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La volonté de la Cour de justice de privilégier la Convention européenne des droits de l’homme dans sa protection des droits fondamentau

Dans sa recherche de légitimité pour la protection des droits fondamentaux, la Cour de justice a su développer une politique jurisprudentielle permettant d’approfondir la notion des droits fondamentaux et leur garantie dans le droit communautaire.

Afin de développer la protection des droits fondamentaux, à travers leur consécration par les principes généraux du droit, le juge de Luxembourg s’est inspiré de diverses sources externes. La Convention européenne des droits de l’homme a été, dans ce cadre, la principale source substantielle de référence des droits fondamentaux par la Cour de justice de l’Union européenne.

L’utilisation récurrente du texte de la Convention par le juge de Luxembourg pourrait s’apparenter à une importante proximité. Pour autant, ce n’est qu’au titre des principes généraux du droit que la Convention européenne des droits de l’homme a pu pénétrer l’ordre juridique communautaire puis de l’Union européenne. Comme le souligne G. COHEN- JONATHAN, le statut de la Convention européenne des droits de l’homme a évolué pour la Cour de justice. D’une « source d’inspiration » des droits fondamentaux, elle est devenue au fil des jurisprudences une « source de la légalité » du droit de l’Union européenne527 avant qu’elle n’intègre ce droit du fait de l’adhésion de l’Union européenne.

Cet axe de réflexion nous apparaît comme particulièrement intéressant quant à la protection des droits fondamentaux par la Cour de justice de l’Union européenne. Il met en évidence la volonté du juge d’établir une protection effective des droits fondamentaux par une appréhension plus précise des principes généraux du droit. De même, G. COHEN- JONATHAN démontre que dans sa quête de légitimité pour une protection des droits fondamentaux non définie dans les Traités initiaux, le juge de Luxembourg a su tirer avantage des instruments internationaux afin de donner une meilleure lisibilité à cette protection.

527 COHEN JONATHAN (G.), « La Cour des Communautés européennes et les droits de l’homme », Revue du Marché Commun, 1978, pp. 90 et s.

164 Concernant cette recherche d’effectivité et de légitimité de la protection des droits fondamentaux par la Cour de justice de l’Union européenne, L. DUBOUIS démontre ainsi que la Convention européenne des droits de l’homme est devenue « la référence qui irradie la

jurisprudence communautaire relative à la protection des droits fondamentaux »528.

Pour F. SUDRE, il est tout à fait possible d’exprimer l’idée selon laquelle la multiplication des références à la Convention européenne constitue une « appropriation » de cette dernière dans le droit de l’Union européenne529. Pour J. RAYNARD, « la distinction des

droits fondamentaux formulés par la Cour (de justice) au titre des principes généraux de ceux édictés par la Convention européenne des droits de l'homme paraît quelque peu byzantine »530. Le juge J.-P. PUISSOCHET ira même plus loin en affirmant bien avant l’adoption de la Charte des droits fondamentaux et la future adhésion de l’Union à la Convention que « tout se passe comme si la Convention européenne des droits de l’homme

était devenue une des sources formelles du droit communautaire »531.

Le passage de la Convention européenne des droits de l’homme du statut de norme externe d’inspiration à celui de source de la légalité du droit de l’Union européenne pour la Cour de justice de l’Union européenne dans sa protection des droits fondamentaux est donc essentiel532. Il reflète l’importante aptitude du juge à s’approprier des normes externes qui au demeurant n’avaient pas vocation à s’appliquer533.

528 DUBOUIS (L.), « Les principes généraux du droit communautaire, un instrument périmé de protection des

droits fondamentaux ? », in Les mutations contemporaines du droit public, Mélanges en l’honneur de Benoît

Jeanneau, Paris, Dalloz, 2002, p. 82. 529

SUDRE (F.), « La Communauté européenne et les droits fondamentaux après le Traité d'Amsterdam : vers un nouveau système de protection des droits de l'homme ? », Jurisclasseur, éd.GI.100, pts. 14 et s.

