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Etude de la structure symbolique de Salambô.

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(1)

l~"

'.'

ETUDE DE LA STRUCTURE SYMBOLIQUE

....

(2)

LENeIlt, J.H. M.A.

A thesis submitted to the Faculty of Graduate Studies and Research in partial fulfillment for the requirements of the degree of

MASTER OF ARTS

McGill University

Montreal. March 1972

(3)

INTRODUCTION

Une oeuvre

à

relire.

A seize ou dix-sept ans, j'ai lu SalammbS d'affilée avec autant de passion que j'en mettais

â

douze à dé-vorer Les Enfants du capitaine Grant. Et je la relis d' un b~ut il

li

,utre sans la moindre fatigue, bien au contraJ.re.

Ces mots d'Albert Thibaudet, je puis les faire miens, et le plaisir que me procure la lecture de cette oeuvre, je voudrais le faire partager; c'est pourquoi j'ai choisi d'étudier SalammbS.

As with all of Flaubert's works, the more one studies it the more one realizes how much there is to be stud-ied. But it is truer of SalammbS '~han of any other work by Flaubert that it has notbeen studled near~

enough - otherwise the b~~~ would not be discreet~

ignored as at present.

2

Ce voile qui couvre SalammbS, nous allons tenter de l'écarter en cherchant la signification profonde de cette oeuvre qui, autant que Hadaille Bovary et L'Education sentimentale, témoigne de l'art de Gustave Flaubert.

1. A. Thibaudet, Gustave Flaubert, p. 136.

2. "Plus on étudie chacune des oeuvres de Flaubert, plus on réalise combien il y a matière

a

étude. Mais il est encore plus vrai pour SalammbS que pour n'importe quelle autre oeuvre de Flaubert, qu'elle n'a pas été suffisamment étuCliée de près - autrement ce livre n'aurait pas été discr~tement ignoré comme il l'est actuel-lement." R.J. Sherrington, Three Novels

by

Flaubert, a Study of

(4)

..• .".

MBme si SalammbS a été peu an~sée, en comparaison des autres romans de Flaubert, il existe cependant plusieurs études de cette oeuvre. La plupart de ces travaux, sans parler de ceux qui se sont attachés! scruter la vérité historique du récit, se sont générale-ment penchés sur ce livre pour en approfondir un point particulier, que ce soit la psychologie des personnages ou un aspect spécifique tel l'emploi de la couleur, ! moins qu'ils n'aient approché Salammb& de la même ~flre que Madame Bovary ou L'Education sentimentale.

Or SalammbS ne peut 3tre appréciée selon les m3mes critflres

que les autres romans de Flaubert, car l'auteur ne visait pas le m3me but et ce roman s'inscrit dans un registre totalement différent.

Dans cette oeuvre entreprise pour lui faire passer le dégoilt que lui avai t inspiré r.fadame Bovary- et, probablement aussi, le proc~s qui avait suivi sa parution, Flaubert n'a voulu peindre ni la société, ni

des "types", mais il a exposé le drame étemel de l'humanité! travers ses propres déchirements d'homme et d'artiste. Si madame Bovar,y c'est Flaubert, SalammbS l'est bien plus encore en ce que le roman, et non

un personnage, incarne l'auteur dans ce qu'il a de plus profond.

De plus, si l'hypothflse de l'unité de l'oeuvre a une grande vraisemblance pour les ouvrages vraiment ~

portants pris isolément, cette vraisemblance diminue considérablement lors~'ll s'agit de l'ensemble des écrits d'un seul et mGme écrivain.

C'est pourquoi, i l faut, dans la recherche conc~te,

partir de

ti

lfalyse de chacune des oeuvres de celui-ci ( ••• )

1. L. Goldmann, Pour une SOCiologie du roman, p. 352, (souligné par l'auteur).

(5)

4

Et, avec Dumesnil, nous trouvons dès ses écrits de jeunesse, "les trois cycles auxquels on peut rattacher toutes ses oeuvres: un cycle sentimental, où prédomine l'autobiographie; un cycle philosophique et

enfin un cycle satirique et moral ( ••• )" Salammbô fait partie du

"cycle philosophiquell

, même si nous préfèrerions ici Wle autre

appel-lat ion , alors que Madame Bovary et L'Education sentimentale se ratta-chent au "cycle sentimental". Il est donc normal que Salammbô, étant par nature différent des autres romans de Flaubert, ne puisse être

mesuré à la même aulne qu'eux, et que toute tentative dans ce sens le

défavorise en le faisant para~tre incomplet ou de qualité inférieure.

Malgré les apparences, Salammbô ~'est ni historique, ni

réa-liste; c'est plutôt une allégorie qui nous fait penser au nouveau roman ou à certains films modernes dont la trame, presque sans

his-toire, est prétexte à exposer une vision du monde:

Lorsqu'elle parut il y a cent ans Salammbô était déjà une "superprOduction" ( ••• ) Au Cinémascope nous

pre-nons un plaisir visuel et tactile (.~.) qut2,st celui

auquel Flaubert consacrait tout son art.

Visionnaire de génie, Flaubert êtait en avance sur son époque qui chercha en vain dans ce roman à retrouver les modèles connus:

"Flaubert écrivait le nouveau roman de 1860" (3) et il en était

conscient; nous en avons la preuve dans une lettre qu'il écrivit le 23 janvier 1858 à mademoiselle Leroyer de Chantepie:

1. R. Dumesnil, Gustave Flaubert, l'homme et l'oeuvre, p. 341.

2. R.-M. Albérès, Histoire du roman moderne, p.

53.

(6)

Le livre que j'écris maintenant sera tellement loin des moeurs modernes qu'aucune ressemblance entre mes

·héros et les lecteurs n'étant possib1e, i l

intéresse-ra fort peu. On n'y verra aucune observation, rien

de ce qu'on aime généralement.

<2,

sera de 11Art, de

l'Art pur et pas autre chose.

Malgré un succEls populaire auque1 f i s'attendait peuJ) les

réactions prévues par l'auteur se produisirent et 1'opinion répandue

alors am~ne encore bien des spécialistes l cODSidérer SalammbS connne

une oeuvre médiocre qui ne mérite &~re d'attention et qui nIa en sa

. . faveur que le nom de 11 auteur et une certaine beauté plastique assez

mystérieuse.

Or" pensons-nous, Salammbô fut dédaignée mrl.qu.ement parce

qu' on a voulu y trouver autre chose Q1J8 ce qu'elle contenait. Pour

parvenir! une vision exacte de ce ranan, respectant sa valeur et son esprit, il faut l'aborder globalement et en 11li..-Êli1e, abstraction

faite des connaissances acquises par l'étude des autres romans de

Flaubert. C'est ce que nous tenterons de faire dans ce travail.

Nous étudierons Salammbô comme un tout, cherchant, par une

lecture approfondie et détaillée, la clef qui nous en pennettra une

compréhension v'ritable. Nous ne regarderons l'auteur, dans sa

per-sonnalité, ses intérêts et sa tie, que pour apporter certains

éclair-cissements; de m3me, les autres ranans de FlaIibert ne serviront qu.'

oc-casionnellement

a

comparer des données; ~t aux ouvrages critiques

déj! publiés, ils seront utilisés pour fournir des précisions ou des

points de vue compl~ntaires. La base véritable?de cette thase est

(7)

, - - - ' 6

le texte lui-même qui alimentera la recherche et servira

a

vérifier l'exactitude des éléments d6couverts et des hypothases formulées.

~Tous nous servirons cependant de travaux porlant sur les éléments constitutifs de l'oeuvre ou sur son ensemble, ainsi que d'études en structuralisme, en symbolique ou en psychologie.

Nous négligerons volontairement de reprendre les aspects déja traités abondamment, comme la sexualité ou les points de vue dans

SalammbS; nous ne reprendrons pas non plus l'étüde détaillée des ima-ges, ni l' analy'se des symboles: D.L. Demorest, dans L'Expression figurée et symbolique dans l'oeuvre de Gustave Flaubert, l'a fait d'une ma.niare magistrale. Mais en nous basant sur de nombreux élé-ments contenus dans ces travaux, nous étudierons la composition de SalammbS dans sa totalité, en nous attachant au motif de la pyramide

qüe nous considérons connue le modale structural et la clef d'inter-pr'tation de cette oeuvre.

