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2.3.1.1. Le corpus et les procédures

Le corpus utilisé pour la tâche de lecture est le même que celui qui a été utilisé pour les locuteurs natifs : la phrase-cadre « Je dis /V/ comme dans … ». Ces phrases ont été imprimées sur une feuille (Tableau 22)386. Même si les locuteurs japonophones produisent assez rarement une montée de continuation en japonais (voir la Section 1.4.4.), nous avons répété la première phrase à la fin de la liste pour que l’avant-dernière phrase soit prononcée avec des schémas intonatifs similaires aux phrases précédentes.

Figure 48 : Feuille présentée aux apprenants lors de la tâche de lecture.

Les procédures Les apprenants ont lu la liste de phrases deux fois après entraînement. Ils étaient équipés d’un micro-casque. L’enregistrement a été effectué dans une cabine d’enregistrement. Les données ont été enregistrées au taux d’échantillonnage de 16 kHz, 16 bits.

La segmentation et la détection de formants La segmentation a été effectuée en consultant l’oscillogramme et le spectrogramme sous Praat. La partie où les 4 premiers formants (notamment le F2) étaient clairement visibles a été sélectionnée pour l’analyse formantique. Les 4 premiers formants ont été mesurés sous Praat, en utilisant un script écrit par Cédric Gendrot387 et modifié par nous. Quand les valeurs détectées étaient aberrantes, nous avons vérifié le

386 Nous avons utilisé des crochets [ ] pour la transcription phonémique, car les apprenants sont en général plus familiers avec cette notation en tant que transcription de la prononciation.

387 Disponible sur :

spectrogramme et changé des paramètres (le nombre de formants à détecter entre 0 et n Hz) quand c’était nécessaire, afin d’obtenir des valeurs correctes. Les valeurs qui étaient toujours aberrantes après modification de paramètres ont été rejetées (3 valeurs sur 3200, soit 0,09%, pour les deux types de tâche confondus).

Les mesures de formants Les formants ont été mesurés dans cinq endroits de la durée la voyelle (Figure 40, p. 121) : la moyenne du premier cinquième de la voyelle (0%-20% de la durée), celle du deuxième cinquième (20%-40%), ainsi de suite jusqu’au dernier cinquième (80%-100%). 2.3.1.2. Les locuteurs

Trois apprenants (2 hommes et 1 femme) ont participé aux enregistrements. Ils étaient tous des étudiants en première année de l'Université de Tokyo lors de l'expérience (effectuée en juillet 2005). Ils avaient choisi le français comme deuxième langue étrangère (une langue au choix est obligatoire en tant que deuxième langue étrangère). Ils l’avaient appris depuis 3 mois, à raison de 4,5-7,5 heures par semaine, avec des enseignants japonophones et francophones.

2.3.1.3. Les résultats

Les valeurs moyennes des cinq mesures des quatre premiers formants (pour chacune des deux répétitions) sont représentées à la Figure 49, et une représentation à deux dimensions (F1-F2 et F2-F3) des trois premiers formants en comparaison avec les valeurs des locuteurs natifs (Figure 42 et Figure 43, p. 123) est proposée aux Figure 50-Figure 52.

Figure 49 : Formants (en Hertz) des 10 voyelles orales du français lues par 3 apprenants japonais (moyenne de 5 mesures par voyelle x 2 répétitions). A gauche : représentation des quatre premiers

formants (les barres d’erreur représentent l’écart-type) ; à droite : représentation des trois premiers formants dans un triangle vocalique à trois dimensions (à droite).

Figure 50 : Formants moyens des 10 voyelles orales du français (en Hertz) prononcées par Apprenant 1 (homme) dans la phrase cadre « je dis /V/ comme dans … » (petits carreaux avec transcription en grand caractère : 5 mesures par voyelle x 2 répétitions), en comparaison avec ceux de la moyenne des deux locuteurs natifs FR1 et FR2 (Figure 42, p. 123 : grands carreaux avec des barres d’erreur ; 5 mesures par voyelle x 3 répétitions x 2 locuteurs ; les barres d’erreur représentent l’écart-type). F1 sur l’axe vertical et F2 sur l’axe horizontal (à gauche) ; F2 sur l’axe horizontal et F3 sur l’axe vertical (à droite).

