propre esthétique.

Le courant réaliste transparatt à travers les romans de toutes les époques, de Villon et Rabelais à

La

Bruyère et Madame de la Fayette, de Rousseau à Stendhal, mais avant le XIXième siècle la présentation de la r~alité n'a pas été le but exclusif du romancier. L'art l'a emporté sur le réel et la nature n 1 a servi que de motif au romancier. Dans la deuxième

moitié du XIXième siècle le réalisme devint une esthétique et une doctrine. Flaubert demanda que l'auteur s'efface complètement de son oeuvre: le roman devait présenter une aventure réelle

peinte avec l'exactitude d'un document .~fin que la vérité du roman ne puisse jamais Atre mise en doute. L'art de l'auteur consiste alors dans le choix des faits et dans la pureté du style. Le Naturalisme de Zola poussa à l'extrême le souci du réalisme et de la vraisemblance et 1' ~ination poétique en semble tout à fait bannie. L'esthétique du XIième siècle n'a abandonné ni le réalisme ni le naturalisme mais les romanciers d'aujourd'hui ne les considèrent plus comme des loctrines

absolues. 'Un roman au sens traditionnel, dit Galtan Picon, est la représentation fidèle d'un spectacle: au sens actuel, il est plut&t l'expression d'une vérité intérieure.•1 Certains romanciers, Jules Romain,,Carco et Mauriac sont les héritiers de Flaubert et de Zola, ils donnent au roman son sens du

siècle passé. Par contre Bernanos, Maurois, Camus et Sartre présentent non pas des caractères mais des attitudes; celles-ci résistent à.toute documentation systématique.

1. Picon, Galtan, Panorama de la Nouvelle Li tttsrature francaise, Paris, Gallimard,

1960,

p. 31.

(12)

-9-Le réalisme de Dh8tel tient de ces deux points de vue. Ses romans se ;jouent dans un cadre qu'il prend dans le monde réel mais la personnalité de l'auteur ne s'efface pas. Elle se manifeste dans la poésie de l'intrigue et des personnages. La réalité donne la forme aux romans, la poésie apporte le fond, la pensée et les sentiments profonds de l'auteur.

La

poésie d'André Dh8tel s'oppose au matérialisme

scientifique de notre temps et cherche à pénétrer dans le fond caché de l'Ame humaine qui se dérobe à l'esprit méthodique des psychanalistes. Il essaie en m3me temps de rendre sensible au lecteur les vérités profondes que renferme la vie et qui sont inaccessibles à 'l'esprit de géométrie'. Une telle

tentative n'a rien de nouveau. La légende du Moyen Age révèle déjà que l'homme croit à une existence possible des choses merveilleuses et qu'il en a même surpris des traces. Cette

croyance est à la base de toutes les légendes.

La

préoccupation de l'homme pour les événements merveilleux s'est transmise

d'une génération

à

l'autre de façon à former une tradition continue. Elle est à l'origine des: contes de Perrault,

d'Andersen, des frères Grimm et des féeries de Maeterlinck. La m3me tradition a trouvé une expression parfois très

intellectualisée dans le roman noir du XIXième siècle, dans l'oeuvre de Charles Nodier et de Hoffmann, de Mérimée et de Maupassant. Là-dedans le merveilleux et le fantastique

prennent un aspect psychologique, ils deviennent des émanations de l'esprit humain au lieu d'être uniquement des manifestations de quelque force divine ou surnaturelle. Le rêve et le cauchemar

(13)

-10-l'emportent souvent sur les fées et les monstres.

La légende a exercé une influence considérable sur Dh8tel, surtout la légende celtique. Il en a adopté les c8tés~ndre, mystérieux et insolite dans l'atmosphère; il a souvent doué

ses personnages de certains traits typiques des héros du

roman breton: ils sont sérieux, tenaces, profonds et passionnés, fidèles et insondables. En outre les romans m3mes d'André

Dh8tel sont très souvent comme des légendes du XXième siècle, tellement ils sont stylisés et simplifiés dans leurs idées ma!tresses.

A l'élément légendaire dans l'oeuvre de Dh&tel l'élément fantastique ajoute un apport qui joue dans le m&me sens. Le fantastique, comme le merveilleux, n'a jamais été absent de la littérature à travers les siècles, il fait partie intégrante de toute imagination poétique. La vérité des choses surnaturelles n'a pas été sérieusement mise en doute avant l'arrivée du

rationalisme scientifique du XVIIIième et XIXième siècle et ce nouvel esprit lui-même: n 1 a pas pu en effacer la conscience;;

Dans notre siècle la conscience du fantastique a été renouvelée d'une façon étonnante. Le diable reprend pied dans l'oeuvre de Bernanos et de Julien Green, les fant&mes apparaissent chez Jean Supervielle, Jean Cocteau fait rena!tre les mythes anciens et Kafka se sert du fantastique pour révéler la

souffrance de l'Ame humaine. Le fantastique surréaliste essaie de 'libérer l'homme de la tyrannie de la logique et de refaire le monde par la poésie.•. 1 Dh&tel ne cherche pas

à

refaire le 1. Schneider, Marcel, La Littérature fantastique en France,

(14)

-11-monde, il ne renie pas le monde tel qu'il existe. Il se sert du fantastique pour explorer des régions qui ne sont accessibles

..

qu'à l'aide de l'imagination poétique poussée à ses limites. L'expérience du fantastique ouvre une dimension nouvelle de ce monde où 'nous avons l'habitude de situer l'aventure

humaine sur un plan inférieur et dans des cadres étriqués' • 1 L'auteur accepte le surréel comme un fait nécessaire et

indéniable dans la vie quotidienne.

Rimbaud, un des prédécesseurs du surréalisme fantaatique, a exercé une certaine influence sur la pensée d'André Dh8tel. Celui-ci voit une similitude entre la ~évolte de Rimbaud et celle de la jeunes~d'aujourd'hui, et il exprime cette idée dans ses romans sur l'adolescence.

André Dh8tel renonce sans regrets au jeu des écrivains modernes qui consiste à disséquer l'Ame humaine, à la mettre à nu et ensuite à l'accabler de dérision et de mépris. Il a la main douce et sOre et il guide ses héros avec une patience infinie à travers les labyrinthes de la vie. Combien d'auteurs permettent que leurs héros deviennent victimes de ces Charybde et Scylla que sont le matérialisme et le nihilisme.