Pour commencer, nous relaverons rapidement les éléments qui

auraient poussé Flaubert

a

écrire ce roman, qu'Us soient internes et dus

1

sa personnalité ou qu'ils proviennent de son éducation, du con-texte de l'époqne ou des influences subies durant sa vie, pour véri-fier l'authenticité de cette oeuvre dans l'acception existentialiste du mot. Nous suivrons ensuite sa gestation et sa création avant de l'aborder en elle-même, ! la recherche de sa structure et de son dy-namisme interne qui nous en livreront le ressort caché.

Les rapports entre les chapitres seront observés autant du point de vue de leur aspect triangulaire que de leur parallélisme et de l'influence du point culminant du récit. Pour vérifier la

(8)

cons-tance et l'imporcons-tance de la fonne pyramidale qui soutient la struc-ture de SalammbS, nous en regarderons certains détails tant épiso-diques que littéraux. Puis nous verrons dans les chapitres et dans les événements le rythme, le mouvement, qui anime le roman et qui en assure l'évolution dynamique.

Après avoir montré l'importance de la structure triangulaire, nous rechercherons la présence du thame pyramidal dans l'oeuvre, et sa signification reliée 11a trinité qui unit, et A la dualit~ dans laquelle s'opposent des forces contraires. Nous relirons aussi l'oeuvre sous l'éclairage de la structure et du th~me pour vérifier l'exactitude des données découvertes, et pour en comprendre la signi-fication symbolique, avant d'envisager l'hypoth~se de la fin heureu-se qui confirmera la justesse de l'interprétation avancée.

Nous nous pencherons enfin sur l'unité du fond et de la forme; nous verrons que le style s'adapte au sujet traité aussi bien dans la rédaction m8me des paragraphes que dans l'utilisation des temps de la conjugaison et dans le rythme des phrases.

Et nous concluerons en étudiant l'aspect "nou.veau roman Il de

l'oeuvre et en montrant que SalammbS, par sa structure comme par sa thématique, par son symbolisme comme par son style, correspond

a.

la personnalité de l'auteur et

A

son idéal littéraire d'unité entre la forme et le fond. Ainsi, nous espérons prouver que SalammbS renate Gustave Flaubert autant, sinon davantage que ses autres chefs-d'oeu-vre, et qu'elle mérite une attention spéciale par son caract~re d'oeu-vre symbOlique différent des autres romans de l'auteur. Car avec Sa1a.nnnbô, Flaubert a réalisé son r6ve: "un sujet qui se tienne

(9)

sus-8

pendu par lui-m3me, pur de toute attache d'actualité, et qU'on puisse traiter du point de we unique du stylel! (1), et il nous a donné un chef-d'oeuvre classique, .un1versel dans le temps et dans l'espace, en ~posant, sur les deux 6tages inférieurs de la reconstruction

his-torique et du style, la pointe de la pyramide, la pointe humaine." (2)

1. A. Thibaudet, Gustave Flaubert, p. 131. 2. ~, p. 13.5 - 136.

(10)

"

CHAPITRE l.

Le livre que Flaubert devait écrire.

Lorsque l'on parle de Gustave Flaubert, c'est presque

tou-jours pour citer Madame Bova:;r ou L'Education sentimentale; Salammbô est considérée comme une oeuvre mineure. Encore un peu, et l'on

ex.-cuserait Flaubert de l'avoir écrite •

. ~

Certes,

1

premi~re vue, Salanmlbô nous surprend, et nous nous demandons si c'est bien l'oeuvre de Flaubert. Ce n'est peut-être pas l'oeuvre du Flaubert que la renommée a popularisé, mais Salammbô, c'est Flaubert; nous y retrouvons sa personnalité, sa méthode de tra-vail, et le roman lui-même répond, par l'unité entre la forme et le fond, ! l'idéal littéraire de l'auteur, en même temps qU'il exprime son drame intime, sa philosophie de l'éChec. Salammbô est, d'un cer-tain point de vue, le chef-d'oeuvre de Flaubert, et, pour moi, il in-carne l'auteur, mieux que tous ses autres écrits.

Nous y retrouvons ses goûts profonds: l'exotisme, les actions glorieuses, l'attrait de la mort, l'amour des contrastes. En outre, Salarmnbô permet

à

Flaubert de donner libre cours

à

son caract~re vio-lent, à sa vive imagination, et d'étancher sa soif d'absolu et de

ly-risme.

Cependant, ce livre vient ap~s Madame Bovary, et le pensum que l'auteur s'était imposé l'a marqué: s'il c~de

à

ses r3ves de

(11)

10

jeunesse, il rndtrise ses élans. Ce sujet qu' il avait pris, écn

t-U

à

madame Jules Sandeau le 14 juillet 1862, "pour (lui) faire pas-ser le

dégo~t

que (lui) aVâ1t inspiré la Bovar.r" (1), n'a rien dl é-trange quant

à

son choiX.

Après Madame BovaryJ dont i l parle ainsi à Louise Colet dans une lettre du 16 avril 1853: "Ce livre me tue; je n'en ferai plus de pareils. ( .... ) On ne m'y reprendra plus,

à

écrire des choses bour-geoises" (2), Flaubert reprend La Tentation de saint Antoine. Mais

cette deuxième version ne le satisfait pas et i l cherche un cadre o-a il se sente plus

à

l'aise que dans celui de son époque; i l se tourne vers le passé qui l'a toujours attiré.

Flaubert a été influencé, dès ses années de collage, par ché-ruel, son professeur d'Histoire, et il a lu et admiré Michelet. De plus, les théories marxistes commencent à introduire une nouvelle con-ception de l'Histoire; concon-ception que Flaubert co~t, car, en 1840,

i l a étudié Hegel. Près de la moitié de ses oeuvres de jeunesse se

situent dans le passé: La Peste à Florence, La Lutte du Sacerdoce et de l'Empira, Louis XI, Rome et les Césars, etc.

Par ailleurs, l'Orient et l'Antiquité sont

à

la mode. Napo-léon Bonaparte, par ses conquStes, et surtout la campagne d'Egypte en 1798-1799, a lancé le mouvement; d'autres ont suivi, parmi lesquels Hérimée et ses poèmes (Guzla. en 1827), Victor Hugo et Les Qrtentales en 1829, Lamartine et son voyage de 1835.

1. G. Flaubert, Oeuvres, T. IX., p. 393.

(12)

Les années qui ont précédé Salammbô ont vu une foule d' cau-vres traiter de l'Orient: Fromentin publie ses notes de voyage en Afrique du nord: Un Eté dans le Sahara, qui paratt de juin

A

décem-bre 1854 dans La Revue de Paris, sera suivi d'Une Année dans le Sahel. Théophile Gauthier annonce Le Roman de la momie et Louis Bouilhet fait éditer en 1851 un conte romain, Melaenis. L'année suivante, ce sont les Poames antiques de Leconte de Lisle, et en 1855, les poames de Louis Ménard s'inspirent aussi de sujets antiques.

Chez'les historiens, le même intér6t se manifeste: ~ pu-blie en 1843-18lt4, une Histoire des Romains, suivie en 1851 d'une

!!!!-taire des Grecs. En 1855 pardt l'Histoire générale et systame com-paré des langues sémitiques de Renan. Puis, en 1856, c'est Taine et son Essai sur Tite-Live.

En peinture l'Orient et l'Antiquité sont aussi de mise. Ci-tons seulement Delacroix: "lmsacre de Scio", exposé en 1824, et la

"lo1ort de Sardanapale ". (1)

Tout concourt, le goût de l'époque et l'intér3t personnel de Flaubert, sans parler de son voyage en Orient de 1849 à 1851, pour le pousser

a

écrire un roman dont le cadre serait l'Antiquité orientale. Rappelons encore l'influence possible de Louise Colet, dont un p03me, l'Acropole, a bénéficié de la critique constructive de Flaubert

du-rant les mois de février à juin, et même septembre 1853, alors qu'il était plongé dans la rédaction de Madame Bova;y.

1. Pour le titre de ces tableaux, je me suis fié au Dictionnaire critique et documentaire de E. Bénézit.

(13)

SalammbS est, parmi ses romans, celui que Flaubert a dil le plus apprécier, par sa situation dans le temps et llespace, comme par la liberté qu'il avait d'y développer plus

a.

l'aise ses th3mes favoris.