Figure 51 : Formants moyens des 10 voyelles orales du français (en Hertz) prononcées par Apprenant 2 (homme) dans la phrase cadre « je dis /V/ comme dans … » (petits carreaux avec

transcription en grand caractère : 5 mesures par voyelle x 2 répétitions), en comparaison avec ceux de la moyenne des deux locuteurs natifs FR1 et FR2 (Figure 42, p. 123 : grands carreaux avec des barres d’erreur ; 5 mesures par voyelle x 3 répétitions x 2 locuteurs ; les barres d’erreur représentent l’écart-type). F1 sur l’axe vertical et F2 sur l’axe horizontal (à gauche) ; F2 sur l’axe horizontal et F3 sur l’axe vertical (à droite).

Figure 52 : Formants moyens des 10 voyelles orales du français (en Hertz) prononcées par Apprenante 3 (femme) dans la phrase cadre « je dis /V/ comme dans … » (petits carreaux avec transcription en grand caractère : 5 mesures par voyelle x 2 répétitions), en comparaison avec ceux de la moyenne des deux locutrices natives FR3 et FR4 (Figure 43, p. 124 : grands carreaux avec des barres d’erreur ; 5 mesures par voyelle x 3 répétitions x 2 locuteurs ; les barres d’erreur représentent l’écart-type). F1 sur l’axe vertical et F2 sur l’axe horizontal (à gauche) ; F2 sur l’axe horizontal et F3 sur l’axe vertical (à droite).

Nous y observons les tendances suivantes :

1) /y/ Les apprenants 1 et 2 ont prononcé /y/ avec ses F2 et F3 proches, malgré un F2 relativement élevé (2062 Hz et 2005 Hz en moyenne, respectivement), notamment dans la première répétition de l’apprenant 1 (premier spectrogramme de la Figure 53). En revanche, l'apprenante 3 a produit une diphtongue (Figure 54 et Figure 55 : nous pouvons constater que le F2 descend progressivement et que le F3 monte légèrement ; l’écart-type important que l’on observe à la Figure 49 suggère également cette tendance), qui ressemble à la syllabe /ju/ du japonais (Figure 132, p. 259). Ce phénomène sera traité en détail dans la discussion de la troisième partie (3.5.).

Figure 53 : Spectrogrammes à bande large (Praat ; longueur de fenêtre : 5 millisecondes) du /y/ prononcé par l’apprenant 1 (les deux à gauche) et l’apprenant 2 (les deux à droite).

Figure 54 : Les trois premiers formants (en Hertz) de l'apprenante 3 mesurés dans 5 zones de la durée de la voyelle (une répétition x 5 mesures de la durée de la voyelle).

Figure 55 : Changement des valeurs formantiques (gauche) et le spectrogramme (droite) du /y/ prononcé dans la tâche de lecture par l'apprenante 3 (une des deux répétitions).

2) /u/ Les trois apprenants ont prononcé la voyelle /u/ avec un F2 plus élevé (1065 Hz, 1283 Hz, et 1388 Hz en moyenne) que celui de /o/ (830 Hz, 685 Hz, et 888 Hz) et de /ɔ/ (749 Hz, 858 Hz, et 1027 Hz). Notons qu’ils ont produit ces deux voyelles /o/ et /ɔ/ avec une valeur de F2 qui n'était pas très différente de celle des locuteurs natifs (Figure 41, p. 123 : 688 Hz, 715 Hz, 776 Hz, 912 Hz, inférieure donc à 1000 Hz pour /o/ ; 951 Hz, 1053 Hz, 1051 Hz, 1108 Hz pour /ɔ/). Par contraste, la valeur élevée du F2 du /u/ des apprenants japonophones se rapproche à celle du /ø/ français (Figure 41, p. 123 : 1276 Hz, 1372 Hz, 1570 Hz, 1431 Hz), notamment dans la première répétition de l’apprenant 2 (le troisième spectrogramme de la Figure 56).