530 RAYNARD (J.), « Quand la Cour de Luxembourg se préoccupe de droits fondamentaux », R.T.D.Civ., 1999,

pp. 920 et s.

531 PUISSOCHET (J.-P.), « La Cour de justice et les principes généraux du droit », in La protection juridictionnelle des droits dans le système communautaire, Bruxelles, Bruylant, 1997, p. 9.

532

Voir sur ce pt. : SUDRE (F.), « L’apport du droit international et européen à la protection communautaire des droits fondamentaux », Droit international et Droit communautaire : perspectives actuelles, Paris, Pedone, 2000, p. 169 ; WACHSMANN (P.), « Les droits de l’homme », R.T.D.E., 1997, p. 884.

533 Selon H. Kelsen, la Communauté européenne puis l’Union européenne, n’étant pas partie à la Convention

européenne des droits de l’homme, n’avaient pas pour obligation de respecter les dispositions conventionnelles. Voir en ce sens KELSEN (H.), « Les rapports de système entre le droit interne et le droit international public »,

165 C’est donc par un processus exponentiel dans sa quantification et évolutif dans sa détermination que la Convention européenne des droits de l’homme est passée du statut de source d’inspiration privilégiée de la protection des droits fondamentaux par la Cour de justice (Section 1) à celui de source de la légalité du droit de l’Union européenne (Section 2).

Section 1 : L’utilisation de la Convention européenne des droits de l’homme comme source d’inspiration de la protection des droits fondamentaux

L’utilisation de la Convention européenne des droits de l’homme par la Cour de justice pour révéler des principes généraux du droit répond à plusieurs nécessités.

Étant donné que la Convention demeure encore aujourd’hui un texte de droit international externe à l’ordre juridique de l’Union européenne, c’est par une certaine « hardiesse » que le juge de Luxembourg a pu utiliser ce texte.

Par sa construction des principes généraux du droit, la Cour de justice s’est ménagée un espace de « liberté » lui permettant de s’inspirer de différentes sources.

Cependant, la volonté de rattacher des droits fondamentaux aux principes généraux du droit inspirés des traditions constitutionnelles communes et d’autres instruments internationaux, permettant à la Cour de conserver une certaine liberté non seulement dans la détermination des droits mais également dans la protection de ces derniers, conduisait également à une indétermination des critères de reconnaissance de ces droits fondamentaux. Afin de constituer un socle pour consacrer ces notions jurisprudentielles, la Convention européenne des droits de l’homme est devenue la source de référence privilégiée pour reconnaître comme « fondamentaux » certains droits.

Ce n’est qu’à partir de 1975 et de l’arrêt « Rutili »534 que la Cour de justice s’est engagée dans un processus de reconnaissance de la Convention européenne des droits de l’homme comme source de référence.

166 L’année 1975 n’est pas sans signification puisqu’elle suit la ratification du texte par la France le 3 mai 1974. La France est un État moteur des Communautés européennes et de l’Union européenne, elle était jusqu’en 1974 le seul État membre à ne pas avoir ratifié la Convention. Par conséquent, rattacher la protection des droits à un texte n’ayant pas valeur contraignante dans l’ensemble des pays Membres pouvait être risqué d’un point de vue à la fois politique et juridique535.

Ainsi, l’utilisation préférentielle de la Convention européenne des droits de l’homme répond non seulement à une nécessité mais également à un objectif. Elle résulte d’une certaine « demande » des États membres d’expliciter les sources de la protection des droits de l’homme dans le droit de l’Union européenne mais aussi du besoin de légitimer l’action de la Cour de justice (§1). À ce titre, la Convention européenne des droits de l’homme s’est vue reconnaître une valeur particulière en tant que source d’inspiration principale des principes généraux du droit (§2).

