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Mères et filles : discours divergents ; suivi de, Demain tu comprendras

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(2)

Mères et filles: discours divergents suivi de

Demain tu comprendras

par

Patricia Fillmore

Mémoire de maîtrise soumis à la

Faculté des études supérieures et de la recherche

en vue de l'obtention du diplôme de

Maitrise ès Lettres

Département de langue et littérature françaises

Université McGill

Montréal. ~ébec

Juillet 1994

(3)

Nationallibrary

of Canada du CanadaBibliothèque nationale Acquisitions and Direction des acquisitions el Bibliographie Services Branch des services bibliographiques

395 Wellington Streel 395, rue Wellington Onawa, Ontario Ottawa (Ontario)

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L'AUTEUR CONSERVE LA PROPRIETE DU DROIT D'AUTEUR QUI PROTEGE SA THESE. NI LA THESE NI DES

EXTRAITS SUBSTANTIELS DE CELLE-CI NE DOIVENT ETRE IMPRIMES OU AUTREMENT REPRODUITS SANS SON AUTORISATION.

ISBN

0-315-99896-2

(4)

RFSUME

La mère. dans la littérature des femmes. a souvent été représentée

à travers les yeux de la fille; ce n'est que récemment qu'elle a

commencé à s'exprimer avec sa propre voix. Dans ce mémoire. nous nous proposons d'étudier les personnages de la mère et de la fille pour

élucider les enjeux principaux d'une relation souvent difficile et

ambivalente. Le corpus comprem des nouvelles écrites par des femmes à partir de 1961. du point de vue de la fille et de la mère. Dans les

nouvelles écrites par les filles. la mère représente la régression et le

manque d'autonomie; ainsi. les filles ont temance à se dissocier

d'elles afin d'éviter le cycle de répétition typique de cette relation.

La fille parle souvent <de> et <pour> la mère et. ce faisant. l'empêche d'articuler sa propre subjectivité. Toutefois. lorsque la fille accède à

l'age adulte. elle apprem à accepter sa mère. et une nouvelle

dialectique émerge. Dans les nouvelles écrites du point de vue maternel. les mères témoignent de la responsabilité et de la culpabilité que leur

confère l '<institution> de la maternité. Tamis qu'elles reconnaissent

leur impuissance dans la société patriarcale. ces mères souhaitent malgré tout une meilleure vie pour leurs filles; en assumant leur

subjectivité. elles essaient de trouver un parcours libéré des

contraintes imposés par le rOle maternel traditionnel.

Le recueil de nouvelles qui suit. Demain tu comprendras. présente

des mères et des filles à divers moments de' leurs vies et de leurs

relations. Les nouvelles sont écrites tant du point de vue de la mère

(5)

,e

Mothers. in female literature. have often been represented through

the eyes of their daughters; only recently have they begun to speak for themselves. The object of this thesis is to analyse the portrayal of

mothers and daughters in several modern short stories written by women from 1961 onwards. in order to urxierstand the principal elements of an

often difficult and ambivalent relationship. In the texts written from

<daughterly.> perspectives. mothers represent regression and lack of

autonomy; therefore. daughters tend to dissociate themselves from their

mothenl' in an attempt to avoid the cycle of repetition typical of this

relationship. In these texts. daughters speak for and about their

mothers and hence do not allow them to articulate· their own

subjectivity. However. as daughters reach adulthood. theyare llble to

accept their mothers and a new dialogue emerges. In the texts written

from <motherly> perspectives. mothers speak about the responsibility and

the guilt which the <institution> of motherhood confers upon them.

Although they acknoWledge their powerlessness in patriarchal society.

these mothers nonetheless hope for better lives for their daughters. By

speakirq for themselves. they attempt to find an alternative to the

traditional role of the mother.

The collection of short stories that follows. Demain tu

comprendras. presents mothers and daughters at various stages in ,their

lives and in their relationships. They are written froID both <motherly.>

(6)

Nous tenons à remercier notre directrice de mémoire. la professeure Annick Olapdelaine.

(7)

Table des matières

Texte critique: ~ères et filles: discours divergents

Introduction .. '" , 7

Chapitre I: Positionnement des filles 11

1. Refus du modèle maternel 12

a. Refus de devenir comme la mère 13

b. Refus de se laisser envahir par la mère 21

2. Séparation et attachement 24

a. Prise de conscience et désillusion 25

b. Lutte de pouvoir 3D

3. L'&ge adulte: l'émergence d'une nouvelle

dialectique. . . .. 34

a. Liberté précaire 35

b. Transfert de pouvoir ...•... 39 Chapitre II: Positionnement des mères ...•... 45

1. Impuissance et culpabilité dans une société

patriarcale 48

2. Transformation: re-naissance de la mère 57

Conclusion. . . • . . . .. 61

Texte de création: Demain tu comprerm-as

Ouestions. . . .. 64

La

nouvelle

68

Lettre imaginaire àun

bébé

inconnu

73

(8)

Un révei l bnJsque... 83 Lettre à ma mère. . . .. 89 Remue-tlJénage. . . .. 94

SOUvenirs à revendre 99

Tarte aux poœme5. . . • . . . .. 104

Portrait de famille '" 109

Bibliographie , 113

(9)

<[Thal

INTRODUCTION

cathexis between mother and daughter - essential,

distorted. misused - is the great unwritten story.>

- Adrienne Rich'

Dans les sociétés occidentales. et particulièrement en France et en Amérique. l'idéalisation de la mère a connu son apogée au cours des

deux derniers siècles! Ce n'est d'ailleurs qu'au dix-neuvième siècle

que la <maternité> est devenue plus qu'un phénomène biologique. pour en

arriver à constituer une véritable idéologie. En sacralisant l'idée d'un destin biologique. et en soulignant l'importance de l'amour maternel, la

société patriarcale veut assurer à perpétuité l'existence de

l '<institution> de la maternité; imbue d'une nature féminine profonde.

chaque femme doit, selon cette institution, tirer sa valeur de son rôle

de mère.

Les féministes. résolues à effacer l'identification entre la

capacité et l'obligation d'être mère, voient dans la maternité

l'oppression de la femme et se dissocient de ce rôle; le rejet de la

maternité se traduit ensuite par le rejet de . la mère. Mais depuis les

, A. Rich. Of Woman Born: Motherhood as Experience and Institution, 1986. p.225. (Dorénavant. toutes les références à cet ouvrage seront in:J.iquées entre parenthèses dans le corps du texte.)

• Ann Dally situe l'apogée en Grande Bretagne et en Amérique au vingtième siècle: <Ille thirty years followilYJ World War II. and in America, the thirty years before that. could be described as the age of

idealization of motherhood.> Inventim Motherhood: 1he Consequences of ,. an Ideal, 1982. p.92.

Elisabeth Badinter constate que l'lIIIlOlIr maternel en France connaît un essor aux dix-neuvième et villJtième siècles. L'Amour en plus. Histoire de l'amour maternel. 1980. p.369.

(10)

.8 années soixante-dix. les féministes. notamment Adrienne Rich en 1976 •

remettent en question le rôle maternel en faisant la distinction entre

<l'institution> de la maternité et la maternité comme <expérience>. Il y

a donc un intérêt renouvelé à l'égard de la mère dans la théorie

féministe: une volonté de voir la maternité comme une expérience

enrichissante et un désir de démasquer les mythes enracinés dans la société patriarcale.

Ainsi. le concept d'amour materneL accepté depuis le dix-neuvième

siècle comme un sentiment inné. est récemment devenu l'objet d'un

questionnement approfomi.!ans son livre L'amour en plus. Elisabeth

Badinter analyse le comportement maternel en France depuis le seizième

siècle. et constate qu'il a subi beaucoup de variations. Elle conclut

alors que <l'amour maternel n'est qu'un sentiment humain. Et comme tout

sentiment. i l est incertain. fragile. et imparfait. Contrairement aux

idées reçues. il n'est peut~tre pas inscrit profomément dans la nature féminine.>" Dès lors que nous admettons une ambivalence possible. tous

les sentiments sont légitimes; libérés d'une idéologie contraignante.

les discours des mères et des filles peuvent accéder à une nouvelle subjectivité.

selon Marianne Hirsch dans The MotherlDaughter Plot. la relation

mère-fille dans le roman féminin" a subi des transformations

• Dans son livre Of

Woman

Born:

Motherhood as Experience am

Institution. (1976). 1986.