D6j! en 1838, il écrivait dans ses Mémoires d'un fou: ( ••• ) je r3vais de lointains vqyages dans les con-trées du Sud; je voyais l'Orient et ses sables

irilmen-ses, ses palais que foulent les chameaux avec leurs clochettes d'airain; je voyais les cavales bondir vers l'horizon rougi par le soleil; je voyais les va-gues bleues, un ciel pur, un sable d'argent, je sen-tais le parfum de ces océans tiades du Midi; et puis, près de moi, sous une tente, ! l'ombre d'un alœs aux larges feuilles, quelque femme à la peau brune, au re-gard ardent, qui m'entourait de ses deux bras et me parlait la langu~des houris.

Le soleil s'abaissait dans le sable, les chamelles et les juments dormaient, l'insecte bourdonnait

a.

leurs mamelles, le vent du soir passait près de nous.

Et la nuit venue, quand cette lune d'argent jetait ses regards piles sur le désert, que les étoiles brillaient sur le ciel d'azur, alors, dans le silence de cette nuit chaude et embaumée, je r3vatf)des joies infinies, des voluptés qui sont du ciel.

12

Ainsi nous voy'o~ que, ~ ans avant SalammbS, Flaubert rGve déjà de ces paysages exotiques où il croit trouver le bonheur. Et en 1846, diX ans encore avant le roman carthaginois, i l écn t !

Louise Colet: "Je lis le voyage de Chardin pour continuer mes études sur l'Orient, et m'aider dans un conte oriental que je médite depuis dix-huit mois." (2) A son retour d'OrieJOt, le 9 avril 1851, alors

1. G. Flaubert, Oeuvres, T. l, p. 265. 2. ~, T. IV, p. 89.

(14)

qu'il est

1

Rome, Flaubert écrit

l

Louis Bouilhet:

Je devienà fou de désirs "effrénés" ( ••• ) Un livre

que j'ai lu

1

Naples sur le Sahara m' a donné envie

d'aller au Soudan avec les Touaregs qui ont toujours la figure voUée comme des fennnes, pour voir la chas-. se aux nElgres et aux éléphants. Je r3ve bayadElres,

danses frénétiques et tous les tint~rres de la

cou-leur. ( ••• ) J'ai des besoins d'or~!~ poétiques.

Ce que j'ai vu m'a rendu éXigeant.

En

1853,

alors qul:p. est plongé dans Madame Bovary, il rGve

1

son prochain livre: "Et bien, moi aussi,· j'en ferai, de 11 Orient

(dans diX-huit mOiS), mais sans turban, pipes ni odalisques, de

110-rient antique. Il (2) "Je remettrai tout dans mon Conte oriental.

Là je placerai mes amoursll (3). La mSme année, i l écrit encore:

t ., 1. 2.

3.

4.

5.

Connne i l me tarde d'avoir fini la Bovary ( ••• ) pour

entrer dans une période nouvelle, pour me livrer au 'tBeau pur"l L'oisiveté où je vis depuis quelque temps me donne un désir cuisant·de transformer par

11 Art tout ce qui est "de moi

Il,

tout ce que j'ai

sen-ti. ( ••• ) Je pense

à

l'Inde, 1 la Chine, 1 mon

con-te oriental (dont il me vient des fragment~~,

J'é-prouve le besoin d'épopées gigantesques.

Les choses que jlai le mieux senties s'offrent à moi

transposées dans d'autres p~ et éprouvées par

d'au-tres personnes. Je change ainsi les maisons, les costumes, le ciel, etc. Ah l qU'il me tarde d'être

débarrassé de la Bovary- ( ••• ) pour me lancer

1

corps

perdu dans un sujet vaste et proire. ( ••• ) Mon

con-te oriental me revient par boutf es; j'en ai des

odeurs vagues qnts,'arrivent et qui me mettent l'âme

en dilatation. .

G. Flaubert, Oeuvres, T. IV, p.

548.

~, T. VII, p.

163.

~, p. 22.2.

Ibid., p.

242,

(souligné par l'auteur).

(15)

14

Cela devient une obsession: il en parle presque dans chaque lettre; en voici un dernier exemple, tir6 d'une lettre

1

Louise Colet, le 2 septembre 185): "Pourquoi cette phrase de Rabelais me trotte-t-elle dans la tGte. ( ••• ): "L'Afrique apporte toujours quelque chose de nouveau"?" (1)

L'année suivante, Madame Bova;y l'absorbe tellement qu'il pa-ratt avoir oublié ce projet. Mais dès la parution de ce premier

ro-man,

l'attrait d'un conte oriental reprend. Et son procès est

A

pei-ne terminé que Flaubert se documente pour Salammbô, dont i l a déj! choisi le cadre:

" -.

Je suis donc occupé en ce moment a prendre des notes pour une étude antique que j'écrirai cet été, fort lentement. Or, cOIl!Jlle je veux m'Y' mettre

1

la fin du mois prochain et 'qUIA Rouen il m'est impossible de me procurer les livres qU'il me faut, je lis et j'annote aux Bibliothèques du ~;in au soir, et chez moi, dans la nuit, fort tard.

Je ne pourrai même cet été faire un tour sur la côte d'Afrique

(a.

Tunis), que j'auraiS bt~,in de visiter pour le travail dont je m'occupe.

Ainsi avec Salamnibô, Gustave Flaubert s'insère dans le courant de son époque tout en écrivant une oeuvre dont le cadre lui. tient

a.

coeur depuis son enfance et lui permet d'assouvir ses besoins d'exo-tisme, de grandiose et de violence.

n

peut 3tre lui-même, donner libre cours

a.

Ges impulsions, bien qu'il contrôle enfin son lyrisme 1. G. Flaubert, Oeuvres, T. VII, p.

258.

2. ~, T. IX, p.

57.

(16)

débordant.

Grace aux multiples lettres où il parle de son livre, nous pouvons suivre la gestation puis la naissance de l'oeuvre.

M3me si le sujet l'intéresse, comme il le répète souvent, Flaubert n'en souffre pas moins du labeur qu'il s'impose:

J'ai bien du mal avec Carthage 1 Ce qui m' inqui~te

le plus, Cl est le fonds, je veux dire la partie

psy-chologique.

C

••• )

Je suis en train d'avaLer la poli-tique d'Aristote, plUS du Procope, plus un poAme la-tin en six chants sur la guerre de Numidie, par le sieur Corippus, lfJf}e1 poame m'emb3te fort 1 }1'ais

en-fin i l le faut 1 \

Je suis perdu dans les bouquins et je m'emb3te, car je n'y trouve pas grand'chose. J',ai déjà, depuis une semaine, abattu pas mal de besogne, mais il y a des fois où ce sujet de Carthage m'effraie tellement (P~2)

son wide) que je suis sur le point d'y renoncer.

Flaubert se lamente ainsi sur la ditficulté de réaliser son projet et sur la somme d'efforts qU'il exige, mais il ne reconce pas et ses moments de découragement font rapidement place à des périodes plus fructueuses. Le 26 décembre 1858, il écrit

à

mademoiselle Le-royer de Chantepie:

Je me suis remis à'iSalanunbô avec fureur. ( ••• ) Je commence le troisi~me chapitre, le livre en aura dou-ze 1 Vous voyez ce qui me reste à faire l J'ai jeté au feu la pré.t'ace, à ;aquel1..e j'avais travaillé pen-dant deux mois cet ête. Je commence enfin

A

m'amuser dans mon oeuvre. ( ••• ) Je ne pense plus qu'à Car-~h~ge et c'est ce qu'il faut. Un livre n'a jama-r:i ete pour moi qu'une maniare de vivre dans un milieu quelconque. ( ••• ) Savez-vous ce qui présentement

1. G. Flaubert, Oeuvres, T. IXi p. 65. 2.

-

Ibid~, p. 68.

(17)

m'occupe 1 les maladies des serpents. (toujours pour

Carthage). Je vais aujourd'hui mGme écrire

1

Tunis (1)

â

ce sujet. . Quand on veut faire

.!!:!!"

il en coilte 1

16

Il lui en coûte en effet. La rédaction de SalammbS lui a pris le m@me temps que celle de Madame Bovary: entre cinquante-cinq et

cinquante-s:lx mois. De plus, l' histoire de Carthage était' mal connue

A

son 'poq\le, et Flaubert entreprend

cians

les bibliothaques de Paris

des recherches qui dureront de six à huit mois, comme i l *iécrit le

16 janvier 1859, à madame Schlésinger.

n

réunit ainsi une

documen-tation t~s abondante. Mais i l hésite longtemps avant d'adopter un

épisode peu connu de l'histoi~ de Carthage, la révolte des

mercenai-res apr~s la premillre guerre punique, de 264 à 241 avant Jésus-Christ,

et qui n'~ été rapporté que brillvement par l'historien grec Polybe.