§1 : La volonté de la Cour de justice de se référer à un catalogue de droits identifiés

Dans sa liaison entre les principes généraux du droit et la protection des droits fondamentaux, la Convention européenne tient une place privilégiée. Face à la difficulté de se référer au droit comparé536, aux traditions constitutionnelles communes et la transposition délicate de certains principes de droit international, la Cour de justice a introduit la Convention européenne des droits de l’homme afin de l’établir en tant que source à part entière des principes généraux du droit (A).

535

Ce qui se démontrera à travers l’avis 2/94 du 28 mars 1996 de la Cour de justice ; C.J.C.E., 28 mars 1996, Avis 2/94, « Adhésion de la Communauté européenne à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales », Rec., I, p.1759.

536 MANCINI (F.) et DI BUCCI (V.), « Le développement des droits fondamentaux en tant que partie du droit

167 Une telle insertion révèle l’habileté du juge de Luxembourg puisqu’il insère un droit qui lui est doublement étranger537. Cette insertion ne demeurera pas pour autant sans limite puisque si la Convention européenne des droits de l’homme devient une source privilégiée des principes généraux du droit, elle ne sera utilisée que lorsque son droit se révèlera adéquat pour la protection des droits fondamentaux dans le cadre de l’Union européenne (B).

A- La Convention européenne des droits de l’homme, source d’inspiration privilégiée dans la consécration des principes généraux du droit

La Convention européenne des droits de l’homme a été introduite grâce aux principes généraux de droit538 et la reconnaissance de ces derniers se voit légitimée par la référence au texte conventionnel. La Convention européenne constitue par conséquent une source d’inspiration non négligeable dans la protection des droits fondamentaux dans le droit communautaire et de l’Union européenne. La Convention européenne des droits de l’homme a tout d’abord été un instrument de légitimation du droit communautaire avant d’en devenir une source d’inspiration. Une telle démarche renforce l’idée selon laquelle le texte conventionnel devient une norme de référence à part entière pour le juge de Luxembourg.

La Cour de justice a pu à ce titre investir l’ensemble des champs normatifs eux-mêmes investis par la Convention européenne des droits de l’homme.

C’est ainsi qu’en matière contentieuse le juge de Luxembourg est venu garantir le droit au juge539, le droit à un procès équitable540, l’indépendance du juge541, le respect du

537 En effet, l’Union européenne n’est pas partie à la Convention européenne des droits de l’homme mais de

surcroît, son juge viendra utiliser un texte de droit international externe aux ordres juridiques nationaux.

538

Pour exemple : C.J.C.E., 15 mai 1986, aff. 222/84, « Marguerite Johnston c/ Chief Constable of the Royal Ulster Constabulary », précité, pt. 18.

539

C.J.C.E., 15 mai 1986, aff. 222/84, « Marguerite Johnston c/ Chief Constable of the Royal Ulster Constabulary », précité ; C.J.C.E., 15 octobre 1987, aff. 222/86, « Heylens », précité ; T.P.I.C.E., 17 juillet 1998, aff. T-111/96, « ITT Promedia NV c/ Comm. », Rec., II, p. 937 ; T.P.I.C.E., 27 juin 2000, aff. T-172/98, 175/98 à 177/98, « Salamander AG et a. c/ Parlement et Conseil », Rec., II, p. 2487 ; C.J.C.E., 18 janvier 2007, aff. C- 229/05 P, « PKK et KNK c/ Cons. », précité.

168 contradictoire542, la présomption d’innocence543 et la non rétroactivité en matière pénale544. Le juge est également venu encadrer la durée des procédures administratives545 et juridictionnelles. Dans ce dernier cas, la Cour de justice adopte un raisonnement particulièrement explicite. Après avoir rappelé la portée de l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme, la juridiction indique que « le principe général de droit

communautaire selon lequel toute personne a droit à un procès équitable, (…) s'inspire de ces droits fondamentaux »546.

