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3. Analyse des données et principaux résultats

3.2 La participation occupationnelle des personnes sans domicile

3.2.1 La volition

La plupart des personnes sans domicile a souvent une motivation à agir limitée (TP1, TP2, TP5, TP6, E1), notamment les personnes sans enfant (E3). « Mon ambition, elle était portée vers le sol » se remémore un travailleur pair (TP6). Un autre participant explique que sa motivation était fluctuante selon les périodes : « A la rue, à des moments, je me sentais super bien, je cherchais du boulot, un logement […] mais après, en fait, c'était toujours des non, des non, des non. Donc après, je recommençais à boire et dans ces cas-là, souvent, je restais dans des parcs, je ne faisais pas grand-chose aussi » (TP1). Quatre travailleurs pairs (TP1, TP2, TP4, TP6) racontent que leur estime personnelle était également affaiblie. TP2 se rappelle la sensation de ne pas être considérée comme un être humain : « je me disais, j’existe et personne ne voit que j’existe ». Ce « besoin de reconnaissance » (E4) est évoqué par une ergothérapeute. La vision qu’ils portent sur eux-mêmes est dégradée par le regard des gens. C’est notamment le cas de TP1 qui parle de la perte de dignité : « Y a pas que le logement qu’on perd quand on est dehors. Je me souviens du regard des gens, on perd tout en fait. On perd sa dignité, on perd tout ». E1 confirme des expériences similaires pour les personnes qu’elle accompagne : « le sentiment d’exclusion et d’être rien, ce cercle vicieux des gens qui te regardent mal, et que toi tu te considères mal ». Deux travailleurs pairs éprouvaient de la honte qui les conduisait à refuser de l’aide dans le cas de TP1, « il y a beaucoup de gens qui ont voulu m’aider, mais moi, j’ai pas voulu, par fierté », ou à ne pas informer sa famille de sa situation de vie dans le cas de TP7, « je ne voulais pas qu’ils sachent que, des fois, c’était un peu la galère ». Deux travailleurs pairs (TP2, TP6) se souviennent de leur sentiment de défaite, de cette impression de ne jamais pouvoir parvenir à changer de façon de vivre. TP6 se remémore « l’impression que tout était

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déjà joué, et tu te dis que tu n’iras nulle part, que ça restera comme ça ». Cette pensée défaitiste est souvent source de renoncement et d’abandon : « quand on est à la rue, c’est fréquent de se dire ça pour tout, de laisser tomber le truc et de se dire ça ne vaut pas le coup, de toute façon je vais pas y arriver. On se met des bâtons dans les roues à nous-mêmes » (TP2). TP4 ne croyait pas en lui et en son avenir : « j’aurais pas cru que j’aurais trouvé un boulot qui me plaise, que j’ai un enfant et que ma vie se stabilise à ce point ». Malgré tout, une travailleuse paire explique que si on leur donne les moyens, ils ont envie de faire : « on a envie de faire plein de choses, mais il nous manque le matériel » (TP2). Elle évoque aussi le sentiment d’injustice qu’elle ressentait face à l’échec : « Pourquoi c’est pas mon tour ? […] je le ressentais vraiment comme des injustices » (TP2). Ce sentiment est affirmé par E1. En effet, elle l’observe chez les personnes qu’elle accompagne et celui-ci peut être source de motivation. A cela, s’ajoute également la sensation d’être incompris par leurs proches et par les travailleurs sociaux. TP5 parle de ses amis qui « avaient du mal à comprendre » et TP2 se rappelle de l’impression d’être délaissée par les travailleurs sociaux : « on a l’impression que les travailleurs sociaux, ils en branlent pas une, qu’ils nous écoutent pas, qu’ils nous comprennent pas ». Certains se sentaient mis en marge de la société. C’est notamment le cas de TP1 qui « se sentait exclu ». TP7 et TP8 évoquent les préjugés de la société vis-à-vis de leur être : « quand les gens me voyaient, surtout qu’avant j’avais la crête, quand j’amenais ma fille la première fois à l’école, on m’a regardé comme si… […] mais j’avais une crête, et c’est pas pour ça que j’étais une méchante, que je m’occupais pas de mes enfants, que je pouvais être sociable, ma fille manquait de rien, l’éducation se faisait, c’est surtout les gens » (TP8). Leur sensation est confirmée par E2 qui explique que la société marginalise les personnes sans domicile car elles sont différentes : « Il y a une société qui exclut ceux qui ne sont pas similaires, ceux qui n’ont pas les mêmes valeurs, ceux qui sont à la rue, les autres, les abandonnés, les naufragés ». Parfois, ce mouvement d’exclusion ne vient pas de la société, mais de la personne elle-même envers la société (TP4, TP8, E2) : « c’est plutôt par rejet de la société qu’on habitait en squat » (TP4). Pour deux travailleuses paires (TP2, TP7), l’écoulement du temps leur semblait très long. E2 explique que leur existence est comme suspendue dans le temps.