Durant l'été

1857, l

Croisset" Flaubert revoit la

documenta-tion accumulée: plus de cent cinquante livres pris en note; et i l

en lira bien d'autres durant la rédaction mGme.

n

invente le

pel'-sonnage de SalammbS" qui serait peut-3tre Jeanne de Tourbey, future Madame de Leynes, pour qui Flaubert a eu une passion dont on ne sait

si elle fut récipràque, et i l établit pluSieurs plans de l'r~uvre.

En cours de compos.ition, le nombre de chapitres prévus varie plusieurs

fois: de douze à seize; le livre en comptera quinze. Le titre aussi

varie: de Carthage, i l devient Salannnbô, roman carthaginois avant

d' 3tre SalammbS.

En septembre

1857,

Flaubert entreprend la rédaction des

pre-miers chapitres et i l continue quelques mois. Mais, mécùntent de son

(18)

travail, il s'arrête; ses souvenirs d'Orient l'emp3chent de ~cons­

truire la ville telle que sa documentation la lui sugg~re; il a be-soin de voir et i l décide d'aller en Tunisie pour retrouver, sinon la cité, au moins les ~ouleurs, la lumière, les sites.

D'avril à juin 1858, Flaubert voyage en Tunisie et en Algérie. Il visite durant trois jours les ruines de Carthage dont i l conna1t parfaitement l'histoire, et i l découvre le climat de cette cité, i l

étudie les environs de la ville et recherche les influences de la c1-vilisat10n et de llesprit punique chez les hab1~ants de la région.

De retour en France, il se remet au travail avec enthousias-me, mais il est dévoré par les scrupules: il a bes oin de vérifier la vérité historique de tout ce qu'il écrit, et la perfection du style l'obsède. On peut trouver des témoignages de ces préoccupa-tions dans les lettres de cette période:

Je bûche mon Carthage connne un nègre 1 J'ai un mal de chien t N'importe, ça commence

à

ml amuser. Me voUà au milieu dé mon second chapitre qui sera peut-3tre le premier? Je l'aurai fini dans un mois, et j' espè{l)

avant de rentrer à Paris avoir écrit le troisi~me. • Je me fiche une bosse d'antiquité comme d'autres se gorgent de vin. Carthage ne va pas trop mal, bien que lentement. Mais au moins je VoiS, maintenant. Il me semble que je vais atteindre la Réalitf2) Quant à l'exécution, c'est à en devenir fout .

Grâce aux brouillons conservés à la Bibliothèque Nationale à Paris (1,531 feuillets écrits recto verso) et

à

la correspondance de

1. G. Flaubert, Oeuvres, T. IX, p. 169. 2. Ibid., p. 231, (SOuligné par l'auteur).

(19)

-18

Flaubert, nous savons que les trois premiers ohapitres lui ont pris

sept mois, les trois suivants neuf mois; quant au septiame, il a

exi-gé

à

lui seul huit mois de labeur; pour rédiger les oinq ohapitres

suivants, du hui tiame au douzième, Flaubert a mis douze mois, et il

a oonsaoré neuf mois aux trois demiers. Flaubert reprend, modifie,

supprime parfois, pour progresser

à

raison d'un ohapitre par

quatre-vingts jours en moyenne, sauf pour le sèptième qui a demandé autant de temps que trois autres.

Mais enfin, SalammbS est terminé fin juin ~862. Flaubert

oor-rigera enoore s on texte jusqu'au

5

juillet puis i l le vendra à l'Üchel

Lévy pour 10, 000 F. au mois d'août de la m3me année. Ce sera aussi-tôt le suocès: les 4,000 exemplaires de la première édition sont épuisés en quelques jours et, dès janvier 1863, la troisième édition est sous presses.

Le tout Paris ne parle plus que de Salammbô et de Carthage;

l'Impératrioe demat:de m8me les dessins des oostumes de Salammbô pour

un bal à la cour. lofalgré quelques critiques qui Si attaquèrent à la

véracité historique ou à la morale du livre, celui-ci fut

générale-ment bien accueilli, à la surprise et à la joie de Flaubert, qui

ré-pondit peu aux critiques. Cependant, dans quatre lettres, trop

lon-gues pour Gtre citées, i l montre le soin avec lequel i l siest

doou-menté; ce sont les lettres du 18 décembre 1862, à monsieur Félicien

de Sauley, des 23 et. 24 décembre de la mGme année,

à

Sainte-Beuve,

du 21 janvier 1863, au rédacteur de la Rewe oontemporaine, monsieur

Froehner, et celle du 2 février 1863 à monsieur Guérault. Quant aux

(20)

nographique, il rend

A

chaque race sa forme de crane, son masque, sa couleur de peau, sa taille, son

habi-tude de corps,

fi'

tempérament, son caractère

physi-que et moral.

Cet accueil ne s'est pas démenti au cours des siècles; et si Salammbô est souvent moins citée lorsque l'on parle de Flaubert, elle n'en demeure pas moins lue par le grand public. C'est ainsi qu'en

1958, les auditeurs de la Communauté radiophonique des pays de langue française, ont choisi Salammbô parmi les cent chefs-d'oeuvre de la langue française. La raison, c'est peut-être Louis Bertrand qui nous la donne:

Mais non seulement Flaubert a su donner une image

plau-sible de l'Afrique au cinqui~me siècle avant

Jésus-Christ, il nous en a donné une image toujours vivante,

en nous la représenê~t, si je puis dire, sous ses

aspects éternels.

1. T. Gautier, L'Orient, p. 319.

(21)

20

CHAPITRE II.

La forme structurale de "SalanunbSII

Salammbô est une oeuvre architecturale, bttie selon un plan

rigoureux; cependant, cette construction du roman, i l ne faut point

la chercher dans tous les détaUs du récit, car Flaubert. n'a pas évi-té certaines erreurs internes.

C'est ainsi que, malgré de nombreuses notations de temps qui

sugg~rent une narration précise, le roman se place dans le monde

in-1: temporel des contes de fée ou des récits merveilleux: "C'était l

:r-t~gara" (p. 29), qui nous rappelle le "Il était une fois" tradition-nel. Flaubert, malgré son souci du détail exact, s'est laissé

dis-traire par cet aspect de son oeuvre en écrivant: "depuis trois ans

que la guerre duraitll (p. 387); une lecture attentive permet d'

affir-mer que la lutte de Carthage con,tre les Barbares s'étend sur une

pé-riode de cinq ! siX, ans. (1) ,

Notre intention n'est pas d'analyser ces détails mais d'étu-dier l'aspect général de l'oeuvre pour en découvrir le ressort caché, la clef de vollte, qui en permettrait une compréhension interne. Et

cette clef répond à un dessin typique chez Flaubert, spécialiste du

rythme ternaire: SalBlJllllbô est une pyramide, une construction sur le nombre trois. Nous verrons que ce modale pyramidal se retrouve en

(22)

moyenne une fois par deux pages (1), soutenant également toute la structure des chapitres.

Notons tout d'abord que six chapitres s , inscrivent dans un temps limité et pr6cis, alors que les neuf autres ont une durêe va-gue et très étendue. Les deux premi~res rencontres entre Mâtho et Salannnb8, ainsi que le chapitre trois, Si écoulent en' une nuit (2)

,

le septième chapitre se déroule sur trente-six heures: deux journées et une nuit (3), et le onziame en quarante-huit heures: deux jours et deux nuits (4) i quant au dernier, il se passe en une seule nuit

(5).

Ces chapitres, si on y ajoute le treizième, constituent les

charnières de Salammbô, autour desquelles s'articulent les diverses

1. Voir appendice lIb, p.

82.

2. Chapitre l (Le Festin): "La nuit tombait" (P. 32), "Il (le soleil) parut" (P. 47);

"les nuits" (P. 111),

"Le soleil st était levé" (p. 125); Chapitre V (Tanit):

Chapitre III (Salamrnbô): ''La lune se levait" (p. 77),

IIDéjâ les oiseaux chantaient" (p. 86). 3. Chapitre VII (Hamilcar Barca): "un matin" (P. 152),

"La nuit était sombre" (P. 159), "Le soleil ( ••• ) montait"

(P. 172),

"quand le soleil fut ( ••• ) couché" (P. 196).

