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Section 2 : La jurisprudence : fondement inévitable des principes généraux du droit

1. Au point de vue intérieur

Deux remarques intéressantes concernant l’amélioration de la jurisprudence en droit administratif thaïlandais sont liées à l’attitude du juge administratif à l’égard de la jurisprudence (1.1) et à la difficulté contentieuse concernant la jurisprudence (1.2). Ces deux remarques ont été considérées comme une difficulté sur le plan intérieur, c’est-à-dire dans l’organe de la juridiction administrative.

(1.1)L’attitude du juge administratif

Le magistrat administratif est apparu en France à l’entrée en vigueur de la loi des 16 et 24 août 1790. Cette loi définit la conception française de la séparation des pouvoirs à laquelle la Conseil constitutionnelle se réfère depuis sa décision des 22 et 23 janvier 1987. Cette loi est considérée comme l’origine de la juridiction administrative. Ayant reçu sa forme moderne de la constitution de l’an VIII, le Conseil d’Etat a été mentionné, d’une manière ou d’une autre, au moins au travers des conseillers d’Etat, par tous les textes constitutionnels successifs. Il a surmonté toutes les crises : chutes du Premier et du Second Empires, gouvernement de Vichy et Libération, la réaction du général de Gaulle après l’arrêt Canal. La permanence constitutionnelle est un des points forts de la juridiction administrative.

Le métier de magistrat administratif en France est également défini depuis cette date. Cette carrière tente de nombreux candidats qui sont tentés de passer le concours de recrutement qui devient de plus en plus difficile. L’Ecole nation d’administration ajoute chaque année un concours complémentaire, ouvert à des candidats âgés d’au moins vingt-cinq ans. Le détachement de fonctionnaires ou de magistrats judiciaires dans le corps des tribunaux administratifs s’est parallèlement accru.

Ce métier s’est en même temps professionnalisé. Il implique de maîtriser un droit complexe, de pratiquer les outils informatiques de documentation et de préparation des décisions, de suivre des procédures dont les caractéristiques varient selon la nature des contentieux et la difficulté des dossiers. Le magistrat administratif n’est plus un artisan qui étudie seul ses dossiers : assistant du contentieux et assistant de justice lui apportent un concours précieux. Le chef de juridiction est un véritable gestionnaire, qui nourrit des projets, anime des équipes, entretient des relations avec de nombreux partenaires. Etre aujourd’hui magistrat administratif est un vrai métier, plus spécifique, mieux identifié et reconnu que dans le passé.

Tout en conservant ses caractéristiques de principe qui la définissent comme écrite, contradictoire et inquisitoriale, la procédure a connu d’importantes évolutions qui l’ont diversifiée et assouplie.

Le temps n’est plus où chaque dossier suivait le même cours. Grâce aux nombreuses ordonnances que peuvent prendre les chefs de juridiction, les magistrats délégués par eux, les présidents de sous-section au Conseil d’Etat, grâce aux pouvoirs du juge unique

devant les tribunaux administratifs, à la sous-section statuant seule devant le Conseil d’Etat, des voies allégées sont ouvertes pour les dossiers les plus simples. Le filtrage des pourvois en cassation, les nouvelles possibilités pour le droit contribuent à une meilleure administration de la justice.

Est également révolu le temps où les dossiers étaient jugés en suivant l’ordre d’ancienneté des requêtes. Priorité est désormais donnée aux affaires qui, par leur portée ou leur nature, appellent des solutions rapides. Une culture de l’urgence s’est progressivement développée, à partir notamment du déféré préfectoral, de la reconduite à la frontière, du référé précontractuel. Elle a trouvé son plein aboutissement dans la réforme d’ensemble du référé administratif qui résulte de la loi du 30 juin 2000. Avec, en particulier, le référé liberté, le juge administratif dispose d’instruments qui, au-delà de la procédure, modifient en profondeur ses rapports avec l’administration et avec les justiciables. Intervenant de manière immédiate sur des dossiers en cours de traitement, il engage le dialogue, aide souvent à mieux éclairer une affaire et à dégager une solution satisfaisante pour tous, donne le cadre juridique à suivre. En même temps que juge, il est souvent médiateur et conseil juridique : le juge administratif des référés est pleinement un magistrat administratif, qui contribue au bon examen des affaires par l’administration, avec le sens du raisonnable et dans le respect du droit.

