• Aucun résultat trouvé

« [Goethe] aimait aussi les divertissements musicaux, beaucoup plus répandus dans le passé sous la conduite d’Eberwein. Depuis que ces grandes représentations musicales chez lui avaient cessé, il se contentait de lieder. [...] Moi aussi, j’eus une fois la joie d’être appelé auprès de lui à cette intention; il voulait probablement se rendre compte si j’avais fait des progrès dans l’interprétation, ce qui était l’essentiel à ses yeux. Je lui chantai d’abord Des Jägers Abendlied [Chant du soir du chasseur] composé par Reichardt. Il s’assit à côté dans un fauteuil et se couvrit les yeux de la main. Vers la fin du lied, il sauta sur ses pieds et s’écria : “Tu chantes très mal ce lied!” Puis il alla et vint un moment dans la pièce, fredonnant pour lui-même, après quoi il poursuivit, en venant à moi et me fixant de ses beaux yeux : “la première et la troisième strophes doivent être précises, interprétées avec une sorte de

sauvagerie; la deuxième et la quatrième plus doucement, car un autre sentiment fait son apparition; vois-tu, ainsi (en marquant brusquement) : da ramm, da ramm, da ramm, da ramm!” En même temps, il marquait le tempo en levant et abaissant les deux bras, et chantait ce “da ramm” d’une voix grave. Je devais à présent faire ce qu’il voulait, et je répétai le lied selon son désir. Satisfait, il me dit : “C’est mieux ainsi! Peu à peu, tu comprendras comment réciter de tels lieder strophiques.” »1

Ce récit du chanteur lyrique et comédien Eduard Genast (1797-1866), engagé par Goethe au théâtre de Weimar en 1814, signale l’investissement du poète dans l’interprétation vocale de ses 1. « Er liebte auch musikalische Unterhaltung, die in früherer Zeit, unter Eberweins Leitung, viel ausgedehnter stattfand. Seit dieses größer musikalischen Aufführungen in seinem Hause aufgehört, begnügte er sich mit Liedern. [...] Auch ich hatte einst die Freude, zu diesem Zweck zu ihm beordert zu werden; Wahrscheinlich wollte er sich ob ich Fortschritte im Vortrag, der bei ihm die Hauptsache war, gemacht habe. Ich sang ihm zuerst „des Jägers Abendlied“, von Reichardt componiert. Er saß dabei in einem Lehnstuhl und bedeckte sich mit der Hand die Augen. Gegen Ende des Liedes sprang er auf und rief : „Das Lied singst du ganz schlecht!“ Dann ging er, vor sich hinsummend, eine Weile im Zimmer auf und ab und fuhr dann fort, indem er vor mich hintrat und mich mit seinen wunder schönen Augen anblitzte : „Der erste Vers sowie der dritte müssen markig, mit einer Art Wildheit vorgetragen werden; der zweite und vierte weicher, denn da tritt eine andere Empfindung an; siehst du, so (indem er scharf markierte) : da ramm, da ramm, da ramm, da ramm!“ Dabei bezeichnete er zugleich, mit beiden Armen auf- und abfahrend, das Tempo und sang dies „da ramm“ in einem tiefen Tone. Ich musste nun, was er wollte, und auf sein Verlangen wiederholte ich das Lied. Er war zufrieden und sagte : „So ist es besser! Nach und nach wird es dir schon klar werden, wie man solche Strophenlieder vorzutragen hat.“ » Eduard Genast, Aus dem Tagebuche eine alten Schauspielers von Eduard Genast, t. 1, Leipzig, [s. n.], 1862, p. 224-225.

138 les voix du poème narratif

lieder. Il nous montre aussi que Goethe perçoit l’interprétation d’abord comme théâtrale : il ne commente pas les hauteurs ou le souffle, mais bien le relief expressif mis en valeur, ou non, par la voix. Le caractère doit s’adapter à chaque strophe, dans ce lied. Or ses remarques (« avec une sorte de sauvagerie ») contredisent l’indication que Reichardt a fait figurer en tête de sa partition (en fait intitulée Jägers Nachtlied) : « langsam und leise », « lent et doux », dans une nuance pianissimo2. De plus, la partition note deux parties de cors de chasse : il est frappant de

voir qu’au contraire, la séance de formation prodiguée par Goethe se fait sans aucun instrument. Comment interpréter cette distance entre les recommandations du compositeur et celles du poète et dramaturge?