Pour comprendre la philosophie de Dh8tel il faut savoir pourquoi il a tellement insisté dans ses romans pour que

l'élément réaliste et l'élément poétique s'interpénètrent si profondément.·Dans son étude sur Rimbaud Dh8tel explique le besoin de faire fusionner ces deux principes et donne ainsi

1 Dh8tel, André, Rimbaud et la ~évolte moderne, Paris,

(15)

-12-la clef de son oeuvre:

'Quelles ~ue soient les circonstances et les idées, on constate deux séries de faits absolument

étrangères, et qui doivent concorder à tout hasard sans qu'aucune explication puisse être donnée de cette eoncordanc.e injustifiable. L' individu et la société, l'esprit et la matière, l'idéal et la réalité sont les notions qui dénoncent couramment une opposition irréductible.' 1

Or, DhÔtel constate que l'opposition entre ces données de la vie n'est pas toujours irréductible. Il y a eu des moments dans l'histoire de l'homme où l'abîme entre l'esprit et la matière, l'idéal et la réalité a été franchi et l'homme a pu

jeter un regard dans les domaines interdits du merveilleux et de la légende. Ce regard lui a permis de reconnaître qu'il y a une vraie vie, plus profonde et plus pure au-delà de notre vie quotidienne et l'a persuadé que l'homme doit maintenir une attitude de doute envers les vérités que l'on considère comme absolues à son époque.

'Le véritable sens de la révolte moderne parait être d'abord de ne jamais chasser ce doute, de le maintenir au contraire, avec l'espoir tenace de

reprendre à un moment donné quel~ue contrôle sur la vérité.' 2.

Chacun des romans d'André Dhôtel est une nouvelle expression de ce doute et de cet espoir constamment renouvelés dans l'âme de ceux qui refusent de s'incliner devant les idoles du jour et qui rêvent un rêve éternel en harmonie avec les animaux et les arbres.

Nous étudierons dans les chapitres suivants les divers aspects que prennent le réalisme et la poésie dans l'oeuvre de Dhôtel.

1. Dhôtel, André, Rimbaud et la ~évolte moderne, Paris, Gallimard, 1952, p. 9.

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PREMIERE PARTIE

REALISME

CHAPITRE I

LE REALISME DANS LA PSYCHOLOGIE

Bous avons fait remarquer dans l'introduction que le réalisme d'André Dhetel donne la forme à ses romans. Les détails que l'auteur choisit comme base de ses histoires sont pris dans la réalité; ce choix se porte sur les traits psychologiques des adolescents et des adultes, sur certains milieux sociaux et sur le cadre de la nature dans lequel se déroulent les événements. Dhetel est méthodique dans sa

description de la réalité mais il écarte toute idée de faire un tableau réaliste ou de raconter des aventures vraisemblables. Marcel Schneider dit de lui: 'L'auteur ne confond jamais

réalité et réalisme: tout dans son oeuvre est réalité, réalité quotidienne, familière, banale, humble tant qu'on voudra, et pourtant rien de moins réaliste•.1

A. La psychologie de l'adolescent

Toute la vérité des personnages dheteliens dépend de la réalité des traits de caractère qui déterminent leurs actions. 1. Schneider, Marcel, La littérature fap.tastigue en France,

(17)

-14-Les personnages sont dessinés en grandes lignes simples et précises de façon que la complexité du caractère humain ne devient jamais apparente. Le trait de caractère dominant est présenté, les traits secondaires sont atténués et forment un deuxième plan. Les enfants, toujours pris à l'âge de

l'adolescence, sont dominés par un sentiment de révolte qui s'exprime dans leurs actions non-conformistes. Il n'y a rien de plus vrai que l'opposition de la jeunesse à la génération adulte et aux règles que le jeune enfant a acceptées sans réfléchir mais que l'adolescent commence à critiquer sans les comprendre. Gilbert Parencloud, dans Le Neveu de Parencloud, croit qu'à l'âge de seize ans il est capable de juger ses propres actions. Il refuse alors de suivre les conseils de son oncle qui l'avertit que la haine d'un Chassegrange est dangereuse. Le garçon est assez intelligent pour reconnaître la justesse du raisonn~ment de son oncle mais il est trop

jeune pour maîtriser l'envie enfantine de suivre l'élan de ses sentiments. Dans Le Maitre de pension Michael, un enfant orphelin, ressent si fortement le désir d'indépendance qu'il s'enfuit de la ferme où on l'avait accueilli pendant trois ans. Pourtant une sentimentalité enfantine le ramène à un personnage adulte, René Romeyre, auquel il s'attache parce que cet homme lui rappelle son premier père adoptif. Dans la suite Michael est constamment déchiré par deux sentiments opposés: son amour pour Romeyre et son désir ardent d'~tre

adulte:

(18)

-15-avec beaucoup de cran et l'on se perdait dans les ruses les plus nà!ves.' 1

Ce défi contre les adultes se manifeste parfois dan~ des

actions extraordinaires. Michael, pour prouver son indépendance, prend une attitude très hostile contre Romeyre et ne s'oppose pas aux plans puérils des camarades qui veulent l'assassiner.

Dhôtel voit très juste lorsqu'il montre que les

adolescents ne tiennent pas compte de la bonne volonté que les adultes leur témoignent. Hélène Drapeur, dans Le pays où l'on n'arrive jamais, s'enfuit de la maison de son père adoptif pour chercher sa mère et le pays de son enfance qui ne sont qu'un vague souvenir pour elle. Son désir d'agir indépendamment est plus fort que tout· sentiment de reconnaissance. Gaspard Fontarelle, lui aussi défie tous ceux qui ne veulent que son bien, il persiste dans ses efforts pour aider Hélène et selon lui la jeune fille a le droit de chercher son pays et personne ne devrait l!en·empêcher. Dans Le Mont Damion Fabien Gort

montre sa révolte d'une façon moins éclatante: comme tout enfant timide et r~veur il se retire dans un silence sournois et résiste à toutes les tentatives que l'on fait pour lui apprendre un· métier. Il refuse de reconnattre qu'il est nécessaire d'avoir une profession. Ce but lui paratt si lointain qu'il croit qu'une éternité l'en sépare, et le but n'a plus aucun sens pour lui.~gns Les Rues dans l'aurore

Georges Leban, lui aussi un garçon renfermé et taciturne, défie le monde adulte par des mensonges qui visent un homme d'une 1. Dh8tel, André, Le Mattre de pension, Paris, Grasset, 1954,

(19)

16

-respectabilité irréprochable.

