recherches, font apparaître des questionnements et un besoin de construire du sens autour de
ces pratiques floues et ainsi d’acquérir une véritable culture de l’information. Les élèves sont
interrogés dans leur posture et dans leur rapport au monde (Maury, Etévé, 2010)
365. Au-delà
de penser avec l’information, l’élève contextualise, confronte, partage, construit sa propre
vision de l’information et du monde. L’information intervient comme un moyen, un
instrument pour agir. La culture de l’information est à la fois un pouvoir et un moyen
d’intégration et d’émancipation (Maury, 2012)
366. Son développement passe par la formation
de l’esprit critique. Pour Gérard De Vecchi, chercheur en sciences de l’éducation, faire preuve
d’esprit critique à l’école, c’est permettre aux élèves de développer leur curiosité, donner une
place à une culture du questionnement et au doute, c’est aussi apprendre à mesurer la qualité
des informations. Cela demande du temps, souvent plusieurs années. Gérard De Vecchi
constate que chez l’enfant, la curiosité existe naturellement « et pourtant, on ne la retrouve
plus vraiment au collège et moins encore au lycée ! » (De Vecchi, 2016 : 99)
367. L’auteur
explique que peu à peu, l’élève va acquérir une plus grande ouverture d’esprit, entrer dans une
pensée plus complexe, analyser ce qui l’entoure, trouver de l’intérêt pour les problèmes de
société, observer le monde.
Face aux fausses nouvelles, l’historien Patrick Boucheron explique qu’il y a une
nécessité citoyenne d’aller chercher la part de vérité dans ce qu’on lit ou ce qu’on entend. Dès
le XVII
esiècle, dans certaines gazettes comme Le Gazetier Cuirassé, on trouve ce qu’on
appellerait aujourd’hui des fake news, des bobards, des informations fabriquées. Dans
363 GARDIÈS Cécile, 2011. Culture de l’information, culture informationnelle. Dans : Approche de l’information-documentation. Concepts fondateurs. Toulouse : Cépaduès. p. 187-208.
364 CHANTE Alain, LAVERGNE Catherine de, 2010. L’expression « culture de l’information » : quelle pertinence, quels enjeux ? Dans : CHAPRON Françoise, DELAMOTTE Éric. L’éducation à la culture informationnelle. Presses de l’ENSSIB. 308 p. (Papiers).
365 MAURY Yolande, ETÉVÉ Christiane, 2010. L’information-documentation et sa mise en scène au quotidien : la culture informationnelle en questions. Op. cit.
366 MAURY Yolande, 2012. D’une culture de l’information à une culture informationnelle… au-delà du « penser, classer, catégoriser ». Contribution à la construction des connaissances. Disponible sur : http://slideplayer.fr/slide/187223/ Consulté le 04 octobre 2017.
367 DE VECCHI Gérard, 2016. Former l’esprit critique. 1, Pour une pensée libre : aussi important qu'apprendre à lire, écrire et compter ! Paris : ESF éditeur. 279 p. (Pédagogies).
79
propos de la publication on pouvait lire l’avertissement suivant : « je dois prévenir le public,
que quelques-unes des nouvelles, que je lui donne pour vraies, sont tout au plus
vraisemblables, et que dans le nombre même il s’en trouvera dont la fausseté est évidente ; je
ne me chargerai pas de les débrouiller : c’est aux gens du monde, qui connaissent la vérité, et
le mensonge (par l’usage fréquent qu’ils en font) qu’il appartient de juger et de faire un
choix »
368. Les journalistes ont des méthodes pour démêler le vrai du faux. Aujourd’hui, il y a
une défiance forte face aux médias. Certains produisent du doute, construisent des
controverses, développent des techniques de désinformation. Face aux fausses informations,
les enseignants, doivent permettre aux élèves d’exercer leur esprit critique, faire du doute le
moteur de la connaissance (Boucheron, 2017)
369.
Culture de l’information et apprentissage de la lecture sont, dans l’enseignement du
second degré, portés par le professeur-documentaliste. Ainsi, ils apparaissent comme les
acteurs essentiels d’une pluralité de médiations qui trouve leur espace au CDI.
3.2.3. Médiation de la lecture, une médiation culturelle
Nous devrions davantage écrire : médiations de la lecture et médiations culturelles au
pluriel tant ces médiations sont multiples. Les étudier, consiste en partie à approcher la
maîtrise de l’accès au texte et aux différents contenus. Mais pas seulement. Comment les
lecteurs se comportent-ils face au livre ? Qu’est-ce qui les pousse à lire ? Nous nous
attacherons d’abord à définir ce qu’on entend par médiation culturelle (3.2.3.1.) avant de
définir la double médiation de la lecture : médiation textuelle et médiation d’une pratique
(3.2.3.2.).
