• Aucun résultat trouvé

La formation des lecteurs

La formation des lecteurs permet de réfléchir à une didactique de la lecture. Au-delà

des premiers apprentissages, le lecteur est amené à faire des choix de lecture et à découvrir

des éditeurs, des collections, des auteurs. Il apprend à approcher la lecture comme une activité

intellectuelle, à se construire une ambiance de lecture, un cadre. Il apprend aussi à différencier

les temps de la lecture : temps extérieur réel et temps intérieur au livre. Le lecteur cherche son

rythme, il opère des retours en arrière, s’interrompt, reprend sa lecture. Il est acteur de sa

lecture. Les raisons et les usages de la lecture sont à la fois multiples et diffèrent en fonction

des individus. Les approcher permet de donner quelques exemples à ceux qui voient en elle

un simple passe-temps, voire une perte de temps.

Par le livre, le lecteur touche la pensée d’un auteur et lui permet de confronter ses

points de vue. Ses lectures lui permettent d’acquérir de nouvelles connaissances à condition

de comprendre les intentions de l’auteur et de ne pas les déformer. Il coopère pour

reconstruire les idées de l’auteur et cherche un équilibre pour ne pas surinterpréter le texte lu.

Cette manière de lire s’acquiert progressivement, elle est complexe pour un jeune lecteur.

Ceci d’autant plus qu’à l’adolescence, en raison notamment de difficultés personnelles ou

médicales qu’ils peuvent rencontrer dans leur parcours scolaire - et les suivre même dans leur

vie d’adulte - les jeunes ont tendance à s’éloigner du livre et des lieux de lecture.

Pendant longtemps, l’usager a été positionné au bout de la chaîne documentaire. Placé

au centre, il permet de poser un nouveau regard sur les pratiques lectorales. Les lecteurs

peuvent se sentir appartenir à un groupe et former une communauté de lecteurs.

Par ailleurs, une réflexion autour de l’influence des supports de lecture sur la pratique

des lecteurs permet de voir combien la lecture sur écrans est devenue courante. Elle induit une

manière de lire non linéaire, plus ciblée, plus socialement partagée. Cela pose la question de

la mutation du lecteur dans sa manière de penser et de la conscience qu’il peut avoir de cette

67

mutation. Ce qui nous amène à nous interroger : dans quelle mesure les médiations du livre

lui permettent-elles de conscientiser sa pratique ?

68

Chapitre 3 Médiateurs et médiations

Apprendre n’est pas un acte solitaire. Le formateur joue un rôle important entre les

savoirs et l’apprenant. L’enseignant transmetteur a laissé la place à l’enseignant médiateur. Il

permet aux élèves de participer à leur propre apprentissage (Barth, 2004)

301

. La transmission

des connaissances et la formation des lecteurs interrogent autant les rôles des médiateurs que

les médiations mises en œuvre. La construction des apprenants passe par ces médiations.

Nous interrogeons les rôles des médiateurs et des apprenants ainsi que les dispositifs

permettant une construction de projets de lecture. Se centrer sur les médiations nous conduit à

préciser le sens même de ce concept avant de le penser dans la pluralité de ses acceptions

(3.1.). Nous choisissons de nous intéresser plus particulièrement au rôle du

professeur-documentaliste en tant que médiateur (3.2.), puis nous cherchons à comprendre en quoi le

dispositif constitue le socle de la médiation (3.3.).

3.1. Médiations plurielles

Avant d’étudier le rôle des médiateurs et des apprenants dans la médiation des savoirs

(3.1.2.), revenons sur les définitions de la médiation (3.1.1.).

301 BARTH Britt-Mari, 2004. La médiation : une relation nouvelle dans l’action éducative, Actualité de la formation permanente, n° 191, Juillet-Août, p. 45-48.