"

E. Badinter. L'aooyr en plus.

p.ll.

Histoire de l'amour maternel. 1980. " Marianne Hirsch analyse les romans d'écrivaines de l'Europe de l'Ouest et de l'Amérique du Nord. Elle les définit ainsi: <the writers l study here are ( ... ) feminist writers who define themselves by their

(11)

• .9 significatives au cours des deux derniers siècles. Au dix-neuvième

siècle. le personnage de la mère est absent. silencieux ou dévalorisé.

L'héroïne de cette époque. qui veut se forger une existence propre. non

seulement s'écarte de la mère mais tente d'éviter elle-même la

maternité; il s'agit. selon Hirsch. de <maternaI repression>.

Au début du vingtième siècle. le personnage de la mère fait son

apparition dans cette littérature. mais la relation mère-fille demeure

ambivalente. Alors que l'on reconnaît à cette époque l'importance du lien pré-oedipien. la protagoniste du roman. tout en faisant l'éloge de

la mère. hésite à assumer le rôle maternel.

A partir des années soixante-dix. il y a un désir de retrouver la

mère - <a sustained quest for the mother>6 - et la relation mère-fille

joue un rôle primordial. Hirsch définit la dialectique comme suit: <a struggle with a bond that is powerful and painful. that threatens

engulfment and self-loss even while it offers the basis for

self-consciousness.>(p.l33) Les personnages masculins deviennent seconiaires.

cédant leur place aux mères. mais les textes sont encore écrits du point

de we de la fille. Celle-ci demeure le sujet de la narration. et de ce

fait. impose le silence à la mère.

Dans ce contexte historique. ce n'est que récemment que la mère devient elle-même sujet et raconte son histoire. Elle tient son propre

discours et ne permet plus que

dissenting relation to dominant 1989. p.8. (Dorénavant. toutes irxiiquées entre parenthèses dans

l'on parle à sa place. Hirsch situe les

tradition>. The Mother/DaUQhter Plot. les références à cet ouvrage seront le corps du texte.)

6 E. Showalter. <l'oward a Feminist Poetics> dans The New Feminist Criticism. 1985. p.l35.

(12)

.10 déoots de ce nouveau discours dans les années soixante, mais précise.

toutefois. qu'il demeure marginal et souvent pénible:

« ... )

maternal

subjectivities, remain fractured

am

self-contradictory

unspeakable.>(p.39) L'écriture féminine. selon Hirsch. se distancie

encore du personnage maternel.

En nous servant des thèses de Marianne Hirsch cOlDlJle point de

départ. nous nous proposons d'étudier. dans le cadre de notre mémoire.

les personnages de la mère et de la fi lle telles qu'elles sont dépeintes

dans plusieurs nouvelles contemporaines. Le choix de la nouvelle comme

genre permet d'analyser une variété de <voix> dans un travail

relativeiDent court. Le corpus comprero des nouvelles canadiennes.

québécoises. américaines et françaises écrites par des femmes. à partir de 1961. La dialectique mère-fille telle qu'elle est représentée dans

ces nouvelles permet de les situer dans l'évolution décrite par Hirsch' .

A l'aide de plusieurs théories féministes'. nous tenterons

d'élucider les enjeux principaux de cette relation souvent ambivalente

et énigmatique. Et. en écoutant les voix de l'une et de l'autre. nous

essayerons de comprerdre l'origine de ces discours divergents.

• Tarois que Hirsch situe le <retour à la mère> Il piU'"tir des années soixante-dix. nous avons recours à ses thèses également pour l'analyse des nouvelles écrites dans les années soixante qui. selon nous. allordent

les mêmes thématiques.

• Les théories féministes françaises étant de nature plus

philœophiques. nous nous servons surtout des thèses américaines qui se consacrent aux aspects socio-culturels de la maternité et de la relation mère-fi lle. et qui s'insèrent mieux dans le cadre de ce travai 1.

(13)

œAPITRE PREMIER

1. Positionnement des filles

Dans le corpus sur lequel porte la présente étude. la majorité des nouvelles sont écrites du point de vue de la fille - ce que Marianne Hirsch appelle <daughterly perspectives>. Ce n'est pas ici un choix délibéré. mais plutôt le reflet de l'ensemble de la production. Si la relation mère-fille est une dialectique qui implique autant l'une que l'autre. la balance littéraire penche enCOl'e du côté des filles. Les raisons qui expliquent cette situation sont multiples.

D'abord. toute femme ne devient pas mère; les éerivaines. en particulier. contraintes 11 choisir entre l'écriture et les enfants. ont souvent renoncé 11 la maternité. Ensuite. même la femme qui devient mère est d'abord fille avant d'être mère; l'apprentissage de son rOle dans la société. de son rapport vis-à-vis des autres. de sa sexualité. toutes ces étapes sont vécues pendant les premières années de la vie. avant qu'elle ne devienne mère. Enfin. quaOO on parle de la mère. i l est peut-être plus facile de parler de <l'autre> que de soi-même en tant que mère.

Lorsque les filles écrivent. leurs récits témoignent d'une relation 11 la fois essentielle et étouffante dont l'ambivalence des sentiments est la thématique principale; alors que l'identification b. la mère révèle une certaine complicité. elle est également ressentie comme une menace à l'autonomie et se solde par une tentative de dissociation.

(14)

.12 plupart des nouvelles; la dialectique mère-fille. ainsi isolée. se

trouve intensifiée.

Si. dans leurs nouvelles. les filles accordent une grande

importance à la séparation de la mère. leurs discours témoignent

également d'une relation qui. malgré tout. demeure primordiale. Adrienne

Rich souligne l'envergure de cette relation dans son livre Of l'Ioman Born: Motherhood as Experience and Institution:

[Thel cathexis between mother and daughter - essential. distorted. misused - is the great unwritten story. Probably there is nothi~ in human nature more resonant with charges than the flow of energy between two biologically alike bodies. one of which has Iain in amniotic bl iss inside the other. one of which has laboured to give birth to the other. The materials are here for the deepest mutuality am the most painful estr~ement.(pp. 225-226J

1. Refus du modèle maternel

D'lns les nouvelles suivantes. le conte..<te traditionnel dans lequel s'inscrit la relation mère-fille est à l'origine du conflit; alors que la fille est souvent appelée à jouer le même rôle social et familial que sa mère. elle n'accepte pas ce destin sans lutter. Ainsi. l'idée du

<cycle>. l'inévitable répétition d'une vie antérieure. est vécue

difficilement par la protagoniste de ces nouvelles. De façon générale,

ce refus d'accepter un rôle prédestiné se manifeste par un antagonisme

envers la mère. Puisque celle-ci est souvent associée à la maison. aux

tâches ménagères. à l'asservissement au mari. la fille veut se dissocier d'elle pour s'éloigner également de tout ce qu'elle représente.

(15)

.13 a. Refus de devenir comme la mère

La nouvelle Boys and Girls de Alice Munro se déroule dans une communauté rurale de l'Ontario dans les années quarante; la nan-atrice. qui incarne le rôle de la fille. vit dans un univers traditionnel où les rôles sont définis de façon très étroite. Le père est un éleveur de renards. un travail parfois macabre mais toujours intéressant aux yeux

de la fille. alors que sa mère est une ménagère. souvent enfermée dans

la maison. Pour la fille. le travail de la mère est sans importance: <It

seemed to me that work in the house was endless. dreary and particularly

depressing: work done out of doors. and in my father's service. was

ritualistically important.>' Même si le travail du père est quelquefois

aussi répétitif que celui de la mère. la fille préfère être avec lui car

elle a intériorisé déjà les préjugés implicites concernant le travail

des femmes. Inconsciemment, elle rejette la mère

da!'JS

l'espoir de se libérer de la discrimination envers le sexe féminin. Ainsi. elle

s'efforce de travailler <aussi bien qu'un garçon>. et d'intégrer le

monde des hommes.

