• Aucun résultat trouvé

Nous présenterons dans cette section les résultats des apprenants japonophones. 3.1.3.1. Les auditeurs

Les participants étaient tous des élèves du lycée Musashi (Tokyo, Japon). Ils constituaient les deux groupes suivants :

1) 7 élèves en première année ("niveau I" : 15 mois d'apprentissage à raison de 100 minutes de leçons par semaine)399 ;

2) 7 élèves en années supérieures ("niveau II" : 5 en deuxième année, et 2 en troisième année). 3.1.3.2. L’analyse des résultats

Le taux de réponses correctes Les résultats ont été calculés de façon suivante : nous avons compté le nombre de réponses correctes pour chacune des 6 paires de voyelles, chacune des 3 conditions de locuteurs, et chacun des 14 auditeurs (8 réponses au total = 4 triplets x 2 répétitions).

399 Dans cet établissement collège (chuugakkou) – lycée (koutou-gakkou), les élèves commencent l'apprentissage du français en 3ème et dernière année de collège (14-15 ans) avant la première année de lycée. Ils apprennent le français en tant que deuxième langue étrangère facultative après l’anglais (première langue étrangère obligatoire), qu’ils commencent dès la première année de collège. Pendant la troisième année de collège seulement, une deuxième langue étrangère au choix (français, allemand, chinois, coréen) est obligatoire.

Le taux de réponses correctes sera donc représenté en terme du nombre des réponses correctes sur 8 pour une paire, une condition de locuteurs, et un auditeur donné.

La moyenne par groupe Nous avons calculé par la suite la moyenne des taux de réponses correctes pour chacun des deux groupes d’apprenants (niveaux I et II), et effectué des comparaisons selon les facteurs suivants : les groupes (niveaux I et II), les conditions de locuteurs (sp1, sp2, sp3), et les paires de voyelles (/u/-/y/, /y/-/ø/, /u/-/ø/, /o/-/u/, /i/-/e/, /a/-/ɛ/). 3.1.3.3. Les résultats

Les conditions de locuteurs et les niveaux d’apprentissage La Figure 65 montre les résultats en fonction des conditions de locuteurs et de l'expérience d'apprentissage. Nous y observons que la difficulté s’accroît au fur et à mesure que l'hétérogénéité des stimuli augmente (sp3 > sp2 > sp1). Pour la condition sp1 (même locutrice), le taux global de réponses correctes (97,6 % pour le niveau I, et 98,8 % pour le niveau II) s'approche à 100 %, mais reste à peine significativement inférieur à 100 % (t41 = 2,08 p = 0,044 pour les deux groupes). Nous y trouvons un effet significatif de la condition de locuteurs (sp1, sp2, sp3 : F(2, 249) = 30,36 p < 0,0001), la différence entre chaque catégorie contribuant à cet effet (sp1 > sp2 > sp3).

L’hétérogénéité des stimuli et la difficulté Cet effet de condition de locuteurs serait dû à la difficulté de normaliser perceptivement les phones vocaliques en tant que phonèmes de la L2 en considérant les variations individuelles. Nous pouvons également noter une différence de taux de bonnes réponses selon le niveau d'apprentissage. Cette tendance s'intensifie au fur et à mesure que la tâche devient difficile (sp1 < sp2 < sp3), mais la différence n'est pas significative pour aucune des 3 conditions de locuteurs. Ce résultat suggère que les apprenants plus avancés seraient capables de mieux extraire les informations acoustiques pertinentes à la distinction phonémique de la L2.

Figure 65 : Taux de bonnes réponses (niveau du hasard : 50%. 7 auditeurs pour chacun des groupes de sujets, 2 réponses, 24 triplets pour chaque condition de locuteurs, sp1-3, toutes les paires de voyelles confondues : 336 réponses pour chaque groupe et chaque condition de locuteur) trié par les conditions de locuteurs (sp1 : la même locutrice, sp2 : une autre locutrice du même

sexe, sp3 : un autre locuteur du sexe opposé), et par les groupes de sujets ("niveau I" : les élèves en première année, "niveau II" : ceux en années supérieures). Les barres d’erreur représentent l’erreur-type.

Les paires de voyelles et les niveaux d’apprentissage Maintenant, comparons les différentes paires de voyelles que nous avons examinées dans l'expérience (Figure 66).

Figure 66 : Taux de bonnes réponses (niveau du hasard : 50%. 7 auditeurs pour chacun des groupes de sujets, 2 réponses, 12 triplets pour chaque paire, toutes les 3 conditions de locuteurs confondues : 168 réponses pour chaque groupe et chaque paire de voyelles) trié par les paires de voyelles, et par les groupes de sujets ("niveau I" : les élèves en première année, "niveau II" : ceux qui sont en années supérieures). Les barres d’erreur représentent l’erreur-type.