/u/ : apprenant 1 /u/ apprenant 2

/u/ : apprenante 3

Figure 56 : Spectrogrammes à bande large (longueur de fenêtre : 5 millisecondes) du /u/ prononcé par les 3 apprenants : les deux répétitions de l’apprenant 1 (en haut, à gauche), de l’apprenant 2 (en haut, à droite), et de l’apprenante 3 (en bas).

Par ailleurs, l'intensité relative des formants supérieurs est plus forte que dans le /u/ des locuteurs français. Une comparaison d’énergie de 3 différentes zones de fréquence (0-1 kHz, 1-2 kHz, et 2-3 kHz) confirme cette tendance de manière quantitative (Figure 57). Le /u/ prononcé par les 3 apprenants a plus d'énergie sur les moyennes fréquences (-18dB dans 1-2 kHz, -33dB dans 2-3 kHz, par rapport à l’intensité de la zone 0-1 kHz) que le /u/ prononcé par les 4 locuteurs natifs francophones (-37dB dans 1-2 kHz, -41dB dans 2-3 kHz, par rapport à l’intensité de la zone 0-1 kHz).

/u/ : locuteur natif FR1 /u/ : apprenant 2 (lecture)

Figure 57 : Spectrogrammes à bande large (longueur de fenêtre : 5 millisecondes) de la voyelle /u/ prononcée par le locuteur natif FR1 (à gauche) et par l'apprenant 2 (au milieu). L'intensité relative sur 3 zones de fréquence (0-1 kHz, 1-2 kHz, 2-3 kHz) du /u/ prononcé par les 4 locuteurs natifs (12 occurrences : fr), lu (6 : jp_lec) et répété par les 3 apprenants (10 : jp_rep) : les barres d’erreur représentent ±1 écart-type.

/u/ et /ø œ/ L’apprenante 3 a produit des valeurs de F2 et F3 similaires pour /u/, /ø/ et /œ/, même si le F1 de son /u/ (406 Hz) était moins élevé que celui de /ø/ (504 Hz) et de /œ/ (538 Hz) : les 3 premiers formants étaient de 406, 1388, et 3250 Hz pour /u/, 504, 1429 et 3146 Hz pour /ø/, 538, 1382, et 3068 Hz pour /œ/ (spectrogramme à la Figure 58).

Apprenante 3 : /u/ Apprenante 3 : /ø/ Apprenante 3 /œ/

Figure 58 : Spectrogrammes à bande large (longueur de fenêtre : 5 millisecondes) de la voyelle /u/ (les deux premiers), /ø/ (les deux au milieu), et /ø/ (les deux derniers) prononcée par l'apprenante 3 dans une tâche de lecture.

3) Les voyelles moyennes Comme attendu, les différences entre les mi-fermées et les mi-ouvertes étaient moins nettement marquées, notamment chez l’apprenante 3, que chez les locuteurs natifs, même si les deux voyelles moyennes de la même série (ex. /ø/-/œ/) avaient été placées successivement sur la liste de lecture, ce qui aurait dû faciliter la tâche de les prononcer de manière distincte.

4) /ø/ Les apprenants 1 et 2 ont produit un /ø/ avec un F2 élevé (1750-1850 Hz), ce qui rapproche cette voyelle au /y/. Cela serait dû à la prononciation typique de l’orthographe « eu » en anglais /juː/, qui est associé en général à la séquence /ju(R)/ en japonais (rappelons que le /y/ français est interprété comme /ju/ en japonais : Figure 59).

Figure 59 : Rapport phonie-graphie et des associations susceptibles chez les japonophones apprenant le français L3.

Les données présentées dans la présente section ont été recueillies dans une tâche de lecture. Par conséquent, la production aurait été influencée non seulement par la représentation mentale des apprenants mais aussi par leur interprétation de l’orthographe et la transcription phonémique fournie. Afin d’exclure ces facteurs, nous avons effectué une autre expérience de production avec une tâche de répétition immédiate après un modèle.