Cette anecdote met en perspective une difficulté particulière : la relation entre la voix qui récite ou qui déclame et la voix qui chante. Cette difficulté existe dès les origines du genre. C’est pourquoi la question de la récitation sera notre porte d’entrée dans l’histoire musicale de la ballade, primant sur celle du chant. La musique est en effet tributaire des pratiques orales de l’époque. Comment doit-on réciter les ballades nouvellement exhumées, composées ou recomposées? Goethe et Schiller se sont penchés sur la question incidemment, à propos du partage des genres littéraires : une réflexion comparative, sous le titre « De la poésie épique et dramatique »3, leur fournit l’occasion de réfléchir à la place du conteur. Si leur position

est prescriptive, elle soulève un pan du voile qui nous dissimule la réalité de la récitation des ballades.

Les sources qui décrivent cette pratique manquent en effet. C’est un art de société, mais tout autant d’intimité : appartenant à la sphère privée, il échappe donc la plupart du temps à l’œil du critique, à l’exception peut-être de la ballade chantée au théâtre, dans le singspiel. Néanmoins, il faut approcher cet objet singulier. Comment un poème narratif se mue-t-il en performance orale, de la parole à la musique, dans les dernières années du XVIIIesiècle? Telle

est la question soulevée par le présent chapitre.

4.1 Le rhapsode derrière un rideau? Dire le poème

On lit et on récite les ballades avant de les chanter. Une raison à cela : la publication des poèmes et celle de leur mise en musique n’est en général pas simultanée – on y reviendra à la fin de ce chapitre. Rares sont les documents qui nous donnent accès à la pratique de la récitation, peu observable. Il reste possible d’analyser la production romanesque, qui garde une trace de 2. Jägers Nachtlied, in Johann Friedrich Reichardt, Göthe’s Lieder, Oden, Balladen und Romanzen, t. 1, Leipzig, Breitkopf & Härtel, 1809, p. 46.

3. Première édition : Johann Wolfgang von Goethe et Friedrich von Schiller, Ueber Kunst und Alterthum. Von Goethe. Sechsten Bandes erstes Heft, Stuttgart, in der Cotta’schen Buchhandlung, 1827, « Über epische und dramatische Dichtung ».

les voix du poème narratif 139

ces coutumes. Les souvenirs de lecteurs ou d’auditeurs sont également d’autant plus précieux qu’ils sont rares. Ici encore, Goethe est incontournable : son autobiographie Souvenirs de ma vie, Poésie et Vérité4est souvent regardée avec méfiance, mais il reste que le poète s’est efforcé

d’y être exact, autant que sa mémoire (et celle de ses amis) le lui a permis5. Or, plusieurs de ses

pages nous dépeignent le jeune écrivain en conteur.

La ballade n’est qu’un genre parmi d’autres dans l’univers de la lecture et de la diction littéraire. Il est donc indispensable de mentionner brièvement les éléments socio-historiques qui concernent l’art de lire et de réciter dans les salons allemands de l’époque.

4.1.1 Pratiques de la lecture poétique. Fuite du monde, divertissement social La pratique de la lecture subit une profonde transformation dans le dernier tiers du XVIIIe

siècle, transformation dont le roman garde trace. Un exemple permettra de mettre en lumière plusieurs traits de cette nouvelle donne. Paru en 1774, Les Souffrances du jeune Werther inclut à plusieurs reprises des scènes de lecture; qui plus est, son succès extraordinaire en fait un générateur de stéréotypes culturels pour le roman allemand. La recherche d’une proximité sen- timentale autour d’un texte lu en commun devient récurrente dans la production romanesque de cette période. La lecture à deux des amants est ainsi un motif fréquent.