4.

Chapitre XI (Sous la tente): "Le ciel commençait ! blanChir"

5.

Chapitre XV (Mâtho):

(P.

254),

"le jour tombait" (p. 256), "Avant le jour" (p. 257), "La nuit descendait" (p.

258),

"Le brouillard, déchiré par les rayons du soleil" (p. 273). "Bien qU'il ne dût parattre qui! la

fin du jour" (P. 390),

(23)

~:"'_'. __ 'T"*" _ _ _ ~"". _____ "_""'_'""I'",,,_~,,,,,,,,.~_~,,,,,, .. , ~ ... - .. <~ ,." .... , .~~ ... _, ••.••. , . • • • • . • • • ,. , • ., ~'. , •••.• , . , ... , • • • • " . , ... ~.-_. -•••. _ _ . _ . - .

22

péripéties du récit. Nous voyons ainsi trois groupes de cinq chapi-tres ponctués par les renconchapi-tres de M1tho et de SalammbS, qui tour-nent autour du septiame chapitre pour fomer les deux versants d'une P,yTamide, de telle maniare que chaque épisode, constituant la montée vers le sommet, trouve son correspondant lors de la descente vers l'épilogue.

Nous devons cependant accepter une distorsion quant

a

la ré-partition des chapitres du deuxiElme groupe, pour établir la concor-dance des événements: les chapitres huit, neuf et dix correspondent tous trois au sixième Chapitre. Ceci s'expliquera en étudiant la si-gnification de l'oeuvre et l'influence du récit sur la construction.

Nous pouvons tout de m3me déj! constater que l'addition de deux

cha-, '. pitres, les neuvième et dixième, assurent trois cycles composés d'un même nombre de chapitres, et que ces chapitres additionnels relatent des événements moins importants de l'oeuvre, car le roman se compose . essentie~ement des quatre rencontres entre las deux personnages

prin-cipaux. Ces quatre temps forts rythment le récit: ils encadrent trois séries d'événements, chacune comptant cinq chapitres groupés autour d'un personnage central, la divinité qui les influence. Le premier et le troisiame cycle forment la base de la pyramide, quant au second,

i l en constitue le sommet.

Nous avons ainsi:

l lare rencontre

In

SalammbS (Tanit)

v

2ème rencontre

(24)

v

2ème rencontre XI 3ème renoontre VII Hamiloar (grand pr3tre du soleU) (EsohmoGn) XIII Molooh XI 3ème renoontre 4ème rencontre A la première série correspond la troisième; toutes deux sont centrées sur Carthage, alors que la deuxième se déroule au loin, dans la plaine que paroourent les Barbares.

Nous voyons d'abord la ville sous l'influenoe de Tanit, p~s

les Barbares guerroyant aux frontières, et enfin la ville qui se

tour-ne vers Moloch. La symétr~e est parfaite entre le premier cycle et

le troisième" si l'on se rappelle qu' U S 1 agit d' une pyramide et que

le premier chapitre correspond au dernier.

l XV A Carthage: rencontres Mitho/ SaJ.ammbS, séparés par la II

XIV

Les Barbares s'élOignent de Carthage. foule des Barbares (I), des Carthaginois (XV). III IV XIII

XII

Influence Les Barbares

d'un entourent dieu: Carthage. Tanit (III)" Holooh (XIII). v XI Renoontres Mâtho/ SalammbS: ohez elle: (V), chez lui: (XI); seuls puis séparés par l'intervention de pers onnes armées; prise du za.!mph par Mitho (V), par SalammbS (XI).

(25)

24

Quant au cycle central, sommet de la pyramide, il est le point tournant de l'action, déterminé par la décision d'Hamilcar Barca de diriger les forces de Carthage. Flaubert souligne l'importance de cet épisode en nous montr&lt la volte-face d'Hamilcar qui, ap~s un refus catégorique, s'offre pour conduire la guerre contre l'armée des Barbares.

(1)

Ce revirement, Flaubert le prépare symboliquement par la cola..; re d'Hamilcar qui brise sa tiare et se voue

1

Moloch

(P. 171),

et l'ez-plique par vingt-sept pages au long desquelles Hamilcar découvre pro-gressivement le vandalisme des Mercenaires.

La suite du roman ~écoule de cet instant, à partir duquel nous allons parcourir

1

rebours le chemin accompli jusqu'ici. Chaque

évé-nement du premier versant de la pyramide sera revécu sous un éclaira-ge nouveau. Cependant, comme Flaubert sent le besoin de préparer le lecteur à cette descente, i l ajoute deux chapitres de moindre impo~

tance, afin de ménager ses effets et de permettre un certain repos

ap~s le tragique de la scane où l'attitude d'Hamilcar détermine la

1. Nous lisons aux pages 169 e~ 170:

tlBarca, Carthage a besoin que tu prennes contre les l{ercenairee le commandement général des forces puniquesL

- Je refuse, répondit Hamilcar.

- Nous te donnerons pleine autorité L crièrent les chefs des

Sys-sites. - NonL

- Sans aucun contrôle, sans partage, tout l'argent que tu voudras, tous les captifs, tout le butin, cinquante zerets de terre par cadavre d'ennemi.

- Non L non 1 parce qu'il est impossible de vaincre avec vous LII Et,

à

la page 196, nous trouvons une position totalement diffé-rente, de la part d'Hamilcar:

tlLumières des Baalim, j'accepte le commandement des forces

(26)

conclusion du récit. En somme" Flaubert étire en trois chapitres la mise en marche du retour: les événements qui ont lieu entre le début de"La Bataille du Macar" et l'épisode "Sous la tente", cor-respondent exactement

1

ceux narrés dans le chapitre intitulé "Hannon".

De m8me que Harinon se prépare

1

la guerre puis quitte cartha.-ge pour vaincre les Barbares p~s d'Utique grice

1

ses éléphants, Hamilcar renforce et entratne ses troupes, avec lesquelles i l attaque les Mercenaires p~s d'utique et les écrase 1 l'aide de ses éléphants. Tous deux remportent une victoire de dernitlre minute qui, par la sui-te" 'se révale inutile, les Barbares s'étant ressaisis. Ils se trou-vent finalement encerclés, Hannon dans Utique, Hamilcar dans l'enton-noir d'un sommet de montagne; et les Barba~s prisonniers sont mas-sacrés" la premi«lre fois par Hannon, la seconde par les Carthaginois. Les deux séries d'épisodes se terminent par un gros plan sur SalammbS qui se tourne vers Schahabarim dans l'espoir d'obtenir un soulagement

a

ses tour.ments religieux.

Ainsi les chapitres huit, neuf et dix sont le pendant exact du sixitlme chapitre, m3me si les événements Y' sont exposés avec plus de détails, notamment l'inte~de du serpent. Nous voyons ici le souci qU'a Flaubert d'amener les péripéties 1 venir, tout en ménageant une certaine transition entre la montée et la chute des Barbares.

Nous avons donc une construction parfaite du roman: trois chapitres dominés par un personnage central" s'intercalant entre cha.-que rencontre des deux héros.

(27)

26

L'étude de L'Expression figurée et symbolique dans l'oeuvre de Gustave Flaubert, faite par Demorest, .~onfirme en partie cette affirmation (p.

514 s.).

La fréquence des images et des symboles met en relief les chapitres un, trois, sept, dix, onze et quinze. Si l'on admet que le dixi~me chapitre prépare la rencontre sous la tente, et le fait que Flaubert ait voulu disposer le lecteur à cet épisode quelque peu inattendu, l'importance accordée à ce chapitre s'explique aisément. Il ne manque ic~, pour obtenir une concordance parfaite, que les chapitres cinq et treize.

Le roman se réduit ainsi à sept chapitres: quatre épisodes importants, les rencontres entre H~tho et Salammbô, séparés par trois groupes de chapitres, chacun étant constitué de deux interm~des domi-nés par la présentation du personnage qui influence le cJrcle. Le sommet du deuxi~me cycle est aussi celui de l'ensemble, ce qui lui

coni~re une importance prépondérante.

.

... .

Schématiquement, le roman peut se présenter ainsi: Hamilcar • grand prêtre du soleil (Eschmoûn)

VII Hâtho + Salammbô (interm~de ) Salannnbô· III Tanit (interm~de ) Hâtho + Salammbô (intermède) Hâtho + Sala.nunbô (interm~de ) .\.III Holoch = Nâtho (interm~de ) Sala~nbô + Mâtho

(28)

Voyons maintenant la distribution des chapitres.

