Wahnich, explique que chaque lieu peut « développer ses propres comportements, donc ses
propres lois. Il est vrai que le spatial, par ce qu’il offre à voir et par ce qu’il rend possible de
faire, permet à chaque équipement d’être l’objet d’une loi ethnographique particulière »
130 DESPRÉS-LONNET Marie, 2014. Temps et lieux de la documentation. Transformation des contextes interprétatifs à l’ère d’internet. Mémoire pour l’habilitation à diriger des recherches. Université Lille Nord de France. 215 p.
131 JACOB Christian, 2014. Qu’est-ce qu’un lieu de savoir ? Marseille : OpenEdition press. 120 p. (Encyclopédie numérique).
132 DESPRÉS-LONNET Marie, 2014. Temps et lieux de la documentation. Transformation des contextes interprétatifs à l’ère d’internet.Op. cit.
133 AUGÉ Marc, 1992. Non-lieux : introduction à une anthropologie de la surmodernité. Op. cit.
134 GOFFMAN Erving, [1959] 1973. La mise en scène de la vie quotidienne, tome 1, La présentation de soi. Paris : Les Éditions de Minuit. 251 p. (Le sens commun).
34
(Wahnich, 2006)
135. Pour Marie Després-Lonnet, le concept de lieu permet d’exprimer « le
caractère topique et référentiel des pratiques humaines » (Després-Lonnet, 2014)
136.
Pour les individus, pratiquer un lieu ce n’est pas simplement le fréquenter, mais c’est
en faire l’expérience. Cela peut passer, par exemple, par l’approche des ressources. Pour
mieux comprendre comment les individus font l’expérience d’un lieu, nous allons voir
comment ils se comportent dans un lieu de culture.
1.3.1.2. Lieu de culture
Le sociologue Julien Joanny s’est intéressé aux lieux culturels intermédiaires. Pour lui,
le lieu de culture est avant tout un lieu de vie sociale. Nous retrouvons dans cette idée les
dimensions de partage, d’échanges, de rapports entre les individus et d’enrichissements grâce
aux interrelations. L’auteur parle « d’expériences où s’entremêlent l’individuel et le
collectif ». Pour lui, le lieu n’est pas seulement le cadre de pratiques culturelles, le lieu existe
bien du point de vue physique avec ses murs, son toit, ses portes, mais il comprend aussi une
dimension symbolique. Il ne devient culturel qu’à partir du moment où ses occupants
interagissent pour en faire un lieu culturel. « Le lieu est mouvement » (Joanny, 2012 :
19-23)
137et l’habiter c’est le mettre en mouvement, être en mouvement avec lui et en lui.
L’individu et le groupe laissent des empreintes de leurs passages dans les lieux qu’ils ont
fréquentés. Ces traces de leurs passages construisent l’histoire du lieu, sa mémoire. Et Marc
Augé remarque que « si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel et historique, un
espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique
définira un non-lieu » (Augé, 1992 : 100)
138.
Le travail des chercheurs en géographie Antoine Fleury et Laurène Goutailler nous
permet de comprendre ce qu’est un lieu de culture. Ils s’intéressent à un lieu de culture en
particulier : la Maison des métallos située Paris 11
e. Ils le définissent comme un lieu de
création, répondant à une politique culturelle définie, un lieu proposant une programmation
d’évènements culturels comme l’accueil de spectacles de théâtre et de danse, l’organisation
d’expositions et de conférences. Le lieu de culture offre au public la possibilité de rencontrer
des artistes, de participer à des activités favorisant des « enrichissements mutuels ». Il ne se
définit pas par sa seule programmation mais aussi par son objectif : « en faire un lieu de
mixité des cultures et des publics » (Fleury, Goutailler, 2014)
139. Les habitants de ce quartier
« ont des pratiques et des représentations de la culture différenciées ». Pour certains, ce lieu
renvoie « à des goûts et des pratiques à la fois élitistes et déconnectés du quartier » ; il
apparait comme un lieu de l’entre-soi, « essentiellement fréquenté par des personnes au
capital social élevé, extérieures au quartier ou peu intégrées à la vie locale » (Fleury,
135 WAHNICH Stéphane, 2006. Enquêtes quantitatives et qualitatives, observation ethnographique, Bulletin des bibliothèques de France (BBF), n° 6, p. 8-12.