« Le schéma est pratiquement toujours le même : un jeune homme et une jeune fille, qui prend généralement l’initiative, s’avouent leur amour en lisant à voix haute, avec le ton requis et en insistant sur les passages pouvant s’appliquer à leur propre situation, un ouvrage autorisé par leurs tuteurs. »6

Dans le roman de Goethe, le passage crucial de la lecture d’Ossian par le protagoniste relève d’un procédé similaire, même s’il n’y a qu’un lecteur. La lecture en commun n’apparaît pas dans Werther ; mais un autre passage repose sur le souvenir d’un poème :

« Nous nous approchâmes de la fenêtre. Le tonnerre se faisait encore entendre dans le lointain; une pluie bienfaisante tombait avec un doux bruit sur la terre; l’air était rafraîchi et nous apportait par bouffées les parfums qui s’exhalaient des plantes. Charlotte était appuyée sur son coude; elle promena ses regards sur la campagne, elle les porta vers le ciel, elle les ramena sur moi, et je vis ses yeux remplis de larmes. Elle posa sa main sur la mienne, et dit : Klopstock! Je me rappelai aussitôt l’ode sublime qui occupait sa pensée, et je me sentis abîmé dans le torrent de sentiments qu’elle versait sur moi en cet instant. »7

4. Première édition : Johann Wolfgang von Goethe, Aus meinem Leben : Dichtung und Wahrheit, 4 t., Stuttgart & Tübingen, Cottaische Buchhandlung, 1811-1833.

5. Voir la notice de Pierre du Colombier (trad.) dans J. W. von Goethe, Poésie et Vérité, op. cit., p. 5-6. 6. Valérie Le Vot, Des livres à la vie : lecteurs et lectures dans le roman allemand des Lumières, Bern, Berlin et New York, Peter Lang, 1999, p. 293.

7. Johann Wolfgang von Goethe, Les Souffrances du jeune Werther, Pierre Leroux (trad.), Paris, Livre de poche,

140 les voix du poème narratif

Le poème, dont on nous tait le contenu, n’est pas lu. Simplement évoqué, il suscite pourtant sans effort un sentiment de communion entre les protagonistes du roman. Il n’est pas besoin de récitation partagée : c’est un souvenir commun de lecture solitaire qui est présenté ici, souvenir assez intense pour unir les deux personnages amateurs de Klopstock, autant qu’il exclut un lecteur ignorant les profondeurs de sa poésie. Séparant les personnages du lecteur, il sépare aussi, à l’intérieur du récit, Charlotte et Werther du reste des convives (il intervient en effet au milieu d’une soirée en société). La lecture possède donc un double pouvoir : susciter la communion, en réunissant les personnages à partir d’une expérience par définition privée; les mettre à part du groupe. À l’intérieur de la fiction qui le constitue, Werther reflète un enjeu de la lecture tout à fait réel dans les années 1770 : elle rapproche, unit, mais isole également ceux qui s’y adonnent.

Il sera donc utile de distinguer trois réalités dans l’évolution du rapport à la lecture. Les deux premières sont factuelles, la troisième d’ordre psychologique :

— l’abandon des pratiques communautaires au profit de la lecture silencieuse;

— le maintien de la lecture à haute voix dans des classes sociales spécifiques, noblesse et classes paysannes;

— enfin, le fait par lequel la lecture devient un acte permettant de s’isoler de la société, ainsi que montré ci-dessus. Ce troisième élément a son importance : le sentiment de solitude, d’exclusivité, lié à la lecture se retrouve quelques décennies plus tard dans le lied romantique, tandis que la ballade reste toujours dépendante de l’auditoire qu’elle convoque. Il n’est pas inintéressant de garder cela à l’esprit pour réfléchir à la ligne de partage entre les genres et au lied romantique en gestation. Les notions d’intimité et de solitude lui seront fortement liées.

Ce troisième point demandera une étude approfondie. Examinons pour l’heure les deux premiers.