(1)

l II ;rII IV

v

A Carthage XV

dans la foule des Barbares en f3te, SalammbS descend du palais et st approche de Mitho.

MAtho se lance

à

la pour-suite de SalammbS qui dis-paratt

1

l'horizon.

Les Barbares quittent XIV Carthage,

ca

les

retar-dataires sont massacrés. Ils rencontrent les lions crucifiés.

Hannon les rejoint et doit se sauver.

Une nuit de Salammbô et XIII l'influence de Tanit,

déesse de Carthage. $cbahabarim, grand pr3-tre de Tanit.

Les Barbares arrivent.

Les Barbares entourent XII Carthage, leur révolte.

Giscon fait prisonnier. Matho entre dans la ville par l'aqueduc.

~tho st empare du za!mph; XI 11 pénEltre dans le temple

de Tanit, puis dans la cham-bre de Salammbô. Celle-ci empGche ses esclaves de tuer Hâtho qui emporte le za!mph dans le camp des Barbares. Salammbô maudit Mâtho.

1. Voir appendice III, p. 83.

A Carthage

dans la foule carthaginoise en fête, Mttho descend de l'Acropole et s'approche de Salammbô.

SalammbS s'avance vers Mitho qui lui écha.ppe dans la mort oà elle le rejoint.

Hamilcar quitte Carthage. Les Barbares lavent le siage pour le poursuivre.

Ils sont massacrés et les chefs sont crucifiés.

Hamon est défait par 1-1âtho. qui succombe devant Hamilcar et le peuple carthaginois. Hamilcar défend la ville con-tre les assauts des Barbares. Un jour consacré au sacrifice

à Moloch et l'apostasie de Schahabarim.

Perte d'importance de Tanit et de SalammbS.

Les Barbares reviennent assié-ger Carthage.

Mort de Giscon. L'àqueduc est coupé.

SalamMbô reprend le za!mph; elle pén~tre dans le camp des Barbares puis dans la tente de Matho.

Elle ni ose tuer Matho et

rap-porte le zafmph dans le camp Carthaginois.

(29)

28

VI Les Barbares ~ittent

Carthage pour mener la guerre aux fronti~res.

Les Carthaginois se pré-parent a. la guerre. Victoire puis défaite

X Schahabar:iJTl influence Salammb8.

.

..

de Hannon.

IX Hamilcar porte la guerre aux frontiaresj il est encerclé. Schahabarim ne quitte

plus SalammbS.

VIII Carthage se prépare

a.

la guer.:.;. re. Victoire d'Hamilcar • VII Retour d'Hamilcar. I l

re-fuse, puis accepte de

diri-ger les forces de Carthage contre les Barbares.

Hamilcar"brise sa tiare.

Nous assistons a. la montée de la puissance des Barbares tout au long de la premi~re partie du roman, puis a. leur lente déf8.1te,

jusqul! la chute finale, dans la seconde moitié du récit.

Ainsi, chaque épisode annonce son reflet et chaque marche franChie, doit 3tre redescendue. Ceci est particuli~rement sensible dans les quatre épisodes principaux: les rencontres de SalammbS et de Matho (chapitres

l

et

XV,

V et

XI).

M3me si le parallélisme et les liens existant entre ces

qua.-tre épisodes ont déja. été soulignés (1), nous allons reprendre cer-tains points, en nous attachant aux chapitres cinq et onze qui ont été moins souvent étudiés.

La visite de Matho chez Salammb8, comme celle de Salammb8 sous la tente de Mâtho, est préparée au chapitre précédent: Spendius entratne Matho dans Carthage ap~s lui avoir fait jurer obéissance

1. Citons,

à

titre d'exemple, l'étude faite par J. Rousset dans: nPos1tions, distances, perspectives dans Salammb8, Poétigue,

(30)

(p. 105), de mSme que Schahabarim fait pr8ter sennent 1 SaJ.ammbS qu'il a convaincue de se rendre au camp des Barbares (P. 247). Les deux héros sont guidés tout au long du chemin, puis laissés seuls, face

1

face, a~ant de retrouver leur compagnon au début de leur fuite avec le za!mph, fuite qu'Us te1.1J1ineront individuellement pour se re-trouver en sureté au milieu de leur camp.

Mais le parallélisme n'en reste pas au niveau de la trame gé-nérale du roman, 11 se retrouve dans les détails eux-mSmes: C'est de nuit que 11 un et l'autre entament et terminent leur périple, et tous deux sont surpris par l'apparition de leur visiteur. (1) Leur tra- .

jet se passe sans encombre, malgré les dangers encourus, comme Si ils

étaient guidés par une divinité. Suivons-les pas ! pas, et nous ver-rons que, malgré les différences qui tiennent aux nécessités du récit

(le fait, par exemple, que SalammbS met plus de temps que ~Iltho pour accomplir son parcours), les similitudes sont tellement nombreuses qu'il est difficile de nier les liens existant"entre ces deux chapi-tres, le onzi~me étant l'exact reflet du cinqui~e.

Dans les chapitres précédant ces événements, noua lisons: "une sorte de langueur envahit l'armée. ( ••• ) des inquiétudes les prenaient. Matho souffrait d'une tristesse vague" (P. 104); SalammbS, elle, "était troublée par des inquiétudes plus hautes: son grand ser-pent, le Python noir, languissait" (p. 238). Leur décision, précédée dl hésitations: "Les conciliabules, les harangues n'en finissaient pasu (p. 104), est forcée par Spendius pour Mâtho: "si ton coeur

1. rvlttho IIsemblait un dieu sidéral tout environné du firmament" (P. 124); quant! SalammbS{ on aurait dit lIun fantSme dans les pénombres du soir" (p. 259 J.

(31)

30

est intrépidelJ (P. 104) et par Schahabarim pour Salammbô: "Es_tu

prête?" (P. 245) Tous les détails des préparatll's sont également

fixés par leur conseiller: la tenue, le mament du départ

(1),

et

si Matho haletait (P. 104), Salammbô défaillait (p. 247). Quant aux

"ablutions" de Salammbô (P. 249) qui "se sentait mourir" (P. 250),

elles correspondent au trajet dans l'aqueduc (p.

106)

après lequel

l~tho et Spendius "agonisaient" (p. 107). Et si l'idée du sacr:Utlge à commettre "épouvantait" Matho (p. 110), lIune épouvante indéterminée

( ••• ) retenait" Salammbô (p. 245) qui "avait peur de Moloch" (P. 245).

Les similitudes vont se multiplier tout au long du trajet et de la rencontre. En partant, Salammbô et son guide passent pres des citernes (p. 254) par lesquelles sont arrivés Matho et Spendius dont

les "sandales humides ne faisaient aucun bruit" (p.

108),

et leurs

bStes avancent "en enfonçant leurs pieds dans le sable muet" (P. 254)

après avoir parcouru l'''étroit ruban de terre jaune qui, séparant le

golfe du lac, se prolonge jusqu'! Rhadas" CP. 254), et que nous

pou-vons comparer 1 l'aqueduc qui IItraversait obliquement l'isthme enti.er"

(P. 105). Si Matho et son compagnon""tournaient dans les ruesll

(P. 110), pour arriver au temple de Tanit, Salannnbô et s on guide

1. a) Tenue: Matho:

S alammb ô:

b) Moment: Matho:

Salammbô:

"Emporte avec toi un piC de fer, un casque sans aigrette et des sandales de cuir"

(P. 105);

"Il lui indiqua toutes les purifications" (p. 247) et "elle se rappela les ordres de

Schahabarim" (P. 249); ou 'm'après les

re-connnandatil?ns de Schahabarim" (p. 251). 'memain, apr1ls le coucher du soleU, tu

m'at-tendras au pied de l'aqueduc" (P. 105);

"le jour arriva, fixé par Schahabarimll

(p. 248) et "le chant d'un coq retentit" (p. 252).

(32)

"avaient fait un grand détourlt (P. 251) en prétendant aller Itvers un

temple lointain" (p. 256). En cours de route, ils entendent des

a-boiements (1) et Us rencontrarent une fezmne ! la pilosité

abondan-te (2); Spendius tue un prGtre et le guide de Salammbô, un chien

(P. 118 et 251); tous deux traversent, par Itune brache lt (P. 109 et

258), un ouvrage de fortification et, en arrivant, ils aperçoivent

les lueurs

(3).

