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Un modèle et ses réappropriations : Zumsteeg, Schubert, Loewe

« Schubert est toujours resté original, et n’a pris modèle sur aucun des grands maîtres; le chanteur de lieder Zumsteeg, qui n’est pas un homme insignifiant, est le seul [...] à avoir exercé une influence sur la direction prise par Schubert et sur ses tout premiers lieder. »

Souvenirs de Josef von Spaun, 18641

« Après que Bach, Haendel, Haydn, Gluck, Mozart et Beethoven eurent créé les différentes formes de la musique et produit des œuvres merveilleuses dans chaque branche, il était douteux qu’un autre maître pût créer une nouvelle forme musicale, quand apparurent soudain deux chanteurs célestes [...]. Schubert fut le créateur du lied savant, Loewe celui de la ballade savante. »

A. B. Bach, 18902

Hélas pour la légende, ni Schubert ni Loewe ne sont « apparus soudain ». Et si Schubert reste associé à la naissance du Kunstlied et Loewe à celle de la ballade, leurs domaines respectifs ne sont pas si délimités qu’on le croirait en lisant le Balladensänger Albert Bach. L’instauration 1. « Schubert ist immer original geblieben und hat sich keinem der großen Meister nachgebildet ; nur der Liedersänger Zumsteeg, der gewiss nicht unbedeutend war [...], hat auf Schuberts Richtung und seine ersteren Lieder Einfluß geübt. » Josef von Spaun, Einige Bemerkungen über die Biographie Schuberts von Herrn Ritter von Kreissle-Hellborn, 1864. Souvenirs de Josef von Spaun. Cité dans Gunter Maier, Die Lieder Johann Rudolf Zumsteegs und ihr Verhältnis zu Schubert, Göppingen, Alfred Kümmerle, 1971, p. 164.

2. « After Bach, Haendel, Haydn, Gluck, Mozart, and Beethoven had established the different forms in music and produced marvellous works in every branch, its seemed doubtful whether any other master could create a new form in music, when suddenly two heaven-born singers appeared [...]. Schubert was the creator of the art song, Loewe the creator of the art ballad. » A. B. Bach, The Art Ballad. Loewe and Schubert, op. cit., p. 19.

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d’une histoire de la ballade est indissociable de la filiation établie entre plusieurs compositeurs, et de la pratique de différents genres par ces deux musiciens. Autour de 1800, les publications de ballades musicales se multiplient ; le genre acquiert peu à peu des caractéristiques d’écriture propres. Sur deux générations, trois noms dominent cette époque et façonnent le répertoire : ceux de Johann Rudolf Zumsteeg, de Carl Loewe et de Franz Schubert. Ces deux derniers appartiennent à la même génération; la longévité de Loewe, qui meurt en 1869 bien après son homologue viennois, ne doit pas leurrer. La musicographie fut tentée de considérer en lui surtout le précurseur de Richard Wagner3, tandis que Schubert reste davantage associé,

non sans raison certes, à Beethoven ou à Mozart. Cependant tous deux ont partagé un même univers culturel pendant trente ans; ils ont eu mutuellement connaissance de certaines de leurs œuvres, et travaillé à plusieurs reprises sur les mêmes poèmes. Loin d’être insensée, la mise en regard de leurs productions présente donc un intérêt musicologique. La fille de Loewe, Julie von Bothwell, apporte un témoignage en ce sens à propos de l’une des premières ballades de son père, Erlkönig, composée en 1817 ou 1818, publiée comme op. 1 no3en 1821. Elle affirme qu’il

aurait eu entre les mains le manuscrit de Schubert – mais par quel biais?4– avant d’écrire sa

propre version. Bien qu’il allât contre ses principes, dit-elle, de mettre en musique des poèmes déjà composés par d’autres, il le résolut à la suite de cette réflexion :

« Loewe sentait que Schubert n’avait pas réussi à trouver un véritable ton de ballade pour ce poème; c’est pourquoi il lui écrivit une musique dans un style plus dramatique, en disant : “man kann es anders machen” – “on peut faire cela autrement.” »5

Une part conséquente des éléments condensés dans ce chapitre a été bien mise en valeur par des études musicologiques en langue allemande. Pour ne pas alourdir la progression d’ensemble, nous les signalerons et y renverrons chaque fois que le sujet l’exigera.