Au fur et à mesure du temps passé à la rue, les demandes, les volontés et les buts des personnes sans domicile diminuent pour ne pas souffrir de privation (E3). Sept travailleurs pairs racontent qu’ils n’avaient aucun but et vivait dans l’instant présent (TP1, TP2, TP3, TP4, TP5, TP6, TP7). « J’étais vraiment dans l’instant présent » explique TP5. Par ailleurs, trois ergothérapeutes expliquent aussi que les personnes sans domicile n’ont ni but ni projection dans l’avenir (E2, E3, E4). La formulation de buts et le changement ont été insufflés par un

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accompagnement (TP1, TP6) et par un besoin de changement ressenti à un moment de leur existence (TP1, TP2, TP3, TP4, TP5, TP6, E2, E3, E4). Ce besoin de changement peut provenir de raisons différentes. Par exemple, TP3 et TP6 avaient besoin de retrouver du sens dans leur vie. TP2 a eu besoin de prendre conscience de ses capacités pour retrouver une motivation à agir, vouloir changer et formuler un projet. TP4 désirait arrêter des consommer de l’héroïne. E2 explique que les personnes sans domicile sont « dans des logiques de survie », ce qui les empêche de se projeter dans l’avenir. A l’inverse, de son côté, TP8 a gardé des buts et une motivation : « j’ai toujours positivé, je ne baisse pas le bras ». En effet, elle avait sa fille avec elle et les familles conservent généralement une grande motivation entretenue par leurs enfants (E1, E3). Une ergothérapeute justifie que « les familles gardent quelques autres identités qui les préservent. Donc leur demander ce qu’ils veulent faire, ils l’entendent, ils sont encore dans le vouloir, ils sont encore dans l’espoir, ils espèrent avoir ceci ou avoir cela, ils se projettent dans le futur » (E3).

Pour survivre, les personnes sans domicile acquièrent de nombreuses capacités. En effet, vivre dans l’errance demande des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être. E3 indique que « c’est un vrai savoir-vivre ». Une seule ergothérapeute évoque « le savoir expérientiel que développent les personnes qui sont à la rue » (E1). TP1 illustre : « je connais tout ce qui est autour des SDF ». Les personnes sans domicile possèdent des connaissances du territoire, de la rue et des associations (TP1, TP2, TP7, E1, E2, E3, E4). Comme indiqué par E1, « ils développent des codes de la rue. Ils connaissent les lieux ressources. […] ils connaissent des choses, ils connaissent des endroits, ils connaissent les accueils de jour, ils connaissent les endroits où ils peuvent manger ». Par exemple, TP2 illustre la connaissance des lieux de passage pour faire la manche : « C’était pas qu’on s’éclatait dans la rue, c’est qu’il y a plus d’occasions, de mains tendues quand on est visible ». De son côté, une autre travailleuse paire explique : « Tu connais un peu les endroits dans chaque ville », par exemple « aux alentours des gares, tu sais qu’il y a toujours de la zone » (TP7). Pour faire face aux difficultés de leur quotidien, ils s’accaparent d’une force mentale, étroitement liée à leur « capacité de résilience » (E1). TP2 révèle : « on est toujours en mode survie et ça m’a rendue plus forte ». Ils assimilent des stratégies de survie et de débrouillardise (E2, E4) qui sont illustrées par deux travailleurs pairs avec les termes suivants : « on se débrouille » (TP7), « on se démerde » (TP3). Une ergothérapeute mentionne leur « capacité de réflexion » (E4). Ils font preuve de « créativité » (E2, E4). Ces capacités permettent de « s’adapter à des nouvelles situations » (TP7, E3, E4). Une travailleuse paire précise qu’elle est capable d’adapter son comportement et son langage selon la situation : « je jongle avec le vocabulaire à adopter, mais en un sens, je ne l’ai jamais

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perdu. C’est une de mes forces, c’est-à-dire que j’adapte mon langage en fonction de qui j’ai en face de moi » (TP2). Ils sont sociables et possèdent des habiletés sociales développées (E3, E4). D’après E3, « ils sont extrêmement adaptés […] et socialisés ». Trois ergothérapeutes (E1, E3, E4) évoquent également leurs « ressources de générosité » (E3) vis-à-vis de leurs pairs.