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Syllabe et symétrie

Dans le document De la syllabation en termes de contours CV. (Page 45-49)

II. Symétries syllabiques

1. Syllabe et symétrie

1.1 Constituance et dissymétrie.

L'idée d'une syllabe à constituants hiérarchisés, qui a dominé la phonologie depuis une vingtaine d'années, remonte à l'article fort cité sinon lu de Pike (1947) sur le mazatèque. On pourrait aussi ajouter l'étude contemporaine de Kury:owicz (1948), dont la formulation, inspirée de Saussure, permet toutefois de nuancer l'idée de constituance. D'ailleurs, seul Pike, non Kury:owicz, a dessiné le schéma désormais classique de l'arborescence syllabique en termes d'attaque, rime, etc. — le "facteur iconique" n'étant peut-être pas pour rien dans le succès posthume de ses vues.

Le principal problème que pose ce schéma, d'après la problématique décrite en introduction, est le suivant : pourquoi la syllabe présenterait-elle la structure en (1a) plutôt que la structure symétrique en (1b) :

(1) a. σ b. σ

10 10

(Attaque) Rime Cadence1

(Coda)

10 10

Noyau (Coda) (Attaque) Noyau

Clements & Keyser (1983 : 19-24) passent en revue les arguments à l'appui de (1a).2 Ils s'emploient à montrer que la plupart d'entre eux n'excluent pas formellement

1 J'emprunte le terme à Di Cristo (1981), qui l'emploie toutefois dans le cadre de l'intonation.

2 Ils ne mentionnent curieusement pas le poids syllabique, souvent invoqué en faveur de (1a) : si VV = VC en termes de poids, c'est que l'une et l'autre séquences appartiennent à la même espèce.

une structure du type (1b). Ils invoquent, en particulier, l'étude des jeux de mots, dont certains militeraient en faveur de (1b) (p. ex., pussy cat > cassy put : cf. Clements & Keyser 1983 : 22-23). De cette confrontation ils concluent à l'inexistence tant du type (1a) que du type (1b) : la syllabe n'est pour eux qu'une structure plate σ = CVC, à l'image de ce qu'elle était chez Kahn (1976). Bertinetto (1996), en revanche, admet la distinction (1a)/(1b) et y voit un effet paramétrique : il y aurait ainsi des langues à "right-branching syllables" et des langues à "left-branching syllables". Si j'admettais que la syllabe était une structure à constituants, je serais, pour ma part, tenté d'attribuer (1a) aux langues où CVC compte pour une syllabe lourde, et (1b) à celles où seule CVV, mais non CVC, est une lourde. Il est frappant, en effet, que : (a) le poids de CVC est variable selon les langues ; (b) si CVC est lourde, alors CVV l'est aussi, et jamais l'inverse : ainsi une voyelle longue implique une syllabe "longue" alors qu'il y a des langues à géminées dites "non moraïques" (somali, tubatulabal…).

Il reste que tout choix entre (1a) et (1b) serait a priori circulaire : on pourrait tout aussi bien soutenir que (1a) ou (1b) "expliquent" telle ou telle distribution du poids syllabique qu'affirmer que celle-ci "justifie" (1a) ou (1b) selon le cas. Il faudrait donc rechercher des critères indépendants, c'est-à-dire autres que le poids syllabique, pour appuyer le choix de l'une ou l'autre structure dans une langue donnée. Il est dès lors inévitable de tomber sur des indices contradictoires : pour une même langue, le poids syllabique conforterait (1a) alors que l'étude des jeux de mots, par exemple, suggérerait (1b). En vérité, le problème posé par la symétrie (1a/b) peut bien être pris pour un argument en faveur soit de l'ambiconstituance du noyau, soit de l'abandon de toute idée de constituants hiérarchiques dans la syllabe — ce qu'ont fait Clements & Keyser.

1.2 (C)V(C) et dissymétrie.

