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1.5. P HONÉTIQUE ET PHONOLOGIE DU FRANÇAIS PARISIEN

1.5.1. Les voyelles : généralité

En français, comme c’est souvent le cas dans de nombreuses langues du monde, le nombre de consonnes ne varie pas d’une région à l’autre, alors que celui de voyelles est variable (Martinet 1969253, Vaissière 2006 : 12-13254). Pour le français parisien de nos jours, nous pouvons compter 10 voyelles orales et 3 nasales : les voyelles antérieures non arrondies /i e ɛ/, antérieures arrondies /y ø œ/, postérieures255 /u o ɔ/, basse /a/, et nasales /ɛ̃ ɑ̃ õ/ (Wioland 1991256, Lauret 2007257, entre autres).

Nous utiliserons ici les symboles /ɑ̃/ pour la voyelle du mot ‘cent’, et /õ/ pour la voyelle du mot ‘onze’. Ces choix sont conformes à ceux de Lauret (1998)258 et de Léon (2000)259, bien que les phonéticiens français de actuels tendent à utiliser /ɔ̃/ au lieu de /õ/ suivant la convention traditionnelle. Considérant les différences entre le français de France et le français canadien, tel qu’il est décrit par Ostiguy et al. (1996)260 avec les symboles /ã ɔ̃/ qui reflètent l’antériorité de la voyelle du mot ‘cent’ et une ouverture plus grande de la voyelle du mot ‘onze’ que celle de son équivalent français, ces choix nous semblent justifiés. Les résultats de l’étude de Montagu (2004)261 corroborent également cette position.

Sur le plan acoustique, Vaissière (2006, op. cit., entre autres) distingue 3 séries de voyelles, définies sur une base uniquement acoustique : 1) antérieures étirées /i e ɛ y/, dans lesquelles la distance F1-F2 est supérieure à celle de F2-F3 ; 2) labio-postérieures /u o ɔ/262, dans lesquelles la distance F1-F2 est inférieure à celle de F2-F3 ; 3) acoustiquement centrales /ø œ a/, dans lesquelles le F2 se situe à mi-chemin entre F1 et F3 (Figure 23).

253 A. Martinet. Le Français sans Fard. Paris, Presses Universitaires de France, 1969. 254 J. Vaissière. La phonétique. Paris, Presses Universitaires de France, 2006.

255 Toutes les trois étant arrondies, les voyelles postérieures du français ne connaissent pas d’opposition phonémique arrondi / non-arrondi.

256 F. Wioland. Prononcer les mots du français : des sons et des rythmes. Paris, Hachette, 1991. 257 B. Lauret. Enseigner la prononciation du français : questions et outils. Paris, Hachette, 2007.

258 B. Lauret. Aspect de Phonétique Expérimentale Contrastive : l'accent anglo-américain en français. Thèse de doctorat de phonétique, Université de la Sorbonne Nouvelle, 1998.

259 P. R. Léon. Phonétisme et prononciations du français (4ème édition). Paris, Nathan, 2000.

260 L. Ostiguy, R. Sarrasin, G. Irons. Introduction à la phonétique comparée : les sons : le français et

l'anglais nord-américains. Sainte-Foy, Les Presses de l'Université Laval, 1996.

261 J. Montagu. Les sons sous-jacents aux voyelles nasales en français parisien : indices perceptifs des changements. Actes des XXIVèmes Journées d'Étude sur la Parole, 385-388, 2004.

Figure 23 : Spectrogrammes des voyelles antérieures étirées (gauche), labio-postérieures (milieu), et acoustiquement centrales (droite), extraits de Liénard (1977)263. Vaissière (2006 : 72).

Il existe également deux autres phones vocaliques qui étaient autrefois des phonèmes indéniablement distincts, mais plus ou moins neutralisés de nos jours : le /ɑ/ qui s’oppose au /a/, d’une part, et le /œ̃/ qui s’oppose au /ɛ̃/, de l’autre. Comme Lauret (1998 : 21) le signale, l’opposition /a/-/ɑ/ existerait probablement dans la compétence de nombreux locuteurs, se manifestant souvent par une différence de durée (/ɑ/ long et /a/ bref), mais uniquement quand les paires minimales comme pâte /pɑt/ et patte /pat/ sont présentées aux locuteurs de manière explicite. Notons en passant que ces deux oppositions sont maintenues dans certaines autres variétés comme le français canadien (Ostiguy et al. 1996).

À cette liste se rajoute le /ə/ (Fougeron et Smith 1999264, entre autres), qui apparaît uniquement en syllabe inaccentuée (c’est-à-dire, non finale), et est susceptible de disparaître. La distinction entre /ə/ (et /ø œ/), d’un côté, et /e ɛ/, de l’autre, est importante dans l’enseignement et l’apprentissage du français langue étrangère et seconde, notamment du point de vue de la graphie-phonie (Wioland 2001265, entre autres). Néanmoins, comme nous nous intéressons essentiellement aux voyelles isolées, qui peuvent apparaître dans les syllabes ouvertes finales, nous ne détaillerons pas cette voyelle.