3. Voir par exemple la réflexion de A. B. Bach : « The principles which Wagner laid down in his philosophical and aesthetic dissertations on “the Art of the future” in 1851, Loewe had actually carried out thirty years before in his earliest works, “Erlking”, “Oluf”, and “Edward”. » The Art Ballad. Loewe and Schubert, op. cit., p. 113.

4. On est d’autant plus tenté de s’interroger que la ballade de Schubert ne fut publiée que le 2 avril 1821 à Vienne. Comment donc Loewe aurait-il pu en connaître la musique? Si ce n’est un souvenir reconstruit, ce propos date peut-être d’une époque ultérieure.

5. « Loewe felt that Schubert had not found the true ballad-tone for this poem, and therefore he wrote the music to it in a more dramatic style, saying, “Man kann es anders machen” – “It can be done in another way.” » Lettre de Julie von Bothwell à A. B. Bach, citée dans ibid., p. 125.

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5.1 Le modèle

5.1.1 La notion de modèle

Dans leurs premiers essais de ballades, Schubert et Loewe se sont trouvés confrontés à la production de Johann Rudolf Zumsteeg comme à un modèle. Mais qu’entend-on par ce terme? Le Trésor de la Langue Française en donne la définition suivante : « Chose ou personne qui, grâce à ses caractéristiques, à ses qualités, peut servir de référence à l’imitation ou à la reproduction. Exemple : modèle normatif, scolaire; modèle de conjugaison, de devoir; fournir un modèle, suivre un modèle, se conformer au modèle. »6 Axée sur les notions de norme et

d’imitation, cette définition peut en fait s’avérer réductrice. Tournons-nous vers l’allemand : le Vorbild est littéralement « l’image qui précède » :

« Dans Vorbild, vor a une signification temporelle, le modèle est donc à l’origine une image qui en précède une autre. La relation entre les deux peut être très différente, du moins dans la langue ancienne, qui emploie le terme dans un sens beaucoup plus large que la langue actuelle. Vorbild est désuet dans le sens de l’original par rapport à la copie [...]. »7

Le Vorbild est donc ce qui vient avant, et non pas ce qui impose une règle. Précédent et exemple possible à la fois, il offre par là même la possibilité de la démarcation. Reste ceci : affirmer qu’il y a un modèle, c’est dire qu’il y a une imitation, ou une réaction. C’est donc poser la question implicite du degré de conformité de cette imitation. À l’évidence, l’intention de Schubert ou de Loewe n’est pas d’atteindre à l’exactitude, par la reproduction du modèle musical que leur proposerait tel ou tel de leurs prédécesseurs. L’analyse ne porte donc pas tant sur les traits imitatifs qu’on peut relever chez eux, que sur l’appréciation et la description d’un écart vis-à-vis du modèle : l’espace où se joue la liberté propre du créateur.

Le terme de modèle peut aussi s’appliquer à une personne. Lorsque s’instaure un rapport humain de ce type, il engendre une forme de subordination, où l’admiration joue un rôle : « Exemple donné par une personne [...] qui possède au plus haut degré un ensemble de caractéristiques. »8La dimension relationnelle doit donc entrer en considération. Ni Schubert

ni Loewe n’ont connu personnellement Johann Rudolf Zumsteeg : il n’est pas question ici d’un rapport de maître à élève, sinon par le truchement de la partition imprimée. S’ils expriment

6. « Modèle », in Trésor de la Langue Française informatisé, url :https://www.cnrtl.fr/definition/mod%

C3%A8le(visité le 11 juil. 2017)

7. « vor in v. hat zeitliche bedeutung, v. ist also ursprünglich ein bild, das einem andern vorausgeht. die beziehung

zwischen beiden kann eine ganz verschiedene sein, wenigstens in älterer sprache, die das wort in viel weiterem sinne braucht als die sprache der gegenwart. veraltet ist v. in der bedeutung des originals im verhältnis zur copie [...]. » Jakob Grimm & Wilhelm Grimm, « Vorbild », in Deutsches Wörterbuch, Leipzig, S. Hirzel, 1854-1960, url :

http://www.woerterbuchnetz.de/DWB?lemma=vorbild(visité le 18 oct. 2019).

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une réelle admiration pour le talent quasi pictural de Zumsteeg, celle-ci s’adresse d’abord à un objet artistique (la musique de tel poème), non à une personnalité avec laquelle ils seraient entrés en contact. En raison de ce rapport médiat et dépourvu d’enjeu relationnel, les notions souvent interrogées de l’émancipation vis-à-vis du modèle et de son rejet ne semblent pas pertinentes.