Si cette volonté d'approprier le sexe masculin - appelée l'envie

du pénis - est. selon la psychanalyse traditionnelle. engendrée par le

désir de combler un manque apparent. i l est également possible

d'interpréter ce phénomène en fonction des pressions sociales. Selon

Francine Comte dans Jocaste délivrée. si les filles souffrent d'une

envie du pénis. <c'est parce qu'elles ont ressenti violemment ( ... ) que

les garçons ne sont pas bloqués autant qu'elles lÙlllS leur sexe ( ...

».

, A. Munro. Boys and Girls dans Dance of the HaPPY Shades. 1968. p.117. (Dorénavant. toutes les références à cet ouvrage seront indiquées entre parenthèses lÙlllS le corps du texte.)

(16)

.14

Lorsqu'elles prennent conscience de la <supériorité affichée des garçons>, il peut en résulter une <profonde dévalorisatio~D d'elles-mêmes. C'est, effectivement, le scénario que nous retrouvons dans la

nouvelle.

Ainsi. la fille. dans le récit, se sent menacée lorsque sa mère s' infiltre dans le domaine de son père, qu'elle considère aussi le sien. Q..land la mère se retrouve un jour dans la grange, il est apparent

qu'elle n'est pas <à sa place>. Elle franchit les limites de son univers, comme nous le fait remarquer la narratrice: <It vas an odd thi~ to see my mother down at the barn. She did not often come out of the house unless it vas to do somethi~ - hang out the vash or dig potatoes in the garden. She looked out of place ( ... l>. (p.1l6l Parce que

la fille est automatiquement identifiée !l. sa mère !l. cause de son sexe.

et parce qu'elle a intériorisé cette identification malgré elle, elle se

sent particulièrement wlnérable. Selon Nancy Olodorow, <A girl identifies vith her mother in their common feminine inferiority ( ... l.

alildren learn their gender and then identify and

are

encouraged to identify vith the appropriate parent.>(p.1l3l

La mère. qui veut avoir de l'aide dans la maison. déplore le fait

que sa fille disp&ratt chaque fois qu'il y a du travail !l. faire. Par

conséquent. la fille voit en sa mère une adversaire: <My mother. l felt,

ID F. Comte. Joçn;rte délivrée. Maternité et représentation

des

rôles sexuels. 1991. p.167. 11. ce PZopo5, NMIcy Olodorow dit: <A girl vants it [a penis] for the powers which it symbolizes and the freedan it promises from her previous sense of dependence. and IlOt because it is inherently

and obviously hatter to ha masculine>. The Reproduction of Mothering: PsychOllIlalvsis and the Sociology of Gender. 1978. p.123. (Dorénavant, toutes les références !l. cet ouvrage seront indiquées entre parenthèses dans le corps du texte. l

(17)

.15 was rot to be trusted. She was kirxier than my father. arxi more easily fooled. but you could net deperxi on her ( ... ). She loved me, ( ... ) but

she was also my enemy.>(p.117) Malgré l'antagonisme ressenti envers la

mère. il Y a également l'aveu d'un sentiment d'affection et de

complicité. Ce paradoxe est typique de la relation mère-fille, comme le

SQuligne Loma Irvine dans le texte A Psychological Journey: Mothers and

Daughters in Erx:rlish Canadian Fiction: <Overt antagonism seems ( ... ) to

shield a birxiing affection that overtly threatens the daughter's

freedom.>"

La fille se sent trahie par sa mère qui veut la garder dans la maison contre son gré: <She was plotting now to get me to stay in the

house more ( ... ). It seemed to me she would do this simply out of

perversity. or to try her power.>(p.1l8) Toutefois. la fille n'est pas consciente des enjeux du pouvoir dans une société patriarcale; le seul pouvoir concret que possède la mère est celui qu'elle exerce sur ses

enfants. Selon Adrienne Rich. <the helplessness of the child confers a

certain narrow kirxi of power on the mother everyw\1ere - a power sile may

IlOt desire. but also often a power which may compensate to her for her

powerlessness everyw\1ere else.>(pp.67-68)

Ainsi. la volonté de dominer et de manipuler sa fille peut être

imputée à une frustration grandissante; enfermée dans sa maison. elle

n'a aucun pouvoir dans le morxie extérieur, De plus. si elle insiste tant

I l L. Irvine. A Psycholoqical Joomey: Motbers

arx:I.

Dayghters in

Erxllish Canadian Fiction. 1980. p.247. (Tandis que Irvine analyse uniquement des écrits canadiens anglais. nous nous approprions ses thèses également pour des nouvelles d'origines diverses.) (Dorénavant. toutes les références à cet 0UV1"llge seront in:l.iquées entre parenthèses

(18)

.16 pour inculquer ce rôle apparemment inférieur à sa fille, c'est sans doute parce que c'est le seul rôle qu'elle connaisse.

Même si elle voulait raconter à sa fille les histoires de sa propre jeunesse et, ce faisant, instaurer une relation de complicité.

elle n'en a simplelDent pas le temps. Comme le dit la narratrice, <My

mother was toc tired and preoccupied to talk to me ( ...

».

(p. 117)

Brièvement, la fille laisse entrevoir la possibilité que la mère

n'est peut-être pas heureuse dans son rôle: <lt did not occur to me that she could be lonely, or jealous.>(p.118) Mais, elle n'en dit pas plus.

Par ailleurs, on ne sait jamais ce que pense la mère puisqu'elle n'a

jamais le droit de parole.

Le petit frère de la narratrice représente également une menace.

Tant qu'il demeure enfant. i l ne peut prendre la place de sa soeur. Mais

lorsqu'il grandira, i l accédera à sa place parmi les hommes, et

remplacera sa soeur qui. sera obligée de retourner du Côté de sa mère. La

narratrice. confrontée à son frère, prend conscience des limites

imputées au sexe féminin. et de tout ce que cela entraîne dans la

société et dans sa vie future: <The word girl had formerly seemed to me innocent and l.U'ùJUrdened, like the word child; now it appeared it was no

such thirq. A girl was not. as l had suppoeed, simply ,,'hat l was; it was

what l had to become.>(p.119) Elle doit donc se conformer à un moule. renier l'identification avec le père et apprendre à se comporter <comme une fille>.

Dans une dernière tentative de garder sa liberté, elle ignore les

commentaires faits.à propos de son manque de féminité: <1 continued to

(19)

.17 measures l could keep myself free.>(p.119) Mais. à la fin de la

nouvelle. elle est trahie par son père. qui jusqu'alors l'avait

soutenue:

<Never mind. > my father said. He spoke with resignation. even good humour. the words which absolved and

dismissed me for good. <She's only a girl.> he said.

l didn't protest that. even in my heart. Maybe it was true. (p.127)

Malgré la volonté de ne pas d.lVenir comme sa mère. la narratrice

se résigne à accepter sa condition. Toutefois. cette fin n'est pas univoque. Si. dans un premier temps. nous pouvons conclure que la

narratrice accepte son rôle <naturel> en se conformant aux exigences de

la société. nous pouvons tout aussi bien conclure que devant les

préjugés ancrés dans cette même société. elle n'a pas de choix. Le

dénigrement et la coercition. éléments de l'institution patriarcale

nécessaires pour perpétuer le statut inférieur des femmes. sont fort

efficaces. Lorsque la narratrice intériorise la perception d'elle-1llême

comme étant <just.e une fille>. elle assure la relève de la mère dans son

rôle familial et social; le cycle mère-fille est alors voué à la

répétition.