L’essor de la lecture silencieuse et solitaire

Un premier constat concerne le déclin en Allemagne des pratiques de type communautaire. Nous empruntons les réflexions suivantes à l’ouvrage tiré de la thèse de Valérie Le Vot, Des livres à la vie : lecteurs et lectures dans le roman allemand des Lumières8. Elle résume :

« Le [XVIIIe] siècle est marqué par le recul progressif des formes de lecture intensive,

c’est-à-dire de lecture répétitive, inscrite dans un cadre familial et communautaire, d’un fonds limité et stable d’ouvrages (la Bible, les ouvrages de piété, les almanachs), au profit de la lecture extensive, qui se choisit des objets toujours différents. »9

8. Voir note 6.

les voix du poème narratif 141

Ce recul a pour corollaire l’expansion que prend la lecture personnelle, qui « accompagne la vie bourgeoise : il ne s’agit pas simplement de lire un livre, mais d’en faire un compagnon qu’on donne en héritage »10. Des expressions comme « révolution de la lecture », « rage de lire »

(Lesesucht)11reflètent l’esprit de la période.

Cette description est à rapprocher de l’avis émis par Mme de Staël dans De l’Allemagne : « En France, on ne lit guère un ouvrage que pour en parler; en Allemagne, où l’on vit presque seul, on veut que l’ouvrage même tienne compagnie [...]. L’homme solitaire a besoin qu’une émotion intime lui tienne lieu du mouvement extérieur qui lui manque. »12L’activité de la

lecture est en effet marquée par une solitude de plus en plus grande, dont on donnera pour illustration un autre épisode de Werther :

« Je [...] sortis, montai dans une voiture, et me rendis à M..., pour y voir de la montagne le soleil se coucher; et là je lus ce beau chant d’Homère où Ulysse reçoit l’hospitalité du digne porcher. »13

Plusieurs thèmes préromantiques sont tissés ensemble dans ce passage : recherche de la solitude, lecture et nature font bon ménage.

Lire pour un auditoire

Deuxième constat : la lecture comme activité de société perdure en se restreignant à des catégories de population précises. Toujours d’après Valérie Le Vot, la lecture à voix haute ne concerne plus, dans les dernières années du XVIIIe siècle, qu’un public réduit : « [elle] est

limitée à la sphère aristocratique, où les maîtres engagent un lecteur ou une lectrice, ou à la sphère paysanne. »14La différence s’établit donc entre les classes supérieure et inférieure, et la

classe intermédiaire que constitue la petite bourgeoisie :

« [L]a culture de l’écrit, et plus encore la culture littéraire, n’est pas un élément consti- tutif ou nécessaire de la vie des petits bourgeois ou du peuple, pour qui l’oralité (veillées, conversations, sermons, vie professionnelle) et les éléments visuels (fêtes, foires, théâtres ambulants... ) sont beaucoup plus essentiels. »15

L’auteur rappelle que seulement 1% de la population est concerné par la lecture. La vie paysanne demeure pour l’essentiel orale. Il faut cependant nuancer ce tableau d’une lecture

10. Ibid., p. 22. 11. Ibid., p. 1 et 6.

12. G. de Staël, De l’Allemagne, op. cit., p. 44.

13. J. W. von Goethe, Les Souffrances du jeune Werther, op. cit., p. 121 (DKV, 8, p. 142-143). 14. V. Le Vot, Des livres à la vie..., op. cit., p. 291.

142 les voix du poème narratif

à voix haute ne subsistant que dans l’aristocratie et les couches populaires, en se souvenant qu’il provient d’une réflexion consacrée au roman. Un sort différent échoit tout naturellement aux deux autres genres littéraires, plus proches de l’oralité par nature, et particulièrement à la poésie narrative. En milieu aristocratique ou bourgeois, on lit et récite de la poésie, des extraits de théâtre, et même des pièces in extenso. Goethe lui-même, évoluant dans ce milieu, se décrit comme un adepte de la lecture et de la récitation à haute voix.

Autoportrait du poète en conteur

Poésie et Vérité, l’autobiographie de Goethe, propose plusieurs scènes de ce type, offrant un aperçu des diverses formes que prennent la lecture, la récitation, dans l’intimité des soirées familiales et amicales bourgeoises. L’ouvrage s’étend de sa naissance en 1749 à 1775, année où il s’installe à Weimar sur l’invitation de la duchesse Anna-Amalia de Brunswick (1739-1807) qui souhaite se l’attacher, et ne nous présente donc que la jeunesse du poète.