Des éléments biographiques attestent de la fréquentation des compositions de Zumsteeg durant la période de formation de Schubert comme de Loewe. Dans les premières années du siècle, la position hégémonique du compositeur dans le domaine de la ballade chantée les renvoyait à lui de façon quasi inévitable. Une note dans l’édition monumentale consacrée à Goethe en musique par la Goethe-Gesellschaft le souligne : « Zumsteeg compte surtout dans l’histoire du lied par la forte influence qu’ont eue ses ballades sur Loewe comme sur Schubert. »9

5.1.2 Zumsteeg et Schubert en quelques témoignages

Le lien entre Zumsteeg et Schubert ne fait plus mystère. Diverses publications l’ont étudié, en particulier les travaux de Walther Dürr10. Si l’analyse de Zumsteeg n’a cessé d’alimenter les

études schubertiennes, c’est en raison de la filiation qui lui lie les premiers essais de Schubert en matière de lied. Les recherches s’appuient sur des sources de première main sans équivoque. Les souvenirs des amis de Schubert révèlent un jeune élève du Stadt Konvikt11grand admirateur

des ballades de Zumsteeg. Il a eu entre les mains un certain nombre de partitions de Zumsteeg, possessions du Konvikt : plusieurs témoignages de ses camarades et amis en font état.

Josef Kenner (1794-1868) écrit ainsi :

« Pendant le temps libre qui suivait le déjeuner, Albert Stadler [...] et Anton Holzapfel [...] se réunissaient dans la salle du piano du Konvikt pour y déchiffrer les œuvres de Beethoven ou de Zumsteeg. [...] Parfois Spaun y venait aussi, et même Schubert encore après sa sortie du Konvikt. Stadler tapait, Holzapfel chantait et, de temps à autre, Schubert

9. « Für die Geschichte des deutschen Liedes ist Zumsteeg vor allem deshalb von Bedeutung, weil seine Balladen auf Loewe sowohl wie auf Schubert stark eingewirkt haben. » M. Friedländer (éd.), op. cit., p. 148.

10. Voir G. Maier, Die Lieder Johann Rudolf Zumsteegs und ihr Verhältnis zu Schubert, op. cit.; W. Dürr, « Hagars Klage in der Vertonung von Zumsteeg und Schubert: zu Eigenart und Wirkungsgeschichte der „Schwäbischen Liederschule“ », art. cit.; I. Henning, « Zumsteegs Monodie Die Erwartung – und was Schubert daran fasziniert haben mag », art. cit.; D. Patier, « Les premiers lieder de Schubert et l’héritage de Zumsteeg », art. cit. Un autre rapprochement, avec Mozart, est suggéré par un ouvrage plus récent associé à l’exposition Zumsteeg à la Landesbibliothek de Stuttgart : Reiner Nägele (éd.), Johann Rudolf Zumsteeg (1760-1802): der andere Mozart? Stuttgart, Württembergische Landesbibliothek, 2002.

11. Le Stadt Konvikt ou collège d’État est une institution impériale d’enseignement fondée en 1803 par l’empereur

Franz Ier(1768-1835). Elle se situe alors près de la cathédrale Saint-Étienne et accueille entre autres les petits chanteurs

de la Cour. Son directeur Innocenz Lang y encourage aussi la vie musicale. Admis comme soprano à l’âge de 11 ans, en octobre 1808, Schubert y poursuit ses études jusqu’en 1813.

un modèle et ses réappropriations : zumsteeg, schubert, loewe 187 s’asseyait lui-même au piano. Là furent déchiffrées et lues, en tout premier lieu, ses premières compositions. »12

Anton Holzapfel (1792-1868) complète : « Le chant accompagné au piano avait aussi cours, en particulier les ballades et lieder de Zumsteeg qui étaient à la mode parmi nous. »13

Josef von Spaun surtout explicite le lien de filiation, non sans défendre l’indépendance de Schubert (1788-1865) :

« [...] Quelques jours plus tard, je lui rendis visite dans la salle de musique, où une heure de solitude lui était octroyée pour ses exercices. Il avait plusieurs paquets de compositions de Zumsteeg devant lui, et me dit que ces lieder l’émouvaient au plus haut point. “Écoutez donc ce lied-ci”, dit-il, et d’une voix déjà à demi-brisée il me chanta Kolma, avant de me montrer Die Erwartung, Marie Stuart, Ritter Toggenburg, etc. Il me dit qu’il aurait pu se délecter de ces lieder à longueur de journée. C’est à cette prédilection de sa jeunesse que nous devons la direction que Schubert a prise; mais il était si peu imitateur, et le chemin qu’il suivait était tellement indépendant.