Ce sentiment de refus à l'égard de la mère se retrouve également . dans la nouvelle La. ColOlllbe de Olarlotte Eoisjoli. Alors que la mère.

ici. n'essaie pas d'inculquer son rôle à ses filles. le simple fait qu'elle accepte d'être subjuguée fait d'elle un modèle à éviter. Les rôles traditiomels sont de nouveau présentés. mais dans ce récit. le

père travaille à l'extérieur de la maison. En rentrant du travaiL il

(20)

.18 d'ébriété tous les soirs. Seule pour assurer l'entretien è", la maison et le soin de ses enfants. la mère doit également s'occuper de son mari.

COIllIIle d'un autre enfant.

Toutefois. la mère semble accepter le rôle dont elle a hérité. sans contester:

( ... ) elle semblait avoir la vocation du martyre et avalait l 'humiliation comme d'autres enfilent un verre d'eau. Nous ne laissions pas de la mépriser un peu et en même temps son endurance nous forçait au respect. Nous avions entendu dire que la femme est née pour souffrir et nous trouvions qu'elle

jouait son rôle à merveille."

Non seulement la narratrice et ses deux soeurs veulent éviter ce rôle. mais elles méprisent leur mère pour l'avoir accepté. Comme le dit Adrienne Rich. <li. mother's victimization does net merely humiliate her. it mutilates the c1aughter who watches her for clues about what it means to he a woman.>(p.243) Même si la fille se révolte contre le

comportement de la mère. inconsciemment elle se sent trahie. voire abandonnée. par cette mère qui accepte d'être victime.

L'image que la mère projette est celle du sacrifice et de la soumission a1:lso1ue. et c'est une image que la l'llln''atrice ne peut comprendre: (On peut en effet admirer la fierté. le courage. l'orgueil

même. parfois. Mais l'abnégation? L'acceptation d'être blessée. rompue. foulée aux pieds? ( ... ) Elle n'avait donc aucun respect d'elle-même?>(p.33) Le manque de respect de la mère pour elle-même incite à un

manque de respect de la fille pour sa mère. De plus. la société accepte

I l C. Boisjoli. La ColOf1lbe dans La chatte blanche. 1981/. p.29.

(Dorénavant. toutes les références à cet ouvrage seront indiquéeS entre parenthèses dans le corps du texte.)

(21)

.19 et encourage ce comportement néfaste: <Ce qui nous suffoquait. c'est que tout le monde l'admirait ( ... ».(p.33)

Désemparée face à l'abnégation de la mère. la fille ne peut même plus ressentir de la sympathie envers elle. et finit plutôt par la haïr. Adrienne Rich emploie le terme <matrophobia> pour expliquer cette

aversion; c'est. selon elle. <the desire to become purged once and for all of our mother's bondage. to become individuated and free. The mother stands for the victim in ourselVes. the unfree woman, the martyr.>(p.236)

L'asservissement de la mère semble profondément enraciné: Nous ne comprenions pas qu'elle fut si patiente. Nous ne lui pardonnions pas non plus. Nous ne savions pas alors que la révolte est moins facile que la soumission. Nous ne connaissions pas alors le prix de l'affranchissement. ( ... ) Nous détestions cette passivité. ce culte voué à l'époux, ce respect de l'ordre du sacrement. (p.33)

Il s'agit non seulement du refus de J.a mère, mais aussi de celui ci'3 la

société. de l'ordre établi. et des traditions. Toutefois. la fille admet son ignorance quant. à l'emprise de l'institution patriarcale. selon Adrienne Rich, <lIt isl easier by far to hate and reject a mother than

to see beyond her to the forces acting upon her.:>(p.235) Ainsi. la fille bl8me sa mère pour son comportement au lieu d'en voir les causes. Si

l'on situe l 'histoire dans le ().Iébec rural au déoot du siècle. on voit

tO'<.It de suite l'influence omniprésente de la religion catholique qui

atteint alors son apogée; la soumission de la femme Il son époux et le caractère sacré du mariage sont acceptés sans contestation.

La narratrice explique que le comportement de son père est dO Il la perte de sa propre mère. Au moment de la mort de celle-ci. son fils - le

(22)

·20 pieds. effectuant ainsi un retour ~ l'enfance. D'après la narratrice.

<Il avait été si couvé par elle. dans son enfance. et même plus tard; si

protégé. si enveloppé. qu'il se retrouvait nu tout ~ coup. ( ... l sans défense. Il se retrouvait démuni comme un nourrisson.>(p.30l

A la suite de cette mort, le père sombre dans une dépression: ce

n'est que lorsque sa femme - la mère de la narratrice - chante une

chanson d'enfant. qu' il se ranime et repreni vie. Mais sa femme a

maintenant remplacé sa mère. et elle est condamnée ~ le materner jusqu'~

la fin de ses jours. Selon Nancy O10d0row; dans The Reproduction of Motheriry. ce comportement s'explique lorsqu'on analyse l'évolution

psychologique des garçons. L'amour pour la mère tel qu'il apparaît dans

le complexe d'Œdipe ne s'estompe jamais complètement. même si la société

oblige le garçon ~ transférer son amour à une autre femme. Ainsi. selon Chodorow. les relations avec les femmes en tant qu'adulte ont pour but de retrouver cet amour primaire: <A man achieves [emotional and physical

. union] through the heterosexual boni. which replicates the early mother-infant exclusivity.>(p.199)

La mère de la narratrice sacrifiera sa vie pour s'occuper de son

mari. Lorsqu'il meurt et qu'elle peut enfin jouir de sa liberté. il est

trop tard. comme le constate la narratrice:

« ... )

la colombe avait du plomb dans les deux ailes et nous avons juré sur les ceo:l.res qui

l'avaient brillée que la leçon nous servirait.>(p.36)

La narratrice échappe à cette vie de servitude. mais sa soeur n'y échappe pas. Et malgré l 'hostilité ressentie envers la mère. le cycle se

(23)

.21 b. Refus de se laisser envahir par la mère

Dans le récit impressionniste Et l'une ne bouge pas sans l'autre.

Luce Irigaray propose par le biais de l'écriture même une nouvelle

conception de la femme, basée. non pas sur l'autonomie, mais sur la

continuité. Selon Marianne Hirsch. nous trouvons dans de ce récit <[an]

insistence on the ultimate lack of separation between daughter am

mother and an emphasis on multiplicity. plurality. and continuity of

being>." Mais si Irigaray célèbre l'union entre femmes. la relation

avec la mère demeure toutefois problématique. D'après Jane Gallop. <the

awkward. confused relation to the mother that momentarily intrudes into

the lyrical fantasy of a new love between women is no minor. marginal

problem.>'·

La narratrice. qui incarne le rôle de la fille. nous fait part de

l'amour trop puissant de la mère. et de son propre sentiment de refus

vis-à-vis de celle-ci. Elle livre un plaidoyer à sa mère la suppliant de garder sa propre identité et de ne pas vivre à travers elle. C'est une réquisition en faveur de l'indépendance mutuelle qui serait bénéfique

autant pour la mère que pour la fille.

Dès le déwt du texte. le ton est empreint d'hostilité: <Avec ton

lait,

ma

mère. j'ai wla glace.L .. ) 'I\l as coulé en moi. et ce liquide cham est devenu poison qui me paralyse.>'" L'allaitement. au lieu

.. M. Hirsch. <Mothers and Daughters> dans Ties that Bind. 1990. p.186.

,. J. Gallop. The Daughter's Seduction: Feminism

am

Pwchoa/lalvsis.

1982. pp. 113-114.

'" L. Irigaray. Et l'une ne llouge pas sans l'autre. 1979. p.7. (Dorénavant. toutes les références li. cet ouvrage seront imiquées entre parenthèses dans le corps du texte.)

(24)

.22 d'être un geste positif, devient ici un acte pervers aux yeux de la

fille.

La

mère. à trop vouloir s'investir dans sa fille. l'emprisonne. Après la naissance, comme pendant la grossesse, l'attache est absolue:

<Tu

me gardes. tu me regardes. Tu désires toujours que je sois sous tes yeux pour me protéger. ( ... ) Déjà grande et toujours au berceau.