Dans les procédures de référé, lorsque le juge estime qu’une audience est nécessaire, l’instruction est largement orale. Les débats permettent de mieux comprendre les données du dossier et souvent de rapprocher les points de vue. Dans les même temps, la procédure d’enquête à la barre, qui permet d’entendre les parties et de leur poser des questions, naguère presque tombée en désuétude, a été utilisée par le Conseil d’Etat pour mieux éclairer des affaires complexes, aux enjeux économiques importants. Déjà davantage présente dans les procédures de droit commun devant les tribunaux administratifs, l’oralité prend ainsi une place nouvelle.

Tout cela peut permettre de conclure que le juge administratif français est expérimenté et fier de lui, il ose prendre des initiatives. La même situation n’existait pas en Thaïlande. Le droit administratif thaïlandais est encore jeune, il a besoin de « systématiser ». De plus, la connaissance du droit administratif est limitée par rapport au droit judiciaire, il arrive souvent que le juge administratif fasse appel à la logique du droit civil et commercial, qui n’est pas compatible avec le domaine administratif.

Il est nécessaire de se référer au discours du Président de la Cour suprême administrative thaïlandaise à l’occasion de le soixante-quinzième anniversaire de la création de l’université Thammasart pour mieux analyser l’attitude du juge289. Le président affirmait, dans son discours, le principe de l’état de droit, qui se compose de cinq éléments importants : (1) la séparation des pouvoirs, (2) le contrôle juridictionnel de la légalité d’acte administratif, (3) le contrôle juridictionnel du droit constitutionnel, (4) la protection des droits de l’Homme, et (5) l’indépendance du juge. Le président a pris le droit administratif comme source, cadre et limitation du pouvoir de l’état pour exécuter son devoir. C’est la raison pour laquelle le juge

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Key note speeche on « The role ou court in the develpment of the Rule of law in Thailande », 20 décembre 2009, www.pub-law.net

administratif a été considéré comme un intermédiaire pour exécuter ce pouvoir. Les principes généraux du droit ont été soutenus aussi dans ce cas. Selon le président, ces principes se basent sur la conception de l’équité. En l’absence de texte, le juge ne peut refuser de juger ; de plus, il doit créer ses propres principes à la condition de respecter le principe de légalité et surtout la légalité selon la Constitution. Le juge administratif n’interprète que le droit écrit ; mais il doit aussi faire référence aux lacunes du droit, lors de la création de principes généraux du droit et d’autres principes du droit administratif, qui ne sont pas en conflit avec le système gouvernemental, la société et la culture.

A la fin de ce discours, le président confirme le rôle supplémentaire du juge administratif, en ce qui concerne les droits nouveaux, comme le droit des télécommunications, l’OGM ou le droit environnemental, etc. Le président a demandé à ses juges de bien vieller à l’intérêt public, à l’équité et aussi aux droits de l’Homme.