Déjà à l’époque il s’était essayé à quelques lieder, par exemple Hagars Klage. Il voulait mettre en musique d’une autre manière le lied de Zumsteeg, qui lui plaisait beaucoup. »14

Rien d’étonnant donc à ce que Schubert commence sa carrière de Liederkomponist avec plusieurs textes déjà mis en musique par Zumsteeg. Mais d’emblée, il s’agit d’écrire autrement, « d’une autre manière ». La lecture de Zumsteeg l’incite à exercer sa propre pensée : la présence

du modèle est vécue comme l’occasion d’un renforcement de sa personnalité musicale. 5.1.3 Zumsteeg et Loewe? Pour combler un manque historiographique

Alors que la filiation de Zumsteeg à Schubert est connue, celle de Zumsteeg à Loewe est un domaine inexploré, si ce n’est par Walther Dürr15. La jeunesse du musicien ne contourne

12. Souvenirs de Josef Kenner, Otto Erich Deutsch (éd.), Schubert. Die Erinnerungen seiner Freunde, Leipzig, Breitkopf & Härtel, 1957, p. 70. Nous empruntons la traduction à B. Massin, Franz Schubert, op. cit., p. 66.

13. « [...] auch kam der Gesang zum Klavier, besonders die Zumsteegschen Balladen und Lieder unter uns in Mode. » Souvenirs d’Anton Holzapfel, O. E. Deutsch (éd.), Schubert..., op. cit., p. 46

14. « Nach einigen Tagen besuchte ich ihn im Musikzimmer, wo ihm allein deine Stunde zu seiner Übung gegönnt war. Er hatte mehrere Päcke Zumsteegscher Lieder vor sich und sagte mir, dass ihn diese Lieder auf das Tiefste ergreifen. „Hören Sie“, sagte er, „einmal das Lied, das ich hier habe“, und da sang er mit schon halb brechender Stimme „Kolma“, dann zeigte er mir „Die Erwartung“, (die Maria Stuart“), den „Ritter Toggenburg“ etc. Er sagte, er könne tagelang in diesen Liedern schwelgen. Diese Vorliebe in seiner Jugend verdanken wir wohl auch die Richtung, die Schubert genommen, und doch wie wenig war er Nachahmer, und wie selbstständig der Weg, den er verfolgte.

Er hatte schon damals ein paar Lieder versucht, so z. B. „Hagars Klage“. Er wollte Zumsteegs Lied, das ihm sehr gefiel, in anderer Weise setzen. » Souvenirs de Josef von Spaun de 1811, ibid., p. 108.Un autre souvenir de Spaun, relevé par B. Massin, semble l’avoir été par erreur : « Comme il me chantait un jour des lieder de Zumsteeg qui m’avaient infiniment réjoui, il me fixa au fond des yeux et dit : “Croyez-vous réellement que quelque chose puisse sortir de moi?” » Dans l’édition d’O. Deutsch, les lieder ne sont pas ceux de Zumsteeg mais de Klopstock. Voir B. Massin, Franz Schubert, op. cit., p. 64; O. E. Deutsch (éd.), Schubert..., op. cit., p. 109.

15. Walther Dürr, « Des Pfahrrers Tochter von Taubenhain: über Zumsteeg’s Ballade und Loewe », in Konstanze Musketa (éd.), Carl Loewe, 1796-1869, Kassel, Bärenreiter, 1997, p. 372-386.

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pourtant pas la référence au maître souabe. Loewe mentionne Zumsteeg une seule fois dans ses Esquisses biographiques, avec une certaine dévotion mêlée de distance. Le souvenir lui en revient lorsqu’il évoque ses années d’étudiant à Halle :

« Cependant, j’entretenais des relations suivies avec quelques-uns de mes camarades d’études. — Ce qui les réjouissait davantage c’était lorsque je leur chantais mes ballades et celles d’autres compositeurs.