Quant! la "grosse corde mouillée, froide et Visqueuse (qui)

glissait entre leurs jambes. ( ••• ) un grand serpent noir" (P. 115)

que M!tho rencontre dans le temple de Tanit, elle préfigure le python

qui "battait la cuisse" de SalammbS (p. 250).

La symétrie entre les deux épis odes se retrouve

Meme

au

ni-veau littéral. C'est ainsi qulltUne lampe en forme de galare brtllaitlt

dans la chambre de Salammbô (P. 120) et qu IItUn grand lampadaire en

fonne de lotus ( ••• ) éClairait" la tente de M!tho (P. 260); et leurs

premi~res paroles lorsqu'ils sont seuls, se ressemblent:

"Qu'

est-ce donc?" dit Salammbô (p. 122) et' Mitho demande "Qui es-tu?" (p. 260). Nous lirons encorez' ItEn se retrouvant aux places où il l'avait déj!

vue ( ••• ) Il reconnut la porte rouge

a.

croix noire lt (P. 120), qui

1. 'tOn troupeau de chiens aboya" (p. 110) et "Des aboiements

reten-tirent" (P. 256).

2. tlau milieu ( ••• ) le corps d'une femme ( ••• ) barbue" (p. 112)

cor-respond

à:

"Au milieu, une femme ( ••• ) Ses cheveux blancs ( ••• )

la cachaient 1 demi" (p. 256).

3.

ItMBtho ( ••• ) crut apercevoir ( ••• ) une vague clarté ( ••• ) Le ciel

( ••• ) était couvert de feux" (p. 120) tandis que SalannnbS et son

guide tlaperçurent quantité de petites flammes. ( ••• ) puis ils

(33)

32

correspond à SalammbS traversant le camp barbare: "Elle se rappelait

les avoir déjà vus"

(P. 259).

Puis l1âtho, dont "Les battements (du)

coeur redoubl~rent" (P. 120), et qui dit: "j'aurais abandonné

l'ar-mée ( ••• ) Noie mon âme dans le souffle de ton haleine~" (P. 123),

reprend presque la même scElne:

un

sentait battre son coeur" (P.

259)

et i l s'écrie: "ton haleine a passé sur ma face, et je me délectais

comme un moribond qui boit! plat ventre au bord d'un ruisseau.

( ••• ) j'abandonne l'année"

(P. 266);

il ajoute, en parlant du za!mph:

"J'ai été le chercher pour toi" (p.

122),

"c • était pour te le donne r 1"

(p. 263). Quant! SalammbS, les deux fois, elle laisse passer

l'oc-casion de tuer Mâtho (p.

124

et

268).

Nous retrouvons aussi le même parallélisme dans la scElne où

l'un des héros est endormi; cependant, cette sc~ne se place au début

de la rencontre dans le cinqui~me chapitre, et à la fin, dans le

on-zième: ceci souligne le retour de l'action le long du second versant du roman. SalannnbS "dormait la joue dans une main et l'autre bras

déplié.. ( ••• ) ses paupi~res entrecloses" (p.

122);

"Hâtho ( ••• )

dor-mait ( ••• ) avec un bras qui dépassait le bord de la couche. ( ••• )

ses paupiElres ! demi-closes" (p.

268).

Hême attitude, même réveil:

"la moustiquaire s'enflamma ( ••• ) et SalammbS se réveilla"

(P. 122),

"une lueur effr~ante fulgurait derriè.re la toile" (p. 268); et· même

conclusion de l'épisode: "Malédiction sur toi qui as ( ••• ) Va-t-en~"

(p. 124

et

210-211).

Leur fuite aussi se ressemble. Comparons-les en nous basa."lt

sur celle de r1âtho (p.

125

à

127):

"Le soleil s'était levé (Le jour

(34)

oreilles (il lui semblait que des cris et des pas la poursuivaient, p. 272). Matho, qui ne savait conunent sortir des enceintes, marchait droit devant lui (elle marcha, p. 271 - pour trouver une porte quelque

part, p. 272). On l'aperçut; une clameur s'éleva. Tous avaient

com-pris; ce fut une ( ••• ) immense col~re. ( ••• ) à chacun de ses pas la

rage augmentait (on apercevait Salammbô. Une clameur immense éclata ( ••• ) Les Barbares savaient maintenant qu'elle avait repris le za!mph ( ••• ) et d'autres cris, mais de rage et de vengeance, retentissaient,

p. 275). Les gardes de la Légion galopaient au hasard (Narr'Havas

tourna ( ••• ) coinme s' i l voulait se faire écraser par Hamilcar. ( ••• )

et tous les chevaux ( ••• ) galopaient, p. 273). Les rues se vidaient

à

son approche (sans rencontrer personne, p. 271) et ce torrent

d'hom-mes qui fuyaient, rejaillissait (on aurait dit des torrents qui

s'en-trecroisaient, p. 273); ! chaque détour 11 revenait en arri~re (Elle

tourna sur elle-m~me, de droite et de gauche, au hasard, p. 272).

Matho s'arrêta, palissant comme quelqu'un qui va mourir (Elle avait

peur, p. 272). Il courut jusqu'A la grande porte fermée (une longue

terrasse l'arrêta, p. 272). La ville entière hurla (les cinq armées

( ••• ) trépignaient et hurlaient, p.

275),

i l retira de son cou le

grand za!mph et l'éleva sur sa tête le plus haut poss ible (alle dé-ploya le za.!mph, p. 275) et le peuple, sur les murs, regardait (le

tour entier de la montagne couverte de soldats, p.

275)".

Il serait possible de dresser le même tableau de correspon-dances entre les principaux éléments de cette oeuvre; par exemple,

le costume porté par Salannnbô est, ! peu de choses près, le nreme lors

(35)

34

sc~ne

finale du roman. (1) De plus, Flaubert souligne encore une fois. le mouvement d'aller et retour qui travers e s on livre: Salannnbô, décrite en vue plongeante au premier chapitre, l'est en contre~plongée

à la fin du récit.

Ainsi, Salammbô est bâtie suivant une architecture rigoureu-se. Jean Rousset, en analysant l'aspect symétrique du roman, princi-palement au niveau de l'introduction et de la conclusion, a montré l'importance des deux axes sur lesquels est construit ce roman: l'axe horizontal et l'axe vertical, la base et la hauteur de la

1. La coiÏfure de Salanunbô est sophistiquée:

"Sa chevelure, poudrée d'un sable violet, et réunie en forme de tour",

IIElle avait une coiffure faite avec des plumes de paon étoUées de pierreries".

Son corps est couvert de bijoux:

"Des tresses de perles ( ••• ) un assemblage de pierres Imnineu-ses" ,

IIqui luisaient comme de la nacre ( ••• ) des pendeloques d'escar-boucles ( ••• ) étoilées de pierreries";

et "Ses bras, ga~is de diamants" deviennent: "avec des cercles de diamanta au haut des bras".

Sa parure suggare la même comparaison:

"imitant par leur bigarrure les éCfl.illes d'une murène", "imitant les éca.illes d'un poisson');

et la même image stellaire: "étoilée de fleurs", - "étoilées de pierreries". Quant à son manteau, nous lisons:

"son grand manteau ( ••• ) tratnait derrière elle",

"un large manteau ( ••• ) retombait derrière elle" (p.

40

et

392-393).

En outre, la similitude dépasse la simple description.

Salannnbô sort tout à coup de son palais (p.

39

et

391)-

aperçue de loin, elle se rapproche lentement, suivie d'un cort~ge de prê-tres.

Cette présentation préc~de de quelques lignes, la description proprement dite de Salammbô; et ce passage compte exactement sept propositions dans les deux extraits: le même nombre que celui des chapitres importants de l'oeuvre.