Le sentiment de révolte chez les adolescents repose souvent sur l'idée que la justice de l'âge adulte est autre que celle de l'enfancè. La justice a pour l'enfant une valeur absolue: quand il rencontre la ruse et la force qui remplacent souvent la justice dans le monde adulte, l'adolescent chez Dh5tel repousse avec indignation tout compromis qui lui semble déshonorable. Malgré une certaine exagération ce trait de caractère est asâez typique à cet âge. Le sens de la justice chez Chassegrange répugne à Gilbert Parencloud. Le garçon reconnaît qu'il a eu tort de se mêler des affaires de cet homme riche et puissant mais il refuse de se laisser

punir au vu de tous pour un crime controuvé. Alôrs il s'enfuit. Dans Nulle Part les enfants débattent avec passion la question de savoir s'il est juste que Jeanne épouse Jacques car Jacques avait promis de l'épouser huit ans auparavant et n'avait pas tenu sa promesse.

Dans Mémoires de Sébastien l'injastice sociale révolte la jeune Marie-Jeanne qui se met à détester les richesses de

\

sa famille et s'enfuit vivre avec les pauvres et les gens qui sont dédaignés par les siens.

Certains traits de caractère que l'on rencontre chez Dhôtel ne sont pas aussi typiques pour tous les jeunes, comme par exemple le sentiment d1isolation éprouvé par des adolescents.

Ni enfants ni adultes, ceux-ci cherchent un appui moral chez quelqu'un de plus âgé mais en même temps ils gardent jalousement

(20)

-17-leur indépendance nouvellement acquise. C'est le cas de Michael Chalpain et de son amour pour Romeyre. C'est aussi le cas de Jean-Louis qui s'attache d'une amitié hésitante à Sébastien.

'Jean-Louis vint me trouver • • • Il n'avait ri en de particulier à me dire, l'air toujours un peu suppliant, malgré la rudesse de 1ses manières, comme le sont beaucoup de gar9o~.s dont les

moindres paroles qu'ils échangent avec les a1nés seraient peut-être des questions déguisées sur la vie, sur le monde, sur Dieu même.' 1

La souffrance devient plus aigu! lorsque l'adolescent doit se rendre compte qu'il est incapable de se défendre dans un monde adulte. Georges Leban remarque ceci avec désespoir:

'On

nous considère comme des enfants. Et c'est vrai, parce que nous ne savons pas nous défendre, et tout ce que nous avons, on peut nous le prendre tout de suite, sans que nous sachions comment

cela s'est fait.' 2

Au moyen de ces quelques traits fortement prononcés Dh&tel parvient à dessiner des portraits d'adolescents. L'Ame de ces jeunes héros est sombre et passionnée, chacun de ces traits est pris sur le Vif et le lecteur se rend compte que Dh&tel aime et comprend le caractère des jeunes. B. La psychologie des adultes

Dh&tel ne montre pas la même indulgence envers les adultes qu'envers les enfants. Le choix qu'il fait parmi

1. Dh8tel, André, Mémoires de Sébastien, Paris, Grasset,

1955,

p.

77.

2. Dhôtel, André, Les Rues dans l'aurore, Paris, Gallimard,

(21)

18

-tous les traits de caractère qui marquent l'adulte montre une attitude détac~ée et critique qui témoigne d'une certaine déception de l'auteur. Les portraits d'adultes sont encore plus simplifiés et stylisés que cèux d'adolescents, les personnages sont plus souvent l'incarnation d'un seul trait

de caractère ou d'une seule passion. Les traits qui caractérisent la plupart des adultes sont la conviction d'être raisonnable,

de pouvoir maîtriser leurs passions et de juger des actions des autres avec impartialité. L'auteur montre, parfois avec cruauté, comment l'homme se fait des illusions à son propre égard. Sébastien décrit ainsi son oncle Monsieur Castillon, un homme qui cache son avarice derrière une apparence d'homme

raisonnable:

'C'était un homme à l'esprit rigoureux, dont le

jugement ne se trouvait jamais en défaut car il 1 savait maintenir ses décisions en toutes circonstances.' La guerre n'avait pas épargné le vieillard mais elle n'avait pas non plus amolli son coeur:

'Il habitait maintenant Evreux où il avait

transporté son économie et son esprit de justice,

ayant perdu ses meubles, sa maison et même ses prairies, qui avaient été labourées par les bombes ••• Je

n'entendis que des lamentations prononcées sur un ton glacial. Mon oncle m'enjoignait de faire mon chemin et de ne pas compter sur son aide. Il avait été dépouillé de tous ses biens à l'exception d'une petite fortune qu'il réservait pour les mauvais

jours.' 2

Dans le roman Les Rues dans l'aurore Paul Roncier, architecte et industriel respectable, dissimule un caractère craintif

1. Dhatel, André, Mémoires de Sébastien, Paris, Grasset, 1955,

p. 8.

(22)

19

-et peu sûr de lui derrière des actions apparemment justes et m~me admirables. Cet homme assez faible est hanté par le souci de la respectabilité. Dhôtel décrit comment la peur inspire aux plus faibles une force morale qui leur permet de se défendre contre les dangers qui menacent leur sécurité apparente. Paul Roncier ne comprend pas la futilité de ses

efforts; il n'est ni hypocrite ni rusé et son courage qui est plus grand que son intelligence ne suffit pas pour maîtriser

les événements. Sa soeur Eva Roncier 'semblait même s'enorgueillir, comme d'une marque de noblesse, de cette incompréhension

essentielle qui régnait dans toute la famille•. 1

Jacques Parpoil, du roman Le Pays où l'on n'arrive jamais1 joue à l'homme raisonnable pour satisfaire l'ambition d'imposer sa volonté à Monsieur Drapeur dont il est le secrétaire.

Homme rusé et cruel, il jouit aussi de faire souffrir les autres: son plan d'envoyer Hélène aux Bermudes, si logique qu'il puisse paraître, donnait une certaine satisfaction à Parpoil car Monsieur Drapeur était désolé de cette séparation.

Les gens raisonnables ne sont pas tous présentés sous ce jour défavorable. Mademoiselle Berlicaut~ la tante de

Gaspard, n'avait que les meilleures intentions, celles d'élever le garçon d'une façon convenable et de lui léguer un jour son hôtel. Un peu raide et intraitable, c'est pourtant une femme honnête et bienveillante.