Toujours dépendante de quelqu'un qui me porte et qui me nourrisse.>(p.8)

L'allaitement est le geste qui lie mère et fille, et il en résulte

une confusion d'identité; les frontières se dissolvent. et l'une se perd dans l'autre. Cette confusion se traduit dans l'emploi dichotomique des pronoms:

Tu me/te donnes à manger. Mais tu me/te donnes trop, comme

si tu voulais me remplir tout entière avec ce que tu

m'apportes. ( ... ) Ne t'engloutis pas, ne m'engloutis pas ( ... ). J'aimerais tant que nous soyons là toutes les deux.

~e l'une ne disparaisse pas en l'autre ou l'auu-e en

l'une. (pp.9-10)

Le lien devient tellement étroit que la mère cesse d'exister comme

individu; toute son énergie, sa passion et son désir sont consacrés à

une autre. Elle n'est qu'un chaînon dans le cycle infini de mères et de

filles:

<tu

te regardes dans la glace. Et ta mère s'y trouve déjà. Et bientôt ta fille mère. Entre les deux, qu'es-tu?>(p.14) Le style

répétitif du texte renforce également l'idée du cycle, l'inévitable

ressemblance entre générations passées et futures.

Malgré la dissolution des identités, la fille parle pour la mère

tout au long du récit; l'absence de la mère en tant que sujet exclut le

(25)

.23 separateness she has>." Il n'y a pas de partage possible:

« ... )

jamais nous ne nous sommes parlées (sic). Et tel abîme maintenant nous sépare que ce n'est entière que je sors de toi mais indéfiniment retenue

dans ton ventre.>(p.21) Marianne Hirsch souligne l'impossibilité d'w1e dialectique:

Daughter and mother

are

separated and forever trapped by the institution. the function and role of motherhood. They are forever kept apart by the text 's daughterly perspective and signature: the mother is excluded from discourse by the daughter who owns it. (p.137)

la fille ne veut pas devenir comme la mère. un autre chaînon dans un cycle sans fin. et dans une tentative de préserver son intégrité. elle

continue à parler: <As long as she speaks. there is a distinction.>" Pour rompre l'emprise de cette institution qu'est la maternité.

elle se sent obligée de quitter sa mère. Ce faisant. la mère se perd

ellEHDême. car elle a toujours vécu par l'entremise de sa fille: <Et si

je

pars.

tu ne te retrouves plus. N'étais-je le dépôt cautionnant ta

disparition?

Le

tenant-lieu de ton absence?>(p.16) Culpabilisée par cet abandon, la fille explique que la mère, en s'investissant dans la fille.

l'a quittée i l y a déjà longtemps: <Mais t'ai-je jamais connue autrement

que partie?( ... ) Q.!and tu t'épanchais en moi, déjà tu n'étais plus

là.>(p.17)

Si la fille souhaite se séparer de sa mère. c'est pour pouvoir

l'aimer librement, l'aimer en tant qu'être distinct. La mère est donc

obligée de se retrouver. de se créer une identité propre. A la fin du

texte. la narratrice lance un dernier appel à sa mère: ~ l'une

16 J. Gallop. op. cit .• p.115.

(26)

.24 vient au monde. l'autre retombe sous la terre. Quand l'une porte la vie,

l'autre meurt. Et ce que j'attendais de toi, c'est que, me laissant

naître. tu demeures aussi vivante.>(p.22) Elle laisse donc entrevoir

l'espoir d'une dialectique nouvelle où mère et fille peuvent garder leur

identité.

2. Séparation et attachement

5' il Y a parfois un refus absolu de ressembler à la mère, comme nous l'avons

w

dans les nouvelles précédentes, la relation mère-fille

peut être aussi un lieu de contradiction, particulièrement lorsque la

fille atteint l'adolescence. A ce moment, la lutte de pouvoir

s'intensifie, et les émotions se compliquent: le passage de l'enfance à

l'age adulte et l'acceptation de la féminité ne se font pas

sans

difficultés. Dans l'article A Psvcholocrical Journey, Loma Irvine décrit

l'ambivalence des sentiments de la fille envers sa mère:

In her efforts to achieve autonomy, an;rer

am

affectio:"vie

with each other so that she suffers from her desired

separation, often felt to be a desertion of the mother,

while, at the. same time, she resents her chi ldl ike

depemence. (p.243)

Ainsi, le désir de séparation et le désir d'attachement

coexistent, et la relation mère-fille semble enracinée dans cette

contradiction. Dans les nouvelles suivantes, l'admiration et le mépris,

l'attachement et le rejet, l'imifférence et la passion sont autant de

(27)

.25 a. Prise de conscience et désillusion

Les sentiments exagérés sont. sinon la nonne. du moins une des

caractéristiques principales de cette relation. Autant une fille peut

rejeter sa mère. sans la comprendre, autant elle peut se construire une

image idéalisée de la mère. également basée sur une fausse

représentation qu'elle s'en fait. Toutefois. cette image trop parfaite

est vouée à la désintégration; lorsque la réalité s' infil tre dans cet univers fragile. la fille subit une prise de conscience difficile. Elle

doit accepter que la mère n'est pas l'être parfait qu'elle imaginait.

Désormais consciente des imperfections de la mère et de son impuissance

dans le monde, la fille ressent un tiraillement entre le désir de

séparation. et le désir d'attachement.

Dans Hother de Marilyn Krysl. la narratrice voue une grande admiration à sa mère. Dès le début de la nouvelle. celle-ci se voit attribuer des qualités extraordinaires; elle est toute-puissante: <In

the beginning there was my mother. A shape. A shape and a force. starrling in the light. You could see her energy: it was visible in the

air.>"

Il n'y a pas de père dans la llOlNelle. seule une photo témoigne de

son existence passée. photo d'ailleurs qui, placée à cOté de celle de

Clark Gable. lui confère le statut de <movie star>. Son allsence amplifie

le l'Ole de la mère qui doit non seulement assumer les respcnsabilités

financières mais aussi llSSUrer le

support

émotif de sa fille.

" M. Krysl, Mother dans My Mother's Daughter. 1991. p.l. (Dorénavant. toutes les références à cet ouvrage seront irrliquées entre parenthèses dans le corps du texte.)

(28)

.26

Tout ce que fait la mère, même son travail de gérante chez

<Kovac's dry cleaning'> est impressionnant aux yeux de la fille. L'espace

qu'elle habite est investi d'une dimension magique, et la fille veut

demeurer dans cette espace: <What l wanted to he was where she was.

Where she was the current was faster, the light more brill iant , the

colors brighter.>(p.3)

En créant une mère idéalisée, la fille peut se sentir elle-iIlême

invincible; la présence de la mère constitue une barrière contre les

influences néfastes du monde extérieur. Elle est la représentante de

l'ordre établi: <When l looked at pictures of families in magazines, it

didn't occur to me to imagine myself grown ( ... ). These pictures

referred only to us, now: l was the çhild, she was the mother, this~

a fact that would net chame.>(p.3) [C'est nous qui soulignons.) La

hiérarchie est fixe, et la fille retrouve une grande sécurité dans cette

hiérarchie. Tant que la mère est présente, infaillible, la fille se sent

en sécurité, protégée de la société. Et elle veut avant tout se

valoriser aux yeux de sa mère, s'en montrer digne: <I expected to spem

my life with her, and at the very least l wanted her to notice me,

recognize the intensity of my passion. l blazed with fidelity.>(pp.3-4)

Toutefois, comme le souligne l\nn Dally, <since idealization is

based on illusion, there is always the dan;Jer of disillusion>."

Lorsque la mère avoue qu'elle n'est pas entièrement satisfaite de sa

vie, la fille éprouve une grande déception et se sent wlnérable. Le

pouvoir absolu de sa mère est menacé. et l'image idéalisée commence à

" A. Dally, The Invention of Motherhood, 1982, p.95; voir le chapitre Idealization of the Nother.