(36)

pyramide. (1)

Jusqu'ici, nous avons principalement tenté de mettre en re-lief l'axe vertical autour duquel s'articulent les deux versants de l'oeuvre. Nous allons maintenant explorer l'axe horizontal qui re-présente l~ distance séparant les épisodes du récit. Cette distance est celle du temps écoulé; et nIes symétries rendent plus manifeste le changement qui s'opère du début

à

la fin du récit" (2 ) Les

notations temporelles sont nombreuses dans Salammbô: ce sont les multiples adverbes de temps (d'abord, ensuite, tout à coup), mais aussi des observations (la nuit tombait, la lune se levait, le soleil parut), et, surtout, des éléments très exacts (deux jours après, le lendemain, au milieu du jour suivant, le septième jour, en trois jours, on était au mois de Schebaz, en plein hiver). Cependant, cette abon-dance de précisions donne une fausse impression de comptabilité du temps; Flaubert suggère simplement l'écoulement des Jours sans vou-loir dater les événements. Aussi, ne nous attacherons-nous pas

à

étudier en détail cet aspect du roman, car les distances temporelles ne constituent qu'un élément bien partiel de la base architecturale de l'oeuvre; nous nous pencherons plutôt sur le rythme ternaire sui-vant lequel progresse le récit.

Nous avons déjà vu que le roman est constitué de trois grou-pes de cinq chapitres, dominés chacun par un chapitre central qui leur donne le ton. Cet aspect ternaire de l'oeuvre se vérifie au

1. J. Rousset, npositions, distances, perspectives dans Salammbô, poétique, no 6, p. 1115, 146, 147 et 153.

(37)

36

niveau des événements comme à celui des personnages.

Chaque chapitre d'un versant, ayant son correspondant sur l' 8.utre versant de la pyramide, poss~de souvent aussi son écho dans l'un des autres épisodes du récit.

Au premier chapitre, les mercenaires se gavent de nourriture, comme s'ils prévoyaient la famine du défilé de la Hache, et leur van-dalisme prépare l'inventaire que fera Hamilcar. L'annonce des noces de Hâtho et de Salammbô (p.

45)

sera rappelée au onzi~me chapitre

(P. 252) et la scène où Spendius accompagne I-iatho au sommet du palais se répétera au cinquième chapitre: "Te rappelles-tu cette fois, au soleil levant, où, sur la terrasse de Salammbô, je t'ai montré Car-thage?" (p. 109)

Pour éviter une énumération fastidieuse, nous ne regarderons que quelques éléments significatifs. Le massacre des Baléares et la fuite de Hannon; au deUXi~me chapitre, annoncent le chapitre six où Hannon fait tuer les prisonniers puis se sauve de nuit. Quant au chapitre suivant, dominé par Tanit, il prépare le diXi~me.

Nous voyons encore des mercenaires s'éloigner trois fois de Carthage (chapitres II, VI, XIV), les forces puniques trois ~~is en-cerclées: les sièges de la ville aux chapitres IV et XII et les trou-pes d'Hamilcar au neuvième chapitre, les Barbares trois fois vaincus et trois fois retrouvant leur vigueur (chapitres VI, VIII, XII). Il Y a aussi les trois armées barbares devant Carthage, Utique et Hippo-Zarite (chapitre VI, p.

133)

ou le massacre des mercenaires sortis du défilé de la Hache qui se fait en trois temps: "ils se trouvaient

(38)

enveloppés", "deux syntagmes" et "quatre cents des plus solideslt

(P. 363 à 367).

Et le cinqui~me chapitre annonce le dernier où Mâtho descend de l'Acropole pour se retrouver sur la place dé Khamon, ap~s avoir traversé la ville au milieu des Carthaginois en fureur. Cette place de Khamon est prédestinée, car c'est là que furent mass'acrés les Ba-léares au début du récit et qu'eut lieu le sacrifice à Moloch. Trois fois, elle fut témoin de mises à mort par les Carthaginois.

Nous vqrons aussi que les trois premières rencontres de Salamrnbô et de Mâtho sont suivies d'une période d'abattement pour l'un des deux personnages:

"l1âtho, nu connue un cadavre, était couché à plat ventre sur une peau de lion, la face dans les deux mains" (P. 62); et i l "pleu-rait ainsi dans les ténèbres" (P. 64);

"r.fâtho poussait de grands soupirs.

n

se couchait à plat ventre;

i l enfonçait ses ongles dans la terre et il pleurait" (p. 140),

"Soudain elle (Salammbô) éclatait en sanglots, et elle restait étendue sur le grand lit fait de courroies de boeuf, sans remuer, en répétant un mot toujours le m~me" (P. 240).

Cette triple répartition des événements se retrouve au niveau des personnages. Le roman est dominé par les figures de Matho,

Salammbô et Hamilcar. Matho est accompagné de Spendius et représen-te les Barbares; Salammbô, conseillée par Schahabarim, symbolise Car-thage; et Hamilcar, remplacé au début du rODUUl par Giscon, s'oppose à Hannon et joue le rôle d'arbitre que symbolise Narr'Havas. Ainsi chacun des deux héros forme une trinité: lUi-m@me, son confident et conseiller, et la foule qu'il incarne. Quant à Hamilcar, i l consti-tue le trait d'union entre Hâtho-Moloch et Salammbô-Tanit, ce qui en

(39)

fait déj! une figure triangulaire; en outre, i l est mis en relief par Hannon, son antith~se, et son rSle d'arbitre est représenté par

Narr'Havas qui indique le cSté vers lequel penche momentanément la balance. Nous le voyons d~s le dèbut de l'oeuvre s'opposer! Matho, en lui transperçant le bras de son javelot. Il réapparattra lorsque Matho se sera emparé du za.!mph, pour changer de camp en mSme temps que les faveurs du sort; il restera alors au cSté d'Hamilcar jusqu'! la scElne finale de la mort de Mâtho et de SalammbS.

La structure de SalammbS est donc bien celle d'une pyramide batie sur les nombres deux et trois qui donnent les deux versants et les trois cStés de la figure, tracée suivant deux axes, un vertical et un horizontal.

Victor Brombert a relevé cette géométrie de l'oeuvre: "The architectural obsession is particulary striking. Numerous passages suggest a raal choreography of geometric figures and patterns." (1) Pour lui, comme pour bien d'autres, l'oeuvre est dépersonnifiée

(2),

et SalammbS est un roman de l'immobilisme

(3);

cette

dépersonifica-1.

2.

"L'obsession architecturale est particuliElrement frappante. De nombreux passages suggElrent une véritable Chorégraphie de figu-res et d'exemples géométriques." V. Brombert, The Novels of Flaubert, a Study of Themes and TeChniques, p.

106

(traduction iibre ).

n( ••• ) cette oeuvre profondément empreinte d'un esprit de "déper-sonnification" ( ... )" D.L. Demorest, L',%:ression figurée et sym-bolique dans l'oeuvre de Gustave Flaube ,p.

511.

"An uncanny sense 01' innnobility pervades the novel.n ("Une

étran-ge sensation dl immobili té imprègne le roman.") V. Brombert, The

NovaIs 01' Flaubert a Stud of Themes and Techni ues, p. 108

(40)

tion et cet immobilisme sont réels au point de vue du récit, car la psychologie des personnages est réduite au minimum et, malgré les nombreux déplacements, les batailles et les marches des armées, il se passe peu de choses dans le roman. Cependant, en lisant l' oeuvre au plan symbolique, nous devons reconnaître qu'elle met en scène des per-sonnages plus réels que les héros présentés, et que le véritable mou-vement se situe dans la structure: ce n'est plus une histoire humai-ne qui est contée, mais l'aventure cosmique, éterhumai-nelle, de l'humani-té; "Notez

ci

1 ailleurs que l'âme de cette histoire est N:oloch" (1)

,

écrit Flaubert qui nous situe ainsi de plein pied dans la sphère supra-naturelle de son oeuvre. Victor Brombert lia senti en y décou-vrant lia fusion of movement and imIllobili ty symbolizing a cosmic rhythm and necessity." (2 )

Roman de l'immobilisme, Salammbô vibre cependant selon un

mou-vement intemporel; nous y voyons la pulsation du cosmos, la respira-tion éternelle de l'aller et retour. Ainsi, ce monument artistique, apparemment innnobile dans le temps, est traversé' par le courant fon"'~

damental de la vie: montée, hésitation, chute. Ce rythme ternaire qui se retrouve autant dans les détails de composition que dans l'en-semble de la structure, répond au motif du triangle, de la pyrrunide, qui domine Salmnmbô et lui donne sa signification profonde.

1. G. Flaubert, Oeuvres, T. IX, p.

43,.

2. "une fusion du mouvement et de l'immobilité symbolisant un ryth-me et une fatalité cosmiques. Il V. Brombert, The Novels of

Flaubert, a Study of Themes and Techniques, p.

106

(trâduction libre).

Figure

TABLE  DES  HATIERES

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