À travers la Convention européenne des droits de l’homme, le juge de Luxembourg fera également évoluer le droit communautaire en matière de non-discrimination qu’elle soit religieuse547 ou sexuelle548, de protection de la vie privée et familiale549, de respect de la dignité de la personne humaine550, de liberté d’expression551 et accordera des garanties en matière de droit de propriété552 ou de restrictions aux droits du preneur à bail553.

540 C.J.C.E., 29 octobre 1980, aff. jtes 209/78 à 215/78 et 218/78, « Landeweyck et a. c/ Comm. », Rec., p. 3125 ;

C.J.C.E., 11 janvier 2000, aff. jtes C-174/98 P et C-189/98 P, « Pays-Bas et van de Wal c/ Comm. », Rec., I, p. 1 ; T.P.I.C.E., ord., 19 juin 1995, aff. T-107/94, « Kik c/ Cons. et Comm », précité.

541

C.J.C.E., 11 janvier 2000, aff. jtes C-174/98 P et C-189/98 P, « Pays-Bas et van der Wal c/Comm. », précité.

542 C.J.C.E., ord., 4 février 2000, aff. C-17/98, « Emesa Sugar NV(Free zone) c/ Aruba », Rec., I, p. 665 ;

C.J.C.E., 10 février 2000, aff. C-50/96, « Schröder », Rec., I, p. 799.

543 C.J.C.E., 8 juillet 1999, aff. C-235/92 P, « Montecatini SpA c/ Comm », Rec., I, p. 4539. 544 C.J.C.E., 10 juillet 1984, aff. 63/83, « Kirk », précité.

545 T.P.I.C.E., 22 octobre 1997, aff. jtes T-213/95 et T-18/96, « SCK et FNK c/ Comm. », précité ; T.P.I.C.E., 14

mai 1998, aff. T-348/94, « Esso Espanola c/ Comm. », précité.

546

C.J.C.E., 17 décembre 1998, aff. C-185/95 P, « Baustahlgewebe GmbH c/ Comm. », Rec., I, p. 8417, pts. 20 et 21.

547 C.J.C.E., 27 octobre 1976, aff. 130/75, « Prais c/Cons. », Rec., p. 1589.

548 C.J.C.E., 10 avril 1984, aff. jtes. 14/83 et 79/83, « S. Von Colson et E. Kamann c/ Land Nordrhein-

Westfalen », Rec., p. 1891.

549 C.J.C.E., 26 juin 1980, aff. 136/79, « National Panasonic c/ Comm. », précité ; T.P.I.C.E., 15 mai 1997, aff.

T-273/94, « N c/ Comm. », Rec., CJCE 1997, FP, II, p. 289 ; C.J.C.E., 18 mai 1989, aff. 249/86, « Comm. c/ Allemagne », Rec., p. 1290.

550

C.J.C.E., 14 octobre 2004, aff. C-36/02, « Omega spielhallen », précité.

551

C.J.C.E., 18 juin 1991, aff. C-260/89, « ERT », précité ; C.J.C.E., 16 décembre 1999, « Comité économique et social c/ E », Rec., I, p. 8877 ; T.P.I.C.E.,19 mai 1999, aff. jtes T-34/96 et T-163/96, « Connolly c/ Comm. »,

Rec., FP, 1999, II, p. 463.

552 C.J.C.E., 14 mai 1974, aff. 4/73, « Nold », précité ; T.P.I.C.E., 10 avril 2003, aff. T-195/00, « Travelex

169 Afin d’incorporer la Convention européenne des droits de l’homme en tant que norme de référence dans le droit communautaire puis dans le droit de l’Union européenne et donc en tant que source d’inspiration pour la protection des droits fondamentaux, le juge de Luxembourg rattache le texte conventionnel aux principes généraux du droit qu’il dégage. Il existe une relation ténue entre la Convention européenne des droits de l’homme et les principes généraux de droit puisque ces derniers sont inspirés par la première. Ainsi, la Convention européenne des droits de l’homme tend à devenir une norme de référence parce qu’elle inspire le juge de Luxembourg dans sa démarche de découverte des principes généraux.