(29)

.27 s'efforrlrer. Il y a une faille dans son morrie jusqu'alors parfait: <Things were not so fine as they'd once been. arri l had to acknowledge

that this might be a message. Maybe progress was a pretense, maybe life was really a downward slipping.>(p.8)

Le changement, l'évolution de sa relation avec sa mère lui font peur et elle veut à tout prix garder les choses telles qu'elles sont. Dans une tentative de préserver la jeunesse et la beauté de sa mère, elle l'enferme dans une salle de bains: <The door was locked. l 'd actually done it! l could keep her now as she should be kept. lovely arri

safe from work.>(p.B)

Mais cet acte n'est pas la preuve d'admiration qu'elle espérait.

Lorsque la fille n'arrive plus à ouvrir la porte. un homme vient ouvrir et la mère est humiliée; par la suite. la fille ne se sent plus digne

d'elle. Une prise de conscience s'impose à la fille lorsqu'elle

s'aperçoit que sa mère n'est pas toute-puissante comme elle l'avait cru.

Elle regrette son bonheur éphémère:

« ... )

once in a while l felt the tug of sadness like the current of a slow but constant river. l had

suffered my first great shame.>(p.l1) Ce parcours initiatique l'oblige Il

quitter son morrie idéalisé pour faire face au monde réel. morne où ce

n'est plus la mère protectrice qui règne.

Le manque de pouvoir de la mère dans la société peut également

engerrlrer chez la fille une certaine hostilité. comme nous le voyons

dans 5ailors Lest at

sea

de Carol Shields. Dans cette nouvelle. la mère. une poètesse canadienne. part en France avec sa fille de quatorze ans

(30)

.28 qui devrait être une année de voyage. et de découvertes. se transforme en une année plutôt difficile et terne dans un petit village de Bretagne.

Ecrite à la troisième personne. cette nouvelle privilégie toutefois les observations de la fille. Alors que la fille. Hélène, possède un nom. la mère n'en a pas; elle n'est jamais que <Hélène's mother>, toujours sub:>rdonnée à sa fi lle. Ce manque d' identité se traduit également dans sa personnalité; optimiste et naïve. elle est le contraire de sa fille qui est perspicace et prompte à voir la réalité en face.

Dans cet environnement dépouillé. la mère et la fille sont particulièrement isolées. étant les seules étrangères dans le village. La mère voudrait s'intégrer à la communauté. mais la fille. Hélène. reconnaît que c'est une impossibilité; partout. la présence des <Canadiennes> est remarquée. La relation mère-fille est par conséquent

d'autant plus intense, car malgré le désir d'assumer son autonomie. Hélène est obligatoirement identifiée à sa mère. Le titre nous en dit beaucoup. puisque la mère et la fille sont. en effet. COlIlme des marins

perdus: transplantées dans une culture étrangère. elles n'ont pas

d'autres repères qu' elles-lllêmes .

Les apparences et la réalité s'opposent souvent dans cette

nouvelle qui nous révèle successivement espoirs et déceptions. La mère

suscite l'admiration des écolières. mais la perception d'Hélène en est tout autre; alors que les vi llageois sont impressionnés par la présence d'une <vraie poètesse>. Hélène ne voit que le cOté réaliste de son existence:

(31)

.29 Her mother had a way of making toc much of things, al ways

seeing secondary meanings ... It was infantile the way she went on arxi on about the fond of human experience. What was the fond but carrying home the !rrOceries. trying to keep warm in the drafty cold house ( ... )..

L'absence de père dans la nouvelle intensifie également la

relation entre mère et fille et accentue la déperxiance de l'une sur

l'autre. Toutefois. Roger. l'ami de la mère qui est resté au Canada,

crée une autre dynamique dans la relation mère-fille. Aban:l.onné par sa première femme. il trouve en la mère d'Hélène une autre source d'amour;

celle-ci finit alors par materner son ami au déperxi de sa fille. Malgré

le désir d'assumer son irxiépendance. Hélène ressent une certaine

jalousie vis-à-vis de cet homme qui lui enlève l'affection de sa mère.

Toujours soucieuse de plaire 11 sa fille et de demarxier son avis. la mère finit par alxl.iquer sa propre subjectivité. Hélène souhaiterait

pour sa mère une plus grande maîtrise de sa vie. mais se rerxi compte que

son pouvoir est limité. Les événements semblent se dérouler

indépendamment de sa volonté: <This is not how l planned things>(p.45).

dit-elle. en guise d'explication. Elle n'est pas toute-puissante. et se

justifie souvent auprès de sa fille: <It seemed her mother was compelled

to justify this place where she had deliberately settled down to being

lonely and uncomfortallle and unhappy.>(p.43)

La mère cherche Il obtenir l'approbation de sa fille pour leur

séjour en France. tout comme pour sa relation avec Roger; il en résUlte

un glissement entre les rôles de chacune et ce déséquilibre menace

l'autonomie de la fille. Mais Hélène n'accepte pas cette responsabilité:

.. C. Shields.

sailors Lost

at

Sea dans Various Miracles. 1985. pAO. (Dorénavant. toutes les références Il cet ouvrage seront indiquées entre parenthèses dans le corps du texte.)

(32)

.30 <This is what made Hélène numb. She couldn't say a word in reply, and her silence ignited a savage shame. What was the matter?( ... ) They were

waitin;j' for her to make up her mind ( ...

».

(pA5) Elle est incapable de répondre et son silence traduit le tiraillement intérieur; elle se sent

alors obligée d'accepter un rôle qu'elle n'a pas demandé.

b. Lutte de pouvoir

L'adolescence est un moment particulièrement difficile pour la

fille car elle prend alors conscience de sa sexualité. Puisque la mère

sert de modèle féminin. elle devient le bouc-émissaire de l'antagonisme

de la fille lorsqu'elle tente de se dissocier du rôle traditionnel.

selon Loma Irvine. <whether the mother. appears to he malevolent or

henign. her representation exemplifies the an;j'er. guilt, and affection of the daughter as she attempts to accept her own femininity.>(p.243)

Dans Red Dress-l946. de Alice Munro. la narratrice vit une période charnière avec sa mère lors de son adolescence dans une relation qui est

exagérée par l'absence du père. La mère. qui jusqu'alors avait été un

modèle positif. devient maintenant aux yeux de la fille un obstacle:

<All the stories of my mother's life which had once interested me had

hegun to seem melodramatic. irrelevant and tiresome.>"l

Les chan]ements qu'impose l'adolescence sont une source d' an;/oisse

pour la narratrice: elle voit dans cette transformation le rapprochement

de l'age adulte et. par extension. le rapprochement avec sa mère et le

Il A. Munro. Red Dress-1946 dans Dance of the Happy Shades. 1968. p.149. (Dorénavant. toutes les références à cet ouvrage seront indiquées entre parenthèses dans le corps du texte.)

(33)

.31 rôle féminin. Malgré le désir de rester <behind the boundaries of

childhood>(p.151). elle ne peut pas arrêter le temps.

Lorsque sa mère lui confectionne une robe pour un bal d'école. son

apparence pathétique lui fait honte: <1 was embarrassed by the way my

mother crept around me. her knees creaking. her breath coming

heavily. (. .. ) her legs were marked with lumps of blue-green veins. l

thought her squatting position shameless. even obscene.>(p.l48) Les

varices - marques de la grossesse - la respiration. la position

accroupie. tout évoque la sexualité. ce domaine si mystérieux. à la fois attirant et répugnant pour elle. Ces manifestations <grossières> et bien

corporelles de la sexualité obligent la narratrice à confronter sa propre sexualité. ainsi que le rapport avec son corps en tant qu'objet.