On est encouragé de voir que Dhôtel prête aux parents

1. Dhôtel, André, Les Rues dans l'aurore, Paris, Gallimard, 1945, p. 213.

2. Dhôtel, André, Le Pays où l'on n'arrive jamais, Paris, Pierre Horay, 1955.

(23)

-20-en général beaucoup de bon s-20-ens guidé par l'amour, deux qualités qui leur permettent de ~upporter avec patience les années difficiles que leurs enfants traversent. Les Crevain, dans Le Plateau d~ Mazagran, ne défendent point à leur fils de suivre un chemin qui ne peut manquer de le conduire à des difficultés. Ils supportent les médisances du village, espérant toujours que Maxime retrouvera son équilibre après une période tourmentée. Ce n'est qu'au moment où le garçon court un danger réel que son père le force à l'obéissance. ~es Surmat, parents d'Alain Surmat dans Les Mystères de Charlieu-sur-Bar, conseillent à leur fils de quitter le pays où l'on cherche un bouc émissaire. Comme le village était prêt à accuser Alain de tous les incidents qui troublaient la paix, le père et la mère Surmat l'envoient chercher du travail ailleurs. 'Ils souriaient tous les deux. Alain lui aussi sourit, et il partit dans le silence du premier matin.• 1 La grand'-mère de Fabien, Delphine, montre une patience vraiment touchante avec ce garçon silencieux et incompréhensible. Elle se console un peu na!vement en disant que 'du moment que Fabien n'avait pas de dispositions vicieuses, il fallait

s'estimer heureux. Est-il nécessaire que tous les enfants et tous les hommes réussissent?'~ Il est dommage qu'il y ait si peu de parents dans les romans de Dh8tel; on dirait que tout le monde est orphelin.

Toutes les passions qui inspirent et dominent les

personnages dh8teliens sont prises dans la réalité. L'amour, le 1. Dh8tel, André, Les Mystères de Charlieu-sur-Bar, Paris,

Gallimard, 1962, p. 125.

(24)

-21-sentiment le plus naturel entre hommes et femmes, est présenté dans tous les romans; pourtant ce sentiment perd beaucoup de son caractère réaliste parce que Dh8tel en a fait un objet favori de l'imagination poétique. La haine a aussi subi des changements inspirés par l'imagination mais il y a un exemple où la haine est décrite avec beaucoup de réalisme. Dans le roman David la haine que la vieille Mataud éprouve pour Robier a quelque chose de très réel. Chez elle c'est un sentiment incorruptible. Elle reproche au vieillard d'a~oir amassé des richesses et de les offrir pour acheter l'amitié de son fils adoptif, David. En femme simple elle

jouit de sa vengeance lorsqu'elle peut refuser à ce richard la seule chose que celui-ci désire de tout son coeur: elle le prive de la présence du garçon.

Dh8tel ne flétrit pas tous les défauts d'une façon impitoyable, il est surtout indigné par l'hypocrisie. Il

témoigne même une certaine compréhension pour ceux qui restent honnêtes dans leurs passions. C'est le cas de la vieille Mataud et aussi de Darroux. Darroux, dans Les Rues dans l'aurore,

est un vieux renard franchement rusé et malicieux qui ne cache point son jeu cupide. Il n'y a aucune faiblesse dans

son caractère et 'il avait l'art de se mépriser avec sincérité•. 1 Ces traits le rendent plus sympathique que la fausse honte

d'un Paul Roncier ou l'avarice cachée de Monsieur Castillon. Dh8tel accepte aussi l'ambition qui pousse René Casteaux à

1. Dh8tel, André, Les Rues dans l'aurore, Paris, Gallimard,

1945,

p.

287.

(25)

-22-exploiter le travail des pauvres pour s'enrichir. Cet homme se sert de ruses et d'intrigues pour s'établir une position politique dans la ville et on le craint, on

l'admire et on le méprise. Son jeu est aussi franc que celui de Darroux mais il n'en a pas la délicatesse.

Les adultes qui sont peints avec le souci du réalisme sont en général des personnages de de~ième plan. De cette façon il peuvent bien rentrer dans la structure générale des romans qui veut ~ue la réalité serve de point de départ vers la poésie.

(26)

CHAPITRE II LE REALISME DU CADRE A. Le cadre social

Les personnages dh6teliens sont parfois vrais seulement comme représentants d'une classe sociale. DhStel a choisi des cadres sociaux très peu compliqués pour placer ses romans car son intér3t se porte en général sur l'individu comme

porteur fidèle d'une tradition ou révolté contre elle. L'auteur décrit avec netteté les différentes attitudes spirituelles de plusieurs milieux mais il ne croit pas que l'ambiance exerce une influence absolue à laquelle l'homme ne peut plus se soustraire. Au contraire DhStel essaie de prouver qu'il n'y a aucun déterminisme social, que l'hérédité ne joue pas un rSle essentiel dans la vie de l'individu et

qu'un bouleversement comme celui qui est causé par la guerre peut facilement anéantir la réalité d'un cadre social.

Il y a par exemple le baron Garmet dans Mémoires de Sébastien. Elevé dans la vieille tradition d'une famille ancienne et riche, cet homme qui a tout perdu, s'est imposé le travail extr3mement dur de remettre en ordre une énorme bibliothèque restée intacte dans une cave. Ces livres, un jardin sous des décombres et l'espoir de voir les choses telles qu'elles avaient été avant sont tout ce qu'il possède maintenant. Le courage lui vient de son orgueil et de ses souvenirs:

(27)

24

-navigateurs, des aventuriers, des gens qui ont amassé de l'or et qui l'ont dépensé ••• •1 L'esprit des ancêtres, hardis, généreux et fiers renaît dans les jeunes générations:

'Vous serez comme votre trisaïeul, rebelle à toute érudition mais plus vaillant qu'un aigle de mer•, 2

dit le baron à Jean-Louis.

Les Bassarier, dans Le Maitre de Penston, étaient une famille ancienne, toujours chargée d'honneurs. 'Tous les représentants de cette famille s'étaient appliqués à maintenir en même

temps que leur prestige une tradition de paresse solennelle.'3 Ils gagnaient et dissipaient des fortunes et s'enfermaient dans leur orgueil silencieux et inaccessible quand ils se

voyaient au seuil de la ruine. Il en est de même pour les Joras et la Comtesse de Falebert! pour les Jarraudet,5 et pour

les Santaragne. 6 Madame Santaragne, femme très cultivée, est pr~te à vendre ses terres pour financer l'achat de rares et beaux livres qu'elle collectionne avec passion.

La tradition ne peut pas se contin•er dans le vide; André Dh8tel montre que la noblesse ne peut pas subsister

comme une classe sociale même si elle a gardé son argent, parce qu'elle est condamnée par l'évolution de l'histoire. L'orgueil, l'amour de la liberté, les grands gestes sont habituels aux nobles mais les membres de familles anciemnes se laissent

1. Dhôtel, André, Mémoires de Sébastien, Paris, Grasset, 1955, pp. 87-88.

2. Ibid., p. 89.

3. Dhôtel, André, Le Maitre de pension, Paris, Grasset, 1954, p.45. 4. L'homme de la scierie, Paris, Gallimard, 1950. 5. Bernard le Paresseux, Paris, Gallimard, 1952. 6. Le Neveu de Parencloud, Paris, Grasset, 1960.

