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L’intervention du juge au niveau de l’élaboration de la jurisprudence

Section 2 : La jurisprudence : fondement inévitable des principes généraux du droit

2. L’intervention du juge au niveau de l’élaboration de la jurisprudence

(2.1) L’intervention du juge : un rôle nécessaire dans le système du droit administratif thaïlandais

L’activité du juge consiste, normalement, à expliciter une loi obscure ou mal rédigée. Pour remplir ce rôle, le juge a besoin de plusieurs techniques qui permettent d’analyser l’intention du législateur. Le législateur thaïlandais prend toujours du retard pour rédiger les textes, il en résulte que la loi qui est entrée en vigueur perd son caractère contemporain. De plus, la rédaction faite le législateur est souvent mauvaise. En effet, les divers textes officiels définissent tout, ou peu s’en faut, des nouvelles relations entre puissance publique et administrés, relations que le juge doit arbitrer.

Cette création du droit par nécessité s’opère également lorsque les acteurs légitimement investis du pouvoir normatif négligent ou refusent d’en user. Prenons l’exemple français, comme le droit de grève dans la fonction publique. Ce droit est constitutionnellement reconnu « dans le cadre des lois qui le règlementent » selon le préambule de la Constitution de 1946, mais que le Parlement se garde bien s’organiser. Il a bien fallu que le juge, confronté à la réalité d’une grève de 1948, et des sanctions qu’elle avait provoquées, se substitue au législateur défaillant pour arrêter les principes de ce qui était supportable en la matière, et opérer l’arbitrage nécessaire entre droit de grève et continuité du service public. La jurisprudence du Conseil d’Etat comble, dans ce cas, le vide législatif, parce que dans la vie réelle, les litiges à trancher obligent le juge à intervenir ; le juge ne peut pas renvoyer les parties devant le législateur aux fins de quérir la loi manquante.

L’intervention du juge administratif thaïlandais au niveau de l’élaboration de la jurisprudence est, probablement, beaucoup plus importante que celle du juge administratif français. En raison de la jeunesse de la juridiction administrative thaïlandaise, le système juridictionnel administratif a vraiment besoin de l’intervention du juge au niveau de l’élaboration de la jurisprudence. Il y a beaucoup de lois et de règlements qui sont des textes de caractère administratif, mais ils n’appartiennent à aucune branche du droit, et ce type de textes a besoin de l’intervention du juge. Le juge administratif doit intervenir pour l’élaboration de la jurisprudence en respectant la loi et les textes écrits. Le juge doit exercer ce rôle avec prudence et tolérance. De plus, le juge doit comprendre aussi qu’il y a parfois une loi qui n’a pas de caractère interprétatif, une loi ayant pour seul objet de dire un droit contraire à celui que, dans le silence ou l’obscurité du texte initial, le juge avait exprimé.

La formulation du jugement est aussi intéressante à envisager. Comme le droit administratif thaïlandais est à peu près « traduit » du droit administratif français, il arrive que le vocabulaire d’origine ait changé. Par souci linguistique, on manipule des concepts précis, dont les effets sont précisément identifiés. Le souci de précision justifie ainsi le vocabulaire parfois obscur, souci d’autant plus impératif pour le juriste qu’il a pour fonction, pour l’interprétation des textes, de déterminer la volonté de ceux qui les ont écrits (ou plutôt la conception du droit français d’origine), et de fabriquer à son tour des textes au travers desquels pourra se discerner son intention. Le vocabulaire français est précis, spécialisé et parfois obscur. Il arrive souvent que la traduction en thaï doive être faite avec prudence et on ne peut traduire que « les idées » du texte, non le vocabulaire mot à mot, car cela pourrait donner un sens absurde. Le problème pour le rédacteur du jugement est toujours lié à sa compétence linguistique.