3.2.3.1. Définition de médiation culturelle
La médiation culturelle en France, passe par la mise en place de politiques de l’État.
Le rapport Pingaud Barreau
370, par exemple, propose des manifestations culturelles sur
l’ensemble du territoire. La médiation culturelle se manifeste dans les processus rituels,
comportementaux et techniques, par lesquels les individus donnent sens à leur condition
humaine (Caune, 2017 : 102-103)
371. Ainsi, le goût de lire peut être impulsé au travers de
politiques culturelles. La politique culturelle d’André Malraux se retrouve à travers la création
de maisons de la culture, la rencontre et le contact entre les œuvres artistiques et le public et
368 1771. Le Gazetier Cuirassé ou Anecdotes scandaleuses de la Cour de France. Disponible sur : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k10656221/f9.double Consulté le 25 mars 2017.
369 France Inter, « L’invité de 8h20 » et « Interactiv ». 5 avril 2017. Disponible sur :
https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20/l-invite-de-8h20-05-avril-2017 Consulté le 25 mars 2018.
370 PINGAUD Bernard, BARREAU Jean-Claude, Ministère de la Culture, 1982. Pour une politique nouvelle du livre et de la lecture. Paris : Dalloz. 297 p.
371 CAUNE Jean, 2017. La médiation culturelle : expérience esthétique et construction du vivre-ensemble. Op.cit.
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son aptitude à entrer en résonance avec un objet culturel - le livre, une œuvre d’art - et à se
construire, en soi, une bibliothèque ou « un musée imaginaire » (Malraux, 1996)
372. André
Malraux distingue la fonction de l’éducation de celle de la culture : l’éducation nationale
enseigne et fait connaître les œuvres (Malraux, 1996), quand la fonction de la culture serait de
les faire aimer (Urfalino, 2011)
373.
La médiation culturelle ne peut se réduire à un simple discours d’accompagnement sur
une offre culturelle, ni à un propos promotionnel du livre (Delcambre, 1998)
374. Elle se pense
davantage comme une rencontre et un sens donné à cette rencontre. Elle renvoie à une
expérience esthétique sensible (Caune, 2017)
375. Elle implique une relation des sujets à une
intériorité individuelle et une prise de conscience du passé et de l’avenir (Caune, 1999
376;
Rasse, 2000
377). Cette médiation ne va pas de soi tant il est complexe d’approcher les
pratiques de ce public particulier. La lecture peut, en effet, être perçue a priori comme
touchant à l’intime, à l’introspection (Mauger, Poliak, Pudal, 2010)
378. Si la médiation
suppose que le sujet communique sur un besoin de médiation, cet échange n’est pas évident et
certains élèves s’y refusent. Néanmoins on peut dire que le professeur-documentaliste, au
moyen de l’espace documentaire et de ses ressources, enseigne, fait connaître et cherche à
faire aimer les œuvres littéraires.
3.2.3.2. Une double médiation de la lecture : médiation textuelle et médiation
d’une pratique
Médiateur des savoirs et médiateur culturel, le professeur-documentaliste prescrit des
lectures, sélectionne des livres, conseille et propose des textes aux élèves. Dans cette activité,
il est intermédiaire entre le sujet lecteur et l’objet livre, puis il cherche progressivement à
s’effacer pour laisser le livre entre les mains du lecteur. Rappelons que le médiateur, au sens
que lui donne Gérard Régimbeau (2011 : 84)
379, est la personne qui « réconcilie », « met en
contact », « réduit la distance ». En rapprochant cette idée du contexte des CDI, le
professeur-documentaliste médiateur facilite la découverte et l’accès aux documents, il transmet des
informations, des savoirs, des œuvres du patrimoine culturel. Il intervient en tant que
médiateur culturel, un intermédiaire entre un patrimoine littéraire et des usagers élèves. Il est
acteur puisque comme l’explique Julia Bonaccorci la médiation de la lecture est une « forme
d’agir pour la lecture, de promotion de cette pratique culturelle » (Bonaccorsi, 2003)
380, une
médiation culturelle qui se décline de manière double : par les textes et par la pratique.
372 MALRAUX André, 1996. Le musée imaginaire. Paris : Gallimard. 285 p. (Folio. Essais ; 300).
373 URFALINO Philippe, 2011. L’invention de la politique culturelle. Paris : Pluriel. 427 p.
374 DELCAMBRE Pierre, 1998. Postface : penser des pratiques culturelles en se saisissant du concept de médiation, Études de communication, n° 21, p. 137-144.