L’opposition entre les voyelles moyennes (mi-fermées et mi-ouvertes) /e ɛ/, /ø œ/, et /o ɔ/ est partiellement neutralisée. Leur distribution est ainsi semi-complémentaire (« loi de

263 J.-S. Liénard. Les processus de la communication parlée : introduction à l'analyse et la synthèse de la

parole. Paris, Masson, 1977.

264 C. Fougeron, C. L. Smith. "Illustrations of the IPA: French", in International Phonetic Association,

Handbook of the International Phonetic Association: A Guide to the Use of the International Phonetic Alphabet.

Cambridge, Cambridge University Press, 78–81, 1999.

265 F. Wioland. Que faire de la graphie « e » dans le cadre de la didactique de la prononciation ? Le

position ») : les voyelles mi-fermées tendent à apparaître dans les syllabes ouvertes, et les voyelles mi-ouvertes dans les syllabes fermées. Il existe des paires minimales qui permettent d’opposer /e/-/ɛ/ dans les syllabes ouvertes (‘épée’ /epe/ vs. ‘épais’ /epɛ/), /o/-/ɔ/ dans les syllabes fermées (‘paume’ /pom/ vs. ‘pomme’ /pɔm/), /ø/-/œ/ dans les syllabes fermées (‘jeûne’ /ʒøn/

vs. ‘jeune’ /ʒœn/), mais le /e/ n’apparaît jamais dans les syllabes fermées, et /œ/ et /ɔ/

n’apparaissent jamais dans les syllabes ouvertes. Par ailleurs, le nombre des paires minimales est très limité, sauf pour la paire /e/-/ɛ/ dans des terminaisons verbales (futur /e/ vs. conditionnel /ɛ/). C’est ainsi que l’on observe une tendance vers le respect de la « loi de position » : Lauret (1998 : 21) signale une « certaine confusion entre /e/ et /ɛ/ en syllabe ouverte » ; Cécile Fougeron (communication personnelle) a observé la production [ʁɔz] (‘rose’ : au lieu de la forme attendue [ʁoz]) chez un enfant vivant dans la région parisienne, qui semble respecter la tendance générale de distribution plutôt que la forme définie au niveau lexical.

Quant aux syllabes non-accentuées (non-finales), l’opposition entre les voyelles mi-fermées et mi-ouvertes serait neutralisée, et subirait une harmonie vocalique, c’est-à-dire, l’influence du timbre de la syllabe accentuée (finale) : ‘épée’ [epe], ‘épais’ [ɛpɛ].

Notons en passant que cette distribution diffère d’une variété à l’autre. D’un côté, dans beaucoup de variétés du Midi, la distribution des voyelles mi-fermées et mi-ouvertes est parfaitement complémentaire. De l’autre côté, en Franche-Comté, par exemple, toutes les voyelles moyennes (mi-fermées et mi-ouvertes) sont attestées dans les syllabes fermées et ouvertes, bien que /e/ en syllabe fermée (ex. ‘vieille’ /viej/) et /œ/ en syllabe ouverte (ex. ‘peut’ /pœ/ : mot régional courant signifiant « vilain ») soient rares. On atteste ainsi des paires minimales telles que ‘peau’ /po/ vs. ‘pot’ /pɔ/ ; ‘un peut’ /œ̃pœ/ « vilain » vs. ‘un peu’ /œ̃pø/266 (Bôle-Richard, communication personnelle)267. Le Tableau 10 ci-dessous résume la distribution des voyelles moyennes dans les trois variétés mentionnées.

Tableau 10 : Distribution des voyelles moyennes en français parisien (standard), en français comptois, et en français méridional. [e] en syllabe fermée et [œ] en syllabe ouvertes sont rares en français comptois. Bôle-Richard (communication personnelle).

266 Notons que quatres voyelles nasales /ɛ̃ ɑ̃ õ œ̃/ sont distinguées dans cette région. 267 R. Bôle-Richard. Note sur les voyelles du français local de Franche-Comté. 2009.

La même distribution est observée en dialecte (ou « patois ») du Saugeais (Haut-Doubs), par exemple : [eːtr] « être », [feːr] « faire » ; [ɔ] « os », [sabɔ] « sabot », [vɔ] « sabot » (Bôle-Richard 2009).

R. Bôle-Richard. Les mots du Saugeais : dictionnaire du patois sauget, d'après les travaux de Joseph

C’est pour les raisons décrites ci-dessus que certains phonéticiens et phonologues postulent pour le français parisien les archiphonèmes /E/, /Œ/, et /O/, qui englobent respectivement /e ɛ/, /ø œ/, et /o ɔ/. Dans l’enseignement de la prononciation du français langue étrangère et seconde, c’est le respect de la « loi de position » qui devrait être travaillé en priorité, avant de perfectionner l’opposition entre les voyelles mi-fermées et mi-ouvertes (Wioland 1991, Lauret 2007).

Les voyelles du français sont adaptées au japonais dans des mots d’emprunt et des noms propres en générale de la manière représentée au Tableau 11 (voir Shinohara 1997268 pour une étude approfondie).

Tableau 11 : Adaptation des voyelles françaises au japonais dans des mots d’emprunt et des noms propores.