Examinons donc la structure plate défendue par Clements & Keyser (1983) :

(2) σ

1g0

(2) suggère une symétrie certaine : de part et d'autre de V, seul élément obligatoire et donc définitoire de σ, apparaissent des marges C, dont le caractère optionnel ne fait qu'accentuer leur relation en miroir. Malheureusement, (2) n'est pas conforté par les faits. Si la symétrie postulée répond à quelque chose d'autre qu'un effet iconique, CV et VC doivent être pourvus d'un "coefficient typologique" équivalent. On trouve certes des langues à syllabes (C)V mais non (C)VC (langues polynésiennes, bantoues, etc.), comme des langues à syllabes CV(C) mais non V(C) (allemand, arabe classique). Cependant, le caractère optionnel de C a, on le voit, une valeur diamétralement inverse pour l'attaque et la coda : si la présence de la seconde est marquée, c'est l'absence de la première qui l'est.3

Or cette dissymétrie n'est nullement expliquée par les diverses théories de la syllabe : elle est juste postulée et justifiée empiriquement. Son statut théorique est donc circulaire. Remarquons, enfin, que cette dissymétrie vient s'ajouter à celle qui implique l'indécidabilité entre (1a) et (1b) dans les modèles à constituants, lesquels apparaissent ainsi comme le summum de l'arbitraire.

1.3 CV et symétrie.

On pourrait, a posteriori, imputer à la quête de la symétrie l'invention de l'idée "CVCV" par Lowenstamm (1996), même si ce n'était peut-être pas là le but de son auteur. Comme chez Kahn (1976) et Clements & Keyser (1983), la structure hiérarchique disparaît. Mais il y a plus : toute attaque suppose un noyau à sa droite, comme tout noyau implique une attaque à sa gauche, de sorte que la chaîne phonique se ramène à une suite périodique ANAN…AN (ou CVCV…CV), d'où l'appellation de "modèle CV" employée pour désigner cette branche de la phonologie du gouvernement.

Conséquence I : la coda fautive disparaît ; c'est, en fait, une attaque précédant un noyau vide. On comprend dès lors en quoi la "coda" est marquée : comme l'attaque dont

3 Pour des raisons analogues, la symétrie postulée, à la suite de Saussure, par Kury:owicz (1947) se révèle illusoire : au groupe implosif qu'est une rime complexe répond, selon lui, le groupe explosif qu'est une attaque complexe (p. ex., tr, pl…). S'il est vrai que les sonantes ont la particularité d'occuper volontiers la seconde position dans les deux groupes, il n'en est pas moins vrai que les attaques complexes sont des objets relativement rares dans les langues du monde, nettement plus en tout cas que les codas,

elles-la présence est nécessaire, le noyau se doit d'être là, c'est-à-dire d'être plein ; l'existence d'une coda implique donc une absence, celle du noyau, ou plutôt de son contenu segmental. Ainsi toute "absence" de l'un des objets fondamentaux que sont A et N est marquée, d'où les structures symétriques en (3) :4

(3) Structures marquées :

a. Attaque vide b. Noyau vide (= "coda")

A N A N

g g g g

• • • •

g g

V C

Aussi les soi-disant contraintes ONSET et NO-CODA ne sont-elles, au mieux, que des cas particuliers d'une contrainte plus générale du type FILL ; leur caractère arbitraire en est réduit d'autant.

Conséquence II : la syllabe elle-même n'est plus un objet symbolique. On notera que l'unique type syllabique sous-jacent retenu par le modèle correspond à celui — CV — qui fait figure de type "non marqué" car : (a) universel dans les langues du monde, et (b) prioritairement acquis par l'enfant. Il serait pourtant inexact de dire que σ est AN : il

n'est pas vrai que toute syllabe soit réductible à CV ; de plus, (3b) n'équivaut pas toujours à ce qu'il est convenu d'appeler une syllabe, qui représente aussi bien la première "syllabe" de pelouse que la "coda" de parti.

En résumé, on a là la première formalisation d'une vue symétrique sinon de la syllabe, du moins de la syllabation. Par là-même, on le voit, elle rejette toute constituance et résout les problèmes de naturalité que comportaient les représentations en (1) et en (2) ; enfin, elle implique l'unicité sous-jacente du type CV, dont le caractère

mêmes déjà relativement marquées. Je ne connais pas, pour ma part, d'exemple sûr d'une langue qui aurait des attaques doubles et uniquement des syllabes ouvertes.

4 A noter que de telles représentations rendent compte tant des faits qui confortent (1a) que de ceux qui suggèrent (1b). Par exemple, le poids syllabique s'ensuit de l'interprétation de CVC comme ANAn (où n = noyau vide), puisque la séquence comporte deux noyaux, à l'instar de CVCV. D'un autre côté, cette même représentation permet une description naturelle des jeux de mots qui illustrent l'"autonomie de la coda" (cf. § 1.1) : ils impliquent simplement la permutation des seuls CV à noyau plein.

empiriquement non marqué n'est plus à démontrer. Dans ce qui suit, j'adopterai donc l'hypothèse d'une séquence périodique ANAN…AN.

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