(2.2) L’intervention du juge face à l’évolution de la jurisprudence

Le juge peut interpréter la jurisprudence de différentes façons. Le revirement ou l’avancée de la jurisprudence sont alors un aboutissement, plus qu’une décision287. Il est difficile de dire que les juges concernés ressentent que le moment est venu de changer un droit qui peu à peu est entré dans la pratique, selon l’évolution de la société. Rendre une décision est vraiment technique. Un exemple intéressant est celui de la procédure référé qui doit être traitée en urgence, ce qui justifie que l’instruction en soit abrégée ; notamment les observations du défendeur n’ont pas à être portées à la connaissance du demandeur, disait avec raison la jurisprudence. Mais l’arrivée sur la scène des demandes de provision formées par référé a révélé les limites et les dangers de cette jurisprudence, dès lors que s’instituait devant le juge des référés un débat anticipant sur le fond du litige. : il faut, en effet, dire si le demandeur se prévaut à l’encontre de son adversaire d’une « obligation non sérieusement contestable », en vertu de l’article … de la loi portant création de la juridiction administrative et de la procédure administrative contentieuse B.E. 2542. Le juge doit, au moins, préciser clairement cette notion.

Au contraire, les inadéquations de fond de la jurisprudence avec les exigences de la société au service de laquelle nous nous trouvons sont plus délicates à apprécier. Le juge

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doit alors conserver la formulation de cette jurisprudence, car cette jurisprudence peut entraîner des conséquences soit juridiques, soit sociales. Prenons l’exemple du droit de la responsabilité hospitalière en France. Ce droit concerne la réparation du risque créé par un aléa thérapeutique : un colloque remarqué, une proposition de loi (enterrée), etc. …. Il résulte que le juge doit examiner des cas concernant ce droit avec une attitude différente.

En revanche, il faut que le juge administratif thaïlandais fasse attention à ne pas abuser de la jurisprudence. En fonction de la Cour suprême administrative qui juge le fond en dernier ressort, le droit ne doit pas être instable, pas plus qu’une règle de jeu. Le droit est, en effet, l’ensemble des règles du jeu social, mais pour des parties qui se déroulent sur des années. Il faut y toucher avec la plus grande prudence, et faire attention de ne pas modifier les textes législatifs au cours de cette évolution ; sinon, l’évolution jurisprudentielle serait source de défauts liés à son origine. La nouvelle règle jurisprudentielle doit se former à l’occasion du règlement d’un litige ; et son libellé ne pourra donc contenir que les éléments nécessaires à la solution du litige, et nul autre. Sinon, ce conduit ferait du juge un législateur. Le juge ne peut pas ajouter des éléments nouveaux. Le juge ne fait toujours qu’une règle imparfaite, parce qu’incomplète.

De plus, à vouloir à toute force ne faire que « découvrir » un droit préexistant, au lieu d’avouer que c’est le juge qui le crée et donne fatalement aux règles ainsi « découvertes » une portée rétroactive, ce n’est guère un facteur de stabilité sociale. Un bon exemple on est l’article 174 du traité de Rome. La Cour de justice des communautés européennes peut donner une date d’effet à ses interprétations du droit communautaire, et aux contraintes qu’elles font peser sur les Etats ou les ressortissants des Etats membres. Cet article l’autorise, en effet, à indiquer, « si elle l’estime nécessaire, ceux des effets du règlement annulé qui doivent être considérés comme définitifs ». S’appuyant sur cette stipulation, la Cour de justice a autorisé les autorités communautaires à continuer à prendre, après son arrêt, des mesures d’exécution d’un règlement annulé, de façon à éviter que, en attendant l’édition d’un nouveau texte, une solution de continuité ne vienne compromettre l’action administrative288.

Enfin, rien de tel n’existe en ce qui concerne le droit créé par le juge administratif. La diffusion dans le corps social d’une règle nouvelle qu’il contient n’obéit pas à des normes très précises, elle n’est soumis à aucune sanction juridique spécifique, et n’est pas assurée avec l’efficacité que l’on devrait attendre d’une norme sociale.

(B)Le produit jurisprudentiel : l’actualité de la jurisprudence par rapport à l’ensemble de la juridiction administrative

Dans ce paragraphe, nous envisagerons l’actualité de la jurisprudence par rapport à l’ensemble de la juridiction administrative thaïlandaise. Il y a quatre points intéressants : l’influence de droit civil, l’adhésion de la Thaïlande aux communautés internationales, l’attitude de juge administratif par rapport à la jurisprudence et la difficulté

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contentieuse en pratique. Nous distinguerons deux points : le point de vue intérieur (B.1) et le point de vue extérieur (B.2).