69

3.1.1. Définitions

Au début du XIV

e

siècle, le terme médiatour renvoie à une personne « qui s’entremet

pour créer un accord »

302

. On entend par médiation : « une entremise destinée à mettre

d’accord, à concilier ou à réconcilier des personnes, des partis » (Klein, 2013)

303

. Le concept

de médiation est apparu dans les années 1990 dans différents secteurs : les services d’utilité

publique, le monde de l’entreprise ou encore celui de la culture. Cette idée d’intermédiaire se

retrouve dans l’usage du terme en SIC. Vincent Liquète, Isabelle Fabre et Cécile Gardiès ont

montré comment cette notion de médiation aux contours flous y est devenue un champ de

recherche important. Elle est utilisée dans le sens de connexion, mise en relation, mise en lien.

Pour ces auteurs, « la médiation est par nature une relation ternaire » (Liquète, Fabre, Gardiès,

2010)

304

.

La médiation dépend du contexte dans lequel elle est mise en place. Comme le

souligne le chercheur en SIC Vincent Rouzé, on parle de médiation culturelle, scientifique,

sociale, institutionnelle, professionnelle, familiale, animale. La médiation diffère en fonction

du champ dans lequel elle s’exerce. Et bien qu’on utilise souvent le terme de médiation au

singulier, il faut reconnaître que les médiateurs, eux, sont pluriels (Rouzé, 2010)

305

.

Les activités sociales ont toujours eu recours à des médiations. « Penser la médiation,

c’est donner toute sa place à la compréhension sensible, susceptible de donner un sens - une

signification et une direction - au monde vécu social » (Caune, 2017 : 41)

306

. La médiation est

alors une production de sens en fonction de l’espace et des circonstances de réception. Le

contexte et les enjeux politiques légitiment la pertinence de cette médiation (Caune, 2017 :

53)

307

. Si les médiations dépendent des environnements dans lesquels ils sont mis en place, ils

dépendent aussi des médiateurs.

3.1.2. Le rôle des médiateurs et des apprenants dans la médiation des savoirs

Les pédagogues Françoise Raynal et Alain Reunier définissent la médiation en mettant

en avant le rôle des médiateurs. Pour ces auteurs, la médiation est l’ensemble des aides ou des

supports qu’une personne peut offrir à une autre « en vue de lui rendre plus accessible un

savoir quelconque. […] Le langage, l’affectivité, les produits culturels, les relations ou les

normes sociales sont des médiations. L’enseignant est un médiateur » (Raynal, Rieunier,

302 CNTRL: Trésor de la langue française. Outils et Ressources pour un Traitement Optimisé de la Langue. Disponible sur: http://www.cnrtl.fr. Consulté le 18 mai 2017.

303 KLEIN Jean-Pierre, 2013. « 13. De la médiation culturelle à la médiation artistique. Ateliers d'écriture auprès d'adolescents dits « violents » », L'adolescent entre marge, art et culture. Une clinique des médiations en groupe. ERES, p. 219-236.

304 LIQUÈTE Vincent, FABRE Isabelle, GARDIÈS Cécile, 2010. Faut-il reconsidérer la médiation documentaire ?, Les Enjeux de l’information et de la communication, Vol. dossier 2010, n° 2, p. 43-57.

305 ROUZÉ Vincent, 2010. Médiation/s : un avatar du régime de la communication, Les enjeux de l’information et de la communication, Vol. dossier 2010, n° 2, p. 71-87.

306 CAUNE Jean, 2017. La médiation culturelle : expérience esthétique et construction du vivre-ensemble. Op.cit.

70

1997 : 220)

308

.Dans la médiation, le médiateur n’est pas neutre. Avec la philosophe Élisabeth

Caillet on peut dire que la médiation exige à la fois savoir et présence de la part du médiateur

lui-même. Le médiateur s’intéresse à ce qu’il veut transmettre, il a envie de partager ce qu’il

sait et comprend, avec ceux qui le lui demandent. Il s’engage par sa présence et utilise une

matière par laquelle s’opère la médiation, matière qui se traduit aussi par des outils qu’il

construit et met à disposition des publics (mallettes, expositions, films, etc.) (Caillet, 1994)

309

.