(28)

25

-emporter par la vie et ne veulent plus jouer le rôle de figure hiératique. Marie-Jeanne Garmet quitte sa famille et tombe

jusque dans la prostitution pour ne pas participer à un genre de vie qui pour elle n'a pas de sens. Les filles Bassarier épousent l'une un escroc, l'autre un forain et une troisième mène une vie d'aventurière et finitassassinée. Eléonore Joras part avec Jack Valon, un homme qui a parcouru le monde et qui s'est engagé dans des affaires ruineuses. Son mari Damont, de bonne famille mais de faible caractère, n'avait jamais pu

comprendre l'esprit inquiet et révolté de cette femme. La déchéance des familles anciennes dont les valeurs morales reposent sur de vieilles traditions est une nécessité historique que Dhôtel voit clairement. ~a disparition des valeurs traditionnelles élimine la raison d'être de certains milieux, surtout de ceux qui vivaient dans l'air raréfié d'une

coutume devenue inflexible et souvent vide.

D'autres milieux sont moins vulnérables aux changements historiques. La bourgeoisie du village, les ouvriers, les cultivateurs se retrmuvent dans un cadre assez intact après la guerre.

Le milieu social n'est jamais un point de départ de roman, il n'en est que le fond, le décor qui donne le cadre au récit. Comme les individus sont caractérisés par des

traits saillants le milieu social est caractérisé par certains individus qui lui donnent un aspect particulier. Les traits qui marquent chaque milieu restent ineffaçables dans la mémoire

(29)

-26-du lecteur parce que Dh8tel ne change presque pas le décor de ses romana. Que ce soit Bermont, Verziera, Charleville ou

.Marval, le faubourg de Paria, la Champagne ou le a Ardennes, tout semble se passer dana le m3me pays, parmi les mêmes gens

renfermés, patienta et taciturnes. Charlieu-sur-Bar, sc~ne

d'une série d'événements mystérieux, est habité par un monde villageois où personne n'a de visage t~~s distinct. Monsieur Armand, le maire est un homme actif et un peu socialiste, l'abbé

Gante est un simple p:eêtre de campagne qui aime la paix; Mademoiselle Bariolaix est une vieille fille dure qui a une mine réchigtée et qu'on préf~re éviter. Janr~ze est marchand, Onégant antiquaire, Perricaudet garde champêtre et Felix Borne éleveur de chiens. Tous sont des individus soucieux de leur

réputation, peu communicatifs et qui se tiennent sur la réserve. 'Il y a des gens qui parlent politique ou argent. Et puis il y a les gens qui regardent parce qu'on ne leur demande jamais leur avis.•1 Dans certains pays il y a des gens qui s'ingénient

parler pour ne rien dire, ce qui est le comble du désintér-2

essement• , et dans d'autres endroits on trouve ceux qui se taisent •à perte de vu• 3 et dont il est impossible de tirer aucun renseignement. La réticence et la méfiance de certains villageois ~ pas exagérée et il para!t que Dh8tel trouve ces caractéristiques attrayantes; il ne les critique jamais.

Le village ne manque pas de gens qui parlent. La cancannière joue un r8le important. A Marcourt toutes les histoires venaient

..

1 • Dhotel, André, Les Mrtères dlECharlieu-sur-Bar, Paris, Gallimard, 1962, p. 02.

2. Ibid., p.

137.

3.

Ibid., p.

138.

(30)

-27-de la Pascaline t l'épicière, 'fenune alors déjà sur l'âge, et

fière de connaître tous les détours du coeur humain•.1 La vieille Mado, dans Le Plateau de Mazagran, débitait à tort et

à travers des histoires sur la famille Crevain, des anciens scandales, dont une bonne partie n'était que des suppositions.

L'aubergiste tient une place un peu analogue à celle de la cancannière, il sait tout ce qui se passe dans les environs; cependant, lui n'en parle que rareme~t. Grégoire Leuilly,2 Gargare, 3 Gabrielle Berlicaut, 4 Irène Brostier, 5 tous avaient beaucoup vu et ils avaient appris à se méfier du monde et à se taire. Ainsi leursssilences laissent supposer une certaine sagesse acquise au cours de la vie.

La ville est plus anonyme que la campagne. La rue des Freux, dans un quartier d'ouvriers dans l'est de Paris, semble typiquè dans son isolement, pareille à une ile perdue dans l'océan.

'Les gens s'ignoraient entre eux. On connaissait la crémière, le boucher, des personnes comme Madame Dassigne peut-~tre, et la mère Legrain qui étaient des figures assez bien caractérisées. On se

souvenait aussi pour les rencontrer souvent, d'un certain nombre de personnages divers, mais il y avait une prodigieuse quantité d'habitants qui

semblaient n'être que de simples habitants.' 6 André DhOtel connaît ce milieu. Le petit rentier Timard guettait les insectes, il avait déjà pu collectionner deux 1. DhOtel, André, Le Maitre de pension, Paris, Grasset,

1954,

p.

41.

2. Le Village pathétique, Paris, Gallimard,

1943.

3.

Le Plateau de Mazagran, Paris, Les Editions

de Minuit

1948.

4.

~Pazs

o! l'on n'arrive jamais, Paris, Pierre Horay,

1955.

5.

Nulle Part, Paris, Pierre Horay,

1944.

6. Le Ciel du faubourg, Paris, Grasset,

1956,

(31)

-28-centaines d'insectes égarés au fond de la banlieue. La

vieille Charlotte portait un grand chapeau et la mère Legrain apprenait des injures à son perroquet pour scandaliser les voisins. Terpoint rêvait de la campagne et consolait sa femme

en lui disant: 'Henriette, songe

à

nos acacias•1; Pelledoux avait une barbiche grisennante, il était célibataire et jouait de la flate. Les rapports entre ce monde réduit

à

viVre dans une rue enfermée par des murs et des immeubles élevés, sont vus avec une certaine compassion. Les petites chicaneries, les commérages, les conversations épiées derrière les portes, les jalousies entre voisins et la nostalgie de la campagne dont tout le monde semblait !tre pénétré, tout ceci !ait la toile de fond pour le drame qui se déroule au premier .,plan.