Parce que sa mère veut qu' e Ile se conforme à l'idéal de la féminité.

l'angoisse que suscite <the tension and excitement of sexual

competition>(p.150) est amplifié. selon Adrienne Rich.

it is· the mother through whom patriarchy early teaches the small female her proper expectations. The anxious pressure

of one female on another to conform to a degrading am

dispiriting role Gan hardly be termed <mothering>. even if

she does this believing it will help her daughter to

survive.(p.243)

Malgré l'attention et l'amour de la mère. la fille ne permet

jamais à celle-ci d'infiltrer son univers privilégié; le risque

d'identification serait trop grand. Elle doit à tout prix maintenir la

séparation entre son morne et celui de sa mère. Lorsqu'elle rentre du

bal qui. en fin de compte. n'est pas le désastre qu'elle avait anticipé.

elle aperçoit sa mère qui l'attem: <She was just sitting and waiting

for me to come home and tell her everything that had happened. Ard l

(34)

.32 féminin traditionnel que la fille veut éviter, devient le bouc-émissaire

de ce processus de <.désidentification>; la non communication est, pour

la fille, le prix de son éventuelle liberté. Selon Hirsch, <tl'.e break

from the mother lis] the token of a feminist rejection of female

victimization>.(p.130)

Toutefois, c'est avec un sentiment de désespoir que la fille prend

conscience des attentes de sa mère: <When l saw ( ... ) my mother ( ... ), l

understood what a mysterious and oppressive obligation l had, to be

happy, and how l had almost failed it, and would be likely to fail it,

every time, and she would not know.>(p.160) Si, selon Beverly Rasporich.

<[Munro's] feminism appears to be loosely grounded in a melancholy

social determinism>"", la nouvelle souligne également toute

l'ambivalence que suscite la transition de l'adolescence; alors que la

fille se conforme aux exigences de la société en acceptant les parures

et les gestes de la féminité, elle avoue l'impossibilité d'être heureuse

en jouant ce rôle.

Dans The Ottawa Valley, également de Alice Munro, une femme se

remémore un été passé à la maison d'enfance de sa mère. A cette époque,

la mère a quarante-deux ans, l'age de la narratrice lorsqu'elle raconte

l 'histoire. Le déwt d'une grave maladie se manifeste pendant cet été, ce qui rend la relation mère-fille particulièrement difficile. Alors que

la mère, à cause de son age, maintient un pouvoir sur la fille. la maladie risque de renverser ce pouvoir. La fille, qui cherche sa propre autollOlllie, s'inquiète toutefois lorsque le pouvoir de sa mère est en

(35)

.33 danger: quand. la mère a une attaque d'apoplexie. la fille se sent aussi

vulnérable. La mère essaie d'apaiser les craintes de la fille en niant que l'attaque a eu lieu. C'est alors que la narratrice avoue: <1 was

very much relieved that she had decided against strckes. and that l

would net have to be the mother ( ...

»."

Elle ne veut pas échanger de rôle. car i l y a une sécurité dans la

hiérarchie; la fille n'accepte pas,de voir sa mère faiblir. Comme le dit

Loma 1rvine. <The daughter fears taking her mother's place although

events, as if happening behind her back. conspire to remind her of her

responsibilities. The threatening reversaI of roles increases her

anxiety.>(p.247) La fille a peur d'être abandonnée par la mère, et elle l'accuse d'avoir consenti à sa propre mort: <1 still felt secretly·that she had given her consent. For her own purposes, l felt she did it:

display, of a sort; revenge of a sort as well.>(p.244)

Lorsqu'elle devient adulte, et après la

mort

de sa mère, la

narratrice admet qu'elle y pense souvent: <1 think of her of course when

l see somebody on the street who has Parkinson' s disease, and more and

more often lately when l look in the mirror.>(p.227) Ainsi. le cycle se

répète et elle reconnaît sa mère en elle. Mais malgré la

mort

de celle-ci, la fille n'accède pas à une liberté absolue. L'emprise de. la mère est toujours ressentie:

The problem. the only problem. is my mother. And she is the one of course that l am trying to get; it is to reach her that this whole journey has been undertaken. With what purpose? To mark her off, to describe, to illumine. to

as A. Munro, 71le ottlSlia Valleydans Somethim l 've Been Meanim to Tell You, 1974, p.244. (Dorénavant. toutes les références Il cet ouvrage seront indiquées entre parenthèses dans le corps du texte.)

(36)

.34 celebrate, to get rid, of her; and it did not work. for she

looms too close, just as she always did. (p.246)

Accéder à la mère pour pouvoir la démarquer, la cerner pour pouvoir se

libérer d'elle. voici toute la contradiction de cette relation. Relation

qui. pour cette narratrice, n'a toujours pas été résolue.

Ce qui ressort de ces nouvelles. c'est donc l'ambivalence qui

caractérise les rapports mère-fille: l'admiration et le mépris, le désir

d'affection et d'autonomie, tous contribuent à en faire un parcours semé d'embOches. Si les mères ont une présence plus importante dans ces

récits, les filles continuent toutefois à parler

<de>

et

<pour>

elles, les empêchant ainsi d'articuler leur propre subjectivité. Comme le dit Marianne Hirsch. <l'o speak for the mother, ( ... ) is at once to give

voice to her discourse an:i to silence and marginalize her.>(p.16)

Alors que la séparation de la mère demeure une priorité lors de l'adolescence. une certaine identification. ou du moins. une tentative

de compréhension se manifeste lorsque la fille devient adulte.

3 .. L'age adulte: l'émergence d'une nouvelle dialectique

Wr'sque la fille accède à l'âge adulte et à l'autonomie tant recherchée, une autre dialectique s'instaure entre mère et fille. Alors

que le pouvoir de la mère se voit diminué. la liberté dont dispose la

fille est toutefois conditionnelle: si elle peut enfin échapper à

l'emprise de sa mère. elle peut également se sentir coupable de cette désertion. En effet. lorsque la séparation devient une option réelle ou

(37)

.35 a. Liberté précaire

Dans La route d'AltaI1lOnt de Gabrielle Roy. la lutte de pouvoir atteint son paroxysme: alors que la fille sent de plus en plus l'appel

de l'étranger et le besoin de fuir son milieu devenu trop familier. la

mère se sent de moins en moins capable de la laisser partir. Accablée

par des sentiments contradictoires. la fille parvient difficilement à pren::lre une décision.

Située dans les années trente. cette histoire aux allures

autobiographiques raconte la découverte inatten:iue d'une petite chaîne

de montagnes dans les plaines du Manitoba. Emerveillée. et quelque peu

dépaysée par cette découverte. la mère effectue un retour vers son

enfance: ces collines insolites lui rappellent les montagnes de sa

jeunesse au Québec.

Alors que la fille admet une préférence pour la plaine. la mère

est comblée par ce paysage qui pen:iant soixante ans n'a existé que dans son imagination. Ainsi. la mère. attachée aux montagnes et donc au

passé. s'oppose à la fille qui voue une admiration pour les plaines. l'espace. et la nouveauté; alors que la fille. Christine. commence sa

vie de femme irdépen:iante. la mère. Eveline. arrive à la fin de la sienne. La narratrice se confie ainsi au lecteur: <Alors que ma mère

pour ses joies devait retourner au passé. les miennes étaient toutes en

avant. ( ... ) et n'est-il pas mervei lleux cet instant où tout ce qu'il Y

a à pren::lre en cette vie paraît intact à l'horizon ( ...

)?>M

M G. RoY. La route d'Altamont dans La route d'Altamont. 1966.

p.198. (Dorénavant. toutes les références à cet ouvrage seront in:iiquées entre parenthèses dans le corps du texte.)

(38)

.36

A la découverte des collines. la mère retrouve un peu de sa

jeunesse. de sa joie de vivre. mais la narratrice n'y voit qu'une

tromperie:

<Et

comment se fait-il que l'être humain ne connaisse pas en sa vieillesse de plus grand bonheur que de retrouver en soi son jeune

visage? N'est-ce pas là plutôt une chose infiniment cruelle?>(p.206).

Ce rajeunissement paraît particulièrement troublant pour la fille car i l

brouille la hiérarchie des rôles figés de la mère et de la fille.

Celle-ci ne veut pas que sa mère empiète sur son domaine: <Je me disais: ou

l'on est jeune. et c'est le temps de s'élancer en avant pour connaître

le monde; ou l'on est vieux, et c'est le temps de se reposer.>(p.200)

Toutefois. elle ne veut pas que sa mère vieillisse trop vite.