La Cour de justice ne manqua pas de rappeler cette liaison étroite en affirmant que si « selon une jurisprudence constante les droits fondamentaux font partie intégrante des

principes généraux du droit dont la Cour assure le respect (…) la Cour s'inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré »554. Le Tribunal de première instance adopta une démarche similaire en reprenant les mêmes formulations555.

À la différence des premières références à la Convention européenne des droits de l’homme, il est ici clairement indiqué que ce texte inspire le juge dans sa protection des droits fondamentaux. Auparavant, le juge faisait intervenir le texte conventionnel dans un objectif de légitimation de son action normative. Le principe général dégagé par le juge était consacré

553

C.J.C.E., 13 juillet 1989, aff. 5/88, « Wachauf », précité.

554

C.J.C.E., 18 juin 1991, aff. C-260/89, « ERT », pt. 41, précité ; C.J.C.E., 28 octobre 1992, aff. C-219/91, « Ter Voort », pt. 34, précité ; C.J.C.E., avis 2/94, 28 mars 1996, pt. 33, précité ; C.J.C.E., 29 mai 1997, aff. C- 299/95, « Kremzow », pt. 14, précité ; C.J.C.E., 18 décembre 1997, aff. C-309/96, « Annibaldi », pt. 12, précité ; C.J.C.E., 4 février 2000, aff. C-17/98, « Emesa Sugar », pt. 8, précité ; C.J.C.E., 6 mars 2001, aff. C-274/99 P, « Connolly c/ Comm. CE », pt. 37, précité ; C.J.C.E., 14 octobre 2004, aff. C-36/02, « Omega », pt.33, précité ; C.J.C.E., 27 juin 2006, aff. C-540/03, « Parlement c/ Conseil », pt. 35, précité.

555

T.P.I.C.E., 14 avril 1994, aff. T-10/93, « A c/ Comm. CE », Rec., II, FP, p. 179, pt. 48 ; T.P.I.C.E., 23 février 1995, aff. T-535/93, « F c/ Cons. CE », Rec., II, FP, p. 163, pt. 32 ; T.P.I.C.E., 13 juillet 1995, aff. T-176/94, « K c/ Comm. CE », Rec., II, FP, p. 621, pt. 29 ; T.P.I.C.E., 22 octobre 1997, aff. jtes T-213/95 et T-18/96, « SCK et FCK c/ Comm. CE », Rec., II, p. 1739, pt. 53 ; T.P.I.C.E., 14 mai 1998, aff. T-347/94, « Mayr-Melnhof Kartongesellschaft », Rec., II, p. 1751, pt. 312 ; T.P.I.C.E., 14 mai 1998, aff. T-348/94, « Esso Española c/ Comm. CE », précité, pt. 55 ; T.P.I.C.E., 14 décembre 2005, aff. T-210/01, « General Electric c/ Comm. CE »,

170 par la Convention européenne des droits de l’homme. Aussi, le juge de Luxembourg incorporait le texte conventionnel de manière indirecte puisqu’il caractérisait la primauté du droit communautaire en matière de protection des droits de l’homme.

On pourra par conséquent remarquer la différence substantielle qui existe entre les premières références à la Convention européenne des droits de l’homme et les références contemporaines. Ainsi, l’arrêt « Rutili » en date du 28 octobre 1975 exprimait l’idée selon laquelle « (les) limitations apportées aux pouvoirs des États membres en matière de police

des étrangers se présentent comme la manifestation spécifique d'un principe plus général consacré par les articles 8, 9, 10 et 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales »556 alors que dans son arrêt « Omega » en date du 14 octobre 2004 par exemple, la Cour affirme que dans sa découverte des principes généraux, elle s’inspire des « traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des

indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré. »557.

