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VOT et durée

Dans le document De la syllabation en termes de contours CV. (Page 57-60)

II. Symétries syllabiques

2. Etats versus transitions

2.4 VOT et durée

2.4.1 Voici venu le moment de tirer quelques hypothèses des problèmes rencontrés par

les diverses théories phonologiques dans le traitement des états laryngaux.

Remarquons tout d'abord que l'absence d'autonomie de la voix (§ 2.3.1) établit un parallèle entre les états laryngaux et une propriété de la durée : il n'y a pas de voyelle ou de consonne "longue" tout court — puisque celles-ci sont un effet de propagation

autosegmental : cf. (9a). En cela, les états glottaux comme la durée ne fonctionnent pas comme les traits segmentaux ordinaires. On en tirera l’hypothèse selon laquelle ces états, au même titre que la durée, ne correspondent pas à des primitives segmentales.

Il est permis d'aller plus loin compte tenu de ce qui a été exposé en § 2.3.2 : on déduira de l'existence de l'"échelle de force" /tt/ : /t/ : /d/ en (7b) que le voisement, antithèse de la gémination, est, comme celle-ci, une pure fonction : le résultat de l'association d'un certain objet à deux positions. Ceci a comme conséquence immédiate de motiver la relation scalaire dont /tt/ et /d/ sont les deux pôles.

On peut enfin généraliser : si la voix est un objet à deux positions, l'existence de la seconde échelle de force en (7a) /th/ : /t/ : /d/ implique qu'il en va de même de l'aspiration, ce qui permet de motiver à son tour le rapport entre aspirée et voisée : toutes deux émergent de la propagation d'un objet à deux positions. On remarquera que, pour des raisons strictement phonologiques, on en arrive à une définition de l'aspiration et du voisement qui ressemble étrangement à la représentation autosegmentale donnée en (8) du VOT des phonéticiens, à ceci près que, contrairement à ce que suggère (8), les objets propagés ne sauraient être assimilés à des traits segmentaux.

Que sont donc ces objets ? C'est ce à quoi la perte de la voix et de l'aspiration en finale de mot évoquée en § 2.3.2 permet a contrario d'apporter une réponse. Si l'absence de la voyelle tend à provoquer le dévoisement de la consonne, c'est donc la voyelle, voisée par définition, qui, en se propageant sur la consonne, est à la base du voisement de celle-ci. De même, si l'absence de la voyelle tend aussi à éliminer l'aspiration de la consonne, c'est donc la consonne, non-voisée par définition, qui, en se propageant sur la voyelle, induit le dévoisement d'une partie de celle-ci, phénomène appelé "aspiration". Bref, la voyelle constitue, en tant que telle, à la fois la source de la voix et la cible du voisement (aspiration), la consonne étant, symétriquement, la source du non-voisement et la cible de la voix. Il s'ensuit qu'une consonne finale est a priori dépourvue et de la source de voix et de la cible du non-voisement que constitue la voyelle : elle ne pourra donc être, normalement, que sourde et non-aspirée.

2.4.2 Reste que, malgré cette symétrie du comportement de C et de V, les états

laryngaux demeurent dissymétriques en ce qu'ils sont une propriété optimale de C et non de V (cf. § 2.3.3). Avant d'aller plus loin, réfléchissons d'abord à ceci : en postulant

une propagation de la consonne vers la voyelle dans le cas de l'aspiration, et de la voyelle vers la consonne dans celui du voisement, nous avons attribué un statut phonologique à des transitions intersegmentales (cf. § 2.2) dans l'intervalle CV. C'est donc en termes de transitions et non d'états, d'intervalles et non de points, qu'il nous faut envisager la question de la symétrie possible des faits laryngaux. Aussi doit-on désormais se demander, non pas quelle est la "contrepartie vocalique" d'un trait [aspiré] inexistant, mais d'abord quelle est l'image symétrique de l'intervalle CV. La réponse est assurément VC. Dès lors, la question suivante est : qu'est-ce qui, dans VC, entretient un rapport phénoménologique particulier avec la voix et/ou l'aspiration ? Or la double échelle de force en (7) nous conduit à poser que l'aspiration en tant que type de transition CV a bien une contrepartie symétrique dans VC : la gémination. C'est là un type de transition VC puisqu'il est marqué à l'initiale, comme la voix/aspiration, type de transition CV, l'est à la finale. On peut enfin franchir un dernier pas : si, dans les consonnes géminées, C se propage sur V dans VC, c'est la propagation de V sur C dans VC qui est à la base des noyaux longs. L'image symétrique de la voix dans l'intervalle VC est donc la durée vocalique. D'où les représentations en (11), où les segments /t/ et /a/ représentent arbitrairement une obstruante et une voyelle quelconques :

(11) a. /th a/ t a /da/ t a g 0 g g 1 g • • • • b. /att/ a t /aat/ a t g 1 g g 0 g • • • •

On conviendra donc que les propriétés de l'"attaque", ou, plus précisément, du "mouvement explosif" (au sens saussurien), sont exclusivement définies dans l'intervalle CV ; ainsi du VOT. Les propriétés du "mouvement implosif", ou, si l'on veut, de la "rime", sont définies dans l'intervalle VC ; ainsi de la durée consonantique et vocalique. Autrement dit, durée et états laryngaux constituent deux réalisations différentes — et symétriques — du même invariant selon l'intervalle syllabique.

Telle est, pour l'essentiel, la thèse que je vais soutenir ici. Or elle pose un problème et revêt trois conséquences importantes. Le problème est celui de l'identité de cet invariant sous-jacent au VOT et à la durée. Sous une autre forme, il revient à se poser des questions comme : pourquoi a-t-on /att/ et non */ah

t/ en (11b), ou /th

a/ au lieu de */tta/ en (11a) ? Je l'aborderai à la fin de cette partie (cf. § 4.5.4) et au cours de la suivante (cf. § III.1.4) ; je me contenterai ici de rappeler le dévoisement final et de faire remarquer que les assimilations de (dé)voisement (comme dans parti, paquebot, etc.) sont nombreuses et massivement droite > gauche, alors que géminées initiales et préaspirées sont rarissimes. Les trois conséquences peuvent être formulées ainsi :

(12) a. La durée n'est pas fonction du nombre d'intervalles CV. b. A et N ne sont rien d'autre que les "racines" des segments.

c. Consonnes et voyelles sont universellement sur des plans différents.

Je les exposerai en § 3 et j'essaierai de démontrer la validité de chacune en particulier, indépendamment de la durée et du VOT, dans la partie suivante (§ III).

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