Un milieu social qui semble passionner Dh8tel est celui des gens qui se tiennent en marge de la société établie et sédentaire. Ce groupe, dont la vie intime échappe en général au monde réglé, comprend les forains, les saltimbanques et les petits escrocs. Dh8tel admire 1a liberté d'esprit de ce monde un peu excentrique et quoiqu'il idéalise le voleur au coeur pur, certains aspects de la vie de cette pègre de la Champagne sont très réalistes.

Sylvestre Baurand, dans Les Premiers Temps, a l'habitude de fa9onner des outils de cambriolage avec n'importe quel

bout de fil de fer et il ne changera jamais ses manières. Il a~t été voleur et il savait qu'il volerait de nouveau, c'était

1. Dh8tel, André, Le Ciel du faubourg, Paris, Grasset,

1956,

(32)

29

-plus fort que lui. Il ne pouvait pas s'emp~cher de faire disparaître l'argenterie à la table de son frère, rien que pour amuser les enfants et pour choquer la belle-soeur, qui.· était une bonne bourgeoise. Dhôtel n'est pas scandalisé mais le frère de Sylvestre sait que de tels jeux sont de mauvais augure et que le vieillard se lancera encore dans des aventures impossibles. Dans le même roman il y a la description d'un quartier noinmé "La Cour des Choulesn. C'est un quartier habité par des gens 'corrects' d'après Madame Eustache ( 'pour qu'il n'y ait pas de malentendus• 1 ), mais qui n'étaient pas sans

craindre la police. Madame Eustac~e tenait une boutique et veillait à ce qu'aucune personne d'aspect douteux ne pénètre dans le passage de la cour. Comme population il y avait un

joueur d'accordéon, un individu squelettique v~tu d'une veste déchirée, Ernest, âgé de six ans, qui occupait un tonneau, et la cartomancienne Alodie, une 'dame' qui sortait habillée d'une robe sombre ornée de plaques de jais avec des boucles d'oreilles étincelantes. Auguste et sa femme, quelques autres 'dames', une jeune fille, un coq et des gens de passage faisaient aussi partie de la cour.

Madame Eustache régnait sans pitié dans cette 'jungle pacifique',

'elle avait assommé propremen~ le chaudronnier ainsi que le marchand de vélos lui-même pour je ne sais quel manquement aux règles de la décence. Madame Eustache était, par sa réputation tout le làng de la rue,·la meilleure garante du quartier. Elle pouvait sauver les

situations, et elle avait le droit aussi de maintenir son idée de la justice'. 2

1. Dhôtel, André, Les Premiers Temps, Paris, Gallimard, 1953,

p. 98.

(33)

-

30-De tels habitants bizarres vivan~ d'une façon assez grotesque sont vus par l'auteur avec une sympathie qu'ils ne méritent peut-être pas toujours. Ce milieu rappelle le cadre des romans de Francis Carco mais celui-ci le présente avec des traits

beaucoup plus durs.

Les saltimbanques et les forains mènent une vie moins hasardeuse. Les parents de Gaspard Fontarelle 1 ont une existence libre, ils croisent le pays d'un bout à l'autre, contents de leur sort, et ils ne sont gênés qu'en présence

de gens raisonnables comme la Tante Gabrielle Berlîcaut. C'était pour eux une vie difficile et sans gloire qui avait le charme inexplicable de l'incertitude. Les gens qui aiment une telle existence sont aussi vrais que ceux qui rêvent dans la banlieue, ceux qui regardent silencieusement la campagne ou ceux qui se révoltent contre la société et cherchent un mode de vie qui convient à leur esprit inquiet et interrogateur.

B. Le réalisme dans la nature

André Dhôtel cherche partout la vérité et il n'y a

aucun endroit oÙ il ·· la trouve plus intègre que dans la nature. Déjà dans son enfance il a ressenti l'âme de la nature qui

s'ouvre au regard amical et qui donne la paix. :Les tableaux de la nature qui servent de toile de fond sont peints avec amour et grand soin et il est évident que 11 auteur leur donne

une aussi grande importance qu'à l'intrigue. 'Comme chez le

1. Dhôtel, André, ~a~s où l'on n'arrive jamais, Paris, Pierre Horay,

1955.

(34)

-31-douanier Rousseau, il ne manque pas une feuille aux arbres ni un cheveu sur la tête des personnages.•1

Dh8tel a un attachement particulier pour la forêt, et comme il est botaniste il en connait toute la flore. Gaspard Fontarelle promène le lecteur à travers les mille forêts du cOté de la Meuse:

'Après avoir parcouru une immense futaie de hêtres ils arrivèrent dans une allée bordée de chênes dont les feuillages énormes s'élevaient vers un ciel maintenant nuageux. Après les chênes, il y eut des

taillis clairsemés qui étaient peuplés de sorbiers et ornés de chèvrefeuilles.

Plus loin, des genêts avec des bouleaux. On traversa aussi une forêt d'épicéas où le cheval

glissa sans bruit dans un sentier couvert d'aiguilles ••• Un autre bois était fait presque uniquement de peupliers morts, après quoi on découvrait une clairière

emplie de fleurs rouges et de myosotis.' 2

Les saisons marquent un changement passionnant; DhOtel observe au printemps 'les premières petites feuilles trembler comme une vapeur et bientôt emplir tout l'espace'.3 Toute la forêt est vivante, remplie de fleurs e~ d'oiseaux:

'Les étangs couverts de nénu»hars et de nymphéas s'engageaient là-bas dans le ravin ••• par endroits c'étaient des fourrés recouverts de clématites ••• Des martin-pêcheurs et des culs-blancs filaient à toute vitesse au ras de l'eau. Comme on demeurait immobile on vit peu à peu dans le lointain des oiseaux qui nageaient hors des roseaux, canards, poules d'eau, sarcelles ••• Il y avait des espèces rares.' 4

Les tableaux ne sont jamais monotones, malgré la minutie presque pédante de la description. Lorsque DhOtel observe

les insectes où les animaux il saisit le trait caractéristique

1. Nadeau, Maurice,'La méthode d'André DhÔtel, Mercure de France, . mars 1949, vol. 305, p. 496.

2. DhÔtel, André, Le ~ays où l'on n'arrive jamais, Paris, Pierre Horay, 1955, pp. 52-53.

3. Dhôtel, André, Les Premiers Temps, Paris,Gallimard,l953,p.l99.· 4. Dhôtel, André, Le Ciel du faubourg, Paris, Grasset, 1956,

(35)

-32-qui leur donne une individualité vivante. La taupe sort de la terre 'les quatre pattes étendues en guise de nageoires•,1 le

'petit crapaud aux yeux

globuleu~

2 considère Gilbert attentivement et les 'libellules vinrent faire une ronde autour de la t~te

de Jo avec ces départs brusques et ces retours qui caractérisent leur vo1•?