La médiation cognitive intervient dans un rapport triangulaire : apprenant, objet,

enseignant médiateur (Lenoir, 1996)

310

. Avec Paul Rasse, on peut dire que le médiateur

cherche « à donner du sens aux pratiques » (Rasse, 2000)

311

. Dans ses recherches, Joseph

Rézeau (2002)

312

montre combien l’intervention d’un tiers en vue de faciliter la résolution

d’un conflit entre deux parties fait écho aux pédagogies de l’apprentissage. Pour lui, la

relation pédagogique implique nécessairement une relation de médiation, bien qu’elle ne se

suffise pas en elle-même (Rézeau, 2002)

313

. Ce qui fait dire à André Berten, que penser la

médiation, demande de prendre en compte l’environnement et le développement potentiel des

compétences et des savoir-faire des élèves. C’est aussi une façon de questionner ces-derniers

en tant que sujets autonomes ayant leur fonctionnement propre (Berten, 1999 : 41)

314

. Cet

auteur souligne une médiation avec l’environnement et des dysfonctionnements, « des

blocages », « des sur-places » ou encore « des inhibitions affectives » que peut rencontrer un

individu.

Dans le cadre de l’école, l’enseignant médiateur intervient pour permettre à l’élève de

surmonter des difficultés, lui apporte une aide dans le but de l’émanciper, favoriser une

autonomie dans sa démarche scolaire et plus généralement de le guider dans son

développement (Vinatier, Laurent, 2008)

315

.Pour être efficace et réelle, ce type de médiation

implique une forme d’intentionnalité de la part de celui qui la met en place (Rasse, 2000)

316

.

Elle suppose une interaction, un échange entre le médiateur et le sujet « médiatisé » qui vise à

« la transformation d’un sujet par et pour lui-même » (Vinatier, Laurent, 2008)

317

.

Si le rôle du médiateur est essentiel dans la médiation des savoirs, celui de l’apprenant

est tout aussi essentiel. Difficile de passer à côté des travaux de Pierre Bourdieu et

308 RAYNAL Françoise ; RIEUNIER Alain, 1997. Pédagogie : dictionnaire des concepts clés. Paris : ESF. 405 p.

309 CAILLET, Élisabeth, 1994. L’ambiguïté de la médiation culturelle : entre savoir et présence, Culture & Musées, n° 6, p. 53-73.

310 LENOIR Yves, 1996. Médiation cognitive et médiation didactique. Dans : RAISKY Claude, CAILLOT Michel, Au-delà des didactiques, le didactique : débats autour des concepts fondateurs. Bruxelles : De Boeck Université. p. 223-251. (Perspectives en éducation et formation).

311 RASSE Paul, 2000. La médiation, entre idéal théorique et application pratique, Recherche en communication, n° 13, p. 38-61.

312 RÉZEAU Joseph, 2002. Médiation, médiatisation et instruments d’enseignement : du triangle au « carré pédagogique », ASp, n° 35-36, p. 183-200.

313 RÉZEAU Joseph, 2002. Ibid.

314 BERTEN André, 1999. Dispositif, médiation, créativité : petite généalogie, Hermès, Vol. 3, n° 25, p. 31-47.

315 VINATIER Isabelle, LAURENT Jeanne-Marie, 2008. Médiation, enseignement-apprentissage. Présentation du dossier, La nouvelle revue de l'adaptation et de la scolarisation, Vol. 2, n° 42, p. 5-14.

316 RASSE Paul, 2000. La médiation, entre idéal théorique et application pratique. Op. cit.

71

Claude Passeron (Bourdieu, Passeron, 1964

318

, 1970

319

) qui considèrent que les enfants des