L’intérêt du juge de Luxembourg pour la Convention européenne des droits de l’homme évolue donc non seulement quant à l’usage qu’il en fait mais également quant à la portée qu’il lui donne. Par conséquent, le texte conventionnel se voit substantiellement incorporé au droit communautaire et au droit de l’Union européenne.

B- Le caractère subsidiaire de la Convention européenne des droits de l’homme pour la protection des droits fondamentaux dans l’ordre juridique de l’Union européenne

Le caractère subsidiaire de la Convention européenne des droits de l’homme s’avère concomitant à sa reconnaissance par la Cour de justice.

En affirmant dans l’arrêt « Nold » que pour assurer la protection des droits fondamentaux « les instruments internationaux concernant la protection des droits de

l'homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré peuvent également fournir des

556 C.J.C.E., 28 octobre 1975, aff. 36/75, « Rutili », précité, att. 32. 557 C.J.C.E., 14 octobre 2004, aff. C-36/02, « Omega », précité, pt.33.

171

indications dont il convient de tenir compte dans le cadre du droit communautaire »558, la juridiction n’établit pas de hiérarchie entre ces sources internationales. Au contraire même, le raisonnement construit par la Cour semble induire une condition à l’applicabilité de ces dernières dans le droit communautaire et le droit de l’Union européenne.

En effet, le juge de Luxembourg n’exprime pas la volonté d’appliquer en l’état les instruments internationaux et la Convention européenne des droits de l’homme, qui d’ailleurs ici n’est pas citée. Seuls les principes contenus dans ces textes peuvent éventuellement s’exprimer dans le droit communautaire, après une adaptation et une interprétation spécifique au droit communautaire. La Cour de justice cherche donc à privilégier le droit communautaire en matière de protection des droits fondamentaux lorsque celui-ci s’avère efficace et plus adapté que le droit conventionnel.

Cette dynamique se confirmera par l’arrêt « Liselotte Hauer » en date du 13 décembre 1979 lorsque la Cour de justice semble établir une priorité d’utilisation des sources pour la protection des droits fondamentaux. En effet, le juge rattache la protection de ces derniers à des normes communautaires incarnées par les principes généraux du droit communautaire. Ces principes sont notamment issus des traditions constitutionnelles communes aux États Membres et ce n’est qu’à titre indicatif que le juge peut se référer aux instruments internationaux, dont la Convention européenne des droits de l’homme559.

Des arrêts plus récents démontrent cette capacité pour la Cour de justice de ne pas se référer à la Convention européenne des droits de l’homme lorsque le droit de l’Union européenne s’avère suffisant.

558 C.J.C.E., 14 mai 1974, aff. 4/73, « J. Nold, Kohlen- und Baustoffgroβhandlung c/ Commission des

Communautés européennes », précité, pt. 13.

559 C.J.C.E., 13 décembre 1979, aff. 44/79, « Liselotte Hauer », précité, pt. 15 : « La Cour a également souligné dans l'arrêt cité et, ultérieurement, dans l'arrêt du 14 mai 1974, Nold (Recueil 1974, p. 491), que les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont elle assure le respect; qu'en assurant la sauvegarde de ces droits elle est tenue de s'inspirer des traditions constitutionnelles communes aux États membres, de manière que ne sauraient être admises dans la Communauté des mesures incompatibles avec les droits fondamentaux reconnus par les Constitutions de ces États; que les instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme, auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré, peuvent également fournir des indications dont il convient de tenir compte dans le cadre du droit communautaire ».

172 Par exemple, par son arrêt « Épx. Elgafaji » en date du 17 février 2009560, la Cour de justice a pu démontrer le caractère subsidiaire de la Convention européenne des droits de l’homme mais également une certaine « autonomie »561 par rapport à la Cour de Strasbourg.

Le conflit ayant donné naissance à l’arrêt était fondé sur le refus d’une demande d'octroi de permis de séjour temporaire aux Époux Elgafaji. Selon les autorités néerlandaises, les époux devaient démontrer, dans le cadre de la protection subsidiaire, qu’un risque réel d'«