La vie humble de la nature qui est invisible pour le passant inattentif attire l'attention du botaniste. Une

pâquerette ou quelques roses sauvages à la lisière, les grandes marguerites des prairies, les campanules géantes dans les

clairières ou encore des orchidées parasites, de la couleur des feuilles mortes, rien ne lui échappe. Les hauts chardons, les orties sur un tas de cailloux, des f~ves sauvages sur une

prairie trop pauvre pour être fauchée lui semblent aussi dignes d'attention que les papillons migrateurs, les punaises de bois et 'les petits coléoptères qui ressemblent à des foUrmis

coloriées•. 4

La Ohampagne offre au promeneur une assez grande variété de spectacles:

'Les cultures se multipliaient sur des kilomètres de terres creusées de combes et relevées en versants avec des terrasses par e~droits. Les friches étaient nombreuses, comme si jamais on n'avait le temps de remuer toute cette terre.' 5

Après la faune et la flore les formations géologiques semblent

1. Dhôtel, André, Le Neveu de Parencloud, Paris, Grasset, 1960,

~- 168.

2. Ibid., p. 268.

3w

Ibid., P. 252.

4.

DhStel, André, ~Le Ciel du faubourg, Paris, Grasset, 1956, p. 11.

(36)

-33-passionner Dh6tel. La collection du vieux Darroux montre bi_en à quel point l'auteur connatt la terre de son pays. Darroux avait aménagé au fond de son grenier 'une immense étagère où il classait des spécimens de chaque sol qui lui appartenait: craies, silex, argiles, tourbes, pierres de tonnerres•.1

La grandeur imposante de la nature n'est pas un aspect qui semble intéresser André Dh6tel, il se penche avec amour sur les choses presque imperceptibles qui animent la terre.

'Sur un arbrisseau de la lisière, deux petits oiseaux sautaient de branche en branche ••• Leurs voltes légères produisaient dans les ramures un grincement faible mais net. Le mince arbuste se courbait de façon insensible. On ne peut imaginer la ténuité des bruits qui s'éveillent en bordure des bois et qui dénoncent une vie timide.' 2

M~me

le vent devient 'un grand souffle insensible et invisible• 3

dans un monde où la nature est un endroit où règne la paix et le silence. Un des rares tableaux qui montrent la force de la nature décha1née est celui où l'auteur décrit un orage dans la for~t des Ardennes:

'Un orage qui emplissait les trois- quarts du ciel. Le vent s'élevait. Cette région de bruyères permettait de voir au loin le soleil qui au

m~me moment brillait dans l'azur à l'horizon de la forêt. La lumière rasante faisait parattre d'un noir intense les nuées g_ui furent déchirées bient8t par cent autres lumières lorsque les éclairs doubles ou triples fondaient au milieu des bruyères et une pluie cinglante tomba ••• C'était un terrible, mais rapide orage.' 4

1. Dhôtel, André, Lee Rues dans l'aurore, Paris, Gallimard, 1945, p. 21.

2. Dh8tel, André, Le Mont Damian, Paris, Paris, Gallimard, 1964, p. 109.

3. Dh8tel, André, Le Mont Damian, p. 122.

4. DhÔtel, André, Le Bays où

1

1on n'arrive jamais, Paris,

(37)

-34-Les souvenirs de la Grèce, où Dhôtel a passé quelques années, surgissent dans des descriptions de ce pays pauvre et montagneux: 'Samos est verdoyante au printemps et entre les rocs les plus arides il y a des montées d'herbes &t de fleurs•. 1 Mais sous l'éclat impitoyable du soleil la vie s'éteint: 'Les rocs au haut des;quels rodaient quelques vautours, réverbéraient le soleil avec une violence aveugle1

•2

Le soleil méditerranéen n'a pas la douceur du soleil champenois. 'Pas un arbre, pas une plante. Je vis sur la fen3tre de la

première maison qui était devant moi un pot verni d'où sortaient des roses en papier.•3 Dans ce pays dur même la mer peut

prendre un aspect figé comme sur un tableau où les bateaux glissent .'sur des flots de fa!ence bleue presque sans bruit'. 4

La

nature offre au botaniste passionné et savant des richesses inépuisables qui se renouvellent constamment et ne perdent jamais leur éclat. Le romancier y trouve un élément qui représente la vie elle-même, paisible ou orageuse, et qui apporte une leçon dont on ne devrait pas sous-estimer la

profondeur. La nature est la seule réalité que Dhôtel admet sans réserve, une réalité absolue et parfaite •. Si André Dhôtel est écrivain réaliste c'est dans la description du cadre

naturel que son réalisme se manifeste de la façon la plus apparente.

1. Dhôtel, André, Ma chère âme, Paris, Gallimard,

1961, p. 19.

2. Ce lieu déshérité, Paris, iallimard,

1949,p.71.

3.

Ibid., p.

69.

4. Dhôtel, André,'Idylle de Samos', Idylles, Paris, Gallimard, 1961, p. 63.

(38)

CHAPITRE III

LE REALISME CHEiv'IINE VERS LA. POESIE

....

André Dhotel est en premier lieu poète et toutes ses idées importantes sont exprimées par les créations de son imagination poétique. Le monde qui 1' e11:toure a pour lui de.ux · faces: il en voit l'apparence extérieure telle qu'elle se présente pour nous tous ainsi qu'une ré,ali té plus profonde qui se dissimule derrière le masque visible.

La nature du poète se révèle le plus clairement dans le choix des thèmes de ses romans et dans la méthode de présenter les idées. Les sujets ne sont pas très nombreux et les romans se ressemblent déjl beaucoup par l'intrigue. Le héros dhetelien est en général un personnage pris l.un &ge instable, adolescent ou jeune adulte, qui se trouve en face d'un monde étranger ou m~me hostile. Le récit montre toujours comment les héros

essaient de prendre conscience d'e~~mes et du r8le qu'ils doivent jouer dans la société. La pureté et la force des sentiments qui dominent leurs esprits et que l'expé:bience de la Vie n'a pas encore atténuées fournissent une abondante source d'inspiration pour le poète. L'amour est le sentiment le plus bouleversant et le plus difficile

à

comprendre pour ces ~tres humains au seuil de l'Ige adulte et Dh8tel en a fait l'objet préféré de son invention poétique. Après l'amour vient le r~ve; il tient une place importante dans les esprits;

(39)

36

-c'est en somme l'image que le héros se fait de la vie et souvent elle le détache de toute réalité actuelle.