La mieux distinguée : /ɛ /-/a/ Concernant la paire /ɛ/-/a/, pour laquelle nous n'avons pas prévu de difficulté d'après le résultat du test d'identification (Expérience 3 : Tableau 22, p. 130), le taux de bonnes réponses (98,3 % pour le niveau I, 98,8 % pour le niveau II) s'approche à 100 % pour les deux groupes, sans être significativement inférieur (test t univarié : t20 = 1,37 p = 0,186 pour le niveau I, t20 = 1,45 p = 0,162 pour le niveau II). Cela montre que les consignes de l’expérience ont bien été comprises par les auditeurs, et que cette paire ne pose pas de difficulté à ces apprenants, car ce taux élevé contraste avec toutes les autres paires, qui ont obtenu un score significativement inférieur (/ɛ/-/a/ vs. (/i/-/e/ U /o/-/u/ U /u/-/y/ U /u/-/ø/ U /y/-/ø/)400 : t13 = 7,65 p < 0,0001).

400 Comparaison entre la paire /ɛ/-/a/, d’un côté, et l’ensemble des paires /i/-/e/, /o/-/u/, /u/-/y/, /u/-/ø/, /u/-/ø/ combinées, de l’autre.

Les pires : /o/-/u/ et /ø/ À l'extrémité opposée se trouvent les paires /o/-/u/ et /u/-/ø/, qui présentent des scores autour de 85 % pour les deux groupes d'apprenants, qui sont significativement inférieurs à ceux de tous les autres contrastes ensemble ( (/o/-/u/ U /u/-/ø/)

vs. (/i/-/e/ U /ɛ/-/a/ U /u/-/y/ U /u/-/ø/ U /y/-/ø/) : t13 = 6,45 p < 0,0001), mais aucune différence significative n’a été observée entre ces deux paires (/o/-/u/ vs. /u/-/ø/ : t13 = 0,56 p = 0,589).

/u/-/y/ En ce qui concerne la paire /u/-/y/, le taux de bonnes réponses est relativement élevé, supérieur à 90 % (94,6% pour le niveau I, 95,2% pour le niveau II, mais significativement inférieur à la paire /ɛ/-/a/. /u/-/y/ vs. /ɛ/-/a/ : t13 = 2,28 p = 0,042), et significativement supérieur à /o/-/u/ et /u/-/ø/ mis ensemble (/u/-/y/ vs. (/o/-/u/ U /u/-/ø/) : t13 = 6,04 p < 0,0001).

/y/-/ø/ et /i/-/e/ En revanche, les deux autres paires /y/-/ø/ (91,1%) et /i/-/e/ (88,4%) présentent des scores meilleurs que ceux des paires /o/-/u/ et /u/-/ø/, mais cela n'est qu'une tendance, sauf la différence entre /y/-/ø/, d'un côté, et /o/-/u/ (83,0%) et /u/-/ø/ (84,8%) mis ensemble, de l'autre (/y/-/ø/ vs. (/o/-/u/ U /u/-/ø/) : t13 = 3,07 p = 0,01), ainsi que celle qui se trouve entre /y/-/ø/ et /o/-/u/ (t13 = 3,99 p = 0,002).

/y/-/ø/ et /e/ : les niveaux d’apprentissage Pour ces deux contrastes (/y/-/ø/ et /i/-/e/), nous observons également une différence relativement importante de taux de bonnes réponses entre les deux groupes d'apprenants : les apprenants plus avancés ont répondu presque aussi bien que la paire /u/-/y/ (la différence n'étant pas significative), tandis que les moins avancés n'ont pas distingué beaucoup mieux que les paires /o/-/u/ et /u/-/ø/ (la différence n'est pas significative, non plus). Cependant, cette tendance entre les deux groupes d'apprenants n'est significative que pour la paire /i/-/e/ (t13 = 2,63 p = 0,02).

Comparaison avec le test d’identification : /u y ø/ Une comparaison entre ces résultats et ceux du test d’identification (Expérience 3 : Tableau 22, p. 130) nous permet de retrouver la hiérarchie de difficulté des paires /u/-/y/, /y/-/ø/, et /u/-/ø/. Dans le test d’identification, le nombre des cas de confusion était le plus petit pour la paire /u/-/y/ (2 sur 40 pour /u/- >/y/, aucun cas pour /y/->/u/), suivie de /y/-/ø/ (6 sur 40 pour /y/->/ø/, 5 sur 40 pour /ø/->/y/), et de /u/-/ø/ (12 cas sur 40 dans les deux sens). Le taux de réponses correctes décroît dans ce même ordre : /u/-/y/ > /y/-/ø/ > /u/-/ø/.