136 DESPRÉS-LONNET Marie, 2014. Temps et lieux de la documentation. Transformation des contextes interprétatifs à l’ère d’internet. Op. cit.
137 JOANNY Julien, 2012. Entre inscription et subversion, les lieux culturels intermédiaires. Des expériences aux creux des villes.Op. cit.
138 AUGÉ Marc, 1992. Non-lieux : introduction à une anthropologie de la surmodernité. Op. cit.
139 FLEURY Antoine, GOUTAILLER Laurène, 2014. Lieux de culture et gentrification. Le cas de la Maison des métallos à Paris, Espaces et sociétés, Vol. 3, n° 158, p. 151-167.
35
Goutailler, 2014)
140. Cette approche du lieu de culture montre combien sa fréquentation et les
pratiques qui y sont développées jouent sur l’approche du lieu par d’autres individus. En fait,
si le responsable d’un lieu de culture propose des actions, des activités culturelles, c’est le
public qui s’emparera ensuite dudit lieu et le transformera à travers ses propres pratiques, ses
comportements, ses façons d’agir. Et ces agissements pourront rejeter d’autres individus qui
ne se sentiront plus concernés par le lieu car trop éloignés dans leurs propres pratiques de
celles prédominantes du premier groupe. Le CDI apparaît donc comme un lieu de pratiques et
de culture, mais peut-on aussi le qualifier de troisième lieu ?
1.3.1.3. Troisième lieu
Mathilde Servet (2009)
141, dans son mémoire de préparation au diplôme de
conservateur des bibliothèques, parle des bibliothèques comme d’un troisième lieu. Elle
appuie sa réflexion sur les travaux du sociologue américain Ray Oldenburg (2001)
142qui a
imaginé le concept de third place au début des années 1980. Mathilde Servet les qualifie de
véritables lieux de vie, lieux de rencontres et de centres culturels communautaires. Elle décrit
ces espaces publics comme des « endroits où les gens peuvent se réunir et entrer en
interaction » (Servet, 2009)
143. Cette idée de troisième lieu apparaît après la définition du
premier lieu qui renvoie à la vie à la maison, au foyer et au deuxième lieu, réservé au travail.
Trois espaces qui se distinguent donc à la fois géographiquement et par leurs fonctions. Pour
Ray Oldenburg et Mathilde Servet, le troisième lieu permet « à une vie communautaire
informelle de s’épanouir », il favorise le plaisir d’être ensemble, l’entraide et le respect
(Servet, 2009 : 22-25)
144. Ray Oldenburg pose le café, le pub, abréviations de « public
house », comme faisant partie de ces troisièmes lieux. Ils représentent, pour lui, des lieux de
rendez-vous, neutres, démocratiques qui font le bien-être de la communauté qui les fréquente.
Mathilde Servet reprend les caractéristiques de ces lieux citées dans l’œuvre de Ray
Oldenburg : un terrain neutre dénué de toute obligation, un lieu sans contrainte, au cadre
confortable, convivial et propice aux rencontres, aux échanges, aux conversations. Ces lieux
placent les individus sur un même pied d’égalité, Mathilde Servet parle de « niveleur social ».
Ils rassurent notamment par leur simplicité, procurent confiance, joie et plaisir, ils sont
ouverts à tous, facilement accessibles, ouverts en dehors des temps de travail, ils permettent
de venir s’y ressourcer. Ils ouvrent leurs portes à des habitués qui jouent un rôle important
dans les interactions et dans l’atmosphère du lieu. Il donne à chacun un « sentiment
d’appartenance » à un groupe formant ainsi un réseau de connaissances. Chacun s’y sent à
l’aise ce qui permet de laisser s’exprimer sa personnalité. Et bien que Ray Oldenburg ne
140 FLEURY Antoine, GOUTAILLER Laurène, 2014. Lieux de culture et gentrification. Le cas de la Maison des métallos à Paris, Op. cit.
141 SERVET Mathilde, 2009. Les bibliothèques troisième lieu. Villeurbanne : ENSSIB. Mémoire d’étude. Diplôme de conservateur des bibliothèques. 83 p.
142 OLDENBURG Ray, 2001. Celebrating the third place ; inspiring stories about the great goog places at the heart of our communities. New York : Marlowe & Co. 224 p.
143 SERVET Mathilde, 2009. Les bibliothèques troisième lieu. Op. cit.