Un autre aspect de la vie se prête facilement à un

traitement poétique: c'est la souffrance. Toute homme l'éprouve lorsqu'il se voit faire face aux réalités qui heurtent tout

son être. L'isolement spirituel qui résulte de l'opposition apparemment irréductible entre l'idéal et la réalité est un ·sujet que Dhôtel reprend continuellement.

Les héros sont aussi souvent isolés à cause de circon-stances extérieures. Dhôtel choisit de préférence ses jeunes héros en dehors de la cellule familiale, certains sont

orphelins, d'autres sont séparés de leurs familles et mènent une vie errante de façon qu'ils sont obligés de déployer toutes leurs ressources morales et spiritùelles car ils trouvent très peu d'appui extérieur.

Les héros qui ne rentrent pas dans un cadre se trouvent très souvent dans un milieu social qui est instable. Les

vagabonds, les déclassés, les gens des 'petits métiers' forment un monde factice qui, quoique pris dans la réalité, finit par plonger tous les romans dans une atmosphère irréelle. Dhôtel a une prédilection pour les milieux en marge de la société où il trouve des attitudes fantaisistes ou excentriques si chères à son coeur de poète.

La méthode d'André Dh8tel suit le chemin qui conduit le plus sftrement de la réalité à la poésie. 'Rien n'est plus fantastique, en définitive, que la précision, déclare Alain

(40)

-37-Robbe-Grillet. Par une .minutieuse description du monde extérieur, il (Robbe-Grillet) arrive à rendre insolite la réalité la plus familière.• 1 Marcel Schneider compare la méthode d'Alain

Robbe-Grillet avecœlle d'André Dh6tel: les deux méthodes se ressemblent mais le tempérament des deux écrivains est très différent.

Dh6tel est un écrivain extrêmement fidèle à lui-m&me, on peut même dire qu'après avoir lu un livre on les a tous lus. Ce fait est

à

la fois la force et la faiblesse du poète. Chez lui les éléments qui composent un roman ont un r8le fixe: dès le début les personnages sont au premier plan ou dans le fond et ils ne sortent plus de leur place assignée. L'éclairage change l'aspect sous lequel on les voit et ses changements illuminent soudain ies facettes tout à fait imprévues des choses les plus ordinaires. Certains traits de caractère et certaines passions ressortent avec une clarté hallucinante, d'autres se perdent complètement dans l'ombre. La méthode de Dh6tel 'd'aller jusqu'au bout de la description dont l'objet finit par hypnotiser, jusqu'au bout de ce que peut produire l'intrigue• 2 force le lecteur à continuer inconsciemment au-delà de la description du réel et à poursuivre un chemin imaginaire qui permet de dépasser les apparences. Derrière les apparences l'auteur trouve forcément d'autres vérités, des vérités poétiques. 'La présence de l'invisible est difficile

à ignorer,

'3

dit André Dh6tel.

1. Schneider, Marcel, La littérature fantastique en France, Paris, Arthème Fayard,

1964,

p.

395.

2. Nadeau, Maurice,'La. méthode d'André DhÔtel= Mercure de France, mars

1949,

vol.

305,

p.

496.

3. Dh6tel, André, La Chronique fabuleuse, Paris, Editions du Mercure de France,

1955,

p.

68.

(41)

DEUXIEME PARTIE

POESIE

CHAPTER I

LE COTE POETIQUE DANS LA PEINTURE DE L'ENFANCE

'Aurai-je longtemps le sentiment du merveilleux quotidien?' Aragon 1

André DhOtel s'est occupé de l'oeuvre de Rimbaud à deux reprises, et les deux études qu'il a publiées à son sujet2 donnent des éclaircissements importants sur la perspective dans laquelle il place le problème de l'adolescent moderne. Rimbaud s'est révolté après avoir reconnu que les promesses de la vie étaient mensongères et qu'un 'calcul impur' l'avait plongé dans le vide et le désespoir, et il a c~é à

retrouver la vie pure et parfaite de l'enfance:

Autrefois les sentiments étaient entiers. Joies et désirs n'avaient pas de limites. La règle du temps ne mesurait pas l'action. Tout était

inépuisable, m3me 1a tristesse, où chaque fois l'enfant voyait une éternité de chaudes larmes.' 3

Avec ces mots André DhOtel caractérise la vie d'enfance qui pour Rimbaud paraissait irrémédiablement perdue. Selon lui

'entre la vie de l'enfant et celle qui la prolong~ c'est une rupture•, 4 non pas une évolution graduelle comme on pense généralement. DhOtel, en admettant le principe de Rimbaud,

1. Aragon, Louis, Le Paysan de Paris, Paris, Gallimard, 1924, p.l4. 2. DhOtel, André, L'oeuvre logique de Rimbaud, Cahiers Ardennais,

Mézières, 1932. 3. Ibid., p. 2::!. 4. Ibid.

Rimbaud et la'révolte moderne, Paris, Gallimard, 1952.

(42)

-39-essaie en m~me temps de prouver que la rupture n'est pas nécessaire et que les exigences de la vie adulte ne tuent point la poésie de l'enfance. Il nous présente l'adolescent,

A

l'âge de transition vers la vie adulte, comme quelqu'un qui n'a pas rompu avec l'enfance, qui a l'esprit encore pur, qui n'a rien perdu de son ardeur primitive, et qui renferme dans son âme des trésors inépuisables de confiance et de courage. Cet adolescent agit souvent en adulte mais il peut s'abandonner de tout son coeur aux r~ves de son enfance, pleins de promesses merveilleuses. Toute la vie est pour lui merve~lleuse, elle

'possède des vertus merveilleuses par le seul fait qu'elle est la vie•.1

La vie de 1 1 enfance, si magnifique qu'elle puisse para1tre,

n 1 est pas une existence idyllique avec un bonheur sans mélange;

' -<'

'Il s'agit bien d'une vie telle que nous 'la connaissons avec ses joies, ses vices et ses douleurs, explique Dh8tel en parlant de la vie pure et parfaite que Rimbaud cherchait

à

rétablir. Parfaite: sans restriction, sans hésitation, dénuée de craintes comme peut l'être la vie d'un animal par exemple. Pure: sans mensonge, sans calaul, absolument insouciante, douée de cette innocence barbare qui peut faire le mal, sans toutefois s'en préoccuper.•2

Voici un des principes fondamentaux de l'attitude de Dh8tel. L'adolescent chez lui persiste dans un état d'esprit retenu de l'enfance: il est convaincu qu'une vérité profonde

1.:

Dh8tel, André, Rimbaud et la révolte moderne, Paris, Gallimard, 1952, p. 102.

Figure

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