L'existence de la mère est le garant de sa propre jeunesse; tant que la

génération précédente est en vie. elle peut se sentir invincible. En

essayant de nier le vieillissement de sa mère. Christine tente également

de préserver sa jeunesse; il y a une grande sécurité dans le statu quo.

5'i l Y a. de la part de la fille. une résistance envers le

vieillissement. la mère. au contraire. accepte la continuité de la vie.

Dans ce décor où les saisons régissent la vie. le thème du cycle et de

la répétition des générations est une partie intégrale de l'existence.

Lorsque la mère. Eveline, pense à sa propre mère. elle ne peut que constater les simi larités qu'il y a entre elles. malgré la volonté

fortement ressentie pendant sa jeunesse de ne pas lui ressembler. Le

temps permet la compréhension des générations passées: <C'est avec l'age

DIOr que je l'ai rejointe. ou qu'elle-même m'a rejointe. comment

expliquer cet étr~ rencontre hors du temps.>(p.226) C'est ainsi que

(39)

..

.~

De nombreuses théoriciennes féministes soulignent aujourd'hui la capacité des femmes à percevoir la continuité de leur existence. selon 01odorow. <From the retention of preoedipal attachments to their mother.

growing girls come to define themselves as continuous with others ( ... )

The basic feminine sense of self is connected to the world

..

(... ».

(p.169)

En acceptant les ressemblances. et en essayant de comprendre sa

mère. Eveline la fait revivre: <A celle qui nous a donné le jour. on

donne naissance à notre tour quand. tôt ou tard. nous l'accueillons enfin dans notre moi. Dès lors. elle habite en nous autant que nous

avons habité en elle avant de venir au monde.>(pp.226-227) La continuité et le manque de différenciation entre mère et fi Ile sont perçus par

Eveline. non pas comme une contrainte. mais comme une richesse

personnelle. Si Cl1ristine n'y voit qu'une <insupportable atteinte à la personnal ité>(p. 227) • c'est qu'elle sent sa liberté menacée. Elle Be

veut indépendante. et n'accepte pas ce lourd héritage.

A la fois fille et mère. Eveline nous offre une double

perspective. Ayant acquis l'expérience d'une vie. elle reconnaît sa

participation dans un cycle important:

« ... )

c'est peut-être la partie de la vie la plus éclairée. située entre ceux qui nous ont précédés. et

ceux qui nous suivent. en plein milieu... >. (p.236) Si elle accepte de

laisser sa mère vivre en elle. elle espère aussi continuer à vivre à travers sa fille. N'ayant pas pu réaliser ses propres ambitions. elle

s'attend à ce que sa fille les réalise à sa place:

« ... )

je te regarde

a Voir aussi Marianne Hirsch. <Mothers and Daughters> dans TieB that bind. 1990. pp. 186-187.

(40)

.38 et me dis que rien n'est perdu. qùe tu feras à ma place et mieux que moi ce que j'aurais désiré accomplir.>(p.236)

Lorsque O1ristine annonce à sa mère sa décision de partir en Europe, celle-ci se sent abandonnée. trahie. Elle essaie par tous les

moyens de la retenir, mais l'attrait du nouveau et la découverte sont

trop importants pour sa fille. Toutefois, O1ristine nous fait part d'un

sentiment de culpa1:Jilité lorsqu'elle dit: <Maman fut proche. peut~tre,

de m'avouer qu'elle se sentait trop vieille pour me perdre. qu'il ya un

âge où on peut supporter de voir partir ses enfants, mais qu'ensuite

c'est vraiment comme si on vous enlevait le dernier lambeau de jeu.'Jesse

(... ».

(p.242) En effet, O1ristine veut à la fois s'attacher à sa mère et garder sa liberté. Comme le dit Loma Irvine, le transfert de pouvoir de la mère à la fille pel·.t intensifier l'angoisse:

lis the daughter grows stro!V1er. the mother weakens; the power seems to have been stolen and the victorious daughter can despair of her own victory. On the other hand, where the mother remains all powerful. the daU!;Jhter agonizes over her own impotence. (p.243)

O1ristine veut que sa mère accepte son départ. sans rancune: <Il

m'aurait fallu que ma mère me laissât partir de gaité de coeur et ne me

prédit rien que d'heureux.>(p.243)

Une fois partie, elle veut faire ses preuves pour retrouver

l'opinion favorable de sa mère:

« ... )

je me hâtais, je me pensais toujours au bord de ce que je voulais devenir à ses yeux avant de lui revenir. Et je pense bien que cette hâte ( ... ) m'a caché tout le

reste.>{p.255) Sa réussite n'a de valeur que si elle

est

appréciée par sa mère: malheureusement, la mort de la ·mère les sépare avant que la

(41)

.39 narratrice: <Ma mère déclina très vite. Sans doutemourut-elle de

maladie. mais peut-être un peu aussi de chagrin ( ...

».

(p. 255)

Dans une entrevue, Gabrielle Roy dit que l'une rejoint l'autre. <mais trop tard>. Toutefois, si cette vision paraît fataliste. il ne

faut pas y voir qu'un échec: <C'est une tragédie, mais aussi une très

belle chose, parce que finalement vous arrivez l~.>" La n>Ute d'Altamont est la preuve de cette appréciation tardive; l'écriture même

de la nouvelle constitue un hommage posthume ~ la mère.

b. Transfert de pouvoir

Q.larxi une femme devient mère, elle doit intégrer une double

identification; elle est ~ la fois fille et mère. Comme le dit Adrienne Rich" de son expérience personnelle. la maternité rappelle la relation

mère-fille originelle. Avec l'arrivée d'un enfant, le lien essentiel

mère-enfant est recréé. Selon Olodorow, <The mother--chi ld relationship

( ... ) recreates [al ( ... ) basic relational constellation. The exclusive

symbiotic mothe~childrelationship of a mother's own infancy reappears

(... ».

(p.201) Le fait de devenir mère peut provoquer alors un retour à l'enfance.

Mais, en devenant mère, il y a également la possibilité

d'identification avec la mère en tant que m&n. Cette identification peut engemrer de nombreuses réactions, notamment le désir de faire

autrement que sa propre mère. Toutefois, la maternité peut inciter la

.. Conversations with Canadian Novelists. p.142, cité dans La route d'Altamont. 1966, p.260 .

(42)

.40

fille à revoir sa mère sous une lumière différente; grâce à une

expérience commune. une nouvelle compréhension peut s'instaurer. Si. de

plus, l'enfant est une fille, la tendance à se mettre <à la place de sa mère> est accrue. Souvent, la fille prend conscience du vécu réel de sa

mère. de son rôle sous~valué dans une société patriarcale; elle peut

alors apprécier la distinction entre le rôle institutionalisé et

l'individu.

DaI;lS la nouvelle T1le Proposai de Kim Chemin, une femme dans la quarantaine, accompagnée de sa fille de douze ans. rend visite à sa mère

de soixante-dix ans. La mère est une immigrante juive de l'union

soviétique, alors que la fille et la petite-fille ont été élevées aux

Etats-Unis. Ainsi. non seulement y a-t-il une différence d'âge et de

génération importante, mais aussi une différence culturelle qui

influence profondément chacun des personnages dans le récit.

Dès le déb.1t de la nouvelle, le conflit entre la grand--lllère et sa

fille est apparent. Malgré le passage du temps, et la maturité des

personnages, c'est un conflit difficile à résoudre: <We still refuse to understand one another, both of us still protesting the fact that we are

so little alike.~

Lors de sa visite, la fille repense à sa jeunesse passée auprès de cette femme infatigable:

An activist when l was growing up, Communist Party

organizer, she would put up our dinner in a huge iron pot befere she left for work each moming. in this way making sure she neglected no essential duty of a mother and wife. For this. however, she had to get up early. l would watch

• K. Chemin, The ProposaI dans My Mother's Daughter, 1991, p.70.

(Dorénavant. toutes les références à cet ouvrage seront indiquées entre parenthèses dans le corps du texte.)

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