Il en résulte que l’attitude du juge administratif thaïlandais a beaucoup évolué par rapport au temps de sa création. Le juge essaie de juger en faisant référence à des conceptions fondamentales, comme l’état de droit, l’équité, les droits de l’Homme, auxquelles le juge ne faisait pas référence aussi nettement au début. L’attitude du juge administratif a changé et grâce à cela, le développement du droit administratif en Thaïlande sera bien plus simple. De toute façon, le juge administratif ne doit jamais ignorer les normes constitutionnelles. La conception de ces droits a été envisagée en dehors du droit administratif, même si le droit constitutionnel est considéré comme le droit public, ainsi que le droit administratif. Si le juge administratif n’ignore pas les normes constitutionnelles actuellement, il doit essayer d’y faire encore plus référence, et cela peut aider aussi l’évolution du droit constitutionnel en Thaïlande, même si le juge administratif thaïlandais a moins d’occasion de faire référence à des normes constitutionnelles que le juge administratif français. Car le juge français peut faire référence à ces normes, aux règles et principes de valeur constitutionnelle, qui sont devenus plus fréquents, qu’il s’agisse d’interpréter les traités ou la loi, ou de veiller à leur respect par les autorités administratives. La jurisprudence du Conseil d’Etat français est en pleine harmonie avec celle du Conseil constitutionnel pour tout ce qui touche à l’interprétation de la Constitution et de son préambule. Mais il peut arriver que le Conseil d’Etat découvre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République que le Conseil constitutionnel n’avait pas encore eu l’occasion d’appliquer : tel a été le cas, avec l’arrêt Koné du 3 juillet 1996 de l’interdiction de l’extradition politique. Comme nous avons considéré que le Conseil d’Etat français a un lien international important dans le cadre de l’Union européenne, cela peut aussi contribuer au bon équilibre entre le rôle du juge et les normes et les principes du droit administratif. Le juge administratif thaïlandais ne peut pas compter sur cette même évolution, mais il sera aussi pratique de ne pas toujours poser le problème de la compatibilité entre le droit international et la loi interne, qui peut permettre au juge administratif thaïlandais de porter sur la loi un regard auquel il ne pouvait jusque la prétendre.

La décision du juge est la dernière étape du contentieux global, mais c’est aussi le début de l’exécution. Dans ce paragraphe, nous prendrons l’exécution comme un des exemples explicites concernant la jurisprudence, car l’exécution est toujours problématique en Thaïlande ; de plus, l’exécution est la conséquence de la jurisprudence.

La définition de l’exécution indique « l’accomplissement, par le débiteur, de la prestation due ; le fait de remplir son obligation (impliquant satisfaction donnée au créancier »290 ou plus généralement, « la réalisation effective des dispositions d’une convention ou d’un jugement (qui peut ne procurer au créancier qu’une satisfaction par équivalent »291 ou « par extension, la sanction tendant à obtenir, au besoin par la contrainte, l’accomplissement d’une obligation »292. Etant donné que l’exécution administrative est la conséquence d’un jugement administrative, il faut étudier la possibilité d’être accusé par l’administration.

Par rapport à la question de l’exécution en Thaïlande, il nous faut d’abord revenir sur l’histoire de la prérogative absolue de l’administration pendant la période de la monarchie absolue. La conception de la prérogative absolue de l’administration en Thaïlande est en accord avec le principe « The king can do no wrong » (le Roi ne peut mal faire), issu de la pensée anglo-saxonne. Par conséquent, les administrations qui sont considérées comme soumises à l’autorité du Roi, sinon au nom du Roi, pouvaient aussi protéger les particuliers de toutes accusations. Cela résulte du privilège de l’administration dans le cas d’une accusation ou d’une exécution.

Cette conception a été reconnue par l’arrêt de la Cour de cassation thaïlandaise n°520/121 (B.E. 2446) et n°1106 (B.E. 2473), et le règlement ministériel n°60 du 26 mai R.S. 129 (B.E 2554) du ministère de la Justice, selon lesquels l’administration ne pouvait être citée devant le tribunal qu’avec son consentement. Si un particulier voulait porter atteinte à l’administration, les tribunaux compétents devaient le faire savoir par une lettre au Procureur Général, qui est l’avocat permanent du gouvernement. Selon l’avis du procureur général, l’administration pouvait donner ou refuser son consentement.

Un problème s’est posé à l’entrée en vigueur du Code civil et commercial B.E. 2468 (1925). L’article 72 de ce Code indique que « les départements ministériels ont une personnalité juridique » ; de plus, l’article 70 du même Code précise que « la personne morale a les mêmes droits et devoirs que la personne physique sauf ceux qui ne peuvent par la nature des choses, appartenir qu’aux personnes physiques ». Des deux articles précités accordaient le statut de personne morale ayant les mêmes droits qu’une personne physique, surtout le droit de porter atteinte ou d’être accusée.

Malgré la possibilité ouverte par les articles 70 et 72, le fait de porter atteinte à l’administration reste toujours limité, sous réserve du consentement de l’administration. L’arrêt de la Cour de cassation n°1106/2473 indique le rejet de l’affaire en raison du non-

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Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, 4e édition, PUF 2003.

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précité.

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