375 CAUNE Jean, 2017. La médiation culturelle : expérience esthétique et construction du vivre-ensemble. Op. cit.
376 CAUNE Jean, 1999. Pour une éthique de la médiation. Grenoble : PUG. 288 p.
377 RASSE Paul, 2000. La médiation, entre idéal théorique et application pratique. Op. cit.
378 MAUGER Gérard, POLIAK Claude, PUDAL Bernard, 2010. Op. cit.
379 RÉGIMBEAU Gérard, 2011. Médiation. Op. cit.
380 BONACCORSI Julia, 2003. Scénographie de la médiation de la lecture : une approche par croisement de niveaux d’observation, Colloque bilatéral franco-roumain, CIFSIC Université de Bucarest.
81
La médiation textuelle d’abord peut être comprise à travers ce qu’en dit l’essayiste
français Georges Jean dès 1975. Pour lui, les seuls ouvrages qui parviennent à toucher les
jeunes sont les livres de leur temps, les livres contemporains, ceux qui leur permettent de se
situer dans leur temps et dans leur milieu (Jean, 1975 : 42)
381. L’école aborde les classiques
qui approchent des problèmes des sociétés passées, séparés de leur contexte. L’enseignant
peut être perçu comme un passeur, un intermédiaire entre la culture scolaire et l’élève : le
rapport qu’il entretient à la culture est une question pédagogique importante. L’étude de
certaines œuvres permet d’aider l’élève à mieux se former. L’enseignant a pour mission de
faire accéder les élèves à ce patrimoine de l’humanité (Zakhartchouk, 1999)
382. Jean-Marie
Privat parle dans le même sens d’une médiation littéraire qu’il nomme « médiation textuelle »
(Privat, 2001)
383. Francis Grossmann, chercheur en sciences du langage, explique que « les
lectures partagées représentent des moments intenses de médiation textuelle » (Grossmann,
2006 : 32)
384. À l’école on distingue deux types de lecture : la lecture plaisir, riche en
suspense, rebondissements et intrigues et la lecture scolaire qui permet aux élèves de
découvrir des classiques, de les décortiquer et de sortir de l’illusion de la fiction. Pour
Raphaël Baroni, l’école apprend à désirer des « romans difficiles et austères » (Baroni,
2013)
385. Mais la lecture est souvent vécue par les élèves comme une contrainte.
À côté de la médiation des textes celle d’une pratique.Selon Catherine Frier et
Marie-Cécile Guernier, il est évident que « même le lecteur qualifié de faible a construit une
compétence dans le domaine de l’écrit » (Frier, Guernier, 2007)
386. Si l’on s’intéresse aux
pratiques lectorales, on observe un rapport existant, conscient, du sujet lecteur à la langue
écrite. Pour la plupart des élèves, l’acte de lire est associé à une pratique scolaire liée à
l’apprentissage de la construction de la langue française. La lecture suppose un investissement
et une implication de l’individu pour s’approprier un texte. Pour ces deux auteurs, la lecture
reste au collège une « compétence inachevée ». Certes, les élèves savent lire mais la lecture
littéraire est « hors de [leur] portée, inaccessible, non par manque de compétences, mais plutôt
par manque de « pratiques » permettant de lui donner corps et sens dans le contexte (social,
culturel) qui est le leur » (Frier, Guernier, 2007 : 11)
387. Ces types de lectures littéraires
nécessitent une médiation particulière.
381 JEAN Georges, 1975. Dans : JOLIBERT Josette (dir.), GLOTON Robert (dir.), Groupe français d’éducation nouvelle. Le pouvoir de lire. Tournai : Casterman. 283 p. (Orientation E3).
382 ZAKHARTCHOUK Jean-Michel, 1999. L’enseignant, un passeur culturel. Paris : ESF. 126 p. (Pratiques & enjeux pédagogiques).
383 PRIVAT Jean-Marie, BOROWSKI Patrick, CURINGA Valérie, SCHIAVONE Sara, SIDOBRE Bernadette, VINSON Marie-Christine, VOINOT Danielle, LAPARRA Marceline, 2001. Vers une didactisation des médiations textuelles, Cahiers du Français Contemporain, n° 7, Pratiques de lecture et cheminements du sens, p. 161-177.
384 GROSSMANN Francis, 2006. Logiques sociales et clivages culturels dans les lectures partagées. Dans : FRIER Catherine (dir.) : Passeurs de lectures : lire ensemble à la maison et à l’école. Paris : Retz. p. 19-35. (Forum éducation culture).
385 BARONI Raphaël, 2013.Didactiser la tension narrative : apprendre à lire ou apprendre comment le récit nous fait lire ? Recherches & travaux, n° 83, p. 11-24.
386 FRIER Catherine, GUERNIER Marie-Cécile, 2007. Paroles de lecteurs : et si les usages scolaires empêchaient de pratiquer la lecture ?, Repères, n° 35, p. 117-138.