Pour ces dernières, il s’agissait principalement des ballades de Zumsteeg, surtout la Lenore de Bürger, Des Pfahrrers Tochter von Taubenhain et Die Entführung, puis le Ritter Toggenburg de Schiller et Die Büssende de Stolberg. La musique de ce maître ancien, injuste- ment relégué au second plan, me touchait profondément. Ses motifs sont caractéristiques et ingénieux, ils suivent le texte avec une parfaite fidélité. Certes, ils étaient en général d’une nature très aphoristique. Je pensais que la musique devait être plus dramatique, qu’il fallait la concevoir avec des motifs plus amplement élaborés, un peu comme ce que j’ai essayé de faire dans mes ballades. Le mérite de Zumsteeg en tant que compositeur de ballades est cependant incontestable. Le texte de ses chants réveillait aussi vivement le souvenir de mes premières années. Bien souvent je me suis remémoré l’ancien salon de Löbejün [ville de sa naissance], où ma sœur m’avait si souvent déclamé ces poèmes. »16

L’admiration de Loewe porte donc sur l’adéquation de la musique au texte qu’il observe dans les ballades de Zumsteeg. Néanmoins, son attitude à l’égard de ce dernier est aussi critique : s’il le prend comme modèle, c’est pour refondre un style d’écriture à ses yeux sinon inadapté, du moins insuffisant. Sans perdre la « fidélité » au texte, Loewe entend accroître l’impact « dramatique » du poème. Lorsqu’il évoque la « nature très aphoristique » de la musique de Zumsteeg, on comprend à demi-mot qu’il souhaite lui donner plus de consistance, de couleur, la rendre plus illustrative.

On regrette que le musicien dédaigne de nommer les « autres compositeurs » qu’il prend plaisir à jouer à cette époque. Si l’on peut tirer une hypothèse de ce silence, elle est en faveur de Zumsteeg : peut-être est-il le seul que Loewe estime assez pour en conserver le souvenir. Cela n’empêche pas leurs corpus littéraires de diverger : Der Zauberlehrling est le seul texte qu’ils mettent l’un et l’autre en musique17. Cette attitude distingue Loewe de Schubert qui

n’hésite pas à choisir des textes jusque dans les recueils de Zumsteeg. Rappelons le commentaire 16. « Doch erhielt ich mich mit einigen meiner Studien-Genossen in ununterbrochener Verbindung. — Am meisten konnte ich diese erfreuen, wenn ich ihnen meine und anderer Tonsetzer Balladen vorsang.

Zu den letzteren gehörten hauptsächlich die Balladen von Zumsteeg, vor allem Bürger’s Lenore, des Pfahrrers Tochter von Taubenhain und die Entführung, ferner Schiller’s Ritter Toggenburg und v. Stolberg’s Büssende. Tief ergriff mich die Musik dieses alten, mit Unrecht zurückgestellten Meisters. Ihre Motive sind charakteristisch und geistreich, sie folgen dem Gedichte mit vollkommener Treue. Freilich waren sie meist sehr aphoristischer Natur. Ich dachte mir, die Musik müsste dramatischer sein und unter breiter ausgearbeiteten Motiven gestaltet werden, etwa so, wie ich meine Balladen zu setzen versucht habe. Doch ist das Verdienst Zumsteegs als Balladen-Komponist unbestritten. Der Text seiner Gesänge führte mich zudem lebhaft in meine früheste Jugend zurück. Wie oft gedachte ich des alten Wohnzimmers zu Löbejün, wo mir die Schwester jene Gedichte so oft deklamiert hatte. » Karl Hermann Bitter (éd.)Dr Carl Loewe’s Selbstbiographie, Berlin, Wilh. Müller, 1870, p. 70-71.

17. Il n’est pas inutile de rappeler que nous nous restreignons, pour cette affirmation, à la période qui s’achève en 1832 avec la mort de Goethe.

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de Julie von Bothwell cité plus haut : Loewe n’aimait pas à mettre en musique des poèmes auxquels d’autres s’étaient déjà essayés. Sur ce point, Schubert et lui montrent des sensibilités diamétralement opposées.

Le souvenir de Loewe appelle encore une remarque. Cette unique mention d’un musicien dont il reconnaît avoir joué et aimé plusieurs ballades remarquables, et cet hommage ambivalent, peuvent être le signe d’une volontaire prise de distance, du refus implicite d’être assimilé à un Zumsteeg moderne. Sur le plan stylistique, cette réserve est assumée, on l’a vu. Mais en arrière- plan se joue peut-être aussi la relation de Loewe à un compositeur qui est, après tout, le premier occupant d’une place que lui-même a briguée et obtenue de l’opinion contemporaine : celle

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