/u/-/o/ : identification et AXB En revanche, nous observons une différence entre les résultats des deux tests concernant la paire /u/-/o/. Dans le test d’identification, /o/ a été identifié comme /u/ dans 8 cas sur 40, sans aucune confusion dans l’autre sens. Le taux de bonnes réponses de cette paire est aussi faible que celui de /u/-/ø/ dans le test AXB, ce qui suggère que la paire /u/-/o/ était plus difficile dans le test AXB. Nous pouvons nous poser la question de savoir si les apprenants, qui ne sont d’ailleurs pas les mêmes dans les deux tests, ont adopté des stratégies différentes, au moins concernant cette paire. D’un côté, une écoute plutôt « phonétique » ou physique dans le test AXB, malgré la présence du silence d’une seconde entre les stimuli, aurait permis aux apprenants de remarquer la similarité acoustique entre les deux voyelles postérieures (mi-)fermées (F1 et F2 proches et bas). De l’autre côté, une écoute plutôt « phonémique » pendant le test d’identification leur aurait fait se fonder sur le /u/ phonémique de leur interlangue (qui se

situerait probablement entre les /u/ et /ø/ français), qui est assez différent du /o/ (notons que les apprenants ont produit de bons exemplaires du /o/ dans les tâches de lecture et de répétition : Tableau 42, p. 167 et Tableau 43, p. 168).

La difficulté de /i/-/e/ et /u/-/o/ La confusion entre /i/-/e/ et /u/-/o/ pourrait être expliquée par le fait qu’il y a un chevauchement de zones de dispersion acoustique (du moins sur le plan F1 et F2) de chacune de ces paires de voyelles, sauf pour /u/-/o/ prononcés par les femmes (CALLIOPE 1989 : 85. Figure reproduite à la Figure 67401). Nous retrouvons également dans nos données un chevauchement de /i/-/e/ et /u/-/o/ sur la plan F1-F2 chez les deux hommes FR1 et FR2 (Figure 42, p. 123 ; Figure 43, p. 124 pour les femmes FR3 et FR4).

Concernant l’opposition /i/-/e/, les auditeurs francophones natifs distingueraient ces deux voyelles sans difficulté grâce aux informations sur les formants supérieurs (regroupement F3/F4 : Figure 41, p. 123 ; F3 différencie /i/ et /e/ ; Figure 42, p. 123), alors que les apprenants ne feraient pas de même. Notons que les japonophones ont de la difficulté à ditinguer perceptivement /l/ et /r/ de l’anglais, qui se différencient essentiellement par F3 sur le plan acoustique (Hattori et Iverson 2009402, entre autres ; F3 extra-bas, inférieur à 2000 Hz pour le /r/ anglais).

Quant à la paire /u/-/o/, notons également que le /o/ japonais est la seule voyelle dans le système vocalique du japonais dont le F2 est très bas (inférieur à 1000 Hz), ce qui réduirait la distance perceptive entre /u/ et /o/ français, à l’écart du /u/ prototypique dans l’espace perceptif des apprenants japonophones (effet magnétique de Kuhl et al.403). Ce qui en résulte est la difficulté de distinction de la paire /u/-/o/ française, car les indices acoustiques sont en conflit pour les auditeurs japonophones : le F1 plus bas du /u/ français pointe vers /u/ (japonais), mais le F2 bas du /u/ français pointe vers /o/ (F2 est plus bas que celui du /u/ en japonais).

401 CALLIOPE. La parole et son traitement automatique. Paris, Milano, Barcelona, Mexico, Masson, 1989.

402 K. Hattori, P. Iverson. English /r/-/l/ category assimilation by Japanese adults: Individual differences and the link to identification accuracy. Journal of the Acoustical Society of America 125(1) : 469–479, 2009.

403 P. K. Kuhl, P. Iverson. "Linguistic experience and the 'Perceptual Magnet Effect'", in W. Strange,

Figure 67 : Zones de dispersion des voyelles orales du français sur le plan F1/F2. Deux répétitions des 10 voyelles orales du français chez 10 hommes et 9 femmes. Contexte : /p_/ pour /e o u y ø/, /p_ʀ/ pour /i ɛ a ɔ œ/ (CALLIOPE 1989 : 85).

3.1.4. La perception par des non-apprenants : locuteurs natifs du français et natifs du japonais