On sait que Goethe, toute sa vie, est un homme de théâtre (à Weimar, il sera directeur du théâtre jusqu’à sa démission en 1817). Cela est vrai aussi de sa jeunesse. Il rapporte dans la troisième partie de Poésie et Vérité une soirée de 1771 où, jeune homme en voyage en Alsace, il donne vie aux personnages de Shakespeare sur le souhait de son amour d’alors, Friederike Brion :

« L’un des jours suivants, elle fit avec assurance appel à cette servitude en me confiant que ces dames désiraient m’entendre lire. Les filles de la maison avaient beaucoup parlé de cela, car, à Sesenheim, je lisais ce qu’on voulait et quand on voulait. Je fus aussitôt prêt : seulement, je réclamai quelques heures de calme et d’attention. On les promit et, un soir, je lus sans interruption Hamlet tout entier, en pénétrant aussi loin que je le pouvais dans le sens de la pièce et en m’exprimant avec la vivacité et la passion qui sont données à la jeunesse. Je récoltai de grands applaudissements. »16

L’exercice, tel que le décrit Goethe, se situe entre la lecture et le théâtre. C’est ce que semblent indiquer les termes de « vivacité » et de « passion ». Ils s’appliquent d’abord au ton de la voix, laissant imaginer une lecture modulée en fonction des caractères et des péripéties exposées dans la pièce; ils suggèrent aussi une participation notable du corps, mouvements et déplacements, en cours de lecture. Usage de la voix et mouvements du corps, tels sont d’ailleurs les deux chapitres des Règles pour les acteurs dont Goethe jettera les bases en 1803, à Weimar17. Quant à

la « pénétration du sens du texte », est-elle seulement intellectuelle, ou ces mots évoquent-ils 16. J. W. von Goethe, Poésie et Vérité, op. cit., p. 302 (DKV, 18, p. 512-513).

17. Johann Wolfgang von Goethe, « Règles pour les acteurs », Jean Lauxerois et Erik Jochem (trad.), in NRF,

no422(1993/03), p. 58-72; « Règles pour les acteurs », in NRF, no423(1993/04), p. 119-128. Il s’agit de la première

traduction française. Les paragraphes consacrés à la voix feront l’objet d’une étude plus loin dans ce chapitre. (DKV,

les voix du poème narratif 143

une incarnation quasi théâtrale des rôles? Il est difficile de le dire. Quoi qu’il en soit, le poète lit tous les personnages à lui seul : on frôle la ballade, qui aura pour défi de réunir plusieurs voix en une.

S’il lit du théâtre, Goethe semble aimer à rappeler qu’il est aussi un conteur. Cette fois, plus de livre en main. Qu’il s’agisse de passages de la mythologie nordique de l’Edda, connue de lui via L’Histoire du Danemark de Mallet (Copenhague, C. & A. Philibert, 1758), de légendes indiennes tirées du Ramayana, il prend un plaisir tout particulier à conter ces récits devant un public. Il évoque les moments passés en tête à tête avec sa sœur Cornelia (1750-1777), à qui il aime lire des passages d’Homère; et voici que l’arrivée de la société appelle d’autres divertissements :

« Quand, par contre, sa compagnie était réunie, c’était le loup Fenris et le singe Han- nemann qu’on demandait d’une seule voix. Combien de fois n’ai-je pas dû répéter en détail la fameuse histoire de Thor et de ses compagnons, singés par les géants magiques! Aussi m’est-il resté de toutes ces fictions poétiques une impression si agréable, qu’elles sont encore au nombre des plus précieux souvenirs que mon imagination puisse évoquer à elle-même. »18

Le nombre et la composition de l’assistance déterminent ici dans une certaine mesure le genre qui va être abordé. Homère pour l’intimité, les récits à effets pour le public. Goethe, comme auteur, professe en effet un léger mépris envers ces fictions séduisantes :

« J’avais surtout des succès en racontant L’Autel de Ram, et, en dépit de la grande variété des personnages de ce conte, c’est encore le singe Hannemann qui resta le favori de mon public. Mais ces monstres informes et aux formes excessives ne pouvaient me donner une satisfaction vraiment poétique : ils étaient trop éloignés du vrai, auquel ma pensée tendait

Documents relatifs